1. Introduction
1. A la suite d’une proposition
de résolution intitulée «Prévenir la discrimination vaccinale
», déposée par M. Ahmet Yildiz (Türkiye,
NI) et d’autres membres de l’Assemblée parlementaire le 10 septembre
2021, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
m’a nommée rapporteure sur cette question le 7 décembre 2021. Le
28 avril 2022, la commission a examiné ma note introductive et m'a
autorisée à effectuer une visite d'information au siège de l'Organisation
mondiale de la santé (OMS) à Genève, ainsi qu’à envoyer un questionnaire
par l'intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation
parlementaires (CERPD). Le 23 mai 2022, elle a tenu une audition,
qui a également porté sur le suivi de la
Résolution 2383 (2021) de l'Assemblée, «‘Pass’ ou certificats Covid: protection
des droits fondamentaux et implications légales
», à laquelle
a participé Mme Karine Lefeuvre, vice-présidente
du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la
vie et de la santé, Paris, et de M. Jan Rohde-Stadler, Chef d’équipe
pour les questions de libre circulation liées à la covid-19, Direction
générale de la justice et des consommateurs, Commission européenne,
Bruxelles. Le 22 août 2022, j'ai effectué une visite d'information
au siège de l'OMS à Genève, où j'ai rencontré le Dr Rogério Gaspar,
directeur du département Réglementation et Préqualification, division Accès
aux médicaments et aux produits de santé.
2. La proposition de résolution
porte sur la question du traitement discriminatoire inhérent à l’utilisation
des différents vaccins contre la covid-19 et rappelle que certains
États membres du Conseil de l’Europe ont restreint les libertés
des personnes non vaccinées. Se référant à la
Résolution 2383 (2021) de l’Assemblée, ainsi qu’à l’article 14 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), les
auteurs de la proposition soulignent que le «traitement préférentiel»
dont bénéficient les personnes vaccinées contre la covid-19 ne devrait
pas entraîner de «discrimination illégale» selon le type de vaccin
listé par l’OMS. Ils regrettent que certains États membres du Conseil
de l’Europe «[…] aient commencé à restreindre la liberté de circulation
de personnes ayant reçu des vaccins approuvés par l’OMS» et estiment
que «le fait d’imposer des restrictions aux personnes vaccinées
au moyen de vaccins approuvés par l’OMS ne se justifie ni objectivement ni
raisonnablement au sens de l’article 14 de la Convention». De telles
mesures «[…] portent atteinte à un juste équilibre entre la protection
de l’intérêt général et les droits et libertés individuels dans
la mesure où les personnes en question sont vaccinées» et n’ont
aucune raison d’être, puisque «selon l’OMS, les personnes qui se
sont vues administrer l’un des vaccins qu’elle a approuvés présentent
un risque nettement inférieur à celles qui ne sont pas vaccinées».
3. Se référant à la
Résolution 2338 (2020) de l’Assemblée «Les conséquences de la pandémie de covid-19
sur les droits de l’homme et l’État de droit
», les
auteurs de la proposition de résolution rappellent que, si les États
membres du Conseil de l’Europe ont pour obligation positive de protéger
la santé de leurs citoyens, les mesures imposées à cet égard «[…]
ne devraient pas être contraires aux dispositions de la Convention,
ni porter atteinte aux droits et aux libertés
des citoyens d’autres pays». Par conséquent, il est proposé
que l’Assemblée examine «les mesures disproportionnées qui restreignent
la liberté de circulation des personnes vaccinées au moyen des vaccins
approuvés par l’OMS et [suggère] des mesures pour garantir que les
droits des personnes concernées ne sont pas violés», conformément
à la Convention et aux autres instruments juridiques internationaux.
2. Les questions en jeu
4. Au sein de l’Assemblée, un
certain nombre de rapports, de résolutions et de recommandations
ont été adoptés sur divers aspects de la gestion de la crise sanitaire
liés à la covid-19, mais aucun ne porte spécifiquement sur la question
de la discrimination fondée sur les différents types de vaccins
contre le virus
. La plupart d’entre eux traitent
des principes généraux à respecter dans la gestion de la pandémie.
Par exemple, dans sa
Résolution
2338 (2020), l’Assemblée appelait les États membres du Conseil de
l’Europe à «veiller à ce que toutes les mesures de restriction des
droits de l’homme qui peuvent être prises pour faire face à une
urgence de santé publique soient prévues par la loi, nécessaires,
proportionnées et non discriminatoires […]».
5. La proposition de résolution commence par évoquer le traitement
différencié des personnes vaccinées contre la covid-19 et de celles
qui ne le sont pas. Elle s’intéresse ensuite à une éventuelle discrimination
entre les personnes vaccinées au moyen de différents vaccins listés
par l’OMS – sans préciser les types de vaccins – et aux restrictions
imposées à la liberté de circulation des citoyens d’autres pays.
Ces deux formes de traitement différencié sont étroitement liées
à la mise en place du «passe covid» ou, dans ce cas précis, du «passe
vaccinal».
6. En ce qui concerne la première question, celle de la discrimination
entre les personnes vaccinées contre la covid-19 et celles qui ne
le sont pas, elle a déjà été examinée en détail, notamment dans
la
Résolution 2383 (2021) de l’Assemblée
.
L’Assemblée y souligne que des mesures telles que la mise en place
d’un passe ou d’un certificat covid ne doivent être appliquées que
dans le respect des obligations positives qui découlent de la Convention
et seulement lorsqu'il existe des «preuves scientifiques claires
et bien établies» qu'elles réduisent le risque de transmission du
virus SRAS-CoV-2 «à un niveau acceptable du point de vue de la santé publique».
Alors que «la certification du statut vaccinal a des utilisations
médicales légitimes et précieuses», l'utilisation des passes covid
«(...) est lourde de complications juridiques et de droits de l'homme
(...)». De plus, «si les ‘pass’ covid servent à justifier l’application
d’un traitement privilégié, ils peuvent avoir un impact sur les droits
et libertés garantis» et que ce traitement privilégié pourrait constituer
une discrimination illégale.
7. La question de la discrimination fondée sur la vaccination
par différents types de vaccins contre la covid-19 n’a pas encore
été abordée par l’Assemblée. Ce problème est devenu d’autant plus
grave dans le contexte des politiques de l’Union européenne relatives
à la gestion de la pandémie de covid-19 et notamment à son certificat
Covid numérique, qui est censé faciliter la liberté de circulation
au sein de l’Union européenne mais impose également des restrictions
supplémentaires aux citoyens des Etats non-membres de l’Union européenne
lorsqu’ils voyagent ou jouissent de certains droits et libertés
fondamentaux. En raison de l’adoption du passe vaccinal par plusieurs
États européens (Allemagne, France, Italie et Lettonie) et des restrictions,
au moins temporaires, d’accès à de nombreux espaces publics (tels
que les bars, les restaurants ou les salles de spectacles), voire
aux transports publics (comme les TGV en France), qui en découlent, certaines
personnes qui voyageaient, séjournaient provisoirement ou dans ces
pays n’ont pas pu accéder à ces lieux et/ou moyens de transport.
