Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 15498 | 11 avril 2022

Combattre et prévenir l'usage excessif et injustifié de la force par les forces de l'ordre

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Oleksandr MEREZHKO, Ukraine, CE/AD

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15137, Renvoi 4534 du 12 octobre 2020. 2022 - Deuxième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme déplore que les forces de l’ordre des États membres du Conseil de l’Europe aient fait un usage excessif de la force en de nombreuses occasions, en violation des principes de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination. Le mouvement Black Lives Matter, déclenché par la mort de George Floyd aux États-Unis, a attiré l’attention sur le fait que le recours excessif à la force par les forces de police s’inscrivait dans une tendance systémique, aussi en Europe.

Conformément aux instruments juridiques internationaux, les forces de l’ordre ne peuvent recourir à la force qu’en cas de stricte nécessité pour atteindre un objectif légitime. Bien que la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres traités du Conseil de l’Europe et des Nations Unies constituent un fondement normatif solide, qui fournit des normes et des principes clairs pour régir l’usage de la force par des forces de l’ordre, ces normes gagneraient à être regroupés sous forme récapitulative. Cette solution pourrait passer par la rédaction de recommandations et de lignes directrices spécifiques à l’intention des États membres. La commission considère que l’élaboration d’une nouvelle convention du Conseil de l’Europe sur la prévention des excès de violence policière, avec la mise un place d’un mécanisme de suivi, devrait logiquement suivre.

Tous les États membres devraient s’inspirer des instruments juridiques internationaux et de la jurisprudence y relative comme modèle sur lequel aligner leur législation et leurs pratiques nationales.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 4 avril 2022.

(open)
1. La mort de George Floyd aux États-Unis a provoqué une vague de manifestations contre l’impunité de l’usage illégal de la force létale par les forces de l’ordre, en particulier contre les Noirs et les personnes d’ascendance africaine, qui a rapidement gagné l’Europe. Malheureusement, les services répressifs en Europe et ailleurs continuent d’être accusés de recourir excessivement à la force en violation de leurs obligations découlant d’instruments juridiques nationaux et internationaux.
2. L’Assemblée parlementaire déplore que les forces de l’ordre des États membres du Conseil de l’Europe aient fait un usage excessif de la force en de nombreuses occasions, en violation des principes de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination, notamment dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations et contre-manifestations pacifiques, de la gestion de flux de migrants irréguliers et du rétablissement de l’ordre public dans des situations d’après-conflit. Le mouvement Black Lives Matter a prouvé que le recours excessif à la force par les forces de police ne représentait pas un ensemble de cas isolés, mais s’inscrivait dans une tendance systémique, y compris en Europe. Dans certaines situations, les policiers ont eux-mêmes provoqué des troubles à l’ordre public en infiltrant des manifestations pacifiques avec des agents provocateurs ou en réprimant violemment des rassemblements pacifiques de l’opposition politique.
3. L’Assemblée rappelle que le droit national et international interdit tout acte de torture et traitement inhumain ou dégradant, sans exception. Cette interdiction englobe l’usage excessif de la force lors d’arrestations ou de la dispersion de rassemblements, les mesures de contention inutilement brutales et l’extorsion d’aveux sous la contrainte dans le cadre d’enquêtes criminelles et d’opérations de sécurité. Conformément aux instruments juridiques internationaux et à la jurisprudence des juridictions internationales, les forces de l’ordre ne peuvent recourir à la force qu’en cas de stricte nécessité et uniquement pour atteindre un objectif légitime. L’usage de la force potentiellement létale n’est autorisé qu’à des fins très spécifiques et en cas de nécessité absolue. Tout recours à la force qui enfreint ces principes est inutile et excessif, donc interdit.
4. L’Assemblée constate que le facteur qui contribue le plus à l’usage excessif de la force est l’impunité des violations de la loi et des normes internationales. Il semblerait que dans certains États membres, les forces de l’ordre considèrent que les normes internationales applicables dans ce domaine ne sont pas obligatoires. S’il est vrai que ces normes ne sont pas codifiées et qu’elles sont difficiles à appliquer dans la pratique, puisqu’elles se fondent sur différents instruments juridiques internationaux et sur la jurisprudence des juridictions internationales, il importe de souligner que l’interdiction de l’usage excessif et inutile à la force est absolue et que rien ne peut justifier l’impunité et le non-respect de la loi.
5. Les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination dans le recours à la force par les agents des forces de l’ordre, tels que les établit la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, doivent être défendus par le Conseil de l’Europe.
6. L’Assemblée estime que la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) combinée à d’autres traités spécialisés pertinents, comme la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126) et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, constituent un fondement normatif et institutionnel solide, qui fournit des normes et des principes clairs pour régir l’usage de la force par les agents des forces de l’ordre. Ces normes gagneraient toutefois à être regroupées sous forme récapitulative pour plus de clarté et de facilité d’utilisation. Cette solution pourrait passer par la rédaction ou la mise à jour de recommandations et de lignes directrices spécifiques à l’intention des États membres. L’Assemblée considère que l’élaboration d’une nouvelle convention du Conseil de l’Europe sur la prévention des excès de violence policière, qui codifierait les normes les plus strictes et les bonnes pratiques dans ce domaine, avec la mise en place d’un solide mécanisme de suivi, devrait logiquement suivre, dans un premier temps, la rédaction de recommandations actualisées par le Comité des Ministres.
7. Le Conseil de l’Europe doit également soutenir ses États membres en recensant et en diffusant les bonnes pratiques de maintien de l’ordre et en leur fournissant le soutien technique nécessaire.
8. Tous les États membres doivent mettre en œuvre activement les instruments juridiques internationaux qui régissent le recours à la force par les agents des forces de l’ordre, y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), les résolutions de l’Assemblée et les recommandations du Comité des Ministres. Les États devraient s’inspirer de ces instruments pour améliorer leur législation et leurs pratiques nationales, afin de mieux respecter l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements. Ils devraient également prendre une autre série de mesures pour mener des réformes institutionnelles et réglementaires et proposer des formations et des changements de pratiques.
9. En conséquence, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe et les États observateurs, s’il y a lieu:
9.1. à examiner la compatibilité de leur législation et de leurs pratiques nationales avec les principes juridiques internationaux régissant le recours à la force par les agents des forces de l’ordre, tels qu’ils découlent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des recommandations du CPT, des résolutions pertinentes de l’Assemblée et des recommandations du Comité des Ministres, ainsi que des instruments des Nations Unies;
9.2. à veiller à ce que leur législation nationale érige en infraction tous les actes de torture et les traitements inhumains ou dégradants, et à ce que ces dispositions soient effectivement appliquées dans la pratique afin de prévenir et de sanctionner l’usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre, quel que soit le contexte – en garde à vue, en détention, dans les activités de maintien de l’ordre lors de manifestations, dans les procédures de maîtrise des foules, dans les situations d’urgence, dans la gestion des flux de migrants irréguliers, etc.;
9.3. à veiller à ce que l’utilisation d’armes et autres outils létaux ou non létaux par les forces de l’ordre soit strictement réglementée par leur législation nationale, qui doit prévoir des instructions et des garanties contre les abus;
9.4. à mettre en place des mécanismes indépendants, au sein ou en dehors des institutions de police, pour diligenter des enquêtes rapides, efficaces et approfondies sur les causes de l’usage excessif de la force, afin de garantir que les personnes impliquées aient à répondre de leurs actes;
9.5. à intensifier leurs efforts de lutte contre l’impunité en améliorant l’efficacité de leurs systèmes judiciaires et de poursuites, notamment en prévoyant des sanctions pénales et disciplinaires adéquates et dissuasives pour les infractions liées aux brutalités policières et à l’usage excessif de la force;
9.6. à prévoir des recours en indemnisation et des mesures de réadaptation pour les victimes du recours excessif à la force;
9.7. à recueillir et codifier les bonnes pratiques en matière de maintien de l’ordre et à prévoir des programmes de formation spéciaux des forces de l’ordre sur l’usage de la force et le respect des droits de l’homme;
9.8. à garantir une protection effective aux lanceurs d’alerte qui dénoncent un usage excessif de la force au sein des services répressifs, conformément à la Résolution 1729 (2010) de l’Assemblée «Protection des ‘donneurs d’alerte’» et à la Résolution 2300 (2019) «Améliorer la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe»;
9.9. à renforcer la transparence des services répressifs et la publicité de leur processus décisionnel en matière d’usage de la force, y compris les instructions données aux services de police par les autorités politiques;
9.10. à envisager d’accorder aux mécanismes nationaux de lutte contre la torture et aux autres institutions nationales de défense des droits de l’homme la compétence de contrôler l’usage de la force par les agents des forces de l’ordre, qu’il y ait ou non privation de liberté;
9.11. à veiller à ce que les agents de police masqués soient tenus de porter et d’afficher des signes distinctifs d’identification, en particulier lorsqu’ils procèdent à des arrestations ou interviennent pour maintenir l’ordre lors de manifestations et maîtriser des foules;
9.12. à renforcer le contrôle parlementaire des activités des services répressifs;
9.13. à donner la priorité à l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme relatifs à l’usage excessif ou injustifié de la force par les forces de l’ordre en violation des articles 2 ou 3, pris isolément ou combinés à l’article 14, ou de l’article 11 de la Convention; et à prendre toutes les mesures individuelles et générales nécessaires pour remédier aux causes profondes de ce problème et empêcher toute nouvelle violation.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 4 avril 2022.

(open)
1. Renvoyant à sa Résolution … (2022) «Combattre et prévenir l’usage excessif et injustifié de la force par les forces de l’ordre», l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1. d’adopter une recommandation aux États membres du Conseil de l’Europe sur l’usage de la force dans les activités de police, en tenant dûment compte de toutes les normes juridiques internationales qui régissent le recours à la force par les forces de l’ordre et en mettant plus particulièrement l’accent sur:
1.1.1. les définitions des termes «forces de l’ordre», «usage de la force», «maintien de l’ordre lors de manifestations ou de mouvements de protestation», «mesures de maîtrise des foules» et des autres notions pertinentes;
1.1.2. les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination dans l’usage de la force;
1.1.3. les situations dans lesquelles le recours à la force peut être autorisé, y compris l’utilisation d’armes et d’équipements spéciaux;
1.1.4. les droits et obligations des forces de l’ordre dans ces situations;
1.1.5. les droits et recours des victimes de l’usage excessif de la force;
1.1.6. les obligations positives de prévenir la violence, y compris pendant les manifestations et contre-manifestations, et les affrontements entre les participants des deux bords;
1.1.7. l’obligation d’enquêter et de demander des comptes aux services répressifs et aux agents en cas d’usage excessif de la force;
1.1.8. l’indépendance institutionnelle et fonctionnelle des services répressifs et de leurs agents dans la prise de décisions opérationnelles, tout en maintenant leur obligation de rendre des comptes aux autorités politiques élues;
1.1.9. la transparence des institutions de maintien de l’ordre et la publicité de leur processus décisionnel sur le recours à la force;
1.1.10. le recensement et l’analyse des bonnes pratiques en matière de maintien de l’ordre, ainsi que la mise en œuvre de programmes de formation spéciaux sur l’usage de la force et le respect des droits de l’homme;
1.1.11. toute autre question jugée pertinente pour l’usage de la force dans les activités de maintien de l’ordre;
1.2. de revoir et mettre à jour la Recommandation Rec(2001)10 sur le Code européen d’éthique de la police ainsi que les Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’élimination de l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme, adoptées par le Comité des Ministres le 30 mars 2011 lors de la 1110e réunion des Délégués des Ministres;
1.3. de lancer le processus de rédaction d’une nouvelle convention du Conseil de l’Europe sur la prévention des excès de violence policière qui codifie les normes les plus strictes et les bonnes pratiques dans ce domaine, et la mise en place d’un solide mécanisme de suivi;
1.4. de recenser les bonnes pratiques de maintien de l’ordre et de promouvoir diverses initiatives, y compris une assistance technique, pour contribuer à leur mise en œuvre dans tous les États membres;
1.5. de donner la priorité à la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme relatifs à l’usage excessif de la force par les services répressifs en violation des articles 2 ou 3, pris isolément ou combinés à l’article 14, ou de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5);
1.6. de continuer de suivre de près les travaux menés par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), en particulier ses déclarations publiques adoptées en vertu de l’article 10 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), en conformité avec la Recommandation 2146 (2019) de l’Assemblée «Améliorer le suivi des recommandations du CPT: un rôle renforcé pour l’Assemblée parlementaire et les parlements nationaux», et sa Recommandation 2100 (2017) «25 ans de CPT: progrès accomplis et améliorations à apporter».

