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Résolution 2314 (2019)

L'éducation aux médias dans le nouvel environnement médiatique

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 29 novembre 2019 (voir Doc. 15002, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteure: Mme Nino Goguadze).

1. L’Assemblée parlementaire note que la numérisation, la mobilité et la communication en ligne ont apporté des avantages incontestables au public, qui peut aujourd'hui bénéficier d'un large éventail de sources d'information et d'un accès sans précédent aux informations, qu’elles soient culturelles, historiques, politiques, économiques ou techniques. En outre, la facilité d’accès aux plateformes numériques favorise une démocratie participative, transparente et efficace.
2. Dans le même temps, à l'ère numérique, on voit s’intensifier les menaces qui pèsent sur les droits fondamentaux, la démocratie et l'État de droit. Des segments importants du public, en particulier des jeunes, se tournent vers les médias sociaux comme principale source d'information, mais ils sont vulnérables au désordre informationnel. Le discours de haine et l'incitation à la violence entravent la paix sociale. La désinformation et la propagande peuvent avoir des influences non seulement sur les élections et les référendums, mais aussi sur la vie quotidienne; elles ont des incidences négatives sur l'engagement politique des citoyens et sur leur confiance dans les médias traditionnels.
3. Les personnes ont le droit d'être correctement informées afin de pouvoir faire des choix éclairés, et les États membres doivent protéger ce droit. Dans ce contexte, l'éducation aux médias est un outil clé pour renforcer le pluralisme des médias et la qualité des contenus médiatiques, ce qui est essentiel pour la préservation de nos sociétés démocratiques.
4. Il faut agir pour sensibiliser les membres de la société, les jeunes en particulier, aux défis et aux risques inhérents au nouvel environnement médiatique pour accroître leur capacité à distinguer l'information de l'opinion et les faits objectifs de la propagande ou des fausses nouvelles; pour attirer leur attention sur la manipulation, la désinformation ou le discours de haine possibles; et pour les protéger contre l'endoctrinement et la radicalisation. Il est également nécessaire d’améliorer la formation des journalistes: la responsabilité et l'éthique professionnelle devraient être des priorités pour les journalistes dans leur travail, car ce sont des conditions préalables à la confiance des personnes dans les médias et dans un journalisme de qualité.
5. L'éducation aux médias devrait s'adresser à tous les membres du public. Elle devrait être dispensée dès l'école et se poursuivre dans le cadre d'un processus d'apprentissage tout au long de la vie pour permettre aux individus d'exploiter le potentiel qu’offrent les médias dans l'accès à la culture, au divertissement, à l'apprentissage et au dialogue interculturel; pour les aider à développer une approche critique des médias en termes de qualité et de précision du contenu; pour renforcer leurs compétences et leurs connaissances numériques des outils de protection existants; et pour améliorer leur comportement en ligne.
6. Bien que, dans plusieurs États membres, l'éducation aux médias fasse partie du programme scolaire, la façon dont elle s'y intègre précisément n’apparaît pas toujours clairement. Il arrive souvent que la méthodologie et les objectifs poursuivis ne soient pas cohérents. Les besoins en éducation aux médias évoluent rapidement, parfois plus vite que le temps nécessaire pour élaborer et dispenser les programmes d'éducation aux médias en classe. Les enseignants ont besoin de plus de soutien et de formation, car leur formation initiale et continue en matière d’éducation aux médias n'est pas toujours assurée et pas toujours actualisée.
7. Par ailleurs, la promotion de l'éducation aux médias n'est pas une tâche qui doit incomber uniquement au système éducatif et aux enseignants, ou encore aux médias eux-mêmes. Les politiques des États ne devraient pas se limiter au secteur de l’éducation, mais adopter une approche intersectorielle et multi-acteurs, en cherchant à impliquer d'autres parties prenantes susceptibles de jouer un rôle important, comme les autorités de régulation des médias et les médias sociaux. Toutes les parties prenantes concernées par le processus d'éducation aux médias – institutions publiques, ministères, écoles, universités, médias (médias de service public en particulier), autorités de régulation des médias, société civile, initiatives privées, intermédiaires d’internet – doivent renforcer la coordination de leurs stratégies et de leurs actions, et s’engager dans une collaboration multipartite. Toutefois, l'efficacité de la coordination est entravée par le manque d'informations complètes et actualisées, et de vue d’ensemble sur les politiques et les meilleures pratiques des États membres en la matière, et par l'absence de plateformes qui pourraient faciliter la coopération intersectorielle au niveau national.
