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Rapport | Doc. 15251 | 30 mars 2021

Lutter contre l'injustice fiscale: le travail de l'OCDE sur l’imposition de l'économie numérique

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Georgios KATROUGKALOS, Grèce, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14976, Renvoi 4477 du 29 novembre 2019. 2021 - Deuxième partie de session

Résumé

La commission des questions politiques et de la démocratie rappelle que la fiscalité, lorsqu’elle est juste et redistributive, est un outil essentiel qui permet aux gouvernements de lever des fonds nécessaires au bon fonctionnement des services publics et constitue un point d’ancrage fondamental de la démocratie.

Les multiples révélations sur les pratiques agressives d’optimisation, d’évasion fiscales et de transfert artificiel de bénéfices, conjuguées à la dégradation des finances publiques depuis la crise mondiale de 2008 et exacerbées par la pandémie de covid-19, ont rendu plus urgente que jamais la nécessité d’opter pour des réponses politiques coordonnées au niveau international permettant de lutter contre l’injustice fiscale.

Le rapport considère que le développement croissant de l’économie numérique, dont la majeure partie de la valeur est créée par des plateformes virtuelles et apatrides, gérées par de véritables géants technologiques, impose de reconsidérer le modèle classique de répartition de la base fiscale internationale, en s’affranchissant de la notion «d’établissement stable» sur laquelle elle se fonde depuis les années 1920.

L’OCDE joue un rôle déterminant dans ce cadre et ses travaux sur le Cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (BEPS) sont essentiels pour parvenir à un consensus au niveau international visant à rendre le système fiscal international à la fois plus stable et plus juste.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 30 mars 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, élargie aux délégations des parlements nationaux des États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) non-membres du Conseil de l’Europe et à une délégation du Parlement européen, rappelle que la capacité des gouvernements à lever des fonds par le biais de la fiscalité nécessaire au financement des services publics est un point d’ancrage fondamental de la démocratie.
2. La numérisation de l’économie et le développement de géants technologiques (entre autres, les GAFA, c’est-à-dire Google, Amazon, Facebook, Apple), les pratiques agressives d’optimisation, d’évasion fiscales et de transfert artificiel de bénéfices adoptées par de nombreuses sociétés multinationales, la sensibilisation accrue du grand public à ces pratiques, mais également la dégradation des finances publiques provoquée par la crise économique mondiale de 2008 et la pandémie de covid-19, ont rendu plus urgente que jamais la nécessité d’opter pour des réponses politiques coordonnées au niveau international.
3. Alors que la majeure partie de la valeur est créée, dans l’économie numérique, par des plateformes virtuelles et apatrides, l’Assemblée élargie considère qu’il est nécessaire que les États regagnent une base d’imposition plus large pour couvrir leurs besoins de financement public, notamment en s’affranchissant de la notion «d’établissement stable» sur laquelle se fonde le modèle classique de répartition de la base fiscale internationale.
4. L’Assemblée élargie se félicite des travaux de l’OCDE sur le Cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Elle relève que la première des nombreuses actions comprises dans ce Cadre inclusif porte sur les réponses politiques aux défis fiscaux découlant de l’économie numérique et souscrit à la répartition des propositions politiques en deux piliers: le premier Pilier traite des questions relatives à la fiscalité de l’économie numérique au sens large et s’intéresse au mode de définition des droits fiscaux (c’est-à-dire le lien d’imposition) et de répartition des recettes imposables entre les pays. Le second Pilier aborde les autres questions du BEPS liées à l’optimisation fiscale, par l’établissement d’un impôt minimum mondial.
5. Elle salue le rôle déterminant joué par l’OCDE dans ce contexte et se félicite des avancées dans les travaux relatifs au Pilier 1 et de l’adoption d’une déclaration commune décrivant le cadre général des discussions pour les deux piliers. Elle invite les États participants à continuer ce travail en vue d’un accord consensuel sur les deux piliers.
6. L’Assemblée élargie réaffirme que le multilatéralisme, lorsqu’il est réellement inclusif, est le moyen le plus adéquat pour obtenir des résultats tangibles. Elle soutient que l’obtention d’un consensus au niveau international est la meilleure voie pour réformer le système fiscal international, pour rétablir la stabilité du cadre fiscal international et pour éviter le risque de nouvelles mesures fiscales unilatérales non coordonnées qui pourraient provoquer des sanctions commerciales.
7. Pour garantir une imposition équitable des bénéfices des entreprises à l'échelle mondiale, l'Assemblée élargie invite instamment l'OCDE et les États membres à prendre les mesures suivantes:
7.1. continuer à soutenir et à promouvoir le Cadre inclusif sur l'érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) en vue de parvenir dans les délais prévus à un accord consensuel, comprenant les Piliers 1 et 2;
7.2. faciliter l’application de l’instrument multilatéral adopté aux conventions fiscales en vigueur;
7.3. éviter et inverser la course au rabais des systèmes fiscaux nationaux, qui pourraient compromettre les capacités de financement légitimes des gouvernements à conserver des finances publiques saines et des services sociaux universels de qualité pour toutes et pour tous;
7.4. adopter des règles sur la transparence et l'échange automatique d'informations à des fins fiscales entre tous les pays afin de garantir l'équité fiscale et le respect des règles fiscales tant par les personnes morales que par les personnes physiques;
7.5. élaborer des règles de divulgation obligatoire concernant les transactions, arrangements ou structures agressives ou abusives;
7.6. proposer des mesures pour lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en s'attachant en priorité à améliorer la transparence, notamment en rendant obligatoire l'échange spontané de décisions relatives aux régimes préférentiels dits «rulings fiscaux» et en exigeant une activité substantielle comme condition pour l’octroi d’un régime préférentiel;
7.7. promouvoir la cohérence internationale de l'imposition des bénéfices des sociétés, de sorte que la conception de la politique fiscale soit mieux éclairée par l'interconnexion croissante des économies et les écarts qui peuvent être créés par les interactions entre les législations fiscales nationales;
7.8. prendre davantage en considération les besoins et les intérêts des pays en développement dans la conception d’un nouveau régime fiscal international post-BEPS.

