1. Introduction
1. Conformément à son mandat défini
dans la
Résolution 1115
(1997) (telle que modifiée), la commission pour le respect
des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe
(commission de suivi) est saisie pour procéder à des examens périodiques
réguliers du respect par les États membres qui ne font pas déjà
l’objet d’une procédure complète de suivi ni d’un dialogue postsuivi
des obligations contractées lors de leur adhésion au Conseil de
l’Europe.
2. Suite à la réflexion de la commission de suivi sur l'amélioration
de ses méthodes de travail et de son impact, le format de ces examens
périodiques a subi en 2019 une modification considérable: les pays
ont commencé à être sélectionnés pour des raisons de fond (et non
dans l'ordre alphabétique comme auparavant), et les rapports ont
été accompagnés de résolutions spécifiques et présentés, contrairement
à la pratique antérieure, indépendamment du rapport sur l'évolution
de la procédure de suivi de l'Assemblée. L'objectif de procéder,
au fil du temps, à des examens périodiques de tous les États membres
a été maintenu
.
3. Le 6 mars 2019, la commission de suivi a sélectionné trois
pays, dont la Roumanie, en vue d'élaborer des rapports d'examen
périodiques et en a informé le Bureau. À la suite de la décision
du Bureau de modifier la liste des pays proposée par la commission,
un avis sur l'interprétation des règles en vigueur a été demandé à
la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles.
Dans l'attente de ces éclaircissements, la commission de suivi a
décidé, le 16 mai 2019, de suspendre l’élaboration des rapports d'examen
périodique, dont celui sur la Roumanie. L'avis de la commission
du Règlement a été adopté en janvier 2020. Le 16 janvier 2020, la
commission de suivi a décidé de reprendre l’élaboration des rapports d'examen
périodique.
4. En outre, pour éviter toute interprétation erronée à l'avenir,
les dispositions pertinentes contenues dans la
Résolution 1115 (1997) (telle que modifiée) ont été amendées. Elles précisent
que l'établissement et la présentation des rapports d'examen périodique
doivent être effectués conformément à l'article 26 du Règlement.
La commission déterminera l’ordre et la fréquence de ces rapports
«selon ses méthodes de travail internes, en opérant des choix motivés
par des raisons de fond, dans l’objectif de préparer, au fil du
temps, des rapports d’examens périodiques sur tous les États membres».
5. Il est en outre précisé qu’au cours de l'élaboration de ces
rapports, les autorités du pays concerné disposeront d’un délai
de six semaines pour formuler leurs observations sur l'avant-projet
de rapport que la commission leur aura transmis. Enfin, l'Assemblée
a décidé que tous les examens périodiques devraient être préparés
par deux corapporteurs de pays et de groupes politiques différents,
comme c'est le cas pour tous les autres rapports de la commission
de suivi, à l'exception des rapports sur l'évolution de la procédure
de suivi de l'Assemblée.
6. Les premiers corapporteurs ont été nommés le 27 mai 2020.
Toutefois, la préparation du rapport a été retardée pour un certain
nombre de raisons, notamment la campagne électorale et les élections
législatives tenues en Roumanie le 6 décembre 2020, les restrictions
sanitaires aux déplacements qui ont empêché les corapporteurs de
se rendre dans le pays au cours du premier semestre 2021, les campagnes
électorales et les élections législatives dans les pays respectifs
des rapporteurs, suivies de leur démission pour cause de non-réélection
et, dernière, mais non des moindres, la crise politique en Roumanie
qui a commencé le 1er septembre 2021
et n'a pris fin que le 25 novembre 2021 avec la création du gouvernement
de grande coalition du Premier ministre M. Ciuca.
7. Dans ce contexte procédural, nous avons été nommées rapporteures
le 29 octobre 2021 (Mme Estrela) et le
21 avril 2022 (Mme Baumane).
8. La Roumanie est membre du Conseil de l’Europe depuis 1993
. Lors de son adhésion, elle a pris
un certain nombre d'engagements qui ont fait l'objet d'un suivi
par l'Assemblée parlementaire sur la base de la
Directive 508 (1995). En 1997, considérant que la Roumanie avait honoré ses
obligations et engagements les plus importants, l'Assemblée a décidé
de clore la procédure de suivi. Le dialogue postsuivi a débuté en
2000 et s'est achevé en 2002.
9. La Roumanie a adhéré à l’Union européenne en 2007. Au moment
de son adhésion, la Commission européenne a mis en place un mécanisme
baptisé mécanisme de coopération et de vérification (MCV), à titre de
mesure transitoire, en vue de faciliter les efforts déployés par
la Roumanie pour réformer son système judiciaire et intensifier
la lutte contre la corruption. Jusqu'à présent, 20 rapports ont
été publiés, notamment une évaluation complète couvrant les dix
années du mécanisme en janvier 2017
. Nous nous appuyons dans le présent
rapport sur les constats des rapports successifs du MCV.
10. Nous nous sommes également appuyés sur les rapports de la
Commission européenne sur l'État de droit concernant la situation
en Roumanie, publiés chaque année depuis 2020 dans le cadre du mécanisme européen
de promotion de l'État de droit. La commission de suivi a tenu un
échange de vues sur ce sujet avec le représentant de la Commission
européenne le 9 mars 2021. Le mécanisme de l'Union européenne prévoit un
dialogue sur l'État de droit entre la Commission, le Conseil, le
Parlement européen, les États membres, les parlements nationaux,
la société civile et d'autres parties prenantes. Les rapports sur
les différents pays visent à recenser dès que possible les problèmes
éventuels liés à l'État de droit et à décrire les meilleures pratiques en
la matière. Le présent rapport porte sur les domaines qui incluent
les systèmes de justice nationaux, le cadre de lutte contre la corruption,
le pluralisme et la liberté des médias et d’autres questions institutionnelles ayant
trait à l’équilibre des pouvoirs.
11. Ce rapport est également fondé sur les avis juridiques fournis
par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) sur différents aspects de la réforme du système judiciaire,
qui ont été préparés entre 2018 et 2022 pour donner suite aux demandes
de la commission de suivi. En outre, nous avons utilisé les avis
juridiques du Conseil européen des procureurs et du Conseil européen
des juges.
12. Nous avons également pris en considération les constatations
et les conclusions des institutions et mécanismes de suivi pertinents
mis en place dans le cadre des conventions du Conseil de l’Europe
auxquelles la Roumanie est partie. En particulier, nous nous sommes
fondés sur les rapports établis par la Commissaire aux droits de
l'homme, le Groupe d'États contre la corruption (GRECO), le Comité
d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment
des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), le Comité
européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (CPT), le Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales et la Commission européenne
contre le racisme et l'intolérance (ECRI). Nous avons étudié les
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dans les domaines
couverts par le présent rapport et pris en compte les travaux du
Comité des Ministres dans sa fonction de surveillance de l'exécution
des arrêts de la Cour. De plus, nous avons consulté les rapports
annuels récents sur l’état de la démocratie, des droits de l'homme
et de l’État de droit établis par la Secrétaire Générale du Conseil
de l'Europe.
13. Nous avons eu de nombreux contacts avec les organisations
non gouvernementales nationales et internationales et des représentants
de la société civile, notamment une série de réunions en ligne tenues
le 20 mai 2022, que nous considérons comme une source précieuse
d'informations de première main sur la situation dans le pays. Nous
nous référerons souvent à leurs rapports dans le présent exposé.
14. Nous avons effectué une visite à Bucarest les 4 et 5 juillet
2022 afin d’engager un dialogue politique direct avec les autorités
roumaines sur les préoccupations identifiées dans l’avant-projet
de rapport. Nous avons eu des entretiens très intéressants et instructifs
avec le chef de cabinet du Premier ministre, le ministre de la Justice
et la conseillère du Président. Au parlement, nous avons rencontré
les vice-présidents des deux chambres, les présidents des groupes
politiques et les membres de la délégation à l’Assemblée. Concernant le
pouvoir judiciaire, nous avons eu des échanges avec le président
de la Haute Cour de cassation, des membres du Conseil supérieur
de la magistrature et deux associations de juges (l’Association
des magistrats de Roumanie et le Forum des juges de Roumanie). Nous
avons rencontré la Médiatrice de la Roumanie et son équipe et enfin,
ce qui est particulièrement important, nous avons pu nous entretenir
avec le procureur principal de l’Agence nationale de lutte contre
la corruption. Le présent rapport prend en compte les constatations
faites lors de cette visite, ainsi que les commentaires écrits des
autorités roumaines, reçus le 5 août 2022.
15. Nous pensons que les informations recueillies à partir de
sources aussi variées nous auront donné une vue d'ensemble équilibrée
et nous auront permis d’élaborer un rapport objectif dans lequel
nous nous attacherons à évaluer le fonctionnement des institutions
démocratiques et la situation des droits de l'homme en Roumanie.
16. Contrairement aux rapports complets de suivi et de postsuivi,
ce rapport n'est pas une étude exhaustive mais plutôt une analyse
de l'évolution de la situation en Roumanie au regard des normes
spécifiques du Conseil de l'Europe dans les domaines considérés
comme particulièrement significatifs pour le fonctionnement des
institutions démocratiques.
17. Nous tenons à souligner que, lors de l’élaboration du présent
rapport, nous avons bénéficié d’une excellente coopération avec
les membres de la délégation roumaine à l’Assemblée, qu’ils représentent
la coalition gouvernementale ou l’opposition. Nous tenons aussi
à exprimer nos remerciements pour l’organisation de notre visite
et pour l’accueil que nous avons reçu à Bucarest.
2. Le contexte politique
18. Les élections législatives
de décembre 2016 ont été les premières à se dérouler dans le cadre
d’un nouveau système électoral proportionnel adopté en 2015 après
avoir été abandonné en 2004. Elles ont été largement remportées
par le Parti social-démocrate (PSD) qui a obtenu plus de 45 % des
voix et 154 des 329 sièges de la Chambre des députés. Son principal
parti rival, le Parti national libéral (PNL), a obtenu 20,04 % et
69 sièges.