C. Exposé des motifs par M. Oleksandr Mezezhko, rapporteur

(open)

1. Introduction

«La violence engendre la violence»
Martin Luther King Jr.

1. À la suite d’une proposition de résolution que j’ai déposée le 1er octobre 2020 et qui a été renvoyée à notre commission pour rapport 
			(3) 
			Doc 15137., j’ai été désigné rapporteur le 14 octobre 2020. La commission a organisé l’audition de deux experts et j’ai de mon côté consulté plusieurs experts du maintien de l’ordre 
			(4) 
			Le 14 septembre 2021,
la commission a tenu une audition avec M. Nick Glynn, Open Society
Initiative for Europe, et M. David Martin Abánades, inspecteur de
police espagnol, expert en maintien de l’ordre auprès de la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et des Nations
Unies..
2. La proposition de résolution affirmait que la violence et la discrimination policières, récemment mises en lumière par le mouvement Black Lives Matter, constituaient l’un des problèmes les plus urgents de la protection des droits de l’homme. En conséquence, elle appelait l’Assemblée à s’appuyer sur les textes non contraignants existants et la jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme pour élaborer des normes sur l’utilisation de la force par les services répressifs, dans le respect des principes sous-jacents de nécessité, de proportionnalité, de justice et de non-discrimination. Elle proposait également à l’Assemblée d’examiner la faisabilité de l’élaboration d’un instrument international contraignant pour lutter contre l’usage excessif et injustifié de la force par la police et d’autres violations des droits de l’homme commises par les forces de l’ordre.
3. Il convient d’apporter quelques précisions terminologiques. Aux fins du présent rapport, le terme «forces de l’ordre» désigne tout agent de l’État ou policier exerçant des pouvoirs répressifs ou de maintien de l’ordre, quelle que soit sa position dans la hiérarchie institutionnelle de l’État. Les termes «police» et «forces de l’ordre» sont interchangeables. Par «usage excessif de la force», j’entends l’utilisation disproportionnée des pouvoirs légaux accordés aux forces de l’ordre, qui peut prendre la forme de pressions physiques ou psychologiques, exercées avec ou sans armes et équipements spéciaux, de manière intentionnelle ou non, indépendamment du degré de souffrance infligée aux victimes.
4. Je tiens à souligner qu’il ne s’est dégagé aucun consensus sur la signification de ces concepts, notamment sur la définition de «l’usage excessif de la force policière». Mon rapport établit toutefois une distinction entre des comportements manifestement illégaux de la police – tels que le passage à tabac d’un suspect pour lui extorquer des aveux – et l’usage excessif des pouvoirs légaux de police – par exemple, l’excès de zèle dans l’arrestation d’un suspect dangereux. Ces deux comportements sont interdits, mais ils diffèrent sur le fond et le rapport vise à clarifier ces différences et à identifier les normes juridiques pertinentes.

2. L’analyse de la situation actuelle du maintien de l’ordre en Europe

5. Le 25 mai 2020, des policiers de Minneapolis ont arrêté George Floyd, un homme noir de 46 ans. Un agent de police l’a maintenu à plat sur le sol avec son genou sur le cou pendant près de neuf minutes, ce qui a provoqué son asphyxie puis sa mort, tandis que d’autres policiers regardaient passivement la scène. L’agent de police qui a fait usage de la force a par la suite été reconnu coupable de meurtre. Il a plaidé coupable des accusations de violation des droits civils de M. Floyd par l’usage d’une force excessive et par l’absence de prise en compte des besoins médicaux critiques de la victime. Les autres policiers ont été reconnus coupables d’avoir violé les droits civils de M. Floyd en faisant preuve d’une indifférence délibérée et en n’intervenant pas pour mettre fin à l’usage de la force par leur collègue.
6. La mort de M. Floyd a immédiatement déclenché une vague de protestations apparentée au mouvement Black Lives Matter, qui s’est élevée contre l’impunité de l’usage de la force létale par les forces de l’ordre contre les personnes noires aux États-Unis. Le mouvement s’est rapidement propagé de Minneapolis à l’ensemble du pays avant de gagner l’Europe.
7. Cet incident a servi d’impulsion pour la Résolution 2389 (2021) de l’Assemblée parlementaire, intitulée «Lutter contre l’afrophobie, ou le racisme anti-Noir·e·s, en Europe». Malheureusement, ce drame n’a pas été l’unique incident à révéler que la police et les forces de l’ordre continuent de faire un usage excessif de la force malgré son interdiction absolue par les instruments juridiques internationaux. De nombreuses autres résolutions de l’Assemblée évoquent de tels incidents survenus à grande échelle, que je décrirai dans mon rapport.
8. Il est évident que mon rapport ne peut couvrir l’ensemble des incidents liés à la brutalité policière. J’ai donc choisi de m’arrêter sur certains des incidents les plus connus en Europe et surtout, je me suis concentré sur des incidents où la force excessive a été utilisée à très grande échelle. À mon sens, ces incidents témoignent de l’existence de dysfonctionnements structurels et d’attitudes discriminatoires au sein des forces de police et autres services répressifs.

2.1. L’usage de la force dans le cadre de la privation de liberté

9. On confond parfois le terme «usage excessif de la force» avec certaines formes de brutalités policières, telles que l’extorsion d’aveux et de renseignements sous la contrainte lors d’enquêtes pénales ou d’opérations de sécurité. Or dans ces situations la force policière ne peut être qualifiée d’«excessive», car l’usage de la force est tout simplement interdit dans ces circonstances.
10. Dans d’autres situations, la loi autorise l’usage de la force dans des circonstances spécifiques et sous certaines conditions. Lorsque cette force est utilisée de manière abusive, elle devient excessive et donc illégale. Par exemple, le recours à la force lors d’arrestations par la police ou en cas d’application de mesures de contention dans les prisons est autorisé, mais soumis à certaines limites. Il devient excessif lorsque ces limites imposées à l’usage de la force ne sont pas respectées.
11. Toutes ces situations ont une caractéristique en commun, à savoir que la force est utilisée à des fins de placement ou de maintien en détention de personnes par la police. C’est la raison pour laquelle je parle d’«usage de la force dans le cadre de la privation de liberté». Malheureusement, malgré les limites imposées, l’usage excessif de la force perdure dans le cadre de la privation de liberté et révèle dans certains cas une tendance systémique aux comportements abusifs de la police. L’arrestation de George Floyd est une parfaite illustration de ce schéma systémique.

