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Rapport | Doc. 15306 | 07 juin 2021

Lutter contre l’afrophobie, ou le racisme anti-Noir·e·s, en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Momodou Malcolm JALLOW, Suède, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14924, renvoi 4463 du 30 septembre 2019. 2021 - Troisième partie de session

Résumé

En dépit des lois et politiques contre la discrimination, l'afrophobie, ou racisme anti-Noir·e·s, est toujours répandue en Europe. Les personnes d'ascendance africaine et les Européen·ne·s noir·e·s sont victimes de préjugés et d'abus, de discours haineux, y compris dans le discours public et politique, d'obstacles à l'accès à une éducation de qualité, aux soins de santé et au logement. Leur représentation dans la vie publique et politique est très faible.

En 2020, les manifestations contre le racisme qui ont suivi la mort brutale de George Floyd et l'impact disproportionné de la covid-19 sur les personnes d'origine africaine et les Européen·ne·s noir·e·s ont fait prendre conscience au public de la gravité de l'afrophobie. Elles ont également déclenché un soutien plus fort de la part de personnalités publiques de premier plan en Europe, ouvrant une «fenêtre d'opportunité» pour agir contre ce phénomène.

Le racisme contemporain trouve ses racines dans l'histoire coloniale, l'esclavage et la traite transatlantique des esclaves. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient admettre ce lien, reconnaître l'afrophobie, ou le racisme anti-noir·e·s, comme une forme spécifique de racisme, et introduire des mesures d'éducation, d'information et de sensibilisation pour la combattre. Ils devraient concevoir et mettre en œuvre des plans d'action contre le racisme, étayés par des données ventilées par origine ethnique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 mars
2021.

(open)
1. L'afrophobie, ou racisme anti-Noir·e·s, est une forme de racisme qui vise les personnes d’ascendance africaine et les Noir·e·s et se manifeste par des actes de discrimination directe, indirecte et institutionnelle, ainsi que par la violence, y compris les discours de haine. Fondée sur des idées socialement construites de «race» et reflétant la croyance sans fondement que certains groupes «raciaux» sont biologiquement ou culturellement inférieurs aux autres, l'afrophobie cherche à déshumaniser et à nier la dignité de ses victimes.
2. En dépit des législations et politiques nationales antidiscriminatoires et des obligations internationales des États membres du Conseil de l'Europe en matière de droits humains, le racisme, y compris l'afrophobie, reste répandu en Europe.
3. On estime que 15 millions de personnes d’ascendance africaine et d'Européen·ne·s Noir·e·s font partie de la population de notre continent, en tant que migrant·e·s ou établi·e·s depuis des générations. Elles viennent de tous les horizons et ont contribué au développement et à la culture de l'Europe pendant des siècles. Leur contribution n'est pas suffisamment reconnue et même la taille numérique de ce groupe n'est pas prise en compte, en raison des réglementations de certains pays en matière de collecte de données qui ne tiennent pas compte de l'origine ethnique. Ce manque de données entrave la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des mesures antidiscriminatoires.
4. En 2020, la mort tragique de George Floyd à la suite de violences policières, suivie de vastes manifestations des deux côtés de l'Atlantique, et l'impact disproportionné de la pandémie de covid-19 sur les personnes d’ascendance africaine et les Noir·e·s (parmi d'autres minorités vulnérables) ont suscité une nouvelle prise de conscience chez les Européen·ne·s de l'étendue et de la gravité de l'afrophobie. La sensibilisation accrue du public, ainsi que le fort soutien apporté aux manifestations antiracistes par les dirigeant·e·s politiques aux niveaux national et européen, ont ouvert une fenêtre d'opportunité qu'il convient de saisir sans hésitation.
5. L'Assemblée parlementaire observe que le racisme est enraciné dans l'histoire coloniale et que l'injustice de la colonisation et de l'esclavage se reflète encore aujourd'hui dans la discrimination structurelle et institutionnelle à l'encontre des personnes d’ascendance africaine en Europe. Le racisme, y compris l'afrophobie, ou racisme anti-Noir·e·s, mine fatalement la mission et les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe, et son éradication doit être une priorité absolue pour l'Organisation et ses Etats membres.
6. L'Assemblée réaffirme que les personnalités publiques, y compris les responsables politiques, ont un rôle important à jouer dans la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, et condamne fermement l'utilisation d'une rhétorique et d'une propagande xénophobes et racistes, en particulier dans ces contextes. Un effort proactif et concerté est nécessaire pour lutter contre le racisme, y compris l'afrophobie; garder le silence face à ses manifestations ne peut que perpétuer l'inégalité et la discrimination.
7. L'Assemblée souligne que l'éducation est la clé de la lutte contre le racisme et que le secteur culturel, y compris les médias traditionnels et en ligne, devraient soutenir la diversité et promouvoir une culture d'inclusion qui rejette fermement le racisme et la xénophobie.
8. L'Assemblée rappelle sa Résolution 1968 (2014) «La lutte contre le racisme dans la police» et, plus récemment, sa Résolution 2364 (2021) «Le profilage ethnique en Europe: une question très préoccupante», dans laquelle elle invitait les Etats membres à agir avec détermination contre le profilage ethnique par une série de mesures, notamment en veillant à la diversité dans le recrutement des forces de police de manière à refléter la diversité de la population, ainsi que sa Résolution 2339 (2020) «Garantir les droits humains en temps de crise et de pandémie: la dimension de genre, l’égalité et la non-discrimination», qui a souligné que les personnes d’ascendance africaine, entre autres, ont été touchées de manière disproportionnée par la pandémie de covid-19 en raison des inégalités persistantes.
9. L'Assemblée soutient la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine (2015-2024) proclamée par les Nations Unies et les activités de ses agences spécialisées, organes et procédures compétents, notamment au niveau européen. Elle se félicite de l'adoption par la Commission européenne du Plan d'action contre le racisme 2020-2025.
10. L'Assemblée salue le travail de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), réitère son plein soutien à la Commission et souligne la nécessité pour les Etats membres du Conseil de l'Europe de mettre effectivement en œuvre ses standards.
11. A la lumière de ces considérations, l'Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à agir de façon déterminée pour éradiquer l'afrophobie, ou racisme anti-Noir·e·s, et toutes les autres formes de racisme et:
11.1. à reconnaître l'afrophobie, ou racisme anti-Noir·e·s, comme une forme spécifique de racisme;
11.2. à s'efforcer de reconnaître l'héritage et l'impact négatif du colonialisme, de l'esclavage et de la traite transatlantique des esclaves et à envisager l'introduction de programmes de réparation et la création de commissions de vérité ad hoc à cette fin;
11.3. à élaborer des plans d'action nationaux pour lutter contre le racisme, en associant les personnes d'ascendance africaine et les Noir·e·s européen·ne·s à la conception, à la mise en œuvre et à l'évaluation des mesures; les plans d'action devraient s'attaquer à la discrimination structurelle, y compris au niveau institutionnel, ainsi qu'à la discrimination multiple et intersectionnelle, dans tous les domaines, notamment l'emploi, la représentation politique, la police, l'accès à la justice, aux biens et aux services, aux soins de santé, au logement et à une éducation de qualité;
11.4. à sensibiliser le public au racisme, y compris l'afrophobie, ou racisme anti-Noir·e·s, en organisant ou en soutenant des campagnes et des activités pertinentes, y compris des événements tels que la Semaine africaine organisée chaque année à Bruxelles ou des initiatives comme le Mois de l'histoire des Noir·e·s actuellement observé en Irlande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ainsi que des activités culturelles dans les bibliothèques, les archives et les musées qui renforcent le pouvoir des personnes d'ascendance africaine et des Noir·e·s et reconnaissent leur contribution positive;
11.5. à veiller à ce que l'histoire coloniale fasse partie des programmes scolaires, ainsi qu'à enseigner la présence historique des personnes d'ascendance africaine en Europe et leur contribution à son économie, sa culture et sa société;
11.6. à veiller à ce que la représentation négative et stéréotypée des personnes d'ascendance africaine soit retirée du matériel pédagogique et des médias, y compris de l'information et de la publicité;
11.7. à recueillir des données sur l'égalité, ventilées par ascendance ethnique, sur la base de l'auto-identification, de l’anonymat et du consentement éclairé;
11.8. à soutenir les organisations de la société civile actives dans le domaine de la lutte contre le racisme et à leur garantir un accès adéquat au financement public.
12. L'Assemblée invite les parlements nationaux:
12.1. à encourager la création de caucus et d'intergroupes représentant les personnes d'ascendance africaine au sein des organes élus aux niveaux national et européen;
12.2. à veiller à ce que les règles de procédure et les codes d'éthique interdisent l'utilisation de propos racistes et xénophobes, en prévoyant des sanctions disciplinaires adéquates en cas de non-respect;
12.3. à soutenir l’Alliance parlementaire contre la haine, son mandat et son fonctionnement.
13. L'Assemblée soutient l'initiative de mise à jour et de relance de la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste en tant qu'outil de lutte contre le racisme et le discours de haine, et de promotion de la représentation politique des groupes racialisés, y compris des personnes d'ascendance africaine.

