Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 15620 | 27 septembre 2022

L'avenir du travail passe par le réexamen des droits du travail

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Selin SAYEK BÖKE, Türkiye, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15226, Renvoi 4567 du 19 mars 2021. 2022 - Quatrième partie de session

Résumé

Le monde du travail évolue rapidement avec les nouvelles technologies et la pandémie de covid-19 qui ont affecté l’organisation du travail, des travailleurs et des lieux de travail. Une évolution massive vers des formes d’emploi atypiques et une augmentation du télétravail ont un impact sur les droits et les politiques du travail, ainsi que sur la santé et le bien-être personnels. Cela nécessite un débat de société ouvert pour corriger les déséquilibres afin qu’un travail décent et la sécurité économique soient garantis pour tous. Le rapport plaide également en faveur d’une meilleure reconnaissance du travail non rémunéré, d’une organisation du travail qui réduit le stress et un soutien accru aux parents qui travaillent.

Étant donné que le télétravail – principalement des arrangements hybrides comprenant une présence en ligne et physique sur le lieu de travail – domine de plus en plus l’organisation du travail, les parties prenantes devraient l’ajuster grâce à une flexibilité maximale des heures et du lieu de travail, à une réduction du temps de travail quotidien et/ou hebdomadaire et à un droit effectif à la déconnexion. Pour éviter la précarité induite par l’automatisation, les applications d’intelligence artificielle et les plateformes numériques de travail, les États membres devraient mettre en place des garanties juridiques concernant les horaires de travail et les revenus irréguliers, lutter contre la discrimination et améliorer l’accès à la protection sociale de base, à la négociation collective et au système judiciaire. Le rapport appelle également à des mesures pour défendre les normes minimales du travail et les droits socio-économiques essentiels, notamment la santé et la sécurité au travail, dans le monde entier.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 22 septembre
2022.

(open)
1. Partout en Europe et dans le monde, le travail a été et restera probablement au cœur de la vie humaine. Il assure la subsistance, permet d’accéder à une vie autonome et de jouir de divers avantages et droits. Le travail peut aussi donner un sens à la vie de celui ou celle qui l’exerce et assurer sa dignité, en lui offrant un rôle dans la société et en lui permettant de contribuer à la prospérité commune: le travail nous lie les uns aux autres. Ces dernières années, les nouvelles technologies et la pandémie de covid-19 ont radicalement transformé le monde du travail, touchant à la fois l’organisation du travail, les travailleurs et les lieux de travail. Alors que nous assistons à un tournant radical vers des formes d’emploi atypiques et toujours plus de télétravail, certains aspects fondamentaux des droits et des politiques du travail exigent qu’un débat sociétal ouvert soit mené pour corriger les déséquilibres afin que personne ne soit laissé sur le bord de la route et que la sécurité économique soit garantie à tous.
2. L’Assemblée parlementaire note que cette nouvelle réalité a fondamentalement changé les conditions de travail et les relations entre employeurs et salariés, ce qui a eu des effets directs et indirects sur la santé, le bien-être et les droits socio-économiques de la population active. Tout en reconnaissant des effets positifs possibles sur la productivité, l’Assemblée constate avec préoccupation de nombreuses situations d’emploi précaire et des pratiques discriminatoires au travail, en particulier à l’égard des femmes qui doivent s’occuper de leurs proches. Le changement de nature des emplois a également des répercussions sur le droit syndical et le droit de négociation collective des travailleurs, ainsi que sur le fonctionnement des syndicats, et il augmente le risque de recours abusif aux techniques de surveillance ou de contrôle des travailleurs. En outre, étant donné que la mondialisation du travail affaiblit la portée des systèmes de protection sociale nationaux et des protections individuelles par-delà les frontières, l’Assemblée estime qu’il est urgent d’intégrer, à l’échelle mondiale, des normes de travail minimales plus exigeantes, notamment des normes de base en matière de santé et de sécurité des travailleurs, sous la direction de l’Organisation internationale du travail (OIT).
3. De plus, l’importance sociétale qui est donnée au travail rémunéré ne reflète pas la complexité de la nature humaine et de la vie. Elle ferme les yeux sur l’énorme quantité de travail non rémunéré que des milliards de femmes dans le monde offrent à la société en s’occupant des enfants et d’autres membres du foyer (généralement des personnes âgées): dans la plupart des pays, les femmes continuent à effectuer les deux tiers du travail de soin non rémunéré, une tendance qui s’est encore aggravée pendant la pandémie. Cette approche dévalorise aussi les emplois dans le domaine du soin à la personne, de même que le travail bénévole. L’Assemblée plaide donc en faveur d’une refonte des politiques du travail, afin de permettre une meilleure reconnaissance du travail non rémunéré et l’édification d’une société socialement plus juste.
4. Pendant la pandémie de covid-19, le télétravail a déferlé tel un raz-de-marée sur le monde du travail. L’Assemblée est convaincue que pour les métiers du savoir, le télétravail restera un aspect pérenne de l’organisation du travail, le plus souvent sous la forme de modalités hybrides qui associent présence en ligne et présence physique. Les gouvernements et leurs partenaires sociaux (employeurs, employés et associations professionnelles/syndicats) sont donc invités à faciliter et à mieux intégrer le recours accru au télétravail à titre permanent, en prenant des mesures législatives qui offrent des conditions équitables et un maximum de souplesse tant pour les travailleurs que pour leurs employeurs, tout en garantissant que les droits économiques et sociaux soient bien protégés. Dans ce contexte, l’Assemblée insiste sur la nécessité de prendre des orientations politiques en matière de télétravail qui préservent et renforcent la protection des droits socio-économiques énoncés dans la Charte sociale européenne (STE n° 35) et la Charte européenne révisée (STE n° 163).
5. L’Assemblée note que des études et des données mettent en évidence l’évolution de la culture du travail, caractérisée par une nouvelle génération de travailleurs qui apprécient, davantage que leurs aînés, la souplesse des horaires, le choix du lieu de travail ainsi que la réduction du temps de travail. L’Assemblée note également la nécessité de mieux définir le « droit à la déconnexion » tant dans les législations nationales qu’aux niveaux européen et international. Il a été établi qu’une plus grande autonomie des travailleurs et une meilleure prise en compte de leurs préférences entraînent une hausse de productivité, ce qui est bénéfique à tous les partenaires sociaux – les travailleurs, les employeurs et la société dans son ensemble.
6. L’Assemblée est préoccupée par l’escalade des niveaux de stress sur de nombreux lieux de travail, qui a des conséquences dramatiques pour les individus et la société dans son ensemble. Reconnaissant que le stress au travail est notre défi à tous, elle renouvelle les recommandations formulées dans sa Résolution 2267 (2019) « Le stress au travail », en particulier en ce qui concerne l’adoption d’« une organisation du travail qui réduise le stress, avec des semaines raccourcies à quatre jours (comptant 28 à 32 heures de travail hebdomadaire), des horaires modulables, davantage d’autonomie, des possibilités de télétravail et des systèmes de travail partagé, notamment pour les parents et les aidants qui travaillent ».
7. L’automatisation, les applications d’intelligence artificielle et les plateformes de travail numériques pourraient, à mesure qu’elles progressent, constituer de nouveaux vecteurs d’inclusion en offrant de nouvelles perspectives d’emploi aux personnes qui sont marginalisées sur le marché du travail traditionnel. L’Assemblée estime que pour épouser cette tendance en toute confiance et éviter toute précarité qui pourrait en résulter pour les travailleurs concernés, les États membres devraient mettre en place des garanties juridiques fondamentales concernant les horaires de travail et les salaires irréguliers, remédier aux difficultés d’accès à une protection sociale de base et aux droits de négociation collective ainsi qu’au système judiciaire le cas échéant, et mettre fin à toute discrimination causée par l’utilisation d’algorithmes opaques. L’Assemblée note en outre que la mobilité transfrontière croissante du travail, notamment le télétravail lorsque l’employeur et le salarié sont basés dans des pays différents, a des conséquences sur le droit du travail et le droit fiscal des pays concernés et qu’il convient de les traiter.