2.2. L’usage de la force pour mettre fin à des manifestations pacifiques ou les disperser

12. Dans les situations décrites ci-dessous, le recours à la force est justifié par un objectif légitime, à savoir le rétablissement de l’ordre public, le maintien de l’ordre lors d’événements de masse et la maîtrise des foules. Dans ces situations toutefois, j’ai constaté une prédisposition de la police à faire un usage excessif de la force à grande échelle, ce qui entraîne une escalade de la violence.
13. Le premier exemple concerne les événements tragiques dits du «Premier mars» survenus en Arménie. Le 1er mars 2008 au petit matin, la police a commencé à disperser par la force des milliers de personnes qui avaient campé toute la nuit sur la place centrale d’Erevan et qui manifestaient pacifiquement depuis dix jours contre les résultats des élections présidentielles. Les agents des forces de l’ordre ont commencé à frapper les manifestants à l’aide de matraques et d’appareils à impulsions électriques, ce qui a déclenché une vague de violence. Les violences de rue ont duré deux jours et les forces armées ont fini par utiliser des fusils d’assaut contre les manifestants. Des centaines de manifestants et de policiers ont été gravement blessés, huit ont été tués et beaucoup ont été portés disparus 
			(5) 
			Résolution 1609 (2008) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en
Arménie»; <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Mushegh
Saghatelyan c. Arménie</a>, requête no 23086/08,
arrêt du 20 septembre 2018..
14. En 2009, des événements similaires, dits du «7 avril», se sont produits en République de Moldova après les élections législatives. Pendant deux jours, des milliers de jeunes ont manifesté pacifiquement dans le centre-ville de la capitale. Le 7 avril 2009, un nombre relativement restreint d’entre eux a basculé dans la violence et a pris d’assaut le palais présidentiel et le bâtiment du parlement. La police n’est pas intervenue et a assisté à la destruction, au pillage et à l’incendie qui a partiellement détruit ces bâtiments. Dans les jours qui ont suivi, les médias et les défenseurs des droits de l’homme ont fait état d’arrestations massives et de passages à tabac de jeunes dans les rues. Ils ont publié des enregistrements vidéo dans lesquels on voit des policiers et des agents des forces spéciales, sans uniforme et le visage dissimulé par des masques ou des cagoules, arrêter et frapper des jeunes au vu et au su de tous. De nombreuses personnes se sont plaintes de mauvais traitements en garde à vue; un corps sans vie a été retrouvé à proximité des bâtiments. Une enquête publique ultérieure a conclu que la force utilisée contre les manifestants avait été excessive 
			(6) 
			Résolution 1666 (2009) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en
Moldova»; <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Taraburca
c. Moldova</a>, requête no 18919/10,
arrêt du 6 décembre 2011..
15. En Ukraine, les manifestations pro-européennes («Euromaïdan») illustrent bien la manière dont la décision prise par les autorités de disperser les manifestants peut conduire à l’escalade de la violence. À Kiev, des affrontements mineurs ont été enregistrés entre la police et les manifestants au cours de ce que l’on a appelé la première vague de protestations. Le 30 novembre 2013, la situation s’est détériorée après l’intervention en force de la police spéciale «Berkut», qui a provoqué une deuxième vague d’affrontements. Les autorités répressives ont également fait appel à des agents privés (les «titushky»), qui ont battu et interpellé des manifestants, ce qui a encore amplifié les violences. Des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées. L’Assemblée et la Cour européenne des droits de l’homme ont estimé que les autorités ukrainiennes de l’époque étaient responsables de l’usage excessif de la force et des mauvais traitements infligés aux manifestants 
			(7) 
			Résolution 1974 (2014) et Recommandation
2035 (2014) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine»; <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>Shmorgunov
et autres c. Ukraine</a>, requêtes no 15367/15
et autres, 21 janvier 2021..
16. En août 2020, le Bélarus a connu le même usage généralisé de la violence policière. Des personnes qui manifestaient pacifiquement contre la réélection frauduleuse du Président Loukachenko ont été violemment dispersées. Les forces de police et de sécurité ont fait un usage excessif de la force en utilisant des équipements spéciaux et des armes non létales, mais néanmoins dangereuses, telles que des canons à eau, des matraques, des grenades assourdissantes et aveuglantes, et des balles en caoutchouc. De nombreuses personnes ont été blessées, au moins deux ont été tuées et deux autres sont mortes en détention après leur arrestation pour avoir participé aux manifestations 
			(8) 
			Résolution 2372 (2021) et Recommandation
2201 (2021) «Les violations des droits de l’homme au Bélarus nécessitent
une enquête internationale»..
17. La France s’est également vu reprocher un usage excessif de la force policière. L’Assemblée a critiqué le recours aux pouvoirs conférés par la prorogation de l’état d’urgence pendant la Conférence sur le changement climatique (COP21), une semaine après les attentats terroristes de 2015 à Paris. La police a également fait un usage disproportionné de la force lors des manifestations de 2016 connues sous le nom de «Nuit debout». Les médias et la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont rapporté de nombreux cas de violence policière survenus dans le cadre du mouvement des gilets jaunes en 2018. En 2020, la presse a continué à dénoncer des incidents de violence policière, dont la mort de Cédric Chouviat après son arrestation par la police à Paris, des propos racistes tenus par des policiers en Seine-Saint-Denis, des affrontements causés par l’évacuation du camp de migrants de la place de la République, etc. Enfin, l’agression par des policiers du producteur de musique Michel Zecler a ravivé les débats en lien avec le mouvement Black Lives Matter 
			(9) 
			Rapporteur
M. Raphaël Comte, (Suisse, ADLE), Rapport, Doc. 14506, «État d’urgence: questions de proportionnalité relatives
à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne
des droits de l’homme», § 63; <a href='https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/la-preuve-par-limage'>La
preuve par l’image</a>: «<a href='https://www.liberation.fr/france/2019/11/18/gilets-jaunes-violences-policieres-la-preuve-par-l-image_1764177/'>Gilets
jaunes: violences policières»</a>; Mémorandum sur le maintien de l’ordre et la liberté
de réunion dans le contexte du mouvement des «gilets jaunes» en
France (<a href='https://rm.coe.int/memorandum-sur-le-maintien-de-l-ordre-et-la-liberte-de-reunion-dans-le/1680931add'>CommDH(2019)8</a>); <a href='https://www.france24.com/fr/france/20201128-violences-policières-en-france-derrière-les-dérives-un-phénomène-structurel'>«Violences
policières en France: derrière les dérives, ‘un phénomène structurel’»</a>..
18. Selon la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des Ministres, la répression policière des manifestations pacifiques par un recours excessif à la force policière est devenue un problème systémique en Russie. La Commissaire a fait part de nombreuses préoccupations quant à l’usage excessif de la force contre des manifestants et des journalistes qui n’opposaient aucune résistance. Ce problème perdure puisque les médias et les organisations de défense des droits de l’homme continuent de signaler que les forces de l’ordre russes utilisent régulièrement la force et des armes non létales pour disperser les manifestations. D’après les organisations non gouvernementales russes, les manifestations se terminent souvent par des dizaines de blessés et des centaines de personnes arrêtées ou maltraitées 
			(10) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Annenkov et autres c. Russie</a>, requête no 31475/10, arrêt
du 25 juillet 2017; décision <a href='https://hudoc.exec.coe.int/ENG'>CM/Del/Dec(2021) 1406/H46-29</a> du Comité des Ministres; Amnesty International, <a href='https://eurasia.amnesty.org/wp-content/uploads/2021/08/russia-no-place-for-protest-1.pdf'>Russia:
No Place for Protest</a>; Russian Federation: failure to respect human rights
while policing peaceful protests. Lettre adressée aux autorités
de la Fédération de Russie (<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/russian-federation-failure-to-respect-human-rights-while-policing-peaceful-protests'>CommHR/DM/sf 028-2019</a>); déclaration de la chargée d’affaires Courtney Austrian
auprès du Conseil permanent de l’OSCE: <a href='https://osce.usmission.gov/continued-suppression-of-protests-in-the-russian-federation-and-the-sentencing-of-alexei-navalny/'>«Continued Suppression
of Protests in the Russian Federation and the Sentencing of Alexei
Navalny»</a>.. Plus récemment, la répression des manifestations pacifiques organisées dans de nombreuses villes russes pour dénoncer l’attaque militaire brutale contre l’Ukraine fournit chaque jour de nouveaux exemples choquants.
19. De la même manière, on observe depuis le début des années 2000 un usage systémique de la force en Turquie. Les services répressifs turcs utilisent régulièrement des armes pour maîtriser les foules et des gaz lacrymogènes pour réprimer les manifestations. Le Comité des Ministres a exprimé son inquiétude quant à cette pratique et n’a noté aucun progrès dans la résolution de ce problème. L’Assemblée a également évoqué les nombreux cas de répression par la force de manifestations pacifiques en Turquie. Les défenseurs des droits de l’homme ont dénoncé le recul des droits de l’homme et de l’État de droit en Turquie, qui a suivi les manifestations antigouvernementales de masse de 2013. Certaines organisations affirment que ces dernières années ont été marquées par une recrudescence d’actes de torture et de mauvais traitements infligés par la police à des détenus, notamment depuis le coup d’État manqué de 2016. Ces incidents sont considérés comme s’inscrivant dans un schéma inquiétant d’arrestations violentes, de passages à tabac et de mauvais traitements infligés aux manifestants 
			(11) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Oya Ataman c. Turquie</a>, requête no 74552/01,
arrêt du 5 décembre 2006; décision <a href='https://hudoc.exec.coe.int/fre'>CM/Del/Dec(2021)1411/H46-38</a> du Comité des Ministres; Résolution 2121 (2016) et Résolution
2156 (2017) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en
Turquie»; Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/report/2014/09/29/turkeys-human-rights-rollback/recommendations-reform'>«Turkey’s
Human Rights Rollback: Recommendations for Reform»</a> et <a href='https://www.hrw.org/fr/news/2020/07/29/turquie-des-policiers-et-vigiles-de-quartier-impliques-dans-des-cas-de-torture'>«Turquie:
des policiers et vigiles de quartier impliqués dans des cas de torture</a>»..
20. En Azerbaïdjan, la répression par la force de manifestations pacifiques s’est traduite par des arrestations massives d’opposants politiques et de journalistes, qui auraient subi des actes de torture pendant leur garde à vue et en prison 
			(12) 
			Résolution 2184 (2017) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en
Azerbaïdjan»; Résolution
2185 (2017) «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe:
quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits
de l’homme?».. En Estonie, les forces de l’ordre auraient fait un usage excessif de la force pendant les émeutes déclenchées par la décision des autorités de déplacer un monument à Tallinn en 2007 
			(13) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Korobov
et autres c. Estonie</a>, requête no 10195/08,
arrêt du 28 mars 2013.. Au Royaume-Uni, une série de manifestations particulièrement violentes – «les émeutes de 2011 en Angleterre» – ont été catalysées par la mort d’un jeune homme abattu par la police. Des allégations d’usage disproportionné de la force ont été portées contre les forces de l’ordre espagnoles dans le cadre des manifestations organisées en Catalogne en octobre 2017 et 2019 
			(14) 
			Le
Commissaire aux droits de l’homme invite l’Espagne à enquêter sur
les allégations d’usage disproportionné de la force par la police
en Catalogne. Lettre adressée aux autorités espagnoles <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/commissioner-calls-on-spain-to-investigate-allegations-of-disproportionate-use-of-police-force-in-catalonia'>CommHR/NM/jp
036-2017</a>; <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/protection-of-the-rights-to-freedom-of-expression-and-peaceful-assembly-during-last-week-s-demonstrations-in-catalonia'>Protection
of the rights to freedom of expression and peaceful assembly during
last week’s demonstrations in Catalonia</a>; Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2019/10/spain-authorities-must-deescalate-tensions-and-guarantee-the-right-to-public-assembly/'>Espagne.
Les autorités doivent apaiser les tensions et garantir le droit
de rassemblement public</a>.. Des rapports font état d’un usage excessif de la force (gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc) par les forces de l’ordre en Géorgie. Les manifestations, qui étaient au départ pacifiques, ont fini par devenir violentes et les forces de l'ordre se sont senties contraintes d'affronter les manifestants qui, à l’appel des dirigeants de l’opposition, tentaient de pénétrer dans le bâtiment du parlement. Ces manifestations visaient à dénoncer la participation d’un député russe à l’Assemblée interparlementaire sur l’orthodoxie (IAO) qui s’était réunie au parlement géorgien en juin 2019 
			(15) 
			Human
Rights Watch, <a href='https://www.ecoi.net/en/document/2022688.html'>«World
Report 2020 – Georgia»</a>..
21. En juillet 2020 en Serbie, la police a tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes sur la foule sans discernement et a frappé des manifestants et des passants, y compris des journalistes 
			(16) 
			<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/07/serbia-violent-police-crackdown-against-covid-19-lockdown-protesters-must-stop/'>«Serbie.
Il faut mettre un terme à la violente répression policière contre
les manifestations liées au confinement instauré en raison du covid-19</a>»; <a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-53332225'>«Coronavirus:
Belgrade protesters storm Serb parliament over curfew»</a>; <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/commissioner-calls-for-effective-investigations-into-cases-of-police-violence-in-belgrade'>«Commissioner calls
for effective investigations into cases of police violence in Belgrade</a>».. En Albanie, on a observé une escalade des affrontements entre la police et les manifestants après le décès d’un jeune homme abattu par la police en décembre 2020 
			(17) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/albanian-authorities-must-prevent-further-police-violence-and-uphold-the-right-to-freedom-of-peaceful-assembly'>«Les
autorités albanaises doivent prévenir de nouvelles violences policières
et garantir le droit à la liberté de réunion pacifique»</a>.. En Grèce, des manifestations de masse ont basculé dans la violence en mars 2021 après qu’un policier a agressé un étudiant avec une matraque en fer pour avoir enfreint les mesures de confinement 
			(18) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2021/mar/10/greek-pm-appeals-for-peace-after-police-brutality-ignites-riots'>«Greek
PM appeals for peace after police brutality ignites riots»</a>.. En janvier 2021, une manifestation en Belgique a tourné à la violence lorsque des manifestants ont affronté la police après le décès en garde à vue d’un homme d’origine nord-africaine 
			(19) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/brussels-protest-over-police-brutality-turns-violent/'>«Brussels
protest over police brutality turns violent</a>; <a href='https://www.cnn.com/2021/01/14/europe/belgium-protest-arrests-intl/index.html'>More
than 100 arrested after protests over a Black man’s death in police
custody»</a>.. En mars 2021, de violentes émeutes ont de nouveau éclaté en réaction aux tentatives de la police belge de faire respecter les restrictions liées à la covid-19 
			(20) 
			<a href='https://www.france24.com/en/europe/20210401-belgian-police-clash-with-partiers-over-covid-19-restrictions'>«Belgian
police clash with partiers over Covid-19 restrictions»</a>.. Suite aux mesures de restriction imposées à l’occasion de la covid-19, des vagues de protestations ont régulièrement déferlé en Autriche, aux Pays-Bas, en Italie, en France, en Allemagne, en Croatie, etc. Nombre d’entre elles ont dégénéré en affrontements violents avec la police, bien qu’il n’ait pas toujours été possible de déterminer avec certitude si la police était à l’origine de l’escalade 
			(21) 
			<a href='https://www.schengenvisainfo.com/news/protests-erupt-across-europe-against-covid-19-passports-further-restrictions/'>«Protests
Erupt Across Europe Against Covid-19 Passports & Further Restrictions»</a>..
22. Malheureusement, ce ne sont pas là les seuls exemples de recours excessif à la force par la police. Les autorités ont souvent recours à une force excessive pour maintenir l’ordre lors de manifestations pacifiques et, plus récemment, pour faire respecter les restrictions sanitaires pendant la pandémie de covid-19. Dans certains cas, les forces de l’ordre ont provoqué des affrontements ou contribué à l’escalade de la violence. Ces exemples montrent que l’usage excessif de la force par la police est devenu un problème persistant en Europe qui appelle une approche systémique.

