1. Introduction
1. Le présent rapport repose sur
une proposition de résolution déposée le 28 janvier 2020 et renvoyée
à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
pour rapport le 6 mars 2020
. Lors de sa réunion du 29 juin 2020,
la commission m’a nommée rapporteure. La proposition de résolution
rappelle que le Centre des droits de l’homme Memorial, l’une des
organisations non gouvernementales les plus respectées de Fédération
de Russie, estime à plus de 300 le nombre de prisonniers politiques
en Fédération de Russie – un chiffre multiplié par six depuis 2015 –
parmi lesquels figurent des journalistes, des militants de la société
civile, des défenseurs des droits de l’homme, des participants à
des manifestations pacifiques, des adhérents à des groupes religieux
interdits et des membres d’organisations «indésirables».
2. Au cours de la préparation du rapport, la commission a procédé
à trois auditions d’experts. Le 8 décembre 2020, elle a ainsi entendu
M. Sergueï Davidis, responsable du programme «Soutien aux prisonniers
politiques» du Centre des droits de l’homme Memorial (Moscou), M. Tony
Brace, responsable de l’Association européenne des Témoins de Jéhovah,
et Mme Karinna Moskalenko, directrice
du Centre de protection internationale (Moscou). Le 22 mars 2021,
la commission a organisé une autre audition, à laquelle ont participé
M. Mikhail Khodorkovski, chef du groupe d’opposition Open Russia
et ancien «prisonnier d’opinion» selon Amnesty International, et
M. Bill Bowring, professeur de droit au Birkbeck College, Université de
Londres. Enfin, le 4 avril 2022, la commission a entendu M. Vladimir
Kara-Murza, historien et homme politique russe, président fondateur
de la Fondation Boris Nemtsov pour la liberté, M. Vladimir Milov,
ancien vice-ministre de l’Énergie et conseiller de longue date de
M. Alexeï Navalny, et Mme Vera Chelisheva, journaliste
et cheffe du département judiciaire de
Novaïa
Gazeta. Bien que la commission m’ait autorisée à effectuer
une visite d’information en Fédération de Russie, le manque de coopération
des autorités russes a rendu cette visite impossible
.
De fait, la délégation russe de l’époque a déclaré à plusieurs reprises
qu’elle n’avait aucune intention de coopérer avec moi à l’élaboration
de mon rapport, contrairement à ses obligations statutaires. Le
président de la délégation à ce moment-là, M. Petr Tolstoi, avait
refusé l’invitation que je lui avais adressée d’envoyer un représentant
des autorités russes présenter leur point de vue lors des deux auditions
et avait préféré mettre en cause ma crédibilité de rapporteure en
prétendant sans fondement que j’avais enfreint le code de conduite
des rapporteurs dans des lettres adressées au président de la commission. En
dépit de ce manque de coopération, les conclusions du présent rapport
reposent sur un examen approfondi des informations fournies par
les experts et des cas et situations examinés par les différents
organes du Conseil de l'Europe.
3. En dépit de l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil
de l’Europe le 16 mars 2022, en vertu de l’article 8 du Statut du
Conseil de l’Europe (STE no 1) (CM/Res(2022)2),
l’Assemblée parlementaire peut – et doit – poursuivre ses travaux
relatifs à la situation des droits de l’homme dans la Fédération
de Russie. Dans son
Avis 300 (2022) «Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine», l’Assemblée a déclaré que, dans l’éventualité
où la Fédération de Russie cesserait d’être membre de l’Organisation,
le Conseil de l’Europe devrait envisager des initiatives qui lui
permettraient de continuer à soutenir les défenseurs des droits
de l’homme, les forces démocratiques, les médias libres et la société
civile indépendante en Fédération de Russie, et à collaborer avec
eux
. Cette position a été
réitérée dans la
Résolution 2433 (2022), dans laquelle l’Assemblée a décidé d’intensifier son
engagement avec la société civile, les défenseurs des droits de
l’homme, les journalistes indépendants, les milieux universitaires
et les forces démocratiques de Russie, qui respectent les valeurs
et les principes de l’Organisation, y compris l’intégrité territoriale
des États membres souverains. Bien qu’il ait été mis formellement
fin à la procédure de suivi parlementaire – strictement réservée
aux États membres – pour la Fédération de Russie (AS/Mon(2022) 09),
il n’en demeure pas moins que la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme est compétente pour examiner les questions
relatives à la situation des droits de l’homme et à l’État de droit
en Europe, y compris dans les États européens non membres. En outre,
il importe aussi de rappeler que la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5) reste applicable
dans la Fédération de Russie jusqu’au 16 septembre 2022, et que
nombre des situations prises en compte par le présent rapport peuvent
donner lieu à des violations continues de certaines de ses dispositions
(notamment le droit à la liberté et à la sûreté consacré par l’article 5
de la Convention). D’autres violations résultent également du manquement
persistant des autorités russes à exécuter des arrêts précis de
la Cour européenne des droits de l’homme, qui sont et continueront
à être contraignants au-delà de cette date pour la Fédération de
Russie, conformément aux articles 46, paragraphe 1, et 58, paragraphe 2,
de la Convention.
2. Affaires et situations déjà examinées
au sein de l’Assemblée parlementaire
4. Ces dernières années, l’Assemblée,
ses commissions et ses rapporteurs ont examiné de nombreuses questions
revêtant un intérêt pour le présent rapport, dont certaines sont
présentées ci-après par ordre chronologique.
5. En février 2014, les corapporteurs pour le suivi de la Russie,
M. Andreas Gross (Suisse, SOC) et Mme Theodora
Bakoyannis (Grèce, PPE/DC), ont fait part de leur vive préoccupation
au sujet des peines d’emprisonnement prononcées par le Tribunal
de Moscou à l’encontre de manifestants impliqués dans les événements
de la place Bolotnaïa, le 6 mai 2012. Quelque 650 manifestants avaient
été arrêtés à la suite des manifestations organisées sur la place
Bolotnaïa, à Moscou, la veille de l’investiture présidentielle de M. Poutine.
Des poursuites pénales ont ensuite été ouvertes à l’encontre de
28 personnes. Sept militants de la place Bolotnaïa ont écopé de
peines allant de 2,5 à 4 ans d’emprisonnement et étaient toujours
en détention provisoire depuis les événements. Les corapporteurs
ont observé que les peines étaient «très sévères et disproportionnées»,
ajoutant que «les vices de procédure et la durée de la détention
provisoire [étaient] de nature à susciter des soupçons légitimes
quant à une justice motivée par des considérations politiques»
. (Depuis,
la Cour a rendu une série d’arrêts constatant des violations en
lien avec ces événements – voir plus loin).
6. Dans son rapport de 2014 établi pour la commission de suivi
et intitulé «Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs
déjà ratifiés de la délégation russe», M. Stefan Schennach (Autriche,
SOC) a constaté que «[l]’arrestation de centaines de manifestants
anti-guerre les 1er et 2 mars 2014 [était]
une autre manifestation du durcissement de la répression contre
la liberté d’expression et de réunion en Russie. Le 3 mars 2014,
un tribunal de Moscou a ordonné le placement en détention pendant
cinq jours de deux manifestants sur la base d’accusations d’ordre
administratif. Amnesty International a considéré qu’ils étaient des
"prisonniers d’opinion"»
.
7. Dans son rapport de 2015 intitulé «Contestation, pour des
raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation
de la Fédération de Russie», M. Schennach a noté que «[d]es dispositions [avaient]
été prises pour accroître la capacité des autorités russes à contrôler
le discours public et à restreindre le droit de manifester. Des
lois ont été adoptées pour ériger en infraction pénale les manifestations
de rue non autorisées; elles prévoient de lourdes sanctions et notamment
des amendes très élevées, des peines de travaux forcés et des peines
d’emprisonnement (jusqu’à cinq ans). Des chefs de l’opposition,
comme Alexeï Navalny, ont été assignés à résidence ou incarcérés.
Ces mesures sont des tentatives manifestes pour décourager la participation
aux manifestations et au débat politique ouvert»
.
8. Plus tard la même année, dans son rapport intitulé «Examen
de l’annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la
Fédération de Russie (suivi du paragraphe 16 de la
Résolution 2034 (2015))», M. Schennach a indiqué que «[l]e harcèlement dont
serait l’objet l’opposition peut également être perçu comme une
volonté de déstabiliser les efforts de création d’une alternative
politique unie à l’approche des prochaines élections de 2015 et
2016. Le 17 février 2015, le chef de l’opposition russe, Alexeï
Navalny, a été condamné à quinze jours de prison pour avoir violé
une loi restreignant les manifestations, cette mesure l’empêchant
ainsi de participer au rassemblement prévu le 1er mars
2015»
. (Depuis, la Cour
a rendu un arrêt constatant des violations en lien avec ces événements –
voir plus loin).
9. En août 2015, la Présidente de l’Assemblée, Mme Anne
Brasseur (Luxembourg, ADLE), a déclaré que «[l]a condamnation d’Oleg
Sentsov
et
d’Alexandre Koltchenko
pour
terrorisme, à vingt et dix ans d’emprisonnement respectivement,
semble être manifestement excessive et suscite des inquiétudes quant
au respect des normes de la Convention européenne des droits de
l’homme dans la procédure judiciaire à leur encontre, tout particulièrement
dans le contexte de la détérioration de la situation des droits
de l’homme en Crimée depuis son annexion illégale par la Fédération
de Russie»
.