B. Exposé des motifs, par M. Georgios Katrougkalos, Rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le dernier rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, élargie aux délégations des parlements nationaux des États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe et du Parlement européen (Assemblée élargie) date d’octobre 2017. Il couvre les activités de l’OCDE durant la période 2016-2017 (voir Résolution 2181 (2017)).
2. À la suite de la rencontre entre l’ancien Président de l’Assemblée, M. Michele Nicoletti et le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, en février 2018, et des contacts entre les Secrétariats respectifs, il a été convenu en janvier 2019 de renouveler l’approche des relations entre l’Assemblée et l’OCDE pour renforcer et rendre plus efficaces les relations institutionnelles, rationaliser les procédures et mieux utiliser les atouts des deux organisations.
3. Conformément à l’accord conclu 
			(2) 
			Voir <a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/POL/Pdf/DocsAndDecs/2019/AS-POL-2019-04-FR.pdf'>AS/Pol(2019)04</a>, déclassifié le 24 janvier 2019., les débats de l’Assemblée élargie sur les activités de l’OCDE ont lieu tous les deux ans, sur la base d’un rapport présenté par la Commission des questions politiques et de la démocratie, avec la participation de délégations des parlements nationaux des États membres de l’OCDE non-membres du Conseil de l’Europe, du Parlement européen, et du Secrétaire général de l’OCDE. Les rapports porteront sur des thèmes spécifiques à définir par le/la rapporteur·e en collaboration avec l’OCDE. Au cours de la même année, un échange de vues avec des experts de l’OCDE doit être inscrit à l’ordre du jour de la commission dans le cadre de la préparation du rapport de la commission sur les activités de l’OCDE.
4. Pendant l’année où il n’y a pas de débat de l’Assemblée élargie sur les activités de l’OCDE, une délégation de l’Assemblée, présidée éventuellement par le/la Président·e de l’Assemblée ou par le/la Président·e de la Commission des questions politiques et de la démocratie, participe en qualité de partenaire institutionnel au Réseau parlementaire mondial de l’OCDE. Au cours de la même année, la Commission des questions politiques et de la démocratie tient en principe une réunion au siège de l’OCDE afin de procéder à un échange de vues avec des experts de l’OCDE.
5. En conséquence, une délégation de l’Assemblée, présidée par l’ancienne Présidente de l’Assemblée, Mme Liliane Maury Pasquier, a participé pour la première fois en tant que partenaire institutionnel au Réseau parlementaire mondial de l’OCDE en octobre 2019.
6. À la suite d’une proposition de résolution approuvée par la commission conformément aux nouvelles modalités, j’ai été désigné rapporteur sur cette question en janvier 2020.
7. En ce qui concerne le champ d’application du rapport, j’ai l’intention de m’intéresser à une question d’actualité sur laquelle l’OCDE a travaillé ces dernières années et qui revêt une importance politique particulière dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe: les problèmes soulevés par les preuves d’injustice fiscale dans le cadre de l’actuelle crise de l’économie et de l’emploi, en particulier la fiscalité de l’économie numérique, compte tenu des travaux de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Le rapport comprendra également un chapitre sur les travaux récents de l’OCDE sur les réponses des politiques fiscales à la pandémie de covid-19 
			(3) 
			«<a href='http://www.oecd.org/ctp/tax-policy/tax-and-fiscal-policy-in-response-to-the-coronavirus-crisis-strengthening-confidence-and-resilience.htm'>Les
réponses de politiques fiscale et budgétaire à la crise du coronavirus:
Accroître la confiance et la résilience».</a>; y compris sa base de données 
			(4) 
			<a href='http://www.oecd.org/tax/tax-policy/Covid-19-tax-policy-and-other-measures.xlsm'>www.oecd.org/tax/tax-policy/Covid-19-tax-policy-and-other-measures.xlsm.</a> de mesures mises en œuvre par les gouvernements en réponse à la crise qui fournit des orientations utiles aux gouvernements et aux parlements des États membres.
8. La capacité des gouvernements à lever des fonds par le biais de la fiscalité nécessaire au financement des services publics est un point d’ancrage fondamental de la démocratie. Lorsque les stratégies d’évasion fiscale des entreprises et des particuliers sapent les capacités de financement légitimes des gouvernements, les fondements mêmes de la démocratie, de la justice et de l’équité sont menacés 
			(5) 
			Résolution 1951 (2013) «Les activités de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) en 2012-2013», par. 2.. Dans le cadre des activités de l’OCDE, l’Assemblée élargie a déjà reconnu qu’il importait de s’attaquer aux inégalités sociales et de mettre en œuvre des mesures appropriées pour atténuer les problèmes d’emploi, afin de contribuer à assurer une croissance durable et inclusive, ce qui permettra de rétablir la confiance dans notre système de gouvernance 
			(6) 
			Ibid., par. 9.. Je me réfère également à un certain nombre de rapports pertinents préparés par la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable sur les paradis fiscaux, la taxe sur les transactions financières, les Panama papers et plus récemment sur l’économie de plateforme 
			(7) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=18350&lang=fr'>Résolution
1881 (2012)</a>, Résolution
1905 (2012), Résolution
2130 (2016) et Résolution
2312 (2019)..
9. Plusieurs études démontrent l’existence d’une concurrence entre les pays pour abaisser le taux d’imposition des sociétés, ce qui risque de provoquer une course au rabais: en 1980, le taux d’imposition des sociétés dans le monde était en moyenne de 40,38 %, et de 46,67 % après pondération par rapport au PIB, tandis qu’en 2019 la moyenne était de 24,18 %, et de 26,30 % après pondération par rapport au PIB. Les paradis fiscaux et d’autres pratiques d’évasion fiscale, comme le recours factice à des sociétés offshore, compromettent les recettes publiques et contribuent à donner aux citoyens le sentiment que le système fiscal est inéquitable 
			(8) 
			La part de la richesse
mondiale détenue en offshore était estimée à US$7 800 milliards
en 2016 (US$ 7 500 milliards), soit 10,4 % du PIB mondial. La part
de l’Union européenne est estimée à US$ 1 600 milliards (€1 500
milliards), soit 9,7 % du PIB de l’Union européenne. Cf. Commission
européenne, «Estimating International
Tax Evasion by Individuals» (anglais uniquement), Série
fiscalité, document de travail no 76
(2019).. Toutefois, la conception de la politique fiscale par les gouvernements et les parlements peut également conduire à donner des signaux contradictoires sur la fiscalité, qui est parfois utilisée comme une mesure incitative et dont les adeptes de l’optimisation et de l’évasion fiscales font par conséquent un usage abusif.
10. Le monde étant devenu plus interconnecté et plus numérique ces dernières décennies, de plus en plus d’éléments montrent que les pratiques agressives d’optimisation et d’évasion fiscale ont été adoptées par de nombreuses sociétés multinationales, ce qui rend primordiale la coordination internationale pour répondre à l’érosion de l’assiette fiscale et à la baisse des recettes fiscales. Selon les estimations, près de 40 % des bénéfices des multinationales sont transférés vers des paradis fiscaux, les pays européens figurant parmi les grands perdants de l’opération 
			(9) 
			Thomas R. Tørsløv,
Ludvig S. Wier, Gabriel Zucman, «The missing profits of nations»
(<a href='https://gabriel-zucman.eu/files/TWZ2018.pdf'>No. 24701</a>), National Bureau of Economic Research (2018).. Selon d’autres estimations, la fraude fiscale des sociétés internationales et l’évasion fiscale des particuliers font perdre chaque année aux pays du monde plus de US$427 milliards d’impôts au total, ce qui coûte à ces pays l’équivalent de près de 34 millions de salaires annuels d’infirmière chaque année 
			(10) 
			«<a href='https://www.taxjustice.net/wp-content/uploads/2020/11/The_State_of_Tax_Justice_2020_ENGLISH.pdf'>The
State of Tax Justice 2020</a>», copublié par
Global Alliance for Tax Justice and Public Services International,
2020..
11. La numérisation de l’économie et le développement de géants technologiques (GAFA, c’est-à-dire Google, Amazon, Facebook, Apple) ont rendu plus urgente que jamais la nécessité d’opter pour le multilatéralisme et pour des réponses politiques coordonnées au niveau international. L’assujettissement fiscal classique, fondé sur des notions comme «l’établissement stable», est largement dépassé dans l’économie numérique, où la majeure partie de la valeur est créée par des plateformes virtuelles et apatrides. À cet égard, les travaux que mène actuellement l’OCDE ont une importance capitale et cette dernière doit continuer à jouer son rôle de premier plan dans l’action internationale menée pour rendre les politiques fiscales plus équitables dans le monde entier.
12. Face à la dernière crise économique en date provoquée par la pandémie de covid-19, il devient plus urgent que jamais de s’attaquer à ces problèmes et de fournir aux gouvernements une base d’imposition plus large pour couvrir leurs besoins de financement public. Selon la déclaration approuvée par le Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20, en octobre 2020, «La crise de la covid-19 a davantage aggravé ces défis fiscaux en accélérant la numérisation de l’économie, en exacerbant la pression sur les finances publiques et en réduisant la tolérance du public à l’égard des entreprises multinationales rentables (EMR) qui ne paient pas leur juste part d’impôts».