2.3. L’usage de la force dans les procédures de maîtrise des foules

23. Les exemples suivants montrent différents types de comportements systémiques de la police. Dans ces situations, les forces de l’ordre ont outrepassé leurs pouvoirs en confinant des foules qui ne manifestaient pas. Comme l’ont constaté de nombreux commentateurs, ces incidents se caractérisent par la discrimination qui sous-tend le comportement de la police. Ils révèlent également l’incapacité à empêcher les contre-manifestations de basculer dans la violence, en particulier les manifestations motivées par le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, le nationalisme ou l’homophobie.
24. À chaque nouveau cycle de la crise des migrants en Europe, la violence policière dans le cadre de la maîtrise des foules devient plus visible. Lors de la crise des réfugiés de 2015, alors qu’elles tentaient de stopper l’afflux de migrants, les forces de l’ordre de certains États membres du Conseil de l’Europe ont repoussé les foules de migrants à l’aide d’outils spéciaux, sans discernement. Par exemple, en 2014 à Ceuta, la garde civile espagnole aurait utilisé des balles en caoutchouc et des bombes lacrymogènes contre les migrants, causant plusieurs décès 
			(22) 
			Parlement
européen, question avec demande de réponse écrite <a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-7-2014-001281_EN.html'>E-001281/2014</a> à la Commission au sujet des décès de migrants à la
frontière de Ceuta; Conseil européen pour les réfugiés et les exilés,
«<a href='https://ecre.org/at-least-13-people-die-in-an-attempt-to-enter-spain-migrants-accuse-guardia-civil-of-using-rubber-bullets-and-tear-gas-against-them/'>At
least 13 people die in an attempt to enter Spain – Migrants accuse
Guardia Civil of using rubber bullets and tear gas against them</a>».. En 2015, de nombreux réfugiés syriens ont été renvoyés en Serbie par la police hongroise, qui a fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau contre des femmes et des enfants 
			(23) 
			ONU
Info, <a href='https://news.un.org/fr/story/2015/09/318802-lonu-condamne-la-reponse-de-la-hongrie-la-crise-des-refugies'>«L’ONU
condamne la réponse de la Hongrie à la crise des réfugiés»</a>.. En France en 2017, des migrants qui vivaient dans la «Grande Jungle» de Calais se sont plaints de violences policières 
			(24) 
			M. Welander, <a href='https://refugee-rights.eu/wp-content/uploads/2018/08/RRE_TwelveMonthsOn.pdf'>«Twelve
months on. Filling information gaps relating to refugees and displaced
people in northern France a year from the demolition of the Calais
camp</a>», Refugee Rights Europe, 2018, p. 18..
25. La Grèce aurait mis en place des centres secrets de détention extrajudiciaire de migrants pour éviter que la crise des migrants de 2015 ne se reproduise. La police et les forces de sécurité grecques, y compris des civils armés, ont été accusées d’actes de torture, de discrimination, de violations de la législation antiraciste, d’abus sexuels et d’agressions physiques sur les migrants 
			(25) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2020/03/10/world/europe/greece-migrants-secret-site.html'>«We
Are Like Animals: Inside Greece’s Secret Site for Migrants</a>»; <a href='https://www.infomigrants.net/fr/post/23398/new-york-times-accuses-greece-of-operating-an-extrajudicial-center-for-migrants'>«New
York Times accuses Greece of operating an extrajudicial center for
migrants</a>»; <a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/29/les-policiers-grecs-nous-ont-traites-comme-des-betes-des-afghans-refoules-de-grece-vers-la-turquie-temoignent_6068091_3210.html'>«’Les
policiers grecs nous ont traités comme des bêtes’: des Afghans refoulés
de Grèce vers la Turquie témoignent</a>»; Human Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/fr/news/2020/03/17/grece-violences-contre-des-demandeurs-dasile-la-frontiere'>«Grèce:
violences contre des demandeurs d’asile à la frontière</a>»; InfoMigrants, <a href='https://www.infomigrants.net/fr/post/29079/a-lesbos-quatre-policiers-inculpes-pour-avoir-battu-des-migrants'>«À
Lesbos, quatre policiers inculpés pour avoir battu des migrants»</a>.. Des organisations non gouvernementales ont recensé une augmentation des violences et des abus de la part de la police croate à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine, où des migrants ont été attachés et agressés physiquement par des policiers 
			(26) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/06/croatia-fresh-evidence-of-police-abuse-and-torture-of-migrants-and-asylumseekers/'>«Croatie.
Nouvelles preuves de violences policières et de torture infligées
à des personnes migrantes ou demandeuses d’asile</a>»..
26. Toutes ces situations et d’autres exemples documentés d’expulsion par la force sont souvent associés à des brutalités policières et à des attitudes xénophobes, nationalistes ou discriminatoires de la part des agents des forces de l’ordre. Une des questions clés qui se posent ici est celle de la proportionnalité, puisque la protection des frontières nationales contre l’afflux massif de migrants en situation irrégulière est un objectif légitime.

2.4. L’usage de la force dans les situations d’après-conflit

27. L’usage abusif de la force policière survient généralement après un conflit armé et se poursuit pendant les périodes de transition. L’«affaire grecque» a été le premier exemple de torture massive utilisée pour réprimer l’opposition politique et les troubles civils qui ont suivi le coup d’État de 1967 
			(27) 
			Commission
européenne des droits de l’homme, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>«L’affaire grecque</a>»; Résolution
346 (1967), Résolution
351 (1967), Résolution
361 (1968), Résolution
519 (1972) «Situation en Grèce».. Un autre exemple bien connu est celui de l’Irlande du Nord, où les autorités ont utilisé des méthodes coercitives d’interrogatoire à des fins d’enquête et de prévention d’actes de terrorisme et de troubles civils lors de la crise de 1971 
			(28) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Irlande
c. Royaume-Uni</a>..
28. A ce propos, je me dois également d'évoquer les «nombreuses violations graves des droits des Tatars de Crimée, y compris des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants commis par des membres des forces de sécurité et de l’ordre, attribuées à la Russie» 
			(29) 
			Résolution 2387 (2021) «Violations des droits humains commises à l’encontre
des Tatars de Crimée en Crimée», § 5.. Des allégations ont été formulées au sujet des «traitements inhumains et dégradants et [des] actes de torture infligés à des prisonniers de guerre arméniens par les Azerbaïdjanais, ainsi qu’un certain nombre d’allégations de traitements analogues infligés à des prisonniers de guerre azerbaïdjanais par les Arméniens» dans le contexte récent du conflit du Haut-Karabakh 
			(30) 
			Résolution 2391 (2021) «Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan / le conflit du Haut-Karabakh», § 8.2.. D’après la Cour européenne des droits de l’homme, après la cessation des hostilités entre la Fédération de Russie et la Géorgie en 2008, de nombreux civils et prisonniers de guerre ont été soumis à des actes de torture et à des mesures humiliantes qui s’apparentaient à des pratiques administratives généralisées 
			(31) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Géorgie c. Russie (II)</a>, requête no 38263/08, arrêt
du 21 janvier 2021..

3. Le cadre juridique international du recours à la force par la police et les forces de l’ordre

29. Tous ces incidents d’utilisation abusive systémique des pouvoirs de police soulèvent des préoccupations quant à l’efficacité des instruments juridiques internationaux qui interdisent l’usage excessif de la force. Pour répondre à ces préoccupations, je commencerai par recenser les instruments internationaux en question et décrire rapidement les normes qu’ils contiennent. J’évaluerai ensuite l’état de leur mise en œuvre.

3.1. Les instruments juridiques pertinents du Conseil de l’Europe

30. Deux traités internationaux contraignants conclus sous l’égide du Conseil de l’Europe sont pertinents pour les activités de police et de maintien de l’ordre: la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (STE no 5) et la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126). La Convention et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme établissent le cadre le plus complet pour le travail opérationnel des forces de l’ordre, tandis que la Convention européenne pour la prévention de la torture s’applique dans une moindre mesure, j’expliquerai plus loin pourquoi.