Cette situation pose plusieurs questions au titre de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), notamment
en ce qui concerne la jouissance du droit au respect de la vie privée
(article 8 de la Convention), du droit à la liberté de réunion (article 11
de la Convention) et du droit à la liberté de circulation (article 2
du Protocole no 4 à la Convention, STE
no 46).
8. La proposition de résolution soulève plusieurs questions –
juridiques et scientifiques – complexes. Certains de ces problèmes
étant nouveaux, je me concentrerai d'abord sur les questions liées
aux vaccins listés par l'OMS et aux politiques de l'Union européenne
concernant l'approbation des vaccins. Je m'intéresserai ensuite
à la couverture vaccinale et à la portée de l’obligation directe
ou indirecte de se faire vacciner contre la covid 19, à la vaccination
obligatoire et à l'utilisation du passe covid ou vaccinal. Je m’appuierai
pour cela sur les travaux antérieurs de l'Assemblée concernant la
pandémie de covid-19 et sur les informations fournies par les délégations
parlementaires en réponse aux questionnaires envoyés par le CERPD.
En outre, l'accent sera également mis sur les restrictions à la
liberté de circulation au sein de l'Union européenne et à l'entrée
dans l'Union européenne et sur le certificat Covid numérique de
l'Union européenne. J’évoquerai ensuite la notion de non-discrimination
en droit international des droits de l’homme, ainsi que la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme sur la vaccination obligatoire.
Enfin, je me pencherai sur les travaux de l'OMS concernant un nouvel
instrument international de préparation et de réponse aux pandémies
(annoncé par son Directeur général dans son discours du 12 avril
2022)
.
3. Les
vaccins contre la covid-19 approuvés par l’AEM et listés par l’OMS
9. Les questions liées à la mise
au point des vaccins contre la covid-19 ont déjà été examinées dans
le rapport de la commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable intitulé «Vaccins contre la Covid-19:
considérations éthiques, juridiques et pratiques» (qui a donné lieu
à l’adoption de la
Résolution
2361 (2021) . Comme le souligne ce rapport,
avant qu’un vaccin ne soit approuvé, son développeur doit le soumettre
à des essais rigoureux, puis les autorités réglementaires doivent
procéder à son évaluation scientifique. S’agissant des États membres
de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, il peut
s’agir, en premier, de l’Agence européenne des médicaments (AEM)
et d’autres autorités réglementaires européennes, après quoi les
autorités nationales compétentes peuvent décider de l’introduction
dans les systèmes de santé nationaux du vaccin nouvellement approuvé
et des politiques de vaccination.
10. En ce qui concerne les vaccins contre la covid-19 autorisés
dans l’Union européenne, tous ont reçu une
autorisation de mise sur le marché conditionnelle délivrée par la
Commission européenne à l’issue de l’évaluation scientifique de
l’AEM, valable un an et renouvelable. Les entreprises qui commercialisent
les vaccins doivent demander le renouvellement de leur autorisation.
Le processus de renouvellement peut prendre jusqu'à six mois, en
comptant jusqu'à 90 jours pour l'évaluation de l'AEM
.
11. Les six vaccins suivants ont été autorisés de manière conditionnelle
dans l'Union européenne: Comirnaty (développé par Pfizer et BioNTech;
BioNTech Manufacturing GmbH), Jcovden (précédemment Covid-19 Vaccine
Janssen) (Janssen-Cilag International NV), Nuvaxovid (Novavax CZ,
a.s.), Spikevax (précédemment COVID-19 Vaccine Moderna) (Moderna
Biotech Spain S. L.), Vaxzevria (anciennement COVID-19 Vaccine AstraZeneca)
(AstraZeneca AB) et COVID-19 Vaccine (inactivé, avec adjuvant) Valneva (Valneva
Austria GmbH) (qui a été autorisé de manière conditionnelle le 24
juin 2022)
. Vidprevtyn (Sanofi Pasteur) est
en cours d'évaluation.
12. L’autorisation de mise sur le marché donnée par l’AEM est
différente de la procédure d’inscription sur la liste d’utilisation
d’urgence de l’OMS, qui est «une procédure basée sur les risques
pour évaluer et répertorier des vaccins, des traitements et des
outils de diagnostic in vitro non homologués dans le but d’accélérer
la disponibilité de ces produits pour les populations touchées par
une urgence de santé publique
». Il s'agit d'un outil essentiel
pour les entreprises qui souhaitent soumettre leurs produits pour
une utilisation en cas d'urgence sanitaire. Les critères suivants
doivent être remplis (pour les vaccins): la maladie pour laquelle
le produit est destiné est grave ou met immédiatement la vie en
danger, a le potentiel de provoquer une flambée épidémique, une
épidémie ou une pandémie; les produits existants n'ont pas réussi
à éradiquer la maladie ou à prévenir les épidémies; le produit est
fabriqué dans le respect des bonnes pratiques de fabrication en
vigueur. En outre, l’entreprise candidate doit s’engager à achever
le développement du produit et à demander la préqualification de
l’OMS une fois le produit homologué. Une demande d’inscription sur
la liste d’utilisation d’urgence doit suivre le format technique
commun du Conseil international pour l'harmonisation des exigences
techniques relatives aux produits pharmaceutiques à usage humain;
le fabricant de vaccins doit soumettre à l'OMS un certain nombre
de données (qualité de fabrication, données non cliniques et cliniques,
plan de surveillance de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité
et détails de l'étiquetage). L’autorisation d’utilisation d’urgence s'accompagne
d'une série de recommandations auxquelles le fabricant doit se conformer.
L'OMS se réserve le droit de restreindre ou de révoquer la licence
européenne d'un produit vaccinal si un problème de qualité/sécurité
n'a pas été ou ne peut pas être résolu à sa satisfaction
. Un groupe
consultatif indépendant composé de six membres – le Groupe consultatif
technique pour la liste des utilisations d'urgence (TAG-EUL) – assiste l'OMS
dans le processus d’autorisation d’utilisation d’urgence.
13. Il existe actuellement onze vaccins contre la Covid-19 recommandés
par l’OMS dans le cadre du protocole EUL: Comirnaty(Pfizer-BioNTech),
Vaxzevria (AstraZeneca), Covishield (Serum Institute of India Pvt.
Ltd), Ad26.COV2.S (Janssen-Cilag International NV), mRNA-1273 (Moderna
Biotech), SARS-CoV-2 Vaccine (Cellule Vero), Inactivated (InCoV)
(Sinopharm/Beijing Institute of Biological Products Co, Ltd), COVID-19
Vaccine (Cellule Vero), Inactivated/CoronaVac (Sinovac, Life Sciences
Co., Ltd.), SARS-CoV-2 Vaccine Inactivated (Cellule Vero)/COVAXIN
(Bharat Biotech, Inde) (néanmoins, l’approvisionnement de ce vaccin
a été suspendu), NVX-CoV2373/Covovax (Serum Institute of India Pvt.