Elle a exhorté une nouvelle fois les autorités russes à «respecter
leurs engagements en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe
et à remettre en liberté toutes les personnes détenues illégalement
suite à l’annexion de la Crimée»
.
10. Dans sa
Résolution
2112 (2016) «Les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées
pendant la guerre en Ukraine», l’Assemblée s’est dit alarmée par
les rapports concernant «11 prisonniers ukrainiens qui seraient
détenus par les autorités russes en violation du droit international
sur la base de chefs d’inculpation fabriqués de toutes pièces. Par
ailleurs, 10 ressortissants ukrainiens au moins sont détenus en
Crimée sur la base d’accusations à caractère politique». L’Assemblée
a considéré que «[l]’exemple le plus flagrant [était] celui de Mme Nadiia
Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, qui a été emmenée
de force en Fédération de Russie où elle est maintenue illégalement
en détention depuis juin 2014 malgré, entre autres, l’immunité dont
elle bénéficie en vertu de l’article 40.
a du
Statut du Conseil de l’Europe et de l’Accord général sur les privilèges
et immunités du Conseil de l’Europe et son Protocole additionnel auxquels
la Fédération de Russie est partie. À la suite d’un procès inéquitable,
la justice russe a condamné Mme Savchenko,
accusée du meurtre de deux journalistes russes, à une peine d’emprisonnement
de vingt-deux ans». Mme Savchenko a été
libérée en mai 2016 dans le cadre d’un échange de prisonniers.
11. Dans sa
Résolution
2116 (2016) «Empêcher de toute urgence les violations des droits
de l’homme lors des manifestations pacifiques», l’Assemblée a constaté
«avec préoccupation les récentes restrictions légales imposées au
droit à la liberté de réunion […] en Fédération de Russie, avec
la modification de la loi relative aux rassemblements publics qui
autorise le placement en détention de toute personne participant
à une réunion publique non autorisée». Dans le rapport de notre
commission, la rapporteure, Mme Nellija
Devaja (Macédoine du Nord, SOC), a indiqué qu’«un militant pacifique,
Idlar Dadin, [avait] ainsi été condamné en décembre 2015 à une peine
de trois ans d’emprisonnement pour infraction [à l’amendement de
la loi relative aux réunions publiques]. En 2015, "plus de 640 personnes
ont été détenues et accusées de participation à des réunions non
autorisées […] pour avoir protesté pacifiquement à l’extérieur du
tribunal où les verdicts étaient prononcés à l’encontre des prévenus
de l’affaire Bolotnaïa"»
.
12. Dans une «Note d’information de 2016 sur le fonctionnement
des institutions démocratiques en Fédération de Russie» présentée
à la commission de suivi, les corapporteures, Mme Bakoyannis
et Mme Liliane Maury Pasquier (Suisse,
SOC), ont fait état d’incarcérations pour raisons politiques lors
de l’examen de la situation démocratique. Elles ont notamment constaté
que «[l]e 7 mai 2015, le tribunal de Moscou [avait] condamné à une
peine de détention administrative trois militants de l’opposition
(Aleksandre Ryklin, Sergueï Sharov-Delaunay et Irina Kalmykova),
qui avaient participé à une manifestation pacifique le 6 mai 2015
place Bolotnaïa pour marquer le troisième anniversaire de la répression
violente par la police de manifestants de l’opposition en ce lieu
en 2012. Amnesty International considère qu’ils ont été privés de
liberté uniquement parce qu’ils ont exercé leur droit à la liberté
d’expression et qu’ils sont prisonniers de conscience. Elle a également
dénoncé les violations du droit à un procès équitable lors des trois
audiences»
. (Depuis, la Cour a
rendu un arrêt constatant des violations en lien avec ces événements –
voir plus loin). En ce qui concerne les incarcérations pour raisons
politiques et la liberté de réunion, les corapporteures ont observé
que «[l]’autorisation d’organiser des rassemblements de rue [avait]
souvent été refusée ou accordée uniquement dans des endroits excentrés
et la violation des interdictions [avait] donné lieu à de fortes
amendes et à des détentions. Cette évolution a eu une influence
paralysante sur l’exercice du droit de réunion». Elles ont par ailleurs
noté que le cadre juridique s’était «détérioré avec l’adoption de
la série récemment signée d’amendements contre l’extrémisme (la
loi Yarovaya) sur la base de laquelle le fait d’encourager la population à
prendre part à des "émeutes" est devenu une infraction passible
de cinq à dix années de prison. La loi Yarovaya confère aussi d’autres
prérogatives aux forces de l’ordre russes et limite encore les droits
à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Elle prévoit
aussi des restrictions aux pratiques religieuses et interdit la
plupart des "activités missionnaires", dont le prosélytisme, le
prêche, la prière ou la diffusion de matériels religieux en dehors
de "lieux spécifiés". À ce sujet, elles ont appris que des témoins
de Jéhovah font l’objet de poursuites pour activité extrémiste qui
semble se limiter à la présence à des services religieux et à la
pratique de leur foi.»
13. Dans sa
Résolution
2141 (2017) «Attaques contre les journalistes et la liberté des
médias en Europe», l’Assemblée a appelé les autorités russes à abandonner
les chefs d’inculpation de «séparatisme» et autres infractions connexes
à l’encontre des journalistes ukrainiens Anna Andrievska, Natalya
Kokorina et Mykola Semena pour leurs rapports au sujet de l’occupation
et de l’annexion illégales de la péninsule de Crimée par la Fédération
de Russie; et à remettre en liberté Roman Sushchenko, correspondant
pour l’agence de presse nationale ukrainienne Ukrinform en France
depuis 2010, qui était détenu à Moscou sous le chef d’accusation «d’espionnage»
depuis le 30 septembre 2016.
14. En mars 2017, les corapporteures pour le suivi de la Russie,
Mme Bakoyannis et Mme Maury
Pasquier, se sont déclarées profondément préoccupées par l’arrestation
et la détention de centaines de manifestants dans toute la Fédération
de Russie à la suite des manifestations anti-corruption organisées
dans tout le pays. Elles ont fait part de leur inquiétude particulière
au sujet de la détention et de la condamnation d’Alexeï Navalny.
Dans ce contexte, elles ont rappelé que, selon la Cour européenne
des droits de l’homme elle-même, il y avait lieu de craindre qu’une
précédente action en justice engagée à son encontre ait eu une motivation politique
.
15. Le 11 janvier 2018, M. Egidijus Vareikis (Lituanie, PPE/DC),
rapporteur sur les défenseurs des droits de l’homme dans les États
membres du Conseil de l’Europe, et M. Frank Schwabe (Allemagne,
SOC), rapporteur sur «le rétablissement des droits de l’homme et
de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase
du Nord» se sont déclarés vivement préoccupés par l’arrestation
par les autorités tchétchènes d’Oyub Titiev, un éminent défenseur
des droits de l’homme et directeur du Centre des droits de l’homme Memorial
en République tchétchène (voir également ci-après). Ils ont ajouté
que «[s]on arrestation [risquait] d’avoir un effet dissuasif sur
les activités de Memorial, une organisation de premier plan dans
la défense des droits de l’homme en Russie».
16. Dans sa
Résolution
2230 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène», l’Assemblée
a fait état de rapports sur des «cas d’enlèvements, de détentions
arbitraires et de torture d’hommes présumés homosexuels, actes dans
lesquels des agents des services répressifs tchétchènes ont été
directement impliqués, agissant conformément aux ordres venant de
hauts responsables tchétchènes. Cette campagne de persécution s’est
déroulée dans le contexte d’actes graves de discrimination et de harcèlement
perpétrés à grande échelle et de manière systématique contre les
personnes LGBTI en République tchétchène».
17. Dans sa
Résolution
2231 (2018) «Les ressortissants ukrainiens détenus par la Fédération
de Russie en tant que prisonniers politiques», l’Assemblée a constaté
que pas moins de 70 ressortissants ukrainiens, voire davantage,
«généralement considérés comme des prisonniers politiques», étaient
détenus en Crimée ou en Fédération de Russie pour des «motifs de
nature politique ou sur la base de fausses accusations». À titre d’exemple,
l’Assemblée a considéré que «les cas de M. Oleg Sentsov, M. Volodymyr
Balukh et M. Pavlo Hryb en particulier [correspondaient] à la définition
qu’elle donne des prisonniers politiques dans sa
Résolution 1900 (2012) relative à la définition de prisonnier politique». À
partir de ces éléments, l’Assemblée a appelé la Fédération de Russie
à «libérer sans plus tarder tous les Ukrainiens détenus en Fédération
de Russie et en Crimée pour des raisons politiques ou sur la base
de fausses accusations». Le rapporteur de notre commission, M. Emanuelis
Zingeris (Lituanie, PPE/CD), a fourni dans son rapport de nombreux
détails sur les cas de M. Sentsov, M. Balukh et M. Hryb
.