2. L’OCDE et l’imposition de l’économie du numérique

13. Lors de la réunion de la Commission permanente de l’Assemblée, qui s’est tenue le 12 octobre 2020, le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a fait la déclaration suivante: «L’OCDE a travaillé dur pour construire un système fiscal international plus équitable et plus transparent, en s’attaquant aux problèmes de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices (BEPS), ainsi qu’aux entraves auxquelles se heurtent les pays en développement lorsqu’il s’agit d’imposer les multinationales. Nous réalisons également des progrès considérables pour offrir une solution mondiale aux défis fiscaux que nous lancent nos économies numérisées».
14. Par le biais du Cadre inclusif sur le BEPS, les travaux de l’OCDE ont permis de mener et de coordonner l’action des pays du monde entier, en vue de l’élaboration d’un cadre global pour traiter la question de l’imposition des sociétés multinationales hautement numérisées et de la répartition des bénéfices imposables entre les pays. Le Cadre inclusif réunit sur un pied d’égalité 137 pays chargés de mettre en œuvre les 15 actions du BEPS adoptées en 2015 
			(11) 
			En ce qui concerne
le mandat initial et le plan d’action concernant la portée du BEPS,
voir OECD (2013), «<a href='https://read.oecd.org/10.1787/9789264203242-fr?format=pdf'>Plan d’action
concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de
bénéfices»</a>, Éditions de l’OCDE, Paris.. En outre, le Cadre inclusif élabore actuellement de nouvelles règles fiscales internationales face aux défis fiscaux engendrés par la numérisation.
15. En raison du coût induit pour les autorités fiscales par une optimisation fiscale agressive et du recours à la technologie et à la propriété intellectuelle de la plupart des multinationales numériques, il devient plus difficile encore de relever les défis de la réforme de la fiscalité internationale. L’importance économique et sociale de ces multinationales les placent dans une position où elles fixent elles-mêmes les prix, puisqu’elles font face à une faible concurrence, voire à une absence totale de concurrence.
16. La première des nombreuses actions comprises dans le Cadre inclusif sur le BEPS (OCDE/G20) porte sur les réponses politiques aux défis fiscaux découlant de l’économie numérique. Les travaux récents d’élaboration de ces propositions politiques ont permis de réaliser des progrès significatifs sur la manière dont les droits d’imposition devraient être répartis entre les pays, face à des dispositions et transactions commerciales qui concernent des pays à forte et à faible imposition.
17. Les propositions politiques sont réparties en deux piliers. Le Pilier 1 aborde les problèmes plus larges de la fiscalité de l’économie numérique et s’intéresse au mode de définition des droits fiscaux (c’est-à-dire le lien d’imposition) et de répartition des recettes imposables entre les pays. Le second Pilier aborde les autres questions du BEPS liées à l’optimisation fiscale, par l’établissement d’un impôt minimum mondial 
			(12) 
			«<a href='https://www.oecd.org/tax/beps/brochure-addressing-the-tax-challenges-arising-from-the-digitalisation-of-the-economy-october-2020.pdf'>Addressing
the Tax Challenges Arising from the Digitalisation of the Economy»,
Highlights, OECD 2020, including the Cover Statement by the OECD/G20
Inclusive Framework on BEPS on Pillar One and Pillar Two Blueprints</a>..
18. Les travaux relatifs au Pilier 1 ont progressé ces dernières années, les pays participants s’étant de plus en plus engagés à trouver une solution consensuelle d’ici à la mi-2021. Les positions convergentes des pays ont abouti à une déclaration commune en janvier 2020 décrivant le cadre général des discussions pour les deux piliers 
			(13) 
			Voir la <a href='http://www.oecd.org/tax/beps/statement-by-the-oecd-g20-inclusive-framework-on-beps-january-2020.pdf'>déclaration</a> des membres du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE/G20
sur l’approche à deux piliers visant à traiter les problèmes fiscaux
liés à la numérisation de l’économie, 20-30 janvier 2020.. Bien que les positions, actions et opinions unilatérales soient toujours très affirmées parmi les pays participants, le travail se poursuit en 2021 en vue d’un accord consensuel sur les deux piliers.
19. Afin de contribuer aux actions liées au BEPS concernant l’imposition numérique, la Commission européenne a publié en 2018 sa propre proposition de Directive du Conseil fixant les règles applicables aux sociétés ayant une présence numérique significative dans les États membres de l’Union européenne. La Directive, qui envisageait une solution globale d’imposition des services numériques dans l’Union européenne, était destinée à contribuer au travail en cours portant sur le Cadre inclusif, que l’Union européenne jugeait essentiel pour parvenir à un consensus mondial 
			(14) 
			<a href='https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/proposal_significant_digital_presence_21032018_en.pdf'>https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/proposal_significant_digital_presence_21032018_en.pdf</a>.. Les propositions de la Commission ont défini des critères en vue d’établir le lien d’imposition d’une société numérique 
			(15) 
			Pour
des informations sur la proposition de directive du Conseil de la
Commission européenne, voir: <a href='https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/fair-taxation-digital-economy_fr'>https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/fair-taxation-digital-economy_fr</a>..
20. Trois critères alternatifs, représentant des indicateurs de l’activité d’une multinationale dans les États membres, étaient proposés dans la Directive. Ils visaient à déterminer «l’empreinte numérique» des sociétés opérant dans les États membres. Ils étaient fondés sur une imposition en fonction du lieu de l’établissement stable, mais visaient à réaffecter la part des bénéfices découlant de la création de valeur par la participation des utilisateurs (par exemple, la collecte de données par la notation des biens et des services sur les plateformes électroniques).
21. Outre la directive, les propositions de la Commission européenne comprenaient une taxe provisoire de 3 % prélevée sur les recettes des activités numériques 
			(16) 
			Pour
plus d’informations sur la proposition intérimaire de la Commission
européenne, voir: <a href='https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-148-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF'>https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-148-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF</a>.. Cette taxe visait à assurer des recettes immédiates aux États membres provenant de sociétés réalisant certaines activités numériques dans des pays où elles ne sont pas imposables en vertu des principes actuels de «l’établissement stable». La Commission a défini le champ d’application de la taxe proposée sur la base de critères qualitatifs (consommation de services numériques) et quantitatifs (sociétés dont le chiffre d’affaires annuel mondial est supérieur à €750 millions et dont les recettes au sein de l’Union européenne dépassaient €50 millions 
			(17) 
			Proposition de directive
du Conseil 2018/0073 (CNS) de la Commission européenne, Ch. 1(4),
p. 25..
22. Au niveau de l’Union européenne, les ministres des Finances ont discuté des propositions de la Commission européenne en décembre 2018 mais n’ont pas pu parvenir à un accord malgré le soutien de la majorité des États membres.
23. Les différences entre les pays quant à leurs propositions, mises en évidence par les points de vue divergents de part et d’autre de l’Atlantique sur la manière de traiter l’imposition des sociétés numériques, sont révélatrices des difficultés rencontrées pour parvenir à une solution consensuelle dans le cadre du Cadre inclusif.
24. Il est évident que l’évolution au niveau mondial des modèles économiques des multinationales à forte numérisation ainsi que l’essor de l’optimisation fiscale et des pratiques d’évasion fiscale, appellent un changement des principes et des normes de la fiscalité internationale. La réforme de la fiscalité internationale au niveau de l’OCDE et du G20 est particulièrement importante, puisque l’existence de législations fiscales nationales contradictoires donne lieu à des litiges, à une insécurité juridique pour les entreprises soumises à l’impôt et à des frais administratifs importants pour les autorités fiscales. Comme l’a affirmé le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, lors de la réunion de la Commission permanente du 12 octobre 2020, «[…] les 137 membres du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 ont publié les schémas directeurs (Blueprints) des deux piliers, le schéma directeur du Pilier 1 et le schéma directeur du Pilier 2. Nous approchons de la ligne d’arrivée, mais nous n’y sommes pas encore tout à fait parvenus, car il reste à aplanir des divergences politiques et à achever d’autres travaux techniques; des compromis politiques sont par conséquent nécessaires pour parvenir à un consensus complet d’ici le milieu de l’année 2021».
25. Outre la nécessité de parvenir à un accord consensuel pour consolider les finances publiques face à la pandémie en cours 
			(18) 
			Voir plus haut le paragraphe
12., la déclaration liminaire faite par le Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G2O au sujet des schémas directeurs du Pilier 1 et du Pilier 2, approuvée les 9 et 10 octobre 2020, parle également de la nécessité constante d’améliorer l’équité fiscale par la conception d’une répartition plus équitable de la charge fiscale entre les entreprises et les particuliers et l’instauration d’une plus grande égalité des conditions fiscales entre les pays de l’OCDE et du G20 
			(19) 
			<a href='https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/points-cles-relever-les-defis-fiscaux-souleves-par-numerisation-economie-octobre-2020.pdf'>Voir
également «Relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation
de l’économie», Points clés, OCDE 2020</a>, y compris la Déclaration liminaire du Cadre inclusif
relative aux rapports sur les schémas directeurs des Piliers 1 et
2..