8. Tirant les enseignements de la pandémie, des grandes tendances du monde du travail et d’exemples de bonnes pratiques dans les États membres, l’Assemblée souligne qu’il est important d’assouplir l’organisation du travail (s’agissant du lieu et des horaires), afin de répondre de manière équilibrée aux nouveaux besoins des travailleurs, des employeurs et du marché du travail. Invitant les États membres à ajuster leurs cadres réglementaires et leurs politiques du travail, à mieux protéger les droits socio-économiques, à améliorer la santé publique et à assurer le bien-être personnel au travail, l’Assemblée leur recommande:
8.1. en vue d’améliorer les normes minimales du travail et de défendre les droits socio-économiques essentiels, en particulier les normes fondamentales de santé et de sécurité des travailleurs, dans le monde entier:
8.1.1. de veiller à l’application intégrale des conventions et lignes directrices fondamentales de l’OIT ;
8.1.2. de poursuivre la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, en particulier son Objectif no 8, qui vise à atteindre une croissance économique partagée et durable, le plein emploi productif ainsi qu’un travail décent ;
8.1.3. de s’employer à harmoniser les cadres réglementaires des différentes juridictions en matière de travail sur les plateformes, notamment en ce qui concerne le statut professionnel, la protection sociale, l’accès aux droits sociaux fondamentaux, ainsi que le temps de travail, la rémunération, le règlement des litiges, la protection des données personnelles et la vie privée ;
8.1.4. de garantir que les multinationales opérant sur leur territoire et au-delà assument une responsabilité sociale d’entreprise suffisante ;
8.1.5. de mettre à jour les stratégies nationales à cet égard pour couvrir les nouvelles formes de travail et la fragmentation du travail;
8.1.6. de renforcer les capacités institutionnelles pour veiller à ce que les inspections nationales du travail disposent de pouvoirs, de ressources et de formation suffisants pour mieux contrôler la sécurité au travail dans la nouvelle ère du travail en donnant la priorité à la prévention et aux approches fondées sur les risques;
8.1.7. de veiller à ce que les législations nationales et les conventions collectives définissent clairement la responsabilité de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité au travail et, dans le contexte du télétravail, tiennent compte des risques à la fois psychosociaux et ergonomiques;
8.2. d’examiner, d’évaluer et de revoir leur droit du travail et leurs politiques de l’emploi à la lumière des exigences de la Charte sociale européenne et de l’évolution des besoins des marchés du travail, en particulier:
8.2.1. en ce qui concerne l’organisation du travail, d’examiner les possibilités de raccourcir les semaines de travail et/ou la durée quotidienne du travail sans baisse de salaire afin de mettre l’accent non plus sur les heures travaillées mais sur les résultats, d’offrir plus de souplesse pour ceux qui utilisent le fonctionnement multitâche au travail et les dispositifs de partage du travail, de permettre le travail de haute intensité, de s’adapter aux formes de travail atypiques tout en protégeant les droits socio-économiques, de soutenir les parents qui travaillent  et de contribuer à un développement socialement et écologiquement durable;
8.2.2. en ce qui concerne le télétravail et le travail hybride:
8.2.2.1. de veiller à ce qu’une législation spécifique soit en place pour assurer un équilibre entre les besoins et les priorités des travailleurs, des employeurs et de la société dans son ensemble, tout en accordant le plus d’autonomie possible aux travailleurs et à leurs préférences individuelles en matière de travail ;
8.2.2.2. de définir et de codifier dans la législation le droit de se déconnecter du travail et l’obligation pour les employeurs de prévenir l’épuisement professionnel ;
8.2.2.3. d’étudier les avantages d’une intensification du télétravail pour l’environnement et la santé publique, et d’envisager des dispositifs rendant le télétravail obligatoire quelques jours par semaine pour les travailleurs du savoir afin d’alléger les flux de transport locaux, de réduire la pollution et d’économiser l’énergie et d’autres ressources ;
8.2.2.4. de fournir aux travailleurs pratiquant le télétravail des équipements adaptés, de compenser le surcoût qu’ils supportent et de parvenir à un partage équitable de la productivité et des avantages en termes de coûts découlant du travail à distance ou hybride;
8.2.2.5. de veiller à ce que les travailleurs qui pratiquent le télétravail à temps plein ou dans une configuration hybride ne soient pas pénalisés ou victimes d’une discrimination ;
8.2.3. en vue d’optimiser la structure et le dialogue du partenariat social au niveau national:
8.2.3.1. d’inclure les travailleurs indépendants, d’établir le dialogue avec les personnes dispensant des soins non rémunérés et avec les travailleurs migrants, et de corriger la définition (erronée) de la situation professionnelle des personnes qui interviennent dans l’économie des plateformes ;
8.2.3.2. d’améliorer l’accès des personnes qui travaillent dans des formes d’emploi atypiques et des travailleurs des plateformes à la négociation collective et aux associations professionnelles/syndicats, à l’information et à la formation, et à la protection contre les technologies de surveillance intrusives ;
8.2.3.3. de négocier tous les cadres juridiques avec tous les partenaires sociaux et d’institutionnaliser formellement ces mécanismes de dialogue social;
8.2.3.4. d’étudier les options d’utilisation des instruments numériques et des politiques publiques pour améliorer la liberté syndicale et soutenir les organisations syndicales;
8.2.4. en ce qui concerne les actions en faveur d’un travail décent et d’un emploi de qualité pour une vie décente et digne, tout en veillant à ce que la transformation numérique du travail profite à tous et que personne ne soit laissé pour compte:
8.2.4.1. de lancer un débat public pour faire évoluer le contrat social vers une société centrée sur les besoins des individus, la solidarité entre les personnes, l’intérêt général et les droits humains ;
8.2.4.2. d’investir des ressources publiques et d’inciter les entreprises privées à améliorer l’employabilité des personnes par des programmes d’apprentissage tout au long de la vie, des programmes de requalification et de perfectionnement des compétences, et des initiatives institutionnelles en faveur d’un travail décent et durable, conformément à la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail ;
8.2.4.3. de renforcer l’investissement public dans les infrastructures numériques afin que des outils numériques de qualité soient accessibles à tous;
8.2.4.4. d’envisager la mise en œuvre des comptes de formation personnels pour tous les travailleurs, ce qui impliquerait des obligations positives pour tous les employeurs d’établir des plans de développement des compétences ou de formation pour les travailleurs actuels et les travailleurs potentiels, y compris les jeunes qui ont arrêté les études, sont sans emploi ou ne suivent aucune formation, les personnes ayant un emploi non rémunéré ou qui sont au chômage, et les retraités qui souhaitent continuer de travailler mais doivent mettre à niveau leurs compétences;
8.2.4.5. d’attribuer aux politiques de l’emploi un rôle plus important dans la gestion de l’économie et la réduction des inégalités socio-économiques, sur la base d’une meilleure cohérence des décisions et d’un soutien aux droits fondamentaux, aux niveaux national, européen et international ;
8.2.4.6. si ce n’est pas encore le cas, de ratifier la Charte sociale européenne et son Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158), de lever toute réserve existante à la Charte, d’intensifier le soutien politique à la mise en œuvre de la Charte et de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et de promouvoir la pleine application de ces traités fondamentaux dans toute l’Europe, y compris auprès du personnel du Conseil de l’Europe ;
8.2.4.7. d’éradiquer les pratiques d’emploi abusives comme les essais d’emploi non rémunérés et les contrats zéro heure, d’harmoniser la protection des droits entre les catégories de travailleurs en réduisant les différences de traitement fiscal selon les types de contrat, et de garantir une couverture sociale minimale universelle pour tous ;
8.2.4.8. de viser à une meilleure reconnaissance du travail non rémunéré en le rendant plus visible, en mettant en place des politiques plus favorables à la famille (comme l’aménagement des heures de travail et une offre financièrement abordable et facilement accessible de services de garde d’enfants pour les parents qui travaillent, avec un soutien financier supplémentaire pour les personnes vulnérables), en explicitant la valeur pécuniaire de ce travail (par des mesures et des estimations de cette valeur) et en le soutenant par le biais de prestations sociales ou d’un revenu de base parallèlement à la fourniture publique de services de santé de qualité accessibles à tous;
8.2.4.9. de réactualiser la législation et les stratégies nationales en matière de santé et de sécurité des travailleurs afin de mieux prendre en compte les nouvelles formes de travail, les différentes catégories de travailleurs (y compris les indépendants) et la mobilité accrue des travailleurs entre les différents lieux de travail et par-delà les frontières ;
8.2.4.10. de veiller à ce que les lieux de travail soient exempts de toute forme de harcèlement et de surveillance en ligne;
8.2.4.11. de concevoir de nouvelles politiques axées sur l’égalité multidimensionnelle et de revoir la nature du travail liée à l’âge afin de garantir l’inclusion sur le marché du travail et la mise en œuvre effective des principes de non-discrimination;
8.2.5. d’examiner la nécessité de nouvelles structures institutionnelles et de renforcer les capacités publiques afin d’identifier les tendances, les risques émergents et les besoins réglementaires, et d’évaluer l’impact de la transformation structurelle du travail en termes de durabilité environnementale et sociale (y compris le sexe, l’âge, la diversité des compétences, etc.) ainsi que de l’évolution professionnelle (qualité du travail).