3.1.1. La Convention européenne des droits de l’homme

31. Les articles 2 et 3 de la Convention sont les principales dispositions qui régissent l’usage de la force par les forces de l’ordre. L’article 2, qui protège le droit à la vie, limite le recours à la force létale ou potentiellement létale à quelques situations spécifiques lorsque ce recours est absolument nécessaire. L’article 3 impose une interdiction absolue de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ces articles exigent l’adoption d’une législation nationale et la prise de mesures spécifiques par l’État pour empêcher les comportements interdits. En outre, ils exigent que les allégations crédibles de recours abusif à la force par des agents de l’État en violation des articles 2 et 3 fassent l’objet d’une enquête effective menée par des autorités indépendantes.
32. En ce qui concerne l’usage de la force létale, l’article 2 impose un critère selon lequel toute force déployée par l’État ne doit pas dépasser ce qui est «absolument nécessaire». En particulier, la force utilisée doit être strictement proportionnée aux buts mentionnés à l’article 2. L’article 2 s’applique à la conduite des agents qui font usage de la force et aux agents responsables de la planification et du contrôle des opérations de police où le recours à la force létale est possible. Les opérations de police doivent être planifiées et contrôlées par les autorités de manière à réduire au minimum le recours à la force létale et les pertes humaines. Les policiers doivent recevoir des directives claires sur la manière et le moment où ils peuvent utiliser leurs armes: un cadre juridique et administratif doit définir les conditions limitées dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu, dans le respect des normes internationales en vigueur dans ce domaine. Il est primordial que les réglementations nationales soient guidées par le principe d’«absolue nécessité» et donnent à cet égard des indications claires, notamment l’obligation de minimiser le risque de dommages inutiles et d’exclure le recours à des armes et munitions qui auraient des conséquences indésirables. Les agents des forces de l’ordre doivent être formés pour être à même d’apprécier, sur la base des réglementations pertinentes, s’il existe ou non une nécessité absolue d’utiliser des armes à feu. En outre, les États doivent assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels des forces de l’ordre et veiller à ce qu’ils satisfassent aux critères qui leur sont imposés 
			(32) 
			McCann et autres c. Royaume-Uni,
arrêt du 27 septembre 1995, § 149; Bubbins
c. Royaume-Uni, requête no 50196/99,
arrêt du 17 mars 2005, § 136; Makaratzis
c. Grèce, arrêt du 20 décembre 2004, § 59; Giuliani et Gaggio c. Italie, requête
n° 23458/02, 24 mars 2011 (Grande Chambre), § 209; Bakan c. Turquie, requête n° 50939/99,
arrêt du 12 juin 2007, § 51; Tagayeva
et autres c. Russie, requête n° 26562/07 et autres, arrêt
du 13 avril 2017, § 595. Kakoulli c. Turquie, requête
n° 38595/97, arrêt du 22 novembre 2005, § 110; Sašo Gorgiev c. l’ex-République yougoslave
de Macédoine, requête no 49382/06,
19 avril 2012, § 51..
33. Afin d’apprécier si le recours à la force létale est «absolument nécessaire» au regard de l’article 2 dans les circonstances propres à chaque affaire, la Cour européenne des droits de l’homme doit établir si les actes des policiers concernés étaient fondés sur une conviction honnête et sincère, considérée comme valable à l’époque des faits, même si cette conviction s’avère erronée par la suite. À cet égard, la Cour a admis que les obligations découlant de l’article 2 ne sauraient imposer à l’État et aux forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions une charge irréaliste susceptible de menacer leur vie et celle d’autrui 
			(33) 
			McCann et autres c. Royaume-Uni, § 200; Huohvanainen c. Finlande, requête
n° 57389/00, arrêt du 13 mars 2007, § 96-98; Bubbins
c. Royaume-Uni, § 138..
34. La Cour a eu l’occasion d’appliquer les principes relatifs à l’article 2 au sujet du recours à la force létale par les forces de l’ordre dans différents contextes: maintien de l’ordre lors de manifestations, tentatives d’arrestation, opérations antiterroristes, opérations de sauvetage dans le cadre d’une prise d’otages, contrôle des frontières ou interventions anti-émeutes en prison. Dans certaines affaires où le décès a été accéléré par l’usage de techniques d’arrestation particulières, la Cour a recherché s’il existait un lien de causalité entre la force employée et le décès de l’individu en question et/ou si les agents de l’État avaient pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie de l’intéressé après son arrestation, par exemple en lui fournissant les soins médicaux requis 
			(34) 
			Güleç
c. Turquie, requête n° 21593/93, arrêt du 27 juillet
1998; Nachova et autres c. Bulgarie, requêtes
n° 43577/98 et 43579/98, 6 juillet 2005; Tagayeva
et autres c. Russie, requête n° 26562/07 et autres, 13 avril
2017; Bisar Ayhan c. Turquie, requêtes
n° 42329/11 et 47319/11, arrêt du 18 mai 2021; Kukhalashvili et autres c. Géorgie, requêtes
n° 8938/07 et 41891/07, 2 avril 2020; Semache
c. France, requête n° 36083/16, 21 juin 2018..
35. L’article 3, quant à lui, impose une interdiction absolue de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette garantie est absolue et ne comporte aucune exception, contrairement à l’article 2 et aux autres clauses normatives de la Convention. Même dans les circonstances les plus difficiles, comme la lutte contre le terrorisme et le crime organisé ou l’afflux de migrants, l’article 3 ne permet aucun compromis dans ce domaine. L’article 15 ne prévoit aucune dérogation en cas de guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation. Toutefois, le traitement infligé doit atteindre un niveau minimal de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3: l’appréciation de ce niveau est relative et dépend de l’ensemble des circonstances de l’affaire (durée et effets du traitement, caractéristiques et vulnérabilité de la victime, objectif, contexte) 
			(35) 
			Gäfgen c. Allemagne, requête no 22978/05,
arrêt du 1er juin 2010 (Grande Chambre),
§§ 87 et 107; Z.A. et autres c. Russie, requêtes
no 61411/15 et autres, arrêt du 21 novembre
2019 (Grande Chambre), §§ 187-188; Irlande c. Royaume-Uni, requête
no 5310/71, arrêt du 18 janvier 1978,
§ 162 et 167..
36. Ces dernières années, la Cour européenne des droits de l’homme semble s’être écartée du critère de gravité minimale dans le cas très particulier d’une personne privée de liberté «ou, plus généralement, confrontée à des agents des forces de l’ordre». Dans une telle situation, tout recours à la force physique qui n’a pas été rendu strictement nécessaire par le comportement de cette personne, quelles qu’en soient les conséquences pour la personne en question, porte atteinte à la dignité humaine et constitue une violation de l’article 3. Ce principe, qui implique une appréciation de la «stricte nécessité» et de la proportionnalité du comportement de l’État, a été appliqué dans des affaires portant sur l’usage de la force par les forces de l’ordre lors d’arrestations, de la dispersion/répression de manifestations de masse ou de l’application de mesures de sécurité en milieu carcéral. À cet égard, la Cour a rappelé que l’article 3 n’interdit pas en soi l’usage de la force par les agents de l’État pour procéder à une arrestation légale; cette force ne peut toutefois être utilisée que si elle est indispensable et ne doit pas être excessive. Il importe donc de déterminer s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation ou tentera de fuir, de causer des blessures ou des dommages ou de supprimer des preuves. Les opérations de police doivent être planifiées et exécutées de manière à garantir que les moyens employés sont strictement nécessaires pour atteindre l’objectif ultime de l’arrestation de la personne 
			(36) 
			Bouyid c. Belgique, requête no 23380/09,
arrêt du 28 septembre 2015 (Grande Chambre), § 100-101; A.P. c. Slovaquie, requête no 10465/17,
arrêt du 28 janvier 2020, §§ 59-63; Navalnyy
et Gunko c. Russie, requête no 75186/12,
arrêt du 10 novembre 2020, §§ 43-48; Zakharov
et Varzhabetyan c. Russie, requêtes no 35880/14
et 75926/17, arrêt du 13 octobre 2020, §§ 70-74; Roth c. Allemagne, requêtes no 6780/18
et 30776/18, arrêt du 22 octobre 2020, §§ 67 et 72; Shmorgunov et autres c. Ukraine, requêtes
no 15367/15 et autres, 21 janvier 2021; Mafalani c. Croatie, requête no 32325/13,
arrêt du 9 juillet 2015, § 120; Gutsanovi
c. Bulgarie, requête no 34529/10,
arrêt du 15 octobre 2013, §§ 132 et 137..
37. En ce qui concerne l’utilisation d’instruments spécifiques par les agents des forces de l’ordre, la Cour suit généralement les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le CPT). Par exemple, le gaz lacrymogène ne doit pas être utilisé dans des espaces confinés et des garanties claires doivent être mises en place pour son utilisation en plein air. Le tir de grenades lacrymogènes lors de manifestations doit être suffisamment réglementé par la législation nationale, assorti des garanties appropriées contre les abus. De même, l’utilisation d’armes à impulsions électriques par contact direct devrait en principe être évitée 
			(37) 
			Tali
c. Estonie, requête no 66393/10,
arrêt du 13 février 2014, § 78; Abdullah
Yaşa c. Turquie, requête no 44827/08, arrêt
du 16 juillet 2013, §§ 48-49 et 61; Anzhelo
Georgiev et autres c. Bulgarie, requête no 51284/09,
arrêt du 30 septembre 2014, §§ 75-76..
38. Lorsqu’un individu allègue de manière défendable que des agents de l’État ont fait un usage de la force contraire aux articles 2 ou 3, le volet procédural de ces dispositions exige qu’il y ait une enquête officielle effective visant à faire en sorte que ces agents répondent de tout homicide ou mauvais traitement illégal. Les critères pertinents pour évaluer le caractère effectif d’une enquête comprennent l’adéquation des mesures d’investigation, la rapidité de l’enquête, la participation de la victime ou de la famille de la personne décédée et l’indépendance de l’enquête. Par indépendance, on entend l’absence de tout lien hiérarchique ou institutionnel entre les personnes chargées de l’enquête et les personnes impliquées, mais aussi une indépendance concrète. En outre, l’enquête doit aborder la question de la proportionnalité de l’usage de la force et déterminer si l’opération de maintien de l’ordre a été correctement organisée de manière à minimiser tout risque. Dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre face à des manifestations de masse, les agents masqués doivent être tenus d’arborer de manière visible un insigne distinctif permettant de les identifier et de les interroger ultérieurement au cas où leur conduite serait contestée. Par ailleurs, les obligations procédurales découlant des articles 2 et 3 s’étendent aux questions liées aux poursuites et aux sanctions des agents des forces de l’ordre lorsque l’enquête officielle aboutit à l’ouverture d’une procédure. Par conséquent, la Cour peut constater des violations de ces articles lorsqu’il existe une disproportion manifeste entre la gravité de la conduite et la sanction infligée, en tenant compte du fait que l’agent n’a pas été suspendu de ses fonctions ni révoqué. À cet égard, les obligations positives des États comprennent l’obligation de mettre en place des dispositions pénales efficaces. Enfin, en cas de recours à la force en violation des articles 2 ou 3 par des agents de l’État, outre l’obligation de mener une enquête effective pouvant conduire à l’identification et à la condamnation des responsables, l’octroi d’une indemnisation à la victime ou à la famille est requis à titre de réparation 
			(38) 
			R.R. et R.D. c. Slovaquie, requête
no 20649/18, arrêt du 1er septembre
2020, § 178; Bouyid c. Belgique, § 118; Muradova c. Azerbaïdjan, requête
no 22684/05, arrêt du 2 avril 2009, § 113,
et R.R. et R.D. c. Slovaquie, § 186; Giuliani et Gaggio c. Italie, §§ 301
et 309; Hentschel et Stark c. Allemagne, requête
no 47274/15, arrêt du 9 novembre 2017,
§ 91; Myumyun c. Bulgarie, requête
no 67258/13, arrêt du 3 novembre 2015, §§ 66-69; Cestaro c. Italie, requête no 6884/11, arrêt
du 7 avril 2015, §§ 242-243; Razzakov
c. Russie, requête no 57519/09, arrêt du 5 février 2015,
§ 50; Nikolova et Velichkova c. Bulgarie, requête
no 7888/03, arrêt du 20 décembre 2007,
§§ 52-56..
39. L’article 14 de la Convention interdit la discrimination. Il est appliqué conjointement avec les articles 2 et 3 lorsque des attitudes discriminatoires sont un facteur de déclenchement possible des abus reprochés aux forces de l’ordre. Bien que la preuve d’une motivation discriminatoire soit souvent difficile à établir dans la pratique, les États ont l’obligation procédurale d’enquêter sur les motifs discriminatoires supposés du comportement contesté. Ces principes s’appliquent en particulier à la violence à motivation raciale, mais aussi à la violence résultant de tout autre motif de discrimination (religion, genre, orientation sexuelle, etc.) 
			(39) 
			Stoica
c. Roumanie, requête no 42722/02,
arrêt du 4 mars 2008; Nachova et autres
c. Bulgarie, requêtes no 43577/98
et 43579/98, arrêt du 6 juillet 2005, §§ 160-161; Aghdhomelashvili et Japaridze c. Géorgie, requête
no 7224/11, arrêt du 8 octobre 2020..
40. La Cour a également examiné les conséquences du recours à la force par les forces de l’ordre sur l’exercice d’autres droits de la Convention, tels que le droit à la liberté d’expression (article 10) et le droit à la liberté de réunion pacifique (article 11). Par exemple, l’usage inutile et excessif de la force contre un journaliste qui couvrait une manifestation a été considéré comme une violation de l’article 10, qu’il y ait eu ou non une intention réelle de faire obstacle à son activité journalistique. L’usage de la force contre des manifestants pacifiques au cours de la dispersion par la police d’un rassemblement a été considéré comme une ingérence disproportionnée dans les droits consacrés à l’article 11 
			(40) 
			Najafli
c. Azerbaïdjan, requête no 2594/07,
arrêt du 2 octobre 2012, §§ 64-70; Zakharov
et Varzhabetyan c. Russie, §§ 87-91; Laguna Guzman c. Espagne, requête
no 41462/17, arrêt du 6 octobre 2020,
§§ 40-56..
41. À mon sens, les dispositions susmentionnées de la Convention, selon l’interprétation retenue par la Cour, fournissent des normes juridiques solides qui doivent être respectées et appliquées dans la pratique. Force est de reconnaître que cela peut s’avérer difficile, compte tenu des choix opérationnels que la police doit faire sur le terrain et de l’imprévisibilité du comportement humain, en particulier face à la violence et à différentes menaces pour la sécurité.

3.1.2. La Convention européenne pour la prévention de la torture

42. Dans son préambule, la Convention européenne pour la prévention de la torture évoque l’article 3 de la Convention. Ce traité-cadre a un champ d’application restreint puisqu’il ne s’applique qu’aux situations de détention. L’article 1 énonce que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) doit effectuer des visites pour «[examiner] le traitement des personnes privées de liberté en vue de renforcer, le cas échéant, leur protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants». Le CPT a déjà reconnu les limites de son mandat, par exemple, lorsqu’il s’est prononcé sur les «manifestations du parc Gezi» de 2013 en Turquie. Il a déclaré qu’il s’abstiendrait d’examiner la proportionnalité de la force appliquée dans le cadre de la maîtrise des foules. Lors de sa visite en République de Moldova en lien avec les manifestations du «7 avril», le CPT a examiné l’usage de la force par les policiers uniquement parce que de nombreux manifestants avaient été arrêtés 
			(41) 
			CPT, Turquie: Visite
2013 (juin) <a href='https://hudoc.cpt.coe.int/eng?i=p-tur-20130609-en-9'>CPT/Inf
(2015) 6</a> | Section: 9/32; Moldova: Visite 2009 <a href='https://hudoc.cpt.coe.int/eng?i=p-mda-20090727-en-4'>CPT/Inf
(2009) 37</a> | Section: 4/14, § 18.. Ainsi, la Convention européenne pour la prévention de la torture s’applique à l’usage de la force et aux brutalités policières uniquement dans les situations associées à une privation de liberté.
43. Le CPT a élaboré un grand nombre de principes directeurs relatifs au travail des forces de l’ordre, qui font référence aux pouvoirs spécifiques exercés par la police lors d’arrestations, d’interrogatoires et de placements en garde à vue. Ses normes couvrent également les mesures spéciales de contention et l’utilisation d’armes non létales par la police ou le personnel pénitentiaire dans les mêmes contextes.
44. Le champ d’application limité de la Convention européenne pour la prévention de la torture ne permet pas au CPT d’examiner les situations qui ne présentent aucun lien avec la privation de liberté, comme l’usage de la force pour gérer des troubles à l’ordre public à grande échelle. Cependant, les États parties à la Convention européenne pour la prévention de la torture peuvent choisir d’appliquer les normes du CPT au-delà de ce contexte restreint.
45. Par exemple, le CPT renvoie à ce que l’on appelle la «trinité des droits» visant à prévenir les risques de mauvais traitements des personnes détenues par la police. Il considère que la sensibilisation de la police au respect de ces droits, «voire un changement de culture au sein du système de justice pénale dans son ensemble», est un facteur indispensable pour promouvoir une politique de tolérance zéro contre la torture. À cet égard, le CPT souligne également qu’il importe d’adopter une approche interinstitutionnelle pour encourager cette politique. Des inspections indépendantes des locaux de police, y compris un contrôle par les autorités judiciaires (juges et procureurs), sont également nécessaires. Les mécanismes de plainte, les enquêtes pénales effectives et les procédures disciplinaires offrent différents recours contre les comportements répréhensibles de la police tout en garantissant la responsabilité et en prévenant l’impunité 
			(42) 
			CPT, <a href='https://rm.coe.int/16806cd1ee'>Développements dans les
normes du CPT en matière de la détention par la police (Extrait
du 12e rapport général du CPT)</a>; <a href='https://hudoc.cpt.coe.int/eng'>Prévention de la torture
et d’autres formes de mauvais traitements par la police − Réflexions
sur les bonnes pratiques et les approches émergentes. (Extrait du
28e rapport général du CPT)</a>.. Certaines de ces normes pourraient être applicables au-delà du cadre limité de la détention.
46. Un autre ensemble pertinent de normes du CPT concerne l’utilisation d’outils spéciaux et d’armes non létales, telles que les armes à impulsions électriques. D’après le CPT, l’utilisation de telles armes devrait être soumise aux principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité, d’avertissement préalable et de précaution. Les fonctionnaires autorisés à utiliser ces armes devraient recevoir une formation adéquate et les critères régissant leur utilisation devraient s’inspirer directement de ceux qui s’appliquent aux armes à feu 
			(43) 
			CPT, <a href='https://rm.coe.int/16806cd08e'>Lutte contre
l’impunité (Extrait du 14e rapport général du CPT)</a>;<a href='https://rm.coe.int/16807bc669'> Mécanismes de plainte
(Extrait du 27e rapport général du CPT) </a>; <a href='https://rm.coe.int/16806cce1d'>Armes à impulsions électriques.
(Extrait du 20e rapport général du CPT)</a>.. Ces normes pourraient également être étendues pour réglementer l’utilisation des armes et des outils spéciaux dans le cadre des mesures de maîtrise des foules.

