1. Introduction
1. Le dernier rapport de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, élargie aux délégations des parlements
nationaux des États membres de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) qui ne sont pas membres du Conseil
de l’Europe et du Parlement européen (Assemblée élargie) date d’octobre
2017. Il couvre les activités de l’OCDE durant la période 2016-2017
(voir
Résolution 2181
(2017)).
2. À la suite de la rencontre entre l’ancien Président de l’Assemblée,
M. Michele Nicoletti et le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel
Gurría, en février 2018, et des contacts entre les Secrétariats
respectifs, il a été convenu en janvier 2019 de renouveler l’approche
des relations entre l’Assemblée et l’OCDE pour renforcer et rendre
plus efficaces les relations institutionnelles, rationaliser les
procédures et mieux utiliser les atouts des deux organisations.
3. Conformément à l’accord conclu
,
les débats de l’Assemblée élargie sur les activités de l’OCDE ont
lieu tous les deux ans, sur la base d’un rapport présenté par la
Commission des questions politiques et de la démocratie, avec la
participation de délégations des parlements nationaux des États
membres de l’OCDE non-membres du Conseil de l’Europe, du Parlement
européen, et du Secrétaire général de l’OCDE. Les rapports porteront
sur des thèmes spécifiques à définir par le/la rapporteur·e en collaboration
avec l’OCDE. Au cours de la même année, un échange de vues avec
des experts de l’OCDE doit être inscrit à l’ordre du jour de la commission
dans le cadre de la préparation du rapport de la commission sur
les activités de l’OCDE.
4. Pendant l’année où il n’y a pas de débat de l’Assemblée élargie
sur les activités de l’OCDE, une délégation de l’Assemblée, présidée
éventuellement par le/la Président·e de l’Assemblée ou par le/la Président·e
de la Commission des questions politiques et de la démocratie, participe
en qualité de partenaire institutionnel au Réseau parlementaire
mondial de l’OCDE. Au cours de la même année, la Commission des questions
politiques et de la démocratie tient en principe une réunion au
siège de l’OCDE afin de procéder à un échange de vues avec des experts
de l’OCDE.
5. En conséquence, une délégation de l’Assemblée, présidée par
l’ancienne Présidente de l’Assemblée, Mme Liliane
Maury Pasquier, a participé pour la première fois en tant que partenaire
institutionnel au Réseau parlementaire mondial de l’OCDE en octobre
2019.
6. À la suite d’une proposition de résolution approuvée par la
commission conformément aux nouvelles modalités, j’ai été désigné
rapporteur sur cette question en janvier 2020.
7. En ce qui concerne le champ d’application du rapport, j’ai
l’intention de m’intéresser à une question d’actualité sur laquelle
l’OCDE a travaillé ces dernières années et qui revêt une importance
politique particulière dans l’ensemble des États membres du Conseil
de l’Europe: les problèmes soulevés par les preuves d’injustice
fiscale dans le cadre de l’actuelle crise de l’économie et de l’emploi,
en particulier la fiscalité de l’économie numérique, compte tenu
des travaux de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert
de bénéfices (
BEPS). Le rapport
comprendra également un chapitre sur les travaux récents de l’OCDE
sur les réponses des politiques fiscales à la pandémie de covid-19
; y compris sa base de données
de mesures mises en œuvre par les
gouvernements en réponse à la crise qui fournit des orientations
utiles aux gouvernements et aux parlements des États membres.
8. La capacité des gouvernements à lever des fonds par le biais
de la fiscalité nécessaire au financement des services publics est
un point d’ancrage fondamental de la démocratie. Lorsque les stratégies
d’évasion fiscale des entreprises et des particuliers sapent les
capacités de financement légitimes des gouvernements, les fondements
mêmes de la démocratie, de la justice et de l’équité sont menacés
.
Dans le cadre des activités de l’OCDE, l’Assemblée élargie a déjà
reconnu qu’il importait de s’attaquer aux inégalités sociales et
de mettre en œuvre des mesures appropriées pour atténuer les problèmes
d’emploi, afin de contribuer à assurer une croissance durable et
inclusive, ce qui permettra de rétablir la confiance dans notre
système de gouvernance
. Je
me réfère également à un certain nombre de rapports pertinents préparés
par la Commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable sur les paradis fiscaux, la taxe sur les transactions financières,
les
Panama papers et plus
récemment sur l’économie de plateforme
.
9. Plusieurs études démontrent l’existence d’une concurrence
entre les pays pour abaisser le taux d’imposition des sociétés,
ce qui risque de provoquer une course au rabais: en 1980, le taux
d’imposition des sociétés dans le monde était en moyenne de 40,38 %,
et de 46,67 % après pondération par rapport au PIB, tandis qu’en
2019 la moyenne était de 24,18 %, et de 26,30 % après pondération
par rapport au PIB. Les paradis fiscaux et d’autres pratiques d’évasion
fiscale, comme le recours factice à des sociétés offshore, compromettent
les recettes publiques et contribuent à donner aux citoyens le sentiment
que le système fiscal est inéquitable
. Toutefois, la conception de la politique
fiscale par les gouvernements et les parlements peut également conduire
à donner des signaux contradictoires sur la fiscalité, qui est parfois
utilisée comme une mesure incitative et dont les adeptes de l’optimisation
et de l’évasion fiscales font par conséquent un usage abusif.
10. Le monde étant devenu plus interconnecté et plus numérique
ces dernières décennies, de plus en plus d’éléments montrent que
les pratiques agressives d’optimisation et d’évasion fiscale ont
été adoptées par de nombreuses sociétés multinationales, ce qui
rend primordiale la coordination internationale pour répondre à l’érosion
de l’assiette fiscale et à la baisse des recettes fiscales. Selon
les estimations, près de 40 % des bénéfices des multinationales
sont transférés vers des paradis fiscaux, les pays européens figurant
parmi les grands perdants de l’opération
.
Selon d’autres estimations, la fraude fiscale des sociétés internationales
et l’évasion fiscale des particuliers font perdre chaque année aux
pays du monde plus de US$427 milliards d’impôts au total, ce qui
coûte à ces pays l’équivalent de près de 34 millions de salaires
annuels d’infirmière chaque année
.