18. En février 2019, les corapporteurs de l’Assemblée sur le suivi
de la Russie, M. José Ângelo Correia (Portugal, PPE/DC) et Mme Angela
Smith (Royaume-Uni, SOC), ont exprimé leur grave préoccupation au
sujet de la condamnation de Dennis Christensen à six ans de réclusion
prononcée par le tribunal de l’arrondissement Jeleznodorojny pour
«organisation d’activités d’une organisation extrémiste» parce qu’il
était un Témoin de Jehova actif. Rappelant que la Cour européenne
des droits de l’homme s’était déjà prononcée auparavant en faveur
du droit des Témoins de Jéhovah à pratiquer leur religion sans ingérence
des autorités russes et faisant à nouveau part des préoccupations
de l’Assemblée au sujet de l’usage abusif et de l’application arbitraire
de la «loi sur l’extrémisme» par les autorités russes, ils espéraient
que la condamnation de M. Christensen serait annulée sans délai
par la cour d’appel et ont invité les autorités russes à remettre celui-ci
en liberté dans l’attente de l’arrêt rendu en appel
.
19. En février 2019, le rapporteur général sur la liberté des
médias et la protection des journalistes, Lord George Foulkes (Royaume-Uni,
SOC) s’est dit préoccupé par les actions menées par la police contre
la journaliste russe Svetlana Prokopyeva (voir aussi plus loin).
La police avait détenu et interrogé la journaliste pour avoir commenté
en 2018 un attentat suicide lors d’une émission de radio, ce qui
revenait, pour les autorités russes, à «justifier publiquement le
terrorisme». Lord George Foulkes a appelé les autorités russes à abandonner
les charges retenues contre la journaliste
. Plus
tard la même année, il les a exhortées à libérer immédiatement le
journaliste d’investigation Ivan Golunov (bien connu pour ses enquêtes
sur la corruption) qui avait été arrêté pour «trafic de drogue»,
une inculpation qu’il disait être fabriquée de toutes pièces
.
20. En mars 2019, M. Frank Schwabe, rapporteur sur «Le rétablissement
des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable
dans la région du Caucase du Nord», et M. Raphaël Comte (Suisse,
ADLE), rapporteur général sur la situation des défenseurs des droits
de l’homme, ont réagi à la condamnation par un tribunal de la République
tchétchène d’Oyub Titiev, militant des droits de l’homme, directeur
du bureau régional de l’ONG Memorial et lauréat du prix des droits
de l’homme Václav Havel 2018, à quatre ans d’emprisonnement dans
une colonie pénitentiaire. Selon M. Schwabe, «les faits qui lui
sont reprochés donnent tout à fait l’impression d’avoir été fabriqués
en représailles de sa dénonciation de violations terribles des droits de
l’homme; son procès était ouvertement inéquitable et la peine est
absurdement disproportionnée par rapport à l’infraction alléguée»
.
21. Dans sa
Résolution 2375 (2021) «L’arrestation et la détention d’Alexeï Navalny en janvier
2021», l’Assemblée a examiné la situation du responsable politique
russe de l’opposition à son retour en Fédération de Russie depuis
l’Allemagne, où il avait été soigné pour empoisonnement. Dès son
arrivée sur le sol russe, M. Navalny avait été arrêté en vertu d’un
mandat d’arrêt émis pour avoir enfreint les termes d’une condamnation
avec sursis prononcée à son encontre en 2014 dans l’affaire Yves
Rocher, notamment en ne se présentant pas à la police alors qu’il
était en soins intensifs puis en rééducation en Allemagne. Les tribunaux russes
avaient alors commué sa peine avec sursis en une peine d’emprisonnement
de deux ans et huit mois. Prenant en considération l’arrêt de 2017
de la Cour européenne des droits de l’homme (voir ci-dessous), la mesure
provisoire exigeant sa libération adoptée par la Cour en février
2021 et les conditions de détention toujours discriminatoires et
dangereuses pour sa santé, l’Assemblée a appelé la Fédération de
Russie à libérer immédiatement M. Navalny
.
Au cours de l'année 2021, Lilia Chanysheva, ancienne responsable
d'une branche régionale de l'organisation de Navalny, a également
été arrêtée et est désormais poursuivie pour la création d'une organisation
«extrémiste»
.
22. Dans sa
Résolution 2387 (2021) «Violations des droits humains commises à l’encontre
des Tatars de Crimée en Crimée», l’Assemblée a condamné le nombre
élevé d’arrestations arbitraires et de poursuites et condamnations
infondées de Tatars de Crimée pour des raisons politiques, sur la
base de fausses accusations liées à l’extrémisme ou au terrorisme,
notamment des allégations d’appartenance à des groupes musulmans et
à l’opposition au régime actuel en Crimée. Elle a également exprimé
sa préoccupation quant aux restrictions imposées aux Tatars de Crimée
à propos de leur liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi
que de leur liberté de pensée, de conscience et de religion – y
compris pour les poursuites engagées à l’encontre des personnes
ayant manifesté individuellement de manière pacifique. L’Assemblée
a instamment prié les autorités russes de libérer toute personne
détenue ou emprisonnée illégalement en raison de l’application abusive
du droit russe en Crimée, y compris pour des raisons politiques,
et d’assurer des conditions de détention dignes. Pour plus d’information
sur les arrestations arbitraires et les poursuites engagées contre
les Tatars de Crimée, veuillez consulter le
Doc. 15305.
23. En juillet 2021, dans le cadre de mon mandat de rapporteure,
j’ai exprimé mon inquiétude face aux nouvelles informations selon
lesquelles Alexeï Pichugin, reconnu par les groupes de défense des
droits de l’homme comme un prisonnier politique au regard des critères
énoncés dans la
Résolution 1900 (2012), était détenu au secret à Lefortovo, la principale prison
du FSB à Moscou. M. Pichugin est emprisonné depuis 2003 malgré deux
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concluant à des
violations de son droit à un procès équitable au titre de l’article 6
de la Convention (voir plus loin les paragraphes 31-32) et en dépit
des appels répétés du Comité des ministres du Conseil de l’Europe
aux autorités russes pour qu’elles prennent «des mesures dès que
possible en vue de s’assurer de sa libération»
.
24. Dans une «Note d’information sur la situation des défenseurs
des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe»
publiée en février 2022 (AS/Jur(2022) 01 Rev), la rapporteure générale
sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Mme Alexandra
Louis (France, ADLE), a évoqué les détentions, poursuites et/ou
condamnations suivantes: l’arrestation de plus de 3 650 manifestants
pro-Navalny en janvier 2021; les condamnations d’Anastasia Shevchenko
(ancienne coordinatrice
régionale du mouvement Open Russia), d’Iana Antonova (ancienne membre
d’Open Russia) et d’Igor Kalyapin (défenseur des droits de l’homme),
ainsi que le placement en détention provisoire d’Andreï Pivovarov
(ancien
directeur exécutif d’Open Russia) en vertu de la loi sur les «organisations
indésirables»; la condamnation de Yuri Dmitriev
(directeur
régional de Memorial en Carélie) à 15 ans d’emprisonnement sous
de fausses accusations, alors qu’il avait été précédemment acquitté
d’accusations similaires; la détention administrative de Sergueï
Davidis, membre du Centre des droits de l’homme Memorial; les condamnations
de défenseurs tatars, tels que Server Mustafayev et Emir Usein Kuku,
pour des infractions liées à des actes de terrorisme et le placement
en détention de cinq dirigeants tatars de Crimée, dont Nariman Dzhelyal,
premier vice-président du Mejlis du peuple tatar de Crimée
.
25. Depuis le début de l’agression militaire illégale et non provoquée
contre l’Ukraine le 24 février 2022, l’Assemblée, ses commissions
et ses rapporteurs n’ont cessé de réagir à la répression croissante
des opposants politiques et des militants de la société civile en
Fédération de Russie, en particulier des personnes qui s’opposent
à la guerre.
26. Le 10 mars 2022, en ma qualité de rapporteure générale sur
la situation des défenseurs des droits de l’homme, j’ai exprimé
ma profonde inquiétude à propos de la répression actuelle de la
société civile russe dans le contexte de l’agression en cours de
la Russie contre l’Ukraine. J’ai fermement condamné les représailles récentes
à l’encontre de deux grands défenseurs des droits de l’homme – Oleg
Orlov, membre du conseil d’administration du Centre des droits de
l’homme Memorial, et Svetlana Gannushkina, présidente du Comité d’assistance
civique, une organisation qui fournit une assistance juridique aux
réfugiés et aux migrants. Ces deux défenseurs des droits de l’homme
ont été arrêtés le 6 mars dernier et détenus pendant plus de dix
heures après avoir participé à une manifestation contre la guerre
en Ukraine. Ils font à présent l’objet de poursuites pénales. Depuis
le début de la guerre, plus de 13 000 manifestants pacifiques contre
la guerre ont été arrêtés dans 147 villes de Russie et, selon des
médias indépendants, plusieurs d’entre eux ont été battus, voire torturés
par la police.
27. Dans son
Avis 300 (2022) du 15 mars 2022, l’Assemblée a condamné à l’unanimité
l’intensification de la répression à l’égard de la société civile
et la répression brutale des manifestations pacifiques organisées
en Russie contre la guerre.
28. Le 22 mars 2022, M. Jacques Maire (France, ADLE) a réagi à
la condamnation d’Alexeï Navalny à neuf ans de prison supplémentaires
pour «escroquerie» et «offense à un tribunal», qu’il pourrait devoir
purger dans une colonie pénitentiaire de régime sévère. M. Maire
a appelé les autorités russes à libérer M. Navalny conformément
aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et, en
attendant, à respecter son droit à des conditions de détention dignes.