8. À un financement généralement «hétérogène», qui manque souvent de transparence, s’ajoute une interaction complexe des différents types de financement. Parfois, la responsabilité globale de l'ensemble du processus n’incombe à aucune entité ou personne précise; cela peut rendre difficile l'obtention d'un financement à long terme pour les projets d'éducation aux médias et à l'information, et empêcher de déterminer quel secteur ou quelle organisation devrait en assurer le leadership. Les initiatives de financement des géants de la technologie sont les bienvenues, mais celles-ci sont entièrement volontaires et aléatoires. L’objet de ces initiatives, la sélection des candidats, et les montants, la fréquence ainsi que les conditions régissant le financement accordé sont décidés en fonction des intérêts de ces entreprises. Ces initiatives devraient être complémentaires des systèmes structurés et des mécanismes de financement non commerciaux, plutôt que de s'y substituer. En l'absence de ressources adéquates, l'éducation aux médias restera subordonnée à des initiatives privées et spontanées, alors que des solutions pérennes sont nécessaires.
9. Dans ce contexte, l'Assemblée rappelle aux États membres la Recommandation CM/Rec(2018)1 du Comité des Ministres sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété, la Recommandation CM/Rec(2018)2 sur les rôles et les responsabilités des intermédiaires d’internet, et la Recommandation CM/Rec(2018)7 sur les Lignes directrices relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans l’environnement numérique. S'appuyant sur les lignes directrices qui y sont énoncées, l'Assemblée recommande aux États membres:
9.1. d’élaborer une politique nationale coordonnée d’éducation aux médias et d’assurer sa mise en œuvre opérationnelle au moyen de plans d’action annuels et pluriannuels, avec des ressources suffisantes pour atteindre ces objectifs;
9.2. de soutenir la formation d’un réseau national coordonné d’éducation aux médias intégrant une grande diversité de parties prenantes, ou de consolider un tel réseau lorsqu’il existe déjà;
9.3. d’échanger et de promouvoir activement, dans les enceintes internationales pertinentes, les pratiques positives développées au sein des réseaux nationaux;
9.4. d’encourager les intermédiaires d’internet à soutenir les stratégies d'éducation aux médias et à l’information;
9.5. d’effectuer, avec les acteurs concernés au niveau national, une cartographie des pratiques d'éducation aux médias, en veillant à ce que cela soit répété à intervalles réguliers et promu en conséquence, et à ce que ses résultats soient disponibles en ligne;
9.6. de promouvoir l'éducation aux médias à tous les niveaux de l'éducation formelle et de l'éducation continue en intégrant l'éducation aux médias dans les établissements d’enseignement et les programmes scolaires;
9.7. d’assurer une formation adéquate des enseignants, notamment leur formation initiale et continue;
9.8. de soutenir les programmes d'enseignement et de formation du journalisme par le biais d'un mécanisme de financement adéquat et indépendant, tout en assurant une répartition équitable de l'aide financière et en respectant pleinement l'autonomie académique et professionnelle en matière d'organisation;
9.9. d’introduire dans la mission des médias de service public, là où ce n'est pas encore le cas, l'obligation de former aux médias, de lutter contre la fracture numérique, et de garantir la sécurité des jeunes publics dans l'environnement en ligne; et, dans ce contexte, d’allouer aux médias de service public les ressources nécessaires pour développer des projets d'éducation aux médias et les intégrer dans leurs programmes;
9.10. d’élargir le mandat des autorités de régulation des médias afin que celles-ci s'impliquent plus activement dans le domaine de l'éducation aux médias, notamment dans la promotion de l'éducation aux médias dans le secteur audiovisuel; à cet égard, de veiller à ce que l'éducation aux médias fasse partie intégrante du mandat des autorités de régulation des médias, en s'inspirant des lignes directrices sur les modalités de la mise en place de réseaux d'éducation aux médias (Guidelines on how to establish Media Literacy Networks), adoptées en mai 2018 par la Plateforme européenne des instances de régulation;
9.11. de soutenir les campagnes nationales en faveur de l'éducation aux médias en tant que levier additionnel pour sensibiliser l'opinion à l'importance de cette question, et de renforcer la coopération entre les différentes parties prenantes.