3. Pilier 1: une approche unifiée et un nouveau droit d’imposition

26. Après discussion de diverses propositions par les membres du Cadre inclusif, il avait été convenu d’utiliser une ‘approche unifiée’ de l’architecture du Pilier 1 comme base pour les négociations qui ont débutées en janvier 2020. Au cœur de l’Approche unifiée se trouve la volonté d’octroyer certains droits d’imposition aux pays du marché.
27. L’approche unifiée implique l’instauration d’un nouveau droit d’imposition qui s’appliquerait aux sociétés indépendamment de leur présence physique dans les pays où elles opèrent. Ce nouveau droit vise plutôt à attribuer une partie des bénéfices résiduels aux pays où elles opèrent en utilisant une formule ou un «quantum» convenu 
			(20) 
			<a href='http://www.oecd.org/tax/beps/statement-by-the-oecd-g20-inclusive-framework-on-beps-january-2020.pdf'>www.oecd.org/tax/beps/statement-by-the-oecd-g20-inclusive-framework-on-beps-january-2020.pdf</a>.. Les États-Unis ont suggéré une pause dans les discussions avec l’OCDE sur la taxation internationale alors que les gouvernements du monde se concentrent sur la réponse à la pandémie de covid-19 et à rouvrir prudemment leurs économies 
			(21) 
			Voir la déclaration
du Trésor américain. Il est également à noter que le Trésor américain
a continué les discussions sur le Pilier 1 au cours de l’année 2020,
ce qui a abouti à la publication du schéma directeur du Pilier 1
en octobre 2020.. Certains craignent que la présidence de Joe Biden ne marque pas un tournant dans la collaboration des États-Unis au sujet du projet BEPS, en raison de «la nature profonde des entreprises américaines et de l’idée d’assurer la défense de [leurs] champions nationaux» 
			(22) 
			«<a href='https://www.forbes.com/sites/taxnotes/2020/11/23/the-impact-of-the-2020-us-elections-on-international-tax/?sh=6584b76727c3'>The
Impact Of The 2020 U.S. Elections On International Tax»</a>., puisque la plupart des multinationales affectées par le Pilier 1 sont établies aux États‑Unis.
28. La nécessité d’instaurer un droit d’imposition pour les sociétés ayant une présence numérique découle de la manière dont les modèles économiques ont évolué au fil des ans pour devenir de plus en plus mondiaux pour ce qui est de leur présence, plus numériques pour ce qui est de leur fonctionnement et plus axés sur l’utilisateur pour ce qui est de leur approche. En particulier, la participation de différents utilisateurs sous la forme de plateformes, qu’ils soient consommateurs ou fournisseurs de produits et de services, a modifié la nature de la production, de telle sorte qu’il n’est plus possible d’attribuer les bénéfices imposables suivant des règles fondées exclusivement sur la présence physique dans un pays.
29. Selon les pratiques fiscales internationales actuelles, une société non-résidente n’est imposée dans un pays que si elle dispose d’un établissement stable, sous la forme d’une présence physique dans ce pays ou sous la forme d’un agent exerçant une activité au nom de la société non-résidente. La numérisation limite fortement la capacité des pays à imposer une société sur la base de sa présence physique. Si l’imposition de ces sociétés était fondée uniquement sur la présence physique, la majorité des pays n’auraient qu’un droit limité, voire nul, de percevoir un impôt sur leurs activités, alors même que ces sociétés réalisent des bénéfices dans leur juridiction, même à distance. Une société non-résidente peut par exemple exercer des activités commerciales et mener des négociations par le biais d’intermédiaires, ce qui lui permettrait d’éviter d’entrer dans le champ d’application de la définition d’établissement stable, tout en concluant des contrats dans des filiales étrangères établies fiscalement dans des paradis fiscaux ou des pays à faible fiscalité. Le développement de la numérisation affecte la mobilité des sociétés et favorise les pratiques d’optimisation et d’attribution fiscales des sociétés concernées, ce qui a souvent pour conséquence que des bénéfices limités sont attribués aux pays dans lesquels elles opèrent. Le champ d’application du nouveau droit d’imposition tente de répondre à ce type d’activités de l’économie numérique.
30. Le nouveau droit d’imposition s’appliquera en particulier à deux grandes catégories de sociétés. Premièrement, aux sociétés multinationales qui fournissent des services numériques automatisés dans le monde entier. Beaucoup de ces sociétés dépendent des utilisateurs pour la fourniture de services, par exemple de leurs données à caractère personnel, de l’optimisation personnelle du contenu et du contenu que les utilisateurs eux-mêmes fournissent à la plateforme. Les sociétés de cette catégorie sont notamment de grandes plateformes de réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des services de diffusion en continu, qui, au fil des ans, ont gagné en présence sur le marché et en importance pour figurer parmi les plus valorisées sur les marchés boursiers mondiaux. Ce nouveau droit d’imposition s’appliquerait aussi par exemple à l’informatique en nuage (cloud). La seconde catégorie de sociétés comprend les sociétés au contact des consommateurs, c’est-à-dire les multinationales qui réalisent des recettes en vendant des biens et des services à la fois en ligne et directement au consommateur. Ces sociétés sont capables de développer des contacts avec les consommateurs de manière significative, au-delà de leur présence physique locale, en se basant sur la technologie numérique pour les atteindre en vue de leur vendre leurs produits et de bâtir une relation client, ainsi que pour cibler des groupes spécifiques de clientèle. La portée précise du nouveau droit d’imposition pour cette seconde catégorie de sociétés sera définie à l’occasion des travaux actuels du Cadre inclusif.