11. La numérisation de l’économie et le développement de géants
technologiques (GAFA, c’est-à-dire Google, Amazon, Facebook, Apple)
ont rendu plus urgente que jamais la nécessité d’opter pour le multilatéralisme
et pour des réponses politiques coordonnées au niveau international.
L’assujettissement fiscal classique, fondé sur des notions comme
«l’établissement stable», est largement dépassé dans l’économie numérique,
où la majeure partie de la valeur est créée par des plateformes
virtuelles et apatrides. À cet égard, les travaux que mène actuellement
l’OCDE ont une importance capitale et cette dernière doit continuer
à jouer son rôle de premier plan dans l’action internationale menée
pour rendre les politiques fiscales plus équitables dans le monde
entier.
12. Face à la dernière crise économique en date provoquée par
la pandémie de covid-19, il devient plus urgent que jamais de s’attaquer
à ces problèmes et de fournir aux gouvernements une base d’imposition
plus large pour couvrir leurs besoins de financement public.
Selon
la déclaration approuvée par le Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE
et du G20, en octobre 2020,
«La
crise de la covid-19 a davantage aggravé ces défis fiscaux en accélérant
la numérisation de l’économie, en exacerbant la pression sur les
finances publiques et en réduisant la tolérance du public à l’égard
des entreprises multinationales rentables (EMR) qui ne paient pas leur
juste part d’impôts».
2. L’OCDE et l’imposition de l’économie
du numérique
13. Lors de la réunion de la Commission
permanente de l’Assemblée, qui s’est tenue le 12 octobre 2020, le Secrétaire
général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a fait la déclaration suivante:
«L’OCDE a travaillé dur pour construire un système fiscal international
plus équitable et plus transparent, en s’attaquant aux problèmes
de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices
(BEPS), ainsi qu’aux entraves auxquelles se heurtent les pays en
développement lorsqu’il s’agit d’imposer les multinationales. Nous
réalisons également des progrès considérables pour offrir une solution
mondiale aux défis fiscaux que nous lancent nos économies numérisées».
14. Par le biais du Cadre inclusif sur le BEPS, les travaux de
l’OCDE ont permis de mener et de coordonner l’action des pays du
monde entier, en vue de l’élaboration d’un cadre global pour traiter
la question de l’imposition des sociétés multinationales hautement
numérisées et de la répartition des bénéfices imposables entre les
pays. Le Cadre inclusif réunit sur un pied d’égalité 137 pays chargés
de mettre en œuvre les 15 actions du BEPS adoptées en 2015
. En outre,
le Cadre inclusif élabore actuellement de nouvelles règles fiscales
internationales face aux défis fiscaux engendrés par la numérisation.
15. En raison du coût induit pour les autorités fiscales par une
optimisation fiscale agressive et du recours à la technologie et
à la propriété intellectuelle de la plupart des multinationales
numériques, il devient plus difficile encore de relever les défis
de la réforme de la fiscalité internationale. L’importance économique
et sociale de ces multinationales les placent dans une position
où elles fixent elles-mêmes les prix, puisqu’elles font face à une
faible concurrence, voire à une absence totale de concurrence.
16. La première des nombreuses actions comprises dans le Cadre
inclusif sur le BEPS (OCDE/G20) porte sur les réponses politiques
aux défis fiscaux découlant de l’économie numérique. Les travaux
récents d’élaboration de ces propositions politiques ont permis
de réaliser des progrès significatifs sur la manière dont les droits
d’imposition devraient être répartis entre les pays, face à des
dispositions et transactions commerciales qui concernent des pays
à forte et à faible imposition.
17. Les propositions politiques sont réparties en deux piliers.
Le Pilier 1 aborde les problèmes plus larges de la fiscalité de
l’économie numérique et s’intéresse au mode de définition des droits
fiscaux (c’est-à-dire le lien d’imposition) et de répartition des
recettes imposables entre les pays. Le second Pilier aborde les
autres questions du BEPS liées à l’optimisation fiscale, par l’établissement
d’un impôt minimum mondial
.
18. Les travaux relatifs au Pilier 1 ont progressé ces dernières
années, les pays participants s’étant de plus en plus engagés à
trouver une solution consensuelle d’ici à la mi-2021. Les positions
convergentes des pays ont abouti à une déclaration commune en janvier
2020 décrivant le cadre général des discussions pour les deux piliers
.
Bien que les positions, actions et opinions unilatérales soient
toujours très affirmées parmi les pays participants, le travail
se poursuit en 2021 en vue d’un accord consensuel sur les deux piliers.
19. Afin de contribuer aux actions liées au BEPS concernant l’imposition
numérique, la Commission européenne a publié en 2018 sa propre proposition
de Directive du Conseil fixant les règles applicables aux sociétés
ayant une présence numérique significative dans les États membres
de l’Union européenne. La Directive, qui envisageait une solution
globale d’imposition des services numériques dans l’Union européenne, était
destinée à contribuer au travail en cours portant sur le Cadre inclusif,
que l’Union européenne jugeait essentiel pour parvenir à un consensus
mondial
. Les propositions de la Commission
ont défini des critères en vue d’établir le lien d’imposition d’une
société numérique
.
20. Trois critères alternatifs, représentant des indicateurs de
l’activité d’une multinationale dans les États membres, étaient
proposés dans la Directive. Ils visaient à déterminer «l’empreinte
numérique» des sociétés opérant dans les États membres. Ils étaient
fondés sur une imposition en fonction du lieu de l’établissement stable,
mais visaient à réaffecter la part des bénéfices découlant de la
création de valeur par la participation des utilisateurs (par exemple,
la collecte de données par la notation des biens et des services
sur les plateformes électroniques).
21. Outre la directive, les propositions de la Commission européenne
comprenaient une taxe provisoire de 3 % prélevée sur les recettes
des activités numériques
. Cette taxe visait à assurer des
recettes immédiates aux États membres provenant de sociétés réalisant
certaines activités numériques dans des pays où elles ne sont pas
imposables en vertu des principes actuels de «l’établissement stable».
