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Résolution 2313 (2019)
Le rôle de l’éducation à l’ère numérique: des «natifs du numérique» aux «citoyens numériques»
1. Le XXIe siècle
a besoin de systèmes éducatifs qui favorisent les aptitudes et compétences
du futur, notamment la créativité, la pensée critique, la collaboration
et la communication, et qui répondent à la demande d’innovation
et de croissance économiques de l’Europe, au besoin d’adaptabilité
des marchés du travail et aux nécessités de la société dans son
ensemble.
2. La technologie numérique offre des possibilités sans précédent
pour compléter, enrichir et transformer l’éducation afin de lui
permettre de relever ces nouveaux défis. De plus, les technologies
de l’information et de la communication (TIC) sont un des outils
essentiels pour faciliter l’accès équitable et inclusif à l’éducation, réduire
les inégalités dans l’apprentissage, ouvrir de nouvelles perspectives
aux enseignants et à leur profession, renforcer la qualité et le
sens de l’apprentissage, et améliorer l’administration et la gouvernance
de l’éducation.
3. Dans toute l’Europe, les systèmes éducatifs sont cependant
lents à s’adapter à cette nouvelle donne. Actuellement, on estime
que les compétences numériques d’environ 44 % des adultes des pays
de l’Union européenne sont insuffisantes et que près de 20 % n’ont
aucune compétence dans ce domaine. Moins de la moitié des enfants
sont aujourd’hui scolarisés dans des établissements disposant d’équipements
numériques et seulement 20 à 25 % des élèves ont des enseignants
qui se pensent aptes à utiliser ces technologies en classe. Le fossé
est encore plus grand à l’échelle de l’ensemble du Conseil de l’Europe.
4. S’ils ont une bonne maîtrise des outils high-tech et des réseaux
sociaux dans leurs usages informels, les enfants du numérique n’apprennent
pas nécessairement à faire un usage systématique des TIC en milieu scolaire
ou universitaire. À ce jour, 50 à 80 % des élèves n’ont jamais utilisé
de livre numérique, de logiciel d’apprentissage ou de jeu éducatif.
5. L’apprentissage des compétences numériques débute à l’école,
mais une grande partie des écoles ne sont pas connectées. L’un des
objectifs du projet d’espace européen de l’éducation lancé par l’Union européenne
est de faire en sorte que toutes les écoles des pays de l’Union
aient accès, d’ici à 2025, à des réseaux à haut débit grâce à un
soutien financier adapté. D’autres États, membres du Conseil de
l’Europe, ne bénéficient pas de structures et de ressources similaires
pour les soutenir. L’Assemblée parlementaire craint que ces disparités
substantielles créent de nouvelles fractures sociales au sein même
des pays européens et entre eux.
6. De nombreux pays extérieurs à l’Union européenne ont réalisé
de lourds investissements en TIC pour équiper leurs écoles. L’Assemblée
rappelle toutefois qu’investir dans ces technologies sans les intégrer intelligemment
aux processus d’enseignement et d’apprentissage ne produira pas
les transformations de l’éducation désirées. Un changement total
de paradigme s’impose pour recentrer l’instruction sur la création des
connaissances plutôt que sur leur transmission et sur le processus
d’apprentissage par les élèves plutôt que sur celui de l’enseignement
par les professeurs. Ce changement de paradigme devrait s’accompagner d’objectifs
stratégiques correctement définis, d’une autonomie renforcée des
écoles et des enseignants, de l’introduction de nouvelles formes
hybrides d’apprentissage caractérisées par la fusion des espaces d’apprentissage
physiques, sociaux, virtuels, numériques et mobiles, ainsi que de
réformes substantielles de l’évaluation des élèves.
7. Dans ce processus, les jeunes doivent être dotés des aptitudes
et compétences nécessaires pour devenir des acteurs efficaces et
responsables dans un monde où le numérique est de plus en plus présent. L’Assemblée
salue les institutions de l’Union européenne pour leur action dans
ce domaine et, en particulier, pour l’adoption, en 2018, du Plan
d’action de la Commission européenne en matière d’éducation numérique
et pour l’élaboration des Cadres de référence des compétences numériques
détaillés pour les citoyens et pour les éducateurs, qui offrent,
à eux deux, un modèle de référence très complet pour promouvoir
de manière systématique les compétences numériques.
8. L’acquisition des aptitudes numériques doit commencer dès
le plus jeune âge et se poursuivre tout au long de la vie. L’apprentissage
de la robotique, du codage, de la cybersécurité, de la technologie
de la chaîne de blocs et de l’intelligence artificielle constituera
la colonne vertébrale des futurs programmes d’enseignement et de
formation. Un apprentissage actif fondé sur la résolution de problèmes
et couvrant diverses disciplines favorisera la créativité et l’innovation.