19. Entre le 4 janvier 2017 et le 4 novembre 2019, quatre gouvernements
dirigés par le PSD ont été au pouvoir. La période a été marquée
par des manifestations populaires massives contre la corruption
qui ont commencé dès janvier 2017. Les premières manifestations
ont été déclenchées par l'adoption, du jour au lendemain et de manière
secrète, par un gouvernement nouvellement assermenté, de l'ordonnance
modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale. Ces changements
visaient à gracier certains crimes, notamment en matière d'abus
de pouvoir. Selon les critiques, ils avaient pour but de dépénaliser
la corruption présumée des hommes politiques et de les aider à échapper
aux enquêtes criminelles en cours et aux peines de prison. Ces changements
intervenaient dans le contexte d'un nombre élevé d'enquêtes menées
par la Direction de la lutte contre la corruption à l'encontre d'hommes
politiques de premier plan pour corruption présumée et délits connexes,
et d'un nombre considérable de ministres et de membres du parlement condamnés
par des tribunaux de première instance. Le gouvernement, confronté
à des protestations massives, a abrogé l'ordonnance initiale et
le ministre de la Justice a démissionné.
20. La deuxième vague de manifestations de rue a eu lieu entre
août 2017 et août 2019 à la suite du dépôt, par le gouvernement,
d'une réforme judiciaire controversée et de son adoption ultérieure
par la majorité parlementaire de l'époque dans le cadre d'une procédure
d'urgence. Les manifestations de rue, qui comprenaient des manifestations,
des marches, des sit-in, des
occupations de lieux ainsi que des piquets de grève, avaient pour
objectif non seulement d’empêcher le gouvernement et le parlement
d’adopter les amendements à la législation sur le pouvoir judiciaire,
qui étaient considérés comme affaiblissant la lutte contre la corruption,
mais aussi de destituer le gouvernement. La manifestation de Bucarest
du 10 août 2018, qui a rassemblé entre 80 000 et 140 000 personnes
selon différentes estimations, a débuté pacifiquement mais a été
marquée par des violences policières qui ont fait 452 blessés dont
3 policiers. Le quatrième gouvernement du PSD a démissionné le 4
novembre 2019 et a été remplacé par un gouvernement PNL minoritaire
qui est resté au pouvoir jusqu'aux élections de décembre 2020.
21. Le 26 mai 2019, en même temps que les élections au Parlement
européen, un référendum consultatif a été organisé en Roumanie.
La question posée était de savoir s'il fallait non seulement interdire
les amnisties et les grâces pour les délits de corruption mais aussi
empêcher le gouvernement d'adopter des ordonnances d'urgence concernant
le système judiciaire et d’élargir le droit de recours contre ces
ordonnances à la Cour constitutionnelle. Les deux propositions ont
été approuvées à une large majorité, avec plus de 85 % des voix. Le
27 mai 2019, la Haute Cour de cassation et de justice a confirmé
en appel la condamnation à 3,5 ans d'emprisonnement pour corruption
de Liviu Dragnea, dirigeant du PSD et jusque-là président de la
Chambre des députés. Il a passé 2 ans et 2 mois en prison.
22. Les élections générales les plus récentes ont eu lieu le 6 décembre
2020. La Mission spéciale d'évaluation électorale du Bureau des
institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) a estimé que
le processus électoral était conforme aux obligations et engagements
internationaux en matière d'élections démocratiques
.
Nous mentionnerons certaines lacunes relevées par la Mission dans
les chapitres pertinents de cet exposé.
23. Le PSD, qui a remporté une victoire importante en 2016, a
perdu cette fois 44 sièges à la Chambre des députés, obtenant 28,9 %
des suffrages exprimés et 110 sièges au nouveau parlement. Le deuxième
parti gagnant est le Parti national libéral (PNL) qui a obtenu 25,18 %
et 93 sièges (plus 24). Un autre gagnant a été USR PLUS, une alliance
uniquement créée à des fins électorales entre Save Romania Union
(USR) et le Parti de la liberté, de l'unité et de la solidarité
(PLUS), qui a obtenu 15,37 % et 55 sièges (plus 24) et a été dissoute en
2021. Une nouvelle Alliance pour l'Union des Roumains (AUR) a obtenu
9,08 % et 33 sièges; l'Alliance démocratique des Hongrois en Roumanie
(UDMR) a obtenu 5,74 % et 21 sièges et d’autres partis minoritaires ont
obtenu 1,72 % et 17 sièges.
24. Le taux de participation a été d'environ 32 %. Ce taux, le
plus faible depuis la transformation démocratique du pays, a été
en partie dû à la pandémie de Covid-19.
25. Après les élections, un gouvernement de coalition de centre
droit a été formé par le PNL, USR PLUS et l’UDMR dirigée par Florin
Cîțu en tant que Premier ministre. Ce gouvernement a été investi
par le parlement le 23 décembre 2020 et a gouverné jusqu'à la crise
politique qui a éclaté l'année suivante.
26. La crise politique a débuté le 1er septembre
2021, sur fond de difficultés économiques et de controverses sur
la gestion de la pandémie. Elle a été déclenchée par des désaccords
sur le programme d'investissement «Anghel Saligny». Ce programme,
visant à développer les collectivités locales, a été soutenu par
l'un des partenaires de la coalition, le Parti national libéral
du Premier ministre Cîțu, mais critiqué par l'autre, USR Plus. À
la suite d'une plainte déposée devant la Cour constitutionnelle
et de deux motions de censure, le gouvernement a été dissous le
5 octobre 2021.
27. Les deux premiers ministres consécutifs nommés par le Président
Klaus Iohannis n'ont pas réussi à former un gouvernement. Le 25
novembre 2021, un nouveau gouvernement de coalition composé du PSD,
du PNL et de l'UDMR et dirigé par Nicolae Ciuca, ancien général
de l'armée de terre roumaine, a obtenu le soutien du parlement.
28. L’élection présidentielle la plus récente s’est déroulée le
10 novembre 2019. Le Président Klaus Iohannis, ancien dirigeant
du PNL qui avait été initialement élu en 2014, a été réélu. La mission
d'évaluation électorale du BIDDH a estimé qu’elle avait été ouverte
à la concurrence et pluraliste et avait offert aux électeurs un
véritable choix parmi un large éventail d'alternatives politiques.
3. Les
préoccupations en suspens et autres questions
3.1. Le
système judiciaire
29. Depuis 2004, le système judiciaire
roumain a été défini par trois lois relatives à la justice: la loi
sur le statut des magistrats (loi 303/2004), la loi sur l'organisation
judiciaire (loi 304/2004) et la loi sur le Conseil supérieur de
la magistrature (loi 317/2004). Ces lois sur la justice ont fait
l'objet d'une évaluation positive de la part du MVC de l'Union européenne
et du Conseil de l'Europe, même si certaines préoccupations concernant l'indépendance
du pouvoir judiciaire persistent, notamment en ce qui concerne le
rôle qu'auraient joué les services de renseignement roumains dans
certaines procédures pénales. Toutefois, jusqu'en 2017, la Roumanie
avait globalement été félicitée par la communauté internationale,
notamment dans les rapports du MCV, pour les progrès continus accomplis
dans la lutte contre la corruption et la promotion de l'indépendance de
la justice.
30. En raison du recul enregistré au cours des années 2017-2019
dans les domaines susmentionnés (voir également les paragraphes
19-21), la situation du pouvoir judiciaire en Roumanie s'est dégradée,
créant un risque réel pour son indépendance. Les trois lois sur
la justice ont été modifiées pour la première fois en mai 2018 par
la majorité parlementaire de l'époque dans le cadre d'une procédure
d'urgence, dans un climat politique tendu marqué par les critiques
sur la manière dont les autorités luttent contre la corruption et
par des manifestations populaires massives. Elles sont entrées en
vigueur en juillet et octobre 2018. En raison des vives critiques
dont elles ont fait l’objet, notamment de la part de la communauté
internationale, ainsi que des préoccupations exprimées par le Président
de la Roumanie et la Haute Cour de cassation et de justice, elles ont
été transmises à la Cour constitutionnelle qui a relevé certains
points constitutionnels nécessitant des corrections. En conséquence,
les lois amendées ont ensuite été complétées et modifiées par cinq ordonnances
d'urgence gouvernementale n° 77, 90, 92 de 2018 et 7 et 12 de 2019.
31. Les nouvelles modifications apportées par les ordonnances
aux lois déjà modifiées ont suscité davantage de critiques en Roumanie,
notamment de la part du Conseil supérieur de la magistrature et
des organisations professionnelles, ainsi qu'au niveau international.
Les préoccupations relatives à la procédure d'adoption et au contenu
des amendements ont incité la commission de suivi à demander l'avis
de la Commission de Venise
.
32. En ce qui concerne la procédure, les autorités ont été accusées
de mener l'ensemble du processus de manière excessivement rapide,
non inclusive, sans les consultations nécessaires, et sans transparence.
Pour ce qui est des ordonnances, la Commission de Venise a estimé
que cette façon de modifier les lois sur la justice posait de graves
problèmes. Non seulement elle nuit à la qualité de la législation
et remet en cause les principes de démocratie et de séparation des
pouvoirs, mais elle affecte également la sécurité juridique. En outre,
la multiplicité des amendements inclus dans les lois et ordonnances
était telle que même les avocats avaient beaucoup de mal à identifier
le statu quo actuel. Enfin, l'adoption d'ordonnances d'urgence ne
permet pas à la Cour constitutionnelle d'exercer le contrôle préliminaire
de la constitutionnalité telles lois.
33. Il est également important de souligner que ce processus législatif
s'est déroulé dans un contexte tendu marqué par les résultats de
la lutte contre la corruption de haut rang. En effet, des informations
ont été communiquées selon lesquelles des juges et des procureurs
auraient fait l’objet de pressions et de manœuvres d’intimidation
notamment dans le cadre de campagnes médiatiques. Dans le même temps,
des allégations d’abus de pouvoir de certains magistrats roumains,
en particulier de procureurs, ont conduit à une remise en question
des méthodes utilisées pour lutter contre la corruption. La divulgation
de protocoles de coopération secrets signés entre les services de
renseignement roumains et les institutions judiciaires a soulevé
de sérieuses préoccupations quant à l'indépendance judiciaire et
aux garanties nécessaires pour protéger le pouvoir judiciaire contre
toute ingérence injustifiée dans la procédure judiciaire. Enfin,
la controverse au sujet de la révocation du procureur général chargé
de la lutte contre la corruption illustre clairement les circonstances
dans lesquelles des amendements controversés ont été introduits.