3.1.3. L’Assemblée parlementaire

47. L’Assemblée s’est penchée sur la question des brutalités policières et des violations à grande échelle des droits de l’homme par les forces de l’ordre. Toutefois, elle n’a examiné jusqu’à présent que des incidents spécifiques, sans analyser la situation d’un point de vue systémique.
48. En ce qui concerne les événements du «Premier mars» en Arménie, l’Assemblée a déclaré qu’«une enquête indépendante, transparente et crédible sur les événements […] et les circonstances qui les ont déclenchés – y compris le présumé excessif recours à la force de la part de la police […] – devrait être immédiatement menée» 
			(44) 
			Résolution 1609 (2008), § 12.1..
49. Réagissant aux événements du «7 avril» survenus en République de Moldova, l’Assemblée a «exhorté les autorités moldaves à […] poursuivre la réforme de la police; à créer des moyens de recours effectif contre l’usage excessif de la force et de la violence par les agents de police; à mettre en place des formations pour les agents de police, afin d’assurer que ces derniers agissent toujours en respectant pleinement la loi et en conformité avec les normes du Code européen d’éthique de la police» 
			(45) 
			Résolution 1666 (2009), § 8.5.. Par la suite, elle a de nouveau invité les autorités moldaves à «prendre des mesures pour mettre les pratiques policières en conformité avec l’article 3 de la [Convention] et à créer un organe administratif indépendant habilité à examiner les plaintes contre la police et les membres des forces de l’ordre» 
			(46) 
			Résolution 1692 (2009), § 3..
50. L’Assemblée a également réagi aux événements de l’Euromaïdan en Ukraine. Elle a rappelé que «le recours excessif et disproportionné à la force par la police et les autres allégations de violations des droits de l’homme [devaient] faire l’objet d’investigations, d’un traitement et de réparations à caractère complet et impartial, et [que] les responsables [devaient] être traduits en justice». Elle a salué la création d’un «groupe consultatif indépendant chargé d’enquêter sur les incidents violents qui ont eu lieu lors des manifestations de l’Euromaïdan» 
			(47) 
			Résolution 1974 (2014)..
51. Après l’explosion de violence policière qui a suivi les élections présidentielles de 2020 au Bélarus, l’Assemblée a souligné que «la lutte contre l’impunité des auteurs de graves violations des droits humains [était] d’une importance capitale pour des raisons de principe ainsi que pour dissuader les auteurs potentiels de nouvelles violations des droits humains». Le fait que le Bélarus ne soit pas partie à des traités contraignants de lutte contre la torture a été considéré comme non pertinent, car la torture et les traitements inhumains ou dégradants sont également incriminés en droit biélorusse. Par ailleurs, l’Assemblée a appelé les États membres à «soutenir les efforts en cours au niveau international pour demander des comptes aux auteurs des violations graves des droits humains au Bélarus […], notamment en faisant usage de la compétence universelle prévue dans leur législation pénale» 
			(48) 
			Résolution 2372 (2021)..
52. L’Assemblée a adopté des recommandations similaires pour d’autres cas d’usage excessif de la force en Azerbaïdjan 
			(49) 
			Résolution 2185 (2017); Résolution
2184 (2017). et en Turquie 
			(50) 
			Résolution 2121 (2016).. Elle a observé que l’obligation de mener des enquêtes effectives sur ce type d’incidents et de lutter contre l’impunité relevaient des responsabilités principales des États.
53. L’Assemblée soutient depuis des années le travail du CPT, comme en témoignent les récentes Résolution 2264 (2019) et Recommandation 2146 (2019) «Améliorer le suivi des recommandations du CPT: renforcer le rôle de l’Assemblée parlementaire et des parlements nationaux»; et les Résolution 2160 (2017) et Recommandation 2100 (2017) «25 ans de CPT: progrès accomplis et améliorations à apporter».

3.1.4. Le Comité des Ministres

54. L’instrument le plus pertinent adopté par le Comité des Ministres est le Code européen d’éthique de la police 
			(51) 
			<a href='https://rm.coe.int/090000168091084d'>Recommandation
Rec(2001)10</a> du Comité des Ministres.. Ce document énonce les principes directeurs du maintien de l’ordre dans une société démocratique, applicables à pratiquement toutes les situations et activités de police. C’est un outil précieux pour réglementer le maintien de l’ordre. S’agissant du recours à la force, il précise que «la police ne peut recourir à la force qu’en cas de nécessité absolue et uniquement pour atteindre un objectif légitime» (paragraphe 37). Les actions de la police doivent être guidées par le principe de non-discrimination (paragraphe 40) et tenir compte des droits fondamentaux de chacun, y compris la liberté de réunion (paragraphe 43). Malheureusement, le Code n’est qu’une recommandation et il nécessite par ailleurs une mise à jour pour tenir compte des réalités actuelles, car il a été adopté il y a plus de vingt ans.
55. Les Lignes directrices du Comité des Ministres sur l’élimination de l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme sont un autre instrument non contraignant 
			(52) 
			<a href='https://rm.coe.int/1680695d6f'>Éliminer l’impunité pour
les violations graves des droits de l’homme – Lignes directrices
du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe</a> (2011).. Ces lignes directrices mentionnent l’usage de la force par la police, mais uniquement dans le cadre de la privation de liberté. «Les États doivent s’assurer que les fonctionnaires procédant à des arrestations ou des interrogatoires ou utilisant la force peuvent être identifiés lors des enquêtes ou procédures pénales ou disciplinaires qui suivraient» (IV. 4, sous personnes privées de leur liberté). Cependant, les lignes directrices indiquent que leur champ d’application couvre toutes les «violations graves des droits de l’homme», y compris l’interdiction générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Elles précisent en outre que «rien […] n’empêche les États [membres] d’établir ou de maintenir des mesures plus sévères ou plus larges afin de lutter contre l’impunité».

3.1.5. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)

56. L’ECRI a adopté la Recommandation de politique générale no 11 sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités de la police. Cette recommandation porte sur le racisme et la discrimination raciale dans la lutte contre toutes les infractions, y compris les actes terroristes. Elle se concentre particulièrement sur le profilage racial; la discrimination raciale et les comportements abusifs à motivation raciale par la police; le rôle de la police dans la lutte contre les infractions racistes et le suivi des incidents racistes; les relations entre la police et les membres de groupes minoritaires, etc. 
			(53) 
			ECRI, Recommandation
de politique générale no 11 sur la lutte
contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités
de la police <a href='https://rm.coe.int/recommandation-de-politique-generale-n-11-de-l-ecri-sur-la-lutte-contr/16808b5ae0'>CRI(2007)39</a>.

3.1.6. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

57. La Commissaire a commenté à plusieurs reprises les défaillances du maintien de l’ordre lors de manifestations pacifiques. D’après ses commentaires, «de nombreux cas d’usage disproportionné de la force contre des manifestants pacifiques sont encore recensés partout en Europe, consistant notamment à frapper des manifestants ou à utiliser des techniques d’encerclement des foules qui peuvent menacer leur sécurité». La Commissaire a ajouté que «dans un grand nombre de pays, la police utilise de plus en plus des armes dites "moins létales" telles que les matraques, les gaz lacrymogènes, les grenades de désencerclement, les armes à impulsions électriques, les canons à eau et les balles en caoutchouc afin de contrôler ou disperser les foules de manifestants». Elle considère que «l’utilisation de telles armes ne contribue pas à apaiser les tensions, ce qui devrait être un objectif essentiel des opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations» 
			(54) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/blog/-/asset_publisher/xZ32OPEoxOkq/content/shrinking-space-for-freedom-of-peaceful-assembly?p_r_p_564233524_tag=freedom+of+assembly&p_r_p_564233524_resetCur=true'>«Liberté
de réunion pacifique: un espace toujours plus restreint», Carnet
des droits de l’homme.</a>.

3.2. Les normes pertinentes des Nations Unies

58. Les principaux instruments juridiques des Nations Unies sont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT). Interdisant la torture, les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la discrimination, les articles 7 et 26 du PIDCP sont presque identiques aux dispositions correspondantes de la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 1 de l’UNCAT offre la définition la plus largement admise et la plus complète de la torture. L’article 16 (1) de l’UNCAT établit l’obligation de prévenir d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture. Les deux traités interdisent donc le recours excessif à la force de manière absolue, mais aucun n’a été interprété comme interdisant l’usage légitime et proportionné de la force. Les organes conventionnels des Nations Unies expliquent ce principe dans leurs recommandations générales et leurs décisions relatives aux plaintes individuelles. Toutefois, aucune de ces recommandations ou décisions n’est contraignante.

3.2.1. L’Assemblée générale des Nations Unies et les autres organes directeurs des Nations Unies

59. Le Code de conduite de l’Assemblée générale des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois 
			(55) 
			AGNU, Code
de conduite pour les responsables de l’application des lois (<a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/code-conduct-law-enforcement-officials'>Résolution 34/169</a>) (1979). est l’instrument juridique le plus important régissant le recours à la force. Il jette les bases des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité applicables dans ce domaine. L’article 3 dispose que «les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions». Le commentaire de cet article précise que même si le droit national autorise le recours à la force, celui-ci doit toujours être proportionné à «l’objectif légitime poursuivi». Plus important encore, le Code régit l’utilisation de la force dans tous les contextes, qu’il y ait ou non privation de liberté.
60. Les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (les Principes de base) 
			(56) 
			Principes
de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu
par les responsables de l’application des lois. Adoptés par le huitième
Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement
des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au
7 septembre 1990. constituent un autre instrument pertinent non contraignant, qui a été adopté par le Congrès des Nations Unies sur la criminalité. Ce document représente un outil inestimable d’orientation et d’évaluation du travail de la police et est largement admis comme un énoncé de droit faisant autorité. Les Principes de base sont fréquemment utilisés comme référence par les cours internationales, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme, et d’autres institutions internationales et organisations de défense des droits de l’homme. Ses dispositions s’appliquent à l’ensemble du personnel répressif et à toutes les situations de maintien de l’ordre.