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adoptée à l’unanimité par la commission le 22 septembre 2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2022) « L’avenir du travail passe par le réexamen des droits du travail » et souligne la nécessité pour les États membres de s’adapter, par le droit et la pratique, aux vastes transformations sociétales, économiques et technologiques du monde du travail. L’Assemblée est convaincue que les États membres devraient contribuer à façonner l’avenir du travail sur la base du progrès sociétal, grâce à une organisation plus souple du travail renforcée par l’accès amélioré aux droits socio-économiques, des emplois de qualité, le dialogue social inclusif et le développement durable.
2. L’Assemblée accueille avec satisfaction les orientations données par le Comité des Ministres aux États membres dans le cadre de son Groupe de travail ad hoc sur l’amélioration du système de la Charte sociale européenne (GT-CHARTE) en ce qui concerne les questions de fond à long terme relatives à la Charte, en particulier la possibilité d’ajouter de nouvelles dispositions à la Charte pour renforcer la protection des travailleurs dans les formes d’emploi atypiques et relever les défis posés par les nouvelles formes de travail telles que le travail sur les plateformes et le travail faisant appel à l’intelligence artificielle. Dans ce contexte, l’Assemblée attire l’attention du Comité des Ministres sur les recommandations qu’elle a formulées dans la Résolution précitée, notamment celles qui concernent les horaires de travail, le télétravail et le travail hybride, le droit à la déconnexion, une meilleure reconnaissance du travail non rémunéré, la santé et la sécurité au travail, les politiques de formation et de compétences, le renforcement des capacités des institutions publiques, la nécessité d’un dialogue social national ainsi que de normes internationales minimales et harmonisées du travail et la promotion de la pleine application de la Charte sociale européenne (STE n° 35) et la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163) dans l’ensemble de l’Europe, y compris auprès du personnel du Conseil de l’Europe.

C. Exposé des motifs par Mme Selin Sayek Böke, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le concept de «l’avenir du travail» nous invite à projeter la façon dont le travail, les travailleurs et les lieux de travail vont évoluer dans les années à venir. Avec la numérisation, les nouvelles technologies et la pandémie de covid‑19, l’avenir du travail se dessine déjà. En effet, de profondes transformations dans de nombreux secteurs de l’économie ont également affecté l’organisation du travail. Si l’impact global reste à déterminer, le passage au télétravail lors de la pandémie est susceptible de devenir une caractéristique permanente de l’avenir du travail grâce à des arrangements pour travailler en mode hybride (combinant présence au bureau et télétravail) ou même un travail entièrement à distance principalement de chez soi. Plus récemment, réagissant à la perspective d’une pénurie d’énergie après l’agression de l’Ukraine par la Russie, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a appelé les pays riches à prendre des mesures audacieuses – notamment «travailler à domicile jusqu’à trois jours par semaine si possible» – afin de réduire la demande mondiale de pétrole 
			(3) 
			Voir le
communiqué de presse de l’AIE (Agence internationale de l’énergie)
du 18 mars 2022, notamment le plan en 10 points pour réduire la
consommation de pétrole, 
			(3) 
			<a href='https://www.iea.org/news/emergencymeasurescanquicklycutglobaloildemandby27millionbarrelsadayreducingtheriskofadamagingsupplycrunch'>https://www.iea.org/news/emergency‑measures‑can‑quickly‑cut‑global‑oil‑demand‑by‑2‑7‑million‑barrels‑a‑day‑reducing‑the‑risk‑of‑a‑damaging‑supply‑crunch</a>.. Ces changements rapides et multidimensionnels suggèrent que l’avenir du travail arrive plus vite que prévu.
2. Cette nouvelle réalité change radicalement les conditions de travail et les relations entre employeurs et salariés, ce qui a des effets directs sur la santé, le bien‑être et les droits sociaux de la population active. Elle met aussi en évidence beaucoup de situations d’emploi précaire et des pratiques discriminatoires (telles qu’envers les femmes qui doivent s’occuper de leurs proches). L’évolution du monde du travail a une incidence sur le droit à des conditions de travail justes, la protection de la santé et de la sécurité au travail, le droit à la déconnexion et le droit à la confidentialité et à la protection des données. L’évolution de la nature des emplois a également un impact significatif sur les droits à la liberté syndicale et à la négociation collective, ainsi que sur la structure institutionnelle des syndicats. Ainsi, ces changements ont des effets significatifs sur les droits économiques et sociaux.
3. En tant que première signataire de la proposition intitulée «L’avenir du travail passe par le réexamen des droits du travail» (Doc 15226), et maintenant en tant que rapporteure sur cette question, j’estime qu’il est important de comprendre comment les changements sociétaux, économiques et technologiques en cours influent sur les droits sociaux des travailleurs énoncés dans la Charte sociale européenne (STE n° 35) et les politiques nationales, et comment un meilleur usage des instruments juridiques, des outils de régulation et des orientations stratégiques pourrait contribuer à mieux protéger les travailleurs, et donc à créer un meilleur avenir du travail pour tous.
4. Dans ce rapport, nous examinerons les nouvelles réalités professionnelles, dans le cadre des transformations majeures qui sont à l’œuvre dans nos sociétés, et nous tenterons de formuler des propositions stratégiques et des recommandations à l’intention des États membres. Afin d’avoir un aperçu plus complet des possibilités d’évolution du monde du travail et des perspectives qui pourraient s’ouvrir aux personnes qui travaillent, la commission a organisé, le 17 mars 2022, une audition avec des représentants de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Newcastle University Business School (Royaume‑Uni) 
			(4) 
			Voir
AS/Soc/Inf (2022) 01 (programme de l’audition) et AS/Soc (2022)
PV 02add (minutes de l’audition), <a href='https://pace.coe.int/en/pages/committee-25/AS-SOC'>https://pace.coe.int/en/pages/committee‑25/AS‑SOC</a>.. J’ai également eu des réunions avec le ministre du Travail et de la Politique sociale en Italie le 7 avril 2022, avec des représentants de syndicats autrichiens et la présidente du Comité européen des droits sociaux à Vienne (Autriche) les 9 et 10 mai 2022 et avec des représentants de la commission sur le marché du travail du Parlement suédois le 11 mai 2022.