Ltd), NVX-CoV2373/Nuvaxovid (Novavax) et Ad5-nCoV (CanSinoBIO)
. Cinq d'entre eux ont également été
approuvés par l'AEM. Le vaccin russe Sputnik V, les vaccins Sanofi
et Valneva sont encore en cours d'évaluation
.
14. Les recommandations émises par l’OMS dans le cadre du protocole
d’utilisation d’urgence ne constituent pas des autorisations de
mise sur le marché, mais sont destinées à favoriser la disponibilité
et l’utilisation temporaires des produits concernés dans des situations
d’urgence. Chaque État membre de l’OMS peut autoriser l’utilisation
d’urgence d’un produit dans le cadre de ce protocole sur son territoire
. L’autorisation de mise sur le marché
de l’Union européenne offre un cadre réglementaire post-autorisation solide,
fondé sur des obligations, des garanties et des contrôles juridiquement
contraignants. Néanmoins, il n'y a pas de justification objective
pour restreindre, au sein de l'Union européenne, la liberté de circulation
des personnes vaccinées avec des vaccins listés uniquement dans
le cadre de ce protocole. Les processus de l'AEM et de l'OMS sont
rigoureux et garantissent que les vaccins approuvés sont conformes
aux normes internationales en matière de qualité, de sécurité et
d'efficacité.
4. Les
passes covid et les certificats de vaccination
15. À plusieurs reprises, les organes
et instances du Conseil de l’Europe ont exprimé des objections quant à
l’utilisation de «passes» ou de «certificats de vaccination». Dans
son document d’information du 31 mars 2021
,
la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović
Burić, a rappelé les normes pertinentes en matière de respect des
droits de l’homme pour aborder la question du «certificat de vaccination» –
ce document qui apporte la preuve de l’administration d’un vaccin
à la personne pour laquelle il est établi. Reconnaissant que l’usage
de tels certificats à des fins médicales et de voyage n’était pas
nouveau, elle a déclaré soutenir les travaux engagés dans ce contexte
pour permettre une harmonisation de ces certificats aux niveaux
européen et international. Toutefois, elle a ajouté que leur utilisation
devait être envisagée avec «la plus grande prudence» s’ils servaient
des objectifs autres que strictement médicaux, par exemple donner
aux individus un accès exclusif à des droits, services ou lieux
publics, et qu'ils soulevaient de nombreuses questions relatives
aux droits de l’homme (risque de discrimination en matière de liberté
de circulation, droit au respect de la vie privée et familiale,
droit à la liberté de réunion ou droit à la liberté de religion).
Leur utilisation à des fins non médicales pose également problème
en matière de protection des données à caractère personnel. Ces
préoccupations ont également été soulevées par le Comité consultatif
de la Convention 108 sur la protection des données (T-PD) du Conseil
de l’Europe dans sa déclaration «Vaccination, attestations covid-19
et protection des données» du 3 mai 2021
et le Comité de bioéthique
du Conseil de l'Europe (DH-BIO) dans sa «Déclaration sur les considérations
relatives aux droits de l'homme concernant le «pass vaccinal» et
les documents similaires» du 4 mai 2021, qui a également été approuvée
par la Conférence des OING du Conseil de l’Europe
.
16. Dans sa
Résolution
2383 (2021), l’Assemblée a considéré que l’utilisation d’un «pass»
covid pouvait permettre un «traitement privilégié» qui «[…] peut
constituer une discrimination illégale au sens de l’article 14 de
la Convention s’il est dépourvu de justification objective et raisonnable.
Cette justification suppose que la mesure concernée i) poursuive
un but légitime et ii) soit proportionnée. La proportionnalité exige
un juste équilibre entre la protection des intérêts de la collectivité
(le but légitime) et le respect des droits et libertés de toute
personne». Toutefois, les restrictions imposées aux droits et libertés
ne se justifient plus pour l’intéressé dès lors que l’existence
d’un risque de transmission du virus SRAS-CoV-2 est nettement plus
faible, indépendamment de la situation d’autrui. L’Assemblée a par
ailleurs précisé que «[le] caractère objectif et raisonnable de
la justification d’un traitement différencié [dépendait] de la nature
du droit ou de la liberté en question, et de la gravité de l’ingérence».
Par conséquent, elle a appelé les États membres du Conseil de l’Europe
à «[…] instaurer des systèmes de «pass» covid uniquement lorsqu’il
est clairement et scientifiquement établi que ces systèmes réduisent
le risque de transmission du virus SARS-CoV-2 à un niveau acceptable
en termes de santé publique» et à éviter toute discrimination une
fois ces systèmes instaurés, en particulier en tenant dûment compte
de «l’efficacité relative des différents vaccins et programmes de
vaccination» dans la prévention de la transmission de la maladie.
17. De même, dans sa
Résolution
2424 (2022) «Vaincre la covid-19 par des mesures de santé publique
», l’Assemblée a appelé les États
membres du Conseil de l’Europe à utiliser «les certificats de vaccination uniquement
dans le but désigné de surveiller l’efficacité du vaccin, les effets
secondaires potentiels et les effets indésirables […]». Elle leur
a également demandé d’éviter toute discrimination entre les pays
et en leur sein pour la distribution équitable des vaccins et, en
particulier, de reconnaître mutuellement les certificats de vaccination
émis par les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que les
certificats de vaccination de tous les vaccins listés par l’OMS.
18. En ce qui concerne les pratiques nationales, je n'ai pas abordé
la question des passes covid-19 dans mon questionnaire envoyé au
CERPD, car cette question avait déjà été prise en compte par deux
demandes similaires déposées par le Parlement italien et la Knesset
(Israël), respectivement en juillet et en septembre (CERPD 4811
– Utilisation du passe vert pour accéder aux espaces publics et
CERPD 4843 – Passe vert covid-19 pour accéder à des lieux spécifiques).
En réponse à ces deux questionnaires, 11 des 30 États membres du
Conseil de l'Europe qui ont répondu entre juillet et septembre 2021
(Autriche, Chypre, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Lettonie,
Luxembourg, Portugal et Slovénie)
ont
indiqué que l'accès à certains lieux tels que les gymnases et les
installations sportives, les restaurants et les bars, les établissements culturels
en salle, les installations de loisirs et autres espaces publics
était soumis à l'obligation de présenter le certificat Covid numérique
de l'Union Européenne. À Chypre, cette obligation existait également
pour les transports publics. Certains pays ont par ailleurs exigé
le certificat Covid numérique de l'Union Européenne pour les activités
liées au tourisme, comme les hôtels et autres types d'hébergement
(Autriche, République tchèque, Allemagne, Slovénie et les îles Canaries
en Espagne) ou le transport lors d'excursions (Autriche). Seize
États membres du Conseil de l'Europe ont indiqué que le certificat
Covid numérique de l'Union Européenne n’était pas nécessaire pour
accéder à ces lieux (Albanie, Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie,
Finlande, Géorgie, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie,
République slovaque, Suède et Royaume-Uni). Les restrictions liées
à l'utilisation des passes covid-19 ont été limitées dans le temps et
ont été régulièrement réexaminées par les parlements nationaux en
fonction de l'évaluation de la situation épidémiologique et du taux
de vaccination.