B. Exposé des motifs par M. Momodou Malcolm Jallow, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’afrophobie est une forme de racisme dirigé contre les personnes noires, qui se manifeste par des actes de discrimination directe, indirecte et structurelle, ainsi que par des actes de violence, y compris des discours de haine. Fondée sur l’idée socialement construite de «race», et découlant de la croyance infondée selon laquelle certains groupes «raciaux» seraient biologiquement ou culturellement inférieurs à d’autres, l’afrophobie cherche à déshumaniser ses victimes et à les priver de dignité.
2. Le terme d’afrophobie, pour désigner la discrimination à l’égard des personnes d’ascendance africaine, est largement accepté depuis des années et est utilisé par les militant·e·s et les organisations qui défendent les droits humains aux niveaux intergouvernemental et non gouvernemental. Si, littéralement, le suffixe «phobie» fait référence à la peur, il est, en l’espèce, utilisé pour indiquer la présence de préjugés et de discrimination, à l’instar d’autres termes tels que xénophobie, islamophobie et homo-bi-transphobie. Je considère le terme de «racisme anti-Noir·e·s» comme ayant un sens équivalent et comme étant également acceptable.
3. Selon les estimations, la population de notre continent compte 15 millions de personnes d’ascendance africaine et d’Européen·ne·s noir·e·s qui sont quotidiennement confronté·e·s au racisme et à la discrimination. L’absence de chiffres précis concernant la taille numérique de ce groupe est liée à la réglementation sur la collecte de données actuellement en vigueur dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, qui interdit la collecte de données ventilées par origine ethnique et entrave, de ce fait, la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques antidiscriminatoires dans ce domaine.
4. En 2020, la mort tragique de George Floyd sous les coups de la police, suivie d’importantes manifestations des deux côtés de l’Atlantique, et l’impact disproportionné de la pandémie de covid-19 sur, entre autres groupes, les personnes d’ascendance africaine, ont déclenché en Europe une nouvelle prise de conscience de l’ampleur et de la gravité de l’afrophobie. La sensibilisation de l’opinion publique à ce problème, ainsi que le ferme soutien apporté par des personnalités publiques et des dirigeant·e·s politiques aux manifestations antiracistes, forment une conjoncture propice dont les décideurs de l’ensemble des États membres devraient se saisir sans hésitation.
5. Différentes activités ont contribué à l’élaboration du présent rapport, dont plusieurs auditions et webinaires et des visites d’information en Allemagne et au Royaume-Uni. Toutefois, en raison de la situation sanitaire, les visites ont été effectuées en ligne. Je tiens à remercier les délégations de ces deux États membres pour leur soutien dans l’organisation des visites.
6. La première audition a eu lieu à Strasbourg le 30 janvier 2020, avec la participation de Mme Mireille Fanon-Mendes-France, juriste, ancienne membre du Groupe de travail d'experts des Nations Unies sur les personnes d'ascendance africaine et actuelle présidente de la Fondation Frantz Fanon, et de M. Wouter Van Bellingen, membre du conseil d’administration du Réseau européen contre le racisme (ENAR). Mme Mischa Thompson, de la Commission d’Helsinki (basée à Washington D.C., États-Unis), avait également été invitée à l’audition. Elle n’a pas pu participer en personne, mais m’a aimablement transmis une contribution écrite.
7. Le 1er juillet 2020, un webinaire sur le thème «Prendre position contre la discrimination systémique et le racisme institutionnel en Europe: une réponse parlementaire», organisé par la commission sur l'égalité et la non-discrimination, s'est concentré sur la situation actuelle en Europe, ainsi que sur les événements survenus aux États-Unis après la mort violente de George Floyd sous les coups de la police et les manifestations qui ont suivi des deux côtés de l'Atlantique.

