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Rapport | Doc. 15310 | 07 juin 2021

Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Andrej HUNKO, Allemagne, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15145, Renvoi 4537 du 12 octobre 2020. 2021 - Troisième partie de session

Résumé

La pandémie de Covid-19 a fait d’innombrables victimes et engendré beaucoup de souffrances, mettant à rude épreuve tant les systèmes de santé nationaux que les structures socio-économiques. La récession qui en a résulté a provoqué de sérieuses pénuries de ressources pour les entreprises, les travailleurs et les États, comme pour les flux d’investissement mondiaux, et a eu des conséquences particulièrement négatives pour les groupes de population et les régions économiques d’Europe vulnérables. Après avoir mis en place des programmes d’aide d’urgence, il appartient désormais aux États de veiller à une utilisation juste, efficace et transparente des fonds de relance sur le moyen et long terme, et de mettre en œuvre la vision stratégique d’un développement plus sain, inclusif et durable.

Le rapport souligne que les États membres se sont engagés à respecter les droits sociaux fondamentaux consacrés par la Charte sociale européenne (ETS No. 35 et No. 163) et les invite instamment à mettre en œuvre des programmes d’investissement ambitieux (en faveur notamment des services publics et des infrastructures), à veiller à une utilisation plus durable des ressources, à proposer des perspectives d’emploi et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie, et à garantir un niveau de revenu minimum ainsi qu’une protection sociale complète. Par ailleurs, les États sont encouragés à consolider les finances publiques en mettant en place une fiscalité progressive, en collectant de nouvelles ressources, en ayant davantage recours aux fonds nationaux privés, en améliorant l’imposition de l’économie numérique et en assurant une gestion plus collective de la dette publique. Enfin, le rapport recommande d’étendre le champ d’application de la Charte sociale européenne, notamment par l’ajout éventuel de nouveaux droits.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 20 mai 2021.

(open)
1. La pandémie de covid-19 a pris le monde entier au dépourvu. Les mauvais choix de politique macroéconomique du passé – dont les mesures d’austérité prises par de nombreux pays pour faire face à la dernière crise financière et économique de 2008-2010 ou imposées à certains pays par des « sauveurs » extérieurs – n’ont fait que fragiliser davantage la résilience de nos sociétés et de nos États, y compris le secteur de la santé et les systèmes de protection sociale. Il en est résulté que les inégalités socio-économiques ont continué de se creuser. Avec la pandémie, les effets désastreux des politiques antérieures sur les catégories les plus défavorisées et vulnérables de la population sont apparus au grand jour.
2. Devant la nécessité absolue de sauver des vies et d’éviter l’effondrement de leurs systèmes nationaux de santé, la plupart des États se sont résolus à recourir temporairement à des mesures de santé publique très fortes, notamment des mesures de confinement et de fermeture, assorties de restrictions à la circulation des personnes et des biens ; si la pandémie a effectivement marqué le pas, l’économie aussi. La récession qui en a résulté a provoqué de sérieuses pénuries de ressources pour les entreprises, les travailleurs et les États, comme pour les flux d’investissement mondiaux, impactant de façon disproportionnée les populations et les régions d’Europe les plus vulnérables, sur le plan sanitaire, social et économique. Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont déjà mis en place des programmes d’aide d’urgence aux entreprises et aux personnes vulnérables afin de stabiliser la situation socio-économique. Face à l’imminence de la crise climatique, il leur appartient désormais de veiller à une utilisation juste, efficace et transparente de ces fonds sur le moyen et long terme, et de mettre en œuvre la vision stratégique d’un développement plus sain, inclusif et durable, qui est au cœur de l’intérêt public général.
3. L’Assemblée parlementaire souligne que les États membres se sont engagés à respecter les droits sociaux fondamentaux consacrés par la Charte sociale européenne (STE no 35 et STE no 163) et rappelle la déclaration adoptée le 24 mars 2021 par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) sur la covid-19 et les droits sociaux. L’Assemblée est vivement préoccupée par la situation des populations vulnérables qui ont été durement touchées par la crise socio-économique, déclenchée par la pandémie, et elle soutient pleinement les propositions du CEDS visant à améliorer leur situation.
4. L’Assemblée regrette que, pendant les périodes de confinement et de fermeture successives, beaucoup de femmes, en particulier des mères de famille, aient dû supporter le double fardeau du surcroît de travail (non rémunéré) que représentent le travail domestique et l’enseignement à domicile, alors qu’elles sont aussi sur-représentées dans les emplois mal rémunérés, mais aussi exposées à une plus grande précarité en termes de revenus, à un risque accru de chômage et à une augmentation de la violence domestique. Les parents isolés ont souffert de manière disproportionnée de la fermeture des écoles et des structures d’accueil des enfants, ce qui les a exposés à un risque accru de pauvreté.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée souhaite attirer l’attention sur un vide juridique dans la Charte sociale européenne: les travailleurs migrants originaires de pays qui ne sont pas liés par le système de traités de la Charte sont exclus de l’application de certaines dispositions de la Charte. Cette lacune, qui vient s’ajouter à d’autres, souligne la nécessité de moderniser la Charte et de reconnaître de nouveaux droits pour répondre aux nombreux problèmes que la pandémie a rendus plus visibles.
6. L’Assemblée considère que les États européens sont à la croisée des chemins et ont l’occasion historique de rééquilibrer leur développement économique en tenant compte des besoins sociaux et environnementaux dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, ainsi que de corriger les inégalités socio-économiques induites par un modèle de croissance défectueux. Des stratégies de croissance alternatives ayant pour but la réduction de l’épuisement des ressources limitées et des émissions de gaz à effet de serre doivent être développées et mises en œuvre en urgence. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2329 (2020) «Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19», dans laquelle elle recommande que les États membres « veillent, dans leurs plans de relance économique, à ne pas créer les conditions de futures dégradations des écosystèmes susceptibles de générer d’autres épidémies de nature zoonotique et, pour cela, conditionnent les aides mises en place à des critères environnementaux et sociaux ambitieux, en phase avec les objectifs de développement durable des Nations Unies ». Par conséquent, l’Assemblée exhorte les États à donner aux acteurs non étatiques des signaux clairs quant aux orientations de leurs politiques macroéconomiques sur le long terme, de manière à mieux protéger le bien-être et la dignité humaine, ainsi que la jouissance des droits socio-économiques fondamentaux.
7. La mise en œuvre de mesures de relance économique ambitieuses implique d’accroître la capacité budgétaire souveraine des pays afin de mobiliser des ressources nouvelles ou supplémentaires aussi bien nationales qu’extérieures. Cette capacité budgétaire souveraine variant considérablement d’un pays européen à l’autre, la coordination et la mutualisation des ressources fiscales et financières devront être renforcées pour surmonter la crise socio-économique, en particulier aux niveaux régional et transfrontalier.
8. Compte tenu de ces considérations et afin de placer leur redressement socio-économique sur des rails solides tout en garantissant une protection sociale suffisante pour tous, l’Assemblée recommande que les États membres du Conseil de l’Europe:
8.1. conditionnent le soutien financier qu’ils fournissent aux entreprises afin de garantir les droits sociaux des travailleurs (tel que la préservation de l’emploi), interdisent la distribution des dividendes, renforcent la durabilité de l’utilisation des ressources et adoptent des feuilles de route pour réduire l’empreinte environnementale de leurs activités ;
8.2. étendent des programmes d’investissement public visant:
8.2.1. à améliorer la qualité et l’accessibilité, notamment tarifaire, des services publics et des infrastructures ;
8.2.2. à stimuler l’emploi et la création d’emplois de haute qualité, en tenant compte des besoins économiques locaux et en poursuivant l’objectif d’un travail décent pour tous ;
8.2.3. à améliorer les perspectives éducatives et professionnelles des jeunes ;
8.2.4. à développer des systèmes d’éducation et de formation tout au long de la vie pour accompagner l’adaptation des compétences et aptitudes humaines en vue de construire une économie plus durable et numérisée ;
8.2.5. à garantir un niveau de revenu minimum et de protection sociale suffisant, en particulier pour les groupes de populations plus vulnérables, y compris les jeunes en transition vers l’autonomie et les familles monoparentales ;
8.2.6. à reconquérir des secteurs d’activité qui seront stratégiquement importants pour la prospérité, le bien-être et l’égalité sociale à l’avenir, notamment en ce qui concerne les énergies, les réseaux de télécommunications, la mobilité, le logement, les soins de santé et l’approvisionnement en eau et alimentaire durables, ainsi que les capacités de recherche et de développement scientifiques ;
8.2.7. à renforcer les bases de l’économie numérique et de sa gouvernance dans le cadre d’une organisation du travail humain économe en ressources, ainsi que d’assurer l’égalité d’accès aux outils numériques ;
8.3. consolident les finances publiques:
8.3.1. en mettant en place des mécanismes qui permettent de découpler les finances publiques de la volatilité des marchés et en développant un cadre pour traiter collectivement la dette cumulée pendant la pandémie (cadre qui peut être utilisé pour d’autres dettes) ;
8.3.2. en augmentant la part des fonds nationaux collectés auprès de sources privées, notamment par le biais d’une imposition progressive qui protège les moins fortunés ;
8.3.3. en collectant de nouvelles ressources par l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, notamment les transactions à haute fréquence ;
8.3.4. en envisageant des formes d’imposition foncière et/ou de contribution sociale pour les plus riches afin de déplacer le fardeau de la crise des épaules des moins fortunés vers celles des plus riches ;
8.3.5. en renforçant la coopération entre les États en matière fiscale par le biais du Cadre inclusif proposé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans l’esprit de la Résolution 2370 (2021) de l’Assemblée, « Lutter contre l’injustice fiscale: le travail de l’OCDE sur l’imposition de l’économie numérique », afin de garantir une imposition appropriée de l’économie numérique et d’établir une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés ;
8.3.6. dans le cas des États membres de l’Union européenne, en revoyant les exigences fiscales du Pacte de stabilité et croissance de l’Union européenne, conformément au besoin de maintenir les dépenses, au moins pendant la période de reprise ;
8.4. garantissent une affectation efficace et transparente des fonds de soutien au secteur privé, en tenant compte des priorités de développement à long terme en lien avec les objectifs de développement durable, l’agenda vert et autres objectifs sociaux spécifiques aux États, et prévoient un contrôle parlementaire des propositions d’investissement et de leur mise en œuvre ;
8.5. mettent en place un système d’équilibre au moyen de mesures visant à éliminer efficacement les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et toutes les formes de discrimination dans l’emploi ;
8.6. mettent en œuvre la Résolution 2361 (2021) « Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques », afin d’aider à faire des vaccins contre la covid-19 « un bien public mondial […] accessible à toutes et tous, partout » et « de surmonter les obstacles et les restrictions découlant des brevets et des droits de propriété intellectuelle, afin d’assurer la production et la distribution à grande échelle de vaccins dans tous les pays et pour tous les citoyens. »