3.2.2. Les organes conventionnels sur les droits de l’homme des Nations Unies

61. Le Comité des droits de l’homme (le Comité) réaffirme que «l’article 7 [du PIDCP] ne souffre aucune limitation» et qu’«aucune raison ne saurait être invoquée en tant que justification ou circonstance atténuante pour excuser une violation de [cet] article». Il souligne que l’application de l’article 7 est large car le PIDCP «ne donne pas de définition des termes employés à [cet] article». En conséquence, le Comité n’a pas établi de «liste des actes interdits ni [fixé] des distinctions très nettes entre les différentes formes de peines ou traitements interdits; ces distinctions dépendent de la nature, du but et de la gravité du traitement infligé». Cette déclaration autorise une application élargie de l’article 7 du PIDCP à l’usage de la force par les forces de l’ordre dans toutes les situations pertinentes pour le maintien de l’ordre 
			(57) 
			Comité des droits de
l’homme, Observation générale no 20.
Article 7 (Interdiction de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants), U.N. Doc. HRI\GEN\1\Rev.1 (1992)..
62. Le Comité contre la torture (le CAT) considère également que la notion d’usage de la force s’applique aux activités de police, qu’il y ait ou non privation de liberté. Bien qu’il ne donne pas de définition de l’usage excessif de la force, le CAT souligne que l’obligation de prévenir la torture a une portée très large. En conséquence, l’usage de la force doit être réglementé de manière adéquate, mais son usage excessif doit être absolument interdit, que la personne soit ou non privée de liberté 
			(58) 
			Organisation
mondiale contre la torture (OMCT) «<a href='https://www.omct.org/site-resources/images/Extra-custodial-use-of-force_EN_170321.pdf'>Thematic
Briefing Report. Extra-custodial use of force amounting to torture
and other ill-treatment</a>» (2021)..
63. Par exemple, le CAT étend régulièrement l’interdiction absolue de la torture pour y inclure l’usage excessif de la force pendant les manifestations 
			(59) 
			Ukraine,
2014, CAT/C/UKR/CO/6; Burundi, 2014, CAT/C/BDI/CO/2; Espagne, 2015,
CAT/C/ESP/CO/6; Chine, 2015, CAT/C/CHN/CO/5; Arménie, 2016, CAT/C/ARM/CO/4;
Pérou, 2018, CAT/C/PER/CO/7; Bénin, 2019, CAT/C/BEN/CO/3.. Le CAT a examiné l’utilisation abusive de certains types d’armes dans les activités de maintien de l’ordre, notamment les armes à feu, et a recommandé aux États de veiller au respect des principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité, d’avertissement préalable et de précaution 
			(60) 
			Israël,
2016, CAT/C/ISR/CO/5; Royaume-Uni, 2019, CAT/C/GBR/CO/6.. Il s’est dit préoccupé par la sur-militarisation de la police, des services de sécurité publique et des prisons, ainsi que par la prolifération de nouvelles agences de sécurité 
			(61) 
			Honduras, 2016, CAT/C/HND/CO/2;
Guatemala, 2018, CAT/C/GTM/CO/7; Mexique, 2019, CAT/C/MEX/CO/7.. Par conséquent, le CAT a étendu ses recommandations sur la réglementation de l’usage de la force au-delà du cadre de la privation de liberté par la police.
64. D’autres organes conventionnels des Nations Unies évoquent la question de la discrimination dans le cadre du recours à la force. Par exemple, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (le CERD) souligne la nécessité de former les agents des forces de l’ordre 
			(62) 
			CERD,
Recommandation générale no 13 concernant
la formation des responsables de l’application de la loi à la protection
des droits de l’homme (1993).. Il propose de mettre à jour les politiques répressives pour prévenir et combattre la discrimination dans le contexte des réalités actuelles. L’utilisation accrue par les services répressifs des métadonnées, de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale et d’autres nouvelles technologies risque d’aggraver le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie. Les systèmes de profilage algorithmique doivent être pleinement conformes au droit international des droits de l’homme. Le CERD souligne l’importance de la transparence dans la conception et l’application des systèmes de profilage algorithmique lorsqu’ils sont déployés à des fins répressives 
			(63) 
			CERD,
Recommandation générale no 36 relative
à la prévention et à la lutte contre le profilage racial par les
services répressifs (CERD/C/GC/36) (2020).. Ces mesures sont pertinentes pour le maintien de l’ordre lors de rassemblements de masse et la planification des mesures de maîtrise des foules.

4. La mise en œuvre des normes internationales

65. Mon rapport évoque des situations spécifiques de recours excessif à la force, notamment lors de la répression de manifestations pacifiques, de la gestion de foules de migrants et de contre-manifestants, du rétablissement de l’ordre après un conflit ou dans les situations d’urgence. Il semblerait que dans nombre de ces situations, les normes internationales pertinentes soient systématiquement ignorées.
66. Au cours de leur audition devant notre commission, les experts ont confirmé que l’usage excessif de la force était devenu un problème systémique. Ils ont constaté que de nombreux États avaient investi massivement dans la militarisation des forces de l’ordre, ce qui augmente la probabilité d’affrontements violents entre la police et le public. En outre, les services répressifs n’ont pas tous mis en place des outils appropriés de collecte et d’analyse des données, et les bases de données qui existent ne sont pas accessibles au public. Les policiers ne portent pas toujours d’uniformes, de caméras corporelles ou de signes distinctifs permettant au public de les identifier et de conserver une trace de leurs actes. Il existe une politique généralisée qui consiste à interdire de filmer les opérations de police et à empêcher la diffusion des enregistrements privés sur les réseaux sociaux. Le simple fait de s’en remettre au respect volontaire des normes relatives aux droits de l’homme ne saurait suffire. Comme l’ont déclaré les experts, la police n’a pas suffisamment de comptes à rendre et, au bout du compte, le problème s’amplifie en Europe.
67. Cette déclaration m’inquiète. Les États membres du Conseil de l’Europe disposent du système de protection des droits de l’homme le plus avancé. Pourtant, malgré la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention européenne pour la prévention de la torture et d’autres traités importants du Conseil de l’Europe, les agents des forces de l’ordre de certains États membres continuent d’enfreindre les normes contraignantes et de faire systématiquement un usage excessif de la force. Comment expliquer ce constat?
68. Certains experts avancent que les agents des forces de l’ordre sont insuffisamment formés et comprennent mal les instruments juridiques internationaux. Les traités relatifs aux droits de l’homme seraient considérés comme trop généraux et peu clairs pour un policier ordinaire. Il serait difficile pour un agent des forces de l’ordre non formé d’apprécier la proportionnalité d’une réaction et de prendre des décisions rapides sur le terrain alors que la violence fait rage. Il serait encore plus difficile d’évaluer le degré de nécessité de la force dans des situations qui mettent en danger la vie d’autrui.
69. Outre le manque de formation ou de professionnalisme, de nombreux autres facteurs contribuent au non-respect des instruments juridiques internationaux. Par exemple, j’ai constaté l’existence parmi les forces de l’ordre d’une culture de la tolérance du recours excessif à la force. Bien souvent, l’usage excessif de la force est considéré comme justifié par des ordres directs ou implicites de la hiérarchie policière ou du gouvernement. Dans certains cas, le recours à la force relève davantage d’une décision politique que d’un choix fondé sur la situation sur le terrain.
70. Le recours excessif à la force est exercé en toute impunité. Il n’est pas mené d’enquête effective et les personnes responsables ne sont pas identifiées, encore moins condamnées. Les autorités ne cherchent pas à connaître les causes des comportements abusifs des agents de police ni à prendre d’éventuelles mesures pour les prévenir. Au contraire, au lieu de tourner leur attention vers la formation et la prévention du recours excessif à la force, les autorités investissent lourdement dans le renforcement des capacités de la police à utiliser des méthodes coercitives. En conséquence, il s’est développé un sentiment général d’impunité, propice à la répétition de comportements illégaux de la part des forces de l’ordre et à un usage excessif de la force.
71. Presque toutes les normes internationales pertinentes sont considérées comme non obligatoires. Les dispositions des traités contraignants ont été rédigées en termes généraux et nécessitent souvent une interprétation plus poussée. Les instruments juridiques qui expliquent et interprètent les traités sont, soit non contraignants, soit contraignants uniquement inter partes. Par exemple, la Convention européenne pour la prévention de la torture est un instrument contraignant, mais les recommandations du CPT ne le sont pas 
			(64) 
			Rapport
explicatif de la Convention européenne pour la prévention de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE
no 126, 1987), § 25.. Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sont contraignants, mais seulement pour le ou les États défendeurs, et l’autorité de la chose interprétée (res interpretata) n’est pas encore pleinement reconnue 
			(65) 
			Rapport du CDDH, «L’avenir
à plus long terme du système de la Convention européenne des droits
de l’homme (2015)», § 37.. Dans le système des droits de l’homme des Nations Unies, les États ne reconnaissent généralement pas les effets contraignants des décisions et recommandations des organes conventionnels comme le CAT ou le Comité des droits de l’homme 
			(66) 
			Rapport, Doc. 10957, «Allégations de détentions secrètes et de transferts
interétatiques illégaux de détenus concernant des États membres
du Conseil de l’Europe» (Rapporteur M. Dick Marty, Suisse, ADLE)
(2006), § 272; (nom expurgé) Legislative Attorney and The Congressional
Research Service (CRS), U.N. Convention Against Torture (CAT): Overview
and Application to Interrogation Techniques (Prepared for Members
and Committees of Congress) (2010) CRS Report for Congress, 28 -
21..
72. Enfin, les différentes normes internationales ne sont pas codifiées et, par conséquent, difficiles à respecter dans la pratique. Elles émanent de diverses sources juridiques, recommandations et décisions de juridictions internationales, qui peuvent être difficiles à lire. Les policiers sur le terrain ont besoin de règles de conduite claires et concises. Leur formation doit s’appuyer sur un résumé compréhensible du droit national applicable, lequel doit être conforme aux normes internationales pertinentes.

5. Quelles sont les solutions possibles?

73. Le droit national est essentiel pour délimiter les principes de l’utilisation de la force de manière légale et proportionnée, à condition qu’il soit compatible avec les normes internationales et correctement appliqué. Je pense que le problème réside dans la mise en œuvre insuffisante de ces normes dans la pratique.
74. Dans les paragraphes suivants, je présente quelques propositions concrètes pour surmonter ce problème de mise en œuvre: la conduite de réformes aux niveaux institutionnel et réglementaire, y compris au sein du Conseil de l’Europe, et la nécessité de collecter, partager et s’inspirer des bonnes pratiques des autres États. Certaines solutions spécifiques et innovantes recommandées par nos experts pourraient également être envisagées.

5.1. Réformes institutionnelles

75. Chaque pays a ses propres systèmes constitutionnels et administratifs, et le positionnement des forces de l’ordre au sein de ces systèmes reste entièrement à la discrétion des États. Néanmoins, les instruments juridiques internationaux exigent qu’une enquête effective soit menée pour chaque cas de recours excessif à la force et que, le cas échéant, des sanctions soient prises. En outre, les obligations positives qui découlent de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments juridiques internationaux pertinents exigent que les États membres préviennent de tels événements, notamment en éliminant toute influence politique sur les décisions opérationnelles de la police.
76. Je propose donc plusieurs réformes pour garantir l’indépendance institutionnelle et fonctionnelle de la police et des autres services répressifs, tout en maintenant leur obligation de rendre des comptes devant le parlement. La police doit établir son propre système de contrôle et sa propre chaîne de commandement, à l’abri de toute pression politique qui pourrait l’inciter à recourir inutilement à la force. Des mécanismes indépendants doivent être mis en place au sein ou en dehors des institutions de police, pour diligenter des enquêtes rapides, efficaces et approfondies sur les causes de l’usage excessif de la force, afin que les personnes impliquées aient à rendre compte de leurs actes. Les États doivent intensifier leurs efforts pour lutter contre l’impunité en améliorant l’efficacité de leur système judiciaire et de leurs services de poursuites, notamment en prévoyant des sanctions pénales et disciplinaires adéquates et dissuasives pour les infractions liées aux brutalités policières et à l’usage excessif de la force. Pour mettre fin à la culture de l’impunité qui prévaut dans certaines forces de police, il convient de mettre en place des protections solides pour les lanceurs d’alerte, conformément aux résolutions antérieures de l’Assemblée 
			(67) 
			Par exemple, Résolution 1729 (2010) «Protection des donneurs d’alerte».. Enfin, les États doivent prévoir des recours en indemnisation pour les victimes du recours excessif à la force.