34. En ce qui concerne leur contenu, la Commission de Venise a
formulé un certain nombre de réserves dans son premier avis rendu
en octobre 2018. Elles ont ensuite été réitérées dans son avis de
juillet 2019
présenté, à nouveau, à la demande
de la commission de suivi à la suite de l'adoption des ordonnances gouvernementales.
L’avis soulignait en particulier que certaines dispositions importantes
introduites par les trois lois et ordonnances modifiées, prises
isolément mais surtout compte tenu de leur effet cumulé, risquaient de
porter atteinte à l'indépendance des juges et des procureurs roumains.
35. Les changements controversés portaient notamment sur le statut
des procureurs et les principes inhérents à leurs fonctions, le
nouveau système de nomination et de révocation des procureurs principaux,
le rôle du ministère de la Justice dans ce système et l'étendue
du contrôle hiérarchique, les nouvelles règles relatives à l'exercice
de la liberté d'expression des juges et des procureurs, les nouvelles
règles relatives à la responsabilité matérielle des juges et des
procureurs, les questions liées au statut du Conseil supérieur de
la magistrature affaiblissant son rôle de garant de l'indépendance
de la justice, ainsi que le régime de retraite anticipée des juges
et des procureurs, qui risque d'avoir une incidence sur l'efficacité
du système judiciaire. La création d'une Section chargée des enquêtes
sur les infractions pénales commises au sein du pouvoir judiciaire
a suscité des préoccupations particulières.
36. Les critiques formulées par les avis de la Commission de Venise
ont été reprises par le GRECO, qui a exprimé des préoccupations
similaires dans son rapport
ad hoc sur
l'article 34 adopté en mars 2018
en réaction à la dégradation de
la situation dans le système judiciaire roumain, ainsi que par le
Conseil consultatif de procureurs européens
et le Conseil
consultatif de juges européens
. Le rapport du MCV publié en novembre
2017 a exprimé de profondes inquiétudes quant au fait que les progrès
accomplis précédemment dans la réforme du système judiciaire et
la lutte contre la corruption pourraient être affectés par les récents changements
législatifs. Les rapports ultérieurs du MCV, en 2018 et 2019, ont
réitéré ces préoccupations.
37. Malheureusement, les autorités n'ont pas répondu à ces préoccupations
et n'ont pas tenu compte de la majorité des recommandations formulées
par la Commission de Venise, le GRECO et le MCV entre l'adoption des
premiers amendements et celle des ordonnances ultérieures. Seules
quelques-unes des recommandations de la Commission de Venise de
2018 ont été prises en compte, par exemple le report du régime de
retraite anticipée jusqu'au 1er janvier
2020
.
Presque toutes les autres préoccupations exprimées dans l'avis de
2018 sont restées sans réponse ou ont même été accentuées.
38. Les lois amendées, telles que modifiées à nouveau par les
ordonnances, contenaient encore des restrictions disproportionnées
à la liberté d'expression des juges et des procureurs ainsi que
des dispositions inconditionnelles sur la responsabilité matérielle
des magistrats. Aucune tentative n'a été faite pour préciser plus
clairement les critères de «sélection» des magistrats
.
Les préoccupations les plus graves qui subsistaient étaient notamment
la possibilité de nommer et de révoquer des procureurs de haut rang,
qui donnait trop de pouvoir au ministre de la Justice
, la création d'une Section chargée
des enquêtes sur les infractions pénales commises au sein du pouvoir
judiciaire dans le cadre du régime de nomination transitoire (déjà
critiqué en 2018) et l'extension de sa compétence sur les appels
ou même les affaires closes (cette dernière disposition a été déclarée
inconstitutionnelle par la décision de la Cour constitutionnelle
n° 7/2020), ainsi que l'affaiblissement supplémentaire du rôle de
la section des poursuites du Conseil supérieur de la magistrature
(CSM), notamment en faveur de la section des juges. En particulier,
la section des procureurs n'a joué aucun rôle dans les nominations
de procureurs à la section spéciale, augmentant du jour au lendemain les
exigences d'ancienneté pour les procureurs de la Direction nationale
anticorruption (DNA) et de la Direction des enquêtes sur la criminalité
organisée et le terrorisme (DIICOT) sans tenir compte de l'impact
sur ces institutions
.
39. L'une des dispositions les plus vivement critiquées était
la nouvelle Section chargée des enquêtes sur les infractions pénales
commises au sein du pouvoir judiciaire. La Commission de Venise
a fait part de ses vives préoccupations concernant en particulier
«les raisons invoquées pour justifier la création d’une telle instance
et l’impact qu’elle aurait sur l’indépendance des juges et des procureurs
et sur la confiance du public dans le système de justice pénale
et plus largement dans le système judiciaire roumain». Elle a attiré
l'attention sur les conflits de compétence possibles avec les bureaux
du Procureur spécialisés et la question de l’efficacité d’une centralisation
de toutes les enquêtes en un même point. La réorientation des affaires
de corruption très médiatisées, qui étaient en instance auprès de
la DNA, porterait atteinte à la fois aux activités de lutte de la DNA
contre la corruption et à la DNA en tant qu’institution. En outre,
un tel transfert massif entraînerait des perturbations et de graves
retards. En conséquence, la création de la section pourrait saper
la confiance de la population dans le système judiciaire.
40. Pour résumer, les amendements apportés aux lois sur la justice,
tant par le parlement que par les ordonnances, ont eu de graves
répercussions sur l'indépendance, la qualité et l'efficacité du
système judiciaire. La mise en œuvre des lois modifiées a rapidement
confirmé les craintes exprimées.
41. Malgré toutes les critiques, la Section chargée des enquêtes
sur les infractions pénales commises au sein du pouvoir judiciaire
a été créée et est devenue opérationnelle le 23 octobre 2018. Toutes
les enquêtes et poursuites impliquant un magistrat, y compris les
enquêtes passées et en cours, ont été transférées à la section même
si le rôle du magistrat dans le dossier était marginal. La Section
aurait été utilisée pour exercer des pressions sur les juges et
les procureurs et modifier le cours de certaines affaires de corruption
de haut niveau. Cette situation a créé de l'incertitude et exercé
des pressions tant sur l'évolution de carrière et l'indépendance
des magistrats que sur le système judiciaire dans son ensemble.
42. L'une des principales réserves exprimées par la Commission
de Venise était le recours fréquent du gouvernement à des ordonnances
d'urgence pour apporter des modifications législatives. Alors que
la Constitution roumaine indique clairement qu'il devrait s'agir
d'une mesure exceptionnelle, le recours à des ordonnances d’urgence
pour légiférer est devenue une pratique usuelle qui met en danger
les institutions de l'État, les contrôles externes sur le gouvernement
et le principe de séparation des pouvoirs et affaiblit la sécurité
juridique.
43. Les autorités roumaines ont répondu à cette préoccupation
en organisant un référendum consultatif, tenu en mai 2019, au cours
duquel une majorité de citoyens ont voté en faveur de l'interdiction
du recours aux ordonnances d'urgence du gouvernement dans le domaine
de la justice (voir paragraphe 21). Aucune ordonnance d’urgence
importante n'a été adoptée depuis lors. En février 2021, le parlement
a rejeté la proposition d'examiner le projet de loi visant à supprimer
la section par le biais d'une procédure parlementaire d'urgence,
ce qui est à saluer.
44. Le gouvernement PNL minoritaire, qui a pris le pouvoir en
novembre 2019, a fait part de sa volonté politique d'introduire
une réforme du système judiciaire en tenant compte des recommandations
formulées par les organes internationaux de suivi. Le 30 septembre
2020, le ministre de la Justice de l'époque a présenté, pour une
consultation publique de six mois, des projets de textes visant
à une refonte complète des lois sur la justice.
45. Le nouveau gouvernement de coalition, qui est entré en fonction
fin décembre 2020 à la suite des élections législatives du 6 décembre
2020, a inclus dans son programme l'État de droit et l'indépendance
de la justice ainsi que la lutte contre la corruption. En janvier
2021, il a adopté un mémorandum dans lequel il s’engageait à traiter
toutes les recommandations en suspens du MCV, du GRECO et de la
Commission de Venise. Il a également fixé un calendrier pour l'adoption
de «dispositions juridiques essentielles visant à consolider l'organisation
et le fonctionnement du pouvoir judiciaire»
.
46. Le nouveau gouvernement a décidé de démanteler la Section
chargée des enquêtes sur les infractions pénales commises au sein
du pouvoir judiciaire en indiquant qu'il s'agirait de la première
étape de la réforme des lois sur la justice et qu'elle serait suivie
de l'adoption de trois projets de loi portant respectivement sur
le statut des juges, l'organisation judiciaire et le CSM. Le ministre
de la Justice a souligné que la section s'était révélée un organe
inefficace qui n'avait absolument pas réussi à atteindre son objectif,
qui était de demander des comptes aux juges qui enfreignent la loi,
ajoutant qu’elle n’avait porté devant les tribunaux que deux affaires
au cours de chacune de ses années d'existence. Le 29 mars 2021,
à l'issue de la consultation publique et à la suite de plusieurs
séries de débats avec le pouvoir judiciaire, le ministre de la Justice
a sollicité l'avis de la Commission de Venise sur le projet de loi
de démantèlement de la section.
47. Dans son avis adopté en juillet 2021
, la Commission de Venise s'est félicitée
de l'intention des autorités roumaines de réformer le système judiciaire
et de rétablir la compétence des parquets spécialisés tels que la
DNA et la DIICOT. Elle a formulé plusieurs recommandations et critiqué,
en particulier, un nouveau type d'inviolabilité pour les juges et
les procureurs allant bien au-delà de l'immunité fonctionnelle,
ainsi qu'une nouvelle compétence du CSM permettant à sa section
compétente de procéder à un contrôle préalable dans les procédures
pénales contre les juges et les procureurs; les deux devraient être
supprimés. La Commission de Venise a également souligné que les
plaintes vexatoires déposées par des particuliers contre des juges
et des procureurs devraient être traitées par le ministère public
ordinaire.