2. Principaux défis en vue

5. Selon Eurofound, dans l’année qui a suivi la pandémie, la part des employés travaillant au moins occasionnellement à domicile est passée de seulement 11% à environ 48%. Cependant, tous les emplois et tâches ne sont pas adaptés au travail à distance. La «télétravaillabilité» des emplois est fortement corrélée au type de professions, à l’éducation et/ou au statut socio‑économique des employés. La plupart des travailleurs à faible revenu, peu qualifiés, des femmes et des jeunes travailleurs sont moins susceptibles d’occuper des emplois «télétravaillables» permettant de travailler à distance. Ces tendances risquent d’aggraver encore les inégalités existantes sur le marché du travail, tant entre les pays qu’en leur sein 
			(5) 
			«<a href='https://www.oecd-ilibrary.org/urban-rural-and-regional-development/implications-of-remote-working-adoption-on-place-based-policies_b12f6b85-en'>Implication
of Remote Working Adoption on Place Based Policies</a>», OCDE, 22 juin 2021.. Selon l’OCDE, les taux les plus élevés de télétravail sont évidents parmi les industries fortement numérisées, notamment les services d’information et de communication, les services financiers, les services professionnels, scientifiques et techniques. Des taux bas de numérisation parmi les petites entreprises font également que les taux de télétravail pendant la pandémie étaient beaucoup plus élevés chez les employés des grandes entreprises 
			(6) 
			«<a href='https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=1108_1108540-p249kho0iu&title=Teleworking-in-the-COVID-19-pandemic-Trends-and-prospects&_ga=2.39955493.66870530.1638214386-1824773398.1637497837'>Teleworking
in the COVID‑19 Pandemic: Trends and Prospects</a>», OECD, 21 septembre 2021..
6. Dans les secteurs économiques très féminisés, des tâches essentielles sont généralement réalisées par des personnes qui ont un emploi précaire et sont faiblement rémunérées. De plus, ces personnes n’ont souvent pas la possibilité de travailler à distance. Dans le même temps, dans l’ensemble de l’Europe, les femmes sont nettement moins représentées sur le marché du travail que les hommes, ce qui s’explique en partie par le fait que, dans la plupart des pays, les femmes continuent à effectuer les deux tiers du travail non rémunéré consistant à s’occuper des proches, une tendance qui s’est encore aggravée pendant la pandémie 
			(7) 
			«<a href='https://www.mckinsey.com/featured-insights/future-of-work/the-future-of-work-in-europe'>The
future of work in Europe</a>», McKinsey Global Institute, juin 2020.. Tous ces faits concernant l’évolution du monde du travail soulignent la nécessité de concevoir de nouvelles politiques axées sur l’égalité multidimensionnelle.
7. Compte tenu de la tendance à la réduction des surfaces de bureaux, il semble que de nombreux salariés continueront, au moins partiellement, à travailler depuis le «bureau» aménagé à leur domicile. Dans le prolongement des tendances actuelles et au‑delà de la covid‑19, beaucoup d’entreprises prévoient d’opter pour la flexibilité en matière d’occupation des locaux professionnels et d’organisation du travail, ce qui permettrait de réduire le nombre de salariés présents sur site. Des études laissent penser que les entreprises envisagent de réduire leur surface de bureaux de près de 30 % 
			(8) 
			«<a href='https://www.mckinsey.com/featured-insights/future-of-work/the-future-of-work-after-covid-19'>The
future of work after COVID‑19</a>», McKinsey Global Institute, février 2021.. Lors de la pandémie, nombre de salariés sont restés bloqués longtemps à la maison avec leur famille et ont dû continuer à travailler, souvent installés à la table de la cuisine. Dans bien des foyers, les femmes surtout, ont jonglé pour assumer des tâches non rémunérées (services d’aide à la personne et tâches ménagères), devenues nettement plus lourdes durant la pandémie, tout en effectuant leur travail salarié. Si le télétravail organisé avant la pandémie avait ses avantages, dans la mesure où il permettait de mieux concilier vie professionnelle et vie privée, notamment en supprimant les trajets quotidiens, le télétravail imposé brusquement lors de la pandémie a, quant à lui, présenté des inconvénients dans de nombreux cas.
8. Nombre de salariés en télétravail forcé pendant la pandémie (qui a également «forcé» la numérisation du marché du travail à s’accélérer) se sont sentis isolés et davantage stressés et ont été exposés à des risques plus élevés pour leur santé mentale car les bureaux virtuels ne peuvent pas remplacer entièrement les relations sociales, la dignité et le sentiment d’appartenance qui découlent du travail 
			(9) 
			«<a href='https://iloblog.org/2020/06/22/business-as-unusual-how-covid-19-brought-forward-the-future-of-work/'>‘Business
as unusual’: How COVID‑19 brought forward the future of work</a>», Susan Hayter, blog de l’OIT, 22 juin 2020.. En outre, certains salariés qui travaillaient depuis leur domicile ont fait l’objet d’une étroite surveillance en ligne, exercée par leurs employeurs (ou leurs intermédiaires), qui vérifiaient, par exemple, que leurs salariés ne se permettaient pas de «s’absenter du bureau» au mépris des règles 
			(10) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/mar/30/covid-british-workers-rights-stripped-away-fire-and-rehire-employers'>Under
cover of Covid, British workers’ rights are being quietly stripped
away</a>», Polly Toynbee, Guardian, 30 mars 2021.. Autre problème rencontré par les télétravailleurs: le mauvais état et/ou la capacité insuffisante de l’infrastructure numérique. Malgré tous ces obstacles, il y a également eu des gains de productivité. Les employeurs ont beaucoup à gagner d’une réduction des dépenses en charges, en loyers, en nettoyage industriel et autres coûts. Il est donc nécessaire de rééquilibrer la relation entre employeurs et salariés afin de garantir que les avantages découlant des gains de productivité et des économies de coûts soient partagés de manière égale et que les droits des travailleurs soient renforcés dans le contexte du télétravail.
9. Cela fait déjà un certain temps que l’augmentation des niveaux de stress est un problème qui s’aggrave dans le monde du travail, ainsi que notre collègue, M. Stefaan Vercamer (Belgique, PPE/DC), l’a expliqué en 2019 dans son rapport sur le stress au travail 
			(11) 
			«Le stress au travail», Doc 14824 et Résolution
2267 (2019)., dans lequel il soulignait les conséquences dramatiques de ce phénomène pour les individus et pour la société dans son ensemble, et considérait que le stress au travail «est notre responsabilité collective – et notre défi à tous». Les confinements liés à la pandémie de covid‑19 ont encore fait augmenter les niveaux de stress car les salariés en télétravail devaient simultanément remplir leurs multiples tâches professionnelles, surmonter les difficultés causées par les limites inhérentes aux outils numériques, et assumer leurs responsabilités familiales. Nous devrions, en particulier, examiner toute évolution récente des outils réglementaires concernant la reconnaissance et la prévention du burn‑out professionnel (état d’épuisement physique et émotionnel extrême), dans le cadre des suites à donner aux propositions figurant dans la Résolution 2267 (2019) de l’Assemblée «Le stress au travail».