L’Assemblée souligne qu’il est urgent de fixer un niveau minimal
de compétences numériques à atteindre au cours des études et les
critères qui permettront d’évaluer ces compétences. À cet égard,
l’Assemblée salue les Lignes directrices du Conseil de l'Europe
relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits
de l’enfant dans l’environnement numérique, qui donnent des orientations
complètes en la matière, notamment concernant la promotion et le
développement de la culture numérique, y compris la maîtrise des
médias et de l’information, et l’éducation à la citoyenneté numérique.
9. Alors qu’une proportion identique de jeunes femmes et de jeunes
hommes se sentent suffisamment à l’aise dans leur usage quotidien
des technologies numériques, l’Assemblée regrette qu’il y ait encore
un déficit considérable de représentation des jeunes femmes dans
les études et les carrières en relation avec les TIC et les études
et carrières en science, technologie, ingénierie et mathématiques
(STIM). L’Assemblée rappelle sa Résolution 2235 (2018) «L’autonomisation
des femmes dans l’économie», qui souligne que des efforts supplémentaires
devraient être faits pour renforcer l’utilisation des technologies
de l’information et de la communication par les filles, et pour
encourager les jeunes femmes à s’engager dans des professions techniques,
afin de libérer le potentiel numérique de l’Europe et de faire en
sorte que les femmes influent à parts égales pour façonner le monde
numérique.
10. La transformation numérique entraîne de nombreux problèmes
de sécurité en ligne et de cyberhygiène. Les enfants du numérique
sont particulièrement vulnérables à de nombreux dangers; ils sont
notamment, mais pas exclusivement, exposés aux risques suivants:
l’exploitation et les abus sexuels, la cyberintimidation et le cyberharcèlement,
l’endoctrinement, les menaces pour la cybersécurité et la fraude.
Ils doivent être formés à la pensée critique et à la connaissance
des médias. C’est le rôle des systèmes éducatifs, des médias et d’autres
parties prenantes de les aider à devenir des citoyens et des acteurs
numériques compétents et responsables, à la fois dans l’économie
numérique et dans la société numérique. À cet égard, l’Assemblée salue
le projet d’éducation à la citoyenneté numérique du Conseil de l’Europe,
qui dispense des compétences les aidant à s’engager de manière positive
et critique dans l’environnement numérique.
11. L’Assemblée est consciente que l’usage excessif des équipements
numériques et informatiques peut causer des problèmes de santé et
des comportements nuisibles au bien-être, comme la privation de
sommeil, la sédentarité et l’addiction. Il est donc particulièrement
important d’équilibrer, dans la conception des programmes, l’usage
quotidien des équipements technologiques et informatiques en classe
avec une pratique suffisante d’exercices et d’activités physiques.
De même, dans l’approche de l’éducation centrée sur l’apprenant,
il est vital de favoriser le travail d’équipe et les contacts personnels
entre élèves et enseignants, et de donner la priorité au bien-être
et à la santé dans le développement des enfants et des adolescents.
12. Pour une transformation réussie de l’éducation, les enseignants,
les éducateurs et les responsables des établissements scolaires
doivent recevoir une formation et une assistance adaptées. Leur
formation devrait se faire à deux niveaux: la formation aux TIC,
afin qu’ils puissent transmettre efficacement les compétences numériques
à leurs élèves, et la formation à l’intégration des TIC dans les
méthodes d’enseignement afin que la technologie numérique ne soit
pas seulement un objectif, mais aussi un vecteur d’enseignement
dans toutes les matières. Les gouvernements doivent trouver les
moyens d’investir de manière adaptée et durable dans la formation
initiale des enseignants et leur perfectionnement dans la pratique
courante. Des enseignants compétents, à l’aise avec le numérique
et motivés, travaillant dans un environnement propice aux réformes, sont
les meilleurs garants d’environnements d’apprentissage innovateurs
et motivants. À cet effet, il faut que les enseignants soient véritablement
associés à la conception et au développement des programmes, qu’ils disposent
de l’autonomie nécessaire pour choisir et varier les méthodes d’enseignement,
les approches pédagogiques, la sélection des supports d’apprentissage
et les méthodes d’évaluation.
13. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les gouvernements
des États membres du Conseil de l’Europe:
13.1. à prendre en considération, lors de la conception des
politiques d’éducation et de développement des compétences en matière
numérique, les préoccupations et principes exposés ci-dessus, parallèlement
à ceux mentionnés dans la Recommandation CM/Rec(2019)10 du Comité
des Ministres aux États membres visant à développer et à promouvoir
l’éducation à la citoyenneté numérique, et:
13.1.1. dans
la Déclaration de Qingdao «Saisir les opportunités du numérique,
piloter la transformation de l’éducation», signée par tous les États
membres de l’UNESCO en 2015;
13.1.2. dans les récents documents d’orientation de l’Union européenne,
en particulier dans la Recommandation du Conseil du 22 mai 2018
relative aux compétences clés pour l’éducation et la formation tout
au long de la vie, et les conclusions du Conseil de la même date
(«Concrétiser l’idée d’un espace européen de l’éducation»), les
communications de la Commission européenne concernant le plan d’action
en matière d’éducation numérique (COM/2018/0022), et «Améliorer et
moderniser l’enseignement» (COM/2016/0941), et sa communication
«Une nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe»
(COM/2016/0381), son rapport “DigComp 2.1: The digital competence
framework for citizens”, la Résolution du 12 juin 2018 du Parlement
européen sur la modernisation de l’enseignement dans l’Union européenne
et le rapport de la commission de la culture et de l’éducation sur
l’éducation à l’ère numérique: défis, possibilités et enseignements
à tirer pour la définition des politiques de l’Union;
13.1.3. dans les rapports du Conseil de l’Europe L’éducation à
la citoyenneté numérique (volume I: Aperçu et nouvelles perspectives et
volume II: Rapport de consultation multipartite);
13.1.4. dans le Cadre de référence des compétences pour une culture
de la démocratie, du Conseil de l’Europe;
13.1.5. dans les Lignes directrices du Conseil de l'Europe relatives
au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant
dans l’environnement numérique;
13.2. à élaborer et à mettre en œuvre des politiques complémentaires
pour combattre l’exclusion numérique, et à s’assurer que ces politiques
atteignent tous les groupes de population, en particulier les plus
vulnérables;
13.3. à revoir le rôle des enseignants et des éducateurs dans
la société, en leur offrant des possibilités de développement et
de formations initiale et continue en interne, pour améliorer leurs
compétences numériques afin que les technologies numériques puissent
être intégrées à des processus d’apprentissage qui aient du sens
sur le plan pédagogique, en enrichissant les processus et en permettant
de nouvelles solutions pédagogiques qui soient motivantes également
pour les enseignants;
13.4. à accorder une plus grande autonomie aux écoles pour qu’elles
développent de nouvelles méthodes d’apprentissage qui puissent être
testées et adaptées à divers nouveaux environnements, car l’Europe
du futur a besoin de créativité, pas d’uniformisation;
13.5. à investir dans les équipements informatiques et les ressources
numériques favorisant l’apprentissage, y compris le matériel, les
logiciels, la connectivité et un débit adéquat;
13.6. à poursuivre l’intégration de l’éducation à la citoyenneté
numérique dans l’éducation formelle et non formelle telle que définie
dans le projet sur l’éducation à la citoyenneté numérique du Conseil
de l’Europe;
13.7. à intensifier le dialogue et la coopération entre le gouvernement,
les institutions éducatives, de formation et de recherche, les collectivités
locales et les entreprises, notamment pour le développement de contenus,
sans occulter les risques d’une commercialisation excessive des
contenus éducatifs;
13.8. à partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques,
dans le cadre des divers forums internationaux.
14. L’Assemblée reconnaît le rôle moteur joué par l’Union européenne
pour faire de l’éducation numérique une stratégie d’investissement
pour l’avenir de l’Europe, qui favorise la croissance économique, l’employabilité,
la compétitivité, l’innovation et la cohésion sociale. C’est un
plan ambitieux pour assurer une éducation moderne et de qualité
pour tous. Afin que personne ne soit laissé de côté dans ce processus
et d’éviter de créer de nouvelles lignes de fracture dans les pays
européens et entre eux, l’Assemblée invite instamment les institutions
de l’Union européenne:
14.1. à envisager
de faire du développement des compétences et aptitudes numériques
et du soutien technique aux écoles un domaine prioritaire pour le
financement de projets dans les pays non membres de l’Union européenne;
14.2. à élaborer une stratégie détaillée d’éducation numérique
qui définisse les étapes vers une éducation et une formation formelles,
non formelles et informelles renforcées, qui recense toutes les compétences
et aptitudes numériques requises, qui donnent des orientations claires
pour la formation des enseignants et qui développe une méthode harmonisée
d’évaluation et de certification des compétences et des aptitudes
numériques.
15. L’Assemblée salue le projet de l’OCDE de développer un module
numérique pour Pisa 2024 afin de tester la capacité des étudiants
à apprendre dans un monde numérique. Elle espère que ce nouveau
module incorporera de nouveaux formats pour l’étalonnage et l’évaluation
des aptitudes interdisciplinaires et complexes telles que la résolution
de problèmes, la collaboration, la pensée critique et la créativité.
Elle exhorte l’OCDE à développer davantage les plateformes en ligne
d’apprentissage par les pairs qui peuvent faciliter l’échange direct
de méthodes éducatives et des meilleures pratiques entre les praticiens
du monde entier.