19. Comme l'a souligné Mme Lefeuvre
lors de l'audition de la commission qui a eu lieu en mai 2022, l'exemple
de la France est caractéristique du contexte de la lutte contre
la pandémie de covid-19. La loi du 5 août 2021 relative à la gestion
de la crise sanitaire avait rendu obligatoire la possession d'un
«pass sanitaire» pour exercer certaines activités. Le Médiateur
français avait souligné que cette mesure était discriminatoire en l’absence
d'égalité dans l'accès à la vaccination. En outre, le Comité consultatif
national d'éthique avait insisté sur la nécessité de veiller à la
proportionnalité de cette mesure en évoquant la question de l'existence
de preuves scientifiques de l'efficacité du passe, les alternatives
à la vaccination et la question de la transmission du SRAS-CoV-2.
Il avait également souligné le manque d'égalité entre les personnes
vaccinées et celles qui ne le sont pas. Si le passe sanitaire devait
être mis en place, il faudrait prévoir des solutions alternatives;
sinon, il s'agirait d'une forme déguisée de vaccination obligatoire,
surtout si les tests de dépistage de la covid-19 ne sont plus remboursés.
Le Conseil constitutionnel a validé le passe sanitaire sous certaines
conditions. Il a également validé la loi du 22 janvier 2022 sur
les passes vaccinaux, tout en rejetant deux de ses dispositions sur
l'accès aux réunions politiques et les mesures prises par les personnes
chargées de vérifier les passes vaccinaux. La Défenseure des droits
a critiqué l’absence de proportionnalité de la mise en place des
passes vaccinaux pour les enfants non-vaccinés et les risques de
violations du secret médical.
5. La
vaccination obligatoire et le droit à la santé
20. La garantie d’une bonne santé
publique, et donc d’une couverture vaccinale élevée, par l’utilisation
de vaccins relève de divers instruments internationaux relatifs
aux droits de l’homme. L’article 12.1, du
Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels reconnaît que toute personne a le droit de jouir du
meilleur état de santé physique et mentale qu’elle est capable d’atteindre.
Plus précisément, il incombe aux États de prendre les mesures nécessaires
pour assurer la pleine réalisation de ce droit par la prévention,
le traitement et le contrôle des maladies épidémiques, endémiques,
professionnelles et autres (article 12.2.c du Pacte international).
De même, l’article 11 de la Charte sociale européenne révisée (STE
no 163) garantit le droit à la protection
de la santé et appelle les États parties à cette Convention à prendre,
soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques
et privées, des mesures visant à «prévenir, dans la mesure du possible,
les maladies épidémiques, endémiques et autres […]» (paragraphe 3
de cet article).
21. Par ailleurs, la Convention de 1997 pour la protection des
droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des
applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les
droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo»)
, seul instrument juridique international
contraignant pour la protection des droits de l’homme dans le domaine
biomédical, consacre le principe de «l’accès équitable à des soins
de santé de qualité appropriée» (article 3), en tenant compte des
besoins de santé et des ressources disponibles. Elle énonce en outre
clairement que les interventions dans le domaine de la santé ne
peuvent être effectuées qu’avec le consentement libre et éclairé
de la personne concernée, que «cette personne reçoit au préalable
une information appropriée sur le but et la nature de l'intervention
ainsi que sur ses conséquences et ses risques» et qu'elle peut librement
retirer son consentement à tout moment. (article 5). De plus, «toute personne
a droit au respect de sa vie privée s’agissant des informations
relatives à sa santé» (article 10.1) et «toute personne a le droit
de connaître toute information recueillie sur sa santé» (article 10.2).
Néanmoins, ces droits peuvent faire l’objet de restrictions «prévues
par la loi» et «nécessaires dans une société démocratique», notamment
«à la protection de la santé publique ou à la protection des droits
et libertés d’autrui» (article 26.1).
22. En vertu de la Convention européenne des droits de l’homme,
les États parties à la Convention ont l’obligation positive de prendre
les mesures appropriées pour protéger la vie et la santé des personnes
relevant de leur juridiction, en particulier au regard de l’article 2
de la Convention, qui consacre le droit à la vie, et de son article 8,
qui consacre le droit au respect de la vie privée
.
La vaccination obligatoire contre la covid-19 pose un problème pour
le respect de certains droits et libertés fondamentaux, notamment
le droit au respect de la vie privée (article 8 de la Convention).
23. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà examiné des
affaires qui portaient sur la vaccination obligatoire – dans un
autre contexte que celui de la pandémie de covid-19. Elle a souligné
que la vaccination obligatoire – en tant que traitement médical
involontaire – constitue une ingérence dans le droit au respect
de la vie privée, qui inclut l'intégrité physique et psychologique
de la personne, tel que garanti par l'article 8.1 de la Convention
. Dans son
arrêt de Grande Chambre
Vavřička et
autres c. République tchèque (2021),
la Cour a confirmé que les questions liées aux politiques de la
santé, dont la vaccination obligatoire des enfants, relèvent de
l’importante marge d’appréciation des autorités nationales. Elle
a estimé que l’obligation de vacciner les enfants contre une série
de maladies pour entrer à l’école maternelle ne violait pas la Convention, car
elle ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans les
droits en cause – les enfants n’ont simplement pas été admis à l’école
maternelle et les sanctions infligées aux parents n’étaient pas
excessives. La Cour s’est ralliée à l’argument des autorités tchèques
selon lequel l’objectif de la législation pertinente, c’est-à-dire
la protection contre les maladies susceptibles de faire peser un
risque grave sur la santé, était un «but légitime», puisqu’il concerne
aussi bien les personnes qui reçoivent les vaccins en question que
celles qui ne peuvent pas se faire vacciner et se trouvent donc
dans une situation de vulnérabilité. De plus, la Cour a souligné
l’importance de la solidarité sociale en privilégiant les intérêts
de ceux qui ne peuvent compter que sur l’immunité collective.