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 20 mai 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2021) « Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 », et souligne la nécessité pour les États membres d’honorer leurs engagements au titre de la Charte sociale européenne (STE no 35 et STE no 163) en investissant davantage dans la mise en œuvre effective des droits sociaux. Pour ce faire, ils peuvent augmenter leur capacité fiscale et leurs programmes d’investissement public, et fournir un soutien ciblé aux entreprises privées, si nécessaire, en échange de leur engagement à respecter pleinement les droits socio-économiques, à maintenir et développer des possibilités d’emploi, à contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable et à s’engager dans l’écologisation (plutôt que l’écoblanchiment) de leurs activités.
2. Le contexte pandémique a mis en relief la pertinence de la Charte sociale européenne comme référence pour le développement humain. Alors que la Charte fête cette année son 60e anniversaire, l’Assemblée rend hommage à la capacité de cet instrument vivant à s’adapter progressivement aux évolutions socio-économiques dans les États membres. Elle se félicite que les Nations Unies aient reconnu, au cours de la décennie écoulée, un ensemble de nouvelles normes fondamentales en matière de droits humains et elle considère que celles-ci devraient également être reflétées dans la Charte sociale européenne.
3. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
3.1. de charger le Comité européen des droits sociaux d’examiner la possibilité d’ajouter de nouveaux droits à l’ensemble des droits déjà protégés par la Charte et d’étendre la portée de ceux en vigueur à toutes les personnes qui relèvent de la juridiction des États parties ;
3.2. d’inviter les quatre pays qui ne l’ont pas encore fait à ratifier dans les meilleurs délais le Protocole portant amendement à la Charte sociale européenne (STE no 142, « Protocole de Turin ») et, s’agissant de l’élection par l’Assemblée des membres du Comité européen des droits sociaux, à faire en sorte qu’en l’absence de progrès rapide l’Assemblée puisse pleinement remplir sa fonction prévue dans le mécanisme de suivi de la Charte en adoptant une décision unanime en ce sens ;
3.3. d’appeler tous les États membres à signer, ratifier et mettre pleinement en œuvre autant de dispositions que possible de la Charte sociale européenne et ses protocoles.

C. Exposé des motifs par M. Andrej Hunko, rapporteur

(open)