10. L’Assemblée invite les organisations des médias de service public:
10.1. à suivre les lignes directrices sur l'éducation aux médias élaborées par l'Union européenne de radio-télévision, notamment dans son rapport de 2018, et à s'inspirer de nombreux exemples concernant des initiatives d'éducation aux médias;
10.2. à élaborer des projets d'éducation aux médias individuellement et en coopération avec d'autres parties prenantes telles que des médias communautaires ou privés, des journaux, la société civile, des intermédiaires d’internet et, dans ce contexte, à partager les meilleures pratiques avec les institutions partenaires nationales et européennes;
10.3. à fournir des contenus éducatifs spécialisés destinés aux enfants et aux adolescents, en utilisant également de nouvelles techniques adaptées aux comportements du jeune public afin de développer avec eux une approche critique de l'information et des médias en général, à dispenser des conseils et des astuces sur la sécurité numérique et le comportement éthique en ligne, en faisant appel à de jeunes présentateurs pour expliquer comment distinguer les opinions et les faits, comment repérer la désinformation, la manipulation et la propagande; et comment vérifier les sources, afin de permettre aux jeunes d'agir de façon responsable à la fois comme consommateurs et comme créateurs de contenus dans l'espace numérique;
10.4. à développer des services d’information vidéo en ligne pouvant être utilisés sur des appareils mobiles, en privilégiant des formats qui ciblent et séduisent des publics spécifiques, notamment les jeunes;
10.5. à mettre au point des programmes ciblés proposant des conseils aux enseignants sur la manière de produire, d'interpréter ou de décoder les contenus;
10.6. à dispenser une formation interne aux journalistes et autres professionnels des médias sur divers sujets, y compris les aspects éthiques et la qualité du journalisme.
11. L’Assemblée invite l’Union européenne de radio-télévision:
11.1. à continuer à promouvoir ses lignes directrices en matière d'éducation aux médias et à l'information, et à encourager les médias de service public européens à les appliquer pleinement, en gardant à l'esprit leur rôle particulier vis-à-vis de publics de tous âges et de toutes catégories sociales;
11.2. à développer davantage, entre ses membres, les initiatives collaboratives d’éducation aux médias, en recherchant des synergies avec d’autres partenaires d’information de qualité;
11.3. à mettre à la disposition de ses membres des stratégies pointues en matière d'éducation aux médias et à l'information dans leurs projets, et à encourager une coopération active entre eux;
11.4. à organiser des ateliers et des formations systématiques pour ses membres sur l’éducation aux médias, et à encourager l’échange de bonnes pratiques dans le domaine;
11.5. à participer activement et à contribuer à des études ciblées portant sur l’éducation aux médias et à l’information.
12. L’Assemblée appelle l’Association des télévisions commerciales européennes:
12.1. à encourager ses membres à prendre en compte l’importance cruciale de l’éducation aux médias et à développer des programmes spécialisés destinés en particulier au jeune public;
12.2. à développer dans ce domaine la coopération avec les médias de service public et d’autres types de médias, et à procéder à des échanges de bonnes pratiques qui peuvent être fructueux et utiles.
13. L’Assemblée invite les professionnels et les organismes du secteur des médias:
13.1. à prendre en considération les défis complexes auxquels sont aujourd'hui confrontés les journalistes et les autres professionnels des médias dans l'écosystème multimédia, et à développer une formation professionnelle centrée sur les aspects juridiques, numériques, éthiques, de vérification des faits, de sécurité et autres, organisée soit par les organisations de médias elles-mêmes, soit par les syndicats de journalistes ou d'autres organisations partenaires;
13.2. à veiller à ce qu'une formation professionnelle organisée par des écoles de journalisme ou dispensée par des universités dans le cadre de programmes spécialisés soit proposée en permanence aux journalistes;
13.3. à coordonner les efforts entre les principales organisations de journalistes, telles que la Fédération européenne des journalistes, l'Association européenne de formation au journalisme, le Réseau pour un journalisme éthique, le Centre européen du journalisme et le Réseau mondial des rédacteurs en chef, afin de permettre aux membres de collaborer aux échanges et aux projets d'enseignement et de recherche dans le domaine de la formation journalistique, et d'élaborer un aperçu clair, précis, détaillé et actualisé des programmes d’éducation et de formation au journalisme aux niveaux national et européen.
14. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
14.1. à coopérer activement avec les entités publiques, sociales et privées pour promouvoir et soutenir l'éducation aux médias, notamment pour lutter contre la désinformation, le discours de haine – y compris le discours de haine sexiste visant les femmes – et les comportements inappropriés en ligne;
14.2. à soutenir le développement de programmes et d'outils appropriés dans le domaine de l'éducation aux médias et à l'information, en particulier, d'outils spécifiques à utiliser dans le processus d'éducation aux médias dans les écoles et dans le cadre de la formation des journalistes;
14.3. à accroître davantage le soutien aux réseaux indépendants de vérificateurs des faits et aux outils visant à encourager un journalisme de qualité.