La Commission a défini le champ d’application de la taxe proposée
sur la base de critères qualitatifs (consommation de services numériques)
et quantitatifs (sociétés dont le chiffre d’affaires annuel mondial
est supérieur à €750 millions et dont les recettes au sein de l’Union
européenne dépassaient €50 millions
.
22. Au niveau de l’Union européenne, les ministres des Finances
ont discuté des propositions de la Commission européenne en décembre
2018 mais n’ont pas pu parvenir à un accord malgré le soutien de
la majorité des États membres.
23. Les différences entre les pays quant à leurs propositions,
mises en évidence par les points de vue divergents de part et d’autre
de l’Atlantique sur la manière de traiter l’imposition des sociétés
numériques, sont révélatrices des difficultés rencontrées pour parvenir
à une solution consensuelle dans le cadre du Cadre inclusif.
24. Il est évident que l’évolution au niveau mondial des modèles
économiques des multinationales à forte numérisation ainsi que l’essor
de l’optimisation fiscale et des pratiques d’évasion fiscale, appellent
un changement des principes et des normes de la fiscalité internationale.
La réforme de la fiscalité internationale au niveau de l’OCDE et
du G20 est particulièrement importante, puisque l’existence de législations
fiscales nationales contradictoires donne lieu à des litiges, à
une insécurité juridique pour les entreprises soumises à l’impôt
et à des frais administratifs importants pour les autorités fiscales.
Comme l’a affirmé le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría,
lors de la réunion de la Commission permanente du 12 octobre 2020, «[…]
les 137 membres du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20
ont publié les schémas directeurs (Blueprints)
des deux piliers, le schéma directeur du Pilier 1 et le schéma directeur
du Pilier 2. Nous approchons de la ligne d’arrivée, mais nous n’y
sommes pas encore tout à fait parvenus, car il reste à aplanir des
divergences politiques et à achever d’autres travaux techniques;
des compromis politiques sont par conséquent nécessaires pour parvenir
à un consensus complet d’ici le milieu de l’année 2021».
25. Outre la nécessité de parvenir à un accord consensuel pour
consolider les finances publiques face à la pandémie en cours
, la déclaration liminaire faite par le Cadre
inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G2O au sujet des schémas directeurs
du Pilier 1 et du Pilier 2, approuvée les 9 et 10 octobre 2020,
parle également de la nécessité constante d’améliorer l’équité fiscale
par la conception d’une répartition plus équitable de la charge
fiscale entre les entreprises et les particuliers et l’instauration
d’une plus grande égalité des conditions fiscales entre les pays
de l’OCDE et du G20
.
3. Pilier 1: une approche unifiée et
un nouveau droit d’imposition
26. Après discussion de diverses
propositions par les membres du Cadre inclusif, il avait été convenu d’utiliser
une ‘approche unifiée’ de l’architecture du Pilier 1 comme base
pour les négociations qui ont débutées en janvier 2020. Au cœur
de l’Approche unifiée se trouve la volonté d’octroyer certains droits
d’imposition aux pays du marché.
27. L’approche unifiée implique l’instauration d’un nouveau droit
d’imposition qui s’appliquerait aux sociétés indépendamment de leur
présence physique dans les pays où elles opèrent. Ce nouveau droit
vise plutôt à attribuer une partie des bénéfices résiduels aux pays
où elles opèrent en utilisant une formule ou un «quantum» convenu
. Les États-Unis ont suggéré une
pause dans les discussions avec l’OCDE sur la taxation internationale
alors que les gouvernements du monde se concentrent sur la réponse
à la pandémie de covid-19 et à rouvrir prudemment leurs économies
. Certains craignent que la présidence
de Joe Biden ne marque pas un tournant dans la collaboration des
États-Unis au sujet du projet BEPS, en raison de «la nature profonde
des entreprises américaines et de l’idée d’assurer la défense de
[leurs] champions nationaux»
, puisque la plupart des multinationales
affectées par le Pilier 1 sont établies aux États‑Unis.
28. La nécessité d’instaurer un droit d’imposition pour les sociétés
ayant une présence numérique découle de la manière dont les modèles
économiques ont évolué au fil des ans pour devenir de plus en plus
mondiaux pour ce qui est de leur présence, plus numériques pour
ce qui est de leur fonctionnement et plus axés sur l’utilisateur
pour ce qui est de leur approche. En particulier, la participation
de différents utilisateurs sous la forme de plateformes, qu’ils
soient consommateurs ou fournisseurs de produits et de services,
a modifié la nature de la production, de telle sorte qu’il n’est
plus possible d’attribuer les bénéfices imposables suivant des règles
fondées exclusivement sur la présence physique dans un pays.
29. Selon les pratiques fiscales internationales actuelles, une
société non-résidente n’est imposée dans un pays que si elle dispose
d’un établissement stable, sous la forme d’une présence physique
dans ce pays ou sous la forme d’un agent exerçant une activité au
nom de la société non-résidente. La numérisation limite fortement
la capacité des pays à imposer une société sur la base de sa présence
physique. Si l’imposition de ces sociétés était fondée uniquement
sur la présence physique, la majorité des pays n’auraient qu’un
droit limité, voire nul, de percevoir un impôt sur leurs activités,
alors même que ces sociétés réalisent des bénéfices dans leur juridiction,
même à distance. Une société non-résidente peut par exemple exercer
des activités commerciales et mener des négociations par le biais
d’intermédiaires, ce qui lui permettrait d’éviter d’entrer dans
le champ d’application de la définition d’établissement stable,
tout en concluant des contrats dans des filiales étrangères établies
fiscalement dans des paradis fiscaux ou des pays à faible fiscalité.
Le développement de la numérisation affecte la mobilité des sociétés
et favorise les pratiques d’optimisation et d’attribution fiscales
des sociétés concernées, ce qui a souvent pour conséquence que des
bénéfices limités sont attribués aux pays dans lesquels elles opèrent.
Le champ d’application du nouveau droit d’imposition tente de répondre
à ce type d’activités de l’économie numérique.