48. En janvier 2022, la commission de suivi a décidé de solliciter
l'avis de la Commission de Venise sur le projet de loi démantelant
la Section chargée des enquêtes sur les infractions pénales commises
au sein du pouvoir judiciaire. Cet avis a été adopté en mars 2022
. La Commission de Venise a regretté
la hâte avec laquelle cette loi controversée sur le démantèlement
de la section avait été adoptée par le parlement et promulguée,
et déploré que son adoption ait eu lieu avant qu’elle ait pu émettre
son avis. Dans leurs commentaires écrits, les autorités ont contesté
l’idée selon laquelle la loi aurait été adoptée à la hâte. Elles
ont souligné que la procédure législative avait comporté toutes
les étapes prévues par celle-ci, notamment des consultations de
représentants du pouvoir judiciaire (le CSM avait émis un avis favorable)
et d’associations de magistrats. Il y a aussi eu une consultation
publique sur le projet de loi, deux vastes débats publics auxquels les
parties prenantes avaient été associées et des discussions au niveau
politique au sein de la coalition. Le projet avait été approuvé
par le gouvernement et adopté par le parlement à une forte majorité.
La Cour constitutionnelle l’avait validé à l’unanimité. Les autorités
ont aussi fait remarquer que le démantèlement de la section était
une recommandation formulée de longue date par la Commission de
Venise, le GRECO et l’Union européenne – la loi n° 49 du 11 mars 2022
a ainsi été adoptée au terme de près de trois ans de tentatives avortées.
49. À ce stade, nous nous sentons obligées de rendre compte de
nos entretiens avec des représentants de deux associations de juges.
Ils nous ont informées que quatre des six associations de magistrats
(c'est-à-dire: l’Association des magistrats de Roumanie, l’Association
des juges pour la défense des droits humains et l’Union nationale
des juges roumains et l’Association des procureurs de Roumanie s’étaient
opposées au démantèlement de la section et ont affirmé que les arguments
en faveur du démantèlement reposaient sur de graves erreurs factuelles
résultant d’une campagne de désinformation. Ces représentants nous
ont fourni des documents sur leur position et leurs arguments, qui
– selon leurs propres termes – n’avaient jamais été pris en compte
par ceux qui critiquaient la section. Par ailleurs, ils se déclaraient
très préoccupés par les pratiques des procureurs de la DNA, dont
les enquêtes sur des affaires impliquant des juges équivalaient,
selon nos interlocuteurs, à des pressions ayant des conséquences
directes sur la manière dont la justice était rendue et menaçaient
manifestement l’indépendance des juges, comme la Cour constitutionnelle
de Roumanie l’avait indiqué expressément dans sa décision n° 33/2018.
50. Alors que la section a été démantelée malgré les critiques
de la communauté des juges, certaines des préoccupations exprimées
par les juges au sujet des suites à donner restent valables et nous
demandons instamment aux autorités compétentes de prendre en compte
tous les avis émanant de la magistrature. Une situation dans laquelle
une partie de la communauté judiciaire affirme que ses avis sont
ignorés est préjudiciable au fonctionnement du système judiciaire.
51. Par ailleurs, nous avons reçu des informations détaillées
du ministère de la Justice sur les mesures prises pour poursuivre
et mettre en œuvre la réforme faisant suite au démantèlement de
la section, conformément aux recommandations internationales. Le
système prévu par la loi n° 49 n’établit pas de nouvelle section
mais fait partie intégrante de l’architecture des services de poursuite
nationaux. La totalité des quelque 6 000 dossiers qui étaient traités
par la section ont été redistribués au niveaux central et local.
Le système est déjà opérationnel et plusieurs procureurs ont déjà
été nommés par le Procureur général; la procédure de nomination
par le CSM est en cours.
52. De plus, le CSM, dans les commentaires écrits qu’il nous a
envoyés, souligne que la procédure prévue par la loi n° 49/2022
sur la nomination des procureurs permet une sélection effective
par la formation plénière du CSM, ce qui est conforme à son rôle
de garant de l’indépendance judiciaire.
53. Le démantèlement de la section n'étant qu'une première étape
d'un ensemble plus vaste de mesures de réforme, la Commission de
Venise, dans son avis, a encouragé les autorités roumaines à poursuivre
cette réforme plus vaste et a offert toute assistance supplémentaire
qui pourrait être nécessaire.
54. La nouvelle stratégie de développement du système judiciaire
(2022-2025) et son plan d’action ont été approuvés par le gouvernement
le 30 mars 2022. La stratégie fixe des objectifs clairs et instaure
un mécanisme de suivi. Elle fait figurer, parmi les domaines d’action,
l’indépendance, la qualité et l’efficacité de la justice, d’une
part, et l’accès à la justice, d’autre part
.
55. Les autres projets de loi concernant la justice, à savoir
le projet de loi sur le statut des magistrats, le projet de loi
sur l’organisation du système judiciaire et le projet de loi sur
le CSM, devraient être soumis au parlement avant la fin septembre
2022. Actuellement, ils font encore l’objet de vastes consultations;
leur version la plus récente a été publiée le 22 juin 2022. Les
projets prennent en compte les recommandations formulées par la
Commission de Venise, par des instances judiciaires comme le CSM,
par des associations de magistrats et par des magistrats à titre
individuel. Selon le ministre de la Justice, les dispositions concernant l’accès
aux fonctions de la magistrature, la promotion des magistrats, la
responsabilité civile et disciplinaire des magistrats, l’organisation
et le fonctionnement de l’inspection judiciaire, et la procédure
de nomination des procureurs de haut niveau, ont été examinées de
près, de manière à ce qu’elles soient pleinement conformes au principe
d’indépendance de la justice; les projets de loi ont aussi fait
l’objet de discussions avec la Commission européenne.
56. La stratégie de développement du système judiciaire vise aussi
à favoriser la transition numérique dans le secteur de la justice,
en mettant en œuvre le système ECRIS V, qui offrira les fonctionnalités
nécessaires au traitement numérique des affaires dans les tribunaux
et dans les services de poursuite, à la collecte de données et à
l’élaboration de certains rapports statistiques prédéfinis, ainsi
qu’au transfert électronique de données entre différents acteurs,
dont les tribunaux et les services de poursuite.
57. Il faut reconnaître que la perception de l'indépendance de
la justice au sein du grand public en Roumanie s'est considérablement
améliorée entre 2020 et 2021, passant de 37% à 51%
.
La raison la plus souvent invoquée pour expliquer le manque d'indépendance
du pouvoir judiciaire reste l'ingérence ou la pression du gouvernement
et des responsables politiques.
58. Toutefois, certaines préoccupations subsistent. Par exemple,
en décembre 2021, un éminent juge roumain a été suspendu de ses
fonctions par le CSM pour avoir publié des vidéos sur les médias
sociaux, au motif que ce comportement était susceptible d'affecter
l'image du système judiciaire. Plus récemment, en mai 2022, deux
juges controversés considérés comme proches du président Klaus Iohannis
ont été élus par le parlement à la Cour constitutionnelle
.
59. En outre, il a été mentionné précédemment que la stabilité
et la prévisibilité de la législation et la qualité du processus
législatif restent très préoccupantes.
60. Il convient de saluer le fait que les autorités ont entrepris
des réformes du système judiciaire roumain et se sont engagées à
mettre en œuvre les recommandations formulées par la Commission
de Venise. Cependant, les faits survenus entre 2017 et 2019 ont
sapé la confiance dans la stabilité de l'État de droit de la Roumanie,
l'indépendance de la justice et la lutte contre la corruption au
plus haut niveau.
3.2. La
lutte contre la corruption
61. La perception du niveau de
corruption en Roumanie est toujours aussi préoccupante. Dans l'indice
de perception de la corruption 2020 de Transparency International,
la Roumanie a obtenu un score de 44/100 et se classe au 19e rang
dans l'Union européenne et au 69e rang
mondial. Cette perception a été relativement stable au cours des
dernières années.
62. Le cadre institutionnel de lutte contre la corruption est
compréhensible, mais sa mise en œuvre efficace exige une volonté
politique soutenue et l'engagement du gouvernement. Une stratégie
nationale de lutte contre la corruption a été mise en place entre
2016 et 2020 et sa coordination et sa mise en œuvre ont été assurées par
le ministère de la Justice. L'efficacité des enquêtes et des sanctions
concernant la corruption de moyen et haut niveau s'est améliorée.
63. Une nouvelle stratégie nationale de lutte contre la corruption
pour 2021-2025 a été déclarée priorité nationale clé sur l’agenda
politique du gouvernement
. La stratégie poursuit
cinq objectifs généraux: améliorer la mise en œuvre des mesures
en faveur de l’intégrité au niveau organisationnel; réduire l’impact
de la corruption sur les citoyens; renforcer la gestion institutionnelle
et la capacité à prévenir et à combattre la corruption; renforcer
l’intégrité dans des domaines prioritaires comme la santé, les marchés
publics et l’administration locale; et augmenter l’efficacité de
la lutte contre la corruption en utilisant des moyens relevant du
droit pénal et des moyens administratifs. Le premier rapport de
suivi consacré à la mise en œuvre de la stratégie est attendu pour
le début de l’année 2023.
64. Conformément à l’article 6(1) de ce texte législatif, la formation
plénière du CSM a adopté, le 14 avril 2022, le plan en faveur de
l’intégrité, qui vise: à renforcer les mécanismes institutionnels
d’identification et de gestion des risques de corruption et des
vulnérabilités à la corruption; à poursuivre la mise en œuvre des normes
relatives à l’information du public et à promouvoir la transparence
des processus décisionnels; à promouvoir l’éducation à la lutte
contre la corruption.
65. Selon ses propres informations, la DNA a ouvert de nombreuses
enquêtes contre de hauts responsables politiques pour des soupçons
de corruption et d’infractions connexes, et un nombre considérable de
ministres et de députés ont été condamnés Le succès de cette lutte
contre la corruption a été largement salué au niveau international.
Entre 2013 et 2018, la DNA a mis en cause plus de 68 hauts fonctionnaires
pour des infractions de corruption (14 ministres et anciens ministres,
39 députés, 14 sénateurs et 1 membre du Parlement européen). Les
tribunaux ont condamné définitivement 27 de ces personnalités.
66. Jusqu'en 2017, les rapports annuels du MCV notaient et saluaient
les progrès importants accomplis dans la lutte contre la corruption.