3.1. Comparaison entre l’approche unifiée du Pilier 1 et des initiatives européennes similaires

31. Le nouveau droit d’imposition s’écarte à plusieurs égards de la proposition de Directive de 2018 de la Commission européenne sur l’imposition des sociétés à forte présence numérique. Actuellement, les États peuvent lever des impôts sur la base des bénéfices déclarés par les sociétés qui ont une présence physique dans leur pays. La Directive détermine l’attribution d’une taxe numérique basée sur la localisation des utilisateurs finaux mais ne différencie pas les bénéfices réalisés dans des lieux spécifiques par les utilisateurs finaux. La nouveauté concernant ce nouveau droit d’imposition réside dans le fait qu’une part du profit résiduel du groupe multinational serait allouée aux pays, sur la base d’une formule. Ce nouveau droit d’imposition s’appliquerait indépendamment de l’existence d’une présence physique. En outre, la détermination des multinationales éligibles est également différente, la directive comportant trois seuils, dont un au moins doit être atteint pour que les multinationales soient éligibles, c’est-à-dire redevables de l’impôt dans les États membres où elles déclarent des recettes d’au moins €7 millions, ou y comptent au moins 100 000 utilisateurs ou au moins 3 000 contrats commerciaux.
32. Une distinction est faite entre le Pilier 1 et la solution intérimaire proposée par la Commission européenne pour une taxe sur les services numériques, dont une version similaire a été adoptée en 2019 par la France sous la forme de la Taxe sur les Services Numériques. La proposition de taxe sur les services numériques faite par la Commission vise les entreprises qui offrent des services «pour lesquels la participation d’un utilisateur à une activité numérique apporte une contribution essentielle pour l’entreprise exerçant cette activité et qui permettent à celle-ci d’en tirer des revenus. En d’autres termes, les modèles économiques pris en compte par la Directive sont ceux qui ne pourraient pas exister sous leur forme actuelle sans la participation des utilisateurs» 
			(23) 
			«<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=COM%3A2018%3A148%3AFIN'>Proposition
de directive du Conseil concernant le système commun de taxe sur
les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture
de certains services numériques»</a>.. Cette approche est très différente de celle du Cadre inclusif, qui privilégie une taxe applicable à la fois aux services numériques automatisés et aux sociétés en contact avec les consommateurs.

3.2. Faits récents concernant le Pilier 1

33. Dans l’ensemble, le travail qui reste à faire au titre du Cadre inclusif sur le BEPS comprend l’accord sur les règles, les formules et les seuils de profit régissant le nouveau droit d’imposition, ainsi que l’accord sur la répartition des bénéfices entre les pays en fonction de la source des recettes. Un accord international est indispensable pour régler rapidement les questions qui subsistent, afin de mener à bien ce processus, de résoudre les questions techniques et d’élaborer un projet de législation type et de lignes directrices pour permettre aux pays de mettre en œuvre une solution consensuelle pour le Pilier 1 d’ici à la mi-2021.
34. Les opinions défendues par les membres du Cadre inclusif se répartissaient initialement, au moment du rapport intérimaire de 2018, en trois grands groupes reflétant non seulement des divergences de vues politiques et idéologiques, mais aussi des conflits entre les intérêts nationaux. Un premier groupe, comprenant la plupart des pays européens, considère les modèles commerciaux hautement numérisés, en particulier ceux qui reposent sur l’utilisation de données et la participation des utilisateurs, comme une source de déséquilibre entre la localisation des bénéfices imposés et la création de valeur. Pour ce groupe, la valeur créée par ces sociétés est en partie due à l’utilisateur et a lieu dans des pays éloignés du lieu d’établissement de la société. Un deuxième groupe de pays, principalement des pays émergents et en développement, estime que l’évolution de l’économie numérique suit les tendances plus générales de la mondialisation, qu’il faut aborder dans leur ensemble, plutôt que de se concentrer entièrement sur un secteur spécifique, sous l’angle du problème de la répartition des bénéfices et de l’érosion de l’assiette. Ils considèrent l’évolution de l’économie mondiale, notamment l’essor des modèles commerciaux numériques, comme un des principaux moteurs de la redistribution des bénéfices. Enfin, un troisième groupe de pays, plus restreint, considère que les règles fiscales internationales existantes suffisent pour les sociétés et ne pense pas qu’une réforme soit nécessaire.
35. Plusieurs pays européens soutiennent que les géants de la technologie profitent énormément du marché européen, tout en ne contribuant que très peu à l’alimentation des caisses publiques. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis sont restés opposés à la taxation des services numériques et aux mesures unilatérales similaires et ont cherché à faire du Pilier 1 une «sphère de sécurité» pour les multinationales. Malgré l’absence d’accord international fin 2020, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche et le Royaume-Uni ont annoncé, à l’instar de la France, leur intention de taxer les services numériques. En réaction, les États-Unis ont menacé de prendre des mesures de rétorsion sur certains biens importés des pays européens ayant adopté une taxe sur les services numériques. À cet égard, Robert Lighthizer, représentant du commerce américain, a annoncé l’ouverture d’une enquête visant à déterminer si ces mesures fiscales sur les services numériques s’apparentent à une pratique commerciale déloyale.
36. Les États-Unis restent engagés dans les négociations mondiales sur un nouveau cadre fiscal mondial applicable aux entreprises technologiques. En dépit des divergences d’opinion, les membres du Cadre inclusif observent que le règlement consensuel de la question d’ici à la mi-2021 reste d’une importance capitale.

4. Pilier 2: un taux plancher d’imposition

37. Les propositions du Pilier 2, visant à l’introduction d’un taux plancher d’imposition, sont conçues pour réduire la pression sur les pays en développement à octroyer des avantages fiscaux, limitant ainsi la pratique d’évasion fiscale des sociétés.
38. La mesure principale du second pilier repose sur la proposition de lutte contre l’érosion de l’assiette fiscale au niveau mondial (GloBE), et souligne la nécessité d’une coordination entre les pays afin d’éviter une course néfaste au rabais. La proposition n’a pas une portée limitée aux sociétés fortement numérisées, elle envisage également une solution systématique face au déplacement des bénéfices et à l’érosion de l’assiette en convenant d’un niveau minimum d’imposition au niveau mondial.
39. Le travail sur le second Pilier a progressé au cours de l’année dernière au sein des groupes de travail concernés du Cadre inclusif. Ils ont convenu d’une orientation générale des sujets liés au second pilier et le rapport sur le schéma directeur du second Pilier 
			(24) 
			«<a href='http://www.oecd.org/tax/beps/tax-challenges-arising-from-digitalisation-report-on-pillar-two-blueprint-abb4c3d1-en.htm.'>Les
défis fiscaux soulevés par la numérisation – Rapport sur le schéma
directeur du Pilier 2»</a>. donne une base solide pour un accord futur sur plusieurs aspects de la réforme. Le second Pilier propose l’application d’un taux d’imposition minimum du revenu des entreprises lorsque le taux d’imposition actuel est inférieur au minimum convenu. Cela garantit essentiellement que les recettes de toute société multinationale soient imposées à un taux minimum partout où elles opèrent, ce qui limite les incitations à transférer les bénéfices vers des pays à faible taux d’imposition et le risque de diminuer ainsi l’assiette fiscale d’autres pays. La conception globale des règles du second pilier est un élément essentiel pour la conclusion d’un accord consensuel en 2021.