24. Les programmes nationaux de vaccination imposant la vaccination
obligatoire peuvent violer d'autres droits consacrés par la Convention,
tels que la liberté de pensée, de conscience et de religion (article
9 de la Convention) – si le demandeur est hostile à la vaccination
obligatoire pour des motifs religieux ou autres, le droit à l'éducation
(article 2 du Protocole additionnel à la Convention) – si la vaccination
est requise pour l’accès des enfants aux établissements scolaires,
le droit à la propriété (article 1er du
Protocole additionnel) – si elle est exigée pour la poursuite des
activités professionnelles, ou le droit au respect de la vie privée
(article 8 de la Convention), lorsque des questions de protection
des données sont en jeu
.
25. L’Assemblée a, dans sa
Résolution
2361 (2021), appelé les États membres du Conseil de l’Europe à garantir
un niveau élevé d’acceptation des vaccins, elle les a invités à
«s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination
n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales
ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le
faire personnellement». Elle n’a donc pas recommandé de vaccination
obligatoire contre la Covid-19
. L’Assemblée a par ailleurs
appelé les États membres à «veiller à ce que personne ne soit victime
de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques
potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner».
Dans sa
Résolution 2383
(2021), l’Assemblée a reconnu que si la vaccination représentait
une mesure de santé publique essentielle pour protéger la vie et
la santé des populations, elle ne suffisait pas à elle seule
.
26. Plus récemment, dans sa
Résolution
2424 (2022), l'Assemblée a appelé les Etats membres à «encourager
les vaccinations» et cela «d’une manière conforme aux droits de
l’homme». Elle appelait également à légiférer sur «l’obligation
vaccinale pour le personnel de santé ou de soins sociaux» en contact avec
des «personnes très vulnérables» et à «engager un débat public sur
la possibilité de légiférer en vue de rendre obligatoire la vaccination
des groupes spécifiques ou de l’ensemble de la population», sans
toutefois prendre en compte les personnes qui, pour des raisons
médicales, ne doivent pas se faire vacciner ou, pour l'instant,
les enfants. Dans sa
Résolution
2455 (2022) «Lutter contre les maladies évitables par la vaccination par
le biais de services de qualité et par la démystification des discours
antivaccin», l'Assemblée a déclaré que «s’attaquer à la couverture
vaccinale insuffisante est une question qui relève de la protection
des droits humains et qui devrait constituer une priorité pour les
États membres du Conseil de l’Europe»; elle a également appelé les
États membres du Conseil de l'Europe à élaborer «des stratégies
de vaccination globales, prospectives, volontaristes et conformes
aux droits humains
». En faisant cela, les
Etats membres doivent assurer que «la vaccination obligatoire n'est
envisagée qu'en dernier recours, lorsqu'elle est nécessaire à la réalisation
d'un objectif légitime, qu'elle est prévue par la loi et qu'elle
est proportionnée; son introduction fait l'objet d'un débat public,
d'un examen parlementaire et d'un contrôle judiciaire; et les mesures
moins contraignantes sont privilégiées lorsqu'elles sont réalisables».
27. En ce qui concerne les pratiques nationales, je n'ai pas abordé
la question de la vaccination obligatoire contre la covid-19 dans
mon questionnaire envoyé au CERPD, car cette question avait précédemment
été visée par une demande similaire déposée par le Parlement de
la République tchèque en décembre 2021 (ECPRD 4929 – Vaccination
obligatoire)
.
Sur les 24 États membres du Conseil de l'Europe dont les parlements
ont répondu à ce questionnaire entre octobre et décembre 2021
,
aucun Etat membre n'a introduit la vaccination obligatoire par voie
législative ou par décret. Toutefois, sept pays (Autriche, France,
Allemagne, Grèce, Hongrie, Lettonie et Pologne) ont engagé des débats
sur cette question de manière générale (notamment l'Autriche, qui
a adopté une loi qui n’est pas encore applicable à cet égard) ou
pour certaines professions (Pologne). Cinq pays avaient déjà imposé
la vaccination obligatoire dans certaines professions (France, Allemagne,
Grèce, Hongrie et Lettonie). Dix-sept pays sur vingt-quatre n'ont
pas adopté de législation ou de décret à cet effet.
28. Lors de l'audition tenue en mai, Mme Lefeuvre
a souligné que des études de droit comparé indiquaient que la priorité
dans la vaccination contre la covid-19 devrait être accordée aux
personnes vulnérables et que plusieurs États membres du Conseil
de l'Europe, dont la France, avaient fondé leurs stratégies de lutte
contre la pandémie sur la très restrictive approche italienne. En
décembre 2021, le Comité consultatif national d'éthique français
a exprimé son opposition à la vaccination obligatoire pour l'ensemble
de la population, estimant qu'il y avait trop d'incertitudes quant
à son efficacité et les effets secondaires des vaccins disponibles. Il
a souligné que toute vaccination obligatoire portait atteinte aux
libertés individuelles et ne pouvait être imposée que dans des cas
très précis, en tenant compte de la gravité de l'infection, des
avantages de la vaccination pour la population et des risques qui
y sont liés. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, elle ne
pourrait être qu'une mesure de dernier recours dans une situation
de pandémie non contrôlée et avec l'utilisation de vaccins à l'efficacité
prouvée et dont les effets secondaires sont connus. En mars 2021,
le Comité consultatif national d'éthique avait pris position en
faveur de la vaccination obligatoire du personnel de santé et médico-social,
en leur demandant de faire preuve de responsabilité et solidarité
dans l'exercice de leur profession et en s’appuyant sur le principe
de non-malfaisance (c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas mettre en
danger d'autres personnes). Il a souligné qu'une telle obligation
devait s'accompagner d'un accès égal aux vaccins et de données non
contradictoires concernant leur efficacité et leurs effets secondaires
et que des mesures de sensibilisation étaient encore nécessaires
à cet égard. Si le personnel de santé et médico-social faisait preuve
d'une approche proactive, cela pourrait motiver la population générale
à se faire vacciner et augmenter l'immunité de groupe.
6. Le
certificat COVID numérique de l’UE
29. Le 14 juin 2021, l’Union européenne
a adopté le Règlement 2021/953 établissant le certificat Covid numérique
de l’UE pendant la pandémie
.
Le certificat Covid numérique de l'UE est délivré gratuitement par les
autorités nationales et est disponible en format numérique ou papier
comprenant un code QR. Il certifie qu'une personne a été vaccinée
contre la covid-19, qu'elle a obtenu récemment un résultat négatif
ou qu'elle s’est rétablie après une infection.
30. Le Règlement 2021/953 établit un cadre commun pour la délivrance,
la vérification et l'acceptation de certificats interopérables de
vaccination contre la covid-19, de certificats de test ou de rétablissement
destinés à faciliter la libre circulation des citoyens de l'Union
et des membres de leur famille pendant la pandémie de covid-19 (articles
3 à 6)
et vise à lever progressivement
et de manière coordonnée les restrictions à la libre circulation
.