1. Introduction: le rôle des États dans la stabilisation de la situation socio-économique face à la pandémie

1. L’onde de choc provoquée par la covid-19 domine la vie des gens partout dans le monde depuis son apparition fin 2019 et continuera d’occuper les responsables politiques ces prochaines années, alors que tous nos pays sont aux prises avec les répercussions de la pandémie. Malgré les avertissements précoces et les injonctions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Assemblée parlementaire 
			(3) 
			Résolution 2114 (2016) « La gestion des urgences de santé publique de portée
internationale »., aucun pays n’était prêt à affronter une pandémie d’une telle ampleur. Les mesures d’austérité prises par de nombreux pays pour faire face à la précédente crise financière et économique des années 2008-2010 – ou imposées à certains pays par des « sauveurs » extérieurs – ont fragilisé encore davantage la résilience des sociétés et de l’État, notamment du secteur de la santé, avant que la pandémie ne frappe, touchant directement les catégories les plus défavorisées et vulnérables de la population 
			(4) 
			Résolution 1884 (2012) «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie
et les droits sociaux»..
2. Les confinements massifs décrétés au printemps 2020 dans la plupart des régions du monde ont entraîné un tel ralentissement de l’activité économique que les analystes ont vu poindre une récession, donnant lieu à de fortes baisses de revenus des entreprises et de nombreux travailleurs ainsi que des recettes fiscales de l’État. Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont été contraints de mettre en place des programmes d’aide d’urgence en faveur des entreprises et des personnes vulnérables. Les États ont été appelés à la rescousse et ont relevé le défi consistant à stabiliser la situation socio-économique grâce à des plans de sauvetage d’une ampleur sans précédent, malgré le recul des rentrées fiscales. Il leur faut désormais veiller à une utilisation juste, efficiente et transparente de ces fonds, ainsi qu’évaluer si ces fonds et les mesures économiques sont suffisants pour faire face à la crise économique actuelle. La Banque centrale européenne note que, en moyenne, les pays européens concernés ont déployé un soutien fiscal de 4 % du PIB par rapport au 9 % de la réponse fiscale immédiate des États-Unis.
3. L’automne 2020 et le printemps 2021 ont été marqués par de nouvelles vagues d’infections, d’hospitalisations et de décès liés à la covid-19, ainsi que par de nouvelles formes de restrictions ou de confinement qui ont eu des répercussions sur la vie économique et sociale de plusieurs États membres. La situation s’est encore aggravée au début de l’année 2021 avec l’augmentation du nombre des infections et la propagation en Europe de nouveaux variants du coronavirus (détectés pour la première fois au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Brésil), ce qui a exacerbé la pandémie et mis encore plus à mal les finances publiques, ainsi que celles des entreprises et des particuliers. Le lancement des campagnes de vaccination a été perçu comme un signe d’espoir, laissant entrevoir un retour à la vie normale – lentement, mais sûrement. Toutefois, compte tenu des difficultés d’approvisionnement en vaccin(s) et des problèmes d’organisation de la vaccination dans certains États, les effets positifs sur le terrain ont mis du temps à se faire sentir.
4. Dans sa Résolution 2361 (2021) « Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques » adoptée en janvier 2021, l’Assemblée appelait à faire des vaccins contre la covid-19 « un bien public mondial […] accessible à toutes et tous, partout ». Elle exhortait les États membres et l’Union européenne à « surmonter les obstacles et les restrictions découlant des brevets et des droits de propriété intellectuelle, afin d’assurer la production et la distribution à grande échelle de vaccins dans tous les pays et pour tous les citoyens.» De même, une coalition large de plus de 100 États menée par l’Inde et l’Afrique du Sud appelait à activer une dérogation d’urgence à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de lever les droits de propriété intellectuelle pour les vaccins covid-19. Le fait de ne pas agir en conséquence a contribué aux pénuries observées dans l’approvisionnement en vaccins et a non seulement coûté des vies, mais a également ralenti le chemin vers la normalité, ce qui affecte énormément le développement économique et social.
5. Nos États ont-ils su tirer les enseignements de la crise précédente survenue il y a une décennie ? Comment éviter de répéter les erreurs du passé et s’attaquer au défi d’une croissance durable afin de surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 ? Comment protéger au mieux les droits sociaux et éviter un nouveau creusement des inégalités ? Voici quelques-unes des questions dont nous avons débattu avec des experts lors de l’audition organisée le 7 octobre 2020 
			(5) 
			Audition sur le thème
« Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie
de covid-19 », tenue par la sous-commission sur la Charte sociale
européenne, le 7 octobre 2020, donnant lieu au dépôt d’une proposition sur ce sujet (Doc. 15145). À la suite de la décision de l’Assemblée le 12 octobre 2020, de renvoyer la question pour rapport à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, j’ai été nommé rapporteur le 21 octobre 2020. En mai 2021, l’Assemblée a également décidé de renvoyer à la commission deux autres propositions pour être prises en compte dans le cadre de ce rapport, à savoir: « Pour un avenir plus juste: tirer les leçons de la pandémie de covid-19 pour promouvoir l’égalité en Europe » (Doc. 15246) et « Impact de la covid-19 sur le tourisme mondial et l’industrie aéronautique, et relance de ces secteurs en toute sécurité » (Doc. 15254).
6. Dans ce contexte, je tiens à rappeler qu’en 2020, j’ai eu l’honneur de préparer et de présenter le rapport de notre commission intitulé « Enseignements pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19 » (Doc. 15115), qui contient des chapitres consacrés à la préservation du système économique et à la défense des droits sociaux et de la cohésion sociale. À l’issue d’un débat, l’Assemblée a fait part de ses préoccupations quant aux « dommages potentiellement durables pour nos systèmes politiques, démocratiques, sociaux, financiers et économiques » 
			(6) 
			Résolution 2329 (2020) et Recommandation
2174 (2020) «Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse efficace
et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19». que pourrait causer une réponse inadéquate à la pandémie. Elle a en outre recommandé que les États membres « veillent, dans leurs plans de relance et de sauvegarde économiques, à ne pas créer les conditions de futures dégradations des écosystèmes susceptibles de générer d’autres épidémies de nature zoonotique et, pour cela, conditionnent les aides mises en place à des critères environnementaux et sociaux ambitieux, en phase avec les objectifs de développement durable des Nations Unies ».
7. Le présent rapport s’efforce d’examiner les tendances socio-économiques et les mesures politiques dans le contexte de la crise actuelle engendrée par la pandémie en Europe ainsi que les mesures prises pour l’endiguer. Nous nous attacherons plus particulièrement au rôle de l’État dans le recours aux divers instruments et mesures d’intervention pour réparer les dommages subis par le tissu socio-économique et inciter les acteurs économiques à favoriser un développement social et environnemental équilibré. C’est là une occasion unique pour l’Europe de développer la solidarité entre les pays grâce à la mise en commun des ressources, des savoir-faire et d’une vision à long terme partagée en vue de reconquérir des secteurs économiques et de la société, notamment le système de santé, stratégiquement importants pour la prospérité future et l’équité sociale, et d’y réinvestir. En examinant les résultats de recherche disponibles les plus fiables et les conseils politiques prodigués par les principales autorités macroéconomiques, nous chercherons à formuler des recommandations politiques appropriées à l’intention de nos États membres.