5. La voie à suivre

40. Le point de départ d’une évaluation des faits nouveaux et de la préparation de la voie à suivre devrait être la reconnaissance de la nature numérique changeante des pratiques commerciales, l’accélération de la mondialisation et la sensibilisation croissante à l’évasion fiscale des multinationales.
41. Les modèles commerciaux mondiaux et les pratiques numériques ont rapidement évolué, passant d’une approche fondée sur les lieux d’implantation à un éloignement croissant par rapport aux pays d’où les sociétés opèrent, ce qui a de profondes conséquences pour les accords centenaires de double imposition. Il est clair que l’accord des années 1920, qui a été conçu pour éviter les pratiques de double imposition entre les pays et imposer les sociétés en fonction de leur établissement légal, ne peut plus s’appliquer à l’intégralité de l’assiette fiscale et attribuer les bénéfices aux pays où la richesse est créée. En effet, les dispositions de ces mêmes conventions sur la double imposition sont utilisées par les contribuables qui se livrent à des stratégies d’évasion fiscale (par exemple les clauses de retenue à la source). Par conséquent, la communauté internationale attend depuis longtemps l’établissement de nouvelles normes fiscales internationales pour faire face à l’évolution rapide du modèle numérisé des sociétés multinationales. Dans le même temps, le maintien des conventions sur la double imposition bien établies et l’adoption de nouvelles pratiques visant à garantir la pleine imposition des bénéfices ne devraient pas s’exclure mutuellement. Le succès repose sur l’obtention d’un consensus qui intègre les nouvelles normes fiscales et sur leur intégration aux pratiques fiscales internationales déjà établies qui évitent la double imposition entre pays.
42. La volonté politique d’aboutir à un accord multilatéral sur une nouvelle norme d’imposition internationale des sociétés a été alimentée, d’une part, par la sensibilisation accrue du grand public aux cas d’évasion fiscale et de transfert des bénéfices et, d’autre part, par la dégradation des finances publiques provoquée par la crise économique mondiale depuis 2008, qui mine les capacités keynésiennes et l’intégrité des services des États providence. Les nombreux cas de grandes multinationales ayant recours à des pratiques d’évasion fiscale, mis en évidence dans les médias ces dernières années, ont fait évoluer l’opinion publique (en particulier les électeurs européens) vers la nécessité d’une imposition plus juste des bénéfices des sociétés. Les dispositifs d’évasion fiscale, comme les Luxembourg Leaks, les Panama Papers ou plus récemment l’enquête Openlux, ont mis en évidence les comportements agressifs d’optimisation fiscale des contribuables les plus puissants du monde. Les Paradise Papers (fin 2017) nous rappellent que les pratiques d’évasion fiscale représentent un problème systémique et récurrent. Pour les électeurs européens en particulier, la réduction de l’assiette d’imposition des recettes des sociétés a été associée à un alourdissement de l’imposition des salaires et de la consommation, les gouvernements ayant cherché à augmenter les sources de recettes de l’État pendant la crise.
43. Bien que les divergences entre les pays européens et les États-Unis au sujet du droit d’imposer une taxe numérique devront être surmontées pour la conclusion d’un accord international, on considère qu’une approche unifiée représente la solution la plus efficace pour l’économie mondiale. Les deux piliers impliqueraient une augmentation relativement faible des coûts d’investissement moyens des multinationales. L’effet négatif sur le PIB mondial de l’augmentation prévue des recettes fiscales occasionnées par les propositions est estimé à moins de 0,1 % à long terme, car celles-ci toucheraient des entreprises extrêmement rentables. En revanche, l’absence de solution consensuelle entraînerait, comme l’ont déjà déclaré plusieurs pays européens, une prolifération de mesures fiscales non coordonnées et unilatérales, ce qui provoquerait une augmentation des litiges fiscaux et commerciaux préjudiciables. Cette situation compromettrait inévitablement la sécurité fiscale et entraînerait des coûts supplémentaires de mise en conformité et d’administration, ce qui réduirait encore le PIB mondial de plus de 1 %.