10. En outre, le passage soudain au travail à distance a signifié que les normes de santé et de sécurité au travail ont été mises en veilleuse dans de nombreux cas. Cependant, la plupart des lois et conventions collectives nationales définissent clairement la responsabilité de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des employés au travail. Outre les risques psychosociaux, le travail à distance comporte également des risques ergonomiques importants et plusieurs problèmes de sécurité imprévus compte tenu de l’éloignement des locaux où est effectué le travail 
			(12) 
			«<a href='https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---travail/documents/instructionalmaterial/wcms_751232.pdf'>Teleworking
during the COVID‑19 pandemic and beyond: A Practical Guide</a>», OIT, juillet 2020.. En outre, si l’incidence de la violence domestique a considérablement augmenté, il existe également une tendance croissante à une exposition accrue à la cyberintimidation liée au travail 
			(13) 
			«<a href='https://uniglobalunion.org/sites/default/files/files/news/uni_remote_work_guidelines_report.pdf'>UNI
GLOBAL UNION: Key Trade Union Principles for Ensuring Workers’ Rights
When Working Remotely</a>», ONU, février 2021..
11. La présence numérique croissante dans le monde du travail à la suite de la pandémie était déjà visible au cours de la dernière décennie. À mesure que l’automatisation s’accélère et que l’intelligence artificielle (IA) progresse, de plus en plus de tâches traditionnellement confiées à des êtres humains peuvent être effectuées par des algorithmes ou des machines «intelligentes». Ainsi que notre collègue, M. Stefan Schennach (Autriche, SOC), l’a fait remarquer dans son rapport sur l’intelligence artificielle et les marchés du travail 
			(14) 
			«Intelligence
artificielle et marchés du travail: amis ou ennemis?» (Doc 15159)., l’IA pourrait ouvrir de nouvelles possibilités et offrir des avantages, mais elle risque aussi de compromettre et de perturber l’organisation du travail, d’où la nécessité de réglementer son utilisation, en accordant une attention particulière aux droits des travailleurs et aux valeurs que nous voulons protéger. En vue de gérer cette transition, il faudrait essayer de tirer parti des avantages des nouvelles technologies pour améliorer autant que possible l’organisation du travail humain et pour repenser nos systèmes d’éducation, de formation et de recherche, dans le but de mieux accompagner l’adaptation des personnes et des unités de production (telles que les entreprises, les coopératives, les ONG, entre autres), sur la base d’une responsabilité partagée.
12. Alors que l’IA change la manière de travailler et assume des tâches qui étaient accomplies auparavant par des travailleurs humains, les compétences humaines garderont toute leur importance dans le milieu professionnel: il sera nécessaire de développer l’empathie, l’intuition, la curiosité, le sens de l’éthique et la compréhension des relations interpersonnelles dans toute leur complexité 
			(15) 
			«<a href='https://msb.georgetown.edu/announcements/office-hours-jason-schloetzer-on-the-future-of-work-as-a-result-of-covid-19/'>Office
Hours: Jason Schloetzer on the Future of Work as a Result of COVID‑19</a>».; pour la grande majorité des travailleurs, les compétences non techniques seront clairement prioritaires 
			(16) 
			«<a href='https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/096526d7-17d8-11ea-8c1f-01aa75ed71a1'>AI,
the future of work?Work of the future!: on how artificial intelligence,
robotics and automation are transforming jobs and the economy in
Europe</a>», Centre européen de stratégie politique (Commission
européenne), rapport publié le 5 décembre 2019.. De toute évidence, les tendances de l’IA, de la numérisation et du travail à distance nécessitent toutes un cadre politique de requalification et de renforcement des compétences bien défini pour garantir un avenir inclusif des marchés du travail et de la politique économique. Le secteur public devrait également renforcer ses capacités pour veiller à ce que le rythme et le contenu de ses conceptions de politique économique correspondent au dynamisme de la nature changeante de la technologie et du monde du travail 
			(17) 
			“Mission Economy: A
moonshot guide to changing capitalism” par Mariana Mazzucato, publié
le 8 septembre 2020..
13. Les barrières et les divisions numériques, qui n’ont pas disparu, aggravent les inégalités socio‑économiques et risquent d’entraîner l’exclusion des personnes qui ne disposent pas des compétences et de l’équipement nécessaires ni d’un accès à un service internet de qualité. Il importe donc que les États veillent à ce que le marché du travail numérique soit plus inclusif pour tous. L’OIT recommande de prendre des mesures pour garantir à tous un accès équitable aux compétences et infrastructures numériques et aux emplois de l’économie numérique 
			(18) 
			«<a href='https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_770163/lang--fr/index.htm'>L’économie
numérique. L’économie numérique post‑COVID doit inclure les personnes
handicapées</a>», OIT, 11 février 2021.. Pour déterminer si le marché du travail est véritablement inclusif, il est utile d’examiner aussi la manière dont sont traités les travailleurs plus âgés, les jeunes qui entrent sur le marché du travail et tous les genres.
14. Bien que la transformation numérique offre des avantages précieux, de nouvelles possibilités d’inclusion, pour beaucoup, y compris les travailleurs plus âgés et plus expérimentés, elle comporte également des risques importants d’aggravation des inégalités liées à l’âge et au genre 
			(19) 
			«<a href='https://iloblog.org/2020/06/22/business-as-unusual-how-covid-19-brought-forward-the-future-of-work/'>‘Business
as unusual’: How COVID‑19 brought forward the future of work</a>», Susan Hayter, blog de l’OIT, 22 juin 2020.. Nombre de pays augmentent l’âge du départ à la retraite pour équilibrer le budget des pensions 
			(20) 
			Par
exemple, un groupe d’experts allemands a suggéré récemment de porter
l’âge du départ à la retraite à 68 ans en Allemagne; voir: 
			(20) 
			<a href='https://abcnews.go.com/International/wireStory/germanpanelsuggestspensionage68politicians78146887'>https://abcnews.go.com/International/wireStory/german‑panel‑suggests‑pension‑age‑68‑politicians‑78146887</a>., mais les travailleurs plus âgés ont tendance à être licenciés beaucoup plus facilement. En conséquence, il faut tenir dûment compte du vieillissement de la société européenne et de sa population active, en intégrant ces nouveaux éléments dans les politiques de l’emploi, de manière à éviter qu’une partie importante des travailleurs soit laissée de côté dans le contexte de la numérisation. En outre, les jeunes ont été confrontés à des aspects particulièrement graves de la pandémie, avec des perturbations dans l’éducation, la formation et l’apprentissage dans le milieu de travail, des difficultés de transition de l’éducation vers l’emploi et du chômage vers l’emploi, et une détérioration de la qualité de l’emploi. Toutes ces questions sont une invitation à revoir les aspects liés à l’âge dans la perspective de l’avenir du travail, en assurant un marché du travail inclusif aujourd’hui et demain pour les jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi. Une attention similaire devrait être accordée à nos principes d’égalité et de non-discrimination. Les plateformes numériques de travail offrent des possibilités supplémentaires aux femmes, aux personnes handicapées, aux jeunes et aux personnes marginalisées sur les marchés de l’emploi traditionnels, mais peuvent aussi créer des emplois sous‑payés et précaires 
			(21) 
			«<a href='https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_771926/lang--fr/index.htm'>Emploi
et questions sociales dans le monde 2021. La croissance rapide de
l’économie digitale appelle une réponse politique cohérente</a>», OIT, 23 février 2021..
15. La numérisation du commerce s’est accélérée pendant la pandémie, affectant les travailleurs à bien des égards: alors que les personnes qui travaillent dans les commerces non virtuels craignent de perdre leur emploi, celles qui sont employées dans le secteur de la livraison, en pleine expansion, se plaignent de conditions de travail précaires 
			(22) 
			«<a href='https://www.ids.ac.uk/opinions/precarious-and-informal-work-exacerbates-spread-of-coronavirus/'>Precarious
and informal work exacerbates spread of coronavirus</a>», A. Ebata, P. Mader et G. Bloom, Institute of Development
Studies, 23 mars 2020.. Ainsi que notre collègue, M. Luís Leite Ramos (Portugal, PPE/DC), le signalait dès 2019 dans son rapport sur l’économie de plateformes 
			(23) 
			Voir la Résolution 2312 (2019) «L’impact sociétal de l’économie de plateformes» et
le rapport Doc 15001., la «plateformisation» du travail pourrait contribuer à la propagation de formes de travail non standards de plus en plus précaires. La multiplication des possibilités d’emploi sur ces plateformes rend nécessaire de mieux réglementer les conditions de travail, et de faire respecter cette réglementation, pour protéger les travailleurs des plateformes contre des pratiques abusives: par exemple, horaires de travail et revenus irréguliers, absence de protection sociale, impossibilité d’exercer les droits de négociation collective, impossibilité de saisir les tribunaux locaux, et discrimination causée par l’utilisation d’algorithmes opaques.