Ce règlement n'impose pas aux États membres de l'Union européenne
de mettre en place des limitations au droit à la libre circulation
.Il
précise également qu'il ne peut être interprété comme établissant un
droit ou une obligation de se faire vacciner
.Il
ne s'agit pas d'un «passe vaccinal», car il couvre également les
certificats de test et de rétablissement. Sachant que le règlement
permet aux pays non européens qui le souhaitent de se connecter
au système de certificats Covid numériques de l'UE, ces certificats
peuvent être considérés comme équivalents
. Jusqu'à présent, 48 États qui
ne sont pas membres de l'Union européenne, dont 17 États membres
du Conseil de l'Europe (Albanie, Andorre, Arménie, Géorgie, Islande,
Liechtenstein, République de Moldova, Monaco, Monténégro, Macédoine
du Nord, Norvège, Saint-Marin, Serbie, Suisse, Türkiye, Ukraine
et Royaume-Uni et dépendances de la Couronne), se sont connectés
.
31. Les États membres de l'Union européenne qui acceptent une
preuve de vaccination afin de lever les restrictions à la libre
circulation mises en place pour limiter la propagation du SRAS-CoV-2
sont dans l'obligation d'accepter, dans les mêmes conditions, les
certificats de vaccination délivrés par d'autres États membres pour
un vaccin autorisé de manière centralisée au niveau de l'Union européenne
(conformément à l'article 5, paragraphe 5, du règlement), étant
donné que les autorisations conditionnelles de mise sur le marché
de ce vaccin, y compris l'évaluation de la qualité, de la sécurité
et de l’efficacité du médicament concerné sur laquelle ces autorisations
conditionnelles se fondent, sont valables dans tous les États membres de
l'Union européenne
.
32. En outre, les États membres de l'Union européenne peuvent,
dans le même but, accepter des certificats pour un vaccin covid-19
qui a suivi la procédure d’autorisation d’utilisation d’urgence
de l'OMS. Le considérant 34 du règlement souligne à cet égard que
les États membres de l'Union européenne sont «notamment encouragés»
à accepter les certificats de vaccination émis pour ces vaccins,
«afin de soutenir les travaux de l’OMS et d’œuvrer en faveur d’une
meilleure interopérabilité à l’échelle mondiale». Par ailleurs,
si un certificat de vaccination a été délivré dans un pays tiers
pour un vaccin listé par l’OMS et que les autorités d’un État membre
ont reçu toutes les informations nécessaires, ces autorités peuvent,
sur demande, délivrer à la personne concernée un certificat de vaccination,
à moins que ce vaccin soit interdit d’utilisation sur son territoire
(article 8.1). Ainsi, les critères d’acceptabilité en matière de
libre circulation sont vastes et peuvent inclure des vaccins de
la liste de l’OMS qui n’ont pas nécessairement été soumis au processus
d’autorisation conditionnelle de l’AEM. Les informations sur les
vaccins contre la covid-19 qui ne sont pas autorisés dans l'Union
européenne sont publiées en ligne et montrent que de nombreux États
membres de l'Union européenne acceptent tout ou partie des vaccins
présentés par l'OMS (notamment le Covishield, le vaccin Sinopharm,
le CoronaVac, le COVAXIN et le COVOVAX)
. Ce
point est également corroboré par les réponses fournies par certains
États membres de l'Union européenne au questionnaire que j'avais
envoyé par l'intermédiaire du CERPD et qui sont résumées dans l'annexe
au présent rapport
.
33. Les États membres de l'Union européenne sont également convenus
d'autoriser, à compter du 1er mars 2022,
les voyages non essentiels à destination de l'Union européenne pour
les personnes vaccinées avec des vaccins approuvés par l'UE ou ayant
achevé la procédure d’utilisation d’urgence de l'OMS
. Toutefois, ces personnes
peuvent être soumises à des exigences supplémentaires, notamment
des tests, une mise en quarantaine ou l'administration d'un vaccin
autorisé de manière conditionnelle par l'Union européenne.
34. Il importe par ailleurs de souligner que l’article 11.1, de
ce règlement reconnaît aux États membres de l’UE la compétence d’imposer
des restrictions à la libre circulation pour des motifs de santé
publique. Il dispose que les États membres peuvent imposer des restrictions
supplémentaires à la libre circulation (comme des tests supplémentaires
de dépistage de l’infection par le SARS-CoV-2, une quarantaine ou
un autoconfinement) – en plus de la détention d’un certificat Covid-19
valide – si «[ces restrictions] sont nécessaires et proportionnées
aux fins de préserver la santé publique» en réponse à la pandémie,
«en tenant également compte des preuves scientifiques disponibles».
Ces mesures supplémentaires ont été prises, par exemple, pour faire
face à l'apparition du variant préoccupant «Omicron» et comprenaient
principalement des tests avant le départ ou après l'arrivée
.
35. Le règlement porte sur l'utilisation des certificats permettant
de voyager à l’intérieur de l'UE pendant la pandémie de covid-19.
Il ne prescrit ni n'interdit l'utilisation des certificats covid-19
à des fins nationales, notamment la réglementation de l'accès à
des événements, aux restaurants, aux salles de sport, aux transports
publics ou aux lieux de travail. Les États membres de l'Union européenne
qui décident d'utiliser le certificat Covid numérique de l'Union
européenne à d'autres fins doivent le prévoir dans leur législation
interne, qui doit notamment respecter les obligations en matière
de protection des données
. Il faudrait également veiller,
dans ce cas, à ce que le certificat Covid numérique de l’Union européenne
puisse également être utilisé
. Les États membres
sont libres de fixer leurs propres dispositions et conditions d'acceptation
de ces certificats. Notons à cet égard qu’il existe des divergences
dans leurs pratiques, notamment sur la durée de validité pour un
usage national
.
36. Le règlement 2021/953 stipule qu’il «respecte les droits fondamentaux
et observe les principes reconnus notamment par la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne, en particulier le droit au respect
de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données
à caractère personnel, le droit à l’égalité devant la loi et le
droit à la non-discrimination, la liberté de circulation et le droit
à un recours effectif»; lors de sa mise en œuvre, les États membres
de l'Union européenne sont tenus de respecter la Charte
.
37. Au 1er mars 2022, les États membres
de l'Union européenne avaient délivré plus de 1,72 milliard de certificats
Covid numérique de l’Union européenne, soit 1,15 milliard de certificats
de vaccination, 511 millions de certificats de test et 55 millions
de certificats de rétablissement
. Le certificat est utilisé depuis le 1er juillet 2021
et a récemment été prolongé jusqu'à la fin du mois de juin 2023,
suite à une décision prise en commun par le Parlement européen et
le Conseil de l'Union européenne; les États membres de l'Union européenne devraient
s'abstenir d'imposer de nouvelles restrictions à la libre circulation
des titulaires du certificat. Le considérant 58 du règlement 2021/953
indique à cet égard que les restrictions imposées en relation avec
la pandémie de covid-19 devraient être levées «dès que la situation
épidémiologique le permet». En outre, la Commission européenne encourage
les États membres de l'Union européenne à lever l'obligation de présenter
le certificat dans les mêmes circonstances
.