Toutefois, les évolutions négatives décrites dans le chapitre précédent consacré
au pouvoir judiciaire ont inévitablement eu un impact sur la lutte
contre la corruption. Le rapport du MCV de novembre 2017 exprimait
de graves préoccupations à cet égard.
67. La divulgation de protocoles de coopération entre les services
de renseignement et les institutions judiciaires a soulevé des interrogations
quant à l'ingérence présumée de ces services dans les activités
du pouvoir judiciaire et a jeté un nouvel éclairage sur des allégations
d'abus de pouvoir de la part de certains procureurs et juges, et
sur certains acquittements dans des affaires de corruption très
médiatisées.
68. Au milieu de ces controverses, la majorité parlementaire a
déposé les amendements aux lois du Code pénal et du Code de procédure
pénale ainsi qu'à la loi sur la prévention, la détection et la sanction
des actes de corruption. Bien qu'il existe un consensus en Roumanie
sur la nécessité d'une réforme des codes pénaux afin de mettre en
œuvre les directives pertinentes de l'Union européenne et de corriger
les lacunes existantes, la manière dont cette réforme a été menée
a suscité les plus vives préoccupations. Les amendements ont été adoptés
le 18 juin et le 4 juillet 2018 par le parlement dans le cadre d’une
procédure d’urgence, sans transparence, ce qui n’a pas permis d’engager
un véritable débat public. Le 28 juin 2018, la commission de suivi
a demandé un avis de la Commission de Venise à leur sujet.
69. Dans son avis
, la Commission de Venise a critiqué
la procédure d'adoption des amendements qu'elle considérait comme
tout à fait inadaptée à une réforme complète de deux des codes les
plus sensibles et importants. Elle a ensuite déclaré que certains
des amendements proposés étaient contraires aux obligations internationales
de la Roumanie, en particulier concernant la lutte contre la corruption.
La Commission craignait que de nombreux amendements, pris séparément
mais surtout en raison de leurs effets cumulés, ne sapent gravement
l’efficacité du système pénal roumain dans la lutte contre les différentes
formes de criminalité, notamment les infractions liées à la corruption,
les crimes violents et la criminalité organisée.
70. La Commission de Venise a recommandé aux autorités roumaines
de réévaluer l’ensemble des propositions de modifications des deux
codes dans le cadre d’une consultation large et effective. Pour
ce qui est du Code de procédure pénale, en particulier, il convient
de modifier profondément les règles concernant la communication
sur des enquêtes pénales en cours, l'ouverture d'une enquête pénale,
les niveaux de preuve et l'interdiction d'utiliser certains types
de preuves, et le droit d'être informé de toutes les mesures de
poursuite et d'y participer.
71. En ce qui concerne le Code pénal, les dispositions réglementant
les infractions liées à la corruption, en particulier les pots-de-vin,
le trafic d’influence et l'achat d'influence, le détournement de
fonds et l'abus de fonction, ainsi que certaines autres dispositions
ayant une incidence plus générale, notamment celles qui sont relatives
au délai de prescription, aux faux témoignages et aux atteintes
aux intérêts de la justice, ainsi que les dispositions sur les mesures
de confiscation élargies, la définition de la notion d’agent public
et les peines accessoires devraient être réexaminées et modifiées.
72. De même, le GRECO, qui est chargé du suivi de la mise en œuvre
de la Convention pénale sur la corruption (STE no 174)
a noté, dans son rapport ad hoc d'avril
2018, que les amendements soulevaient de vives inquiétudes tant
au niveau national que dans d'autres pays pour leur impact négatif
potentiel sur l'entraide judiciaire et la capacité du système de
justice pénale à traiter les formes graves de criminalité, y compris
les infractions liées à la corruption.
73. L'incertitude persistante concernant les amendements au Code
pénal et au Code de procédure pénale est restée un défi important
dans la lutte contre la corruption jusqu'en février 2021, date à
laquelle le parlement a définitivement rejeté les amendements problématiques
qui ont été jugés inconstitutionnels dans leur intégralité par la
Cour constitutionnelle. Nous avons été informées que de nouvelles
versions du Code pénal et du Code de procédure pénale étaient en
cours d’élaboration et qu’elles seraient finalisées sous peu. Ces nouvelles
versions mettent en conformité les dispositions des codes avec les
dispositions correspondantes de la Constitution, telles qu’elles
sont interprétées par la Cour constitutionnelle dans ses décisions.
74. Cela étant, des hommes politiques ont allégué qu’il y avait
eu des cas d’abus de pouvoir de certains procureurs, qui ont conduit
à des acquittements, certaines de ces allégations ayant été confirmées.
En particulier, à la suite de la divulgation, en 2018, de protocoles
de coopération signés entre le service de renseignement roumain
et les institutions judiciaires, de graves inquiétudes ont été soulevées
quant à l'indépendance de la justice et des procureurs. Plus généralement,
il y aurait eu des pressions et manœuvres d’intimidation à l’encontre
de juges et de procureurs, notamment par des hommes politiques de
haut rang, ainsi que par des campagnes dans les médias. Ces préoccupations
ont été amplifiées par la controverse suscitée en 2018 par la révocation
du procureur en chef anti-corruption.
75. L'Agence nationale pour l'intégrité enquête sur les incompatibilités,
les conflits d'intérêts et les richesses injustifiées. En 2020,
cette agence a clôturé 1 143 affaires et infligé 204 amendes administratives
pour défaut de présentation d'actifs et d'informations sur les intérêts.
Ses travaux ont été facilités par un amendement à la loi relative
à l'intégrité dans l'exercice des fonctions et dignités publiques
adopté en juillet 2020, qui a permis la soumission électronique
des déclarations de patrimoine et d'intérêts.
76. L'Agence nationale de gestion des biens saisis, créée en 2016,
est pleinement opérationnelle. Elle est chargée d'exécuter les décisions
de confiscation rendues en matière pénale. Nous avons été informées
que la valeur des biens confisqués par cette agence s’était élevée
à 57 millions € en 2021, contre 34 millions € en 2020. La stratégie
nationale de recouvrement des avoirs pour 2021-2025 comprend un
plan d’action qui prévoit des mesures législatives destinées à étendre
le mandat de l’Agence. Un projet de loi adopté récemment vise à
améliorer la situation dans les domaines suivants: le recouvrement
des avoirs d’origine criminelle, la réutilisation sociale des biens
confisqués, et les règles concernant l’indemnisation des victimes
d’infractions.
3.3. L’exécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme
77. Selon le Rapport annuel 2021
du Comité des Ministres relatif à la surveillance de l'exécution
des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l'homme
(«15e Rapport annuel»), au 31 décembre
2021, 409 arrêts (contre 347 en 2020 et 309 en 2019) étaient pendants
contre la Roumanie devant le Comité des Ministres, dont 106 affaires
sous surveillance renforcée ou standard et 303 affaires répétitives.
Au total, 41 affaires ont été closes en 2021.
78. Neuf affaires/groupes d’affaires principaux dont la mise en
œuvre est problématique et qui sont toujours sous la procédure de
surveillance soutenue du Comité des Ministres concernaient notamment
: le défaut de restituer ou d’indemniser
des biens nationalisés (groupe d’affaires
Străin
et autres et arrêt pilote
Maria
Atanasiu et autres); la durée excessive des procédures
civiles et pénales et l’absence de recours effectif (groupe d’affaires
Vlad et autres); l’inexécution des
décisions de justice internes (groupe d’affaires
Săcăleanu et autres); le surpeuplement
dans les centres de détention (groupe d’affaires
Bragadireanu); l’inefficacité des enquêtes
sur la répression violente de manifestations antigouvernementales
(groupe d’affaires
Association «21 décembre
1989» et autres); l’absence de protection juridique adéquate
et de soins médicaux et sociaux de personnes handicapées mentales
vulnérables (
Centre de ressources juridiques
au nom de Valentin Campeanu); la mauvaise prise en charge
des troubles psychiatriques des détenus en prison (groupe d’affaires
Ţicu) et la condamnation d’un lanceur
d’alerte pour avoir révélé des informations sur la surveillance
secrète et illégale de citoyens par les services de renseignement
et l’absence de garanties dans le cadre législatif régissant la
surveillance (
Bucur et Toma)
.
79. Le 10 mars 2022, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a demandé instamment aux autorités roumaines de mettre en œuvre
les mesures individuelles en suspens et d’adopter des réformes législatives pour
prévenir de nouvelles violations de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) semblables
à celles constatées par la Cour européenne des droits de l’homme
dans les 17 arrêts qu’elle a rendus en ce qui concerne la non-exécution
ou l’exécution tardive de décisions de justice ou de sentences arbitrales
définitives prononcées au niveau national contre l’État ou des entreprises
publiques. Cette résolution intérimaire concerne 86 demandes
.
80. Des progrès ont été constatés dans l'affaire Kövesi c. Roumanie. En effet, le
Comité des Ministres a noté, entre autres, qu'un
projet de loi contenant des dispositions visant à remédier aux lacunes
constatées dans l'arrêt concernant la protection judiciaire accordée
aux titulaires de postes de haut niveau au sein du ministère public
contre les révocations illégales, ainsi qu'à contrer «l’effet dissuasif»,
souligné par la Cour, de la révocation anticipée du requérant sur
d'autres membres du corps judiciaire.
81. Le CSM nous a informées de son rôle dans la formation des
juges concernant la jurisprudence de la Cour. Il nous a aussi donné
des exemples de propositions de réformes législatives résultant
des arrêts de la Cour.
3.4. Le
pluralisme des médias
82. En 2021, la Roumanie a été
classée 48e sur 180 pays selon l'indice
de la liberté d'expression établi par Reporters sans frontières.
Son classement n’a pas changé depuis 2020. Avant cela, elle avait
été classée 47e en 2019 et 44e en
2018. Les représentants des médias et de la société civile travaillant
dans le domaine de la liberté d'expression que nous avons rencontrés
en ligne ont confirmé la dégradation de la situation.
83. Des garanties légales concernant la liberté et le pluralisme
des médias sont en place. La diffamation a été dépénalisée, conformément
aux recommandations de l'Assemblée en 2006. Toutefois, des préoccupations subsistent
quant à la mise en œuvre et à l'application du cadre législatif
existant, en particulier en ce qui concerne l'accès à l'information.