29. Le 27 avril 2022, le président de notre commission, M. Damien
Cottier (Suisse, ADLE), a condamné l’arrestation arbitraire de Vladimir
Kara-Murza et a demandé sa libération immédiate. M. Kara-Murza s’était adressé
à notre commission en qualité d’expert il y a quelques semaines,
dans le cadre de la préparation du présent rapport. Il est désormais
incarcéré et poursuivi pour avoir soi-disant diffusé «délibérément
de fausses informations» sur l’armée russe. En vertu d’une loi promulguée
récemment, il encourt pour une telle infraction une peine qui peut
aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement
. Cette procédure a été précédée
par son arrestation et sa condamnation à une détention administrative
de 15 jours que j’ai dénoncées le 14 avril 2022
.
3. Les
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et leur mise
en œuvre
30. La Cour européenne des droits
de l’homme a rendu de nombreux arrêts sur la détention arbitraire
et/ou la violation du droit à un procès équitable des personnes
critiques à l’égard du gouvernement et d’opposants ou des personnes
qui leur sont associées. Dans certains de ces arrêts, la Cour a
également constaté des violations de l’article 18 de la Convention,
une disposition complémentaire qui interdit aux États contractants de
restreindre les droits et libertés consacrés par la Convention dans
des buts autres que ceux prévus par la Convention elle-même. L’objet
et le but de l’article 18 sont d’interdire le détournement de pouvoir
.
31. Dans l’affaire
Pichugin c. Russie , le requérant avait été le
chef du service de sécurité de la société pétrolière Ioukos
. En juin 2003, il avait été arrêté pour
meurtre et maintenu en détention par une série d’ordonnances jusqu’à
sa condamnation en mars 2005 à une peine de vingt ans d’emprisonnement.
Il s’est plaint à la Cour de nombreuses violations de ses droits.
La Cour a estimé que son droit à être jugé dans un délai raisonnable
ou libéré pendant la procédure (article 5(3) de la Convention) avait
été violé, puisque les décisions de prolongation de sa détention
provisoire reposaient essentiellement sur la gravité des chefs d’accusation
et reprenaient des formulations stéréotypées sans tenir compte de
faits précis ni envisager de mesures préventives alternatives: elles
n’étaient donc pas fondées sur des motifs «suffisants». La Cour
a également constaté des violations du droit du requérant à un procès
équitable, puisque le procès en première instance et en appel se
sont tous deux déroulés à huis clos et que le juge de première instance
a refusé à la défense la possibilité de contester la crédibilité
du témoin clé de l’accusation et a permis à ce témoin de refuser de
répondre à certaines questions de la défense (article 6(1) et (3)(d)).
La Cour a conclu que «la forme de redressement la plus appropriée
serait, en principe, la tenue d’un nouveau procès ou la réouverture
de la procédure», tout en notant que «l’article 413 du Code de procédure
pénale russe dispose qu’une instance pénale peut être rouverte si
la Cour constate une violation de la Convention».
32. Dans une seconde affaire
, M. Pichugin
avait été inculpé – alors qu’il était en prison – d’autres accusations
de meurtre pour lesquelles il avait finalement été reconnu coupable
et condamné à la prison à perpétuité. La Cour a conclu à des violations
du droit du requérant à un procès équitable en raison du refus du juge
de première instance d’autoriser la défense à produire certaines
expertises, et de la couverture médiatique des déclarations du procureur
général adjoint et de l’enquêteur principal, qui constituait une violation
de la présomption d’innocence. La Cour a de nouveau déclaré que
«le moyen le plus approprié de remédier à la violation serait, en
principe, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure».
33. Étant donné le caractère inéquitable de tous les procès dans
lesquels il a été condamné, M. Pichugin est généralement considéré
comme un prisonnier politique en raison de ses liens étroits avec M. Khodorkovski
.Il convient de noter que, malgré les
déclarations de la Cour sur le moyen de redressement approprié,
M. Pichugin purge toujours sa peine d’emprisonnement à perpétuité
dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité. La Cour suprême
russe a examiné les deux affaires et a conclu que les violations
constatées par la Cour européenne des droits de l’homme n’affectaient
pas l’issue de la procédure pénale ni la légalité ou le caractère
raisonnable et équitable des sentences prononcées et qu’elles ne justifiaient
pas leur annulation ou l’ouverture d’une nouvelle procédure. Les
demandes de grâce présidentielle soumises par M. Pichugin ont été
rejetées à trois reprises, dont la dernière le 4 juin 2020. Lors
de la réunion des Droits de l’Homme (DH) du 9 mars 2022, le Comité
des Ministres (dans le cadre de la surveillance de l’exécution de
ces arrêts en vertu de l’article 46(2) de la Convention) a rappelé
que la réouverture judiciaire de la procédure pénale interne n’avait
pas assuré de réparation pour le requérant, puisque ses condamnations avaient
été maintenues en l’absence d’une analyse complète des preuves retenues
contre lui et du bien-fondé des condamnations à la lumière des constats
de la Cour. Il a exhorté à nouveau les autorités russes à trouver de
toute urgence d’autres moyens de garantir une réparation pour le
requérant, y compris en envisageant l’adoption de toute autre mesure
visant à assurer sa libération
.
34. Dans l’affaire
Nemtsov c. Russie , le requérant, un dirigeant
politique de l’opposition qui a été abattu devant le Kremlin en
2015
, avait été arrêté après une
manifestation le 31 décembre 2010 et placé en garde à vue jusqu’au
2 janvier 2011. Il avait ensuite été condamné à 15 jours de détention
administrative. La Cour a constaté des violations de ses droits
à la liberté de réunion, à un procès équitable et à la liberté et
la sûreté, ainsi que de l’interdiction des traitements inhumains
et dégradants pendant sa détention au poste de police. Ayant «constaté
ci-dessus que le requérant avait été arrêté, détenu et condamné
pour une infraction administrative de façon arbitraire et illégale
et que cela avait eu pour effet de l’empêcher ou de le dissuader, lui
et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de protestation
et de s’engager activement dans la politique dans le camp de l’opposition»,
la Cour a considéré que le grief tiré de l’article 18 ne soulevait aucune
question distincte et n’a pas examiné la question plus avant.
35. La Cour a rendu un certain nombre d’arrêts et de décisions
dans des affaires de détention introduites par Alexeï Navalny, un
avocat, militant anticorruption et dirigeant de l’opposition politique.
- Dans l’affaire Navalnyy et Yashin c. Russie , les requérants avaient
été arrêtés, placés en garde à vue et condamnés à 15 jours de détention
administrative pour avoir participé à une «marche spontanée» après
une manifestation autorisée en 2011. La Cour a conclu à la violation
de l’article 11 (liberté de réunion), observant que les autorités
avaient expressément reconnu que les requérants avaient été sanctionnés
pour avoir manifesté pacifiquement et de manière spontanée et pour
avoir scandé des slogans anti-gouvernementaux. La Cour a également
constaté des violations du droit à un procès équitable dans le cadre
de la procédure administrative, et du droit à la liberté et à la
sûreté, ainsi que de l’interdiction des traitements inhumains et
dégradants dans le cadre des conditions de détention au poste de
police. Ayant constaté que l’arrestation, la détention et la condamnation
arbitraires des requérants «avaient eu pour effet de les empêcher
ou de les dissuader, eux et d’autres personnes, de participer à
des rassemblements de protestation et de s’engager activement dans
la politique dans le camp de l’opposition», la Cour a décidé de
ne pas examiner les plaintes des requérants au regard de l’article 18.
- L’affaire Navalnyy c. Russie portait
au total sur sept incidents survenus en 2012 et 2014, au cours desquels
le requérant, alors qu’il participait à des rassemblements publics
de militants de l’opposition, avait été arrêté, placé en garde à
vue et condamné à des amendes ou à des peines de détention administrative.
La Cour a conclu à la violation du droit du requérant à la liberté
et à la sûreté dans les sept cas, de son droit à un procès équitable
dans six cas et de son droit à la liberté de réunion dans les sept
cas. La Cour a jugé qu’il était «établi au-delà de tout doute raisonnable
que les restrictions imposées au requérant lors des cinquième et
sixième épisodes poursuivaient un but inavoué, contraire à l’article 18
de la Convention, à savoir celui d’étouffer le pluralisme politique,
qui est un attribut du “régime politique véritablement démocratique”
encadré par la “prééminence du droit”, deux notions auxquelles renvoie
le Préambule de la Convention». La Cour a donc conclu à la violation
de l’article 18 combiné aux articles 5 et 11. Elle s’est fondée
pour cela sur des éléments contextuels concordants selon lesquels,
à l’époque des faits, les autorités ont réagi de plus en plus sévèrement
face au comportement du requérant – eu égard à sa situation de chef
de file de l’opposition – et à celui d’autres militants politiques,
ainsi que sur le contexte plus général des initiatives prises par
les autorités russes pour exercer une mainmise sur l’activité politique
de l’opposition.