Elle a également souligné que le certificat a eu «une incidence
très positive sur la libre circulation à un moment où les États
membres continu[aient] de limiter les déplacements pour des raisons
de santé publique» et a contribué à éviter un «système fragmenté
de certificats nationaux multiples
».
7. La
non-discrimination en droit international relatif à la protection
des droits de l’homme
38. L’article 26 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques dispose que «[t]outes les personnes
[...] ont droit sans discrimination à une égale protection de la
loi» et que «[…] la loi doit interdire toute discrimination et garantir
à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment
de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion
politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale,
de fortune, de naissance ou de toute
autre situation».
39. La Convention européenne des droits de l’homme contient également
une disposition relative à la non-discrimination (article 14)
,
mais uniquement en ce qui concerne la jouissance des droits et libertés
reconnus par la Convention. La liste des motifs de discrimination
proscrits n’est pas exhaustive, puisque l’article 14 interdit la
discrimination fondée sur «toute autre situation»
, et peut être précisée
au cas par cas. En vertu de la Convention, la protection contre
la discrimination s’applique à toute personne relevant de la juridiction
d’un État partie (article 1).
40. Par conséquent, la Cour européenne des droits de l’homme peut
uniquement traiter le droit à la non-discrimination au titre de
droit subsidiaire, c’est-à-dire seulement en lien avec d’autres
droits matériels garantis par la Convention (comme le droit à la
vie, le droit au respect de la vie privée et familiale ou la liberté
de pensée, de conscience et de religion). La Cour n’est pas compétente
pour examiner les requêtes pour discrimination qui concernent des
droits non protégés par la Convention, mais elle peut constater
une violation de l’article 14 même lorsqu’elle ne conclut pas à
une violation du droit matériel
.
41. Selon la jurisprudence de la Cour, l’État ne peut traiter
différemment des personnes dans des situations analogues en substance
sans justification objective et raisonnable. Il bénéficie d’une
certaine marge d’appréciation lorsqu’il évalue si les différences
qui existent justifient un traitement différent et dans quelle mesure;
cependant, l’inégalité de traitement doit poursuivre un but légitime
et respecter le critère de proportionnalité raisonnable
.
Par ailleurs, le fait de ne pas appliquer un traitement différent,
sans justification objective et raisonnable, à des personnes dont
les situations sont sensiblement différentes peut aussi être contraire
au principe de non-discrimination
. La Cour peut également conclure
à une violation de l’article 14 en cas de discrimination indirecte
(c’est-à-dire lorsqu’une législation ou une pratique apparemment
neutre donne lieu à un effet préjudiciable disproportionné et injustifié
à l’égard d’un groupe en particulier)
.
42. En outre, l’article 1.1 du Protocole no 12
à la Convention (STE no 177) introduit
une interdiction générale de la discrimination dans la jouissance
de «tout droit prévu par la loi» (et donc pas seulement de ceux
que consacre l’article 14 de la Convention). Cette interdiction
s’applique à tous les actes des autorités publiques (paragraphe 2).
Jusqu’à présent, l’application de ce Protocole est restée limitée,
puisque seuls 20 États parties à la Convention l’ont ratifié
.
8. Les
requêtes pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme
43. La question des éventuelles
atteintes à certains droits de l’homme et libertés fondamentales
durant la crise sanitaire liée à la covid-19 a déjà été portée devant
la Cour, qui a communiqué aux États parties à la Convention un certain
nombre d’affaires à ce sujet
. Néanmoins, la Cour ne s’est pas
encore prononcée sur les questions de la vaccination obligatoire
contre la covid-19, de l’utilisation des passes covid ou du traitement discriminatoire
lié à ces deux questions. La requête soumise par un maître de conférences
français qui se plaignait du «passe sanitaire» institué en France
en 2021 et avait incité d’autres personnes à introduire des requêtes
similaires devant la Cour a été déclarée non recevable par la Cour,
principalement pour non-épuisement des voies de recours internes
et pour abus du droit à la requête individuelle (article 35.1 et
35.3 de la Convention)
.
En conséquence, la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond de la
requête. Toutefois, une autre requête contre la France est pendante
devant la Cour et a été communiquée aux autorités françaises, qui
concerne la vaccination obligatoire contre la covid-19 imposée aux
sapeurs-pompiers
. Le requérant
se plaint d'être soumis à une obligation vaccinale liée à la profession
et également que son refus de se faire vacciner contre la covid-19
a entraîné, depuis le 15 septembre 2021, la suspension de son activité professionnelle
et l'arrêt total du versement de son salaire. La Cour a communiqué
cette affaire au Gouvernement français en vertu des articles 8 (droit
au respect de la vie privée) et 14 (interdiction de la discrimination)
de la Convention et de l'article 1 (protection de la propriété)
du Protocole additionnel à la Convention.
9. Conclusions
44. La mise en place de «passes
vaccinaux» ou, dans une certaine mesure, de passes covid (en particulier, lorsque
l'accès aux tests de dépistage de la covid-19 est trop coûteux)
peut être considérée comme une obligation vaccinale indirecte. Comme
nous l’avons expliqué plus haut, les instruments juridiques internationaux
relatifs à la protection des droits de l’homme n’interdisent pas
nécessairement la vaccination obligatoire, mais cette dernière peut
être problématique dans le contexte du droit au respect de la vie
privée et du droit au consentement libre et éclairé sur les interventions
dans le domaine de la santé. En outre, les vaccinations obligatoires
sont susceptibles d'éroder la confiance dans le gouvernement et
d'aliéner davantage certaines parties de la société. Néanmoins,
les vaccinations devraient être largement encouragées et acceptées
comme une action socialement responsable dans l'intérêt de tous.
45. L'utilisation des passes covid-19, en particulier des passes
vaccinaux qui servent à restreindre les déplacements et l'accès
à certains lieux publics, entraîne différentes formes de discrimination
dans la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales
consacrés par la Convention, notamment le droit au respect de la
vie privée, le droit à la liberté de réunion et le droit à la liberté
de circulation. À cet égard, l'Assemblée et d'autres organes du
Conseil de l'Europe ont déjà souligné que leur utilisation peut
créer une discrimination entre les personnes vaccinées, qui sont
donc en possession d'un passe vaccinal ou d'un autre type de passe
covid, et les personnes non vaccinées. Ce type de discrimination
peut également se produire entre les personnes qui ont été vaccinées
et celles qui ne peuvent pas l'être, soit pour des raisons médicales (notamment
celles qui se sont rétablies après une contamination et qui ne peuvent
pas être vaccinées immédiatement), soit parce qu'elles n'ont pas
accès à la vaccination pour diverses raisons (notamment en raison
de leur origine sociale, de leur âge ou de leur nationalité). En
outre, comme les enfants ne sont généralement pas tenus d'être vaccinés,
cette situation peut également poser problème en cas d’obligation
de présenter un «passe vert» pour accéder à certains lieux. En outre,
les divergences à propos de l'âge maximum requis pour cette exonération
peuvent s’avérer problématiques lorsque des enfants voyagent ou
séjournent dans des pays qui appliquent des restrictions différentes.