2. Les effets multidimensionnels de la crise socio-économique suite à la pandémie

8. Nous avons assisté au cours de l’été 2020 à un assouplissement progressif des limitations de déplacement des personnes, puis à la mise en œuvre à l’automne 2020 et début 2021 d’une nouvelle série de mesures restrictives dans toute l’Europe. Cependant, contrairement au printemps 2020, nous avons observé à l’automne dernier l’exaspération générale qui gagne la population (qualifiée de « lassitude face à la pandémie » ou encore de « fatigue pandémique »), voire même une véritable révolte sociale dans certains pays alors que commençait à déferler la deuxième vague de la pandémie. Pendant la troisième vague, les décisions des autorités ont encore été mises à mal par des rassemblements non autorisés (tels que des fêtes ou l’ouverture de restaurants et de magasins clandestins).
9. Nous ne sommes à l’évidence pas tous égaux devant la pandémie et ses effets. Les inégalités sociales (pré) existantes 
			(7) 
			Notre collègue Mme Selin
Sayek Böke (Turquie, SOC) prépare actuellement un rapport sur « Les
inégalités socio-économiques en Europe: rétablir la confiance sociale
en renforçant les droits sociaux ». se sont traduites par une inégalité d’accès aux soins de santé, des conditions disparates pour suivre un enseignement à domicile, un état de santé général plus fragile pour faire face à la maladie (lié notamment à des carences nutritionnelles, au manque d’exercice physique et à la pauvreté), des conséquences psychologiques graves (en particulier pour les personnes déjà vulnérables, qui vivent souvent dans des logements exigus et/ou surpeuplés) ainsi qu’une protection sociale inégale. Cette dernière inégalité est particulièrement problématique pour « ceux qui sortent précocement de la vie active et du système éducatif» 
			(8) 
			Avant l’épidémie de
covid-19, selon l’analyse des systèmes de protection sociale réalisée
dans le cadre de l’étude « The impact of Covid-19 on people experiencing
poverty and vulnerability – re-building Europe with a social heart » (« L’impact
de la covid-19 sur les personnes en situation de pauvreté et de
vulnérabilité – reconstruire une Europe à dimension sociale ») réalisée
par le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté
et l’exclusion sociale (EAPN), la protection sociale était déjà
insuffisante dans 19 pays au moins sur les 23 étudiés. En cause:
des disparités régionales, la conditionnalité punitive, le faible
niveau des prestations sociales et les restrictions imposées à leur
accès, la complexité du système de protection sociale et sa gestion
arbitraire, les problèmes d’accessibilité pour les personnes handicapées
et en situation de dépendance, l’exclusion des migrants, des sans-papiers,
des sans-abri, de certaines catégories de travailleurs (indépendants,
travailleurs de plateforme, travailleurs migrants) et des chômeurs
de longue durée (voir pages 15 à 25). ou qui n’y ont pas du tout accès.
10. La dégradation des indicateurs économiques témoigne du ralentissement de l’activité économique en Europe et dans le monde. L’Organisation internationale du travail (OIT) en souligne les effets sur les marchés du travail, notamment une baisse au niveau mondial de 8,3 % des revenus du travail avant la prise en compte des mesures de soutien aux revenus, ce qui représente 4,4 % du produit intérieur brut 
			(9) 
			Voir Observatoire de
l’OIT: «Covid-19 et le monde du travail», et <a href='https://ilostat.ilo.org/topics/covid-19/'>https://ilostat.ilo.org/topics/covid-19/</a>.. Quelque 8,8 % des heures de travail au niveau mondial ont été perdues, ce qui équivaut à 255 millions d’emplois à temps plein, soit environ quatre fois plus que pendant la crise financière de 2008/09 
			(10) 
			Au niveau mondial,
environ la moitié des pertes en heures de travail est la conséquence
de pertes d’emplois, l’autre moitié peut être imputée à des heures
de travail réduites (y compris en ce qui concerne les travailleurs
qui gardent leur emploi, mais qui ne travaillent pas). Pour l’Europe,
la réduction des heures de travail représente une part plus importante (environ
80 %) des pertes en heures de travail. ; certains comparent la situation à celle de 1929. À l’échelle mondiale, plus de 80 millions de personnes ont quitté la vie active en 2020 en raison de l’inactivité due à la pandémie ; beaucoup d’entre elles pourraient se retrouver au chômage si les emplois disparaissent avec la fermeture des entreprises ou la réduction des activités – et venir grossir les rangs des plus de 33 millions qui ont perdu leur emploi en 2020. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en l’absence d’une aide substantielle aux secteurs les plus touchés, il existe un risque supplémentaire de multiplication des faillites post-covid et, partant, de hausse du chômage. La Banque mondiale estime que l’augmentation de la pauvreté au niveau mondial sera sans précédent, avec le nombre de « nouveaux pauvres » à cause de la pandémie qui pourrait augmenter d’environ 119 à 124 millions 
			(11) 
			<a href='https://blogs.worldbank.org/opendata/updated-estimates-impact-covid-19-global-poverty-looking-back-2020-and-outlook-2021'>https://blogs.worldbank.org/opendata/updated-estimates-impact-covid-19-global-poverty-looking-back-2020-and-outlook-2021</a>..
11. Les pertes d’emplois ont été principalement enregistrées dans les secteurs les plus touchés, tels que le tourisme/les voyages et les activités de restauration, les arts et spectacles, le commerce de détail et la construction ; dans le même temps, certains secteurs – notamment de l’information, de la communication, de la vente en ligne, de la livraison, des services financiers et d’assurance – sont parvenus à intensifier leurs activités. Dans l’ensemble, les pertes d’emplois ont été plus élevées chez les femmes (5 %) que chez les hommes, et chez les jeunes travailleurs (8,7 %), par rapport aux travailleurs plus âgés, étant donné qu’ils étaient déjà sur-représentés dans les postes à court terme et l’emploi informel et n’étaient pas correctement couverts par les systèmes de protection sociale même en temps « normal ». Dans un tel contexte, comme l’a fait valoir le professeur Karamessini lors de l’audition de la commission tenue le 7 octobre 2020, du point de vue politique, les difficultés à long terme sont les suivantes: 1) le poids des tâches domestiques (non rémunérées) principalement effectuées par les femmes ; 2) les lacunes de prise en charge par le secteur public des personnes âgées et vulnérables ; 3) les formes d’emploi précaires entraînant une moins bonne protection sociale des femmes, des migrants et des personnes nées à l’étranger travaillant dans le secteur des services à la personne. Une protection sociale renforcée s’impose également pour les jeunes en transition vers l’autonomie et la vie professionnelle. De plus, les travailleurs et les travailleuses les mieux qualifié·e·s dans les emplois mieux rémunérés ont été moins affecté. e. s par la crise que ceux et celles dans les emplois plus précaires et moins bien rémunérés. Parallèlement, le risque d’infection varie selon les secteurs économiques, avec des conditions de travail moins sûres pour les travailleurs et les travailleuses les moins bien rémunéré·e·s.
12. Le volume des échanges mondiaux de biens et de services a chuté brutalement au cours du premier semestre 2020 (enregistrant une baisse de 17,2 % en glissement annuel), la pandémie ayant perturbé à la fois la production et la consommation, et a eu du mal à se rétablir au second semestre. Dans ce contexte, les plus fortes contractions ont été enregistrées en Europe où les exportations ont chuté de 24 % et les importations de 22 % au cours du premier semestre 2020 ; toutefois, le rebond au second semestre a été spectaculaire, la baisse totale s’établissant pour 2020 à 2 % (exportations) et 3 % (importations) en glissement annuel. L’OMC (Organisation mondiale du commerce) prévoit que la baisse de 5,3 % du volume du commerce mondial des marchandises pour 2020 sera suivie d’une hausse de 8 % en 2021 ; le commerce des services a connu une évolution similaire, mais les données officielles sont encore insuffisantes pour compléter le tableau. La relance des chaînes de valeur mondiales par le commerce est essentielle non seulement pour le développement, mais aussi pour enrayer l’épidémie: comme le rappelle l’un des principaux producteurs de vaccins, quelque 280 composants fournis par 19 pays entrent dans la fabrication d’un vaccin contre la covid-19 
			(12) 
			Voir
les notes de l’OMC sur « La covid-19 et le commerce mondial »: <a href='https://www.wto.org/french/tratop_f/covid19_f/covid19_f.htm'>www.wto.org/french/tratop_f/covid19_f/covid19_f.htm</a>,<a href='https://www.wto.org/french/news_f/pres20_f/pr862_f.htm'> www.wto.org/french/news_f/pres20_f/pr862_f.htm</a> et <a href='https://www.wto.org/french/news_f/spno_f/spno5_f.htm'>www.wto.org/french/news_f/spno_f/spno5_f.htm.</a>.
13. Le PIB mondial a reculé de 4,4 % en 2020 selon la Banque mondiale 
			(13) 
			Voir Banque mondiale: <a href='https://www.worldbank.org/en/news/feature/2020/06/08/the-global-economic-outlook-during-the-covid-19-pandemic-a-changed-world'>The
Global Economic Outlook During the COVID-19 Pandemic</a>. et de 4,8 % selon l’OMC, avec des disparités énormes d’une région à l’autre, l’Europe enregistrant une baisse de la croissance de 4,7 %. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) prévoit une contraction globale de 3,9 % en 2020 dans l’ensemble de sa région des économies émergentes 
			(14) 
			<a href='https://www.ebrd.com/news/2020/ebrd-revises-down-economic-forecasts-amid-continuing-coronavirus-uncertainty.html'>www.ebrd.com/news/2020/ebrd-revises-down-economic-forecasts-amid-continuing-coronavirus-uncertainty.html</a>. Les données de la BERD portent sur 23 États membres
du Conseil de l’Europe en Europe centrale, orientale et du sud-est,
ainsi que sur le Bélarus, le Kosovo* et 12 pays d’Asie centrale,
du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. 
			(14) 
			(*Toute référence
au Kosovo, que ce soit le territoire, les institutions ou la population,
doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244
du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut
du Kosovo).. Mais la chute la plus spectaculaire concerne les investissements directs étrangers mondiaux qui, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), se sont effondrés en 2020 – ils ont chuté de 42 % au niveau mondial (à 859 milliards de dollars contre 1  500 milliards de dollars en 2019) et les perspectives pour 2021 sont sombres (sauf pour les secteurs de la technologie et de la santé). S’agissant de l’Europe, les flux d’investissements étrangers directs se sont complètement taris (de 344 milliards de dollars en 2019 à un solde négatif de 4 milliards de dollars en 2020) 
			(15) 
			<a href='https://unctad.org/news/global-foreign-direct-investment-fell-42-2020-outlook-remains-weak'>https://unctad.org/news/global-foreign-direct-investment-fell-42-2020-outlook-remains-weak</a>.. Là encore, ces indicateurs témoignent d’un déclin économique plus marqué que lors de la crise financière de 2008-2009.
14. En Europe, les répercussions économiques varient en fonction des spécialisations sectorielles et de l’exposition aux secteurs de biens ou de services échangeables. À cet égard, les pays de l’Europe du Sud sont particulièrement tributaires du secteur du tourisme et comptent parmi les plus durement touchés par la première vague de la pandémie au printemps 2020. Le secteur des services le plus affecté reste celui des voyages, dont les recettes en 2020 ont chuté de 68 % au niveau mondial et de 55 % en Europe par rapport à 2019. Au niveau mondial, selon l’Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies, « le recul du tourisme international en 2020 équivaut à 1 milliard d’arrivées en moins environ et à une perte de recettes touristiques internationales de quelque 1 100 milliards de dollars », tandis que le trafic international de passagers s’est contracté de 60 % selon l’Organisation de l’aviation civile internationale, mettant en péril des millions d’emplois 
			(16) 
			Doc. 15254, proposition de recommandation, « Impact de la covid-19
sur le tourisme mondial et l’industrie aéronautique, et relance
de ces secteurs en toute sécurité »..
15. En revanche, les marchés financiers ont très rapidement repris le cours normal de leurs activités après la première vague de la pandémie. Les indices boursiers du monde entier ont atteint des niveaux record et les revenus du capital sont restés relativement stables en 2020, grâce à la mise sur le marché des vaccins contre la covid-19, aux taux d’intérêt extrêmement bas, aux dépenses publiques généreuses ou aux plans de relance et, pour l’Europe, au divorce réussi même si incomplet entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans le cadre d’un accord de libre-échange post-Brexit. Malgré la pandémie, le nombre de millionnaires a augmenté de 5 632 000 en 2020 dans le monde, dont les deux tiers résident aux États-Unis, en Chine et en Suisse 
			(17) 
			<a href='https://www.visualcapitalist.com/changes-to-the-worlds-millionaires-2020/'>www.visualcapitalist.com/changes-to-the-worlds-millionaires-2020/</a>.. Les entreprises de logiciels et de haute technologie, celles qui proposent la vente de licences de visioconférence, les plateformes de streaming, le secteur de la livraison, ainsi que les échanges financiers sont les grands gagnants de cette année 2020 marquée par la pandémie. Il semble que les entreprises qui profitent de la crise tirent parti des lacunes de la fiscalité de l’économie numérique au plan mondial ou des contrats de travail précaires (comme dans les services de livraison).
16. La pandémie a également renforcé les inégalités économiques déjà existantes. La situation a largement profité aux grandes multinationales comme Amazon au détriment des petits commerces locaux, et la richesse du centile supérieur s’est encore accrue, tandis que les groupes vulnérables de la population et certaines catégories de travailleurs ont été les plus durement touchés (notamment les travailleurs indépendants, les femmes occupant des emplois de courte durée, à temps partiel ou relevant de l’économie à la tâche, les travailleurs du secteur informel, les personnes dans l’impossibilité de télétravailler depuis leur domicile, celles soumises à une réduction du temps de travail ou au chômage temporaire, et les personnes qui ont perdu leur emploi) 
			(18) 
			Voir, par exemple,
l’étude Bertelsmann concernant l’Allemagne: <a href='https://www.sueddeutsche.de/wirtschaft/corona-helden-gehalt-2020-1.5140443'>www.sueddeutsche.de/wirtschaft/corona-helden-gehalt-2020-1.5140443</a>.. Pendant les périodes de confinement, beaucoup de femmes, en particulier des mères de famille, ont dû faire face à une double charge, en assumant à la fois un travail de soins supplémentaire (non rémunéré) et l’enseignement à domicile, tout en étant sur-représentées dans les emplois mal rémunérés (comme dans le secteur des soins de santé, les maisons de retraite et le système éducatif). Selon l’OCDE, les femmes sont également confrontées à une plus grande insécurité de revenu et au risque de chômage. Par ailleurs, les femmes et les enfants sont exposés à une menace accrue de violence domestique. Les familles monoparentales ont souffert de manière disproportionnée de la fermeture des écoles et des structures de garde d’enfants. Aucun autre groupe de la société ne présente un risque de pauvreté aussi élevé que les parents isolés, et celui-ci s’est encore accru.
17. Comme l’a souligné M. Boček, vice-gouverneur de la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB), lors de l’audition de la commission le 7 octobre 2020, les disparités ont augmenté non seulement en termes de revenu, mais aussi en ce qui concerne l’égalité des chances d’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement et aux services de santé. En Europe, un ménage à faible revenu sur trois parmi les 25 % les plus pauvres a rencontré des problèmes pour disposer d’une connexion internet fiable ou d’un ordinateur personnel pour l’enseignement à distance et les services de télémédecine pendant la pandémie. De même, les inégalités d’accès à l’éducation posaient déjà problème avant la pandémie. En effet, les établissements des quartiers défavorisés disposent souvent d’un nombre limité d’enseignants qualifiés et manquent de matériel pour offrir un environnement d’apprentissage efficace. La fermeture récurrente et prolongée des établissements scolaires et d’enseignement en raison des mesures de confinement liées à la pandémie a causé un autre dommage collatéral durable. Comme la situation des enfants dépend en grande partie du milieu socioéconomique de leur famille, les écarts existants et les disparités croissantes ont anéanti bon nombre des efforts déployés en faveur de l’équité dans l’éducation 
			(19) 
			Voir
le rapport de notre collègue Baroness Doreen E. Massey (Royaume-Uni,
SOC) sur «L’impact de la covid-19 sur les droits de l’enfant»..
18. À cela vient s’ajouter le clivage ville-campagne dû à la pénurie d’infrastructures après des années de sous-investissement et d’austérité budgétaire. Comme le révèle l’étude « The impact of Covid-19 on people experiencing poverty and vulnerability – re-building Europe with a social heart » (« L’impact de la covid-19 sur les personnes en situation de pauvreté et de vulnérabilité – reconstruire une Europe à dimension sociale ») réalisée par le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (EAPN) 
			(20) 
			<a href='https://www.eapn.eu/the-impact-of-covid-19-on-people-experiencing-poverty-and-vulnerability-eapn-report/'>www.eapn.eu/the-impact-of-covid-19-on-people-experiencing-poverty-and-vulnerability-eapn-report/</a>., déjà avant la pandémie, 21 des 25 pays européens examinés rencontraient des difficultés à garantir des services publics suffisants et de qualité pour tous, notamment pour les groupes pauvres et vulnérables. Les dispositifs de revenu minimum étaient largement insuffisants, et les systèmes de protection sociale ne disposaient pas de ressources adéquates dans la moitié des pays objets de l’étude. L’endettement, le manque d’économies et la précarité de l’emploi, ainsi que les maladies courantes et les handicaps, la mauvaise santé physique et mentale, les logements précaires ou le sans-abrisme et la discrimination dont font l’objet certaines minorités, les Roms et les immigrés, amplifient encore les vulnérabilités sociales des ménages européens.
19. Dans toute l’Europe, les jeunes sont également fortement touchés par la pandémie. Compte tenu de la fermeture des établissements d’enseignement et de la forte restriction de leurs activités, le taux de chômage des jeunes a augmenté dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe: il est passé d’environ 15 % fin 2019 à près de 18 % fin 2020 dans les pays de l’Union européenne 
			(21) 
			Voir communiqué de
presse Eurostat 16/2021 du 1 février 2021.. Si la situation de l’emploi des jeunes en 2019, notamment en Europe du sud et de l’est, avait presque atteint le niveau d’avant la crise financière de 2008/09, l’année 2020, marquée par la pandémie, a réduit à néant l’amélioration obtenue au cours de la dernière décennie. De manière générale, le taux de chômage des jeunes est supérieur à celui des adultes et il est à craindre que la crise actuelle liée à la covid aggrave le degré de déconnexion du marché du travail qui touche les jeunes, avec un risque plus que jamais réel d’une génération perdue qui quittera la vie active et désertera le marché du travail.
20. Dans l’ensemble, presque tous les États membres du Conseil de l’Europe ont enregistré une augmentation du chômage en 2020 
			(22) 
			Voir OCDE (2021), Taux
de chômage (indicateur).. Le net ralentissement de l’activité économique continue de mettre en péril de nombreux emplois, en particulier dans les secteurs faiblement rémunérés, comme le tourisme, la restauration ou l’industrie du spectacle. De nombreux pays sont parvenus à limiter la hausse du chômage dans la mesure de leur capacité fiscale, grâce notamment à un large recours au chômage partiel, mais aussi à des mesures de relance économique. Cependant, les possibilités de mise en œuvre de mesures de relance économique ambitieuses varient considérablement d’un État européen à l’autre, tout comme la capacité budgétaire souveraine de chacun.