- Dans l’affaire Navalnyy et
Ofitserov c. Russie , les requérants ont
été reconnus coupables de fraude et condamnés respectivement à cinq
et quatre ans d’emprisonnement, peines qui ont été suspendues contre
l’engagement de ne pas changer de lieu de résidence. La Cour a conclu
que «les actes qualifiés de délictueux sortaient totalement du champ
d’application de la disposition sur la base de laquelle les requérants
ont été condamnés […]. Le droit pénal a donc été interprété de façon
arbitraire et imprévisible, au détriment des requérants, et a abouti
à une issue manifestement déraisonnable du procès». Les juridictions
internes «n’ont de loin pas assuré un procès équitable aux requérants
et elles ne semblent même pas s’être souciées des apparences. Il
y a lieu de noter également qu’elles ont écarté d’emblée la thèse
de la persécution politique formulée par les requérants, qui était
à tout le moins défendable». «Il est évident pour la Cour, comme
il l’a dû l’être pour les juridictions internes, qu’il existait un
lien manifeste entre les activités publiques du premier requérant
et la décision de la Commission d’enquête de l’inculper. […] Faute
d’avoir examiné ces allégations, les juridictions ont elles-mêmes
fait fortement craindre que la véritable motivation des poursuites
engagées contre les requérants et de leur condamnation était de
nature politique». La Cour a estimé que les procédures pénales engagées
contre les requérants avaient violé leur droit à un procès équitable
au titre de l’article 6 de la Convention .
- Dans l’affaire Navalnyye c. Russie , le
requérant et son frère ont été condamnés à trois ans et demi d’emprisonnement
pour blanchiment de capitaux et escroquerie (affaire Yves Rocher).
La peine de M. Navalny a été assortie du sursis. La Cour a considéré
en particulier que les tribunaux russes avaient interprété de manière
extensive et imprévisible l’infraction d’escroquerie au détriment
des requérants et que les décisions rendues avaient été arbitraires
et manifestement déraisonnables. La Cour a constaté la violation
des articles 7 (pas de peine sans loi) et 6(1) (droit à un procès
équitable) .
- Dans l’affaire Navalnyy c. Russie
(no 2) , le requérant avait fait
l’objet d’une assignation à résidence de plus de dix mois assortie
de restrictions à son droit de communiquer, de correspondre et d’utiliser internet,
pour des raisons sans rapport avec les exigences de l’enquête pénale.
La Cour a constaté des violations du droit à la liberté et à la
sécurité du requérant ainsi que de son droit à la liberté d’expression. Elle
a également conclu à la violation de l’article 18 combiné à l’article 5,
au motif que les restrictions à son droit à la liberté avaient poursuivi
le même but que dans la précédente affaire Navalnyy (arrêt
de Grande Chambre), à savoir supprimer le pluralisme politique.
- Dans l’affaire Navalnyy et
Gunko c. Russie , les requérants avaient été arrêtés,
détenus et condamnés pour une infraction administrative en lien
avec leur participation à une manifestation autorisée sur la place
Bolotnaïa le 6 mai 2012. La Cour a conclu à une violation de l’article 3
(interdiction des traitements inhumains ou dégradants), estimant
que le recours à la force physique lors de l’arrestation du premier requérant
avait porté atteinte à sa dignité humaine. Elle a également constaté
une violation du droit à la liberté – considérant que la détention
administrative des requérants pendant près de vingt et dix-huit heures
respectivement était injustifiée et arbitraire – ainsi que des violations
du droit à un procès équitable et du droit à la liberté de réunion
pacifique. La Cour a par ailleurs estimé que l’arrestation arbitraire,
la détention et la condamnation des requérants «avaient eu pour
effet de [les] dissuader, [eux] et d’autres, de participer à des
rassemblements de protestation ou de s’engager activement dans la politique
dans le camp de l’opposition». Au vu de ces constatations, la Cour
a jugé inutile d’examiner s’il y avait eu violation de l’article 18.
- Dans le cadre d’une nouvelle requête Navalnyy c. Russie concernant
le placement en détention de M. Navalny à son retour d’Allemagne
en janvier 2021, la Cour a fait droit le 16 février 2021 à une mesure provisoire
au titre de l’article 39 du règlement de la Cour et a demandé au
Gouvernement russe de le libérer immédiatement. Ce faisant, elle
a tenu compte de la nature et de l’ampleur du risque pour la vie du
requérant et a pris sa décision à la lumière des circonstances générales
de sa détention.
36. Lors de la réunion DH du 7 au 9 juin 2021, le Comité des Ministres
a rappelé les conclusions de la Cour au titre de l’article 18 dans
certaines des affaires
Navalnyy et
a appelé les autorités à prendre des mesures d’urgence en vue de
garantir que le requérant puisse exercer sans entrave ses droits
à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression,
et à mettre fin à la «chronologie et à la physionomie» des restrictions
qui lui sont imposées dans le but ultime de supprimer le pluralisme
politique. Lors de la réunion DH du 9 mars 2022, le Comité des Ministres
a vivement déploré qu’en dépit de ses nombreux appels, M. Navalny
soit toujours en détention et a de nouveau exhorté les autorités
à prendre toutes les mesures possibles pour assurer sa libération
immédiate et annuler les condamnations contestées par les arrêts
pertinents de la Cour
.
37. Dans une série d'arrêts concernant
Garri
Kasparov, ancien champion du monde d'échecs et militant politique,
la Cour a conclu à des violations du droit à la liberté et à la
sûreté, du droit à un procès équitable et de la liberté de réunion.
La première affaire concernait l'arrestation du requérant pour avoir
participé à une manifestation non autorisée mais pacifique. La deuxième
affaire concernait la détention du requérant pendant cinq heures
par la police de l'aéroport alors qu'il se rendait à Samara (Russie)
pour participer à un rassemblement de l'opposition. La troisième
affaire concernait son arrestation (et celle d'un autre militant)
lors d'un rassemblement de protestation et leur détention administrative
consécutive. Bien que la Cour n'ait conclu à la violation de l'article
18 dans aucun de ces arrêts, elle a déclaré dans le dernier que
" les mesures risquaient aussi sérieusement de dissuader d'autres
partisans de l'opposition et le public en général d'assister à des manifestations
et, plus généralement, de participer à un débat politique ouvert.
L'effet dissuasif des sanctions était encore amplifié par le fait
qu'elles visaient le premier requérant, une personnalité publique
bien connue, dont la privation de liberté ne pouvait qu'être largement
médiatisée"
.
38. Dans l’affaire
Frumkin c. Russie , le requérant avait
été arrêté en 2012 lors de la dispersion d’un rassemblement politique
qui se tenait sur la place Bolotnaïa à Moscou. Il avait été détenu
dans un commissariat de police pendant au moins trente-six heures,
puis condamné à une peine de quinze jours de détention administrative.
La Cour a conclu que son arrestation et sa détention constituaient
une violation de son droit à la liberté de réunion et d’association
consacré par l’article 11 de la Convention. Elle a jugé que son droit
à la liberté et à la sûreté garanti par l’article 5 avait été violé
à raison de l’absence de motifs et de fondements juridiques permettant
de le placer en détention provisoire avant l’audience administrative.
La Cour a également constaté que le droit du requérant à un procès
équitable consacré à l’article 6 avait été violé, puisque le tribunal
administratif a fondé sa décision sur des preuves à charge non vérifiées,
refusant de convoquer les agents de police pour un contre-interrogatoire
ou d’admettre d’autres éléments de preuve présentés par le requérant.
En ce qui concerne la plainte relative à la violation de l’article 18,
la Cour a noté que l’arrestation, la détention et la condamnation
du requérant «avaient eu pour effet de l’empêcher et de le dissuader,
lui et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de
protestation et de s’engager activement dans la politique dans le
camp de l’opposition». Sur cette base, elle a estimé qu’il n’était
pas nécessaire d’examiner si l’article 18 avait été violé.
39. Dans l’affaire
Yaroslav Berlousov
c. Russie , le requérant
avait été arrêté, placé en détention provisoire pour une longue
durée, jugé et condamné à une peine d’emprisonnement totale de deux
ans et trois mois pour avoir participé aux manifestations de la
place Bolotnaïa de 2012 (voir plus haut). La Cour a constaté la
violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants,
ainsi que de ses droits à la liberté et la sûreté, à un procès équitable
et à la liberté de réunion. Observant que «la condamnation pénale
du requérant n’était pas nécessaire dans une société démocratique
et qu’elle avait eu pour effet de l’empêcher ou de le dissuader,
lui et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de
protestation et de s’engager activement dans la politique dans le
camp de l’opposition», la Cour a considéré que le grief tiré de
l’article 18 ne soulevait aucune question distincte et qu’il n’était
donc pas nécessaire d’examiner si cet article avait été violé. La
Cour a rendu des arrêts similaires dans les affaires
Barabanov c. Russie ,
Polikhovich c. Russie ,
Stepan
Zimin c. Russie ,
Lutskevich c. Russie et
Razvozzhayev
c. Russie et Ukraine et Udaltsov c. Russie ,
Gushchin et Gaskarov c. Russie , et Nepomnyashchikh c. Russie .
40. Dans l’affaire
Mariya Alekhina
et autres c. Russie, les requérantes, membres du groupe
punk féministe russe des Pussy Riot, avaient été inculpées de «hooliganisme
motivé par la haine religieuse» et condamnées à deux ans d’emprisonnement
pour avoir interprété une chanson politique dans la cathédrale du
Christ-Sauveur de Moscou en 2012. La Cour a conclu à des violations
de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (conditions
de transport des requérantes vers et depuis le tribunal où se tenaient
les audiences et le procès), du droit à la liberté et à la sécurité,
du droit à un procès équitable et de la liberté d’expression. En ce
qui concerne la liberté d’expression, la Cour a considéré que les
poursuites pénales et la condamnation des requérantes pour leur
performance n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique
.