2. Le colonialisme et l’esclavage parmi les causes profondes de l’afrophobie

8. Parmi les causes profondes du racisme en Europe, le colonialisme occupe une place particulièrement importante. Cette question a été amplement débattue lors de l’audition du 30 janvier 2020. Mme Mireille Fanon-Mendes-France, notamment, a partagé sa ferme conviction que le racisme trouvait son origine dans le colonialisme, qui était lui-même étroitement lié au capitalisme. La recherche perpétuelle de nouvelles ressources à moindre coût, caractéristique du capitalisme, a poussé les puissances européennes à se tourner vers l’Afrique et à prendre de force le contrôle de pans entiers de ce continent, à saisir les terres et à exploiter les populations locales. Pour l’experte, cela résultait de l’idée inacceptable que l’humanité se divisait en deux camps: celles et ceux qui possédaient toutes les richesses et celles et ceux qui ne possédaient rien. Les Noir·e·s africain·e·s, aux yeux des colonisateurs, étaient destinés à être dépouillés de tout. Selon Mme Fanon-Mendes-France, cette façon de voir les choses n’a jamais vraiment disparu: le racisme reste omniprésent en Europe, et lié à une attitude qui accepte cette inégalité économique entre les personnes noires et les personnes blanches. Pour Mme Fanon-Mendes-France, la situation économique désastreuse des territoires principalement peuplés par des personnes d’ascendance africaine dans les pays européens, comme les départements et territoires d’outre-mer français ou les Pays-Bas caribéens, et le fait que cette situation soit totalement ignorée par les gouvernements de ces pays, confirment clairement l’existence d’une attitude discriminatoire à l’égard des personnes d’ascendance africaine. L’afrophobie est une forme de discrimination particulièrement dure, qui se manifeste par des attaques ignobles auxquelles n’échappent pas les personnalités publiques: alors qu’elles étaient membres du gouvernement, Mme Kyenge (Italie) et Mme Taubira (France) ont été insultées par d’autres responsables politiques dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Les personnes d’ascendance africaine représentent «les autres» par excellence et sont présentées par certain·e·s comme une menace contre le mode de vie européen.
9. Cela dit, les théories racistes précèdent le colonialisme. Si leur persistance peut être une conséquence de la colonisation, l’idée perverse selon laquelle il existerait une hiérarchie des «races» humaines a certainement été utilisée pour justifier ce processus dès le départ. Le fait de considérer les Africains comme des êtres radicalement différents et inférieurs a fait accepter l’idée que les Européen·ne·s puissent occuper et exploiter des pays entiers sous prétexte de «civiliser» les populations indigènes. Le racisme, dans sa forme la plus brutale, a conduit à commettre des crimes contre l’humanité, comme la réduction en esclavage et la traite transatlantique des esclaves. Seule une déshumanisation complète des Africain·e·s lors de la colonisation peut expliquer le processus de marchandisation qui a fait de ces enfants, femmes et hommes les objets d’un commerce méprisable.
10. Les idées utilisées pour justifier la réduction en esclavage, la traite transatlantique et la pratique esclavagiste semblent subsister dans la conscience collective d’aujourd’hui, en Europe et ailleurs. L’afrophobie est alimentée par les abus du passé et les stéréotypes négatifs persistants, qui ont entraîné une déshumanisation des personnes d’ascendance africaine et, en conséquence, leur exclusion. Les recommandations de Mme Fanon-Mendes-France étaient essentiellement de nature culturelle, fondées sur l’idée que seules une meilleure connaissance de l’histoire et une meilleure compréhension de l’impact du colonialisme et du capitalisme pourraient faire évoluer les attitudes à l’égard des personnes d’ascendance africaine et la perception de ces dernières, et apporter ainsi un réel changement.
11. J’ai abordé ce sujet avec mes interlocutrices et interlocuteurs en Allemagne, et en particulier avec M. Christian Kopp, membre du conseil d’administration de la section berlinoise de Postkolonial. Ce réseau de groupes antiracistes, dont les activités visent à faire mieux connaître l’histoire coloniale, cherche à transmettre au grand public son approche du passé colonial. Selon M. Kopp, certains faits coloniaux, tels que le génocide de Namibie, sont rarement évoqués (le premier groupe du réseau Postkolonial a été créé en 2007, à l’occasion du 100ème anniversaire de ce crime). Les programmes scolaires minimisent le rôle joué par l’Allemagne dans le colonialisme et, par conséquent, nombreux sont celles et ceux qui ignorent cette partie de l’histoire de leur pays. Et pourtant, l’Allemagne a joué un rôle dans ce processus, en tant que puissance coloniale et à l’occasion de la Conférence de Berlin de 1884-85, qui a jeté les bases de l’occupation de l’ensemble du continent africain par les Européen·ne·s. Aissatou Binger, du Zentralrat der afrikanischen Gemeinde in Deutschland (Conseil central de la communauté africaine d’Allemagne) a confirmé que l’impact de l’histoire coloniale était toujours présent: l’image des personnes d’ascendance africaine reflète à son avis les idées et les préjugés du passé, y compris de l’époque du régime nazi.
12. M. Andreas Nick, président de la délégation allemande auprès de l’Assemblée, qui a ouvert la série de réunions de la visite du pays en ligne, a confirmé que le passé colonial de l’Allemagne était méconnu, cette période s’étant achevée au début du XXème siècle. Cependant, la question est récemment revenue sur le devant de la scène, par exemple à l’occasion de l’exposition d’objets d’origine africaine dans les musées allemands, qui a conduit à s’interroger sur l’impact que cela avait sur la perception des personnes d’ascendance africaine.
13. Les groupes du réseau Postkolonial ont mené plus de 30 actions nommées «Decolonise» («Décolonisez!») dans des villes allemandes, telles que Cologne, Hambourg et Munich, demandant aux autorités locales de modifier les noms de rues qui glorifiaient des personnes historiquement impliquées dans le colonialisme. Beaucoup de ces actions ont porté leurs fruits et, selon M. Kopp, les institutions allemandes sont ouvertes à la discussion sur la question de l’histoire coloniale, même si beaucoup reste à faire. Une résolution du Parlement allemand a, par exemple, reconnu que le passé colonial faisait partie de l’histoire de l’Allemagne. Cependant, si, dans ce texte, le communisme et le national-socialisme sont considérés comme des régimes criminels, le colonialisme y est défini comme faisant partie du passé du pays, et non comme un tort historique.
14. M. Kopp a confirmé que l’enseignement de l’histoire coloniale dans les écoles devait être renforcé, même s’il s’avère beaucoup plus difficile de modifier les programmes scolaires que de changer des noms de rues. Il a aussi proposé de créer un mémorial de l’histoire coloniale à Berlin, qui ne soit pas simplement un monument, mais aussi un centre d’information et de documentation doté d’outils pédagogiques. Une telle structure ne se cantonnerait pas au colonialisme allemand, mais travaillerait sur le colonialisme au niveau mondial.
15. Mes interlocutrices et interlocuteurs du Royaume-Uni étaient pleinement conscient·e·s du lien existant entre l’histoire coloniale et le racisme, en particulier concernant les personnes d’ascendance africaine, compte tenu du rôle majeur joué par ce pays dans la colonisation. Le récent scandale suscité par la discrimination à l’égard de la «génération Windrush» (des travailleurs et travailleuses originaires des Caraïbes arrivé·e·s au Royaume-Uni entre 1948 et 1973) confirme combien les personnes venant des anciennes colonies demeurent vulnérables à l’inégalité de traitement. Cette discrimination est souvent enracinée dans les institutions mêmes du pays.
16. Je ne peux que partager et soutenir la recommandation des historien·ne·s et militant·e·s visant à inclure l’histoire coloniale dans les programmes d’enseignement de l’histoire. Je tiens à ajouter que l’étude de cette partie de l’histoire devrait prendre en compte le point de vue des pays africains et les travaux de spécialistes africain·e·s ou d’ascendance africaine. La production de savoirs sur cette histoire a toujours été contrôlée par celles et ceux qui actionnent les rouages du pouvoir. En conséquence, les personnes d’ascendance africaine ont toujours été de simples consommateurs de ce savoir. Cette forme particulière d’exclusion contribue à perpétuer les représentations et les idées fausses concernant les personnes appartenant à ce groupe, ouvrant la voie à d’autres formes de discrimination à leur égard.

3. Le rôle de la société civile: les organisations non gouvernementales nationales et le Réseau européen contre le racisme (ENAR)

