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Rapport | Doc. 15526 | 11 mai 2022

Examen du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement de la République kirghize

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Jacques MAIRE, France, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15184, Renvoi 4551 du 25 janvier 2021. 2022 - Troisième partie de session

Résumé

Depuis sa création, il y a huit ans, le partenariat entre l’Assemblée et le Parlement de la République kirghize a donné des résultats mitigés.

Tout en rappelant que l’absence prolongée de parlementaires kirghizes aux sessions de l’Assemblée parlementaire ou que l’absence de progrès tangibles en ce qui concerne la ratification des instruments du Conseil de l’Europe pourraient conduire à la fin du partenariat, l’Assemblée devrait décider de poursuivre le partenariat avec le Parlement de la République kirghize et d’aider les autorités sur la voie des réformes démocratiques.

En même temps, le Parlement de la République kirghize, nouvellement élu, devrait intensifier sa coopération avec l’Assemblée, réaffirmer son attachement aux objectifs du statut de partenariat pour la démocratie et tirer pleinement parti/profit des possibilités offertes par ce statut, afin de garantir le respect des engagements politiques énoncés dans la Résolution 1984 (2014).

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 26 avril
2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, en adoptant la Résolution 1984 (2014) le 8 avril 2014, a octroyé le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement de la République kirghize. Celui-ci est ainsi devenu le troisième parlement, et le premier en Asie centrale, à se voir attribuer ce statut mis en place par l’Assemblée en 2009 dans le but de développer la coopération institutionnelle avec les parlements d’États voisins du Conseil de l’Europe.
2. Lors du dépôt de sa demande officielle, le Parlement de la République kirghize a déclaré partager les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe et a pris une série d’engagements politiques, conformément à l’article 64.2 du Règlement de l’Assemblée. Ces engagements sont énoncés au paragraphe 4 de la Résolution 1984 (2014).
3. En outre, l’Assemblée a estimé, au paragraphe 15 de la résolution susmentionnée, qu’un certain nombre de mesures spécifiques étaient essentielles pour renforcer la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains et des libertés fondamentales au Kirghizstan. Elle a souligné que l’avancement des réformes était le but principal du partenariat pour la démocratie, et constituait le critère d’évaluation de son efficacité.
4. Huit ans après l’octroi du statut, l’Assemblée constate l’évolution pour le moins controversée de la situation politique et institutionnelle du pays et dresse un bilan mitigé de son partenariat avec le Parlement de la République kirghize.
5. Elle regrette en particulier que le parlement n’ait pas su profiter des possibilités offertes par le partenariat pour faire avancer les réformes démocratiques dans le pays, se rapprocher de l’espace juridique européen commun et contribuer au dialogue politique.
6. L’Assemblée regrette également que, depuis l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie, la République kirghize n’ait adhéré à aucune convention ou accord partiel du Conseil de l’Europe, comme elle s’y était pourtant engagée.
7. L’Assemblée note également que la crise politique au Kirghizstan, qui a eu lieu après les élections d’octobre 2020, a montré les faiblesses et les défaillances des institutions démocratiques dans le pays. La réforme constitutionnelle engagée à la suite de cette crise a profondément modifié l’équilibre institutionnel du pays, a élargi les pouvoirs du nouveau Président, et a modifié la structure et réduit les pouvoirs du parlement.
8. Dans ce contexte, l’Assemblée déplore que les autorités du Kirghizstan n’aient pas pris en compte les recommandations formulées par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans son mémoire amicus curiae urgent sur le report des élections motivé par la réforme constitutionnelle (11 décembre 2020) et son Avis sur le projet de Constitution de la République kirghize (19 mars 2021).
9. L’Assemblée prend également note du résultat des élections législatives de novembre 2021, observées par une commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée, et de la formation d’un nouveau parlement en décembre 2021. Elle regrette que les changements apportés au système et à la législation électoraux, introduits à quelques jours seulement du début de la campagne, aient privé une grande partie de la population, notamment femmes et jeunes, du droit d’être élus au parlement.
10. L’Assemblée continue de suivre avec attention les réformes constitutionnelles, institutionnelles, politiques et juridiques, menées au Kirghizstan dans l’objectif de moderniser et de stabiliser les institutions politiques du pays. L’Assemblée relève la forte disponibilité, constatée par la communauté internationale présente dans le pays, des autorités kirghizes récemment élues, et plus particulièrement celle du parlement, pour coopérer, y compris sur le plan des réformes et des institutions, avec des résultats concrets. Concernant l’inventaire législatif lancé en avril 2021 par le gouvernement dans le but de conformer les lois à la nouvelle Constitution, l’Assemblée appelle le parlement à veiller à ce qu’il ne porte pas atteinte aux engagements internationaux du Kirghizstan en matière de respect des droits humains.
11. A ce sujet, l’Assemblée s’inquiète des récentes atteintes aux droits humains et libertés fondamentales qui lui ont été rapportées par des représentants de la société civile kirghize. Celles-ci sont relatives aux questions de genre, à la pratique de la torture, notamment en détention ou en garde à vue, ou encore à certaines libertés fondamentales, telles que la liberté d’expression. A ce sujet, l’Assemblée note plus particulièrement la dégradation de la situation des journalistes, des défenseurs des droits et des avocats, étayée par plusieurs affaires récentes.
12. L’Assemblée prend note de l’intérêt et de la volonté de poursuivre le partenariat pour la démocratie exprimés par des représentants du parlement, du gouvernement et de la société civile.
13. Elle constate également le contexte international dans lequel se situe le Kirghizstan, et la volonté de ce dernier de défendre la souveraineté de l’Ukraine, de ne pas s’associer à l’agression russe, et de prôner un règlement strictement pacifique des différends entre ces deux pays.
14. En conclusion, l’Assemblée décide de poursuivre le partenariat avec le Parlement de la République kirghize, pour soutenir les autorités du pays sur la voie démocratique tout en maintenant avec elles un dialogue exigeant, en procédant à une réévaluation approfondie du partenariat dans deux ans, sur la base de l’analyse des avancées concrètes. L’absence prolongée des parlementaires kirghizes aux sessions, ou de résultats concrets notamment sur la ratification effective de conventions ou protocoles, pourraient conduire à mettre fin à ce partenariat.
15. L’Assemblée réitère donc son appel au Parlement de la République kirghize nouvellement élu à renforcer sa coopération avec l'Assemblée, à s'engager à nouveau en faveur des objectifs du statut de partenaire pour la démocratie et à utiliser pleinement les possibilités offertes par ce statut, afin de garantir le respect des engagements politiques tels qu'ils figurent dans la Résolution 1984 (2014). Dans ce contexte, elle se félicite de la récente nomination de la nouvelle délégation partenaire.
16. L’Assemblée appelle instamment le Parlement de la République kirghize:
16.1. à poursuivre sans relâche les efforts de mise en œuvre des engagements politiques pris dans le cadre du partenariat pour la démocratie (article 64.2 du Règlement de l’Assemblée et paragraphe 4 de la Résolution 1984 (2014)) et des recommandations énoncées au paragraphe 15 de ladite résolution;
16.2. à garantir, dans le cadre de l’inventaire législatif, le respect des libertés et droits fondamentaux dans le pays, en conformité avec les actes internationaux pertinents en la matière dont le Kirghizstan est partie;
16.3. à intervenir auprès des autorités du Kirghizstan afin de les encourager à signer et ratifier les conventions et les accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe ouverts aux États non membres, plus particulièrement ceux qui traitent des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie, en conformité avec l’engagement exprimé par le Président du Parlement de la République kirghize dans sa lettre de demande de statut de partenaire pour la démocratie, mentionnée au paragraphe 17 de la Résolution 1984 (2014);
16.4. à participer pleinement aux travaux de l’Assemblée et de ses commissions;
16.5. à informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe.
17. L’Assemblée encourage vivement les autorités kirghizes:
17.1. à intensifier la mise en œuvre des recommandations énoncées au paragraphe 15 de la Résolution 1984 (2014) de l’Assemblée, en s’appuyant notamment sur l’expertise du Conseil de l’Europe;
17.2. à renforcer la coopération avec la Commission de Venise afin de rapprocher la législation du pays des normes internationales, et à mettre en œuvre les recommandations antérieures, notamment en matière électorale;
17.3. à cesser les pressions exercées sur les médias et les ONG, qu’elles prennent la forme de menaces, d’intimidations, d’amendes, de contrôles fiscaux, de perquisitions, d’arrestations arbitraires, ou de fausses accusations;
17.4. à s’assurer que les organisations de la société civile puissent travailler en toute liberté et contribuer au débat public;
17.5. à garantir et promouvoir la liberté d’expression, l’indépendance et le pluralisme des médias, et à protéger les médias contre les pressions politiques;
17.6. à renforcer leurs efforts dans la promotion de la participation des femmes à la vie politique et à la vie publique, la lutte contre toute forme de discrimination fondée sur le genre, l’égalité effective entre les femmes et les hommes, la lutte contre les violences faites aux femmes.