30. Le nouveau droit d’imposition s’appliquera en particulier
à deux grandes catégories de sociétés. Premièrement, aux sociétés
multinationales qui fournissent des services numériques automatisés
dans le monde entier. Beaucoup de ces sociétés dépendent des utilisateurs
pour la fourniture de services, par exemple de leurs données à caractère
personnel, de l’optimisation personnelle du contenu et du contenu
que les utilisateurs eux-mêmes fournissent à la plateforme. Les
sociétés de cette catégorie sont notamment de grandes plateformes
de réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des services de
diffusion en continu, qui, au fil des ans, ont gagné en présence
sur le marché et en importance pour figurer parmi les plus valorisées sur
les marchés boursiers mondiaux. Ce nouveau droit d’imposition s’appliquerait
aussi par exemple à l’informatique en nuage (cloud).
La seconde catégorie de sociétés comprend les sociétés au contact
des consommateurs, c’est-à-dire les multinationales qui réalisent
des recettes en vendant des biens et des services à la fois en ligne
et directement au consommateur. Ces sociétés sont capables de développer
des contacts avec les consommateurs de manière significative, au-delà
de leur présence physique locale, en se basant sur la technologie
numérique pour les atteindre en vue de leur vendre leurs produits
et de bâtir une relation client, ainsi que pour cibler des groupes
spécifiques de clientèle. La portée précise du nouveau droit d’imposition
pour cette seconde catégorie de sociétés sera définie à l’occasion
des travaux actuels du Cadre inclusif.
3.1. Comparaison entre l’approche unifiée
du Pilier 1 et des initiatives européennes similaires
31. Le nouveau droit d’imposition
s’écarte à plusieurs égards de la proposition de Directive de 2018
de la Commission européenne sur l’imposition des sociétés à forte
présence numérique. Actuellement, les États peuvent lever des impôts
sur la base des bénéfices déclarés par les sociétés qui ont une
présence physique dans leur pays. La Directive détermine l’attribution
d’une taxe numérique basée sur la localisation des utilisateurs
finaux mais ne différencie pas les bénéfices réalisés dans des lieux
spécifiques par les utilisateurs finaux. La nouveauté concernant
ce nouveau droit d’imposition réside dans le fait qu’une part du
profit résiduel du groupe multinational serait allouée aux pays,
sur la base d’une formule. Ce nouveau droit d’imposition s’appliquerait
indépendamment de l’existence d’une présence physique. En outre,
la détermination des multinationales éligibles est également différente,
la directive comportant trois seuils, dont un au moins doit être
atteint pour que les multinationales soient éligibles, c’est-à-dire
redevables de l’impôt dans les États membres où elles déclarent
des recettes d’au moins €7 millions, ou y comptent au moins 100 000 utilisateurs ou
au moins 3 000 contrats commerciaux.
32. Une distinction est faite entre le Pilier 1 et la solution
intérimaire proposée par la Commission européenne pour une taxe
sur les services numériques, dont une version similaire a été adoptée
en 2019 par la France sous la forme de la Taxe sur les Services
Numériques. La proposition de taxe sur les services numériques faite
par la Commission vise les entreprises qui offrent des services
«pour lesquels la participation d’un utilisateur à une activité
numérique apporte une contribution essentielle pour l’entreprise
exerçant cette activité et qui permettent à celle-ci d’en tirer
des revenus. En d’autres termes, les modèles économiques pris en
compte par la Directive sont ceux qui ne pourraient pas exister
sous leur forme actuelle sans la participation des utilisateurs»
. Cette approche est très différente
de celle du Cadre inclusif, qui privilégie une taxe applicable à
la fois aux services numériques automatisés et aux sociétés en contact
avec les consommateurs.
3.2. Faits récents concernant le Pilier
1
33. Dans l’ensemble, le travail
qui reste à faire au titre du Cadre inclusif sur le BEPS comprend
l’accord sur les règles, les formules et les seuils de profit régissant
le nouveau droit d’imposition, ainsi que l’accord sur la répartition
des bénéfices entre les pays en fonction de la source des recettes.
Un accord international est indispensable pour régler rapidement
les questions qui subsistent, afin de mener à bien ce processus,
de résoudre les questions techniques et d’élaborer un projet de
législation type et de lignes directrices pour permettre aux pays
de mettre en œuvre une solution consensuelle pour le Pilier 1 d’ici
à la mi-2021.
34. Les opinions défendues par les membres du Cadre inclusif se
répartissaient initialement, au moment du rapport intérimaire de
2018, en trois grands groupes reflétant non seulement des divergences
de vues politiques et idéologiques, mais aussi des conflits entre
les intérêts nationaux. Un premier groupe, comprenant la plupart
des pays européens, considère les modèles commerciaux hautement
numérisés, en particulier ceux qui reposent sur l’utilisation de
données et la participation des utilisateurs, comme une source de
déséquilibre entre la localisation des bénéfices imposés et la création
de valeur. Pour ce groupe, la valeur créée par ces sociétés est
en partie due à l’utilisateur et a lieu dans des pays éloignés du
lieu d’établissement de la société. Un deuxième groupe de pays,
principalement des pays émergents et en développement, estime que l’évolution
de l’économie numérique suit les tendances plus générales de la
mondialisation, qu’il faut aborder dans leur ensemble, plutôt que
de se concentrer entièrement sur un secteur spécifique, sous l’angle
du problème de la répartition des bénéfices et de l’érosion de l’assiette.
Ils considèrent l’évolution de l’économie mondiale, notamment l’essor
des modèles commerciaux numériques, comme un des principaux moteurs
de la redistribution des bénéfices. Enfin, un troisième groupe de
pays, plus restreint, considère que les règles fiscales internationales
existantes suffisent pour les sociétés et ne pense pas qu’une réforme
soit nécessaire.
35. Plusieurs pays européens soutiennent que les géants de la
technologie profitent énormément du marché européen, tout en ne
contribuant que très peu à l’alimentation des caisses publiques.
Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis sont restés opposés
à la taxation des services numériques et aux mesures unilatérales
similaires et ont cherché à faire du Pilier 1 une «sphère de sécurité»
pour les multinationales. Malgré l’absence d’accord international
fin 2020, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche et le Royaume-Uni ont
annoncé, à l’instar de la France, leur intention de taxer les services
numériques. En réaction, les États-Unis ont menacé de prendre des
mesures de rétorsion sur certains biens importés des pays européens
ayant adopté une taxe sur les services numériques. À cet égard,
Robert Lighthizer, représentant du commerce américain, a annoncé
l’ouverture d’une enquête visant à déterminer si ces mesures fiscales
sur les services numériques s’apparentent à une pratique commerciale
déloyale.
36. Les États-Unis restent engagés dans les négociations mondiales
sur un nouveau cadre fiscal mondial applicable aux entreprises technologiques.
En dépit des divergences d’opinion, les membres du Cadre inclusif observent
que le règlement consensuel de la question d’ici à la mi-2021 reste
d’une importance capitale.
4. Pilier 2: un taux plancher d’imposition
37. Les propositions du Pilier
2, visant à l’introduction d’un taux plancher d’imposition, sont
conçues pour réduire la pression sur les pays en développement à
octroyer des avantages fiscaux, limitant ainsi la pratique d’évasion
fiscale des sociétés.
38. La mesure principale du second pilier repose sur la proposition
de lutte contre l’érosion de l’assiette fiscale au niveau mondial
(GloBE), et souligne la nécessité
d’une coordination entre les pays afin d’éviter une course néfaste
au rabais. La proposition n’a pas une portée limitée aux sociétés
fortement numérisées, elle envisage également une solution systématique
face au déplacement des bénéfices et à l’érosion de l’assiette en
convenant d’un niveau minimum d’imposition au niveau mondial.
39. Le travail sur le second Pilier a progressé au cours de l’année
dernière au sein des groupes de travail concernés du Cadre inclusif.
Ils ont convenu d’une orientation générale des sujets liés au second
pilier et le rapport sur le schéma directeur du second Pilier
donne une base solide pour un accord
futur sur plusieurs aspects de la réforme. Le second Pilier propose
l’application d’un taux d’imposition minimum du revenu des entreprises
lorsque le taux d’imposition actuel est inférieur au minimum convenu.
Cela garantit essentiellement que les recettes de toute société
multinationale soient imposées à un taux minimum partout où elles
opèrent, ce qui limite les incitations à transférer les bénéfices
vers des pays à faible taux d’imposition et le risque de diminuer
ainsi l’assiette fiscale d’autres pays. La conception globale des
règles du second pilier est un élément essentiel pour la conclusion
d’un accord consensuel en 2021.
5. La voie à suivre
40. Le point de départ d’une évaluation
des faits nouveaux et de la préparation de la voie à suivre devrait être
la reconnaissance de la nature numérique changeante des pratiques
commerciales, l’accélération de la mondialisation et la sensibilisation
croissante à l’évasion fiscale des multinationales.
41. Les modèles commerciaux mondiaux et les pratiques numériques
ont rapidement évolué, passant d’une approche fondée sur les lieux
d’implantation à un éloignement croissant par rapport aux pays d’où
les sociétés opèrent, ce qui a de profondes conséquences pour les
accords centenaires de double imposition. Il est clair que l’accord
des années 1920, qui a été conçu pour éviter les pratiques de double
imposition entre les pays et imposer les sociétés en fonction de
leur établissement légal, ne peut plus s’appliquer à l’intégralité
de l’assiette fiscale et attribuer les bénéfices aux pays où la
richesse est créée. En effet, les dispositions de ces mêmes conventions
sur la double imposition sont utilisées par les contribuables qui
se livrent à des stratégies d’évasion fiscale (par exemple les clauses
de retenue à la source). Par conséquent, la communauté internationale
attend depuis longtemps l’établissement de nouvelles normes fiscales
internationales pour faire face à l’évolution rapide du modèle numérisé
des sociétés multinationales. Dans le même temps, le maintien des
conventions sur la double imposition bien établies et l’adoption
de nouvelles pratiques visant à garantir la pleine imposition des
bénéfices ne devraient pas s’exclure mutuellement. Le succès repose
sur l’obtention d’un consensus qui intègre les nouvelles normes
fiscales et sur leur intégration aux pratiques fiscales internationales
déjà établies qui évitent la double imposition entre pays.
42. La volonté politique d’aboutir à un accord multilatéral sur
une nouvelle norme d’imposition internationale des sociétés a été
alimentée, d’une part, par la sensibilisation accrue du grand public
aux cas d’évasion fiscale et de transfert des bénéfices et, d’autre
part, par la dégradation des finances publiques provoquée par la
crise économique mondiale depuis 2008, qui mine les capacités keynésiennes
et l’intégrité des services des États providence. Les nombreux cas
de grandes multinationales ayant recours à des pratiques d’évasion
fiscale, mis en évidence dans les médias ces dernières années, ont
fait évoluer l’opinion publique (en particulier les électeurs européens)
vers la nécessité d’une imposition plus juste des bénéfices des
sociétés. Les dispositifs d’évasion fiscale, comme les Luxembourg Leaks, les Panama Papers ou plus récemment
l’enquête Openlux, ont mis
en évidence les comportements agressifs d’optimisation fiscale des
contribuables les plus puissants du monde. Les Paradise Papers (fin 2017) nous
rappellent que les pratiques d’évasion fiscale représentent un problème
systémique et récurrent. Pour les électeurs européens en particulier,
la réduction de l’assiette d’imposition des recettes des sociétés
a été associée à un alourdissement de l’imposition des salaires
et de la consommation, les gouvernements ayant cherché à augmenter
les sources de recettes de l’État pendant la crise.
43. Bien que les divergences entre les pays européens et les États-Unis
au sujet du droit d’imposer une taxe numérique devront être surmontées
pour la conclusion d’un accord international, on considère qu’une approche
unifiée représente la solution la plus efficace pour l’économie
mondiale. Les deux piliers impliqueraient une augmentation relativement
faible des coûts d’investissement moyens des multinationales. L’effet
négatif sur le PIB mondial de l’augmentation prévue des recettes
fiscales occasionnées par les propositions est estimé à moins de
0,1 % à long terme, car celles-ci toucheraient des entreprises extrêmement rentables.