16. De plus, en période de pandémie, lorsque des restrictions s’appliquent à la liberté de circulation et aux rassemblements publics, il est plus difficile d’exercer le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective, notamment pour les personnes travaillant dans l’économie informelle et pour les travailleurs indépendants 
			(24) 
			«<a href='https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_759296/lang--fr/index.htm'>Droits
au travail. Les droits fondamentaux au travail peuvent aider à reconstruire
en mieux après le COVID‑19</a>», OIT, 28 octobre 2020.. Tous les travailleurs doivent bénéficier des droits fondamentaux au travail, ce qui suppose d’apporter une réponse politique cohérente et d’adapter les cadres juridiques lorsque c’est nécessaire 
			(25) 
			«<a href='https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_771926/lang--fr/index.htm'>Emploi
et questions sociales dans le monde 2021. La croissance rapide de
l’économie digitale appelle une réponse politique cohérente</a>», OIT, 23 février 2021.. En outre, la transformation numérique du monde du travail, qui conduit à des sites de production plus dispersés et à davantage d’isolement des travailleurs, a des implications importantes sur la structure des organisations syndicales et des syndicats. Par conséquent, une révision des politiques visant à garantir la liberté syndicale devient plus que nécessaire.
17. La fracture numérique n’est pas seulement due à l’accès inégal aux infrastructures et aux ressources numériques, mais aussi à l’ampleur croissante de la «délocalisation numérique» par les entreprises, créant aussi des «nomades numériques». La mobilité transfrontière croissante, par laquelle le télétravail pourrait permettre à l’employeur et à l’employé d’être basés dans différents pays, a des implications sur les lois du travail et fiscales dans toutes les juridictions 
			(26) 
			«<a href='https://www.ioe-emp.org/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=156041&token=2c6ea1790944f78b7509114fdc59f237a2e0cd0e'>IOE
Position Paper on Remote Work Beyond COVID‑19</a>», International Organisation of Employers, septembre 2021.. De plus, lors de la conception de politiques pour un avenir meilleur au travail, nous ne devons pas oublier les personnes qui font partie de la chaîne de valeur globale et qui travaillent dans des pays à bas salaires, où les lois de protection des travailleurs sont très peu développées, voire inexistantes. Un récent rapport de l’OIT détaille comment la pandémie a non seulement stimulé le télétravail et le travail à domicile sur les plateformes numériques, mais a également donné naissance au travail à domicile industriel 
			(27) 
			«<a href='https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---travail/documents/publication/wcms_765806.pdf'>Travailler
à domicile: de l’invisibilité au travail décent</a>», OIT, janvier 2021.. Il est également nécessaire de prêter une attention particulière aux personnes sans‑papiers et aux travailleurs saisonniers et frontaliers en Europe car ils sont souvent privés des droits sociaux fondamentaux 
			(28) 
			«<a href='https://www.brusselstimes.com/news/belgium-all-news/health/167738/interface-demography-etui-european-trade-union-institute-vub-coronavirus-low-income-precarious-essential-workers-vrije-universiteit-brussel-same-storm-different-boat-covid-19-as-an-occupational-hazard/'>’Same
storm, different boat’: Covid‑19 as an occupational hazard</a>», Helen Lyons, Brussels Times,
4 mai 2021.. Cela dit, cet aspect est traité de manière plus approfondie dans des rapports en cours d’élaboration par Mme Ada Marra (Suisse, SOC) et M. Viorel Riceard Badea (Roumanie, PPE/DC) et qui portent respectivement sur les questions suivantes: «Protection sanitaire et sociale des travailleuses et des travailleurs sans‑papiers» et «Le statut précaire des travailleurs transfrontaliers et saisonniers en Europe».
18. Des idées sont déjà lancées pour imaginer un nouvel avenir du travail: sur la base des enseignements tirés de la pandémie, l’OIT suggère que des semaines de travail plus courtes ou des dispositions prévoyant le partage du travail permettraient d’apporter de la flexibilité, de sauver des emplois, de mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée et d’améliorer le bien‑être 
			(29) 
			«<a href='https://news.un.org/en/story/2020/05/1064802'>‘Business
as unusual’: How COVID‑19 could change the future of work</a>», ONU Info, 27 mai 2020.. Des entreprises, et même certains pays, expérimentent des formes de travail plus souples dans le but de donner davantage d’autonomie aux travailleurs, de les aider à réduire leur niveau de stress et à concilier leur travail avec leurs responsabilités familiales, de réduire l’empreinte environnementale des activités économiques, et d’économiser des ressources et du temps 
			(30) 
			«<a href='https://www.nytimes.com/2021/11/23/business/dealbook/four-day-workweek.html'>Is
the four‑day workweek finally within our grasp?</a>», Kevin J. Delaney, New York
Times, 23 novembre 2021.. Tous ces changements affectent une multitude de droits, y compris, mais sans s’y limiter, le droit à des conditions de travail justes, le droit à la déconnexion, le droit à la confidentialité et à la protection des données, le droit à la liberté syndicale et le droit à des conditions de travail sûres et saines, entre autres.

3. Travail hybride: améliorer le lieu de travail numérique et le bien‑être personnel

19. Comme mentionné ci‑dessus, la numérisation, les nouvelles technologies et surtout la pandémie de covid‑19 ont radicalement transformé notre façon de vivre et de travailler. Lors de la période 2020‑2021, les confinements successifs ont contraint de nombreux Européens à faire l’expérience du télétravail à temps plein depuis leur domicile, souvent sans préavis ni préparation. Comme nous l’avons vu lors de l’audition du 17 mars 2022, le télétravail a été proposé à environ un tiers en moyenne des travailleurs des pays de l’Union européenne – donc à une part encore plus importante dans certains pays: plus de 50% en Finlande, au Luxembourg, aux Pays‑Bas, en Belgique et au Danemark, et plus de 40% en Irlande et en Italie (selon les données de l’OIT). Les pays disposant déjà d’un cadre réglementaire pour le télétravail étaient mieux équipés et davantage prêts à matérialiser les avantages du travail à distance à temps plein.
20. Cette expérience de télétravail massif a permis de tirer un certain nombre d’enseignements. Les chercheurs se sont penchés sur le retour d’information des travailleurs et des employeurs et leurs conclusions pourront ainsi être intégrées aux ajustements réglementaires à venir. Comme l’a démontré le projet Working@Home au Royaume‑Uni, la productivité individuelle a fait un bond de 35% du fait d’une augmentation massive de l’utilisation de logiciels collaboratifs et du temps passé en ligne (soit entre trois et dix heures par jour pour plus de la moitié des travailleurs). Cette situation a évidemment mis à rude épreuve, parfois à l’excès, la résilience des télétravailleurs. Environ 40% d’entre eux ont estimé que le logiciel collaboratif les obligeait à travailler plus vite, environ 30% qu’ils devaient assumer une plus grande quantité de travail et plus de 40% ont déclaré subir une charge de travail excessive puisqu’ils travaillaient même pendant leurs congés annuels. On peut donc affirmer que les niveaux de stress perçu ont considérablement augmenté. Le bien‑être et la vie privée s’en sont naturellement trouvés bouleversés, surtout en ce qui concerne les femmes, sur qui reposent encore majoritairement la responsabilité des soins et les tâches domestiques. Cela soulève des questions sur les heures travaillées, la durée de la semaine de travail, la définition d’une charge de travail raisonnable et le droit à la déconnexion.