B. Exposé des motifs par M. Jacques Maire, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Origine du rapport

1. Le 8 avril 2014, l'Assemblée parlementaire adoptait la Résolution 1984 (2014) accordant le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement du Kirghizstan, le «Jogorku Kenesh» (Conseil suprême). Il est ainsi devenu le troisième parlement à se voir accorder ce statut, après le Parlement du Maroc et le Conseil national palestinien. Le Parlement de la République kirghize est également le premier et unique partenaire pour la démocratie en Asie centrale.
2. Lors du dépôt de sa demande officielle, le Parlement du Kirghizstan a déclaré qu’il partageait les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe, et a pris une série d’engagements politiques conformément à l’article 64.2 (anciennement 61.2) du Règlement de l’Assemblée. Ces engagements sont repris au paragraphe 4 de la Résolution 1984 (2014). En outre, l’Assemblée a estimé, au paragraphe 15 de la résolution susmentionnée, qu’un certain nombre de mesures concrètes étaient essentielles pour renforcer la démocratie, l’État de droit, et le respect des droits humains et des libertés fondamentales au Kirghizstan.
3. L’Assemblée a également souligné que «l’avancement des réformes est le but principal du partenariat pour la démocratie et que cet avancement doit constituer le critère d’évaluation de l’efficacité du partenariat» (paragraphe 19 de la Résolution 1984 (2014)). Cependant, aucun des trois rapporteurs qui m’ont précédé n’a pu mener son travail jusqu’au bout. L’Assemblée n’a donc jamais procédé à l’évaluation du partenariat.
4. Le 16 novembre 2020, en lien avec d’importants troubles politiques post-électoraux ayant éclaté dans le pays, la regrettée Dame Cheryl Gillan a déposé une proposition de résolution demandant à l'Assemblée d'examiner la situation du partenariat pour la démocratie avec le Parlement de la République kirghize.
5. J’ai été désigné rapporteur en juin 2021. Autorisé par le Bureau de l’Assemblée à effectuer une visite d’information au Kirghizstan, je n’ai pu la mener qu’en mars 2022 en raison des échéances électorales kirghizes. Le présent rapport s’appuie sur les résultats de cette visite, ainsi que sur les informations transmises par un représentant de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) au cours d’une audition en janvier 2022.