6. Les conséquences de la pandémie de covid-19 et les travaux pertinents de l’OCDE

44. Étant donné les récentes évolutions macroéconomiques causées par la pandémie, les deux facteurs susmentionnés continueront très certainement d’inciter les pays à conclure un accord sur la fiscalité internationale des sociétés dans les années à venir. Cela s’explique tout d’abord par le fait que la pandémie va encore accentuer la nécessité d’augmenter les recettes fiscales. L’augmentation des dépenses publiques couplée à des mécanismes de stabilisation fiscale automatiques, à des programmes de soutien des revenus et de garanties économiques devra être compensée par des sources de revenus supplémentaires après la pandémie. En outre, la forte contraction de l’activité économique réduira les recettes de l’État et augmentera les besoins bruts de financement du service de la dette dans les pays émergents et en développement 
			(25) 
			«<a href='https://www.oecd.org/tax/oecd-secretary-general-tax-report-g20-finance-ministers-july-2020.pdf'>OECD
Secretary-General tax report to G20 finance ministers and central
bank governors»</a>, octobre 2020, Arabie saoudite..
45. Ensuite, les mesures de confinement prises pour faire face à la pandémie qui affectent l’ensemble de l’économie ont provoqué une nouvelle accélération de l’économie numérique. Beaucoup de grandes multinationales qui se fondent sur des services numérisés ont enregistré ces derniers mois un accroissement de leurs ventes, tandis que la plupart des PME qui recourent dans une moindre mesure aux pratiques numérisées au sein des pays ont dû suspendre leurs activités. Comme les habitudes numériques se sont enracinées pendant la pandémie, le monde connaît un développement sans précédent des services numériques. Alors que les différents pays constatent une dégradation de leurs finances publiques, la tendance numérique est une raison de plus pour les forces politiques de négocier un accord international sur l’imposition des sociétés de l’économie numérique.
46. Selon une étude de l’OCDE, en 2019, les recettes fiscales ont chuté dans l’ensemble de l’OCDE pour la première fois en dix ans. Par ailleurs, les bénéfices des multinationales du numérique ont atteint des records historiques, surtout en 2020, en pleine crise de la covid-19. Les actions d’Apple ont par exemple fait un bond de plus de 1 200 % au cours de la dernière décennie et cette société est devenue la première société américaine à dépasser une valeur commerciale de $US 2 000 milliards 
			(26) 
			«<a href='https://www.forbes.com/sites/sergeiklebnikov/2020/08/19/apple-becomes-first-us-company-worth-more-than-2-trillion/'>Apple
Becomes First U.S. Company Worth More Than $2 Trillion»</a>.. Les actions d’Amazon.com ont grimpé en un seul jour de 7,9 %, ajoutant ainsi $US 13 milliards à la valeur nette au patrimoine de son PDG, ce qui représente le plus grand bond réalisé en un jour par la fortune d’un particulier depuis la création de l’indice des milliardaires de Bloomberg en 2012 
			(27) 
			«<a href='https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-07-20/jeff-bezos-adds-record-13-billion-in-single-day-to-his-fortune'>Jeff
Bezos Adds Record $13 Billion in Single Day to Fortune», 20 juillet
2020</a>.. Les multinationales américaines du numérique présentent désormais une capitalisation boursière totale de plus de $US 9 100 milliards, soit un montant supérieur à celui de l’ensemble du marché boursier européen, Union européenne, Royaume-Uni et Suisse compris 
			(28) 
			«<a href='https://www.forbes.com/sites/sergeiklebnikov/2020/08/28/us-tech-stocks-are-now-worth-more-than-9-trillion-eclipsing-the-entire-european-stock-market/?sh=4b17f01e3e61'>U.S.
Tech Stocks Are Now Worth More Than $9 Trillion, Eclipsing The Entire
European Stock Market»</a>.. La diminution des recettes fiscales sera encore plus importante en 2021: à la suite du confinement et de la fermeture forcée de nombreuses entreprises en raison de la pandémie de covid-19, l’activité économique et les recettes des taxes à la consommation ont été amoindries. Début décembre 2020, Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, a fait la déclaration suivante: «Nous nous attendons à une baisse beaucoup plus importante l’année prochaine, lorsque l’impact de la covid-19 commencera à devenir plus apparent. À un moment donné, lorsque la crise sanitaire sera passée et que la reprise économique sera en cours, les gouvernements devront reconsidérer si leurs systèmes fiscaux sont à la hauteur des défis de l’environnement post-pandémique.» 
			(29) 
			«<a href='https://www.oecd.org/fr/presse/les-recettes-fiscales-dans-l-ocde-ont-diminue-legerement-avant-la-pandemie-de-covid-19-mais-une-baisse-bien-plus-importante-de-ces-recettes-est-a-prevoir-en-particulier-pour-les-impots-sur-la-consommation.htm'>Les
recettes fiscales dans l’OCDE ont diminué légèrement avant la pandémie
de COVID-19, mais une baisse bien plus importante de ces recettes
est à prévoir, en particulier pour les impôts sur la consommation»</a>, 3 décembre 2020. M. Angel Gurría a également souligné qu’après la crise de la covid-19, les pays se tourneront vers les entreprises qui fixent le rythme de l’économie numérique et qui ont augmenté leurs revenus pendant les crises ou à cause des crises pour chercher auprès d’elles des recettes supplémentaires pour l’État 
			(30) 
			<a href='https://vodmanager.coe.int/coe/webcast/coe/2020-10-12-3/fr'>Réunion
de la Commission permanente de l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe, 12 octobre 2020</a>.. La plupart des GAFA reconnaissent l’importance de l’enjeu et affirment leur préférence pour la sécurité juridique qui découle d’un cadre internationalement admis de l’imposition de leurs activités numériques.
47. L’OCDE fournit des données et des analyses précieuses sur la crise économique due à la pandémie de covid-19. L’ampleur de cette contraction est révélée par ses prévisions sur le taux de croissance annuel du PIB réel pour l’année 2020, qui va de -14,4 % pour l’Espagne et -9,8 % pour la Grèce à une récession globale du PIB réel mondial de -7,6 % 
			(31) 
			Pour
de plus amples informations, voir OCDE (2020), <a href='https://data.oecd.org/fr/gdp/previsions-du-pib-reel.htm'>Prévisions
du PIB réel</a> (indicateur).. L’OCDE a complété ces prévisions par un suivi détaillé des politiques, qui énumère les mesures prises par les pays pendant la crise. L’OCDE a identifié des mesures spécifiques des pouvoirs publics qui pourraient soutenir les États et a préconisé une augmentation des dépenses de santé, complétées par plusieurs politiques sociales visant à atténuer l’impact de la crise sur les entreprises et les salariés. Ces politiques comprennent des prestations sociales plus généreuses, des aides au revenu pour les salariés et des paiements différés pour les sociétés. Enfin, l’OCDE a mis à disposition une série de ressources décrivant les bonnes pratiques et les propositions intéressantes dans les différents domaines politiques.
48. Il est capital que les gouvernements mettent en œuvre les données et analyses de l’OCDE afin d’atténuer les effets les plus dramatiques de cette crise, notamment pour les personnes les plus vulnérables, et d’ouvrir la voie à une reprise inclusive et en douceur. Une action ciblée menée en temps utile éviterait aux États de devoir supporter des coûts plus importants au fil du temps. Pour obtenir les meilleurs résultats, il faudrait que les politiques fiscales et budgétaires soutiennent une action prioritaire dans des domaines tels que les soins de santé, le commerce, l’action sociale et le marché du travail.
49. Dans cet esprit, nous avons défini, avec la rapporteure pour avis sur ce rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, Mme Selin Sayek Böke (SOC, Turquie), les recommandations prioritaires suivantes 
			(32) 
			«<a href='https://pace.coe.int/fr/news/7879'>Covid-19: des rapporteurs
de l'APCE définissent une feuille de route pour la reprise économique,
après le virus»</a>.:
i. améliorer les prestations sociales et le soutien au revenu (à titre temporaire) pour tous les travailleurs, en mettant l’accent sur les ménages à faibles revenus et les travailleurs indépendants et précaires;
ii. étendre la couverture et la durée des filets de sécurité sociale tels que les régimes de prestations d’assurance chômage;
iii. accorder des allègements fiscaux aux travailleurs du secteur de la santé et d’autres secteurs liés aux situations d’urgence;
iv. réduire les taxes sur les biens et services de consommation essentiels;
v. suspendre les cotisations de sécurité sociale des employeurs et des travailleurs indépendants, les impôts sur les salaires et, le cas échéant, certaines taxes sur les articles importés essentiels (pouvant sauver des vies);
vi. mettre en œuvre des programmes de relance ambitieux, offrant un soutien accru aux PME et aux investissements verts;
vii. mieux utiliser les mécanismes de réponse rapide et les politiques qui ajustent automatiquement le taux d’imposition et les paiements de transfert pour stabiliser les revenus, la consommation et les dépenses des entreprises au cours du cycle économique (stabilisateurs automatiques);
viii. promouvoir des politiques, des règles et des mécanismes de soutien au télétravail.