3. Mesures d’urgence prises pour lutter contre les « dommages collatéraux »

21. Face à la dégradation rapide de la situation socio-économique, tous les États membres du Conseil de l’Europe ont pris des mesures d’urgence plus ou moins importantes visant à compenser les pertes de salaire, ce qui a permis à la fois d’amortir les effets sociaux de la crise, de soutenir les entreprises en fonction des besoins et de contribuer à la stabilisation macroéconomique. Comme il ressort de l’étude réalisée par l’EAPN, de nombreux gouvernements européens ont renforcé leurs aides au revenu en étendant les prestations de chômage, les allocations sociales et la protection du logement pour les populations vulnérables et mis en place des paiements directs et des moratoires sur les taxes, les cotisations sociales et les loyers pour certaines catégories d’entreprises. Dans le secteur de l’éducation, la plupart des pays ont essayé de mettre en œuvre des dispositifs d’enseignement à distance, avec des résultats mitigés. L’étude met en avant des exemples positifs d’actions urgentes entreprises, dont l’adaptation rapide des systèmes de santé nationaux (par exemple pour un dépistage et un traçage efficaces du coronavirus gérés par les pouvoirs publics, l’isolement précoce des personnes infectées et le libre accès aux soins de santé pour les immigrés) et des programmes de maintien dans l’emploi (y compris en exonérant les entreprises des cotisations de sécurité sociale afin d’éviter les faillites, en encourageant le télétravail, en recourant à des dispositifs de chômage partiel et à une interdiction temporaire des licenciements).
22. Il est à noter que la Commission européenne a levé les règles en matière d’aides d’État et suspendu les limites concernant les emprunts publics (fixées dans le Pacte de stabilité et de croissance). Par ailleurs, l’Union européenne a su trouver la volonté politique nécessaire pour mettre en œuvre des programmes de financement commun afin non seulement de fournir un soutien social (comme au travers du programme SURE), mais aussi de lancer un plan d’investissement massif (NextGenerationEU) avec une approche de « Green deal ». Ce programme d’investissement bénéficie d’une enveloppe de 750 milliards d’euros. Approuvée en février 2021, la Facilité européenne pour la reprise et la résilience (pièce maîtresse de NextGenerationEU) est dotée de 672,5 milliards d’euros sous forme de prêts et de subventions destinés à soutenir les réformes et les investissements entrepris par les États membres.
23. Toutefois, les États membres de l’Union européenne sont toujours face à un cadre juridique rigide: les règles concernant la gestion des déficits budgétaires selon le Pacte de stabilité et de croissance et les règles en matière d’aides d’État ont été suspendues temporairement. Si la gouvernance financière et économique de l’Union européenne redevient comme avant, sans réformes majeures, elle pourrait étouffer les premiers signes de la reprise socio-économique encore très modeste. En même temps, les décaissements de la Facilité européenne pour la reprise et la résilience sont liés à la mise en œuvre des recommandations spécifiques aux pays dans le cadre du semestre européen ; celles-ci mettent en avant certaines conditions de réformes qui pourraient s’avérer potentiellement nuisibles aux marchés du travail et les systèmes de retraite. La récente déclaration du Commissaire de l’Union européenne, P. Gentiloni, est un signal d’alerte sur le rôle du dialogue social dans le futur: il prévient que sans l’implication étroite des syndicats dans la préparation des plans nationaux de reprise, les réformes souhaitées des marchés du travail et des systèmes de pension pourraient devenir inapplicables 
			(23) 
			<a href='https://www.transform-network.net/en/blog/article/portuguese-council-presidency-european-pillar-of-social-rights-must-be-made-binding/'>www.transform-network.net/en/blog/article/portuguese-council-presidency-european-pillar-of-social-rights-must-be-made-binding/</a>..
24. Pour l’avenir, ensemble avec le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour 2021-2027 quelque 1 800 milliards d’euros devraient être mobilisés pour « reconstruire l’Europe de l’après-covid-19, une Europe plus verte, plus numérique, plus résiliente et mieux adaptée aux défis actuels et à venir ». De fait, 30 % des fonds de l’Union européenne, tant au titre du budget à long terme que de NextGenerationEU, – soit la part du budget de l’Union européenne la plus élevée jamais enregistrée – seront consacrés à la lutte contre le changement climatique et à une meilleure protection de la biodiversité. Par ailleurs, une plus grande attention sera également accordée à l’égalité hommes-femmes. Si ces chiffres ont de quoi impressionner à première vue, ils sont plutôt maigres en comparaison avec des efforts déployés par les États-Unis, où le plan de relance global destiné aux entreprises et aux ménages s’élève à 4  800 milliards de dollars pour la période 2020-2021 
			(24) 
			Dont 2 000 milliards
de dollars au printemps 2020 plus 900 milliards de dollars en décembre
2020 (administration Trump) et 1  900 milliards de dollars au printemps 2021
(administration Biden). Voir également <a href='https://www.washingtonpost.com/world/2021/03/10/coronavirus-stimulus-international-comparison/'>https://www.washingtonpost.com/world/2021/03/10/coronavirus-stimulus-international-comparison/</a>.. Les différences sensibles entre les modèles socio-économiques européen et américain expliquent pourquoi l’aide des pays européens est plus ciblée, fondée sur les besoins et souvent assortie de conditions, à l’opposé de la politique de l’ helicopter money 
			(25) 
			L’helicopter money consiste à imprimer
(plutôt qu’à emprunter) en masse de la monnaie et à la distribuer
aux citoyens (sous forme de paiements directs) « pour stimuler l’économie
pendant une période de récession ou lorsque les taux d’intérêt sont
nuls » (selon <a href='https://www.ig.com/en/glossary-trading-terms/helicopter-money-definition'>www.ig.com/en/glossary-trading-terms/helicopter-money-definition</a>).  adoptée par les États-Unis.
25. Dans ce contexte, nous devrions nous féliciter des projets de l’Union européenne visant à proposer la mobilisation de nouvelles ressources par le biais d’une taxe sur les transactions financières et d’une contribution financière liée au secteur des entreprises ou d’une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés, en s’appuyant sur les développements récents en faveur de la coopération renforcée en matière fiscale (les propositions correspondantes devraient être présentées d’ici juin 2024). Je tiens à rappeler que la présente Assemblée a proposé le lancement d’une taxe européenne sur les transactions financières dans sa Résolution 1905 (2012) « Un retour à la justice sociale grâce à une taxe sur les transactions financières », préconisant qu’une part substantielle des recettes générées par une telle taxe soit consacrée notamment à financer « à titre prioritaire des mesures en faveur du développement durable, de la création d’emplois, des besoins sociaux et des actions de solidarité internationale ». Espérons qu’après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, moins d’obstacles s’opposeront à l’instauration de cette taxe au niveau de l’Union européenne avant 2024. Les inégalités béantes ont, dans certains pays, déclenché un débat sur la question de savoir si un prélèvement sur le capital pourrait contribuer à prévenir une inégalité de richesses extrême au sein de la population. Un tel prélèvement sur le capital pourrait être considéré comme un instrument supplémentaire pour mobiliser de nouvelles ressources fiscales.
26. Plus que jamais, les pays européens doivent rééquilibrer leurs politiques de développement socio-économique, afin de consolider l’économie réelle et les systèmes de protection sociale, d’assurer une gestion saine de la dette souveraine, tout en mobilisant des ressources pour un développement plus durable et davantage centré sur l’humain, et de viser plus de convergence économique en développant une stratégie commune de politique industrielle. Nous devrions donc saluer les efforts de l’OCDE pour négocier un accord mondial sur la taxation de l’économie numérique et l’établissement d’un taux d’imposition mondial minimum sur les sociétés d’ici l’échéance de la réunion des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 prévue mi-2021 
			(26) 
			Comme
expliqué dans le rapport de M. Georgios Katrougkalos « Lutter contre
l’injustice fiscale: le travail de l’OCDE sur l’imposition de l’économie
numérique » (Doc. 15251), dans l’avis connexe de Mme Selin
Sayek Böke (Doc. 15266) et dans la Résolution 2370
(2021) de l’Assemblée..
27. Cependant, les États n’ont de toute évidence pas tous les mêmes capacités financières pour affronter les vagues successives de la pandémie et la charge de morbidité persistante qui en résulte. L’enquête réalisée par la BERD 
			(27) 
			En août 2020, la BERD
et l’institut IFO ont réalisé une enquête sur près de 40 000 adultes
dans 14 pays (Bélarus, Égypte, Grèce, Hongrie, Pologne, Serbie,
Turquie et Ukraine, ainsi qu’en France, Allemagne, Italie, Pays-Bas,
Espagne et Suède). Voir le rapport de la BERD « <a href='https://www.ebrd.com/news/2020/ebrd-revises-down-economic-forecasts-amid-continuing-coronavirus-uncertainty.html'>Regional
economic prospects – Covid-19: early estimates of the damage, uncertain prospects</a> » de septembre 2020. confirme que l’impact économique de la crise de la covid-19 sur la vie des citoyens a été plus marqué dans les régions de la BERD que dans les pays européens avancés où les mesures de relance ont été habituellement plus importantes. De nombreux pays restent tributaires des marchés financiers (en particulier ceux extérieurs à l’Union européenne), la hausse des taux d’intérêt limitant leur champ d’action ou mettant même en péril leur stabilité financière. Sur le plan macroéconomique, les pays européens sont confrontés à une récession économique, à une perte de recettes publiques et à une forte augmentation de la dette souveraine, indépendamment de la mise en place ou non de mesures de confinement obligatoires strictes ou légères, précoces ou tardives. À plus long terme, le risque de futurs déséquilibres économiques et sociaux est réel dès lors que les pays les plus solides sont en mesure de soutenir leur économie, tandis que d’autres souffrent davantage du ralentissement de l’activité économique. À cet égard, il convient de féliciter la Banque de développement du Conseil de l’Europe pour l’aide précieuse qu’elle a apportée en temps utile aux gouvernements et aux collectivités locales de 15 pays afin de soutenir les services de santé publique et d’atténuer les répercussions de la pandémie sur l’économie 
			(28) 
			Cela
comprend les prêts consentis à la République tchèque (300 millions
d’euros), à la municipalité de Madrid et au Gouvernement espagnol
(de respectivement 200 et 300 millions d’euros), à la République
slovaque (300 millions d’euros), à l’Italie (300 millions d’euros),
à la Hongrie (175 millions d’euros), à la Lituanie (200 millions
d’euros), à la République de Moldova (70 millions d’euros), à la
Turquie (200 millions d’euros), à l’Estonie (200 millions d’euros),
à la Croatie (200 millions d’euros), à la Lettonie (150 millions
d’euros), à la Grèce (200 millions d’euros), à la Serbie (200 millions
d’euros), à Saint-Marin (10 millions d’euros) et au Kosovo* (35 millions
d’euros)..