2. Contexte général

2.1. D’une transmission pacifique du pouvoir à une confrontation politique (2017-2019)

6. Dans sa note introductive intitulée «Évaluation du partenariat pour la démocratie à l'égard de la République kirghize» (2017) 
			(2) 
			<a href='https://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2017/20170228-Fpdoc05.pdf'>AS/Pol
(2017) 05 déclassifié</a>., M. Alain Destexhe (Belgique, ADLE) a mis en évidence l’impact négatif des amendements constitutionnels initiés par l'ancien Président Almazbek Atambayev. Adoptés par référendum le 11 décembre 2016, ils ont eu pour effet, selon l'avis conjoint de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE), de porter atteinte à l'équilibre et la séparation des pouvoirs, en renforçant ceux de l'exécutif.
7. M. Destexhe relevait également que plusieurs poursuites civiles et pénales très médiatisées avaient été engagées durant la dernière année de la présidence de M. Atambayev. Elles visaient des journalistes et des personnalités de l'opposition 
			(3) 
			 «<a href='https://www.hrw.org/news/2017/05/12/kyrgyzstan-president-targets-critics'>Kyrgyzstan:
President Targets Critics</a>», Human Rights Watch, 12 mai 2017 (anglais seulement)., dont Sadyr Japarov (fondateur du parti Mekenchil (Patriotes) 
			(4) 
			Ce parti a fait scission
avec le parti Ata-Zhurt en 2010. Il est généralement décrit comme
conservateur, nationaliste et populiste.) et Omurbek Tekebayev (parti Ata-Meken).
8. Le 15 octobre 2017, M. Sooronbay Jeenbekov, ancien Premier ministre du Parti social-démocrate, décrit comme le candidat du président sortant, a remporté l’élection présidentielle. Bien que qualifiée de «compétitive» 
			(5) 
			 «Observation
de l'élection présidentielle au Kirghizstan (15 octobre 2017)», <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=24241&lang=FR'>Doc. 14438</a>. par la Mission internationale d'observation des élections (MIOE), des pratiques d'achat de voix, des pressions exercées sur les électeurs ou encore l'utilisation abusive de ressources publiques pour la campagne ont été relevées. Le 24 novembre 2017, M. Jeenbekov a été investi Président de la République kirghize dans le cadre de ce qui a été largement décrit comme un transfert de pouvoir pacifique et démocratique.
9. Un désaccord politique – né de critiques formulées par M. Atambayev (réélu à la présidence du Parti social-démocrate) vis-à-vis de M. Jeenbekov au mois de mars 2018 – a divisé le parti au pouvoir et provoqué une crise politique. Plusieurs personnalités proches de l’ancien Président, dont la Procureure générale, Mme Indira Joldubayeva, ainsi que le gouvernement du Premier ministre Sapar Isakov, ont été limogés. En lien avec le scandale de la centrale électrique de Bichkek – dont la panne a laissé, en janvier 2018, de nombreux habitants sans électricité par des températures glaciales – M. Isakov a été arrêté le 5 juin pour corruption et détournement de fonds publics. En mars 2019, le Parti social-démocrate du Kirghizstan a rejoint l'opposition. Le parlement a levé l'immunité de l'ancien Président pour le faire comparaître comme témoin dans une affaire impliquant la libération illégale d'un chef criminel. Barricadé dans son complexe résidentiel et entouré de partisans, M. Atambayev s'est rendu le 9 août 2019, après une confrontation de deux jours avec les forces de sécurité. Il a ensuite été accusé de la mort d'un officier lors du raid dans l’enceinte de sa résidence.