7. Conclusions

50. La principale priorité du Cadre inclusif est de relever les défis fiscaux nés de la numérisation de l’économie en réformant le système fiscal international, en rétablissant la stabilité du cadre fiscal international et en évitant le risque de nouvelles mesures fiscales unilatérales non coordonnées qui pourraient provoquer des sanctions commerciales. Ce cadre met en évidence le rôle du multilatéralisme et de l’inclusivité. La crise de la covid-19 a davantage exacerbé ces défis en accélérant la numérisation de l’économie, en renforçant la pression exercée sur les finances publiques et en diminuant la tolérance dont les citoyens font preuve à l’égard des sociétés multinationales rentables qui ne paient pas leur juste part d’impôt. Le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, soutient que «nous devons [le] faire sur une base multilatérale. […]. Nous devons [les] traiter de manière globale et de manière multilatérale, sans quoi nous ne connaîtrons pas beaucoup d’avancées. La pandémie de covid-19 est un premier rappel des changements fondamentaux auxquels nous devons procéder pour recréer une situation plus satisfaisante. Mais nous pourrons uniquement changer de cap si nous agissons ensemble. Il s’agit de mettre en pratique le pouvoir de transformation des actions collectives, afin d’élaborer de meilleures politiques pour une vie meilleure» 
			(33) 
			<a href='https://vodmanager.coe.int/coe/webcast/coe/2020-10-12-3/fr'>Réunion
de la Commission permanente de l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe, 12 octobre 2020</a>..
51. La coopération de l'OCDE avec le G20 pour traiter de la fiscalité de l'économie numérique et de la création du Cadre inclusif avec la participation de 137 pays a favorisé l'inclusion dans la prise de décision et le pluralisme d'opinion. Il est important de noter que les solutions dans ce cadre ne sont pas limitées à un groupe restreint de pays, mais sont étendues à la plupart des pays du monde, qui peuvent ainsi élaborer des politiques sur un pied d'égalité. En ce sens, l'accord au sein du Cadre inclusif intègre l'opinion des pays émergents et en développement, des nations fragiles et des petits pays, rendant ainsi les décisions plus inclusives. Étant donné que les lacunes de la législation fiscale résultent souvent de mesures unilatérales prises par certains pays, la participation plus large assurée par le Cadre inclusif contribue au succès futur des politiques convenues et à favoriser les normes internationales convenues. C'est dans ce cadre de multilatéralisme et d'inclusion que réside le succès d'un futur accord.
52. Jusqu'à présent, l'OCDE a joué un rôle déterminant pour faciliter les discussions et proposer des solutions dans le cadre de négociations multinationales complexes. La délimitation des politiques dans les deux piliers, le programme de travail, la déclaration de janvier 2020, ainsi que la dernière évaluation de l'impact économique des défis fiscaux soulevés par la numérisation, publiée en octobre 2020, et la Déclaration liminaire du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 relative aux rapports sur les Schémas Directeurs Piliers 1 et 2, ont fourni une base concrète de discussion.
53. Bien qu'il reste un grand nombre de questions à résoudre, il convient de reconnaître ce qui a été réalisé jusqu'à présent. Les pays ont renforcé leur coopération et se sont conformés à des principes communs en matière de fiscalité. En outre, le flux d'informations entre les autorités fiscales a augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années, ce qui limite les possibilités d’optimisation et d’évasion fiscales. Pour ce qui est de l’imposition de l'économie numérique, les pays membres du Cadre inclusif ont pris des mesures déterminantes pour promouvoir l'imposition complète des bénéfices en tant que norme internationale.
54. Malgré les progrès réalisés ces dernières années, plusieurs questions doivent encore faire l’objet de travaux techniques et de décisions politiques pour être réglées. Jusqu'à présent, les pays ne sont pas parvenus à s'entendre sur la répartition des bénéfices dans l'économie numérique. Un profond désaccord et une forte opposition à l’imposition des services numériques, ainsi que la tentative faite par les États-Unis d’instaurer une «sphère de sécurité» pour la mise en œuvre du Pilier 1, pourraient conduire à une escalade des actions unilatérales et continuer à peser sur l’issue finale du projet.
55. En outre, un grand nombre de pays émergents et en développement préfèrent aborder le nouveau droit d'imposition de manière plus générale, au lieu de le circonscrire à l’économie du numérique. Les questions plus spécifiques qui restent à résoudre concernent les détails de la proposition, tels que les montants des bénéfices dans le Pilier 1, le mécanisme de règlement visant à garantir la sécurité fiscale et les questions pratiques d’un impôt minimum au niveau mondial relevant du second pilier.
56. Il ne fait aucun doute qu'il reste beaucoup à faire pour que les pays parviennent à un accord consensuel d'ici la fin de 2021. C'est pourquoi le travail du Cadre inclusif n'a pas échappé aux critiques des universitaires, des experts fiscaux et du monde des affaires. Les résultats obtenus sont une combinaison de différentes propositions, fondés sur des traités séculaires. Pourtant, il est important que le travail restant progresse, que les questions subsistantes soient résolues et qu'un accord soit conclu, plutôt que de revenir à une autre solution.
57. Dans la théorie des jeux, le «dilemme des prisonniers» aboutit à un résultat bien connu: la coordination entre les joueurs s’impose pour parvenir au résultat le plus efficace. Faute d'accord parmi les membres du Cadre inclusif, le monde serait encore plus exposé au risque d'actions unilatérales et de guerres commerciales. Ces actions pourraient constituer soit une menace soit être une réponse à court terme aux actions d'un autre pays. Une éventuelle escalade de telles actions pourrait mettre en danger le bien-être de la population et entraîner une nouvelle érosion de l’assiette fiscale dans le monde entier. La coordination des actions est donc essentielle pour lutter contre l'érosion de l’assiette fiscale, car l’avantage obtenu par un pays se fait souvent au détriment d’un autre. De même, M. Angel Gurría a attiré l’attention sur le fait que, si un accord n’était pas trouvé autour des propositions de l’OCDE sur le Pilier 1 et le Pilier 2, de nombreux pays décideraient d’agir seul et devraient faire face aux représailles d’autres pays qui jugent cette situation contraire aux intérêts de leurs propres entreprises. En outre, selon lui, «dans le monde d’aujourd’hui, nous ne souhaitons surtout pas voir la reprise des tensions commerciales qui se sont accumulées avant même l’apparition de la covid, mais une forte croissance, beaucoup de bien-être, de nombreux emplois et un grand nombre d’investissements. Les États-Unis font partie des 137 pays qui ont travaillé avec nous. Malgré leur désaccord, ils font preuve de sagesse et continuent à œuvrer en faveur d’une solution technique; tous ces éléments sont sur le tapis» 
			(34) 
			<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/APCE/pdf/SCs/2020/AS-PER-2020-PV-06-FR.pdf'>Procès-verbal
de la réunion de la Commission permanente</a> du 12 octobre 2020..
58. Il est primordial pour tous les pays et institutions participant au processus de maintenir l'élan et de trouver des solutions aux problèmes restants par le biais du Cadre inclusif. Les divergences de positions observées dans les négociations, les intérêts spécifiques des pays et les différences idéologiques en matière de normes fiscales risquent véritablement de compromettre la conclusion d’un accord dans le délai envisagé. Dans le même temps, la montée en puissance du numérique, la pression sur les finances publiques dues à la pandémie mondiale et la sensibilisation accrue de l'opinion publique aux questions relatives à la fiscalité internationale rendent indispensable l’obtention d'un accord opportun.
59. Étant donné le rôle de l'OCDE dans le soutien du Cadre inclusif, le rôle des institutions collaboratrices telles que le Conseil de l'Europe devrait être de favoriser le consensus entre leurs membres, tout en œuvrant pour combler les fossés diplomatiques. Des politiques globales tenant compte non seulement des enjeux fiscaux, mais aussi de tous les éléments de la réalité économique des pays, sont la clé d'une réponse efficace.
60. À un moment où la crise et ses retombées ont sapé la confiance de la population dans les institutions démocratiques, les décideurs politiques doivent faire un acte de foi pour rétablir la confiance dans les pouvoirs publics, par une meilleure transparence des institutions et par un renforcement du degré d’intégrité, en particulier dans les domaines à haut risque tels que le lobbying, les marchés publics et le financement politique. La lutte contre l’optimisation et l'évasion fiscales agressives, la garantie d'une fiscalité équitable et de recettes fiscales suffisantes, de manière à assurer des finances publiques saines et des services sociaux de qualité pour tous, constituent une partie essentielle de cette action.
61. Pour garantir une imposition équitable des bénéfices des entreprises à l'échelle mondiale, l'Assemblée élargie devrait inviter instamment l'OCDE et les États membres à prendre les mesures suivantes:
i. continuer à soutenir et à promouvoir le Cadre inclusif sur l'érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) en vue de parvenir, dans les délais prévus, à un accord consensuel, comprenant les Piliers 1 et 2;
ii. faciliter l’application de l’instrument multilatéral adopté aux conventions fiscales en vigueur;
iii. éviter et inverser la course au rabais des systèmes fiscaux nationaux, qui pourraient compromettre les capacités de financement légitimes des gouvernements leur permettant de conserver des finances publiques saines et d’offrir des services sociaux universels de qualité pour tous;
iv. adopter des règles sur la transparence et l'échange automatique d'informations à des fins fiscales entre tous les pays afin de garantir l'équité fiscale et le respect des règles fiscales tant par les personnes morales que par les personnes physiques;
v. élaborer des règles rendant la divulgation des transactions, arrangements ou structures agressives ou abusives obligatoire, en mettant l'accent sur les régimes fiscaux internationaux;
vi. proposer des mesures pour lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en s'attachant en priorité à améliorer la transparence, notamment en rendant obligatoire l'échange spontané de décisions relatives aux régimes préférentiels et en exigeant une activité substantielle pour tout régime préférentiel;
vii. promouvoir la cohérence internationale de l'imposition des revenus de sociétés, de sorte que la conception de la politique fiscale soit mieux éclairée par l'interconnexion croissante des économies et les écarts qui peuvent être créés par les interactions entre les législations fiscales nationales;
viii. prendre davantage en considération les besoins et les intérêts des pays en développement à cet égard.
62. La volonté des pays de parvenir à un compromis sur les principaux points des propositions, tels que la définition du nouveau droit d'imposition, la répartition des bénéfices entre les pays et le niveau de l'imposition minimale des sociétés, facilitera les discussions et contribuera à renouveler la norme fiscale internationale. Malgré les problèmes auxquels se heurte la recherche d’une solution commune, cette approche multilatérale et inclusive peut offrir de meilleures perspectives de résolution des questions qui restent à régler en matière de fiscalité de l'économie numérique.