17. Ces dernières années, les organisations de la société civile ont vu leur espace se rétrécir et leur indépendance menacée par les pouvoirs publics, en particulier dans certains États membres. Elles devraient pourtant être suffisamment soutenues et leur rôle devrait être reconnu, au vu, également, du vide qu’elles comblent. Si les personnes d’ascendance africaine et les Européen·ne·s noir·e·s ne sont pas suffisamment visibles en politique, elles-ils sont bien représenté·e·s par une variété de groupes et d’organisations non gouvernementales. Ces entités reflètent la nature multiforme des communautés noires européennes, rassemblant des personnes aux origines et aux parcours de vie différents, et mènent des activités allant de l’assistance juridique aux particuliers à des actions militantes auprès des pouvoirs locaux et des gouvernements centraux.
18. De nombreuses organisations de la société civile ont été invitées à contribuer au présent rapport, soit en participant à des auditions et à des webinaires, soit dans le cadre de réunions bilatérales lors des visites d’information de pays. J’estime qu’il est essentiel d’utiliser leur expertise et leur connaissance concrète des défis auxquels les personnes d’ascendance africaine sont confrontées dans nos sociétés, et de noter leurs recommandations.
19. J’ai mentionné les informations que j’ai reçues des représentant·e·s de la société civile pendant la visite en Allemagne, notamment concernant la «décolonisation». Au Royaume-Uni, j’ai rencontré des représentant·e·s de la Coalition de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, de BlackOut UK (une entreprise sociale à but non lucratif gérée par un collectif bénévole d’hommes gay), ainsi que de Runnymede Trust et d’Operation Black Vote, qui comptent parmi les principaux cercles indépendants de réflexion sur l’égalité raciale du pays. J’ai aussi échangé avec des représentant·e·s du monde universitaire, notamment Eddie Bruce-Jones, de la faculté de droit de Birkbeck et du professeur Gary Younge, de la faculté des sciences sociales de l’Université de Manchester, qui ont étudié de manière approfondie la situation des personnes d’ascendance africaine et les formes de discrimination qu’elles rencontrent, notamment le racisme structurel et institutionnel, ainsi que la discrimination multiple et croisée.
20. Mes interlocutrices et interlocuteurs du Royaume-Uni ont maintenu catégoriquement que leur pays n’était pas épargné par le racisme et que les Noir·e·s et les minorités ethniques pouvaient y être victimes de discrimination fondée sur l’origine ethnique, la langue, la religion, la tradition et les pratiques culturelles. Cependant, il m’apparaît clairement que le débat culturel et politique sur le racisme, y compris l’afrophobie, est très ouvert. Dès 1999, le rapport McPherson concernant le meurtre à motivation raciale de Stephen Lawrence, fournit une définition du racisme institutionnel comme étant «l'échec collectif d'une organisation à fournir un service approprié et professionnel aux personnes en raison de leur couleur, de leur culture ou de leur origine ethnique. Il peut être vu ou détecté dans des processus, des attitudes et des comportements qui équivalent à une discrimination par le biais de préjugés involontaires, de l'ignorance, de l'irréflexion et de stéréotypes racistes qui désavantagent les personnes issues de minorités ethniques. 
			(2) 
			«<a href='https://www.gov.uk/government/publications/the-stephen-lawrence-inquiry'>The
Stephen Lawrence Inquiry, Report of an inquiry by Sir William MacPherson
of Cluny</a>» (Ref. <a href='https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/277111/4262.pdf'>Cm
4262-I</a>), para. 6.34, Government of the United Kingdom, Home
Office, Londres, 24 février 1999.» De plus, les organisations de la société civile qui défendent les droits des groupes minoritaires sont nombreuses et visibles, et leur participation aux sphères publiques et politiques y est plus élevée que dans les autres États membres du Conseil de l’Europe. Enfin, je tiens à souligner que l’expérience britannique de la collecte de données est un exemple positif qu’il convient de faire connaître. Je reviendrai sur ce sujet plus en détail aux paragraphes 29 et 31 du présent exposé.
21. La société civile est souvent la mieux placée pour mettre en évidence le caractère raciste des traditions culturelles. Les militant·e·s antiracistes ont été les premier·e·s à critiquer le personnage de Pierre le noir, l’assistant de Saint-Nicolas, représenté par un jeune homme blanc grimé en noir, qui fait partie des traditions des fête de fin d’année. Une campagne pour faire disparaître Pierre le Noir («Kick Out Zwarte Piet») a été lancée et le débat sur la nécessité d’abandonner cette tradition a été source d’importantes divisions.
22. Aux Pays-Bas également, des initiatives culturelles ont contribué à sensibiliser l’opinion publique à la diversité ethnique et au racisme et à enrichir le débat sur ces questions. «Musea Bekennen Kleur», par exemple, est une collaboration entre 12 musées qui disent vouloir montrer «les vraies couleurs», en d’autres termes, intégrer la diversité et l’inclusion dans leur offre culturelle et apporter des changements durables dans les pratiques muséales. D’autres musées ont été autorisés à se joindre à cette expérience, qui a vocation à être partagée avec des institutions culturelles par-delà les frontières néerlandaises. Il convient aussi de mentionner l’initiative «The Black Archives», une collection de livres et d’objets légués par des écrivain·e·s et des scientifiques noir·e·s néerlandai·s·es et touchant aux questions raciales, au racisme, à l’esclavage, à la colonisation, à la problématique hommes-femmes et au féminisme. Ouvertes au public, ces collections contribuent à inspirer le débat sur la diversité et à générer d’autres productions culturelles et artistiques.
23. Les activités de l’ENAR à l’échelle européenne sont particulièrement importantes. Le réseau regroupe des organisations non gouvernementales luttant contre le racisme et la discrimination dans toute l’Europe. L’ENAR effectue un travail de recherche, de mobilisation et de défense des intérêts. Le réseau mène notamment des activités de sensibilisation, telles que la Semaine des personnes d’ascendance africaine de l’Union européenne, qui a lieu chaque année à Bruxelles. En 2015, l’ENAR a publié un rapport parallèle sur l’afrophobie. Témoignant des discriminations graves dont font l’objet les personnes d’ascendance africaine et les Européen·ne·s noir·e·s, le rapport a été et est toujours considéré comme une référence dans ce domaine.
24. Le rapport parallèle de l’ENAR montre que la discrimination sévit non seulement dans le secteur de l’emploi, avec des taux de chômage supérieurs et davantage d’obstacles à la progression de carrière, mais aussi dans la vie publique et en particulier en politique, où les Européen·ne·s noir·e·s sont largement sous-représentés. Le profilage racial, la discrimination exercée par les forces de l’ordre et les difficultés d’accès à la justice (notamment en tant que victimes d’infractions motivées par la haine) constituent des défis supplémentaires pour ce groupe. Les problèmes structurels incluent également les écarts en matière de réussite scolaire et les difficultés d’accès aux soins de santé et au logement.
25. Le rapport de l’ENAR souligne également qu’en l’absence de données fiables et comparables, il est plus difficile d’avoir une bonne compréhension de la situation et, en ce qui concerne les législateurs et les décideurs politiques, d’adopter des mesures efficaces. Dans certains pays européens, cela est dû à la réglementation qui interdit la collecte de données ventilées par origine ethnique, ce qui montre qu’en cherchant à prévenir la discrimination, on ne fait parfois que la perpétuer.
26. L’ENAR recommande aux gouvernements européens de s’attaquer aux formes institutionnelles de racisme, comme le profilage racial et les inégalités dans l’emploi, l’éducation et le logement. Les gouvernements nationaux devraient allouer des ressources aux politiques en faveur de l’égalité, notamment en ce qui concerne la collecte de données et les inégalités structurelles, et attribuer des financements aux organisations locales qui tiennent des statistiques et dénoncent le racisme.
27. À ces fins, conformément au Programme d’action de Durban, adopté lors de la Conférence mondiale contre le racisme de 2001 à Durban en Afrique du Sud, les États membres devraient adopter des plans d’action pour lutter contre le racisme et plus précisément contre l’afrophobie. Ces plans devraient reconnaître les injustices historiques et structurelles subies par les personnes d’ascendance africaine et comporter des mesures concrètes pour y remédier. Les plans d’action nationaux devraient prévoir la collecte de données relatives à l’égalité, basées sur l’auto-identification, afin d’obtenir des preuves solides de l’existence d’une discrimination structurelle. Ils devraient définir des politiques efficaces de lutte contre la violence raciste à l’égard des personnes d’ascendance africaine et s’attaquer aux désavantages structurels dont elles sont victimes dans tous les domaines de la vie publique.
28. En matière pénale, ces plans devraient garantir une véritable justice aux victimes de violences racistes et à leur famille, mettre fin au profilage racial et obliger les acteurs étatiques, y compris les systèmes de justice pénale, à rendre des comptes en cas de comportement abusif.