2.2. Crise politique post-électorale et recul démocratique (2020-2021)

10. Le 4 octobre 2020, le Kirghizstan a tenu des élections législatives. Alors que l'Assemblée parlementaire n'a pas pu les observer en raison de restrictions liées à la covid-19, le BIDDH/OSCE a pu mener une mission d'observation électorale limitée. Cette dernière 
			(6) 
			 «<a href='https://www.osce.org/odihr/elections/kyrgyzstan/465744'>Lively
campaign and efficient administration of Kyrgyzstan’s parliamentary
elections tainted by claims of vote buying, international observers
say</a>», OSCE, 5 novembre 2020 (anglais seulement). a considéré que les élections avaient été «compétitives et que les candidats [avaient pu], en général, mener leurs activités librement». Elle a ajouté en revanche que «les allégations crédibles d'achat de voix demeurent une grave préoccupation». Les partis proches du Président Jeenbekov ont remporté ces élections.
11. Le 6 octobre 2020, la Commission électorale centrale (CEC) kirghize a décidé d'annuler les résultats de ces élections en raison de la multiplication des allégations de fraudes électorales et de la généralisation des troubles à Bichkek. Des manifestants ont envahi plusieurs bâtiments gouvernementaux et sont parvenus à libérer M. Atambayev et M. Japarov. Ce dernier a été nommé Premier ministre par intérim par le parlement, à la suite de la démission soudaine de son prédécesseur, Kutabek Boronov. Le Président Jeenbekov a alors déclaré que le pays faisait face à un coup d'État.
12. Le 15 octobre 2020, après la démission de M. Jeenbekov, M. Japarov a également assumé le rôle de Président par intérim.
13. Alors que la CEC annonçait la tenue de nouvelles élections législatives en décembre 2020, le parlement intérimaire a promulgué une loi constitutionnelle suspendant leur organisation jusqu'en juin 2021. Il a également annoncé une révision constitutionnelle, initiée par M. Japarov et proposant le passage à un régime présidentiel. À la demande de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême du Kirghizstan, la Commission de Venise a publié un mémoire amicus curiae urgent le 17 novembre 2020, qui concluait que des «mesures extraordinaires», telles que des amendements à la Constitution, ne devraient pas être adoptées par un parlement intérimaire, et que des élections législatives devraient être organisées dans les plus brefs délais 
			(7) 
			 «Kirghizistan – Mémoire
Amicus Curiae urgent sur le report des élections motivé par la réforme
constitutionnelle, rendu en vertu de l'article 14a du règlement
intérieur de la Commission de Venise», <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-PI(2020)015-f'>CDL-PI(2020)015-f</a>.. Malgré ces appels à la prudence, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême a validé le report des élections législatives.
14. M. Japarov a remporté l’élection présidentielle du 10 janvier 2021 (79 % des voix, taux de participation de 33 %). L'Assemblée n'a pas été en mesure de les observer en raison des contraintes liées à la covid-19. La mission d’observation de l’OSCE 
			(8) 
			International Election
Observation Mission. Kyrgyz Republic – Early Presidential Election
10 January 2021. Statement of preliminary findings and conclusions. <a href='https://www.osce.org/files/f/documents/b/4/475541.pdf'>www.osce.org/files/f/documents/b/4/475541.pdf </a>(anglais seulement). a estimé qu’elle avait été bien organisée, que les libertés fondamentales avaient été généralement respectées, mais que la campagne avait été dominée par un candidat ayant bénéficié de moyens financiers disproportionnés et utilisé les ressources administratives de manière abusive.
15. Le même jour, le référendum sur les réformes constitutionnelles visant à établir une forme de gouvernement présidentiel a été approuvé par 84 % des électeurs. Peu de temps après, M. Japarov a annoncé le report des élections législatives à l'automne 2021.
16. L’avis conjoint de la Commission de Venise et du BIDDH/OSCE 
			(9) 
			 «Kirghizistan – Avis
conjoint de la Commission de Venise et du BIDDH/OSCE sur le projet
de Constitution de la République Kirghize adopté par la Commission
de Venise lors de sa 126e session plénière (19-20 mars 2021)», <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2021)007-f'>CDL-AD(2021)007-f</a>; «<a href='https://www.osce.org/odihr/elections/505849'>Kyrgyzstan’s
parliamentary elections competitive but lacked meaningful voter
engagement, international observers say</a>», OSCE, 29 novembre 2021 (anglais seulement). sur le projet de nouvelle Constitution a mis en exergue les graves lacunes menaçant «l'équilibre des pouvoirs» et le respect des droits individuels au Kirghizstan. Sollicités lors d’un second référendum organisé le 11 avril 2021, 79 % des électeurs ont voté en faveur de la nouvelle Constitution, avec un taux de participation de 37 %. Celle-ci est entrée en vigueur le 5 mai 2021. Le parlement a été réduit de 25 %, le poste de Premier ministre supprimé, et les prérogatives du Président de la République élargies en matière de proposition de lois et de référendums, de révocation des fonctionnaires et de retrait de l’immunité des députés.
17. Plusieurs lois controversées ont également été adoptées par le parlement intérimaire au cours de l'été 2021. Le champ d'application du Code de procédure pénale a, par exemple, été élargi pour inclure la poursuite d'organisations ou d'individus considérés comme «extrémistes». Selon les observateurs, cette loi menace les acteurs de la société civile et les groupes d'opposition politique. Une loi sur les «agents étrangers» a également été adoptée. Elle oblige désormais les ONG et les organisations de la société civile financées depuis l'étranger à se conformer à des exigences strictes sur le plan financier. D’autres lois controversées, dont la loi sur «la protection contre les informations fausses et inexactes», sont considérées comme de potentiels outils d’intimidation des médias indépendants et de restriction de l'accès du public à l'information.
18. L'année 2021 a donc été marquée par un important recul démocratique; tendance qui a été confirmée par une audition avec un représentant de la Commission de Venise en janvier 2022.

2.3. Les élections législatives de 2021

19. Le 28 novembre 2021, soit plus d’un an après le soulèvement politique susmentionné, de nouvelles élections législatives ont été organisées. Elles ont été marquées par un taux de participation historiquement bas (34 % selon la CEC) et remportées par le parti Ata-Zhurt, proche du Président Japarov. Des représentants de cinq autres partis politiques, sur 21 partis candidats, composent le nouveau parlement. Conformément à la révision de la constitution et la réforme du système électoral, il compte désormais 90 sièges (contre 120 sièges auparavant); 54 membres du parlement sont élus au scrutin proportionnel plurinominal dans une circonscription nationale unique, et 36 au scrutin uninominal. Les députés sont élus au suffrage universel pour un mandat de cinq ans.
20. Les rapports de la MIOE renouvelée 
			(10) 
			Celle-ci était composée
de missions de l’Assemblée parlementaire de l'OSCE et du BIDDH,
et agissait aux côtés de la commission ad
hoc de l'Assemblée chargée d'observer les élections. et de la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée 
			(11) 
			 Observation
des élections législatives en République kirghize (28 novembre 2021), Doc. 15427., ont conclu que les élections avaient été compétitives mais entravées par les changements constitutionnels et électoraux, adoptés par un parlement intérimaire dont le mandat avait expiré, et promulgués par le Président de la République quelques jours seulement avant le début de la campagne. Ils estimaient également que le taux d’abstention record reflétait l'épuisement, la désillusion et la perte de confiance des électeurs. La commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée a également regretté qu'un grand nombre de recommandations de l’Assemblée et de la Commission de Venise n'aient pas été prises en compte, plus particulièrement celles qui portaient sur certaines limitations aux libertés d'expression et d'association, sur l'absence de dispositions en matière de transparence et de responsabilité dans le financement des campagnes électorales, ou pour assurer un accès et une couverture médiatique équitables.
21. Notons que ces modifications électorales ont également privé de nombreuses femmes, de nombreux jeunes et une grande partie de la population n'ayant pas fait d'études supérieures, d'être élus au parlement. Ces éléments constituent des atteintes aux normes internationales et nationales. En effet, alors que la loi électorale kirghize prévoit qu'au moins 30% des sièges du parlement doivent être occupés par des femmes, aucune femme n'a été élue dans les circonscriptions à mandat unique, ramenant le nombre de femmes au parlement à 18 (soit 20% des députés, en légère augmentation par rapport au parlement sortant qui en comptait 17%).
22. Le nouveau parlement s'est réuni le 29 décembre 2021 et a élu M. Talant Mamytov comme président. Le 12 janvier 2022, huit commissions ont été créées, et leurs présidents nommés. La délégation partenaire pour participer à nos travaux a été constituée; elle comporte au moins une femme, ainsi qu’un Vice-Président du parlement.