41. Dans l’affaire
Ryklin et Sharov
c. Russie ,
les requérants avaient été arrêtés et condamnés à dix jours de détention
administrative en 2015 après des manifestations publiques marquant
le troisième anniversaire du rassemblement de la place Bolotnaïa
de 2012. La Cour a conclu à des violations de leur liberté d’expression et
de leur droit à un procès équitable
. Elle a rappelé qu’elle avait «systématiquement
conclu à une violation de l’article 11 de la Convention dans les
situations où les participants ou les organisateurs d’un rassemblement public
se trouvaient arrêtés et condamnés pour des infractions administratives
au seul motif que les autorités russes considèrent ce rassemblement
comme une réunion publique non autorisée». La Cour a aussi rappelé qu’elle
avait «précédemment constaté que l’absence de partie poursuivante
lors de l’audience au cours de laquelle sont définis les chefs d’accusation
administratifs constituait un manquement grave, contraire à l’exigence
d’impartialité objective consacrée par l’article 6(1) de la Convention».
42. Dans l’affaire
Udaltsov c. Russie , le requérant, un militant
politique et de la société civile bien connu, coordinateur du Conseil
du front de gauche de Moscou, avait été placé en détention administrative
avant et après son procès pour avoir désobéi à une décision rendue
par des agents publics et avoir quitté un centre de détention sans
autorisation. La Cour a conclu à une violation du droit à la liberté
et à la sécurité en raison de plusieurs détentions administratives
arbitraires et de son maintien arbitraire en milieu hospitalier.
Elle a également constaté une violation du droit à un procès équitable
à l’égard d’un ensemble de procédures administratives. En ce qui
concerne le grief soulevé par le requérant quant aux peines de détention
prononcées à son encontre dans le but de l’empêcher de participer
à des rassemblements de protestation, la Cour a considéré qu’il
n’y avait pas lieu d’examiner ce grief sous l’angle des articles 10
et 11. S’agissant du grief relatif à la violation de l’article 18,
elle a estimé qu’il ne représentait pas un aspect fondamental de
l’affaire.
43. Dans l’affaire
Karuyev c. Russie , le requérant avait
été arrêté et condamné à quinze jours de détention administrative
pour avoir craché sur un portrait du Président Poutine (trouble
à l’ordre public). La Cour a estimé que le fait de cracher sur la
photographie d’un responsable politique au lendemain de sa réélection
devait être considéré comme l’expression d’une opinion politique,
et que la condamnation du requérant ne reposait pas sur un fondement
légal clair et prévisible en droit interne. Par conséquent, elle
a conclu à une violation du droit à la liberté d’expression du requérant.
44. Bien que la Cour ait constaté des violations de l'article
3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants)
uniquement dans certaines des affaires susmentionnées (par exemple Nemtsov), elle a examiné les conditions
de détention dans les prisons et autres lieux de détention dans
de nombreuses autres affaires contre la Russie et les a jugées contraires
à l'article 3. Dans l'une des affaires Navalny en cours, le requérant
se plaint au titre de l'article 3 de ses conditions de détention,
notamment de la privation de sommeil, d'une alimentation inadéquate,
de violences verbales et du refus d'assistance médicale. Par conséquent,
la détention arbitraire et illégale de prisonniers politiques n'implique
pas seulement une privation injustifiée de liberté et des violations
de droits fondamentaux comme la liberté d'expression ou la liberté
de réunion, elle comporte également un risque de conditions de détention
inappropriées qui peuvent s'apparenter à un traitement inhumain
ou dégradant.
4. Interventions
de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
45. La Commissaire aux droits de
l’homme, Dunja Mijatović, a également soulevé des questions qui présentent
un intérêt pour le présent rapport. Celles-ci portent sur le recours
abusif au droit pénal à l’encontre des personnes critiques à l’égard
des autorités et des opposants à ces dernières et sur la menace
de longues peines d’emprisonnement qui en résulte.
46. Le 11 juillet 2018, la Commissaire a écrit au procureur général
de la Fédération de Russie concernant la situation de Oyub Titiev.
Dans sa lettre, la Commissaire déclarait que M. Titiev, «connu pour
le travail considérable qu’il a mené pour la défense des droits
de l’homme dans le Caucase du Nord, et en particulier pour ses efforts
visant à établir les responsabilités dans des cas de violations
graves des droits de l’homme perpétrées par des agents de l’État»
avait été «privé de sa liberté en janvier dernier, puis placé en
détention provisoire et poursuivi au pénal pour possession présumée
de drogue». Elle prenait note de la conclusion du Conseil des droits
de l’homme auprès du Président de la Fédération de Russie, selon
laquelle les autorités tchétchènes avaient agi «dans le but d’exclure
des informations qui permettraient de conclure que l’affaire pénale
visant M. Titiev avait été fabriquée de toute pièce» et que «tous
les refus d’ouvrir une enquête pénale à la suite des plaintes déposées
par M. Titiev étaient non fondés et arbitraires». Elle observait
enfin que le chef du Conseil présidentiel des droits de l’homme
et la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de
Russie avaient tous deux demandé à ce que le dossier de M. Titiev
soit «transféré» hors de la République tchétchène, ce qui révélait
«des doutes quant à la probabilité que les droits de M. Titiev soient
garantis si l’affaire restait en République tchétchène»
.
47. Le 6 décembre 2018, la Commissaire a appelé les autorités
russes à libérer Lev Ponomarev, un «pilier du mouvement pour les
droits de l’homme en Russie» et un «partenaire de longue date» du
Bureau de la Commissaire, qui a consacré «plusieurs décennies à
la défense des droits de l’homme». M. Ponomarev a été condamné à
25 jours de détention administrative par un tribunal de Moscou pour
avoir publié un message sur Facebook appelant à un rassemblement
non autorisé. La Commissaire a déclaré que «le fait de sanctionner quelqu’un
pour avoir partagé des informations dans les médias sociaux au sujet
d’un événement public à visée pacifique était difficilement justifiable.
Mon Bureau a demandé à plusieurs reprises la révision du cadre juridique
qui régit les événements publics en Fédération de Russie. La peine
de 25 jours de détention imposée à M. Ponomarev est un exemple frappant
du caractère disproportionné des sanctions prévues par la législation».
Elle a ensuite appelé à libérer M. Ponomarev «de toute urgence».
48. Le 13 février 2019, la Commissaire a écrit à la Haut-Commissaire
aux droits de l’homme de la Fédération de Russie au sujet de l’affaire
Svetlana Prokopyeva, une journaliste indépendante. Mme Prokopyeva
faisait l’objet d’une enquête pour «justification du terrorisme»,
une infraction passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller
jusqu’à sept ans, après la publication d’un article critique dans
lequel elle s’interrogeait sur les motivations possibles d’une adolescente
kamikaze. La Commissaire a rappelé qu’elle avait «observé un phénomène
inquiétant de recours abusif à la législation anti-terroriste pour
restreindre les activités légitimes de journalisme ou l’expression
de critiques envers les autorités». Elle a déclaré que «le fait de
reconnaître la responsabilité pénale d’une journaliste pour des
propos ne contenant aucun élément de violence et n’incitant personne
au terrorisme était incompatible avec les normes relatives aux droits
de l’homme sur la liberté d’expression». En outre, «les poursuites
pénales engagées à l’encontre de [Mme Prokopyeva]
ont un effet plus général d’intimidation à l’égard de l’ensemble
des médias et des journalistes de la Fédération de Russie, en les
empêchant de communiquer des informations d’intérêt général et en
interférant avec le droit des citoyens de les recevoir»
.
49. Le 23 juin 2020, la Commissaire a appelé les autorités russes
à «revoir la législation et les pratiques relatives à la liberté
de réunion et d’expression». Sa déclaration évoquait «[l]’arrestation
de plus de 100 personnes à Moscou et à Saint-Pétersbourg hier [qui]
illustre une nouvelle fois l’intolérance des autorités russes à
l’égard des personnes qui expriment pacifiquement leurs opinions».
Elle mentionnait également une conversation avec la Haut-Commissaire
aux droits de l’homme de la Fédération de Russie, dans laquelle
elle exprimait ses préoccupations persistantes concernant la situation
de Mme Prokopyeva et d’autres affaires.
Ces affaires incluaient notamment: Abdulmumin Gadzhiyev, un journaliste
du Daghestan en détention provisoire, poursuivi pour extrémisme
et actes terroristes pour avoir écrit un article sur un prédicateur
islamiste accusé d’être lié à Daech; Yulia Tsvetkova, une artiste
et militante actuellement assignée à résidence, accusée de pornographie
et de «propagande gay» pour des déclarations publiées sur son site
internet; Anastasia Shevchenko, assignée à résidence et poursuivie
pour «organisation d’activités d’une organisation indésirable» (en
l’occurrence le mouvement d’opposition Open Russia) en vertu d’une
loi de 2015 largement critiquée – une infraction passible d’une
peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans; et Yuri Dmitriev,
un militant des droits civils et historien des crimes commis par
le régime stalinien, qui est accusé de pornographie et de violences
sexuelles sur sa fille adoptive (voir plus loin).