5.2. Réformes réglementaires

77. À mon avis, deux types de réformes réglementaires sont nécessaires. Premièrement, les instruments juridiques actuels, nationaux ou internationaux, doivent être renforcés et mis en œuvre plus efficacement. Cela pourrait passer par le processus parfois appelé «durcissement de la législation non contraignante» 
			(68) 
			D. Shelton, Soft Law Routledge Handbook of International
Law, (Routledge Handbooks Online, 2008)., qui comprend la mise à jour de certains instruments juridiques internationaux et la révision de la législation nationale. Deuxièmement, des réformes réglementaires peuvent être réalisées en réaffirmant les normes internationales pertinentes et en créant de nouveaux instruments juridiques spécifiques qui délimitent les principes clés.
78. En ce qui concerne le recours à la force par les forces de l’ordre, comme je l’ai déjà indiqué, tous les États membres ne considèrent pas les instruments pertinents du Conseil de l’Europe comme étant contraignants. Selon le principe pacta sunt servanda 
			(69) 
			Article 26 de la Convention
de Vienne sur le droit des traités., la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention européenne pour la prévention de la torture sont les seules sources de droit incontestablement contraignantes. Les autres sources de droit du Conseil de l’Europe, telles que les recommandations, les lignes directrices et les résolutions de l’Assemblée et du Comité des Ministres, ont des effets divers sur l’ordre juridique interne. Pour autant, la reconnaissance de leurs effets est laissée à la discrétion des États membres 
			(70) 
			Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2014)036-f'>Rapport
sur la mise en œuvre des traités internationaux relatifs aux droits
de l’homme dans la législation nationale et sur le rôle des juridictions</a>, § 21..
79. Rien n’empêche les États de mettre en œuvre ces instruments juridiques internationaux non contraignants au niveau national. Les États membres peuvent utiliser les résolutions de l’Assemblée et les recommandations du Comité des Ministres comme modèles pour leur législation nationale.
80. D’autre part, le Comité des Ministres pourrait revoir et mettre à jour ses instruments juridiques non contraignants existants et préciser leur application aux situations où la police fait usage de la force en l’absence de privation de liberté. Je pense au Code européen d’éthique de la police et aux Lignes directrices du Comité des Ministres sur l’élimination de l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme. Je pense par ailleurs qu’une recommandation spéciale du Comité des Ministres sur l’usage de la force dans les activités de police est nécessaire. La Cour, l’Assemblée, la Commissaire, le CPT et l’ECRI ont tous contribué à établir les principes applicables à l’usage de la force par la police, de même que les organes pertinents des Nations Unies. Il serait en fait très utile de disposer d’une compilation de toutes les normes pertinentes – compilation qui pourrait être élaborée sous l’égide du Comité des Ministres. La prochaine étape logique après l’adoption d’une recommandation spécifique et actualisée serait d’envisager une nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention des excès de violence policière, qui codifierait les normes les plus strictes et les bonnes pratiques dans ce domaine, ainsi que la mise en place d’un solide mécanisme de suivi 
			(71) 
			Les experts
entendus par la commission ont défendu l’idée d’un nouveau traité
contraignant sur les activités de police et le recours à la force
par les agents des forces de l’ordre..

5.3. Les bonnes pratiques dans les activités de police

81. Une compilation des bonnes pratiques en matière de police est une autre solution pour prévenir le recours excessif à la force. Ces pratiques illustrent la manière dont les forces de l’ordre peuvent respecter les instruments juridiques et constituent une source d’inspiration pour les réglementations nationales. Toutefois, en raison de la diversité des systèmes juridiques, ce qui est considéré comme une bonne pratique dans un État peut ne pas être applicable dans un autre État. Par conséquent, les bonnes pratiques doivent être recensées et analysées par des experts sous l’égide du Comité des Ministres. L’objectif est de rédiger des lignes directrices pour la mise en œuvre de la future recommandation du Comité des Ministres sur le recours à la force dans les activités de police.
82. Les 20 et 21 octobre 2020, le Conseil de l’Europe et l’IPCAT ont organisé une conférence intitulée «Le rôle de la police dans une société démocratique: Code européen d’éthique de la police, bientôt 20 ans». Cette conférence avait pour objectifs de renforcer la connaissance et de stimuler la coopération entre États membres. Elle a pris acte des défis qui se posent à la police face à l’évolution de nos sociétés et au progrès technologique. La conférence a permis d’échanger des points de vue sur les sujets clés qui contribuent à améliorer l’action des services de police, tels que les qualifications, le recrutement et la fidélisation des personnels de police, l’obligation de rendre des comptes, le contrôle externe et interne, ainsi que la recherche et la coopération inter-institutionnelle et internationale avec d’autres États, le Conseil de l’Europe ou des organisations de défense des droits de l’homme. Des bonnes pratiques ont été présentées pour chacun de ces sujets. À la fin de la conférence, le Conseil de l’Europe a proposé de créer son propre réseau permanent de haut niveau des forces de police de tous les États membres 
			(72) 
			Conseil de l’Europe,
Conférence des hauts-représentants des ministres européens de l’Intérieur.
«Le rôle de la police dans une société démocratique: Code européen
d’éthique de la police, bientôt 20 ans», Droits de l’homme et État
de droit, Strasbourg (2020); IPCAN, Conférence sur «Le rôle de la
police dans une société démocratique: Code européen d’éthique de
la police, bientôt 20 ans», 20-21 octobre 2020..
83. Aux États-Unis, les différents services de police déploient des efforts continus pour définir et réglementer l’usage de la force. Onze grandes organisations syndicales et de police se sont réunies pour élaborer des directives à l’intention des agents des forces de l’ordre sur les techniques d’apaisement des tensions, le recours à la force moins létale et à la force létale. Leur document de réflexion sur un consensus national autour du recours à la force exprime la compréhension commune de ces organisations sur ce qui convient le mieux aux agents des services répressifs. Il sert de modèle aux forces de l’ordre pour comparer et améliorer leurs politiques existantes. L’Institut national de la justice du Département de la Justice des États-Unis est particulièrement attentif à ce document 
			(73) 
			Association internationale
des chefs de police, «Police use of Force in America» (2001); Association
internationale des chefs de police, «National Consensus Discussion
Paper on Use of Force and Consensus Policy» (2020); Institut national
de la justice (États-Unis), «Overview of Police Use of Force» (mars
2020)..
84. Le Royaume-Uni continue de faire face à de nombreuses tensions dans la gestion des émeutes et des manifestations de masse. Certaines d’entre elles résultent d’allégations selon lesquelles la police fait régulièrement un usage excessif de la force, qui a parfois des conséquences mortelles. Ce contexte a poussé les autorités à réaliser des études et à élaborer des politiques pour identifier les causes de ces comportements abusifs des agents de police. Le ministère de l’Intérieur britannique, par exemple, publie des statistiques et des bilans des incidents liés à l’usage de la force et revoit régulièrement les mécanismes de signalement 
			(74) 
			Ministère de l’Intérieur
britannique, «Police use of force statistics, England and Wales:
April 2019 to March 2020» (2020); A. Dymond, «Use of Force Reporting
Practices: Findings from a survey of UK Police Forces»..
85. Le projet GODIAC, financé par l’Union européenne et coordonné par le Conseil national de la police suédoise, a recensé les bonnes pratiques de maintien de l’ordre dans les manifestations politiques. Le projet a tiré des enseignements de dix études de terrain et proposé des recommandations en matière de connaissances, d’éducation, de communication, de dialogue, de médiation, de différenciation, de stratégie et de tactique, de commandement, de contrôle, de planification et d’organisation du maintien de l’ordre, etc. Sa méthode d’évaluation des actions de la police est un outil précieux pour apprécier la proportionnalité et la nécessité de la force déployée dans une situation donnée 
			(75) 
			Rikspolisstyrelsen,
«Recommendations for policing political manifestations in Europe».
Projet GODIAC – Bonnes pratiques de dialogue et de communication,
principes stratégiques de l’encadrement des manifestations politiques
en Europe (Conseil national de la police suédoise, 2013)..
86. Comme l’ont suggéré les experts, les États doivent améliorer la protection des lanceurs d’alerte au sein des services répressifs, qui fonctionnent souvent en vase clos avec de forts réflexes d’autoprotection. L’importance des lanceurs d’alerte dans toute institution démocratique a été soulignée par la Résolution 2300 (2019) et la Recommandation 2162 (2019) «Améliorer la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe» de l’Assemblée.
87. Parmi les autres préconisations de nos experts, citons la création de sections analytiques au sein des forces de police, l’amélioration de la transparence des services répressifs et de la publicité du processus de décision sur le recours à la force, l’amélioration de la formation professionnelle des agents de police et le renforcement du contrôle parlementaire sur les services répressifs. Toutes ces propositions, et d’autres, pourraient être examinées au moment de la rédaction de la future recommandation du Comité des Ministres sur le recours à la force dans les activités de police.

6. Conclusions

88. Le mouvement Black Lives Matter a prouvé que l’usage excessif de la force par la police n’était pas le fait d’un simple incident isolé, mais relevait plutôt d’un schéma systémique. Des brutalités policières similaires ont eu lieu en Europe et ont déclenché des émeutes, des protestations et un climat de violence généralisée. Le constat est d’autant plus préoccupant que, dans certaines situations, la police a provoqué des troubles massifs à l’ordre public sous la pression du gouvernement pour disperser des manifestations pacifiques. Cette situation n’est plus tolérable et appelle une réponse urgente.
89. De nombreux facteurs contribuent à instaurer un usage systémique d’une force excessive. Les sociétés ont évolué et sont devenues plus complexes et imprévisibles. Les États ont investi lourdement dans la militarisation des forces de police et ont ainsi renforcé leurs capacités de coercition. Les policiers n’ont pas été correctement formés pour gérer des événements de grande ampleur et protéger les droits de l’homme face aux réalités actuelles. Même si les instruments juridiques internationaux interdisent le recours excessif à la force, la police les considère parfois comme non contraignants. Lorsqu’il est conforme aux normes internationales, le droit national doit être systématiquement appliqué afin de garantir que le principe du recours proportionné à la force et l’interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains ou dégradants soient respectés dans la pratique.
90. Par conséquent, je préconise deux solutions pour combattre et prévenir le recours excessif à la force par les agents des forces de l’ordre. Le Comité des Ministres devrait adopter une nouvelle recommandation portant spécifiquement sur l’usage de la force dans les activités de police et revoir ses recommandations antérieures sur l’éthique de la police et la lutte contre l’impunité, conformément à l’ensemble actuel des normes internationales dans ce domaine. Le Comité des Ministres devrait également appuyer un processus de collecte des bonnes pratiques de maintien de l’ordre et l’adoption de lignes directrices pour la mise en œuvre de cette recommandation. La prochaine étape logique pourrait être de lancer le processus de rédaction d’une nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention des excès de violence policière, qui codifie les normes les plus strictes et les bonnes pratiques dans ce domaine, et de mettre en place un solide mécanisme de suivi.
91. Les États membres devraient utiliser les instruments juridiques internationaux pertinents pour le maintien de l’ordre et le recours à la force, y compris les recommandations et les lignes directrices actuelles et futures du Comité des Ministres, comme modèles pour améliorer leur législation et leurs pratiques nationales.