Les travailleurs transfrontaliers, qui doivent se soumettre à des
tests de dépistage de la covid-19 au cas où ils n'auraient pas été
vaccinés, représentent une autre catégorie susceptible de faire
l’objet d’une discrimination. L'obligation de se soumettre à de
tels tests à des intervalles très courts peut également être considérée
comme une obligation indirecte de se faire vacciner.
46. À ce propos, la mise en place du certificat covid numérique
de l’Union européenne a été une solution pragmatique et temporaire
qui a facilité dans une large mesure la liberté de circulation dans
l'Union européenne pendant la pandémie. Le certificat permet aux
États d'éviter l’adoption de nouvelles restrictions imposées aux
libertés fondamentales et ne constitue pas une obligation indirecte
de se faire vacciner, puisqu'il est également accessible aux personnes
qui présentent un résultat négatif au test covid-19 ou une preuve
de guérison. Par conséquent, les citoyens de l'Union européenne
et les ressortissants de pays tiers qui se rendent dans l'Union
européenne en provenance de pays qui n’en sont pas membres peuvent
entrer sur son territoire sans être vaccinés. Cependant, bien que
le certificat covid numérique de l’Union européenne ait été un outil pratique
utilisé pour alléger les restrictions de voyage et autres, il s'est
également avéré être une mesure discriminatoire dans certaines situations,
notamment vis-à-vis des citoyens non européens se rendant dans l'Union
européenne.
47. L’autre forme de discrimination, qui n’a pas été autant étudiée
jusqu’à présent, est celle qui existe entre les personnes vaccinées
avec différents vaccins (et qui sont donc en possession d’un «passe
vaccinal»). Le vaccin en question peut être autorisé de manière
conditionnelle par l'AEM ou listé par l'OMS, mais non autorisé par
l'AEM ou par une autorité réglementaire nationale mais pas par l'OMS
ou l'AEM: c’est par exemple le cas du vaccin Spoutnik V. Le fait
d'être vacciné avec un vaccin non approuvé par l'AEM ou par l'OMS
peut également entraîner une discrimination indirecte fondée sur
la nationalité dans certaines situations (par exemple, lorsque des
ressortissants de pays tiers se rendent dans un État membre de l'Union
européenne et se voient interdire l’accès à certains lieux publics
ou l’utilisation d’un moyen de transport).
48. Si l'AEM a uniquement autorisé la mise sur le marché conditionnelle
de six vaccins, certains États membres de l'Union européenne en
ont administré d'autres, notamment ceux qui n’ont été approuvés
que par l'OMS ou les autorités nationales. En outre, bien que les
États membres de l'Union européenne aient été réticents à accorder
une autorisation de mise sur le marché à tous les vaccins listés
par l'OMS, ces vaccins sont désormais de plus en plus largement
reconnus et acceptés au sein de l'Union européenne et les personnes
vaccinées avec ces vaccins peuvent entrer sur le territoire des
États membres de l'espace européen. Cependant, leur adoption reste
à la discrétion de chaque État membre. Il convient de noter par ailleurs
que le règlement 2021/953 et le règlement 2021/954, sur lesquels
se fonde l'utilisation du certificat covid numérique de l’Union
européenne, ne régissent ni son utilisation à des fins nationales
ni la question de l'entrée des ressortissants de pays tiers dans
l'Union européenne. Par conséquent, les États membres de l'Union
européenne sont libres de limiter l'accès aux lieux publics et d'imposer
des restrictions supplémentaires à l'accès des citoyens non-membres
de l’Union européenne à leur territoire, même s'ils acceptent les
passes covid délivrés sur la base d'une vaccination avec un vaccin
non approuvé par l'AEM.
49. L'utilisation du certificat Covid numérique de l'UE ou d'autres
«passes verts» laisse donc la porte ouverte à la discrimination
en matière de vaccination, bien que certaines garanties figurent
dans le cadre juridique de l'Union européenne établissant le certificat
covid numérique de l’Union européenne et que quelques évolutions positives
ont été constatées dans la reconnaissance des vaccins listés par
l'OMS et des certificats correspondants, auxquelles s’ajoutent l'inclusion
de 48 États non-membres de l'Union européenne (dont 17 États membres
du Conseil de l'Europe) dans le système du service passerelle de
l'Union européenne pour l’utilisation du certificat Covid numérique
de l'Union européenne.
50. Il est trop tôt pour évaluer entièrement la nécessité et la
proportionnalité des mesures restrictives, notamment l'imposition
des passes covid-19, car les données scientifiques disponibles pour
évaluer leur incidence sur la transmission du SRAS-CoV-2 et l’évolution
de la covid-19 sont encore insuffisantes. Il convient de noter qu'en
raison du manque de preuves disponibles pour évaluer pleinement
la nécessité et la proportionnalité de ces mesures, la responsabilité
des États d'utiliser les mesures les moins restrictives possibles
doit être encore plus élevée que lorsque de nombreuses preuves étayent
leur mise en œuvre. Il faut espérer que la Cour européenne des droits
de l'homme donnera prochainement quelques éléments d’orientation
sur cette question à la suite des requêtes qui lui ont été présentées.
51. Jusqu'à présent, la vaccination contre la covid-19 a grandement
contribué à surmonter la pandémie et les citoyens ont récupéré la
plupart de leurs libertés fondamentales, car de nombreuses restrictions
liées à la pandémie ont été levées. Cela ne signifie pas pour autant
que la pandémie est terminée et que de nouvelles restrictions ne
seront pas imposées. Plusieurs pays effectuent encore des contrôles
aux frontières et exigent des certificats covid-19, notamment le
certificat Covid numérique de l'UE ou des certificats équivalents
pour entrer sur le territoire national. Par conséquent, les risques
de discrimination et de violation des droits de l'homme et des libertés
fondamentales subsistent.
52. En conclusion, toutes les personnes vaccinées avec des vaccins
reconnus par l'AEM ou l'OMS doivent être traités de la même manière
et les citoyens ne doivent pas être empêchés d'exercer leurs droits
de l’homme et leurs libertés fondamentales parce qu'ils n'ont pas
été vaccinés ou parce qu'ils ont été vaccinés avec un vaccin dont
la commercialisation n’est pas autorisée ou qui n'a pas été reconnu
dans un pays donné. L'utilisation obligatoire des passes covid,
en particulier des passes vaccinaux, comporte des risques de discrimination
et d'atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.
Ces risques sont plus importants encore lorsque les inégalités subsistent
dans l'accès à la vaccination.