21. Malgré les inconvénients liés au manque d’espace pour le télétravail à domicile, aux problèmes de connectivité et parfois aux responsabilités familiales, les enquêtes montrent que plus de 70% des travailleurs souhaitent passer au moins une partie de leur semaine à la maison, seuls 15% préférant travailler à plein temps au bureau et 15% entièrement à leur domicile. D’autres études soulignent les avantages du travail hybride sur le plan de l’environnement et de la santé publique, tels que l’allègement du trafic routier et des surcharges dans les transports publics, la prévention de la propagation du covid‑19 et autres agents pathogènes, et la réduction de la pollution atmosphérique. Le télétravail bien encadré permet à davantage de femmes de rester employées plutôt que de se retirer du marché du travail afin de s’occuper des enfants ou pour d’autres raisons familiales. Ainsi, le télétravail et le travail hybride ont le potentiel de renforcer l’autonomie des travailleurs et de permettre à plus de gens de pouvoir se maintenir sur le marché du travail, générant des avantages substantiels tant pour les employeurs que pour la société dans son ensemble.
22. Il ressort des discussions en commission, des données empiriques et des recherches universitaires que la formule standard d’organisation du travail de huit heures par jour et de cinq jours par semaine appartient désormais au passé. Mis en place il y a longtemps pour un éventail plus restreint de tâches, ce modèle ne correspond plus aux exigences modernes. D’une part, la dimension multitâche accrue au travail et les formes d’emploi atypiques nécessitent une plus grande flexibilité des horaires et davantage de partage des tâches (soit entre travailleurs humains, soit entre travailleurs humains et machines intelligentes); d’autre part, les logiciels collaboratifs permettent un travail de haute intensité et une concentration adéquate, mais pour des périodes de temps plus courtes (environ 4 à 6 heures par jour), qui semblent davantage correspondre à des horaires de travail plus flexibles et des semaines de travail plus courtes (4 jours). Il est clair qu’une telle flexibilité doit s’accompagner de la garantie de tous les droits économiques et sociaux.
23. Dans ce contexte, il convient de rappeler les recommandations formulées dans la Résolution 2267 (2019) de l’Assemblée sur «Le stress au travail», en particulier concernant «une organisation du travail qui réduise le stress, avec des semaines raccourcies à quatre jours (comptant 28 à 32 heures de travail hebdomadaire), des horaires modulables, davantage d’autonomie, des possibilités de télétravail et des systèmes de travail partagé, notamment pour les parents et les aidants qui travaillent» – et également dans le but de prévenir «les troubles provoqués par le stress, y compris le burn‑out professionnel». L’Assemblée, dans cette résolution, note que «les femmes et les hommes réagissent au stress au travail et le gèrent de manière différente, et que les femmes au travail sont les plus touchées, en particulier lorsqu’elles portent le double fardeau du travail et des responsabilités familiales». Elle encourage également «les parties prenantes à revoir l’organisation du travail et la répartition des tâches et des charges de travail de façon à réduire le stress et à favoriser le travail à temps partagé».
24. Le télétravail et le travail hybride reposent sur une connectivité élevée, condition essentielle de la qualité du travail et du bien‑être des travailleurs. Il semble donc raisonnable d’exiger des employeurs qu’ils accordent le droit au télétravail en l’assortissant d’outils essentiels (matériel et logiciels) et de conditions (cadre de télétravail) qui responsabilisent les travailleurs, optimisent le partage des bénéfices du «travail agile/intelligent» (contribution aux frais d’accès à internet et au téléphone sur le lieu de travail) et garantissent un contexte adéquat en matière de santé et de sécurité (équipement ergonomique pour le «bureau à domicile», dispositions spécifiques dans les contrats d’assurance) et que l’État assure une infrastructure numérique de haute qualité également accessible à tous ainsi que l’élaboration des cadres juridiques et réglementaires pour définir correctement ces responsabilités des employeurs. En outre, une organisation intelligente du travail, reposant sur de nouveaux modèles de travail d’équipe homme‑machine, pourrait nécessiter une redistribution constante des tâches et une révision créative de la description des postes, où toute redistribution passe par le dialogue social pour garantir que les droits sont bien protégés. Enfin, à cet égard, les États devraient également innover pour construire de nouvelles institutions si nécessaire ou redistribuer les tâches entre les institutions existantes afin de devancer ces dynamiques en évolution rapide du monde du travail et de la technologie.
25. Du point de vue des droits socio‑économiques, assurer un équilibre sain entre travail et vie privée et garantir le droit effectif à l’égalité des chances sont des considérations importantes en matière de télétravail et de travail hybride. Le droit de se déconnecter du lieu de travail pendant les heures de repos devrait être pleinement accepté. Si la flexibilité du télétravail est très appréciée par les femmes, sa réglementation devrait viser à fournir un terrain d’égalité pour tous afin d’éviter tout préjugé inhérent au «présentéisme», toute tension entre employés et managers 
			(31) 
			«<a href='https://www.bbc.com/worklife/article/20220408-the-simmering-tension-between-remote-and-in-office-workers'>The
simmering tension between remote and in‑office workers</a>”, BBC News, 11 avril 2022. et toute discrimination qui entraînerait des écarts de rémunération (entre hommes et femmes) ou des ralentissements dans la progression des carrières, en particulier pour les femmes 
			(32) 
			«<a href='https://www.bbc.com/worklife/article/20220307-should-in-office-workers-be-paid-more'>Should
in‑office workers be paid more?</a>”, BBC News, 8 mars 2022..
26. Notons qu’à l’échelle mondiale, la législation sur le télétravail a connu de nombreux développements (notamment en Australie, en Nouvelle‑Zélande, au Royaume‑Uni, en Argentine, au Chili, au Mexique et en Russie) au cours des dernières années; certains pays préfèrent le terme de travail à distance ou de «travail intelligent/agile». Le droit à la déconnexion a également gagné du terrain, les pays de l’Union européenne montrant la voie (Belgique, Espagne, Italie). Lors de ma récente visite d’information à Rome, j’ai pu constater que le Gouvernement italien prévoit un cadre juridique général sur le télétravail et le droit à la déconnexion (loi n° 81/2017) ainsi qu’un protocole complémentaire pour le travail intelligent (lancé en décembre 2021).
27. En Italie, le «travail agile» (lavoro agile), ou travail hybride, qualifie un mode de travail particulier. En partie effectué hors des locaux de l’entreprise, il est fondé sur la flexibilité du lieu, sur des horaires souples, et sur l’autonomie quant au choix des outils à utiliser. Distinct du travail entièrement accompli à distance, il est plus flexible que ce dernier. Le droit à la déconnexion ne s’applique qu’au travail agile 
			(33) 
			Voir <a href='https://lineenetwork.org/telework-smart-work-and-the-right-to-disconnect-in-italy/'>https://lineenetwork.org/telework-smart-work-and-the-right-to-disconnect-in-italy/</a> (en anglais)., géré sur la base du dialogue social (à travers la négociation collective) et du cadre juridique négocié avec les partenaires sociaux.
28. Un observatoire national 
			(34) 
			Voir <a href='https://www.osservatori.net/en/research/active-observatories/smart-working'>www.osservatori.net/en/research/active-observatories/smart-working</a> (en anglais). a été mis en place afin de contrôler la mise en œuvre des accords de travail agile dans le pays, pour enregistrer les tendances ainsi que les menaces émergentes et les besoins en matière de réglementation. L’objectif consiste à évaluer cette transformation structurelle et à en analyser les conséquences en matière de durabilité sociale et environnementale (notamment le genre, l’âge, la diversité des compétences, etc.) et l’évolution professionnelle (la qualité du travail). Suite à la pandémie, il semble que ce format hybride soit appelé à prédominer, de très importants investissements publics étant alloués au financement de la reconversion, du perfectionnement et de la formation des travailleurs.