Le règlement général de l'Union européenne sur la protection des
données est souvent invoqué par les autorités pour refuser l'accès
à l'information ou pour menacer et poursuivre les journalistes dans
le cadre de leurs enquêtes. Signe particulièrement inquiétant, lorsque
les décisions des autorités refusant de fournir des informations
sont contestées devant les tribunaux, des interprétations différentes
sont appliquées à des situations similaires. En outre, en mars 2020,
des restrictions temporaires à la liberté d'information ont été
introduites à la suite d'un décret d'état d'urgence visant à lutter
contre l'épidémie de Covid-19.
84. Les médias audiovisuels sont supervisés par le Conseil national
de l'audiovisuel, autorité publique autonome sous contrôle parlementaire
chargée de sauvegarder l'intérêt public dans le domaine de l'audiovisuel,
de délivrer des licences, de surveiller les médias et de promouvoir
l'éducation aux médias et l'équité du marché. Les 11 membres de
son conseil d'administration sont nommés par le parlement pour un mandat
de six ans et sont légalement tenus d'être politiquement indépendants.
Cependant, il n'existe pas de critères professionnels clairs pour
la sélection des membres du Conseil et le parlement peut révoquer
son président en rejetant le rapport annuel d'activité, ce qui peut
porter atteinte à l'indépendance de l'organisme de régulation. Un
autre sujet de préoccupation est le manque de ressources pour s'acquitter
pleinement de ses tâches. Le projet de loi transposant la directive
de l'Union européenne sur les services de médias audiovisuels garantissant
des ressources budgétaires adéquates a été publié pour consultation
publique en mars 2021.
85. L'absence de garanties spécifiques pour l'indépendance éditoriale
est également préoccupante car elle expose les journalistes à l'influence
des propriétaires sur le contenu éditorial. Cette situation est
aggravée par le fait que la transparence de la propriété des médias
est incomplète. Les informations qui étaient publiques par le passé
ne sont plus communiquées par le Conseil national de l'audiovisuel
au motif qu'elles enfreignent la législation sur la protection des
données. En outre, le rapport sur le pluralisme des médias de 2021 concernant
la Roumanie signale l'existence de lacunes législatives qui permettent
à une entreprise numérique d'être détenue par une entité à l'étranger
dont les propriétaires ne sont pas divulgués. En conséquence, les principaux
médias restent contrôlés par des hommes d'affaires ayant des intérêts
politiques et leur ligne éditoriale est altérée par les intérêts
des propriétaires.
86. Les médias peuvent être sujets à des pressions politiques,
en particulier lorsque leurs revenus dépendent de la publicité publique.
Celle-ci est une source importante de revenus pour le secteur des
médias, ce qui peut susciter des craintes quant à l'autonomie éditoriale
et à l'autocensure des journalistes. Ces deux dernières années,
les partis politiques sont devenus les plus gros annonceurs; ils
exploitent les failles de la législation actuelle et achètent le
silence des médias. Un problème structurel encore plus choquant
nous a été signalé dans le secteur des médias: les partis politiques
utilisent des fonds publics pour financer les médias afin d'influencer
leur contenu. Certes, les sommes dépensées par les différents partis
sont rendues publiques
, mais les contrats
conclus entre les partis et les médias restent secrets et l’on ne
sait pas bien ce que les médias sont censés faire en échange de
l’argent qu’ils reçoivent. À notre avis, ce manque de transparence
risque de nuire au pluralisme et à la liberté d’expression. Les
représentants de la société civile ont insisté sur la rareté des
critiques des autorités dans les médias roumains et sur la persécution
des journalistes qui ne suivent pas cette ligne de conduite. Nos
interlocuteurs ont souligné que ce problème n’existait pas durant
la campagne électorale, lorsque la législation exigeait une totale
transparence, et ont insisté sur la nécessité d’appliquer la même
solution juridique hors période électorale.
87. Ceux de nos interlocuteurs qui travaillent dans le domaine
des médias ont attiré notre attention sur le cas d’une journaliste
d'investigation, Mme Emilia Sercan, qui
a reçu des menaces de mort et fait l'objet de campagnes de diffamation
suite à son article du 18 janvier 2022 alléguant que le Premier
ministre Nicolae Ciucă avait plagié sa thèse de doctorat. Le 8 avril
2022, le Comité pour la protection des journalistes a exhorté les
autorités roumaines à mener une enquête indépendante sur la campagne
de harcèlement et de diffamation lancée à l'encontre de Mme Sercan,
à enquêter sur ses allégations selon lesquelles des fonctionnaires
de l'État auraient participé à la campagne et à demander des comptes
aux auteurs
.
88. Nous avons également été alarmés par le cas d’un journaliste
d'investigation, M. Cătălin Tolontan, qui a révélé que le ministère
de la Santé et des autorités locales étaient impliqués dans un grand
scandale de corruption à la suite d'un incendie tragique au Colectiv
Club de Bucarest. Une série d'articles publiés dans un certain nombre
de médias, en particulier Libertatea et Newsweek, ont mis en évidence des
procédures de passation de marchés non transparentes. À l’issue
d'un procès pour diffamation intenté par le maire d'un district
de Bucarest, un tribunal de première instance a décidé la suppression
de ces articles. Nous avons été informés que le maire avait également
déposé une plainte pénale, instruite par la Direction des enquêtes
sur le crime organisé et le terrorisme, contre des journalistes
de plusieurs publications pour constitution d'un groupe criminel
organisé ainsi que pour extorsion.
89. La société civile a également signalé des cas d'attaques lancées
par des institutions publiques ou des hommes d'affaires contre des
journalistes, des médias ou la société civile. Les médias électroniques
font également l'objet de pressions, et la Direction de la sécurité
nationale aurait eu recours à des mesures de blocage alors qu’elle
opère sans base légale, n’est pas indépendante et applique des critères
peu clairs pour étayer ses décisions.
90. Au total, 12 alertes, dont deux cas mentionnés ci-dessus,
ont été publiées depuis 2019 sur la Plateforme du Conseil de l'Europe
pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes.
Un seul cas a été résolu grâce à une réponse constructive de l'État
.
91. Sur le plan des satisfactions, il faut souligner qu’aucune
préoccupation majeure concernant la couverture médiatique de la
campagne parlementaire de décembre 2020 n'a été soulevée par la
mission spéciale d'évaluation électorale du BIDDH
.
Il a toutefois été recommandé au Conseil national de l'audiovisuel d'envisager
d'améliorer sa méthodologie de suivi des médias et d'allouer des
ressources supplémentaires pour inclure un suivi quantitatif des
médias. Il n’y a pas non plus de délai pour examiner les plaintes
et indemniser rapidement les victimes.
3.5. Les
droits des personnes appartenant à des minorités nationales
92. La Roumanie, qui a été le premier
État à ratifier la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(STE no 157) en avril 1995, a été soumise
depuis au mécanisme de suivi de la Convention. Dans son dernier
rapport publié en novembre 2019, le Comité consultatif de la Convention
a souligné
les progrès constants accomplis dans la protection et la promotion
des droits des personnes appartenant aux minorités nationales vivant
en Roumanie. L'engagement des autorités envers les principes de
la Convention se reflète dans la législation nationale pertinente,
les mesures prises pour sa mise en œuvre et les allocations financières en
faveur des personnes appartenant aux minorités nationales. Le Comité
consultatif indique que la situation de ces personnes s'est considérablement
améliorée d'un cycle de suivi à l'autre et que la Roumanie peut
être considérée comme un exemple de bonnes pratiques européennes.
93. Les groupes minoritaires représentent plus de 10 % de la population
totale. Il existe vingt et un groupes officiellement reconnus, les
Hongrois de souche étant le groupe le plus important avec 1,2 million
de personnes (6,1% de la population). Tous sont représentés au sein
d'un organe consultatif gouvernemental appelé le Conseil des minorités
nationales
.
La composition du Conseil confère à chaque groupe une représentation constitutionnellement
garantie au parlement par des sièges préférentiels à la Chambre
basse, la Chambre des députés. Le seuil inférieur pour ces sièges
est fixé à 5 % du nombre moyen de voix nécessaires pour obtenir un
mandat au niveau national. Pour les élections de 2020, ce seuil
était inférieur à 800 voix. L'UDMR a remporté 21 sièges, les autres
minorités un siège chacune, lors des dernières élections législatives.
94. La seule préoccupation concernant les droits des personnes
appartenant à des minorités nationales soulevée par la mission spéciale
d'évaluation des élections du BIDDH qui a observé les élections
législatives du 6 décembre 2020 concernait la différence de traitement,
dans le processus électoral, entre les organisations de minorités
représentées au Conseil et celles qui ne l'étaient pas. Si ces dernières
ont été tenues de recueillir un nombre de signatures égal à 15 %
de la population de leur minorité, les premières ont été exemptées
de cette obligation et ont reçu un financement public. Dans son
rapport final, le BIDDH a recommandé de modifier la législation
électorale en vue de promouvoir des conditions de concurrence équitables
entre les organisations de minorités nationales, tant au sein qu'à
l'extérieur du Conseil des minorités nationales, en vue de briguer
des sièges préférentiels.
95. La Roumanie est parvenue à définir son propre modèle de protection
des droits des personnes appartenant à des minorités nationales,
fondé sur leur participation effective à la vie politique et socio-économique
grâce au dialogue structurel au parlement et au Conseil. Le succès
repose sur l'idée de dialogue et de consolidation du consensus sur
les politiques en faveur des minorités.
3.5.1. La
minorité hongroise
96. Le recensement de 2011 indique
que la minorité hongroise de Roumanie est la plus grande minorité ethnique
et qu’elle est composée de 1 227 623 personnes, soit 6,1% de la
population totale.
97. Selon les représentants de la minorité hongroise que nous
avons rencontrés, la législation recommandée par la Convention-cadre
et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148)
n'a jamais été traduite en une loi-cadre globale sur les minorités
en Roumanie
.
En outre, il existe certaines divergences entre les lois existantes
et leur application, qui entravent les droits des minorités.