4. Faire un usage juste, efficient et transparent des plans de sauvetage pour investir dans « l’avenir que nous voulons »

28. Comme l’a expliqué le vice-gouverneur de la CEB lors de l’audition tenue le 7 octobre 2020, la voie à suivre est double. D’une part, des solutions à court terme sont nécessaires pour répondre aux urgences de la crise ; elles incluent les mesures nationales d’aide au revenu et un accès facilité aux services médicaux, ainsi qu’un soutien ciblé au secteur des entreprises afin de prévenir les perturbations massives de l’activité économique et les faillites en chaîne qui en découleraient. Par ailleurs, des stratégies d’investissement à long terme s’imposent pour améliorer les systèmes publics de santé et les rendre plus adaptables afin de permettre des réponses rapides à l’avenir, en réorientant les systèmes de soins de santé vers la prévention des maladies et la promotion de la santé, en associant les services de santé et les services sociaux pour mieux accompagner les groupes vulnérables, en particulier les personnes âgées, et en attirant un plus grand nombre de médecins et de prestataires de soins dans les zones défavorisées. Les États devraient investir davantage dans la mise à jour et l’adaptation de leurs systèmes d’enseignement, dans le renforcement des capacités, de la qualité, de l’efficacité et de l’accessibilité, notamment tarifaire, des services publics, ainsi que dans l’amélioration de l’accès des familles à faible revenu aux logements sociaux et aux zones vertes grâce à des stratégies de création de logements intégrées, et dans l’intégration des objectifs de développement durable dans les secteurs public et privé. En outre, une stratégie de croissance économique associée à des politiques sociales est nécessaire afin de se concentrer sur la modification de la composition de la production tout en stabilisant l’économie et en atteignant l’objectif d’amélioration du bien-être.
29. La formulation de recommandations politiques à l’intention d’États aux capacités très différentes pour faire face à la pandémie et aux difficultés socio-économiques est loin d’être une tâche aisée. Je souhaiterais plaider en faveur d’un changement de paradigme afin d’éviter de reproduire les erreurs commises, s’agissant des réponses apportées aux précédentes crises économiques et financières fondées sur des mesures d’austérité massives et des coupes dans les dépenses publiques. Il est encourageant de noter que les principales organisations et les institutions internationales (telles que l’OCDE et la Banque mondiale) demandent aux États d’investir et de coordonner leurs politiques plutôt que de procéder à des compressions budgétaires. En effet, comme le soulignent les 189 pays membres du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international dans une déclaration commune (publiée lors des Réunions de printemps 2021), « une coordination internationale efficace s’impose de toute urgence pour circonscrire les effets de la pandémie, relancer les dynamiques de progrès des pays et poser les bases du développement vert, résilient et inclusif » car « pour s’engager sur la voie d’une reprise mondiale, il faudra mobiliser une aide financière et technique soutenue, différenciée et ciblée à l’appui des gouvernements et du secteur privé » 
			(29) 
			« Œuvrer en faveur
d’une reprise verte, résiliente et inclusive », article et communiqué
de presse du 9 avril 2021, respectivement 
			(29) 
			<a href='https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2021/04/09/working-toward-a-green-resilient-and-inclusive-recovery'>www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2021/04/09/working-toward-a-green-resilient-and-inclusive-recovery</a> et 
			(29) 
			<a href='https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/04/09/world-bank-imf-spring-meetings-2021-development-committee-communique'>www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/04/09/world-bank-imf-spring-meetings-2021-development-committee-communique</a>..
30. Je suis d’avis que nous devrions donner suite aux recommandations clés adressées récemment par l’Assemblée aux États membres afin de contribuer à protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables à l’aide de politiques sociales et économiques expansionnistes ; à endiguer toute résurgence de l’épidémie, en prenant des mesures de santé publique efficaces, testées et autant que possible basées sur les preuves d’efficience, mises en œuvre dans le respect des droits humains (comme recommandé dans la Résolution 2329 (2020) de l’Assemblée) ; et à limiter les dommages pour le système économique tout en donnant la priorité aux populations et à la planète. À mon sens, cela suppose avant tout de ne pas assortir le soutien multilatéral financier aux États membres de conditionnalités punitives telles que les mesures d’austérité qui nuiraient aux systèmes de protection sociale, systèmes de santé ou les droits humains définis par la Charte sociale européenne révisée et la Convention européenne des droits de l’homme (ETS n° 5). Dans le même temps, le soutien apporté aux entreprises au niveau national devrait favoriser la réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux dans le cadre de l’intérêt général à poursuivre le développement durable. Le programme de relance autrichien, par exemple, place hors-la-loi la réduction d’effectifs par les entreprises qui bénéficient du soutien gouvernemental. D’une façon générale, il paraît anormal que les entreprises paient les dividendes aux actionnaires et licencient tout en bénéficiant du soutien de l’État.
31. Dans une Déclaration sur la covid-19 et les droits sociaux du 22 avril 2021, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a instamment demandé aux États d’investir dans « les droits sociaux et leur mise en œuvre – dans le respect de l’utilisation du maximum des ressources disponibles », considérant que la Charte sociale européenne offre un cadre qui « atténuera l’impact négatif de la crise et accélérera la reprise sociale et économique post-pandémie ». Le Comité demande également aux États d’évaluer si leurs cadres juridiques et politiques existants sont adéquats pour « assurer une réponse conforme à la Charte aux défis engendrés par la Covid-19 » 
			(30) 
			De plus amples informations
sont disponibles sur<a href='https://www.coe.int/en/web/european-social-charter/social-rights-in-times-of-pandemic'> www.coe.int/fr/web/european-social-charter/social-rights-in-times-of-pandemic</a>..
32. Nous devrions demander instamment aux États membres d’adopter une approche concertée en faveur d’une reprise économique solide et équitable, fondée sur le renforcement de la cohésion sociale, mais aussi de la qualité des performances économiques, afin de conforter ainsi la légitimité démocratique du processus 
			(31) 
			Résolution 2158 (2017) «La lutte contre les inégalités de revenus: un moyen
de favoriser la cohésion sociale et le développement économique».. Les États membres devraient évaluer les mesures prises pour endiguer la pandémie à l’aune de leurs effets sur la propagation du Sars-CoV-2 (efficacité) et des incidences négatives sur l’économie et la société (dommages collatéraux). La pandémie hors contrôle infligerait des dommages collatéraux à l’économie et à la société, et, vu les inégalités existantes, nous mènerait au scénario du darwinisme social en laissant les groupes les plus vulnérables les plus exposés aux dangers de la pandémie et à ses conséquences à long terme. Parallèlement, c’est une responsabilité des décideurs politiques de s’assurer que le remède ne soit jamais plus nocif que la maladie, car toute suppression prématurée des mesures restrictives risquerait de provoquer une nouvelle vague d’infections et de nouvelles restrictions, avec des conséquences sévères pour les groupes les plus fragiles.
33. Si les États doivent agir pour freiner la propagation du virus, le principe de proportionnalité doit être à tout moment garanti. En particulier, les mesures de confinement devraient systématiquement être examinées, évaluées et ajustées en fonction de leur efficience et effets inégaux sur la population, et des mesures de soutien devraient être proposées aux catégories de personnes les plus touchées. En outre, nos États devraient œuvrer de concert à la mise en place de mécanismes permettant de découpler les finances publiques de la volatilité des marchés.