4. La nécessité de recueillir des données sur l’égalité ethnique

29. Comme je l’ai précédemment indiqué, au Royaume-Uni, des données ventilées par origine ethnique sont régulièrement recueillies, notamment à l’occasion du recensement (organisé tous les 10 ans, le dernier ayant eu lieu en 2011). En Angleterre et au Pays de Galles, 18 groupes ethniques sont utilisés par les organismes gouvernementaux pour interroger les personnes sur leur origine ethnique. Ces groupes font partie de cinq grandes catégories, à savoir les Blanc·he·s, les personnes d’origine ethnique mixte ou multiple, les Asiatiques ou Britanniques asiatiques, les Noir·e·s, les Africain·e·s, les Caribéen·ne·s ou Britanniques noir·e·s et les autres groupes ethniques. Grâce à ce système, nous savons qu’en 2011, 87 % des habitant·e·s du Royaume-Uni étaient des Blanc·he·s et que 13 % appartenaient aux catégories Noir·e·s, Asiatiques, personnes d’origine ethnique mixte ou autres groupes ethniques.
30. Dans de nombreux États membres, le fait de recueillir des informations sur l’origine ethnique des individus est considéré à tort comme un acte potentiellement discriminatoire. L’idée est que si la «race» n’a pas d’importance, elle ne devrait pas même être mentionnée dans les documents officiels. En fait, l’origine ethnique a une importance, car elle expose toujours les personnes à la discrimination. Le racisme est une réalité et l’ignorer n’aide pas à le combattre. Les données sont indispensables dans tout domaine d’élaboration des politiques et les politiques antidiscriminatoires ne font pas exception. Les données sont nécessaires tout d’abord pour détecter les disparités (il est difficile, par exemple, de confirmer l’existence d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique dans le système judiciaire si l’origine ethnique des personnes concernées est inconnue). Deuxièmement, elles sont utilisées pour concevoir des contre-mesures efficaces, accompagner leur mise en œuvre et évaluer leur impact. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) plaide en faveur de la collecte de données ethniques depuis 1998, dans le cadre de sa Recommandation de politique générale no 4 relative aux enquêtes nationales sur l’expérience et la perception de la discrimination et du racisme par les victimes potentielles. Ce texte souligne que «les données statistiques sur les actes racistes et discriminatoires et sur la situation des groupes minoritaires dans tous les domaines de la vie sont essentielles pour l'identification des problèmes et la formulation des politiques». Les données ethniques doivent être collectées de manière anonyme, sur la base de l'auto-identification et du consentement éclairé (la personne interrogée fournit les informations volontairement et est pleinement consciente de l'usage qui en sera fait).
31. L’«Audit sur les disparités raciales» au Royaume-Uni est un excellent exemple de collecte de données ethniques. La tenue d’un audit a été annoncée en 2016 par le Premier ministre «en vue de mettre en lumière la manière dont les personnes de différentes origines ethniques sont traitées par les services publics en publiant les données détenues par l’État». Le rapport d’audit a été publié en 2017 et révisé en 2018. Offrant un aperçu des disparités qui ont le plus d’impact sur tous les aspects de la vie des personnes, il entend aider à comprendre et à évaluer les différences entre groupes ethniques et à identifier les services publics où les disparités diminuent et ceux qui doivent œuvrer à leur réduction. L’Audit sur les disparités raciales représente une étape importante dans la lutte contre les inégalités et des opérations similaires devraient être menées dans les autres États membres.
32. Selon l’étude réalisée en 2017 par la Commission européenne sur la collecte de données relatives à l’origine ethnique («Data collection in the field of ethnicity»), «des signes d’une amélioration progressive de la collecte de données sur l’origine ethnique peuvent être observés, notamment en relation avec des expériences de discrimination et des tests anonymes dans les domaines de l’emploi et du logement». De nouvelles approches apparaissent, avec des initiatives visant à remédier à l’absence de données ethniques même lorsque la réglementation relative à la collecte de données officielles n’a pas été modifiée.
33. En Allemagne, j’ai pris connaissance d’une initiative intéressante dénommée «Afrozensus», lancée par l’organisation de la société civile Each One Teach One pour développer la base de données sur la discrimination raciale. Il s’agit de la première enquête portant spécifiquement sur la discrimination à l’égard des Noir·e·s en Allemagne. Toutes les personnes qui se reconnaissent comme Noires ont été invitées à y participer sur une base volontaire. Le but d’Afrocenzus est d’obtenir une représentation la plus complète possible de ce que vivent les personnes d’ascendance africaine: comment elles évaluent leur vie en Allemagne, quelles sont les difficultés qu’elles rencontrent et qu’attendent-elles de la politique et de la société. Les résultats de la première étape de ce «recensement» devraient être publiés au printemps 2021.
34. Si les initiatives innovantes comme «Afrozensus» sont un pas dans la bonne direction et méritent d’être soutenues, il importe que de nouvelles politiques relatives à la collecte de données soient officiellement adoptées à brève échéance. J’estime que l’Assemblée devrait renouveler son appel aux autorités nationales à mettre en place des procédures de collecte de données à caractère ethnique et à utiliser systématiquement ces données pour orienter l’élaboration des politiques.

5. Le rôle des organisations intergouvernementales

35. Les organisations intergouvernementales internationales jouent un rôle crucial dans la lutte contre la discrimination à l’égard des personnes d’ascendance africaine. Au niveau mondial, le système des Nations Unies (ONU) a montré le chemin dans la lutte contre le racisme. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est entrée en vigueur en 1969 et la création en 1993 par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies du mandat de Rapporteur·ou Rapporteuse spécial·e sur les formes contemporaines de racisme contribue au renforcement des actions de l’ONU. Le Rapporteur spécial ou la Rapporteuse spéciale a pour mission d’évaluer l’efficacité des mesures prises par les gouvernements pour remédier à la situation des victimes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance qui y est associée, et mettre fin à l’impunité des auteurs de tels actes, en adressant des appels et des communications aux États concernant des cas présumés de violations et en effectuant des visites d’enquête dans les pays.
36. En décembre 2020, j’ai eu un entretien en ligne avec Mme Tendayi Achiume, l’actuelle Rapporteuse spéciale. La rencontre a été cordiale et fructueuse, soutenue par ce qui m’a semblé être une vision partagée des menaces découlant du racisme et des priorités pour lutter contre elles. Je partage avec Mme Achiume, entre autres choses, le sentiment que les événements survenus des deux côtés de l’Atlantique, avec la mort tragique de George Floyd et la vague de manifestations qui ont suivi, ont sensibilisé l’opinion publique à l’afrophobie et créé de nouvelles possibilités de la combattre. J’ai aussi comme elle l’impression qu’il est souvent difficile d’avoir une conversation honnête sur le racisme en Europe, où de nombreuses personnes, y compris des responsables politiques, ne reconnaissent pas ou ne voient pas même l’étendue ni l’urgence du problème.
37. Les rapports thématiques de la Rapporteuse spéciale couvrent des questions telles que les réparations dues au titre de la discrimination raciale trouvant son origine dans le colonialisme et l’esclavage, la menace que fait peser le populisme nationaliste sur la jouissance des droits humains et l’égalité raciale, et la discrimination raciale dans le contexte des lois, des politiques et des pratiques en matière de citoyenneté, de nationalité et d’immigration. Le dernier rapport thématique porte sur la discrimination raciale et les nouvelles technologies numériques. J’ai aussi apprécié que Mme Achiume, ressortissante de Zambie et actuellement Professeur de droit et Directrice de la faculté du Promise Institute for Human Rights de l’Université de Californie, à Los Angeles, soit très au fait des travaux menés par les organes du Conseil de l’Europe, comme l’ECRI, et par des organisations européennes de la société civile telles que l’ENAR.
38. J’estime que la coopération entre le Conseil de l’Europe et les Nations Unies en matière de lutte contre l’afrophobie et les autres formes de racisme en Europe devrait être encore renforcée et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour promouvoir cette idée au sein de l’Assemblée. Je tiens à ajouter que si les principaux interlocuteurs et interlocutrices institutionnel·le·s de la Rapporteuse spéciale sont les gouvernements nationaux, les parlements nationaux devraient également intensifier leur coopération et les échanges d’informations et de recommandations avec ce représentant.
39. En Europe, qui est l’objet du présent rapport, des progrès ont été accomplis notamment grâce à la législation de l’Union européenne et aux activités menées de longue date par le Conseil de l’Europe. En tant que défenseur paneuropéen des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit, le Conseil de l’Europe devrait renforcer son action contre le racisme, catalyser les efforts de tous les autres acteurs et aider à étendre les progrès accomplis à l’ensemble du continent.
40. En 2019, à l’issue d’un long processus, dans lequel l’ENAR était très engagé, le Parlement européen a adopté une résolution pionnière sur «Les droits fondamentaux des personnes d'ascendance africaine» 
			(3) 
			<a href='https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?lang=fr&reference=2018/2899(RSP)'>Résolution
sur les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine
en Europe</a> (<a href='https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/printficheglobal.pdf?id=696854&l=fr'>2018/2899(RSP)</a>), Observatoire législatif du Parlement européen, 2018., qui demande aux États membres, entre autres mesures, d’élaborer des stratégies nationales de lutte contre le racisme axées sur la réduction de l’écart entre les personnes d’ascendance africaine et le reste de la population dans les domaines de l’enseignement, du logement, de la santé, de l’emploi, des relations avec la police et des services sociaux, de considérer les motifs discriminatoires à l’origine d’infractions fondées sur la race ou l’origine nationale ou ethnique comme une circonstance aggravante, de mettre un terme au profilage ethnique et de dispenser aux forces de l’ordre des formations visant à lutter contre le racisme et les préjugés. La résolution de 2019 recommande également de garantir aux migrant·e·s, aux réfugié·e·s et aux demandeuses et demandeurs d’asile des voies d’entrée sûres et légales dans l’Union européenne. Elle invite en outre les institutions européennes à adopter une stratégie pour la diversité et l’inclusion au sein de leur personnel, qui compléterait les efforts déjà déployés à cette fin, et invite les parlements et les partis politiques européens à soutenir des initiatives qui encouragent la participation politique des personnes d’ascendance africaine.
41. En ma précédente qualité de vice-président de l’ENAR et de président de son Comité directeur sur l’afrophobie, j'ai contribué à ce processus par une série de réunions avec divers interlocutrices et interlocuteurs des organes de l'Union européenne, notamment la Commission européenne, le Parlement européen et l'Agence des droits fondamentaux, et en participant à des auditions. L’ENAR a toujours plaidé pour que les gouvernements européens adoptent des mesures efficaces. Il convient de noter que cela devrait s'appliquer à tout le continent, et pas seulement à l'Union européenne. Les États européens ont une obligation légale, en plus d'un devoir moral, de garantir l'égalité de toutes et tous leurs citoyen·ne·s et de lutter contre la discrimination. Il est de la responsabilité du Conseil de l'Europe, en tant que gardien de la démocratie et des droits humains en Europe, de montrer la voie à ses États membres et de soutenir leurs efforts pour supprimer toutes les formes de racisme et de discrimination.
42. Parmi les acteurs gouvernementaux qui contribuent depuis des années à sensibiliser les gouvernements nationaux au racisme des deux côtés de l’Atlantique figure la Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) ou Commission américaine d’Helsinki. Cette agence indépendante du Gouvernement des États-Unis a été créée en 1975 afin de promouvoir l’application et de veiller au respect de l’Acte final d’Helsinki et des autres engagements de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La Commission d’Helsinki, invitée à contribuer au présent rapport à l’occasion d’une audition, a présenté une contribution écrite indiquant que les gouvernements, les institutions multilatérales, la société civile, les groupes de réflexion, les fondations et le secteur privé devraient travailler en partenariat pour mieux appliquer les nombreuses recommandations existantes.
43. Les mesures spécifiques recommandées par la Commission d’Helsinki consistent par exemple à promouvoir la représentation des personnes d'ascendance africaine et leur participation à tous les niveaux de gouvernement. Il s’agit également de créer un «Fonds pour les personnes d'ascendance africaine», chargé d’apporter un soutien technique aux initiatives de la société civile et de favoriser les échanges de connaissances en vue de lutter contre le racisme, la discrimination et les inégalités, et d’améliorer les perspectives et l'émancipation économiques. L’adoption conjointe par le Conseil de l'Europe et l'OSCE d’un plan d'action sur l'égalité raciale et ethnique et l'inclusion est aussi recommandée par la CSCE.
44. Des initiatives concrètes pourraient être envisagées telles que la reconnaissance des injustices passées et de la contribution des personnes d'ascendance africaine, par exemple sous la forme d’un «mois de l'histoire des Noir·e·s européen·ne·s» et d’une «Journée en hommage aux victimes du colonialisme et de l'esclavage», des mesures nationales de lutte contre les stéréotypes négatifs, la révision des manuels scolaires, la promotion de la recherche et de la collecte de données sur la discrimination et l'inclusion sociale, l’adoption de stratégies nationales dans ce domaine et la promotion des échanges transatlantiques pour combattre les préjugés raciaux et la discrimination.
45. Les recommandations de la Commission d’Helsinki sont aussi ambitieuses que pertinentes. L'appel lancé à tous les acteurs concernés à unir leurs forces pour accomplir de réels progrès montre combien il est nécessaire de s’unir, de coopérer et de se coordonner, ce dont il faudrait tenir compte lorsque des politiques antidiscriminatoires sont élaborées. L’idée selon laquelle le Conseil de l’Europe et l’OSCE devraient renforcer leur coopération dans ce domaine mérite également notre attention.