98. Malgré la participation de l’UDMR à plusieurs gouvernements
de coalition, certains droits, surtout en ce qui concerne l'usage
des langues, notamment dans l'administration, les symboles, l'autonomie
culturelle, les noms de villes et l'éducation ne sont toujours pas
mis en œuvre, principalement en raison de la résistance des autorités
nationales. Il existe de nombreux obstacles administratifs qui entravent
la mise en œuvre des droits des minorités. Il s'agit notamment de
l'absence de textes réglementaires, du manque de suivi par les autorités nationales
de l'application des dispositions relatives aux langues minoritaires
et de l'impact financier que doivent supporter les communautés locales.
Les questions liées au financement insuffisant et à l’absence de sanctions
en cas de non-respect de certains droits des minorités ont été soulevées
par plusieurs interlocuteurs au cours des auditions et de la visite.
Le refus d’autoriser le bilinguisme dans les zones interethniques
est devenu l'un des principaux obstacles à une meilleure intégration
de la minorité hongroise et a favorisé l'auto-ségrégation en poussant
les membres de cette minorité à créer une société parallèle comprenant
ses propres écoles, médias, institutions, etc.
99. Notre attention a aussi été attirée sur le fait que le nouveau
Code administratif adopté en 2019
a instauré des modalités
plus restrictives pour l’application des droits linguistiques des
minorités et que ces nouvelles modalités mettent en danger des droits
linguistiques existants dans certaines communautés
.
100. L'état du discours public hostile aux minorités équivaut parfois
à un discours de haine. Il est déplorable que certains hommes politiques
de premier plan aient qualifié la minorité hongroise de menace,
ce qui a attisé les rancœurs et déclenché des campagnes contre les
Hongrois. En 2015, la Stratégie nationale de politique publique
et de sécurité publique a explicitement indiqué que l'aspiration
à l'autonomie territoriale des Hongrois était une menace interne,
ce qui a provoqué l'indignation de l'UDMR. La référence a par la
suite été supprimée, mais d'autres déclarations en ce sens ont été
faites, notamment par le Président Klaus Iohannis qui, en 2020, a
accusé le plus grand parti d'opposition, le PSD, de «vendre la Transylvanie
aux Hongrois».
101. Au cours de la visite, nous avons aussi été informées du fait
que les attitudes hostiles aux Hongrois et le discours de haine
étaient courants dans le sport, particulièrement dans le football.
Des joueurs hongrois seraient souvent la cible de chants xénophobes
et discriminatoires. Ces pratiques restent malheureusement impunies
et, jusqu’à récemment, aucune loi spécifique n’était appliquée pour
les sanctionner. Il est à espérer que la modification apportée récemment
à l’article 369 du Code pénal (voir ci-dessous) permette de remédier à
cette situation.
102. À titre d’exemple de ces tensions, on peut citer les affrontements
qui ont eu lieu sur le site du cimetière militaire de la vallée
d’Úz en juin 2019, à la suite de certaines décisions administratives
concernant l’appropriation du cimetière. Une foule en colère a franchi
le cordon de police pour s’en prendre à un rassemblement pacifique
de membres de la communauté hongroise qui se recueillaient sur le
site. Les autorités ont condamné fermement cette attaque mais le
ministère public a décidé que les slogans hostiles aux Hongrois
qui avaient été proférés durant l’attaque («Pas de place pour les
Hongrois dans notre pays! Allez-vous-en!») ne tombaient pas sous
le coup de l’article 369 du Code pénal, qui vise l’incitation à
la haine ou à la discrimination; le ministère public soutenant que
cet article pouvait s’appliquer à une catégorie de personnes (à
des personnes handicapées ou à des personnes homosexuelles, par
exemple), mais pas à un groupe ethnique. Par conséquent, en février
2021, la Commission européenne a demandé à la Roumanie de transposer
pleinement dans la législation nationale les dispositions du droit
de l’Union européenne conférant le caractère d’infraction pénale
au discours de haine et aux infractions inspirées par la haine.
Les autorités roumaines nous ont informées que l’article 369 avait
été modifié récemment par la loi n° 170/2022. Dans sa version actuelle,
la disposition concernée s’applique lorsque la haine ou la discrimination
visant des personnes sont fondées sur la race de ces personnes,
leur nationalité, leur origine ethnique, leur langue, leur religion,
leur genre, leur orientation sexuelle, leurs opinions politiques
ou leur appartenance à un parti politique, leur fortune, leur origine
sociale, leur âge ou le fait qu’elles ont un handicap ou une maladie
chronique non contagieuse ou qu’elles ont été contaminées par le
VIH.
3.5.2. L’égalité
des Roms et leur inclusion
103. Le recensement de 2011 indique
que la population rom en Roumanie s'élève à 621 573 personnes, soit 3,2 %
de la population résidente totale. Cette population est répartie
de manière relativement uniforme dans le pays. On estime cependant
que le chiffre réel est beaucoup plus élevé. Par exemple, le Conseil
de l'Europe l’estime à 1 850 000 personnes (8,6 % de la population
totale). La différence s'explique par la réticence des personnes
concernées à se déclarer Roms par peur de la stigmatisation et de
la discrimination.
104. Malheureusement, la perception négative du public à l'égard
des Roms est répandue en Roumanie, ce que plusieurs sondages ont
confirmé
. Le niveau d'éducation de
la population rom est très faible. En effet, 25 % des adultes de
plus de 16 ans déclarent ne pas savoir lire et écrire. Les femmes
sont encore plus touchées par l'analphabétisme et 23 % de la population
rom n'a pas obtenu de diplôme scolaire. Les Roms occupent la position
la plus défavorisée sur le marché de l’emploi, ce qui est dû en
partie au faible niveau d'instruction mais aussi aux comportements
discriminatoires des employeurs. En 2011, le taux d'emploi de la population
rom était de 35,5 %, contre 58 % au niveau national. Le manque d'emplois
est le principal obstacle à l'inclusion sociale des Roms en Roumanie.
En outre, la pénurie de logements sociaux reste d’actualité et les Roms,
qui continuent d’être expulsés de force des campements sauvages
qu’ils occupent, bénéficient rarement d’une solution de relogement.
Si 25 % de la population générale a des revenus inférieurs au seuil national
de pauvreté, ce taux s’élève à 70 % pour la population rom.
105. Pourtant, les autorités roumaines ont déployé des efforts
considérables pour remédier à cette situation. La stratégie nationale
pour l'intégration des Roms pour la période 2016-2020, fondée sur
le cadre élaboré au niveau européen, proposait des solutions complètes
dans quatre domaines, l'éducation, l'emploi, la santé et le logement,
ainsi que des mesures pour d'autres domaines, notamment les services
sociaux et la culture. Selon le rapport préparé par l'Agence nationale
pour les Roms publié le 16 mars 2020, la Stratégie nationale roumaine
pour l'intégration des Roms progresse comme prévu mais elle n'a
guère eu d'effet jusqu'à présent. D’importantes contraintes financières
pèsent sur sa mise en œuvre.
106. On note avec satisfaction qu’en janvier 2021, la Roumanie
a introduit une loi contre le discours ou le comportement anti-Roms
qui pourrait être passible d'une peine pouvant aller jusqu'à dix
ans de prison. Les comportements répréhensibles sont notamment les
«manifestations verbales ou physiques, motivées par la haine à l'égard
des Roms, dirigées contre les Roms ou leurs biens». Il s’agit notamment
des crimes de haine contre les lieux de culte, les traditions et
la langue rom.
107. Pendant la pandémie de covid-19, les ONG et les médias ont
signalé plusieurs cas de recours illégal à la force et d'allégations
de mauvais traitements infligés aux Roms par la police
.
Des informations font état de la montée des discours de haine et
du racisme visant les Roms dans les médias de masse et les médias sociaux,
en particulier de la part de leaders d'opinion et de personnalités
publiques. L'organisme roumain chargé de l'égalité, le Conseil national
de lutte contre la discrimination, a critiqué un journal local,
un membre du parlement, un ancien président et un professeur d'université
pour leurs déclarations discriminatoires à l'égard des Roms.
108. La pandémie a également eu un impact négatif sur l'éducation
des enfants roms. Une étude de l'ONG Caritas Roumanie montre, qu’en
moyenne, seuls 15 % des enfants roms ont participé régulièrement
à des activités éducatives en ligne pendant le confinement (mars-juin
2020), contre 83 % avant la pandémie. Les principaux obstacles relevés
sont le manque d'équipement technique, le surpeuplement des foyers,
le manque d'espaces d'étude adéquats et l'absence de soutien parental.
3.5.3. Les
personnes LGBTI
109. En juin 2020, le parlement
a adopté sans aucun débat public une loi qui, entre autres, interdisait
tout enseignement et formation axés sur l'identité de genre. Le
texte interdit notamment «les activités visant à propager la théorie
ou l'opinion de l'identité de genre, qui est une théorie ou une
opinion selon laquelle le genre est une notion différente de celle
du sexe biologique et que les deux ne sont pas toujours identiques».
110. Les groupes de défense des droits humains ont condamné la
loi en faisant valoir qu'elle légitimerait la discrimination à l'encontre
de la communauté LGBTI. La loi a également soulevé des préoccupations
en matière de liberté d'expression et de liberté académique. En
décembre 2020, elle a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour
constitutionnelle.
111. La société civile souligne l'existence d'une atmosphère hostile
à l'égard des personnes LGBTI en Roumanie, qui peut en faire des
cibles de violence
, comme l'illustre
l'affaire
M.C. et A.C. c. Roumanie devant la
Cour européenne des droits de l'homme
. Les requérants ont été
attaqués et blessés par un groupe de personnes alors qu'ils rentraient
d'une marche des fiertés annuelle. Les autorités roumaines n'ont
pas pris en compte les éventuels motifs discriminatoires et ont
traité cette affaire comme de simples faits de violence. Il s'agit
d'un problème plus général que nous aborderons dans un sous-chapitre
ci-dessous.
3.5.4. Les
demandeurs d’asile et les migrants
112. Selon le Haut Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés, 6 116 demandes d'asile ont
été reçues en 2020 en Roumanie, dont la plupart provenaient d'Afghanistan,
de Syrie et d'Irak. Au total, 81 % des demandes d'asile ont été
rejetées en premier lieu. En 2021, le chiffre correspondant s'élevait
à 9 591 demandes, à la suite desquelles 500 personnes ont obtenu
le statut de réfugié, 626 ont reçu d'autres formes de protection
humanitaire et 3 190 ont été rejetées, soit un taux de rejet de
73,91%.
113. Depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022, la Roumanie
a été confrontée à de grandes vagues de réfugiés en provenance de
ce pays. Au 27 avril 2022, plus de 770 000 Ukrainiens avaient fui
vers la Roumanie et environ 80 000 d'entre eux avaient décidé d’y
rester. Le 27 février 2022, le Gouvernement roumain a adopté l'ordonnance
d'urgence 15/2022 relative à la fourniture d'un appui humanitaire
et d'une assistance par l'État roumain aux ressortissants étrangers
ou aux apatrides se trouvant dans des situations particulières en provenance
de la zone de conflit armé en Ukraine. Le 18 mars 2022, la décision
gouvernementale n° 367 relative à la création de conditions permettant
d'assurer une protection temporaire est entrée en vigueur. En raison
de la pression inhabituelle qui a entouré le régime d'asile, le
ministère roumain de l'Intérieur a signé un plan opérationnel avec
l'Agence de l’Union européenne pour l'asile à la fin du mois de
mars 2022. Le plan prévoit le déploiement progressif jusqu’à 120
membres du personnel et interprètes de l'AUEA dans le pays
. La
Roumanie doit être félicitée pour sa réaction rapide et l'aide qu'elle
a apportée à un grand nombre de personnes ayant besoin d'une protection
internationale.
114. Au cours de nos échanges avec les organisations non gouvernementales
de défense des droits de l'homme qui s'occupent des réfugiés et
des demandeurs d'asile, nous avons appris qu'il existe certaines préoccupations
concernant principalement les réfugiés et les demandeurs d'asile
non ukrainiens. Le problème principal est celui de la rétention
publique prévue par la loi sur l'asile telle qu'introduite en 2015,
qui équivaut à une détention administrative mais n'est pas considérée
comme telle. Selon la loi, elle ne doit être appliquée que dans
des cas clairement définis, lorsqu'il existe un «risque important
de fuite»; en pratique, dans la plupart des cas, les demandeurs
d'asile sont détenus sur le territoire. Alors qu'avant 2015, l'ordonnance
sur les étrangers exigeait la libération de l'étranger dès le dépôt
de la première demande d'asile, la loi actuelle prescrit qu'un demandeur
d'asile n'est libéré que lorsqu'il se voit accorder un statut de
protection; sinon, il est détenu pendant toute la procédure, y compris
les recours, jusqu'à l'expulsion en cas de rejet.
115. La société civile nous a également fait part d'autres préoccupations,
notamment certaines lacunes procédurales telles que le nombre insuffisant
d'interprètes, le manque de conseils juridiques, l'insuffisance
des informations fournies aux demandeurs d'asile et l'accès prétendument
entravé à la justice. Certaines catégories de demandeurs d'asile,
telles que les victimes d'abus sexuels, en particulier les enfants,
ne sont pas suffisamment prises en charge. Il n'y a pas de soutien
psychologique ou juridique. Plus généralement, le système judiciaire
ne dispose pas d'outils adéquats pour protéger les victimes de tels
crimes.
116. Nous avons également été informés que la traite des êtres
humains demeurait un sujet de préoccupation, en partie à cause d'une
définition imprécise de la contrebande.
3.6. 6
Le discours de haine et les violences motivées par la haine
117. Le discours de haine raciste
et intolérant dans le discours public, en particulier au niveau
local, et sur internet est un problème généralisé en Roumanie. Les
principales cibles sont les Roms, la minorité hongroise, les personnes
LGBTI et la communauté juive. Des agressions physiques sporadiques
de ces groupes ou de leurs biens ont également été signalées. En
outre, il est fait état de cas présumés de discrimination raciale
et de comportements abusifs de la police. Cette évaluation a été
confirmée par les représentants de la société civile avec lesquels
nous avons échangé en ligne.
118. Selon l'évaluation de l'ECRI
, la réponse
des autorités à ces rapports et allégations n'est pas satisfaisante.
Le niveau de sous-déclaration est très élevé. Elles n’ont pas mis
en place de système cohérent et systématique de collecte de données
sur le discours de haine et la violence inspirée par la haine. Il
est en outre rare que des poursuites pénales soient engagées et
que les dispositions sur la motivation raciste en tant que circonstance
aggravante soient appliquées. Les représentants des forces de l’ordre
et du corps judiciaire ne disposent pas de connaissances et de compétences
suffisantes pour reconnaître les crimes de haine, ce qui les empêche
de les qualifier comme tels. Cette situation est aggravée par le
manque de sensibilisation du grand public. Il n'existe pas d'organisme
indépendant chargé d'enquêter sur les allégations de comportement répréhensible
de la police. En conséquence, l'impunité dont jouissent les auteurs
de tels actes ne constitue pas un moyen efficace de dissuasion.
119. Nous avons mentionné ci-dessus que la question du signalement
et de l'enregistrement des crimes de haine a fait l'objet d'un arrêt
de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire
M.C et A.C c. Roumanie .
120. Depuis la publication du rapport de l'ECRI, une nouvelle loi
qui sanctionne le discours anti-Roms, mentionné plus haut, a été
introduite. La Stratégie nationale, et le Plan d'action correspondant,
pour la prévention et la lutte contre l'antisémitisme, la xénophobie,
la radicalisation et les discours de haine pour 2021-2023 ont été
adoptés en mai 2021. L'un de ses objectifs est d'améliorer la collecte
de données sur les crimes de haine en élaborant une méthodologie
uniforme. À cette fin, un groupe de travail a été créé, composé d’experts
du ministère de la Justice, du Bureau du Procureur général, du Conseil
supérieur de la magistrature et de l’Institut national de la statistique.
121. La modification récente de l’article 369 du Code pénal, décrite
au paragraphe 102, constitue une autre initiative positive.
122. En outre, les autorités ont dispensé une formation complémentaire
aux agents des forces de l'ordre et aux membres de l'appareil judiciaire
sur le traitement des violences motivées par la haine. Par exemple,
entre octobre 2018 et mars 2020, 144 professionnels au total (96
juges et procureurs, 24 policiers et 24 gendarmes) ont tiré profit
d’une formation professionnelle spécifique sur la législation relative
aux infractions motivées par la haine, y compris la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme. La formation initiale
et continue des policiers porte sur des sujets relatifs aux infractions
pénales motivées par la haine
.
123. Le CSM nous a informées des mesures concrètes prises dans
le système judiciaire pour combattre le discours de haine. En particulier,
nous avons appris que des contrôles thématiques étaient réalisés
dans les tribunaux et dans les services de poursuite concernant
la manière d’enquêter sur les infractions visées par l’article 369
et concernant le traitement de ces affaires, et que les résultats
de ces contrôles étaient ensuite communiqués au CSM, accompagnés
de propositions de mesures concrètes à prendre pour améliorer la situation.
Des formations ont commencé à être organisées.
124. Enfin, il est important de noter que, lors de notre visite,
nous avons appris que de nouvelles règles facilitant la sanction
du discours de haine au parlement avaient été intégrées dans le
règlement du parlement en mars 2022, en réaction à certaines déclarations
discriminatoires.
4. Remarques
finales
125. Le présent rapport contient
un certain nombre de préoccupations, que nous avons identifiées
sur la base des différentes sources d'informations répertoriées
dans l'introduction. Par la suite, nous avons discuté de ces préoccupations
avec les autorités roumaines, aux niveaux législatif, exécutif et
judiciaire, en vue de trouver des moyens d’améliorer la situation.
Nous saluons l’attachement manifeste de nos interlocuteurs aux valeurs démocratiques,
leur ouverture et leur volonté de coopérer pour que la Roumanie
remplisse les obligations lui incombant en qualité de membre du
Conseil de l'Europe.
126. Nous constatons avec satisfaction que la Roumanie progresse
vers le respect des normes du Conseil de l'Europe dans des domaines
essentiels pour le fonctionnement des institutions démocratiques,
notamment le système judiciaire et la lutte contre la corruption.
Nous espérons que les autorités poursuivront les réformes engagées,
en coopération avec la Commission de Venise et le GRECO et sur la
base des recommandations formulées par ces organes. Nous nous déclarons
une nouvelle fois convaincues que tous les changements législatifs
devraient faire l’objet de vastes consultations de toutes les parties
prenantes et que les avis ainsi recueillis devraient être pris en
compte dans toute la mesure du possible.
127. Il y a des points qui suscitent une certaine inquiétude, notamment
en ce qui concerne la liberté des médias et le manque de transparence
qui caractérise l’utilisation des fonds publics par les partis politiques
pour financer les médias dans le but d’influer sur leur contenu.
Nous espérons que ce problème sera traité dès que possible, de manière
à ce que les médias puissent jouer pleinement leur rôle important
dans une société démocratique.
128. Par ailleurs, nous félicitons les autorités roumaines d’avoir
réagi rapidement à l’afflux de personnes qui avaient besoin de l’aide
humanitaire internationale en raison de l’agression menée par la
Fédération de Russie contre l’Ukraine.
129. Plus généralement, nous apprécions beaucoup l’excellent travail
réalisé par la Médiatrice de la Roumanie et par son équipe dans
le cadre du dialogue permanent avec les autorités et saluons son
action en faveur du respect des droits humains. Nous nous réjouissons
que la Cour constitutionnelle ait décidé à l’unanimité de réintégrer
la Médiatrice dans ses fonctions après la décision de destitution
qui avait été prise par le parlement
.
130. Nous pensons que le Conseil de l'Europe et ses organes spécialisés,
ainsi que l’Assemblée parlementaire, peuvent aider le parlement
et les autorités roumaines à poursuivre leurs efforts pour que la Roumanie
remplisse mieux les obligations qu’elle a contractées, comme tous
les autres membres, lors de son adhésion à l’Organisation. Nous
espérons que le présent rapport encouragera toutes les commissions concernées
à prendre en compte dans leurs travaux respectifs les préoccupations
décrites dans ce rapport.
131. En particulier, nous espérons que la commission de suivi continuera
à observer l’évolution de la situation en Roumanie dans le cadre
de son suivi périodique. Nous recommandons que le prochain rapport
sur la Roumanie soit élaboré dans un délai de cinq ans.