3. Engagements politiques découlant du statut de partenaire pour la démocratie

23. Le fait d’avoir demandé le statut de partenaire pour la démocratie engage le Parlement de la République kirghize au respect des éléments stipulés au paragraphe 64.2 du Règlement de l’Assemblée. Leur mise en œuvre est pourtant contrastée.

3.1. Attachement à la démocratie, à l’État de droit, au respect des droits humains et des libertés fondamentales

24. Au cours des huit années qui se sont écoulées depuis l’octroi du statut de partenaire, les déclarations publiques en faveur de ces valeurs ont été nombreuses, et réitérées par mes interlocuteurs kirghizes lors de ma visite d’information.
25. Cependant, l’Assemblée relève une tendance préoccupante concernant le respect des droits humains et des libertés fondamentales au Kirghizstan. En effet, les évolutions du corpus législatif sus-mentionnées (paragraphes 16 et 17), notamment les lois controversées sur les fausses informations et sur les «agents étrangers», menacent la liberté d’expression et restreignent l’espace dans lequel opèrent journalistes et médias, ONG et défenseurs des droits. A cet égard, lors de ma visite d’information, plusieurs affaires pénales récemment ouvertes ont été portées à ma connaissance, dont la perquisition de Next TV et l’arrestation de son directeur Taalaibek Duishenbiev en mars 2022, pour incitation à la haine raciale. Il était accusé d’avoir diffusé de fausses informations sur les réseaux sociaux à propos de la potentialité d’un accord sur la fourniture d'une assistance militaire par le Kirghizstan à la Fédération de Russie dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine. Récemment, deux autres affaires pénales ont été ouvertes contre des journalistes: l’une contre Kaktus Media et l’autre contre le journaliste Bolot Temirov (Temirov live). D’autres exemples de personnes ayant été intimidées ou arrêtées en raison de leur participation à des rassemblements pacifiques contre la guerre en Ukraine ont été cités, parmi lesquels Aziza Abdirasulova (ONG Kylym Shamy), Dinara Oshurakhunova (ONG Civic initiatives), Ondurush Toktonasyrov (défenseur des droits humains) ou encore Nurbek Toktakunov (avocat). Par ailleurs, la situation dans les prisons, la pratique encore généralisée de la torture, et le recul sur les questions de genre nous ont été rapportés.

3.2. Abolition de la peine capitale

26. Le Kirghizstan doit être félicité sur ce point, la peine de mort ayant été suspendue dans le pays en 1998, puis abolie en 2007; cette décision n’a jamais été remise en question. A ce propos, la nouvelle rédaction de la Constitution adoptée en 2021 stipule que «Toute personne a le droit inaliénable à la vie. L'atteinte à la vie et la santé humaines est inacceptable. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. La peine de mort est interdite.» (Article 25, paragraphe 1).

3.3. Intention du parlement de s’appuyer sur l’expérience de l’Assemblée et l’expertise de la Commission de Venise dans ses travaux institutionnels et législatifs

27. Le Kirghizstan est devenu membre de la Commission de Venise en 2004. Depuis son adhésion, la Commission a rendu plus de 20 avis, dont 9 depuis l’octroi du statut de partenaire au parlement en 2014. En 2013, le parlement, qui avait demandé un avis sur le projet de loi sur la liberté d’association, a suivi certaines recommandations. D’autres dispositions ont été adoptées conformément à l’avis 
			(12) 
			«Kyrgyzstan
– Joint opinion of the Venice Commission and OSCE/ODIHR on the amendments
to some legislative acts related to sanctions for violation of electoral
legislation, adopted by the Venice Commission on 20 March 2020 by
a written procedure replacing the 122nd Plenary Session», <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)003-e'>CDL-AD(2020)003-e</a> (anglais seulement). sur les amendements à la législation de la République kirghize relative aux sanctions pour les violations de la législation électorale adopté en 2020.
28. Malheureusement les recommandations énoncées dans l’avis sur le projet de Constitution adoptée en 2021 n’ont pas été suivies.
29. Entre 2013 et 2020, la Commission de Venise a coopéré avec le Kirghizistan dans le cadre de plusieurs projets financés par l’Union européenne, dont les projets “Soutien aux autorités kirghizes pour améliorer la qualité et l'efficacité du système de justice constitutionnelle kirghize” (2013-2015) et “Appui au renforcement de la démocratie par la réforme électorale en République Kirghize” (2017-2020).
30. Depuis 2020, le Kirghizstan fait partie des projets «l’État du droit dans les pays d’Asie centrale» et «Soutien aux réformes de la législation et de la pratique électorales et aux instruments et mécanismes régionaux des droits de l'homme dans les pays d'Amérique latine, d'Asie centrale et de Mongolie», mis en œuvre par la Commission de Venise.
31. Les principaux partenaires de la Commission de Venise au Kirghizistan ont été la Chambre constitutionnelle (Cour constitutionnelle depuis 2021), la Commission électorale centrale, le ministère de la Justice, la Cour suprême et parfois la Commission des lois du parlement.
32. Les échanges avec la Chambre constitutionnelle ont toujours été d’un bon niveau. La coopération avec la Commission électorale centrale a également été assez étroite. Malgré les contacts occasionnels avec le parlement, celui-ci ne s’est jamais engagé dans un dialogue durable. En revanche, le dialogue avec les experts nationaux et les ONG a été constructif et fructueux.

3.4. Engagement à organiser des élections libres et équitables conformes aux normes internationales

33. Le Kirghizstan a organisé plusieurs scrutins au cours des huit dernières années, y compris pendant la pandémie de la covid-19. Les autorités recueillent régulièrement l’avis des électeurs, notamment lorsqu’il s’agit de décisions importantes. Le Kirghizstan a systématiquement invité notre Assemblée à observer ses élections. Les observateurs internationaux ont constaté une amélioration du processus électoral.
34. Cependant, plusieurs problèmes récurrents ont été constatés (voir paragraphe 20 ci-dessus). En outre, les modifications apportées en 2021 au système électoral soulèvent des inquiétudes. Elles privent notamment une grande partie de la population du droit d’être élu au parlement (voir paragraphe 21). Le parlement et les autorités nationales devraient être encouragés à rendre les processus électoraux kirghizes conformes aux normes internationales, notamment à travers la mise en œuvre des recommandations antérieures de l’Assemblée et de la Commission de Venise en la matière.

3.5. Engagement à encourager la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique et politique

35. La Constitution de 2021 dispose que «Nul ne peut faire l'objet de discrimination fondée sur le sexe, la race, la langue, le handicap, l'origine ethnique, la religion, l'âge, les opinions politiques ou autres, l'éducation, l'origine, la fortune ou tout autre statut, ou d'autres circonstances.» (Article 24, paragraphe 1) et que «les hommes et les femmes ont des droits et libertés égaux et des chances égales pour leur réalisation.» (Article 24, paragraphe 3).
36. Cependant, le «Programme national du développement de la République kirghize à l’horizon de 2026» reconnaît implicitement l’existence d’une inégalité basée sur le genre puisqu’il stipule qu’«Il est nécessaire d'assurer l'autonomisation économique des femmes et d'accroître leur représentation au niveau de la prise de décision. Les normes législatives en matière de quotas et de représentation des femmes dans les organes élus du système d'administration étatique et municipal doivent être préservées. Il faut aussi renforcer la représentation des femmes au niveau du pouvoir exécutif.».
37. En effet, comme indiqué au paragraphe 21, malgré le quota de 30% de femmes au parlement prévu par la législation électorale, elles ne sont de fait que 20%. En effet, si la norme des 30% semble être respectée pour la partie des députés élus sur les listes des partis (18 femmes sur 54 sièges, soit un tiers), aucune femme n’a été élue au parlement dans les 36 circonscriptions uninominales.
38. Les femmes sont très actives dans le domaine politique et jouent un rôle clé dans la vie associative et dans la société civile kirghize. Toutefois, les esprits sont marqués par le poids de la tradition, qui véhicule les stéréotypes d’une société patriarcale, où les hommes participent à la vie publique et économique, et les femmes s’occupent de leur famille et du foyer. Les autorités kirghizes devraient consacrer plus d’efforts pour développer et consolider une culture de l’égalité, et ce dans tous les domaines.

3.6. Adhésion aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe, en particulier ceux traitant des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie

39. Le Kirghizstan n’a signé aucune convention du Conseil de l’Europe ouverte aux États non membres. Il a adhéré uniquement à l’accord partiel portant création de la Commission de Venise en janvier 2004. Je regrette fortement que le Kirghizstan n’ait pas fait usage de l’opportunité qui lui est donnée de se rapprocher de l’espace juridique européen commun.

3.7. Obligation d’informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe

40. Nouvelle occasion manquée. Comme le relevait M. Alain Destexhe, la participation des parlementaires kirghizes aux travaux de l’Assemblée et à ceux de ses commissions a jusqu’à maintenant été très inégale et peu active par rapport à celle de leurs collègues jordaniens, marocains et palestiniens, qui sont pleinement intégrés dans nos travaux.
41. Les distances et le temps de voyage, ainsi que le budget limité et en réduction du Parlement de la République kirghize, complexifient la venue des parlementaires kirghizes à Strasbourg ou à Paris. Néanmoins, il ne peut y avoir de véritable partenariat sans présence, participation et dialogue. Lors de mes contacts avec des représentants du parlement et de l’exécutif, j’ai largement insisté sur ce point. En outre, cette participation pourrait leur offrir une tribune pour sensibiliser leurs collègues européens aux problèmes spécifiques de leur pays. Nous pourrions d’ailleurs, à notre tour, envisager l’organisation de certaines activités – réunions de commissions et de sous-commissions, conférences et séminaires – au Kirghizstan.

4. Visite d’information à Bichkek (22-24 mars 2022)

42. J’ai effectué, du 22 au 24 mars 2022, une visite d’information au Kirghizstan dans le cadre de la préparation du présent rapport. A l’image de celui de mon prédécesseur, M. Alain Destexhe, ce déplacement a été reporté à plusieurs reprises, dans l’attente de la stabilisation politique et institutionnelle du pays.
43. Cette visite d’information a été, pour moi, l’occasion de découvrir le Kirghizstan, et de m’entretenir de la mise en œuvre du partenariat avec de nombreux interlocuteurs: représentants de la communauté internationale, partenaires parlementaires kirghizes (dont la Vice-Présidente du parlement, les membres de la délégation de partenaire pour la démocratie nouvellement nommée, et les représentants des principales commissions parlementaires), représentants des pouvoirs exécutif (ministre de la Justice, vice-ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, ou encore Ombudsperson) et judiciaire (Président de la Cour constitutionnelle), et enfin société civile. Le programme est consultable sur le site internet de l’Assemblée (AS/Pol/Inf (2022) 11).
44. Tout au long de la visite, j’ai rappelé l’importance pour le Kirghizstan de respecter les engagements politiques contractés dans le cadre du statut de partenaire pour la démocratie, tels qu’énoncés au paragraphe 5 de la Résolution 1984 (2014) de l’Assemblée, et de progresser en priorité sur les domaines, énumérés aux paragraphes 14 et 15 de la résolution, que l’Assemblée a jugés essentiels pour renforcer la démocratie, l’État de droit, ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales dans le pays. Il s’agissait alors de la corruption généralisée, du manque d’impartialité et d’indépendance de la justice, de la pratique généralisée de la torture, de l’impunité des agents des forces de l’ordre qui en sont les auteurs, des actes d’intimidation de la société civile, et des conséquences encore non résolues des tensions inter-ethniques.
45. J’ai également précisé, conformément au paragraphe 19 de la Résolution 1984 (2014), que l’avancement des réformes était le but principal du partenariat et devait constituer le critère d’évaluation de son efficacité.
46. Au cours de mes échanges, j’ai souhaité dresser avec mes interlocuteurs un bilan des huit années de partenariat. J’en ai tout d’abord relevé les éléments positifs: la volonté du Kirghizstan de se différencier des pays voisins de la région, la parole donnée plus régulièrement par les autorités à la population (notamment par la voie référendaire), la promotion de la participation des femmes et des minorités à la vie politique (notons que la récente mise en place d’un scrutin uninominal dans certaines circonscriptions a porté atteinte à ce point), les élections considérées par les observateurs internationaux comme étant «acceptables» malgré la pratique d’achat de votes, ou encore la nomination d’un ambassadeur kirghize en France à l’été 2021.
47. J’ai ensuite fait part de nos préoccupations vis-à-vis de certains développements. En premier lieu, le rythme effréné des scrutins et l’ampleur des réformes menées. En effet, depuis octobre 2020, des élections présidentielle, législatives et locales ont été organisées. La nouvelle Constitution, entrée en vigueur le 5 mai 2021 après avoir été adoptée un mois plus tôt de manière inconstitutionnelle pour certains observateurs, a affaibli l’équilibre et la séparation des pouvoirs: passage d’un régime parlementaire à un régime présidentiel, diminution du rôle du parlement (avec notamment une réduction des prérogatives et du nombre de députés), ou encore manque d’indépendance du pouvoir judiciaire. Le système électoral a également été modifié en juillet 2021. Ces scrutins et réformes ont été engagés sans réel débat informé et avec une participation historiquement faible de la population. En outre, l’inventaire législatif engagé par l’exécutif en avril 2021, qui concerne plus de 300 lois et dont le résultat devrait être présenté prochainement, a également occupé une part importante de nos discussions. Bien qu’il ait été justifié par l’obsolescence et la mise en conformité de certaines lois avec la Constitution par mes interlocuteurs, je leur ai rappelé l’importance qu’il ne remette pas en cause les normes internationales, notamment en matière de droits humains et de libertés fondamentales, d’État de droit et de démocratie. J’ai également relevé d’autres points d’inquiétude, dont la faible présence d’une opposition au parlement, le regain de certaines valeurs traditionnelles portant atteinte au statut de la femme dans la société (notamment dans la partie méridionale) et la montée de l’extrémisme religieux dans le pays.
48. Par ailleurs, au niveau de l’Assemblée, il m’a paru nécessaire d’insister sur la faible implication du partenaire kirghize depuis 2014, et sur les occasions de communication manquées avec la Commission de Venise en 2021, notamment lors de l’adoption de la nouvelle Constitution que j’ai évoquée.
49. Concernant ces aspects, des représentants de la société civile ont affirmé partager nos inquiétudes. Les questions de genre et la nécessité de poursuivre la lutte contre la pratique de la torture et d’améliorer la situation dans les prisons ont été abordées. A cet égard, la mort en détention d’Azimjon Askarov en 2020, dans des conditions qui n’ont pas encore été élucidées, a été évoquée. Par ailleurs, les multiples et importantes évolutions législatives de l’été 2021 ont été mises en exergue: loi sur les fausses informations, amendements à la loi sur les organisations non-commerciales, à la loi sur l’enregistrement des entités juridiques, au Code pénal, au Code de procédure pénale, ou encore à la loi sur les achats publics. Selon eux, ces évolutions risquent de complexifier la lutte contre la corruption et de porter atteinte à l’État de droit et aux libertés, en dégradant par exemple la situation des journalistes et des défenseurs des droits. Cette tendance a été étayée avec des cas d’intimidations et d’ouverture d’affaires pénales contre des journalistes (voir paragraphe 25). En revanche, les représentants de la société civile ont fait part de la nécessité de poursuivre ce partenariat, véritable soutien à leurs actions, et de leurs espoirs placés dans le nouveau parlement.
50. De leurs côtés, les autorités kirghizes ont rappelé leur profond attachement au statut de partenaire pour la démocratie dont bénéficie le parlement du pays, et ont affirmé en partager, dans l’ensemble, les objectifs. Ils ont justifié les changements évoqués précédemment par la nécessité de gagner en efficacité et de responsabiliser les acteurs politiques afin de lutter contre la corruption et l’impunité. Par ailleurs, selon eux, l’instabilité politique et la situation épidémiologique de ces dernières années, ainsi que des problématiques budgétaires, permettent d’expliquer leur faible présence et contribution aux travaux de l’Assemblée.
51. Tous les interlocuteurs rencontrés ont rappelé que les valeurs démocratiques faisaient partie de l’identité et de la culture kirghizes, dont l’héritage se traduit par exemple par la présence d’une société civile particulièrement active. Les représentants du parlement, du gouvernement et de la société civile ont estimé que la poursuite du partenariat serait un encouragement important pour continuer à développer la démocratie, l’État de droit, et la protection des droits humains et des libertés fondamentales dans le pays.
52. J’ai insisté sur la nécessité de parvenir désormais, au bout de huit années de partenariat, à des avancées concrètes. A ce sujet, j’ai rappelé lors de mes échanges, conformément aux paragraphes 17 et 22 de la Résolution 1984 (2014) et à l’engagement exprimé par le président du parlement dans sa lettre du 27 octobre 2011, l’importance d’une convergence juridique entre le Kirghizstan et le Conseil de l’Europe, pouvant se matérialiser par l’adhésion du pays à certaines conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe ouverts aux non membres. La présence des membres de la délégation kirghize nouvellement nommée lors des prochaines échéances de notre Assemblée et les résultats de l’inventaire législatif seront également des messages politiques importants.
53. J’ai également souhaité relever, avec mes interlocuteurs, les difficultés et défis considérables auxquels le pays est confronté, qu’ils soient économiques, sociaux ou géopolitiques. La forte dépendance du Kirghizstan à la Fédération de Russie, notamment en raison de la présence de plus d’un million de travailleurs migrants kirghizes dont les transferts d’argent représentent environ 25% du PIB du pays, en est un. Le pays est également particulièrement touché par les retombées du contexte géopolitique actuel, la Fédération de Russie ayant par exemple temporairement suspendu ses exportations de céréales vers les pays ex-soviétiques. Malgré les aspects précédemment évoqués, la guerre que mène la Fédération de Russie en Ukraine a conduit le Kirghizstan à prendre ses distances avec l’agresseur: refus d’envoyer des soldats dans le cadre de l’accord de défense avec la Russie, rappel de la souveraineté de l’Ukraine, appel à une solution politique et proposition d’accueillir des pourparlers.

5. Conclusions et propositions

54. Lorsque l’Assemblée a accepté d’accorder le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement de la République kirghize, elle a souligné que l’avancement des réformes était le but principal du partenariat et devait constituer le critère d’évaluation de son efficacité.
55. Huit ans après, je dois constater que le bilan de la progression du Kirghizstan sur la voie des réformes démocratiques, qui semblait bien engagée et prometteuse au moment de l’octroi du statut, est mitigé. La mise en œuvre des engagements politiques contractés par le parlement est insuffisante.
56. Je regrette en particulier que le parlement n’ait pas su profiter à bon escient des possibilités offertes par le partenariat pour faire avancer les réformes démocratiques dans le pays, le rapprocher de l’espace juridique européen commun et contribuer au dialogue politique européen au niveau parlementaire. Il est aussi regrettable que, depuis l’octroi du statut de partenaire, la République kirghize n’ait adhéré à aucune convention ou accord partiel du Conseil de l’Europe, comme elle s’y était engagée.
57. Je rappelle que la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée chargée d’observer les élections du 28 novembre 2021 a appelé le Parlement de la République kirghize nouvellement élu à renforcer sa coopération avec l'Assemblée, à s'engager à nouveau en faveur des objectifs du statut de partenaire pour la démocratie et à utiliser pleinement les possibilités offertes par ce statut, afin de garantir le respect des engagements politiques pris lors de la demande de ce statut, tels qu'ils figurent dans la Résolution 1984 (2014).
58. Les développements politiques et institutionnels récents mentionnés ci-dessus, comme la crise politique et l’annulation des élections d’octobre 2020, la réforme constitutionnelle et l’adoption de plusieurs lois visant à renforcer le pouvoir exécutif au détriment du parlement et du pouvoir judiciaire, à restreindre la liberté d’association et à modifier la législation électorale, sont préoccupants. Ces éléments ne semblent pas aller dans le sens de l’évolution politique qui avait été annoncée au moment de la demande du statut de partenaire pour la démocratie.
59. La situation des droits humains et des libertés fondamentales dans le pays est également un point de vives préoccupations. Les récentes tentatives d’intimidation et d’ouverture d’affaires pénales à l’égard de défenseurs des droits et de journalistes étayent ce constat. Elles vont à l’encontre des engagements pris par le Kirghizstan dans le cadre du partenariat pour la démocratie, énumérés aux paragraphes 14 et 15 de la Résolution 1984. En effet, parmi les priorités identifiées était citées celles de:
  • «garantir et promouvoir la liberté d’expression ainsi que l’indépendance et le pluralisme des médias; mettre en œuvre des dispositions légales qui garantissent effectivement la liberté de la presse et qui protègent les médias contre les pressions politiques» (paragraphe 15.21);
  • «garantir et promouvoir, en droit et en pratique, la liberté d’association et de réunion pacifique, assurer le strict respect de la loi relative aux associations» (paragraphe 15.22);
  • «s’abstenir d’adopter des textes de loi qui visent directement ou indirectement à restreindre les activités de la société civile» (paragraphe 15.23).
60. Des engagements avaient été également pris par le pays concernant les questions de genre, de lutte contre la pratique de la torture, et de l’amélioration des conditions de vie dans les lieux de détention. Des inquiétudes ont également été rapportées sur ces thématiques.
61. Par ailleurs et comme mes prédécesseurs, je constate que les représentants du Parlement de la République kirghize ont montré peu d’intérêt à développer une véritable coopération avec notre Assemblée et n’ont quasiment pas participé aux travaux de nos commissions. Sur ce point, je dois rappeler qu’aux termes du Règlement de l’Assemblée, le parlement bénéficiant du statut de partenaire pour la démocratie a une obligation d’informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe.
62. Au cours de ma visite au Kirghizstan en mars 2022, j’ai eu l’occasion de discuter de ces préoccupations avec nos collègues nouvellement élus du parlement, ainsi qu’avec des représentants du gouvernement, de la Cour constitutionnelle, de la société civile et de la communauté internationale. La quasi-totalité de mes interlocuteurs se sont exprimés en faveur de la poursuite du partenariat et ont fait part de leur volonté de le rendre plus opérationnel.
63. Je relève également le contexte international particulier dans lequel se situe le Kirghizstan et la volonté du pays de défendre la souveraineté de l’Ukraine, de ne pas s’associer à l’agression russe, de prôner un règlement strictement pacifique des différends entre ces deux pays et de proposer de devenir un médiateur dans les pourparlers.
64. Compte tenu de ce qui précède, j’estime important que l’Assemblée continue à apporter son appui aux efforts des autorités du Kirghizstan pour faire avancer le pays vers la démocratie, le respect des droits humains et l’État de droit.
65. En conséquence, je propose de poursuivre le partenariat de l’Assemblée avec le Parlement de la République kirghize, tout en maintenant un dialogue exigeant, et de procéder à une réévaluation approfondie du partenariat dans deux ans sur la base de l’analyse de résultats et avancées concrètes.
66. A ce titre, je me félicite de la nomination, par le parlement nouvellement élu en novembre 2021, de la nouvelle délégation partenaire, et je l’encourage à redoubler d’efforts afin de profiter du cadre offert par le partenariat pour faire avancer les transformations démocratiques dans le pays.