6. Une occasion à saisir

46. Le webinaire du 1er juillet 2020 sur la discrimination systémique et le racisme institutionnel, comme mentionné précédemment, a mis en évidence la sensibilité croissante du grand public au racisme et à la discrimination en Europe. La participation du Président de l’Assemblée Rik Daems au webinaire et ses paroles de soutien ont été un signe positif du renforcement de l'engagement de l'Assemblée en faveur de la lutte contre la discrimination et pour une société sans racisme. M. Daems a fait observer que l'Europe commençait enfin à s'interroger sur sa propre histoire, comme le montraient les récentes excuses formulées par le roi Philippe de Belgique pour le passé colonial de son pays. C'est effectivement le signe d'un changement culturel qui pourrait porter ses fruits. La prise de conscience des responsabilités historiques envers les peuples africains pourrait en effet aider à éradiquer le racisme que subissent aujourd’hui leurs descendants en Europe et ailleurs.
47. Mme Domenica Ghidei Biidu, vice-présidente de l’ECRI, a expliqué que si l'on envisageait le racisme dans une perspective collective, plutôt qu’individuelle, il apparaîtrait clairement que le racisme en Europe est une question institutionnelle: «Les affaires judiciaires concernent des individus, mais le racisme concerne bien plus que des expériences individuelles; or, ce contexte institutionnel et systémique plus large est toujours difficile à prouver. Il est nécessaire de reconnaître les aspects oppressifs et racistes de notre histoire et de leurs impacts sur la vie institutionnelle, systémique et quotidienne en Europe. Chaque pays devrait mettre en place des institutions qui démantèlent progressivement le racisme, ce qui inclut la collaboration avec les minorités vulnérables et l'application du principe ‘rien sur nous sans nous’.»
48. Mme Ojeaku Nwabuzo, chargée de recherche principale de l’ENAR, a rappelé que plusieurs institutions européennes avaient attiré l’attention sur le problème majeur et persistant des contrôles policiers, qui menaçait la vie des personnes d’origine africaine et devait être traité. La pandémie de covid-19 a mis en lumière certains problèmes inquiétants et préexistants, tels que l'augmentation du profilage ethnique et le ciblage disproportionné des minorités lors des opérations d'interpellation et de fouille. La pandémie a souvent donné à la police l’occasion d'exercer ses pouvoirs de manière restrictive, coercitive, discriminatoire, disproportionnée, illégale et emprunte de préjugés raciaux. Certains États membres, comme le Royaume-Uni, ont reconnu le concept de racisme institutionnel, mais beaucoup ne l'ont pas encore fait. Ce concept est beaucoup plus large que le profilage racial et inclut d’autres manifestations graves de discrimination pouvant conduire à la violence, voire à la mort. L'idée selon laquelle on trouverait «quelques pommes pourries» dans la police a souvent été suggérée, mais cela ne reflète pas la situation réelle. En fait, il est nécessaire de comprendre la véritable nature du racisme structurel. L'ENAR recommande de veiller à ce que les responsabilités soient établies (avec des sanctions contre les agents de police qui font preuve d'attitudes racistes), d’améliorer les techniques de la police et la collecte de données et d’examiner à plus long terme les activités de la police, en dialogue avec les communautés directement concernées. Sur un plan plus général, des plans d'action nationaux contre le racisme sont vivement recommandés.
49. La situation est problématique des deux côtés de l’Atlantique. Une augmentation de la gravité et du nombre d'incidents racistes a été constatée ces dernières années, comme le montrent les données de l'Union européenne, notamment la violence raciste, le profilage ethnique et l'exclusion sociale, les personnes d'origine africaine étant systématiquement traitées comme étant «au plus bas de la hiérarchie». Un changement radical est nécessaire. Des lois devraient être adoptées pour mettre fin à ces injustices, avec le suivi nécessaire pour s'assurer qu'elles sont pleinement appliquées.
50. D’un autre côté, les populations européennes ont pris de plus en plus conscience de l'ampleur et de la gravité du problème du racisme en Europe, et de l'urgence de le combattre. La mort tragique de George Floyd a eu un puissant impact au-delà des États-Unis et en particulier en Europe. Prétendre que la situation se limite aux États-Unis serait perpétuer un déni que nous constatons depuis de nombreuses années sur ce continent. Celles et ceux qui nient l'existence du racisme en Europe minimisent la douleur et les injustices historiques que les personnes d'origine africaine ont endurées pendant des siècles. La discrimination subie par les personnes d’ascendance africaine et les autres minorités en Europe a été négligée pendant trop longtemps.
51. La prise de conscience du public s'accompagne d'un soutien accru des dirigeant·e·s politiques aux niveaux national et européen, comme le confirme le texte adopté récemment par le Parlement européen sur les manifestations antiracistes à la suite du décès de George Floyd (2020/2685(RSP)) 
			(4) 
			<a href='https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2020/2685(RSP)&l=fr'>Résolution
sur les manifestations contre le racisme après la mort de George
Floyd</a> (<a href='https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/printficheglobal.pdf?id=714618&l=fr'>2020/2865
(RSP)</a>), Observatoire législatif du Parlement européen, 2020.. Le Parlement européen «condamne fermement la mort effroyable de George Floyd» et les assassinats similaires commis ailleurs dans le monde, soutient les protestations massives contre le racisme et la discrimination dans le monde et «condamne le suprémacisme blanc sous toutes ses formes». Le langage puissant et direct utilisé dans ce texte est un pas dans la bonne direction et une source d'encouragement pour celles et ceux qui s'engagent à lutter contre le racisme en Europe. En juillet 2020, l'ECRI a adopté une déclaration sur les abus policiers racistes, y compris le profilage ethnique, et le racisme systémique, à laquelle le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a répondu le 16 septembre 2020 par une décision encourageant les gouvernements des Etats membres à délivrer un message clair de tolérance zéro à l’égard du racisme et de l'intolérance.
52. Le fort soutien apporté à l'antiracisme par plusieurs acteurs politiques est une occasion qu'il convient de saisir sans hésitation. En tant que gardien de la démocratie, de l'État de droit et des droits humains, le Conseil de l'Europe a un rôle important à jouer dans ce processus. Il a également l'obligation de veiller à ce que les États membres reconnaissent l'existence du racisme institutionnel et structurel. Garder le silence face au sectarisme crée la division plutôt que l'unité et sape les valeurs qui sont au cœur de la mission de cette organisation.
53. Le 20 août 2020, l’organe de presse en ligne EU Observer a publié un article d'opinion que j’ai rédigé sous le titre «George Floyds of Europe also can't breathe» («Les George Flloyd européens ne peuvent pas respirer non plus» 
			(5) 
			Jallow,
M. M., <a href='https://euobserver.com/opinion/149174'>«George Floyds
of Europe also can't breathe</a>», EU Observer,
20 août 2020.. J'ai, en effet, jugé nécessaire d’attirer l’attention sur la situation actuelle et d'appeler tous les décideurs politiques à agir rapidement, fermement et collectivement, pour ne pas perdre de terrain dans la lutte contre le racisme et l'intolérance.

7. Lutter contre le racisme et promouvoir la représentation politique des personnes d’ascendance africaine: vers une nouvelle Charte des partis politiques européens pour une société non raciste

54. L’an dernier, la Résolution 2275 (2019) de l’Assemblée, intitulée «Rôle et responsabilités des dirigeants politiques dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance», indiquait ce qui suit: «le 25ème anniversaire de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, en 2019, est une bonne occasion de mettre à jour la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, d’y inclure des mesures en cas de violation de celle-ci, et de la relancer». La Charte originelle 
			(6) 
			<a href='https://rm.coe.int/charte-partis-politiques-europeens-societe-non-raciste/16809022bb'>Charte
des partis politiques européens pour une société non raciste, 28
février 1998.</a> a été élaborée sous les auspices de la Commission consultative de l’Union européenne sur le racisme et la xénophobie, prédécesseur de l'Agence des droits fondamentaux, et ouverte à la signature le 28 février 1998 à Utrecht. Elle a été approuvée par l’Assemblée et par l’ECRI, puis signée par des partis politiques dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe.
55. Les partis politiques peuvent jouer un rôle important dans la lutte contre le racisme en politique. La Charte étant un outil d’autoréglementation, elle pourrait être un moyen particulièrement efficace d’obliger les responsables politiques à rendre des comptes et d’améliorer la représentation politique des personnes d’ascendance africaine. Cependant, plus de 20 ans après l’élaboration de ce document, il est temps de réfléchir à la façon de l’adapter au paysage social et politique actuel. Des modifications peuvent également être nécessaires pour faire en sorte que les partis politiques et leurs membres respectent ses dispositions, grâce à un système de contrôle et à des sanctions en cas de violation.
56. Dans la plupart des États membres, les personnes d’ascendance africaine sont largement sous-représentées à tous les niveaux des organes élus et des autres organes décisionnels. Dans certains pays, elles ne sont quasiment pas représentées du tout, comme en témoigne la composition actuelle de l’Assemblée. Cette situation est non seulement inacceptable du point de vue de la représentation démocratique, mais peut aussi faciliter les abus racistes visant les rares hommes et femmes politiques d’ascendance africaine qui sont actifs au sein des institutions. En effet, ces parlementaires ou membres des gouvernements ont la charge de représenter l’ensemble de leur communauté et deviennent fatalement la cible idéale des extrémistes de droite et autres racistes.
57. Au moment où j’achève ce rapport, je suis moi-même confronté à une vague de violences verbales en ligne, provenant essentiellement de membres et de sympathisant·e·s d’un parti politique national d’extrême droite, pour avoir réagi à leur affirmation selon laquelle les personnes d’origine immigrée étaient un «poids culturel», une sorte de fardeau, pour la Suède, et pour avoir partagé sur les médias sociaux une photo de moi portant le costume traditionnel de mon pays natal, la Gambie, lors d’un événement officiel au Parlement suédois. Le langage utilisé par celles et ceux qui m’attaquent est haineux, xénophobe et explicitement raciste. Cet incident confirme que le racisme vise les personnes d’ascendance africaine, quelle que soit leur position dans la société. Même si je suis aujourd’hui député (ou peut-être précisément pour cette raison), je reste exposé à la violence à laquelle j’ai dû faire face lorsque j’étais étudiant et jeune militant. Cela montre également à quel point les mouvements politiques d’extrême droite sont insidieux, car en attaquant ma personne, ils font preuve d’un manque de respect à l’égard de l’organe élu dont je suis membre, et des institutions démocratiques en général.
58. À l’occasion de la visite en ligne au Royaume-Uni, j’ai eu l’honneur et le plaisir de rencontrer d’éminentes personnalités politiques, telles que la députée Diane Abbott, la femme noire qui siège depuis le plus longtemps au Parlement du Royaume-Uni, et qui a été secrétaire d’État à l’Intérieur du cabinet fantôme, le député David Lammy, secrétaire d’État à la justice du cabinet fantôme, M. Marvin Rees, Maire de Bristol et Lord Simon Woolley. La représentation politique des minorités ethniques, notamment des personnes d’ascendance africaine, est très élevée au Royaume-Uni. Lorsque l’Opération pour le vote des Noir·e·s (Operation Black Vote – OBV) a été lancée par Lord Woolley en 1996, cinq député·e·s noir·e·s ou appartenant à une minorité siégeaient au parlement. Vingt ans plus tard, OBV a organisé une manifestation pour célébrer le record atteint de 41 député·e·s, soit 6,3 % de l’ensemble des députés. Ces chiffres garantissent un bon niveau de diversité au sein des institutions britanniques et la possibilité pour que la voix des personnes d’ascendance africaine et des autres minorités soit entendue. Malheureusement, le problème des violences racistes visant les responsables politiques est également présent au Royaume-Uni. Diane Abbott, par exemple, a été victime d’un niveau record d’agressions sexistes et racistes en ligne pendant la campagne électorale de 2017. Selon une étude menée par Amnesty International, presque la moitié des violences dirigées contre des députées sur Twitter lui étaient destinées. En ce qui concerne Mme Abbott, comme de nombreuses autres personnes, la combinaison du sexe et de l’origine ethnique, ou d’autres motifs de discrimination, l’expose à des formes particulièrement dures de préjugés. L’intersectionnalité contribue à la discrimination dont font l’objet les personnes d’ascendance africaine et devrait être systématiquement prise en compte lorsque des contre-mesures sont élaborées.
59. J’ai examiné la situation en Allemagne avec ma collègue de l’Assemblée, Mme Gabriela Heinrich, et des représentant·e·s de la société civile. Seulement deux députés allemands sur 700 sont d’ascendance africaine, dont seulement un se reconnaît en tant que Noir. Le racisme ne fait pas partie des priorités des partis politiques, m’ont dit des militant·e·s, et la question de la représentation politique est particulièrement négligée. Il faudrait pourtant s’y intéresser de près, dans la mesure où la représentation d’un groupe, quel qu’il soit, tend à accroître le caractère inclusif des décisions et réglementations adoptées par les organes décisionnels. M. Karamba Diaby, qui a été en 2013 le premier député allemand né en Afrique, est souvent victime d’insultes en ligne et son bureau de Halle a été attaqué en janvier 2020. Les agressions verbales et autres formes de violence visant les responsables politiques d’ascendance africaine dissuadent les autres membres de ce groupe de s’engager en politique, créant un cercle vicieux qui doit être brisé.
60. Outre des dispositions concernant le langage utilisé et les opinions exprimées par les membres des partis, la Charte devrait comprendre une partie sur la représentation politique. En tant que principaux gardiens de l’accès aux postes d’élus, les partis politiques ont un rôle majeur à jouer à cet égard. La Charte devrait stipuler que les signataires s’engagent à renforcer la présence dans leurs rangs des personnes d’ascendance africaine ou appartenant à d’autres groupes ethniques, à tous les niveaux. Le 27 novembre 2020, pour donner le coup d’envoi au processus de mise à jour et de relance, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a tenu une audition conjointe avec la commission des questions politiques et de la démocratie et l’Alliance parlementaire contre la haine, avec la participation de Mme Maria Daniella Marouda, présidente de l’ECRI, Mme Samira Rafaela, députée européenne et co-présidente de l’Intergroupe antiracisme et diversité (ARDI) du Parlement européen et M. Nicolae Esanu, membre de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Les participant·e·s à l’audition ont conclu à l’unanimité que cette initiative était pertinente et venait à point nommé. Une Charte actualisée contribuerait à lutter contre le racisme et l’intolérance, si répandus en Europe, y compris en politique.
61. Les participant·e·s sont convenus que le champ d’application de la Charte devait être étendu afin de couvrir toutes les formes de racisme et d’intolérance, à savoir l’afrophobie, l’antisémitisme, l’islamophobie, l’homo-bi-transphobie, le sexisme et la xénophobie. La Charte devrait aussi traiter de la cyberdiscrimination et du discours de haine en ligne. En ce qui concerne les sanctions en cas de non-respect, les participant·e·s ont considéré qu’elles étaient nécessaires pour que la Charte ait un impact réel.
62. Mme Rafaela et M. Nick, premier vice-président de la commission des questions politiques et de la démocratie, ont insisté sur le fait qu’une forte volonté politique pour soutenir l’initiative et la future Charte actualisée était nécessaire. La commission sur l’égalité et la non-discrimination devrait prendre la direction du processus, tout en coopérant étroitement avec ses homologues au Parlement européen et en s’appuyant sur l’ECRI et la Commission de Venise. L’Alliance parlementaire contre la haine devrait aussi rester associée à l’initiative et assurer une visibilité et un soutien politique supplémentaires à celle-ci.

8. La législation et les plans d’action nationaux visant à lutter contre la discrimination

63. Comme je l’ai précédemment indiqué, le Programme d’action de Durban de 2001 demandait aux États membres des Nations Unies d’adopter des plans nationaux d’action pour lutter contre la discrimination raciale. Je souhaite mentionner ici l’exemple du plan d’action de l’Allemagne, sur lequel j’ai pu en apprendre davantage grâce à la visite d’information virtuelle menée dans ce pays. Le plan a été révisé pour la dernière fois en 2017 et intitulé «Plan national d’action: prises de position et mesures pour combattre les idéologies inégalitaires et la discrimination qui en découle». Lutter contre le racisme sous toutes ses formes est considéré comme relevant de la responsabilité de l’ensemble de l’État et de la société. Le plan d’action vise par conséquent à renforcer la cohésion sociale et est mis en œuvre en relation étroite avec la «Stratégie du Gouvernement fédéral pour la prévention de l’extrémisme et la promotion de la démocratie». Il a été conçu en coopération étroite avec la société civile, et cette coopération demeure centrale pendant sa mise en œuvre.
64. Le racisme contre les personnes noires est abordé comme une forme particulière de discrimination dans le Plan national d’action qui, compte tenu de l’histoire coloniale de l’Allemagne et de l’Europe, attache une importance particulière à l’éducation historico-politique. Ces dernières années, les initiatives de la société civile – par exemple, création d’expositions et de matériels éducatifs – se sont multipliées pour sensibiliser l’opinion publique à cette question. De plus, des études ont été menées sur des formes spécifiques de discrimination et leurs causes.
65. Je tiens également à mentionner qu’au lendemain des manifestations du mouvement Black Lives Matter, le Land de Berlin a adopté en juin dernier sa propre loi antidiscriminatoire, qui interdit la discrimination fondée sur la couleur de peau, le sexe, la religion, le handicap physique ou mental, la vision du monde, l’âge et l’identité sexuelle, ainsi que le manque de connaissance de la langue allemande, la maladie chronique, le revenu, le niveau d’instruction ou la profession. La différence majeure entre la loi du Land de Berlin et la loi fédérale générale relative à l’égalité de traitement de 2006 réside dans le fait que cette dernière couvre la discrimination dans l’emploi et dans les autres domaines régis par le droit privé, mais ne s’applique pas au droit public. Le nouveau texte de loi semble ainsi renforcer la protection contre la discrimination et être un pas dans la bonne direction. J’espère que les autres Länder allemands suivront l’exemple de Berlin.

9. Conclusions et recommandations

66. L’afrophobie, ou la discrimination et l’intolérance à l’égard des personnes d’ascendance africaine et des personnes noires, est liée aux structures historiquement répressives du colonialisme et à la traite transatlantique des esclaves, et reste omniprésente dans l’Europe d’aujourd’hui. Elle vise non seulement des gens ordinaires, mais aussi des représentant·e·s au plus haut niveau institutionnel et politique. Cette forme de racisme a une influence, consciente et inconsciente, sur de nombreuses politiques menées aux niveaux national et international. Le racisme continue de tuer, qu’il s’agisse de la violence des extrémistes en Europe ou des politiques migratoires qui autorisent les pays européens à établir le profil de personnes noires, à les placer en rétention et à les renvoyer vers des endroits dangereux, comme en Libye où des personnes noires sont actuellement réduites en esclavage et torturées.
67. Diverses mesures sont nécessaires pour lutter contre l’afrophobie. Elles devraient viser à améliorer la situation économique des personnes d’ascendance africaine (par des emplois et plus généralement par une émancipation économique), leur niveau de représentation politique et leur accès à la justice, mais aussi à lutter contre la discrimination dans l’accès à l’éducation, aux services sociaux, au logement, etc. Il faut également s’attaquer aux mentalités de la population générale et des personnes d’ascendance africaine elles-mêmes, en luttant contre les stéréotypes négatifs, en promouvant une représentation juste des personnes dans les médias, en donnant une image positive et en proposant des modèles auxquels s’identifier.
68. Toutes ces mesures exigent une forte volonté politique et le soutien de toutes les parties prenantes. Si la société civile, comme je l’ai déjà souligné, a ouvert la voie dans la lutte contre l’afrophobie en Europe, les législateurs ont un rôle particulièrement important à jouer, tout comme les décideurs politiques.
69. Des progrès ont été accomplis au niveau national grâce à des plans d’action, à une législation antidiscriminatoire et à l’action des institutions des droits de l’homme. L’Union européenne a renforcé son action dans ce domaine en adoptant le Plan d’action contre le racisme 2020-2025, qui devrait susciter des efforts supplémentaires dans les États membres. Les États membres du Conseil de l’Europe qui ne font pas partie de l’Union européenne gagneraient à adopter des dispositions similaires.
70. Beaucoup reste à faire, et de toute urgence. Dans le présent rapport, j’ai tenté de dresser un état des lieux de la situation en Europe et de recueillir des informations auprès de différents acteurs sur les mesures efficaces envisageables pour lutter contre l’afrophobie. Je compte maintenant sur l’Assemblée et le Conseil de l’Europe pour encourager l’adoption de ces mesures et apporter un réel changement dans les prochaines années.
71. Il est de la responsabilité des citoyen·ne·s et de tous les autres acteurs, que ce soient les organisations de la société civile, les partis politiques, le monde de l’éducation, les organisations religieuses, les syndicats, les organisations patronales, les milieux artistiques et les médias, de combattre l’afrophobie. Cela demande de prendre des initiatives. Ne pas être raciste ne suffit pas. Pour que de véritables progrès soient accomplis, nous devons toutes et tous prendre position contre le racisme, quels que soient sa forme et le moment où il se manifeste.