29. Une tendance similaire en faveur du travail hybride s’observe en Suède. Le pays se penche actuellement sur la nécessité de faire évoluer sa structure de partenariat social afin de ne plus seulement inclure les employeurs et les employés, mais aussi les travailleurs indépendants, tout en modifiant la définition du travailleur indépendant et en rééquilibrant la structure du pouvoir dans l’organisation de l'économie de plateforme. En matière de temps de travail, l’approche suédoise met l’accent sur le travail à temps plein pour protéger les salariés des temps partiels imposés: cette approche rend possibles des journées ou des semaines de travail plus courtes pour les employés à temps plein et les travailleurs parents de jeunes enfants, dans le cadre d’un accord spécifique conclu avec l’employeur. Elle est également perçue comme une mesure essentielle, qui garantit l’égalité de genre, ainsi que des rémunérations et des pensions adéquates. La nouvelle loi devrait prévoir le financement par l'État de la reconversion des travailleurs qui risquent de perdre leur emploi après avoir travaillé pendant huit ans ou plus.
30. Tant en Italie qu'en Suède, les employeurs sont entièrement responsables de la santé et de la sécurité des salariés au travail, qu’ils se trouvent au bureau ou ailleurs. Toutefois, il est entendu que les travailleurs doivent contribuer à la mise en œuvre des mesures de sécurité et de prévention communiquées par l'employeur pour gérer les risques liés au travail en dehors des locaux de l'entreprise.
31. En Autriche, des dispositions normatives sur le télétravail ont vu le jour en mars 2021. Elles prévoient, de façon laconique, de pouvoir travailler régulièrement à domicile sur la base d’un accord écrit entre l’employeur et le travailleur. En pratique, il s’agit de travail hybride. L’employeur doit fournir l’équipement nécessaire ou proposer une somme forfaitaire destinée à couvrir certains coûts relatifs au recours au travail à domicile (environ trois euros par journée de télétravail) et doit garantir une assurance couvrant santé et sécurité au travail. Bien que la loi prévoie le droit à la déconnexion, sa mise en application est très variable dans les faits, ce qui, d’après les témoignages des partenaires sociaux, peut susciter une détresse psychologique. Dans de rares cas, les entreprises privées coupent la connexion informatique vers le lieu de travail pendant les week-ends. En outre, les heures de travail définies ne peuvent guère être adaptées.
32. Toutefois, il semblerait que la culture du travail évolue du fait d’une nouvelle génération de travailleurs, qui valorise la flexibilité du temps et du lieu de travail plus que ses prédécesseurs. Certaines voix s’élèvent en faveur d’un débat public ouvert sur la valeur sociale du travail, la réduction du temps de travail et un soutien plus juste au travail non rémunéré des personnes exerçant des responsabilités familiales. Il faut noter que le dialogue social et la syndicalisation sont particulièrement courants en Autriche: seuls 2 % des travailleurs environ ne sont pas couverts par une convention collective. L’augmentation des activités en ligne des syndicats pendant la pandémie a démontré la capacité des outils numériques à atteindre tous les travailleurs ayant besoin de conseils juridiques pour régler d'éventuels litiges ou d'une protection sociale plus adaptée. Le renforcement de la connectivité est également perçu comme une occasion, pour les travailleurs dispersés impliqués dans un travail de production participative au moyen de plateformes, de mener une action collective.

4. Les dangers de la fragmentation au travail et par le travail

33. L’hyperconnectivité, les nouveaux modèles économiques, l’évolution rapide des emplois et les formes atypiques d’emploi (par exemple, les contrats à zéro heure pour le travail «sur appel», la multiplication des contrats temporaires et à temps partiel, souvent imposés aux travailleurs), ainsi que le passage de l’industrie manufacturière à une économie de services, bousculent et fragmentent le monde du travail. Nous assistons à une externalisation accrue et, bien qu’à un rythme plus lent, une délocalisation toujours en cours du travail dans le monde entier, à une augmentation des formes d’emplois précaires (qui génèrent une insécurité de l’emploi, une instabilité des revenus et/ou des conditions de travail dangereuses), à un déclin de la syndicalisation des travailleurs et à un recul des protections législatives à travers les différentes juridictions, ainsi qu’à un creusement des inégalités 
			(35) 
			«<a href='https://doi.org/10.1002/ajim.23262'>Fragmentation in
the future of work: A horizon scan examining the impact of the changing
nature of work on workers experiencing vulnerability</a>», article de recherche d'un collectif d'auteurs, 14
juin 2021.. Par ailleurs, le télétravail à temps plein et le travail hybride réduisent les rencontres entre collègues ainsi que les échanges sur les problèmes auxquels ils sont éventuellement confrontés par la nouvelle organisation du travail. Cela signifie une augmentation de l’isolement, de l’instabilité et de la vulnérabilité (due par exemple au déplacement d’emplois, à des lacunes dans les compétences, aux risques pour la santé et la sécurité et à la diminution des revenus) pour un nombre croissant de travailleurs.
34. Les technologies numériques avancées et l’hyperconnectivité reliant travailleurs, entreprises, machines intelligentes et données permettent d’accroître le travail multitâche, l’efficacité et la productivité. En revanche, la pression augmente en conséquence pour les travailleurs. L’attention des personnes tend à se disperser et la qualité du travail final peut pâtir des interruptions fréquentes et intempestives. Dans ce contexte, il semblerait opportun de revoir les codes de communication sur le lieu de travail afin de convenir entre l’employeur et les employés du rythme et des horaires des contacts verbaux et écrits, afin d’éviter des exigences excessives de part et d’autre et de prévenir un stress permanent.
35. Comme les technologies numériques offrent une grande flexibilité du temps et du lieu de travail, le télétravail peut s’effectuer en ligne depuis pratiquement n’importe quel endroit du monde. Cette tendance est particulièrement soutenue par le modèle économique des plateformes, mais elle est également adoptée par les entreprises plus traditionnelles (remplacement des travailleurs physiques par des travailleurs virtuels). Dans les deux cas, différentes réglementations entrent en jeu, en fonction de la localisation des travailleurs. En outre, le statut professionnel dans ces configurations de travail détermine dans une large mesure l’accès des travailleurs aux droits socio‑économiques (y compris en matière de liberté syndicale) et à la protection sociale. Pour un travailleur considéré comme un travailleur indépendant ou un auto‑entrepreneur, la couverture sociale en Europe varie sensiblement d’un pays à l’autre, comme nous l’avons vu dans le rapport sur «L’impact sociétal de l’économie des plateformes», et les évolutions positives dans ce domaine ont été plutôt limitées au cours des dernières années du fait de la pandémie de covid‑19. En termes de subsistance, l’OIT estime que pour les prestataires de services localisés, le travail sur plateforme reste la principale source de revenus, tandis que pour les prestataires de services en ligne, le travail sur plateforme ne représente qu’environ un tiers de leurs revenus.
36. Compte tenu de la portée et de la couverture limitées d’instruments juridiques tels que la Charte sociale européenne et les conventions de l’OIT dans le contexte de changements qui transforment le monde du travail, il est essentiel de rechercher le dialogue international et une plus grande coopération afin de surmonter les dangers de la fragmentation et de garantir la protection des droits fondamentaux au travail pour tous. Comme le représentant de l’OIT l’a souligné lors de l’audition de la commission le 17 mars 2022, la coexistence de différents cadres réglementaires des différents pays implique la nécessité d’un meilleur encadrement du statut professionnel, de la protection sociale et de l’accès aux droits sociaux de base, ainsi que du temps de travail, de la rémunération, de la résolution des conflits, de la protection des données et de la vie privée.
37. