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Rapport | Doc. 15256 | 01 avril 2021

Les violations des droits de l'homme au Bélarus nécessitent une enquête internationale

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Alexandra LOUIS, France, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc.15135, Renvoi 4529 du 15 septembre 2020. 2021 - Deuxième partie de session

Résumé

Les manifestations pacifiques contre la falsification du scrutin présidentiel du 9 août 2020 au Bélarus ont été réprimées de manière brutale. De nombreux manifestants ont été arrêtés et torturés en détention. Un grand nombre de leaders du mouvement citoyen sont poursuivis pour des crimes dont la définition est vague mais qui sont assortis de longues peines de prison. La commission réclame la libération sans délai de tous les prisonniers politiques et appelle les autorités à engager un dialogue avec l’opposition, seul moyen de mettre un terme aux violences et aux violations des droits humains, et à organiser de nouvelles élections démocratiques.

La commission souligne que la lutte contre l’impunité des auteurs de graves violations des droits humains est d’une importance capitale pour des raisons de justice universelle ainsi que pour dissuader les auteurs potentiels de nouvelles violations.

Elle invite les États Membres du Conseil de l’Europe à se servir de la «compétence universelle» de leurs tribunaux pour les actes de torture, et de leurs «lois Magnitski» permettant d’imposer des sanctions ciblées à l’encontre des auteurs de violations graves des droits humains.

La commission salue l’initiative lancée par le Parlement européen, en coopération avec d’autres acteurs internationaux, de mettre en place une plate-forme consultative internationale chargée de réunir des preuves et de les évaluer pour servir de base à des poursuites pénales ainsi qu’au prononcé de sanctions ciblées.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 22 mars 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que les manifestations pacifiques contre la falsification du scrutin présidentiel du 9 août 2020 au Bélarus ont été réprimées par le régime d’Alexandre Loukachenko de manière brutale. De nombreux manifestants ont été arrêtés et torturés en détention. Un grand nombre de leaders du mouvement citoyen sont poursuivis pénalement pour des crimes dont la définition est vague mais qui sont assortis de longues peines de prison; d’autres ont été contraints à l’exil.
2. En février 2021, une nouvelle vague d’arrestations et de poursuites contre des activistes d’opposition qui se trouvaient encore en liberté a eu lieu. Parmi les personnes poursuivies figurent des défenseurs des droits humains, des journalistes, des avocats, des syndicalistes et des représentants du «Conseil de coordination», organe phare de l’opposition politique.
3. Selon Freedom House, le nombre de prisonniers politiques, parmi lesquels figurent des défenseurs des droits humains, des journalistes, des militants, des représentants d'organisations de jeunesse et de partis politiques, a atteint le chiffre de 300 personnes, à l’encontre desquelles les chefs d’accusation retenus ont été fabriqués de toutes pièces. En mars 2021, deux prisonniers politiques ont fait une tentative de suicide, tandis que Igor Losik, Igor Bantser et Dmitriy Furmanov ont mené des grèves de la faim en signe de protestation.
4. L’Assemblée considère les personnes visées ci-dessus comme des prisonniers politiques selon la définition de ce terme figurant dans la Résolution 1900 (2012). Ces personnes se trouvent en détention administrative ou provisoire ou purgent des peines de prison pour le seul fait d’avoir participé à des manifestations pacifiques ou d’avoir publié des informations sur ces manifestations et sur la répression injustifiée de celles-ci par les forces de l’ordre.
5. L’Assemblée note que les auteurs de ces violations graves, réitérées et massives des droits humains commises dans le cadre de la répression des manifestations contre la falsification du scrutin présidentiel ne font l’objet d’aucune poursuite au niveau national, alors que les tortures et traitements inhumains ou dégradants sont considérés comme des crimes par le droit bélarusse. Pour ce qui est des instruments internationaux permettant de combattre la torture, le Bélarus n’est ni partie contractante à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), ni au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ni au Statut de Rome établissant la Cour Pénale Internationale.
6. L’Assemblée souligne que la lutte contre l’impunité des auteurs de graves violations des droits humains est d’une importance capitale pour des raisons de principe ainsi que pour dissuader les auteurs potentiels de nouvelles violations, réaffirmant ainsi ses Résolutions 2252 (2019), 2157 (2017), 2134 (2016) et 1966 (2014). Elle note que la législation pénale de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe prévoit la «compétence universelle» de leurs tribunaux pour certains crimes particulièrement graves, y compris des actes de torture, même commis à l’étranger, par des étrangers et ayant des étrangers comme victimes. Elle note aussi que plusieurs États ont adopté des «lois Magnitski» sur la base desquelles peuvent être imposées des sanctions ciblées à l’encontre des auteurs de violations graves des droits humains.
7. L’Assemblée se félicite de l’initiative des défenseurs des droits humains au Bélarus qui ont réussi à réunir de nombreuses preuves de tortures et de traitements inhumains ou dégradants, et à en identifier les auteurs présumés.
8. Elle salue l’initiative lancée par le Parlement européen, en coopération avec d’autres acteurs internationaux, dans l’esprit des suites données aux recommandations du mécanisme de Moscou de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de mettre en place une plate-forme consultative internationale, la plate-forme de responsabilité pour le Bélarus, chargée de réunir des preuves des violations graves des droits humains au Bélarus et de les évaluer en vue de les mettre à la disposition des autorités compétentes des États membres afin de leur permettre de poursuivre les auteurs bélarusses de tels crimes, commis au Bélarus et dont les victimes sont bélarusses.
9. L’Assemblée considère que les informations recueillies par les défenseurs des droits humains au Bélarus et les preuves évaluées par la plate-forme lancée au sein du Parlement européen pourront servir de base à des poursuites pénales engagées sur la base de la compétence universelle, ainsi qu’au prononcé de sanctions ciblées par application des «lois Magnitski».
10. Elle se félicite des poursuites déjà engagées par la justice lituanienne sur la base de la compétence universelle et de l’engagement des États membres, notamment des pays baltes, de la Pologne et de l’Ukraine, qui accueillent les victimes de la répression contraintes à l’exil et qui soutiennent la société civile au Bélarus.
11. L’Assemblée appelle:
11.1. les autorités bélarusses:
11.1.1. à engager le dialogue avec l’opposition, seul moyen de mettre un terme aux violences et aux violations des droits humains et à organiser de nouvelles élections démocratiques pour sortir de la crise politique;
11.1.2. à libérer sans délai tous les prisonniers politiques;
11.1.3. à mettre immédiatement fin à tous les actes de torture et de traitement inhumain ou dégradant contre les opposants, qu’ils aient lieu dans les espaces publics, dans les lieux de vie des citoyens et dans tout lieu de détention;
11.1.4. à poursuivre tous les auteurs de tels actes selon le Code pénal bélarusse;
11.1.5. à coopérer avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) en vue de réformer le code pénal de manière à décriminaliser l’usage des libertés d’expression, de réunion et d’association;
11.1.6. à signer et à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OP-CAT) ainsi que le Statut de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale et à demander au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à être invité à accéder à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants;
11.1.7. à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit à un procès équitable, y compris l’accès à un avocat;
11.1.8. à cesser toutes les entraves à la liberté des médias et à la liberté de réunion;
11.1.9. à mettre en œuvre toutes les recommandations de la Commission de Venise dans son avis du 20 mars 2021 sur la Compatibilité avec les normes européennes de certaines dispositions de droit pénal utilisées pour poursuivre des manifestants pacifiques et les membres du «Conseil de coordination»;
11.1.10. à abolir la peine de mort dans les meilleurs délais, en commençant par un moratoire;
11.2. les États membres du Conseil de l’Europe:
11.2.1. à étudier les mécanismes qui permettraient de faciliter le dialogue entre les autorités et l'opposition en vue de sortir de la crise politique;
11.2.2. à exiger, dans leurs relations avec les autorités bélarusses, à tous les niveaux, la libération sans délai de tous les prisonniers politiques et la fin de la campagne de répression visant les manifestants et leurs familles;
11.2.3. à soutenir les efforts en cours au niveau international pour demander des comptes aux auteurs des violations graves des droits humains au Bélarus commis par des agents de l’État jouissant de l’impunité, notamment en faisant usage de la compétence universelle prévue dans leur législation pénale ou le cas échéant en introduisant cette possibilité dans leur législation;
11.2.4. à continuer à accueillir les victimes de la répression contraintes à l’exil politique et à soutenir la société civile bélarusse, y compris les familles des prisonniers politiques, et à octroyer des bourses d’étude aux étudiants bélarusses expulsés de leurs facultés;
11.2.5. à se servir de leurs «lois Magnitski» permettant d’imposer des sanctions ciblées contre des auteurs de violations des droits humains ainsi que les auteurs présumés de telles violations au Bélarus, et le cas échéant d’adopter de telles lois;
11.3. les institutions compétentes de l’Union européenne:
11.3.1. à exiger, dans leurs relations avec le Bélarus, à tous les niveaux, la libération sans délai de tous les prisonniers politiques et la fin de la campagne de répression visant les manifestants et leurs familles, et à soumettre toute coopération économique et financière à cette condition;
11.3.2. à renforcer leur coopération avec la société civile bélarusse, à soutenir les familles des prisonniers politiques et à octroyer des bourses d’étude aux étudiants bélarusses expulsés de leurs facultés;
11.3.3. à soutenir l’initiative développée au sein du Parlement européen visant à créer une plate-forme de coordination qui fédère les efforts au niveau international de lutte contre l’impunité des auteurs des violations des droits humains au Bélarus, en recueillant, analysant et évaluant les informations et indications pertinentes, pour aider les autorités pénales nationales à faire usage de la compétence universelle et pour imposer des sanctions ciblées via les mécanismes «Magnitski» existants ou à créer, et à durcir les peines personnalisées prononcées à l’encontre des auteurs de violations des droits humains, notamment la police, les procureurs et les juges.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 22 mars 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution ... (2021) «Les violations des droits de l'homme au Bélarus nécessitent une enquête internationale», invite le Comité des Ministres:
1.1. à inviter le Bélarus à adhérer à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126);
1.2. à examiner le champ d’application de la compétence universelle en vue de son utilisation par les États membres du Conseil de l’Europe pour lutter contre l’impunité des auteurs des violations graves des droits humains;
1.3. à mettre à la disposition de la plate-forme de coordination lancée au sein du Parlement européen l’expertise du Conseil de l’Europe notamment en matière de lutte contre la torture et de la protection des libertés d’expression, d’association et des médias;
1.4. à exiger, dans ses relations avec le Bélarus, la libération sans délai de tous les prisonniers politiques et la fin de la campagne de répression visant les manifestants et leurs familles, et à soumettre toute coopération technique et toute évolution vers une adhésion éventuelle du Bélarus au Conseil de l’Europe à cette exigence;
1.5. à étudier les moyens qui permettent au Conseil de l’Europe de tenir lieu de plate-forme de médiation pour le dialogue entre les autorités et l’opposition.

C. Exposé des motifs par Mme Alexandra Louis, rapporteure

(open)

1. Introduction

1.1. Contexte de la situation actuelle

1. Alexandre Loukachenko est président du Bélarus depuis 1994. Il a assuré sa réélection à quatre reprises. Son élection s’est faite dans un contexte de répression systématique de l'opposition et de campagnes électorales et scrutins jugés non libres par la communauté internationale, y compris par le Conseil de l’Europe. En janvier 1997, après un référendum peu démocratique instaurant des pouvoirs présidentiels exorbitants, l’Assemblée parlementaire a gelé le statut d’invité spécial du Parlement du Bélarus accordé en 1992.
2. Lors des élections législatives de novembre 2019, aucun parti ou candidat d'opposition n’a pu obtenir de siège. Les deux parlementaires de l'opposition élus en 2016 ont été empêchés de se représenter. Déjà lors de ces élections législatives, l'opposition avait dénoncé des fraudes massives. En juin 2020, moins de deux mois avant la date de l’élection présidentielle, les principaux candidats de l'opposition Viktar Babaryka et Sergueï Tikhanovski ont été arrêtés, avec d’autres membres de l’opposition, et exclus de l'élection. Amnesty International les considère comme des prisonniers d'opinion. L’épouse de Sergueï Tikhanovksi, Svetlana Tikhanovskaya, s’est présentée à sa place. Selon le résultat officiel, elle aurait obtenu 10% des suffrages, contre 80% pour M. Loukachenko.
3. Le soir même du scrutin présidentiel, après l’annonce du résultat selon des sondages de sortie des urnes, des dizaines de milliers de personnes sont sorties dans la rue pour manifester. La police anti-émeutes à Minsk a utilisé à leur encontre des grenades paralysantes, des balles en caoutchouc et même des balles réelles, comme la police l’a reconnu elle-même 
			(3) 
			«<a href='https://fr.euronews.com/2020/08/10/belarus-l-opposante-svetlana-tikhanovskaia-conteste-la-reelection-d-alexandre-loukachenko'>Bélarus:
l'opposante Svetlana Tikhanovskaïa s'est réfugiée en Lituanie</a>», Euronews, 11
août 2020. <a href='https://fr.euronews.com/2020/08/10/belarus-l-opposante-svetlana-tikhanovskaia-conteste-la-reelection-d-alexandre-loukachenko'></a>. L’opposition considère Svetlana Tikhanovskaya comme victorieuse et réclame le départ de M. Loukachenko. Le 11 août 2020, Mme Tikhanovskaïa s’est réfugiée en Lituanie 
			(4) 
			Idem.. Le «Conseil de coordination» des forces d’opposition a appelé à un dialogue national en vue d’une transition ordonnée du pouvoir. Cette demande est soutenue par des manifestations fréquentes et massives, toujours pacifiques, qui se tiennent régulièrement, notamment les week-ends, à Minsk et dans d’autres villes du Bélarus. Le 23 septembre 2020, au cours d’une cérémonie secrète, Alexandre Loukachenko a prêté serment pour un nouveau mandat. Cette investiture en catimini a été suivie de nouvelles manifestations de masse et de grèves ciblant les entreprises d’État.
4. La réaction des autorités est devenue de plus en plus brutale: des centaines de manifestants pacifiques ont été arrêtés, souvent par des hommes en uniformes sans insignes, et enlevés dans des camionnettes sans plaques d’immatriculation. Des personnes ont disparu, temporairement, sans que leurs proches ne sachent où elles se trouvaient. Pendant leur détention, elles ont été victimes de mauvais traitements documentés par des témoignages et photos effrayantes. Il y a même eu des morts 
			(5) 
			Voir ci-dessous, para.
11.. La plupart des détenus ont été libérés après quelques jours, d’autres ont été poursuivis pénalement dans des conditions ne garantissant pas le respect des droits de la défense, pour des crimes pouvant entraîner de longues peines de prison. En plus des arrestations et des mauvais traitements infligés aux manifestants et parfois même à de simples passants, les autorités harcèlent de manière systématique les leaders du mouvement. Aucun des membres du «Conseil de coordination» de l’opposition ne vit librement au Bélarus, les uns sont en détention, les autres ont été contraints à l’exil 
			(6) 
			<a href='https://www.lalibre.be/international/europe/tensions-au-belarus-l-opposante-tikhanovskaia-lance-un-ultimatum-au-president-loukachenko-5f85af2dd8ad583d1b4ecea5'>https://www.lalibre.be/international/europe/tensions-au-belarus-l-opposante-tikhanovskaia-lance-un-ultimatum-au-president-loukachenko-5f85af2dd8ad583d1b4ecea5,
La Libre Belgique, 13 octobre 2020.</a>. La répression cible aussi les simples militants, les blogueurs et autres journalistes et syndicalistes indépendants. Depuis le début du mois d’octobre 2020, même les journalistes étrangers sont empêchés de travailler.
5. En somme, le régime de M. Loukachenko semble tenter de se maintenir par la force, malgré le rejet évident d’une grande partie de la population et la défection de nombreux membres de l’élite, y compris des diplomates et des journalistes de médias d’État. Le courage du peuple bélarusse, et particulièrement des femmes, qui se trouvent en première ligne à tous les niveaux, est impressionnant.

1.2. Réactions de la communauté internationale

6. Au sein du Conseil de l’Europe, le Président de l’Assemblée, le Président du Comité des Ministres et la Secrétaire Générale ont à plusieurs reprises appelé les autorités du Bélarus à cesser les violences et à engager un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes. Dans une déclaration adoptée le 9 septembre 2020, notre commission a en outre invité «le Conseil de l'Europe, en coopération avec d'autres organismes internationaux, [à] mettre en place un organe d'enquête international chargé de recueillir des informations et des preuves sur les crimes contre les droits de l'homme au Bélarus». Après de nouvelles répressions brutales lors des manifestations de début octobre, le Président de l’Assemblée, le Président du Comité des Ministres et la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe ont fermement condamné les exactions commises par les autorités et ont appelé au dialogue dans une Déclaration conjointe du 13 octobre 2020.
7. Pour ce qui est de l’Union européenne, Charles Michel, Président du Conseil européen, a annoncé dès le 19 août 2020 que l’Union européenne n’entendait pas reconnaitre les résultats de l'élection. Par la suite, le Conseil de l’Union européenne a décrété des sanctions ciblées (notamment gels d’avoirs et refus de visas) à l’encontre de nombreux représentants du régime, notamment celles ou ceux suspectés d’implication dans la falsification de l’élection ainsi que dans les violences policières. Le 12 octobre 2020, le Conseil européen s’est mis d’accord sur une deuxième liste de personnes sanctionnées, dont Alexandre Loukachenko lui-même. Le 16 octobre 2020, Boriss Cilevičs, président de notre commission, a confirmé, lors d’une audition au Parlement européen dédiée à la lutte contre l’impunité au Bélarus, que notre commission était prête à coopérer dans cette lutte aux côtés de toutes les parties prenantes internationales compétentes 
			(7) 
			Une copie de l’intervention
de M. Cilevičs est disponible sur demande auprès du secrétariat..
8. Pour ce qui est de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), 17 États participants, dont les États-Unis, ont déclenché, le 17 septembre 2020, le «Mécanisme de Moscou» afin d’établir une mission d’experts pour examiner les rapports crédibles faisant état d’abus et de violations des droits humains, y compris de fraude électorale, au Bélarus. Wolfgang Benedek (Autriche), le rapporteur de l’OSCE, a déjà pris contact avec moi en vue de développer notre coopération. Entre-temps, il a participé, avec d’autres experts, à l’audition organisée lors de notre réunion de commission du 8 décembre 2020.

1.3. Objectif du présent rapport

9. Les signataires de la proposition de résolution à la base de mon mandat estiment que «les auteurs des graves violations des droits de l'homme dans le contexte de la récente élection présidentielle doivent rendre des comptes. Un signal clair doit être envoyé à tous les membres des forces de sécurité bélarusses pour leur faire comprendre qu'il n'y aura pas d'impunité pour les graves violations des droits de l'homme. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe, en coopération avec d'autres organisations internationales, devrait, d’urgence, mettre en place un organe d'enquête international chargé de recueillir des informations et des preuves sur les crimes contre les droits de l'homme au Bélarus. Les autorités du Bélarus et les représentants de la société civile seront invités à coopérer à cette enquête. Ses résultats seront publiés et mis à la disposition de tout organe national ou international chargé de l'application de la loi qui souhaite engager des poursuites contre les auteurs des violations massives des droits de l'homme commises au Bélarus et qui est compétent pour le faire.»
10. L’objectif de ce rapport est donc clair: faire la lumière sur les violations des droits humains évoquées ci-dessus et envoyer un message fort aux auteurs et commanditaires de violations graves de ces droits en leur rappelant que leurs agissements violent les droits et libertés les plus fondamentales et qu’ils devront répondre de leurs exactions. C’est également un message adressé au peuple du Bélarus afin de le soutenir dans son combat pour la démocratie et la protection des droits humains. La communauté internationale n’acceptera pas l’impunité des auteurs des exactions, comme en atteste l’absence totale de poursuites pénales à leur encontre. Ce message nécessaire doit aboutir à la création d’un mécanisme international approprié capable d’aider la justice nationale, là où c’est possible, ou de faire usage d’autres instruments de lutte contre l’impunité, tels que les «lois Magnitski» adoptées dans de nombreux pays ainsi que par l’Union européenne ces dernières années.

2. Résumé des informations disponibles sur les allégations de violations des droits humains depuis l’élection présidentielle du 9 août 2020

2.1. Vue d’ensemble

11. Depuis l’annonce du résultat contesté de l’élection présidentielle du 9 août 2020, les forces spéciales du ministère de l'Intérieur (OMON) ont été déployées pour disperser les manifestations massives et pacifiques qui se sont déclarées par la suite. Les OMON ont eu recours de manière disproportionnée et injustifiée à la force physique, aux équipements spéciaux et aux armes non létales, mais néanmoins dangereuses selon leur usage (canons à eau, matraques, grenades assourdissantes et grenades éclair, balles en caoutchouc). En conséquence, de nombreuses personnes ont été blessées. Au moins deux manifestants ont été tués par une action directe de la police et deux autres sont morts à la suite de leur détention 
			(8) 
			Au cours
des manifestations, au moins deux personnes ont été tuées par les
officiers des forces spéciales – Alexander Taraikovsky à Minsk et
Gennady Shutov à Brest. Alexander Vikhor de Gomel est décédé immédiatement
après son arrestation. Voir le rapport du Centre des droits de l’homme
Viasna, «La situation des droits de l'homme au Bélarus. Août 2020», <a href='https://spring96.org/ru/news/99334'>https://spring96.org/ru/news/99334</a>. Denis Kuznetsov est mort à la suite de nombreuses blessures
après sa détention à l’Unité de détention provisoire de Minsk. Voir
le <a href='http://www.legin.by/documents/Belarus-tortures-2020-first-report); https://belsat.eu/ru/news/izbityj-na-okrestina-denis-k-segodnya-umer/ '>rapport
de l’organisation non gouvernementale à but non lucratif Initiative
juridique sur les tortures de masse en Biélorussie</a>, 2020, p. 39. Voir également <a href='https://belsat.eu/ru/news/izbityj-na-okrestina-denis-k-segodnya-umer/'>https://belsat.eu/ru/news/izbityj-na-okrestina-denis-k-segodnya-umer/.</a>. M. Loukachenko aurait même autorisé l’utilisation par ses forces de l’ordre d’armes à balles réelles 
			(9) 
			<a href='https://fr.euronews.com/2020/10/13/les-armes-letales-autorisees-pour-contrer-le-mouvement-anti-loukachenko'>https://fr.euronews.com/2020/10/13/les-armes-letales-autorisees-pour-contrer-le-mouvement-anti-loukachenko.</a>. Le 12 août 2020, le ministère de la Santé a indiqué qu’en deux jours de manifestations, un peu plus de 200 personnes blessées avaient été emmenées dans des hôpitaux et que plusieurs d'entre elles ont dû être opérées 
			(10) 
			<a href='https://news.tut.by/society/696345.html'>https://news.tut.by/society/696345.html.</a>.
12. Au cours du mois d’août 2020, plus de 7 500 personnes ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations pacifiques. Des détentions ont eu lieu dans presque toutes les villes du pays. Plusieurs personnes ont été détenues au secret pendant plusieurs jours. Les organisations bélarusses de défense des droits humains ont enregistré et documenté plus de 500 cas de torture et d’autres traitements cruels ou inhumains, indiquant leur utilisation massive et systématique 
			(11) 
			<a href='https://spring96.org/ru/news/99334'>https://spring96.org/ru/news/99334.</a>. En septembre 2020, plus de 3 500 personnes ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations, dont plus de 2 700 ont été placées en détention 
			(12) 
			<a href='https://spring96.org/ru/news/99777'>https://spring96.org/ru/news/99777.</a>.
13. Les défenseurs des droits humains affirment que, du 9 au 14 août 2020, des actes qu’ils qualifient de «crimes contre la sécurité de l'humanité» se sont répandus dans tout le pays, dont la détention et l'enlèvement de personnes en raison de leurs convictions politiques 
			(13) 
			Les types de punition
les plus sévères auraient été infligés à certaines catégories de
personnes. Parmi les «marqueurs» figuraient des bracelets ou des
rubans blancs, un abonnement à certaines chaînes Telegram, ainsi
qu'une apparence inhabituelle, <a href='https://spring96.org/en/news/99871'>https://spring96.org/en/news/99871.</a>, suivis de torture et d'autres mauvais traitements interdits. Selon le Bureau du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies, pendant plusieurs jours, à partir du 9 août 2020, dans tout le pays, des agents des forces de l'ordre ont commis des actes infligeant intentionnellement de graves blessures aux personnes (manifestants, opposants politiques, spectateurs innocents, passants, journalistes, blogueurs) 
			(14) 
			<a href='https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26199&LangID=E'>www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26199&LangID=E.</a>. Il est à noter enfin qu'à la fin du mois d’août 2020, aucune des 2 000 plaintes 
			(15) 
			<a href='http://www.legin.by/documents/Belarus-tortures-2020-first-report'>Rapport
sur les tortures de masse en Biélorussie</a>, 2020, p.31. déposées au parquet de Minsk et au Comité d'investigation 
			(16) 
			<a href='https://t.me/skgovby/2945'>https://t.me/skgovby/2945</a> (Selon les données officielles du Comité d'investigation
au 17 août, plus de 600 citoyens ont déposé des plaintes concernant
des lésions corporelles lors de leur détention par des agents des
forces de l'ordre, et environ 100 personnes – concernant des blessures
corporelles lors de leur détention). n'avait fait l'objet de poursuites pour des actes de torture commis dans les centres de détention provisoire 
			(17) 
			<a href='http://www.legin.by/posts/pravozaschitniki-potrebovali-prokuraturu-gorod-minska-otchitatsyaa'>www.legin.by/posts/pravozaschitniki-potrebovali-prokuraturu-gorod-minska-otchitatsyaa</a>, 
			(17) 
			<a href='http://www.legin.by/posts/283'>www.legin.by/posts/283</a>, <a href='http://www.legin.by/documents/Belarus-tortures-2020-first-report'>http://www.legin.by/documents/Belarus-tortures-2020-first-report.</a>.
14. Voici quelques détails des actes de répression allégués, présentés par «groupe cible»: les organisateurs principaux du mouvement d’opposition, les avocats, journalistes, défenseurs des droits humains et enfin tous les Bélarusses qui participent aux manifestations.

2.2. Allégations de violations des droit humains, par groupes cibles

2.2.1. Prisonniers et prisonnières politiques – persécution à motivation politique des organisateurs principaux du mouvement d’opposition

15. Dès le 18 juin 2020, le candidat potentiel à l’élection présidentielle Viktor Babaryko et son fils Eduard ont été arrêtés à Minsk. Des perquisitions ont été effectuées dans leurs maisons pour des motifs douteux. Viktor Babaryko et son fils font l’objet de poursuites pénales en vertu de six articles du Code pénal (évasion fiscale, blanchiment des produits du crime, détournement de fonds, fraude, et corruption active et passive) 
			(18) 
			<a href='https://www.currenttime.tv/a/belarus-babariko-detention/30678308.html'>www.currenttime.tv/a/belarus-babariko-detention/30678308.html</a> 
			(18) 
			<a href='https://www.currenttime.tv/a/belarus-elections-babariko/30678039.html'>www.currenttime.tv/a/belarus-elections-babariko/30678039.html.</a>.
16. Le 24 août 2020, deux membres du «Conseil de coordination», destiné à promouvoir une transition pacifique du pouvoir, Sergueï Dilevski et Olga Kovalkova, ont été interpellés pour avoir illégalement organisé une grève 
			(19) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/24/en-bielorussie-deux-membres-du-conseil-de-coordination-de-l-opposition-interpelles_6049788_3210.html'>www.lemonde.fr/international/article/2020/08/24/en-bielorussie-deux-membres-du-conseil-de-coordination-de-l-opposition-interpelles_6049788_3210.html.</a>.
17. Le même jour, le président du comité de grève d’une importante usine d’État, Alexandre Lavrinovitch, a également été appréhendé par la police pendant qu’il collectait des signatures en faveur d’un nouvel arrêt de travail. Le coprésident du comité de grève d’une autre usine, Anatoli Bokoun, a aussi été interpellé 
			(20) 
			Ibid..
18. Le cofondateur du Parti de la démocratie chrétienne bélarusse, Pavel Sevyarynets, avait déjà été arrêté le 7 juin 2020. Après cela, au moins trois ordres de détention administrative de 15 jours ont été émis à son encontre pour avoir participé à des piquets pré-électoraux et des appels à participer à des événements de masse. Le 1 septembre 2020, il été mis en accusation pour participation à des émeutes de masse (article 293 du Code pénal), sous forme de «participation directe dans des actions accompagnées de violences contre la personne, de pogroms, d'incendie criminel, de destruction de biens ou de résistance armée contre des représentants des autorités» 
			(21) 
			<a href='http://spring96.org/ru/news/99321'>http://spring96.org/ru/news/99321.</a>. M. Sevyarynets risque une peine d'emprisonnement de trois à huit ans.
19. Le 31 août 2020, Lilia Vlasova et Vasily Polyakov, deux autres membres du «Conseil de coordination» de l’opposition bélarusse, ont été arrêtés. L’appartement de Lilia Vlasova a été perquisitionné 
			(22) 
			<a href='https://www.epde.org/ru/news/details/zaderzhanija-chlenov-koordinacionnogo-soveta-v-belarusi-31-avgusta.html'>www.epde.org/ru/news/details/zaderzhanija-chlenov-koordinacionnogo-soveta-v-belarusi-31-avgusta.html.</a>. Le 9 septembre, les avocats Maxim Znak et Ilya Salei, membres du bureau du «Conseil de coordination», ont été arrêtés. Des perquisitions ont également été effectuées dans leurs appartements.
20. Les autorités se servent aussi de l’expatriation sous la contrainte des personnalités de l'opposition du pays. Cette tactique a été utilisée pour la première fois en août 2020, contre la candidate principale de l’opposition à la présidence, Svetlana Tikhanovskaya 
			(23) 
			<a href='https://spring96.org/ru/news/99777'>https://spring96.org/ru/news/99777</a>; <a href='https://lenta.ru/brief/2020/08/11/che_tam/'>https://lenta.ru/brief/2020/08/11/che_tam/.</a>. Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2020, Olga Kovalkova, membre du bureau du «Conseil de coordination», qui purgeait une peine de détention administrative au Centre d'isolement des délinquants pour l’organisation d’une action non autorisée, a été expulsée de force du Bélarus 
			(24) 
			<a href='http://spring96.org/ru/news/99407'>http://spring96.org/ru/news/99407.</a>. Elle vit actuellement à Varsovie. Le 7 septembre 2020, dans le centre de Minsk, une autre membre du bureau du «Conseil de coordination», Maria Kolesnikova, a été enlevée 
			(25) 
			<a href='https://spring96.org/ru/news/99777'>https://spring96.org/ru/news/99777.</a>. Elle a été amenée de force à la frontière bélarusse-ukrainienne pour être expulsée du pays. Mme Kolesnikova a déchiré son passeport au passage de la frontière et a ainsi empêché les services spéciaux bélarusses de la faire sortir du pays 
			(26) 
			<a href='https://www.bbc.com/russian/news-54068283'>www.bbc.com/russian/news-54068283.</a>. Le même jour, l'attaché de presse du «Conseil de coordination», Anton Rodnenkov, et un autre représentant du «Conseil de coordination», Ivan Kravtsov, ont été arrêtés. Ils ont été amenés de force à la frontière bélarusse-ukrainienne pour être expulsés du pays. Ils se trouvent actuellement en Ukraine.
21. Maria Kolesnikova, Maxim Znak et Ilya Salei sont actuellement en détention provisoire en tant qu’accusés dans une affaire pénale ouverte sur la base de la partie 3 de l'article 361 du Code pénal (appel à des actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale de la République du Bélarus).
22. Toutes les figures de l'opposition bélarusse se trouvent actuellement détenues ou en exil à l'étranger. Le 10 octobre 2020, M. Loukachenko s’est rendu dans une prison de Minsk pour une réunion avec des dirigeants emprisonnés de l'opposition 
			(27) 
			<a href='https://www.challenges.fr/monde/le-president-bielorusse-rencontre-des-opposants-detenus-en-prison_731992'>www.challenges.fr/monde/le-president-bielorusse-rencontre-des-opposants-detenus-en-prison_731992</a>; 
			(27) 
			<a href='https://isans.org/analysis-en/belarus-review-daily/belarus-review-daily-october-9-2020.html'>https://isans.org/analysis-en/belarus-review-daily/belarus-review-daily-october-9-2020.html;</a> 
			(27) 
			<a href='https://www.currenttime.tv/a/kolesnikova-otkazalasi-ot-vstrechi-s-lukashenko/30890470.html'>www.currenttime.tv/a/kolesnikova-otkazalasi-ot-vstrechi-s-lukashenko/30890470.html.</a>. Lors de la réunion, il aurait évoqué des propositions pour modifier la Constitution. Ses interlocuteurs et interlocutrices lui auraient signalé que la prison n’était pas un endroit approprié pour des négociations.

2.2.2. Persécution des journalistes

23. Pendant les périodes électorale et post-électorale, les médias, les journalistes et les blogueurs ont fait l’objet d’une pression croissante. La grande majorité des violations des droits des journalistes a eu lieu pendant la période post-électorale. En 2020, l'Association bélarusse des journalistes (ABJ) a enregistré plus de 400 cas de harcèlement de journalistes en raison de leurs activités professionnelles 
			(28) 
			<a href='https://baj.by/ru/analytics/byut-strelyayut-brosayut-na-sutki-kak-vo-vremya-protestov-rabotayut-zhurnalisty-v-belarusi'>https://baj.by/ru/analytics/byut-strelyayut-brosayut-na-sutki-kak-vo-vremya-protestov-rabotayut-zhurnalisty-v-belarusi</a>, dont plus de 186 détentions de journalistes pendant la période du 9 août à mi-septembre 
			(29) 
			Rapport «<a href='https://baj.by/ru/analytics/belarus-posle-vyborov-doklad-belorusskih-pravozashchitnyh-organizaciy-o-situacii-s-pravami'>Belarus
after elections: 2020</a>», p. 37<a href='https://baj.by/ru/analytics/belarus-posle-vyborov-doklad-belorusskih-pravozashchitnyh-organizaciy-o-situacii-s-pravami'>.</a>. Environ un journaliste sur trois a été victime de violence pendant sa détention. L’ABJ a enregistré des cas de torture et de mauvais traitement des journalistes, y compris étrangers, après leur arrestation, des cas d’endommagement ou de saisie de matériel, de suppression de métrages, de coups, de tirs de balles en caoutchouc; 24 journalistes ont été détenus et condamnés à une détention administrative pour une durée de 3 à 15 jours et à des amendes. 
			(30) 
			<a href='http://spring96.org/ru/news/99381'>http://spring96.org/ru/news/99381.</a>
24. Le 10 août 2020, un employé de TUT.BY 
			(31) 
			TUT.BY est un portail
internet d'information et de services au Bélarus. En septembre 2020,
le ministère de l'Information a déposé une plainte devant un tribunal
en vue de le priver d'enregistrement en tant que média à la suite
de la couverture par le portail des manifestations au Bélarus (<a href='https://euroradio.fm/ru/tutby-grozit-poterya-statusa-smi'>https://euroradio.fm/ru/tutby-grozit-poterya-statusa-smi</a>)., Nikita Bystrik, a été arrêté et battu. À la suite des violences policières, il a souffert de fractures du crâne et d’une côte et de nombreuses ecchymoses. Aucune assistance médicale ne lui a été fournie, y compris le lendemain. Il n’a reçu aucune nourriture pendant 2 jours, et avait rarement accès aux toilettes 
			(32) 
			<a href='https://baj.by/be/analytics/sotrudnika-tutby-zaderzhali-za-video-s-mirnyh-protestov-emu-slomali-rebro-i-razbili-golovu'>https://baj.by/be/analytics/sotrudnika-tutby-zaderzhali-za-video-s-mirnyh-protestov-emu-slomali-rebro-i-razbili-golovu</a>.
25. Les autres violations de la liberté d'expression liées aux élections comprennent:
  • le blocage d'internet dans tout le pays les premiers jours après l'élection et des coupures régulières lors des manifestations de masse;
  • les restrictions d'accès aux sites d’événements;
  • une interdiction tacite de l'impression et de la distribution de plusieurs revues et journaux nationaux;
  • le refus des demandes d'accréditation de journalistes étrangers;
  • l’annulation de l'accréditation permanente des journalistes étrangers;
  • les menaces du ministre des Affaires étrangères concernant le fonctionnement des médias étrangers accrédités en réponse à d'éventuelles sanctions européennes contre des représentants du Bélarus.

2.2.3. Harcèlement et poursuites contre les défenseurs des droits humains

26. Dès le jour de l’élection, sept membres des sections régionales du Centre des droits de l’homme Viasna («Printemps») ont été arbitrairement détenus en raison de leurs activités en faveur des droits humains 
			(33) 
			<a href='https://spring96.org/ru/news/99777'>https://spring96.org/ru/news/99777.</a>.
27. Le 31 août 2020, un volontaire de Viasna, Pavel Garbuz, soupçonné d'avoir participé aux manifestations du 9 au 11 août à Minsk, a été arrêté et placé dans un centre de détention provisoire 
			(34) 
			<a href='http://spring96.org/ru/news/99627'>http://spring96.org/ru/news/99627.</a>. Il y a passé 10 jours, pendant lesquels il a subi des pressions exercées par les agents de la Direction principale de la lutte contre la criminalité organisée et la corruption (GUBOPiK) du ministère de l'Intérieur. Il a le statut de suspect dans le cadre d’une affaire pénale selon la partie 2 de l'article 293 du Code pénal.
28. Le 17 septembre 2020, des agents du GUBOPiK ont arrêté la coordinatrice du service des volontaires de Viasna, Marfa Rabkova, ainsi que son mari, qui a par la suite été libéré 
			(35) 
			<a href='https://spring96.org/ru/news/99569'>https://spring96.org/ru/news/99569.</a>. Elle est actuellement détenue dans une maison d’arrêt à Minsk. Mme Rabkova est accusée d’un crime selon la partie 3 de l'article 293 du Code pénal (formation ou autre préparation de personnes en vue de participer à des émeutes, ou financement de telles activités). Dans le cadre de son travail pour Viasna, Mme Rabkova, avec des volontaires, a observé des rassemblements pacifiques, a pris une part active dans la campagne d'observation indépendante de l’élection intitulée «Les défenseurs des droits humains pour des élections libres», et a participé à la documentation des preuves de torture et d'autres traitements sévères infligés aux personnes détenues. Le 18 septembre, Amnesty International a reconnu Marfa Rabkova comme prisonnière d'opinion en raison de son travail de défense des droits humains 
			(36) 
			<a href='https://eurasia.amnesty.org/2020/09/22/zayavlenie-marfa-rabkova-i-ostalnye-uzniki-sovesti-v-belarusi-dolzhny-byt-osvobozhdeny/'>https://eurasia.amnesty.org/2020/09/22/zayavlenie-marfa-rabkova-i-ostalnye-uzniki-sovesti-v-belarusi-dolzhny-byt-osvobozhdeny/.</a>. Le Conseil de Viasna considère les poursuites pénales contre Marfa Rabkova comme une persécution et une pression sur le Centre des droits de l’homme Viasna dans son ensemble.

2.2.4. Persécution des avocats

29. Les avocats défendant des militants civiques et des opposants au gouvernement actuel seraient également cibles de poursuites pénales à motivation politique et d’autres formes de harcèlement, notamment par le retrait de la licence d’avocat.
30. Maksim Znak, l’avocat de Viktor Babaryka, candidat à l’élection présidentielle, ainsi que l’avocat de Maria Kolesnikova, Ilya Salei (voir ci-dessus), seraient actuellement en détention. 
			(37) 
			Rapport «<a href='https://baj.by/ru/analytics/belarus-posle-vyborov-doklad-belorusskih-pravozashchitnyh-organizaciy-o-situacii-s-pravami'>Belarus
after elections: 2020</a>», p. 44. <a href='https://baj.by/ru/analytics/belarus-posle-vyborov-doklad-belorusskih-pravozashchitnyh-organizaciy-o-situacii-s-pravami'></a>Ludmila Kazak, également avocate de Maria Kolesnikova, a été détenue et par la suite déclarée coupable en vertu de l'article 23.4 du Code des infractions administratives. Elle a été condamnée à une amende 
			(38) 
			Idem.. Les avocats rencontreraient des difficultés pour avoir accès à leurs clients dans des conditions garantissant le secret professionnel et aux procédures les concernant.

2.2.5. Violations des droits humains à l’encontre de simples manifestants pacifiques

31. Plusieurs actions de contestation ont été menées contre la falsification de l’élection et la dispersion violente des manifestations pendant la période post-électorale. Tous les dimanches des mois de septembre et octobre 2020, des manifestations réunissant des dizaines de milliers de participants ont eu lieu, et à chaque fois, des centaines de personnes ont été arrêtées. Les manifestants ont été condamnées à de lourdes amendes et à des peines de détention administrative. Selon le rapport public rédigé conjointement par les principales organisations de défense des droits humains, de nombreuses personnes auraient aussi subi des actes de torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants (voir ci-dessous), y compris des enfants mineurs 
			(39) 
			Ibid., p. 45, <a href='https://baj.by/ru/analytics/belarus-posle-vyborov-doklad-belorusskih-pravozashchitnyh-organizaciy-o-situacii-s-pravami'></a>.
32. Voilà quelques informations concernant les différentes «marches» organisées par la société civile, dont:
  • la «Marche de l’unité» du 6 septembre 2020, à Minsk et dans d’autres régions;
  • la «Marche des héros» du 13 septembre 2020 (774 arrestations);
  • la «Marche de la justice» du 20 septembre 2020;
  • «L’Inauguration du peuple» du 27 septembre 2020 qui s’est tenue en parallèle avec l’investiture furtive de M. Loukachenko;
  • des actions de contestation lancées par des étudiants ont conduit à plus de 150 interpellations; 55 des interpellés se sont retrouvés dans des maisons d’arrêt 
			(40) 
			<a href='http://spring96.org/ru/news/99377'>http://spring96.org/ru/news/99377.</a>.
  • des «Marches des femmes» ont eu lieu les 5, 12, 19 et 26 septembre 2020, avec des centaines d’arrestations;
  • la «Marche pour la libération des prisonniers et prisonnières politiques» a eu lieu le 4 octobre 2020 dans plusieurs villes du pays. 252 personnes ont été arrêtées 
			(41) 
			<a href='http://spring96.org/be/news/99807'>http://spring96.org/be/news/99807.</a>.
  • La «Marche des fiertés» du 11 octobre 2020 s'est déroulée sous une forte pression des forces de sécurité: canons à eau, gaz lacrymogènes, grenades assourdissantes et balles en caoutchouc ont été utilisés contre les manifestants. Plus de 600 personnes ont été arrêtées 
			(42) 
			<a href='https://belsat.eu/ru/news/marsh-dostoinstva-pochti-600-zaderzhannyh-po-vsej-strane/'>https://belsat.eu/ru/news/marsh-dostoinstva-pochti-600-zaderzhannyh-po-vsej-strane/;</a> 
			(42) 
			www.lemonde.fr/international/article/2020/10/11/bielorussie-une-manifestation-hostile-a-loukachenko-violemment-reprimee-a-minsk_6055624_3210.html..
  • La «Marche des retraités» du 12 octobre 2020 à Minsk a rassemblé plus d'un millier de personnes. La marche s'est terminée par un affrontement avec les forces de sécurité qui ont utilisé des cartouches à bruits éclairs et du gaz poivre 
			(43) 
			<a href='https://news.tut.by/society/703887.html'>https://news.tut.by/society/703887.html.</a>.
  • La «Marche des personnes handicapées» le 15 octobre 2020 à Minsk a réuni une centaine de manifestants. Au moins deux personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles Oleg Grablevsky, employé du Bureau des droits des personnes handicapées 
			(44) 
			<a href='https://news.tut.by/society/704245.html'>https://news.tut.by/society/704245.html#ua:news_geonews_minsk~7.</a>.
  • Des dizaines de milliers de personnes ont de nouveau défilé dans les rues au Bélarus le 18 octobre 2020, malgré la menace de tirs à balles réelles de la police, qui a interpellé plus de 200 manifestants 
			(45) 
			<a href='https://www.dailymail.co.uk/news/article-8852793/Tens-thousands-people-march-streets-Minsk-Belarus-latest-protest.html'>«Tens
of thousands of people march through streets of Minsk in Belarus
in latest protest», </a>Daily Mail Online..
33. Selon le ministère de l'Intérieur, au moins 3 500 manifestants ont été arrêtés au cours du seul mois de septembre, dont environ 2 700 ont été soumis à une longue détention administrative dans des maisons d’arrêt. La force physique et du matériel spécial, notamment gaz lacrymogène et canons à eau, ont été utilisés contre des manifestants, mêmes fragiles.
34. Les victimes de mauvais traitements témoignent qu’elles ont été sévèrement battues à coups de matraque au cours de leur arrestation, dans le véhicule pénitentiaire et à leur arrivée au service de police ou au centre de détention provisoire. Les gens étaient maintenus au sol agenouillés, debout contre un mur ou allongés en rangées. Les nouveaux arrivants ont été forcés de marcher sur ceux qui gisaient au sol. Les personnes détenues ont passé 6 à 12 heures sans pouvoir aller aux toilettes et sans eau ni nourriture. Certaines personnes sont restées dans des véhicules de transport de prisonniers dans une position exiguë pendant plus de 6 heures. Selon les témoignages de personnes blessées, dans les centres de détention provisoire, des personnes qui portaient des t-shirts avec l’inscription Pagonya («Poursuite») ont été aspergées d'eau et frappées avec des pistolets paralysants, certaines personnes ont été forcées d’avaler leurs bracelets blancs. L’association Zvyano, qui a eu des entretiens avec les victimes de mauvais traitements, allègue l’utilisation d'injections intramusculaires de sulfozinum chez des ressortissants étrangers, afin de ne pas laisser de traces de coups, ainsi que de médicaments psychotropes. De nombreuses personnes ont fait état de menaces de meurtre et de viol, et d’avoir été forcées à se déshabiller et se mettre par terre. Selon plusieurs témoignages, les forces de sécurité se sont entraînées à battre des gens «selon les instructions»: l'un tenait le détenu ou la détenue, l'autre lui disait comment positionner la personne pour mieux la battre. Des prisonniers et prisonnières étaient de temps en temps battus sans raison. Pendant les deux premiers jours, les détenus ne recevaient pas de nourriture, puis on leur donnait du pain et de la bouillie une fois par jour et en quantité insuffisante. 40 à 50 détenus étaient placés dans des cellules conçues pour 8 à 10 personnes.
35. Enfin, parmi les violations des droits humains alléguées au Bélarus depuis la dernière élection présidentielle et qui frappent quasiment toute la population adulte du pays, figurent évidemment les manipulations du vote lui-même et du décompte des voix. Mais la question de savoir si le résultat de cette élection doit être rejeté et s’il faut une nouvelle élection, et dans quelles conditions, n’est pas de la compétence de notre commission.

2.3. Les violations des droits humains confirmées par l’audition du 8 décembre 2020

36. Lors de sa réunion du 8 décembre 2020, la commission a tenu une audition avec la participation de:
  • M. le professeur Wolfgang Benedek (Autriche), rapporteur spécial, mécanisme de Moscou de l’OSCE,
  • M. Valentin Stefanovich, Membre du Bureau, Centre des droits de l’homme Viasna,
  • Mme Svetlana Tikhanovskaya, Leader de Bélarus Democratique,
  • Mr Aleh Hulak, Président du Comité Helsinki du Bélarus, Minsk.
37. Les autorités bélarusses ont été invitées à désigner un représentant pour présenter le point de vue officiel, sans pour autant saisir cette occasion.
38. Le Professeur Benedek a expliqué le fonctionnement du «mécanisme de Moscou». Un rapport de l’OSCE d’octobre 2020 a confirmé les allégations de fraude électorale ainsi que les nombreuses violations des droits humains (cas de détention arbitraire, cas de torture, persécutions des journalistes, coupures d’Internet, etc.). Ce rapport contient des recommandations aux autorités bélarusses: organiser de manière équitable une nouvelle élection présidentielle, cesser les violations des droits humains des manifestants et les représailles contre les grévistes, les avocats et les journalistes, libérer les personnes détenues de manière arbitraire et assurer le droit à un procès équitable et l’accès à internet. L’expert a estimé que la Commission de Venise pourrait conseiller les autorités bélarusses quant à la mise en œuvre des réformes démocratiques et qu’une enquête internationale devait être menée pour élucider les circonstances des violations des droits humains et en finir avec l’impunité des auteurs. Il a souligné la nécessité d’une collaboration internationale sur la question de la responsabilité des auteurs des violations des droits humains.
39. M. Stefanovich a indiqué que la situation des droits humains se dégradait, avec plus de 4 000 personnes arrêtées après les dernières manifestations. Environ 500 personnes ont été placées dans des centres de détention, pour des motifs politiques. Il a souligné que les manifestations sont pacifiques. Son organisation fait un travail de documentation sur les victimes de violations des droits humains et n’a recours qu’à un nombre limité de mécanismes internationaux, dont le rapporteur spécial de l’ONU, que les autorités ne reconnaissent pas, et l’Examen périodique universel, dont l’efficacité dépend de la bonne volonté des autorités. Les autorités rejettent également le mécanisme de Moscou.
40. Mme Tsikhanouskaya estime que le Conseil de l’Europe a réagi rapidement aux événements dans son pays. Depuis septembre 2020, la situation ne s’est pas améliorée, avec plus de 1 500 cas de torture, environ 160 prisonniers politiques et une utilisation massive de gaz lacrymogènes par la police. Mme Tsikhanouskaya a salué les propositions du Professeur Benedek, le rapport de l’OSCE et le travail de documentation de Viasna. Elle a souligné la nécessité d’instaurer un mécanisme basé sur le principe de la juridiction universelle pour juger les auteurs des violations des droits humains et indiqué qu’elle travaille déjà sur ce sujet en coopération avec les autorités lituaniennes.
41. M. Hulak a également indiqué que la situation s’aggrave au Bélarus. Il n’y a pas eu d’enquêtes pénales sur les violations des droits humains. Les manifestants se sont vus infliger des amendes ou ont été placés en détention provisoire. Suite aux violations du droit électoral, les institutions publiques ont perdu leur légitimité. La Commission de Venise est le seul organe du Conseil de l’Europe avec lequel les autorités bélarusses coopèrent. M. Hulak a exprimé l’espoir que le Conseil de l’Europe élaborera des normes permettant d’établir un mécanisme judiciaire pour enquêter sur les violations des droits humains, avec certains pays voisins du Bélarus (notamment la Pologne, la Lituanie et la Lettonie). Il a rappelé que tous les droits sont indivisibles. Alors que l’économie se détériore au Bélarus, les grévistes sont punis et les travailleurs partent dans d’autres pays. Ainsi, les droits économiques sont également remis en cause. Son organisation a présenté son point de vue auprès des parlementaires après l’élection présidentielle. Les autorités ont proposé des réformes constitutionnelles, mais leurs propositions ne sont pas basées sur un dialogue avec la société 
			(46) 
			Les
discours complets des intervenants sont disponibles auprès du secrétariat
de la commission..

2.4. La campagne de répression continue en 2021

42. Le 17 février 2021, deux journalistes de Belsat TV, Kaciaryna Andrejeva (Bachvalava) et Darja Čuĺcova, ont été condamnées à 2 ans de prison pour atteinte grave à l’ordre public – pour avoir transmis en direct des images d’une manifestation d’opposition et sa répression brutale par les forces de l’ordre 
			(47) 
			Voir Belapan du 18 février 2021, citant
les réactions des représentants des fédérations internationale et
européenne de journalistes, qualifiant ces sentences de «criminalisation
du journalisme»; dans une déclaration du 19 février 2021, le porte-parole
du Service européen pour l'action extérieure de l’Union européenne
a également critiqué les condamnations des deux journalistes de
BELSAT TV et la nouvelle campagne d’intimidation contre les journalistes,
défenseurs des droits humains et avocats au Bélarus (voir: <a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/93528/belarus-statement-spokesperson-escalating-repression-journalists_en'>Belarus:
Statement by the Spokesperson on the escalating repression of journalists
– europa.eu)</a>..
43. Le 16 février 2021, de nombreux activistes, dont des défenseurs des droits humains 
			(48) 
			Voir
le communiqué de l’Observatoire pour la protection des défenseurs
des droits de l’homme du 16 février 2021., des avocats, des journalistes 
			(49) 
			Selon
l’Observatoire (note 49 ci-dessus), le quartier général de l’Association
des journalistes bélarusses (BAJ) a été l’une des cibles principales,
aux côtés des bureaux régionaux et central de Viasna. Baris Haretski,
directeur de la BAJ et Andrei Bastunets, son président, ont été
arrêtés dans leurs appartements tôt le matin. et des observateurs d’élection indépendants 
			(50) 
			Voir le communiqué
de la European Platform for Democratic Elections, 17 février 2021. ont été détenus, leurs bureaux et logements perquisitionnés et leur matériel technique confisqué. Cette campagne d’intimidation n’a pas épargné l’association de défense des droits humains bien connue Viasna, dont le Président, Aleh Bialiatski, est lauréat du prix Václav Havel de l’Assemblée et le Vice-Président, Valentin Stefanovich, a participé à l’audition organisée par notre commission le 8 décembre 2020.
44. Le 15 février 2021, j’ai reçu des informations particulièrement importantes sur la répression des organisations de la jeunesse au Bélarus. La présidente du Conseil consultatif sur la jeunesse du Conseil de l’Europe m’a informée des activités visant à soutenir le Conseil national de la jeunesse du Bélarus (RADA – une coalition de 28 organisations de jeunesse) et des répressions auxquelles sont exposées les initiatives des jeunes au Bélarus. Le président de notre commission, Boris Cilevičs, s’est également impliqué dans ces efforts en participant à un débat en ligne avec de jeunes militants du Bélarus.
45. Fin janvier 2021, RADA a fourni de plus amples informations sur les violations des droits humains des jeunes militants bélarusses: une partie de leur équipe a dû quitter le pays et ne peut pas revenir au Bélarus; un membre proche de la famille du secrétaire général a été arrêté une deuxième fois; neuf étudiants, représentants d'une organisation membre de RADA, l'Association des étudiants bélarusses, ont été incarcérés dans une prison du KGB; cette même organisation et le Groupe d'initiative des étudiants ont recueilli des preuves de la détention de 399 étudiants et de expulsion de 131 autres en 2020.
46. RADA fait tout son possible pour informer la communauté internationale de la situation dans le pays, y compris en adressant des communications au rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Bélarus et à d'autres représentants des Nations Unies, des informations qu’ils ont également partagées avec moi.
47. En somme, c’est bien de la jeunesse que doit venir le changement au Bélarus, c’est leur avenir qui est en jeu, c’est leur énergie et leur créativité qui fait peur au régime. Les jeunes Bélarusses méritent tout notre soutien, y compris par des bourses d’études à l’étranger pour les étudiants expulsés des facultés dans leur pays.
48. Le 11 février 2021, Maria Rabkova, activiste de Viasna qui a documenté de nombreuses violations des droits humains, dont des actes de torture, et qui est en détention depuis le 17 septembre 2020 (voir ci-dessus, paragraphe 28), a été accusée de nouveaux crimes, y compris de liens avec des activités terroristes. Elle risque jusqu’à 12 ans de prison. Il est à noter que ces accusations ont été lancées quelques heures seulement après la publication par la télévision d’État d’un reportage faisant un lien entre Viasna, Mme Rabkova et des activités terroristes présumées. D’autres membres de Viasna sont également poursuivis en justice sur la base d’articles peu clairs du Code pénal bélarusse, y compris Leanid Sudalenka, Maria Tarasenka, Tatsiana Lasitsa, Maryna Kastylianchanka et Aliaksandr Paplauski 
			(51) 
			Voir
les communiqués de l’Observatoire pour la protection des défenseurs
des droits de l’homme des 8 et 15 février 2021..
49. Le 3 février 2021, Siarhei Drazdouski et Aleh Hrableuski, respectivement directeur-fondateur et conseiller juridique du Bureau pour les droits des personnes handicapées, ont été arrêtés et placés en détention (M. Hrableuski) et assignés à résidence (M. Drazdouski) après la perquisition du siège de cette ONG. Leur détention serait liée à leur implication dans l’organisation des «marches des personnes handicapées» des 15 et 22 octobre 2020. Le 6 février 2021, des organisations locales des droits humains les ont reconnus comme prisonniers politiques 
			(52) 
			Voir le communiqué
de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de
l’homme du 12 février 2021..
50. En décembre 2020, j’ai été informé du calvaire d’un autre journaliste, Mikola Dziadok, qui aurait été arrêté le 12 novembre 2020 et torturé en prison à plusieurs reprises. Lauréat de plusieurs prix internationaux, il aurait déjà passé du temps en prison au Bélarus, et obtenu le soutien de plusieurs membres du Parlement européen en tant que prisonnier politique 
			(53) 
			<a href='https://therussianreader.com/2020/11/21/mikola-dziadok-a-tortured-political-prisoner-in-belarus/'>«A
Tortured Political Prisoner in Belarus», </a>Mikola Dziadok, The Russian
Reader, 19 novembre 2020..

2.5. L’avis de la Commission de Venise: des lois contraires aux obligations internationales du Bélarus

51. Ce sont les poursuites décrites ci-dessus et celles d’autres opposants au régime basées sur des articles du Code pénal bélarusse peu clairs et prévoyant, semble-t-il, des peines disproportionnées qui ont motivé la demande d’avis que notre commission a adressée à la Commission de Venise le 8 décembre 2020, sur ma proposition. La demande d’avis porte sur la compatibilité de certains articles du Code pénal bélarusse avec les principes européens en matière de législation pénale 
			(54) 
			L’avis de la Commission
de Venise a été adopté lors de sa réunion du 20 mars 2021 avec quelques
modifications par rapport au projet sur la base duquel j’ai travaillé,
suite à des commentaires que la Commission de Venise a reçus des autorités
bélarusses le 18 mars 2021, voir <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2021)002-e'>CDL-AD(2021)002</a>..
52. La Commission de Venise réitère d’abord ses recommandations déjà exprimées dans un avis conjoint avec le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE de 2012 par rapport à la «Loi sur les événements de masse» 
			(55) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2012)006-f'>CDL-AD(2012)006</a>, «Avis conjoint relatif à la loi sur les rassemblements
de masse de la République du Bélarus». qui prévoit une réglementation des manifestations administrativement lourde et restrictive, avec des sanctions disproportionnées en cas de non-respect 
			(56) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2021)002-e'>CDL-AD(2021)002</a>, op.pages 3 et 19-20.. La Commission de Venise reste préoccupée par la sur-règlementation des aspects procéduraux de la tenue d’assemblées. «Le droit interne crée une procédure compliquée de respect d'une procédure d'autorisation rigide et difficile, tout en laissant aux autorités administratives une très large marge d'appréciation pour l'application de la législation en vigueur. Concrètement, cela peut signifier que les manifestations ou contre-manifestations pacifiques spontanées sont de fait interdites. En ce qui concerne les dispositions (d'application) du droit pénal, certaines des principales préoccupations de la Commission de Venise sont la criminalisation des manifestants non violents; l'application de certaines dispositions en raison de l'utilisation de notions vagues; la responsabilité (pénale) des organisateurs d'une manifestation en raison d'actes imputables aux participants; et la sévérité (et le manque de clarté) des peines prévues par le Code pénal.» 
			(57) 
			Ibid.,
page 19, paragraphe 82.
53. En ce qui concerne la notion d’appel public au renversement violent de l’ordre constitutionnel (article 361.1 du Code pénal), celle-ci se prête à une interprétation contraire aux normes internationales en matière de liberté d’expression et de réunion. La Commission de Venise 
			(58) 
			ibid., page 19, paragraphes 77-78. s’inquiète notamment de l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle du Bélarus selon laquelle le vote lui-même est une institution démocratique que seuls les juges électoraux peuvent mettre en cause. Dans cette logique, les appels du «Conseil de coordination», sous l’égide de Mme Tsikhanouskaya, à manifester de manière pacifique contre la fraude électorale lors de l’élection présidentielle de 2020 seraient alors lourdement pénalisés; effectivement, de telles poursuites contre des membres du «Conseil de coordination» ont déjà été lancées 
			(59) 
			Ibid., page 19..
54. Il convient enfin de souligner que les conclusions de la Commission de Venise ne sont pas basées uniquement sur la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, sachant que le Bélarus est candidat à l’adhésion au Conseil de l’Europe, mais aussi sur l’article 21 du Pacte international relatif aux droit civils et politiques qui est entré en vigueur au Bélarus en 1973 ainsi que sur l’avis conjoint avec l’OSCE/BIDDH sus-mentionné ainsi que les «Lignes directrices communes sur la liberté de réunion pacifique» formulées conjointement par la Commission de Venise et le BIDDH 
			(60) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2019)017rev-f'>CDL-AD(2019)017rev</a>, «Lignes directrices communes sur la liberté de réunion
pacifique» (3e édition)., et qui, sans être juridiquement contraignants, sont applicables au Bélarus sur la base de ses engagements politiques en tant qu’État participant de l’OSCE.

2.6. De nouveaux rapports détaillent des cas de torture et confirment l’impunité de leurs auteurs

55. Le 26 janvier 2021, les ONG Comité contre la Torture (Nizhny Novgorod, Russie) et Organisation Mondiale contre la Torture ont publié un rapport détaillant des cas de torture et de traitements inhumains et dégradants commis par les membres des forces de sécurité et les stratagèmes utilisés par les autorités pour assurer l’impunité totale des auteurs de ces exactions 
			(61) 
			«<a href='https://www.omct.org/site-resources/files/Doklad_en_Web.pdf'>Corridor
of Truncheons. How popular demonstrations are met with massive police
violence and denial of justice</a>», CAT/OMTC, 26 janvier 2021. <a href='https://urldefense.proofpoint.com/v2/url?u=https-3A__www.omct.org_site-2Dresources_files_Doklad-5Fen-5FWeb.pdf&d=DwMGaQ&c=TetzAZAhVSko12xaT-KIa3n01u3Wp4WIyD-BXEVx9_hZ47o99lwGOl4RKAkT0Qeu&r=Wvsc7Pts8PeBqEA9E4m6uA&m=k7yxhDtph2JmO9Yt1Q-YtGGQGFPfu4OqZk7AtrjriFc&s=RnxWukksJnGN3IMHo3ZekrkSRQKWHy-gQfTWAZNkpXA&e='></a>. D’autres rapports importants ont été publiés par Viasna  
			(62) 
			«Belarus
after election. Report on the human rights situation in Belarus
in the post-election period», préparé par Viasna en collaboration
avec le Comité Helsinki du Bélarus, l’Association Bélarusse des
Journalistes, la Fédération Internationale des Droits de l’homme
(FIDH) et l’Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT), publié
le 9 décembre 2020; «Belarus. August 2020: Justice for Protesters»,
et «Human rights situation in Belarus in 2020 – Analytical Review», publié
le 5 janvier 2021. et Human Rights Watch 
			(63) 
			«World Report 2021»,
pages 84-92.. A mon avis, ces rapports, basés sur des recherches sur place et des interviews avec de nombreux témoins et victimes, viennent étayer davantage le besoin urgent d’un mécanisme international pour combattre l’impunité des auteurs de telles violations. Les preuves collectées par les ONG, même si elles ne peuvent pas être rendues publiques dans les rapports précités pour des raisons de sécurité, existent bel et bien et pourraient être mises à disposition d’un tel mécanisme international avec les précautions nécessaires.

3. La première urgence: libérer les prisonniers politiques

56. Dans sa Résolution 1900 (2012), l’Assemblée réaffirmait la définition de «prisonnier politique» déjà appliquée par le Comité des Ministres lors de l’adhésion de l’Arménie et de l’Azerbaijan au Conseil de l’Europe. Cette définition est résumée ainsi dans le paragraphe 3 de ladite résolution:
«Une personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée comme un «prisonnier politique»:

a. si la détention a été imposée en violation de l’une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et ses protocoles, en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information et la liberté de réunion et d’association;
b. si la détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction quelle qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques, la durée de la détention ou ses conditions sont manifestement disproportionnées par rapport à l’infraction dont la personne a été reconnue coupable ou qu’elle est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques, la personne est détenue dans des conditions créant une discrimination par rapport à d’autres personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement d’une procédure qui était manifestement entachée d’irrégularités et que cela semble être lié aux motivations politiques des autorités.» (SG/Inf(2001)34, paragraphe 10).

57. Le Bélarus n’est pas un État Partie à la Convention européenne des droits de l’homme. Celle-ci est néanmoins le cadre de référence approprié pour l’application de la définition de prisonnier politique au Bélarus, car elle contient essentiellement les mêmes droits que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, signé et ratifié par le Bélarus.
58. Les différentes catégories décrites ci-dessus de personnes ayant perdu leur liberté à cause de leur activisme rentrent aisément dans cette définition.
59. Les manifestants pacifiques mis en détention pour avoir simplement exercé leurs libertés d’expression, d’association et de réunion remplissent toutes les conditions du paragraphe 3.a. de cette définition. La violation de la liberté d’expression, d’association et de réunion y est d’ailleurs expressément mentionnée.
60. De même, les journalistes, défenseurs des droits humains et avocats poursuivis pour des crimes mal définis dans le Code pénal et qui criminalisent des comportements faisant partie de l’exercice normal des droits fondamentaux dans une démocratie relèvent du paragraphe 3.a.
61. Les cas où des opposants sont poursuivis pour des crimes de droit commun (donc des crimes dont la définition n’a pas de connotation «politique» ouverte, comme la fraude, les crimes violents et/ou sexuels etc.), mais sur la base d’accusations inventées de toute pièce, sans preuves crédibles, correspondent au paragraphe 3.b. Cela semble être le cas du candidat à la présidentielle, Viktar Babaryka 
			(64) 
			«Former Belarusian
Banker, Would-Be Presidential Candidate To Face Trial On February
17», rferl.org, 4 février 2021., ainsi que ceux des manifestants pacifiques accusés de violences.
62. Enfin, dans un grand nombre de cas, on peut aussi faire référence au paragraphe 3 de la Résolution 1900 (2012). C’est le cas notamment dans les affaires où les accusés n’ont pas eu accès à un avocat, ou celles où de nouveaux chefs d’accusation sont ajoutés pour justifier une prolongation de la détention provisoire au-delà des délais légaux. Nous avons déjà rencontré un certain nombre d’affaires de ce type, par exemple celle de la défenseure des droits humains de Viasna, Maria Rabkova.
63. Il va de soi que toutes les personnes qui ont perdu leur liberté et qui répondent à la définition de prisonniers politiques de l’Assemblée doivent être libérées sans délai. Vu les conséquences graves de toute privation de liberté pour les prisonniers et prisonnières ainsi que pour leurs familles, cela doit être notre première urgence.