34. Comme l’a souligné la représentante de l’EAPN lors de l’audition du 7 octobre 2020, les dispositifs de revenu minimum sont insuffisants ou inadéquats et les systèmes de protection sociale ne disposent pas de ressources adéquates dans la moitié des pays objets de l’étude. Dans ce contexte, une membre de la commission a fait valoir qu’au lieu de s’intéresser à la discipline budgétaire, il faudrait réfléchir à la nature de l’expansion budgétaire, qui sera axée sur les défis en matière de droits et le rôle de l’État dans la fourniture de services publics de base, et qui s’accompagnera d’une fiscalité progressive.
35. Pour certains économistes, les difficultés actuelles en termes de santé publique, de chômage et de dégradation de l’environnement constituent une triple crise à laquelle nos États doivent faire face pour reconstruire une Europe post-covid plus forte 
			(32) 
			Jan J. Zygmuntowski,
Kirył Zach, et Krzysztof Hejduk, « European Job Guarantee: Targeting
the Triple Crises Facing Post-COVID Europe » (20 octobre 2020).
Disponible sur SSRN: 
			(32) 
			<a href='https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3715344'>https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3715344</a> ou <a href='http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3715344'>http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3715344</a>. Compte tenu du rôle central dévolu à l’État d’assurer la stabilité macroéconomique et l’inclusion sociale, ainsi que de faciliter la transition structurelle vers un développement plus équilibré et plus durable dans l’intérêt général, ils proposent une option politique de garantie européenne d’emploi 
			(33) 
			Pavlina Tcherneva,
économiste, Professeure d’économie associée au Bard College, autrice
de « The Case for a Job Guarantee », 2020.. Il s’agit d’un choix politique selon lequel le secteur public offrirait des possibilités d’emploi de qualité, fondées sur les besoins économiques locaux et poursuivant l’objectif d’un travail décent pour tous ; au fur et à mesure du redressement du secteur privé et de l’économie, les personnes concernées seraient en mesure de se tourner également vers des emplois de qualité comparable dans le secteur privé.
36. Dans le même esprit, l’EAPN plaide en faveur de mesures doubles visant à stimuler l’emploi et à protéger les droits de la population active (par exemple en garantissant un salaire minimum adéquat à même de protéger la population de la pauvreté au travail). Les jeunes bénéficieraient en particulier des programmes publics de stimulation de l’emploi et auraient également besoin d’une extension des régimes de protection sociale pour les prémunir contre le risque de pauvreté. Le CEDS, pour sa part, insiste sur l’obligation des États de maintenir « un niveau d’emploi élevé et stable en vue de réaliser l’objectif du plein emploi », notamment « par le biais de programmes publics pour l’emploi, de travaux publics, de subventions à l’embauche et de diverses mesures de soutien à la création d’emplois de qualité assortis de conditions de travail décentes » 
			(34) 
			Voir la déclaration
sur: <a href='https://rm.coe.int/declaration-du-ceds-sur-la-covid-19-et-les-droits-sociaux/1680a230c9'>https://rm.coe.int/declaration-du-ceds-sur-la-covid-19-et-les-droits-sociaux/1680a230c9</a>.. J’apprécie pleinement la position du CEDS sur la situation des femmes et des travailleurs migrants, qui sont surreprésentés dans les secteurs les plus touchés par la pandémie (secteurs des soins, de la construction et des services), sont très exposés aux risques sanitaires et à la violence, ainsi qu’à la traite et à l’exploitation dans le cas des travailleurs migrants, et qui demandent des mesures de protection spécifiques.
37. Dans ce contexte, il convient de souligner un vide juridique de la Charte sociale européenne: les travailleurs migrants originaires de pays non liés par ce traité sont exclus de l’application de certaines dispositions de la Charte. Cette faille, l’une parmi tant d’autres, montre la nécessité de moderniser la Charte, en reconnaissant de nouveaux droits pour relever les multiples défis rendus plus visibles par la pandémie. De plus, du point de vue de la bonne gouvernance démocratique, l’Assemblée devrait être impliquée dans l’élection des membres du CEDS, comme prévu par le Protocole de Turin (STE n° 142) de la Charte sociale européenne. Même si le protocole n’est pas entré en vigueur, toutes ses clauses ont été mises en œuvre (par le biais de la décision du Comité des Ministres), à l’exception de l’élection des membres du CEDS par l’Assemblée.
38. Considérant la crise socio-économique post-covid comme une occasion de renforcer les fondamentaux économiques dans toute l’Europe, trois grands instituts de recherche (le Macroeconomic Policy Institute (IMK) en Allemagne, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) en France et le Wiener Institut für Internationale Wirtschaftsvergleiche (WIIW) en Autriche) ont ainsi proposé un programme d’investissement de 2 000 milliards d’euros sur dix ans en faveur de projets européens concrets axés sur la santé publique, les transports, les infrastructures énergétiques et les politiques de décarbonisation. Les principaux objectifs devraient être les suivants: augmenter la productivité et les niveaux de vie, renforcer la cohésion régionale et favoriser la transition durable vers une économie plus verte. Le dispositif d’investissement suggéré repose sur deux piliers: un pilier national axé sur les pays les plus durement touchés (500 milliards d’euros), et un pilier européen axé sur le programme « L’UE pour la santé » (400 milliards d’euros), le projet de réseau de trains ultrarapides (550 milliards d’euros), le projet d’autoroute électrique (e-Highway) (260 milliards d’euros) et le soutien à l’atténuation des effets du changement climatique (290 milliards d’euros). Toutefois, l’ambition de ce programme d’investissements se discute: étant donné la sévérité de la pandémie et des crises économique et climatique en 2020, il est surprenant que cette proposition n’aille pas au-delà de la proposition du type fonds-Marshall de 2012 
			(35) 
			La proposition
du Plan-Marshall 2012 appelait pour l’investissement annuel de 260 milliards
d’euros, ce qui équivalait à 2 % du PIB – voir <a href='https://www.dgb.de/themen/++co++985b632e-407e-11e2-b652-00188b4dc422'>www.dgb.de/themen/++co++985b632e-407e-11e2-b652-00188b4dc422</a>..

5. Observations finales

39. En conclusion, nous pouvons dire qu’en dépit d’incertitudes considérables, les décideurs politiques et les macro-économistes montrent un « optimisme prudent » en ce qui concerne les perspectives de relance socio-économique en 2021 et les années à venir. Une reprise solide est possible, mais il faut tenir compte de risques importants, notamment une probabilité élevée de résurgence de la covid-19, l’escalade des niveaux d’endettement des pouvoirs publics et des entreprises, les défaillances en matière de contrôle continu, un manque de dimension européenne et les revirements politiques au plan national. Les parlements et les parlementaires nationaux devraient défendre une vision et une ambition stratégiques à long terme en faveur d’une reprise porteuse de changements sur le continent européen, avec une forte dimension verte et sociale. La question centrale sur la répartition équitable du fardeau financier de la crise devrait être débattue dans différents cadres politiques et juridiques, en impliquant les citoyennes, citoyens, les partenaires sociaux et les parlements. Le danger omniprésent du retour à l’austérité avec ses conséquences néfastes sur le plan économique, social et politique doit être évité ; l’heure est venue d’investir dans la réparation des dommages causés par l’austérité d’hier et par la pandémie d’aujourd’hui, en construisant un avenir plus durable et inclusif.