En revanche, l’absence de solution consensuelle entraînerait, comme
l’ont déjà déclaré plusieurs pays européens, une prolifération de
mesures fiscales non coordonnées et unilatérales, ce qui provoquerait une
augmentation des litiges fiscaux et commerciaux préjudiciables.
Cette situation compromettrait inévitablement la sécurité fiscale
et entraînerait des coûts supplémentaires de mise en conformité
et d’administration, ce qui réduirait encore le PIB mondial de plus
de 1 %.
6. Les conséquences de la pandémie de
covid-19 et les travaux pertinents de l’OCDE
44. Étant donné les récentes évolutions
macroéconomiques causées par la pandémie, les deux facteurs susmentionnés
continueront très certainement d’inciter les pays à conclure un
accord sur la fiscalité internationale des sociétés dans les années
à venir. Cela s’explique tout d’abord par le fait que la pandémie va
encore accentuer la nécessité d’augmenter les recettes fiscales.
L’augmentation des dépenses publiques couplée à des mécanismes de
stabilisation fiscale automatiques, à des programmes de soutien
des revenus et de garanties économiques devra être compensée par
des sources de revenus supplémentaires après la pandémie. En outre,
la forte contraction de l’activité économique réduira les recettes
de l’État et augmentera les besoins bruts de financement du service
de la dette dans les pays émergents et en développement
.
45. Ensuite, les mesures de confinement prises pour faire face
à la pandémie qui affectent l’ensemble de l’économie ont provoqué
une nouvelle accélération de l’économie numérique. Beaucoup de grandes multinationales
qui se fondent sur des services numérisés ont enregistré ces derniers
mois un accroissement de leurs ventes, tandis que la plupart des
PME qui recourent dans une moindre mesure aux pratiques numérisées
au sein des pays ont dû suspendre leurs activités. Comme les habitudes
numériques se sont enracinées pendant la pandémie, le monde connaît
un développement sans précédent des services numériques. Alors que
les différents pays constatent une dégradation de leurs finances
publiques, la tendance numérique est une raison de plus pour les
forces politiques de négocier un accord international sur l’imposition des
sociétés de l’économie numérique.
46. Selon une étude de l’OCDE, en 2019, les recettes fiscales
ont chuté dans l’ensemble de l’OCDE pour la première fois en dix
ans. Par ailleurs, les bénéfices des multinationales du numérique
ont atteint des records historiques, surtout en 2020, en pleine
crise de la covid-19. Les actions d’Apple ont par exemple fait un
bond de plus de 1 200 % au cours de la dernière décennie et cette
société est devenue la première société américaine à dépasser une
valeur commerciale de $US 2 000 milliards
. Les actions d’Amazon.com ont grimpé
en un seul jour de 7,9 %, ajoutant ainsi $US 13 milliards à la valeur
nette au patrimoine de son PDG, ce qui représente le plus grand
bond réalisé en un jour par la fortune d’un particulier depuis la
création de l’indice des milliardaires de Bloomberg en 2012
. Les multinationales américaines
du numérique présentent désormais une capitalisation boursière totale
de plus de $US 9 100 milliards, soit un montant supérieur à celui de
l’ensemble du marché boursier européen, Union européenne, Royaume-Uni
et Suisse compris
. La diminution des recettes fiscales
sera encore plus importante en 2021: à la suite du confinement et
de la fermeture forcée de nombreuses entreprises en raison de la
pandémie de covid-19, l’activité économique et les recettes des
taxes à la consommation ont été amoindries. Début décembre 2020,
Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration
fiscales de l’OCDE, a fait la déclaration suivante: «Nous nous attendons
à une baisse beaucoup plus importante l’année prochaine, lorsque
l’impact de la covid-19 commencera à devenir plus apparent. À un
moment donné, lorsque la crise sanitaire sera passée et que la reprise
économique sera en cours, les gouvernements devront reconsidérer
si leurs systèmes fiscaux sont à la hauteur des défis de l’environnement
post-pandémique.»
M. Angel Gurría
a également souligné qu’après la crise de la covid-19, les pays
se tourneront vers les entreprises qui fixent le rythme de l’économie
numérique et qui ont augmenté leurs revenus pendant les crises ou
à cause des crises pour chercher auprès d’elles des recettes supplémentaires
pour l’État
. La plupart des GAFA reconnaissent
l’importance de l’enjeu et affirment leur préférence pour la sécurité
juridique qui découle d’un cadre internationalement admis de l’imposition
de leurs activités numériques.
47. L’OCDE fournit des données et des analyses précieuses sur
la crise économique due à la pandémie de covid-19. L’ampleur de
cette contraction est révélée par ses prévisions sur le taux de
croissance annuel du PIB réel pour l’année 2020, qui va de -14,4 %
pour l’Espagne et -9,8 % pour la Grèce à une récession globale du PIB
réel mondial de -7,6 %
. L’OCDE a complété
ces prévisions par un suivi détaillé des politiques, qui énumère
les mesures prises par les pays pendant la crise. L’OCDE a identifié
des mesures spécifiques des pouvoirs publics qui pourraient soutenir
les États et a préconisé une augmentation des dépenses de santé, complétées
par plusieurs politiques sociales visant à atténuer l’impact de
la crise sur les entreprises et les salariés. Ces politiques comprennent
des prestations sociales plus généreuses, des aides au revenu pour
les salariés et des paiements différés pour les sociétés. Enfin,
l’OCDE a mis à disposition une série de ressources décrivant les
bonnes pratiques et les propositions intéressantes dans les différents
domaines politiques.
48. Il est capital que les gouvernements mettent en œuvre les
données et analyses de l’OCDE afin d’atténuer les effets les plus
dramatiques de cette crise, notamment pour les personnes les plus
vulnérables, et d’ouvrir la voie à une reprise inclusive et en douceur.
Une action ciblée menée en temps utile éviterait aux États de devoir
supporter des coûts plus importants au fil du temps. Pour obtenir
les meilleurs résultats, il faudrait que les politiques fiscales
et budgétaires soutiennent une action prioritaire dans des domaines
tels que les soins de santé, le commerce, l’action sociale et le
marché du travail.
49. Dans cet esprit, nous avons défini, avec la rapporteure pour
avis sur ce rapport de la Commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable, Mme Selin
Sayek Böke (SOC, Turquie), les recommandations prioritaires suivantes
:
i. améliorer
les prestations sociales et le soutien au revenu (à titre temporaire)
pour tous les travailleurs, en mettant l’accent sur les ménages
à faibles revenus et les travailleurs indépendants et précaires;
ii. étendre la couverture et la durée des filets de sécurité
sociale tels que les régimes de prestations d’assurance chômage;
iii. accorder des allègements fiscaux aux travailleurs du secteur
de la santé et d’autres secteurs liés aux situations d’urgence;
iv. réduire les taxes sur les biens et services de consommation
essentiels;
v. suspendre les cotisations de sécurité sociale des employeurs
et des travailleurs indépendants, les impôts sur les salaires et,
le cas échéant, certaines taxes sur les articles importés essentiels
(pouvant sauver des vies);
vi. mettre en œuvre des programmes de relance ambitieux, offrant
un soutien accru aux PME et aux investissements verts;
vii. mieux utiliser les mécanismes de réponse rapide et les
politiques qui ajustent automatiquement le taux d’imposition et
les paiements de transfert pour stabiliser les revenus, la consommation
et les dépenses des entreprises au cours du cycle économique (stabilisateurs
automatiques);
viii. promouvoir des politiques, des règles et des mécanismes
de soutien au télétravail.
7. Conclusions
50. La principale priorité du Cadre
inclusif est de relever les défis fiscaux nés de la numérisation
de l’économie en réformant le système fiscal international, en rétablissant
la stabilité du cadre fiscal international et en évitant le risque
de nouvelles mesures fiscales unilatérales non coordonnées qui pourraient
provoquer des sanctions commerciales. Ce cadre met en évidence le
rôle du multilatéralisme et de l’inclusivité. La crise de la covid-19
a davantage exacerbé ces défis en accélérant la numérisation de
l’économie, en renforçant la pression exercée sur les finances publiques
et en diminuant la tolérance dont les citoyens font preuve à l’égard des
sociétés multinationales rentables qui ne paient pas leur juste
part d’impôt. Le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría,
soutient que «nous devons [le] faire sur une base multilatérale.
[…]. Nous devons [les] traiter de manière globale et de manière
multilatérale, sans quoi nous ne connaîtrons pas beaucoup d’avancées.
La pandémie de covid-19 est un premier rappel des changements fondamentaux
auxquels nous devons procéder pour recréer une situation plus satisfaisante.
Mais nous pourrons uniquement changer de cap si nous agissons ensemble.
Il s’agit de mettre en pratique le pouvoir de transformation des
actions collectives, afin d’élaborer de meilleures politiques pour
une vie meilleure»
.
51. La coopération de l'OCDE avec le G20 pour traiter de la fiscalité
de l'économie numérique et de la création du Cadre inclusif avec
la participation de 137 pays a favorisé l'inclusion dans la prise
de décision et le pluralisme d'opinion. Il est important de noter
que les solutions dans ce cadre ne sont pas limitées à un groupe
restreint de pays, mais sont étendues à la plupart des pays du monde,
qui peuvent ainsi élaborer des politiques sur un pied d'égalité.
En ce sens, l'accord au sein du Cadre inclusif intègre l'opinion
des pays émergents et en développement, des nations fragiles et
des petits pays, rendant ainsi les décisions plus inclusives. Étant
donné que les lacunes de la législation fiscale résultent souvent
de mesures unilatérales prises par certains pays, la participation
plus large assurée par le Cadre inclusif contribue au succès futur
des politiques convenues et à favoriser les normes internationales
convenues. C'est dans ce cadre de multilatéralisme et d'inclusion
que réside le succès d'un futur accord.
53. Bien qu'il reste un grand nombre de questions à résoudre,
il convient de reconnaître ce qui a été réalisé jusqu'à présent.
Les pays ont renforcé leur coopération et se sont conformés à des
principes communs en matière de fiscalité. En outre, le flux d'informations
entre les autorités fiscales a augmenté de façon spectaculaire au
cours des dernières années, ce qui limite les possibilités d’optimisation
et d’évasion fiscales. Pour ce qui est de l’imposition de l'économie
numérique, les pays membres du Cadre inclusif ont pris des mesures
déterminantes pour promouvoir l'imposition complète des bénéfices
en tant que norme internationale.
54. Malgré les progrès réalisés ces dernières années, plusieurs
questions doivent encore faire l’objet de travaux techniques et
de décisions politiques pour être réglées. Jusqu'à présent, les
pays ne sont pas parvenus à s'entendre sur la répartition des bénéfices
dans l'économie numérique. Un profond désaccord et une forte opposition
à l’imposition des services numériques, ainsi que la tentative faite
par les États-Unis d’instaurer une «sphère de sécurité» pour la
mise en œuvre du Pilier 1, pourraient conduire à une escalade des
actions unilatérales et continuer à peser sur l’issue finale du
projet.
55. En outre, un grand nombre de pays émergents et en développement
préfèrent aborder le nouveau droit d'imposition de manière plus
générale, au lieu de le circonscrire à l’économie du numérique.
Les questions plus spécifiques qui restent à résoudre concernent
les détails de la proposition, tels que les montants des bénéfices dans
le Pilier 1, le mécanisme de règlement visant à garantir la sécurité
fiscale et les questions pratiques d’un impôt minimum au niveau
mondial relevant du second pilier.
56. Il ne fait aucun doute qu'il reste beaucoup à faire pour que
les pays parviennent à un accord consensuel d'ici la fin de 2021.
C'est pourquoi le travail du Cadre inclusif n'a pas échappé aux
critiques des universitaires, des experts fiscaux et du monde des
affaires. Les résultats obtenus sont une combinaison de différentes propositions,
fondés sur des traités séculaires. Pourtant, il est important que
le travail restant progresse, que les questions subsistantes soient
résolues et qu'un accord soit conclu, plutôt que de revenir à une
autre solution.
57. Dans la théorie des jeux, le «dilemme des prisonniers» aboutit
à un résultat bien connu: la coordination entre les joueurs s’impose
pour parvenir au résultat le plus efficace. Faute d'accord parmi
les membres du Cadre inclusif, le monde serait encore plus exposé
au risque d'actions unilatérales et de guerres commerciales. Ces
actions pourraient constituer soit une menace soit être une réponse
à court terme aux actions d'un autre pays. Une éventuelle escalade
de telles actions pourrait mettre en danger le bien-être de la population
et entraîner une nouvelle érosion de l’assiette fiscale dans le
monde entier. La coordination des actions est donc essentielle pour
lutter contre l'érosion de l’assiette fiscale, car l’avantage obtenu
par un pays se fait souvent au détriment d’un autre. De même, M. Angel
Gurría a attiré l’attention sur le fait que, si un accord n’était
pas trouvé autour des propositions de l’OCDE sur le Pilier 1 et
le Pilier 2, de nombreux pays décideraient d’agir seul et devraient
faire face aux représailles d’autres pays qui jugent cette situation
contraire aux intérêts de leurs propres entreprises. En outre, selon
lui, «dans le monde d’aujourd’hui, nous ne souhaitons surtout pas
voir la reprise des tensions commerciales qui se sont accumulées
avant même l’apparition de la covid, mais une forte croissance,
beaucoup de bien-être, de nombreux emplois et un grand nombre d’investissements.
Les États-Unis font partie des 137 pays qui ont travaillé avec nous.
Malgré leur désaccord, ils font preuve de sagesse et continuent
à œuvrer en faveur d’une solution technique; tous ces éléments sont sur
le tapis»
.
58. Il est primordial pour tous les pays et institutions participant
au processus de maintenir l'élan et de trouver des solutions aux
problèmes restants par le biais du Cadre inclusif. Les divergences
de positions observées dans les négociations, les intérêts spécifiques
des pays et les différences idéologiques en matière de normes fiscales
risquent véritablement de compromettre la conclusion d’un accord
dans le délai envisagé. Dans le même temps, la montée en puissance
du numérique, la pression sur les finances publiques dues à la pandémie
mondiale et la sensibilisation accrue de l'opinion publique aux
questions relatives à la fiscalité internationale rendent indispensable
l’obtention d'un accord opportun.
59. Étant donné le rôle de l'OCDE dans le soutien du Cadre inclusif,
le rôle des institutions collaboratrices telles que le Conseil de
l'Europe devrait être de favoriser le consensus entre leurs membres,
tout en œuvrant pour combler les fossés diplomatiques. Des politiques
globales tenant compte non seulement des enjeux fiscaux, mais aussi
de tous les éléments de la réalité économique des pays, sont la
clé d'une réponse efficace.
60. À un moment où la crise et ses retombées ont sapé la confiance
de la population dans les institutions démocratiques, les décideurs
politiques doivent faire un acte de foi pour rétablir la confiance
dans les pouvoirs publics, par une meilleure transparence des institutions
et par un renforcement du degré d’intégrité, en particulier dans
les domaines à haut risque tels que le lobbying, les marchés publics
et le financement politique. La lutte contre l’optimisation et l'évasion
fiscales agressives, la garantie d'une fiscalité équitable et de
recettes fiscales suffisantes, de manière à assurer des finances
publiques saines et des services sociaux de qualité pour tous, constituent
une partie essentielle de cette action.
61. Pour garantir une imposition équitable des bénéfices des entreprises
à l'échelle mondiale, l'Assemblée élargie devrait inviter instamment
l'OCDE et les États membres à prendre les mesures suivantes:
i. continuer à soutenir et à promouvoir
le Cadre inclusif sur l'érosion de la base d’imposition et le transfert de
bénéfices (BEPS) en vue de parvenir, dans les délais prévus, à un
accord consensuel, comprenant les Piliers 1 et 2;
ii. faciliter l’application de l’instrument multilatéral adopté
aux conventions fiscales en vigueur;
iii. éviter et inverser la course au rabais des systèmes fiscaux
nationaux, qui pourraient compromettre les capacités de financement
légitimes des gouvernements leur permettant de conserver des finances publiques
saines et d’offrir des services sociaux universels de qualité pour
tous;
iv. adopter des règles sur la transparence et l'échange automatique
d'informations à des fins fiscales entre tous les pays afin de garantir
l'équité fiscale et le respect des règles fiscales tant par les
personnes morales que par les personnes physiques;
v. élaborer des règles rendant la divulgation des transactions,
arrangements ou structures agressives ou abusives obligatoire, en
mettant l'accent sur les régimes fiscaux internationaux;
vi. proposer des mesures pour lutter plus efficacement contre
les pratiques fiscales dommageables, en s'attachant en priorité
à améliorer la transparence, notamment en rendant obligatoire l'échange spontané
de décisions relatives aux régimes préférentiels et en exigeant
une activité substantielle pour tout régime préférentiel;
vii. promouvoir la cohérence internationale de l'imposition
des revenus de sociétés, de sorte que la conception de la politique
fiscale soit mieux éclairée par l'interconnexion croissante des
économies et les écarts qui peuvent être créés par les interactions
entre les législations fiscales nationales;
viii. prendre davantage en considération les besoins et les
intérêts des pays en développement à cet égard.
62. La volonté des pays de parvenir à un compromis sur les principaux
points des propositions, tels que la définition du nouveau droit
d'imposition, la répartition des bénéfices entre les pays et le
niveau de l'imposition minimale des sociétés, facilitera les discussions
et contribuera à renouveler la norme fiscale internationale. Malgré
les problèmes auxquels se heurte la recherche d’une solution commune,
cette approche multilatérale et inclusive peut offrir de meilleures
perspectives de résolution des questions qui restent à régler en
matière de fiscalité de l'économie numérique.