4. La deuxième urgence: combattre l’impunité pour dissuader de nouvelles violations

64. Toutes nos sources confirment qu’à ce jour, aucun des policiers anti-émeutes violents n’a été poursuivi, malgré les nombreuses preuves collectées et publiées par les ONG, y compris les identités des responsables présumés. Dans l’affaire du manifestant mort en détention, Raman Bandarenka, ce ne sont ni les policiers ni les gardiens de prison qui sont poursuivis, mais la journaliste, Katsyarina Barysevich, qui a enquêté sur cette affaire, et le médecin traitant de M. Bandarenka, Artsyom Sarokin. Mme Barysevich et M. Sarokin sont accusés d’avoir rendu publiques des données personnelles, malgré le fait que la mère de M. Bandarenka les a bien autorisés à rendre publiques les informations sur l’état de santé et les blessures de son fils 
			(65) 
			«<a href='https://www.independent.co.uk/news/world/americas/belarus-journalist-on-trial-over-report-on-protesters-death-journalist-alexander-lukashenko-data-protester-protester-b1804669.html'>Belarus
journalist on trial over report on protester's death journalist
Data protester»</a>, The Independent,
20 février 2021..
65. Face au manque de volonté des autorités nationales, les instruments internationaux font également défaut: le Bélarus, bien qu’étant partie contractante, depuis le temps de l’Union soviétique, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants des Nations Unies (UNCAT), n’a pas signé le Protocole facultatif de cette Convention, qui permet des plaintes individuelles. De même, le Bélarus ne fait pas partie de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), bien que, sur invitation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, le Bélarus pourrait accéder à cette convention avant même d’adhérer au Conseil de l’Europe. Le Bélarus n’a pas non plus adhéré au Traité de Rome établissant la Cour pénale internationale. Les autorités bélarusses ne coopèrent pas non plus avec les rapporteurs spéciaux compétents des Nations Unies, ni avec celui du mécanisme de Moscou de l’OSCE, Wolfgang Benedek.
66. Pour certains crimes particulièrement graves, dont la torture, les autorités pénales d’autres États que celui de la nationalité du suspect ou de la victime présumée ou encore du lieu du crime peuvent se saisir d’une affaire sur la base de la «compétence universelle», prévue expressément par l’article 5 paragraphe 2 de l’UNCAT selon la législation nationale. Pour mieux évaluer la portée pratique potentielle de cette possibilité, j’ai adressé un questionnaire à tous les parlements européens via le Centre Européen de la Recherche et de Documentation Parlementaires (CERDP). J’ai demandé si la législation nationale permettait de poursuivre pénalement les auteurs présumés d’actes de torture commis au Bélarus, par un citoyen bélarusse et ayant comme victimes des citoyens bélarusses. J’ai reçu plus de trente réponses, dont une grande partie étaient négatives. La législation de certains pays ne prévoit simplement pas de compétence juridictionnelle pour un crime commis à l’étranger – sauf si l’auteur ou la victime ont leur nationalité ou si des intérêts nationaux sont en jeu. D’autres réponses étaient affirmatives, mais la compétence internationale de leurs autorités est soumise à la condition que l’auteur présumé se trouve sur le territoire national, soit temporairement (Albanie, Allemagne 
			(66) 
			Un tortionnaire des
services secrets syriens, qui s’est «réfugié» en Allemagne et a
été reconnu par certaines de ses victimes vient d’être jugé à Coblence
en Allemagne sur la base de la compétence universelle pour des cas
de torture (<a href='https://www.welt.de/debatte/kommentare/article227036219/Die-Signalwirkung-der-Urteile-von-Koblenz-und-Celle.html'>«Die
Signalwirkung der Urteile von Koblenz und Celle»</a>, Die Welt, 25
février 2021). , Géorgie, Royaume Uni), soit comme résidant de longue durée (France, Espagne). D’autres réponses indiquent que la possibilité de telles poursuites existe bien en droit, en théorie, mais que pour des raisons pratiques, elles sont peu probables (Irlande). Le seul pays qui a indiqué que de telles poursuites sont déjà en cours est la Lituanie, que je tiens à féliciter ici.
67. Fidèle à l’article 5.2 de l’UNCAT, de nombreux pays ont bel et bien créé la possibilité juridique d’agir, notamment en cas d’impossibilité de faire extrader le suspect – comme ce serait le cas d’un citoyen bélarusse qui bénéficie de l’impunité dans son pays, lequel ne demandera donc pas son extradition. Dans ces pays, les raisons de l’inaction sont plutôt de nature pratique. La loi permet bien les poursuites contre un tortionnaire présumé qui se trouve sur le territoire national. Mais quand les autorités compétentes ne sont pas au courant qu’une telle personne se trouve sur le territoire national, elles sont dans l’incapacité pratique d’agir.
68. A mon avis, cette incapacité n’est pas irrémédiable. C’est ici qu’un mécanisme international, même modeste, peut venir à la rescousse. Un mécanisme tel que la «plate-forme de coordination» proposée au sein du Parlement européen, pourrait collecter et évaluer les informations pertinentes, avec la participation de la société civile et des acteurs internationaux compétents, comme le Conseil de l’Europe, l’OSCE et les rapporteurs spéciaux onusiens, et les mettre à la disposition des autorités nationales des pays ayant mis en place une compétence universelle pour des cas de torture sous condition que les auteurs présumés se trouvent sur le territoire national. Une liste fournie par la plate-forme à tous les États intéressés de personnes suspectées d’être impliquées dans des actes de torture permettrait de les appréhender dès qu’elles traversent la frontière; et les informations et preuves collectées et évaluées par la plate-forme pourraient aider les autorités nationales à conduire des enquêtes ciblées. En attendant, l’existence même de telles listes enverrait un signal fort aux auteurs passés, présents et futurs de tels actes.
69. Cette manière de combattre l’impunité ne peut fonctionner que dans les cas les plus graves de violations des droits humains pouvant être classées d’actes de torture ou de peines ou traitements inhumains et dégradants et qui tombent par conséquent sous le coup de l’article 5.2 de l’UNCAT.
70. Mais pour d’autres violations des droits humains, comme la privation arbitraire de liberté, ou les coups et blessures n’atteignant pas le seuil de la torture, il y a également un instrument potentiel pour faire rendre des comptes à leurs auteurs présumés: les «lois Magnitski» 
			(67) 
			Sergei
Magnitski était un fiscaliste russe qui avait révélé une fraude
fiscale à grande échelle et avait accusé des policiers d’avoir été
impliqués. Il s’est retrouvé lui-même en détention provisoire, sous
l’autorité des policiers qu’il avait accusés, et y est mort de manière
atroce au bout d’un an. Les responsables présumés de la mort de
M. Magnitski jouissent d’une impunité totale, tandis que son ancien
client, le financier britannique William Browder, a mené une campagne
mondiale pour faire adopter des lois permettant de sanctionner de
manière ciblée les responsables de graves violations des droits
humains jouissant de l’impunité dans leur pays. (voir Résolution 2252 (2019) «Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions ciblées
dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues» et Résolution 1966 (2014) «Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski»). adoptées dans de nombreux pays permettant d’infliger des sanctions «ciblées» ou «intelligentes» (par exemple, des interdictions de visas, ou le gel de comptes bancaires ou d’autres avoirs) aux auteurs de violations graves des droits humains jouissant de l’impunité dans leurs pays d’origine, pour des raisons politiques ou de corruption.
71. L’Assemblée a elle-même a recommandé l’adoption de telles lois aux États membres du Conseil de l’Europe 
			(68) 
			Voir Résolution 2252 (2019).. Les États-Unis et le Canada l’ont déjà fait. En Europe, des «lois Magnitski» ont été adoptées par les trois États baltes, le Royaume-Uni et l’Ukraine. Un pas en avant très important a été l’adoption, en décembre 2020, d’une telle législation au niveau de l’Union européenne 
			(69) 
			Voir par exemple <a href='https://www.opinion-internationale.com/2020/12/10/adoption-unanime-de-la-loi-magnitski-europeenne-une-avancee-majeure-de-lue-en-matiere-de-droits-humains_82954.html'>«Adoption
unanime de la «loi Magnitski» européenne, une avancée majeure de
l’UE en matière de droits humains», opinion-internationale.com</a>; <a href='https://www.theguardian.com/world/2020/nov/27/eu-to-use-magnitsky-style-law-to-impose-sanctions-on-human-rights-abusers'>«EU
to use Magnitsky-style law to impose sanctions on human rights abusers»,
The Guardian</a>; <a href='https://www.rferl.org/a/eu-adopts-magnitsky-sanctions-rights-abusers/30988436.html'>«EU
Adopts 'Magnitsky' Sanctions Regime To Target Rights Abusers», rferl.org.</a>. Là encore, la future «plate-forme de coordination» peut s’avérer utile, en fournissant des noms de personnes qui pourraient être incluses sur les «listes Magnitski» ainsi que des informations fiables pouvant servir à étayer les accusations contre les personnes en question.

5. L’abolition de la peine de mort – une priorité constante

72. Le Bélarus est le seul État du continent européen qui procède encore à des exécutions sur son territoire. Bien qu'il ait pris des engagements internationaux en ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 12 novembre 1973, il n'est pas partie à son deuxième protocole facultatif du 15 décembre 1989 
			(70) 
			<a href='https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/2ndOPCCPR.aspx'>Deuxième
protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, ohchr.org.</a>, visant à abolir la peine de mort.
73. A plusieurs reprises, le Conseil de l'Europe, y compris l'Assemblée, ont condamné l'application de la peine de mort au Bélarus et ont appelé à son abolition, en commençant par l'introduction d'un moratoire. Le rapporteur général de l'Assemblée sur l'abolition de la peine de mort, actuellement M. Vladimir Vardanyan (Arménie, PPE/DC), suit de près la situation dans ce pays 
			(71) 
			Pour plus d’information,
voir la note d’information du rapporteur général précédent, M. Titus
Corlăţean (Roumanie, SOC), AS/Jur(2020)30 déclassifiée, 15 octobre
2020..
74. En 2017, un groupe de travail chargé d'étudier la question de l'abolition de la peine de mort a été créé au sein de l'Assemblée nationale bélarusse, pour sensibiliser l'opinion publique à la nécessité d'instaurer un moratoire, mais à ce jour, sans résultat tangible. Selon des informations récentes, un ensemble d'amendements législatifs supprimant la peine de mort du Code pénal est en cours d'élaboration à l'initiative des organes chargés de l’application de la loi 
			(72) 
			<a href='https://belsat.eu/en/news/belarus-mps-to-mull-over-abolishing-death-penalty/'>«Belarus
MPs to mull over abolishing death penalty», belsat.eu.</a>.
75. L'abolition de la peine de mort reste également une priorité dans les travaux actuels du Conseil de l'Europe sur la situation au Bélarus après l’élection présidentielle du 9 août 2020. Si le paquet législatif susmentionné parvient au Parlement bélarusse, l’Assemblée devra s'en féliciter et encourager le parlement à l'adopter sans délai.

6. Conclusions

76. Nous avons vu qu’il y a d’ores et déjà de nombreux rapports crédibles et concordants que des violations graves des droits humains se sont produites et continuent à se produire – des violations du droit à des élections libres frappant tout le peuple bélarusse; des violations de la liberté d’expression, d’information et d’association de tous ceux et celles qui sont empêchés de manifester pacifiquement et de s’informer dans des médias libres; des violations du droit à la liberté et à la sûreté de tous ceux et celles qui ont été arrêtés arbitrairement pour des périodes plus ou moins longues; des violations du droit à un procès équitable de tous ceux et celles qui sont soumis à une justice, tout porte à le croire, à la botte du régime; et enfin des violations les plus graves, les tortures et traitements inhumains ou dégradants déjà documentés par de nombreux témoignages et photos; les «disparitions» temporaires de personnes enlevées et incarcérées sans pouvoir contacter leurs proches; et même des atteintes au droit à la vie.
77. Toutes ces violations ont bien des auteurs individuels et des commanditaires qui ont ordonné ou pour le moins toléré ces exactions. Les militants de la liberté ont eu recours à des méthodes parfois peu orthodoxes pour démasquer les auteurs des pires exactions. Des cagoules ont été enlevées, des identités ont été découvertes, des preuves vidéo ont été collectées de manière courageuse. Les autorités compétentes du Bélarus ne semblent clairement pas prêtes à faire la justice dans leur pays. Il appartient donc à la communauté internationale d’assurer que les violations des droits humains au Bélarus ne restent pas impunies. C’est nécessaire par principe, au nom de la justice universelle, et c’est nécessaire en tant que mesure préventive, pour envoyer un signal fort à ceux qui commettraient des violations des droits humains à l’avenir: qu’ils courent eux-mêmes un risque – le risque d’être poursuivis en justice pour leurs méfaits ou pour le moins de perdre la possibilité de voyager librement en Europe et de profiter de leurs avoirs mal acquis.
78. Des possibilités réelles existent – notamment la compétence universelle de nombreuses juridictions nationales, et les «lois Magnitski» nationales et européenne. Leur efficacité peut être fortement améliorée en ajoutant un outil de mécanisme international, sous forme de la «plate-forme de coordination» imaginée au Parlement européen qui collectionne, analyse et évalue les informations fournies par la société civile bélarusse, avec la participation d’experts des acteurs internationaux participants, parmi lesquels doivent figurer le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, l’OSCE et les rapporteurs spéciaux compétents des Nations Unies.