50. Le 20 juillet 2020, la Commissaire a demandé aux autorités
russes d’abandonner les poursuites contre le défenseur des droits
de l’homme Semyen Simonov. M. Simonov faisait face à des chefs d’accusation retenus
au titre de la loi sur les «agents étrangers» pour ses activités
au sein du Southern Human Rights Centre à Sotchi, qui documente
les cas d’exploitation des travailleurs migrants ayant participé
aux projets de construction pour les Jeux Olympiques d’hiver de
2014 et la Coupe du monde de football de 2018. La Commissaire a
indiqué que «[l’]inculpation de Semyen Simonov […] pour infraction
à la législation sur les organisations non commerciales est préoccupante
et aura un effet dissuasif sur l’ensemble des acteurs œuvrant pour
les droits de l’homme en Russie».
51. Le 30 septembre 2020, la Commissaire est revenue sur le cas
de M. Dmitriev, après que la Cour suprême régionale a alourdi sa
peine à 13 ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire de
haute sécurité, sur appel du procureur. La Commissaire a déclaré
que «[l]e verdict rendu [le 29 septembre] contre Iouri Dmitriev
[…] pour des faits dont il avait été déclaré non coupable précédemment
,
fait peser de sérieux doutes sur la crédibilité des poursuites engagées
contre lui. […] Le procès qui a conduit à la lourde condamnation
prononcée par la Cour suprême de Carélie et qui s’est déroulé en
l’absence d’un avocat choisi par M. Dmitriev ne peut être considéré
comme présentant les caractéristiques d’un procès équitable. C’est
un exemple supplémentaire du harcèlement judiciaire dirigé contre
les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et d’autres
voix indépendantes ou critiques, qui s’intensifie en Fédération
de Russie ces dernières années».
52. Le 21 janvier 2021, la Commissaire a appelé les autorités
russes à remettre Alexeï Navalny en liberté et à cesser toute intimidation
judiciaire à son égard. Elle considérait que les procédures engagées
à son encontre étaient manifestement «peu crédibles et en contradiction
avec le droit et les procédures judiciaires de la Russie, et avec
les obligations et normes internationales en matière de droit de
l’homme». Elle a également critiqué l’arrestation dans de nombreuses
villes russes de dizaines de personnes pour avoir manifesté pacifiquement
contre l’arrestation de M. Navalny. Le 2 février 2021, après la
condamnation de ce dernier à trois ans et demi d’emprisonnement,
la Commissaire a déclaré que cette nouvelle décision contrevenait
aux obligations internationales de la Russie en matière de droits
de l’homme et envoyait un signal qui portait atteinte à l’intégrité
du système européen de protection des droits de l’homme.
53. Le 25 novembre 2021, la Commissaire a fait part de ses préoccupations
concernant l’arrestation et le placement en détention d’un important
groupe de Tatars de Crimée, dont plusieurs journalistes, qui s’étaient rassemblés
pacifiquement à Simferopol pour assister à la libération d’Edem
Semedlyaev, un avocat défenseur des droits de l’homme. Elle a également
parlé d’une politique de persécution manifeste, qui se traduit par
les condamnations pénales imposées à des militants et responsables
tatars, souvent à la suite d’accusations de terrorisme ou d’extrémisme
dénuées de fondement.
54. Le 7 mars 2022, après l’agression militaire de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine, la Commissaire a noté que plus de 13 000
personnes avaient été arrêtées dans plusieurs dizaines de villes
russes pour avoir exercé leur droit légitime à manifester pacifiquement
contre la guerre. Elle a évoqué les cas des défenseurs des droits
de l’homme Oleg Orlov et Svetlana Gannushkina. Elle s’est dit préoccupée
par la nouvelle législation qui érige en infraction pénale la diffusion
de «fausses informations» sur les actions de l’armée russe, le «dénigrement»
de ladite armée et les appels à des protestations publiques, et
qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement
et de lourdes amendes.
5. Les
listes de prisonniers politiques compilées par le Centre des droits
de l’homme Memorial
55. Selon les dernières informations
transmises par l’ONG Centre des droits de l’homme Memorial, il y
avait, en Fédération de Russie, au 8 avril 2022, 87 prisonniers
politiques (non persécutés pour raison religieuse) et 360 personnes
emprisonnées pour des motifs religieux
. Le nombre total de
prisonniers politiques s’élevait à 447 – un nombre en augmentation
depuis le début de l’élaboration du présent rapport. Au moment de
la publication de ma note introductive (octobre 2020), le site internet
de Memorial faisait état de 62 prisonniers politiques (non persécutés
pour raison religieuse) et de 266 prisonniers politiques persécutés
pour leur religion.
56. Memorial évalue les cas individuels sur la base de ses propres
«Lignes directrices pour la définition du "prisonnier politique"».
Celles-ci s’inspirent largement de la définition donnée par la
Résolution 1900 (2012) de l’Assemblée, mais ne la reprennent pas à l’identique.
En réalité, elles sont plus restrictives puisque, contrairement
à la
Résolution 1900, les critères de Memorial prévoient des «clauses d’exclusion».
Memorial applique un filtre supplémentaire afin d’exclure toute
personne ayant eu recours à la violence contre une personne ou ayant
incité à la violence sur la base de la nationalité, de la race,
de la religion, etc. Il convient de noter que les listes de Memorial
incluent aussi les Tatars de Crimée.
57. Je tiens à souligner que plusieurs des personnes citées ci-dessus
(que ce soit par la Commissaire, l’Assemblée ou les arrêts de la
Cour) figurent sur les listes de Memorial: Alexeï Navalny, Alexeï
Pichugin, Yuri Dmitriev, Abdulmumin Gadzhiyev, Dennis Christensen,
Andreï Pivovarov et Emir Usein Kuku. Un certain nombre de cas signalés
par les experts lors des auditions tenues par notre commission (notamment
ceux de Lilia Chanysheva, ancienne responsable du bureau politique
de M. Navalny à Ufa, et d’Andreï Borovikov, militant écologiste
et ancien coordinateur du bureau régional de M. Navalny) figurent
également sur les listes de Memorial.
58. Si je n’ai pas été en mesure de vérifier si tous les cas cités
dans les listes de Memorial répondent à la définition de «prisonnier
politique» de l’Assemblée, je considère que les listes compilées
par Memorial sont crédibles et fiables. Lors de l’audition organisée
par la commission le 8 décembre 2020, M. Sergueï Davidis, responsable
du programme «Soutien aux prisonniers politiques» du Centre des
droits de l’homme Memorial, nous a présenté les critères stricts
et les procédures rigoureuses appliqués par Memorial pour établir
ces listes. Le Centre des droits de l’homme Memorial est l’une des
organisations non gouvernementales les plus respectées de Fédération
de Russie et sa dissolution récente (survenue en même temps que
celle d’International Memorial), prononcée en vertu de la loi sur
les «agents étrangers», n’est qu’un énième exemple de la répression
des opposants politiques et de la société civile par les autorités
russes – qui s’est considérablement accrue depuis le début de l’offensive
contre l’Ukraine. La dissolution de Memorial a suscité de vives
critiques au plus haut niveau au sein du Conseil de l’Europe et
dans de nombreux États membres. Il convient de noter que la Cour
suprême russe a récemment rejeté un appel visant à suspendre la
liquidation judiciaire de Memorial, en faisant totalement abstraction
de la mesure provisoire accordée par la Cour européenne des droits
de l’homme en décembre 2021.
6. Les cas signalés à la lumière de la
définition du «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée
59. La
Résolution 1900 (2012) de l’Assemblée définit le «prisonnier politique» comme
suit:
«Une
personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée
comme un “prisonnier politique”:
a. si la détention a été imposée
en violation de l’une des garanties fondamentales énoncées dans
la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles,
en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion,
la liberté d’expression et d’information et la liberté de réunion
et d’association;
b. si la détention a été imposée
pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction, quelle
qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques,
la durée de la détention ou ses conditions sont manifestement disproportionnées
par rapport à l’infraction dont la personne a été reconnue coupable
ou qu’elle est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques,
la personne est détenue dans des conditions créant une discrimination par
rapport à d’autres personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement
d’une procédure qui était manifestement entachée d’irrégularités
et que cela semble être lié aux motivations politiques des autorités».
60. Cette définition est le résultat de travaux menés en 2001
par les experts indépendants du Secrétaire Général sur des cas de
prisonniers politiques en Arménie et en Azerbaïdjan, à la suite
de l’engagement pris par ces deux pays au moment de leur adhésion
au Conseil de l’Europe de libérer tous les prisonniers politiques
. Depuis l’adoption de la
Résolution 1900 (2012), cette définition a été utilisée de manière systématique
par l’Assemblée, notamment dans la
Résolution 2231 (2018) «Les ressortissants ukrainiens détenus par la Fédération
de Russie en tant que prisonniers politiques» et dans la
Résolution 2322 (2020) «Les cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan».
Elle a également été entérinée par l’Assemblée parlementaire de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dans
la Déclaration de Bakou de 2014 et constitue une référence pour
le travail de la société civile dans de nombreux pays
.
Il importe de rappeler que toutes les formes et durées de privation
de liberté, qu’il s’agisse d’un emprisonnement après une condamnation,
d’une détention provisoire, d’une détention administrative ou encore
d’une assignation à résidence, peuvent relever de la définition
de «prisonnier politique».
61. Les arrêts de la Cour mentionnés ci-dessus ne précisent pas
expressément que les requérants étaient des prisonniers politiques,
puisque cette notion ne figure pas dans la Convention et que la
définition de l’Assemblée ne lie pas la Cour. Cependant, il est
clair que les arrêts de la Cour qui constatent une violation de l’article 18
reprennent un ou plusieurs des motifs énoncés dans la
Résolution 1900. Dans les deux arrêts
Navalnyy (rendus
en 2018 et 2019) où elle a conclu à une violation de l’article 18,
la Cour a considéré que les restrictions imposées aux droits à la
liberté et à la liberté de réunion de M. Navalny avaient pour but
inavoué de supprimer le pluralisme politique. Elle a tenu compte
du «contexte plus général des initiatives prises par les autorités
russes […] afin d’exercer une mainmise sur l’activité politique
de l’opposition», ce qui revient à reconnaître l’existence d’un
problème bien plus large que celui de la seule répression ciblée
contre M. Navalny. Elle a également évoqué une tendance continue
à mettre en place de nouvelles restrictions dans le régime légal
de la liberté de réunion, notamment la responsabilité pénale pour
les infractions en la matière, et a appelé à prendre des mesures
générales législatives ou autres pour prévenir des violations similaires
à l’avenir (en vertu de l’article 46)
.
62. Il convient de garder ce contexte à l’esprit lorsqu’on examine
les nombreux autres arrêts de la Cour qui constatent des violations
du droit à la liberté, du droit à un procès équitable, de la liberté
d’expression ou de la liberté de réunion, mais sans chercher à établir
ni conclure à une violation de l’article 18. En fait, l’article 18
de la Convention fixe un seuil élevé qui ne doit pas nécessairement
être atteint dans chaque cas pour répondre à la définition du «prisonnier
politique» adoptée par l’Assemblée. Cet article est rarement invoqué
par les requérants et lorsque c’est le cas, la Cour peut estimer
inutile de l’examiner après la constatation principale d’une violation
du droit matériel (arrêt Navalnyy et
Gunko). Il convient par ailleurs de noter qu’en principe, l’article 18
ne peut être examiné conjointement avec les articles 6 (droit à
un procès équitable) et 7 (principe de légalité), selon la jurisprudence
de la Cour (arrêt Navalnyye),
mais seulement avec les droits qui comportent des clauses explicites
de restriction. Quoi qu’il en soit, il est évident que nombre de
ces arrêts font référence à un ou plusieurs des motifs de la résolution:
détention en violation de la liberté d’expression ou de la liberté de
réunion (Frumkin; Yaroslav Belousov) et/ou détention
résultant d’une procédure manifestement entachée d’irrégularités
et apparemment liée aux motivations politiques des autorités (NavalnyyetOfitserov).
63. En ce qui concerne les cas susmentionnés qui ont été examinés
par l’Assemblée et ses rapporteurs ou par la Commissaire, la plupart
d’entre eux sont également susceptibles de satisfaire à un ou plusieurs
des critères énoncés dans la
Résolution 1900 (2012). Par exemple, les personnes qui ont été arrêtées pour
avoir manifesté contre la guerre actuelle en Ukraine (notamment
Oleg Orlov, Svetlana Gannushkina et plus de 13 000 manifestants
pacifiques) ont été détenues en violation de leur droit à la liberté
de réunion pacifique. Il en va de même pour M. Kara-Murza, actuellement
incarcéré et qui encourt des poursuites pour avoir diffusé «délibérément
de fausses informations» sur l’armée russe, en violation de son
droit à la liberté d’expression. Les nouvelles mesures répressives
visant à réduire au silence toute opposition à la guerre ont été
précédées par l’instauration, ces dernières années, d’un certain
nombre de lois restrictives, notamment la loi sur les «agents étrangers»,
la loi sur les «organisations indésirables» et la loi sur l’«extrémisme»,
qui toutes ont contribué à la persécution systématique des opposants
politiques, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme
et des militants de la société civile. Il est clair que cet ensemble
de lois, manifestement incompatible avec la Convention européenne
des droits de l’homme et d’autres normes internationales des droits
de l’homme
, a été utilisé
pour restreindre les droits fondamentaux élémentaires à des fins
purement politiques.
7. Conclusions
et propositions
64. Les affaires mentionnées ci-dessus
ne représentent que les cas les plus importants qui ont été traités par
divers organes du Conseil de l’Europe. Elles n’en sont pas moins
frappantes par leur nombre impressionnant et par la répression systématique
qu’elles révèlent à l’encontre de tous les opposants des autorités
en place. Elles doivent donc être appréhendées dans un contexte
de répression croissante des opposants politiques ces dernières
années ou, comme la Cour l’a formulé dans ses arrêts rendus sur
le terrain de l’article 18, dans le «contexte plus général des initiatives
prises par les autorités russes […] afin d’exercer une mainmise
sur l’activité politique de l’opposition».
65. Bien que la Fédération de Russie ait été exclue du Conseil
de l’Europe le 16 mars 2022, tant l’Assemblée que le Comité des
Ministres ont clairement fait savoir que le Conseil de l’Europe
devait continuer à soutenir les défenseurs des droits de l’homme,
les forces démocratiques, les médias libres et la société civile indépendante
en Fédération de Russie et à s’engager à leurs côtés. Ce soutien
doit se traduire par la condamnation ferme de la détention de centaines
de personnes qui relèvent ou sont susceptibles de relever de la
définition du «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée, et
par un appel à leur libération ou, tout au moins, à un réexamen
de leur cas. Cela devrait s’appliquer à tous les prisonniers inscrits
sur les listes de Memorial, qui doivent être considérés comme des
prisonniers politiques selon notre définition.
66. L’Assemblée doit également rappeler que la Fédération de Russie
est toujours liée par la Convention européenne des droits de l’homme
jusqu’au 16 septembre 2022 et qu’elle est tenue d’exécuter pleinement
les arrêts de la Cour (ceux qui ont déjà été rendus et ceux à venir)
relatifs aux personnes qui sont toujours détenues sur le fondement
d’accusations à caractère politique, en adoptant les mesures individuelles
et générales nécessaires, en particulier dans les cas les plus flagrants,
comme ceux de M. Navalny et de M. Pichugin. La Fédération de Russie
doit également coopérer avec le Comité européen de prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) tant qu’elle reste partie à la Convention européenne pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (STE no 126). Le CPT doit
pouvoir rendre visite à ces prisonniers et contrôler leurs conditions
de détention en attendant leur libération ou le réexamen de leur
cas.
67. L’Assemblée doit par ailleurs appeler les autorités russes
à mettre en œuvre les recommandations formulées par les autres organisations
internationales dont la Fédération de Russie reste membre, comme
les Nations Unies (et ses organes conventionnels tels que le Comité
des droits de l’homme, qui sont compétents pour traiter les requêtes
individuelles contre la Fédération de Russie) et l’OSCE. L’Assemblée
doit continuer à rappeler aux autorités russes leurs obligations
internationales en matière de droits de l’homme.
68. L’Assemblée doit aussi inviter les États membres et observateurs
du Conseil de l’Europe à mettre en place des dispositifs qui facilitent
l’octroi de visas et à examiner les demandes d’asile d’anciens prisonniers politiques
ou de dirigeants de l’opposition russe menacés, de militants de
la société civile, de journalistes et de défenseurs des droits de
l’homme qui doivent quitter la Russie. De leur côté, les États membres
et observateurs doivent désormais refuser toute demande d’extradition
de ressortissants russes pour des infractions qui pourraient être
considérées comme motivées par des considérations politiques, et
Interpol doit examiner très attentivement toute demande de notice
rouge émanant du Bureau central national russe qui pourrait reposer
sur des motifs politiques.
69. Enfin, l’Assemblée doit inviter l’Union européenne à renforcer
encore les sanctions économiques à l’encontre de la Fédération de
Russie, de ses dirigeants et de ses agents en raison de leur implication
et de leur responsabilité dans la persécution des opposants politiques
et dans le maintien en détention de prisonniers politiques, en particulier
M. Alexeï Navalny.
70. Les États membres qui ont adopté une «loi Magnitski» – qui
leur permet d’infliger des sanctions ciblées aux auteurs de violations
des droits de l’homme bénéficiant d’une impunité – devraient utiliser
cette loi pour imposer des sanctions ciblées à tous ceux qui, en
qualité de policiers, procureurs, juges, agents pénitentiaires ou
dans l’exercice de toute autre fonction, ont contribué à la privation
illégale de liberté des prisonniers politiques ou aux mauvais traitements
qu’ils subissent en détention. Les États membres qui n’ont pas encore adopté
une telle loi devraient envisager de le faire, conformément à la
résolution de l’Assemblée à cet égard
.
71. Enfin et surtout, l’Assemblée doit encourager les Etats membres
à commémorer, le 30 octobre de chaque année, la Journée internationale
des prisonniers politiques
, pour tous ceux qui sont encore emprisonnés
pour des raisons politiques. Comme l’a si bien dit Vladimir Kara-Murza
lors de l’audition du 4 avril 2022, juste avant d’être lui-même
arrêté: ce que les prisonniers politiques redoutent le plus, c’est
d’être oubliés. Nous ne devons en aucun cas les oublier et nous
devons continuer à faire pression pour leur libération.
72. À la lumière de ce qui précède, je propose une série de recommandations,
énoncées dans le projet de résolution et le projet de recommandation
ci-joints.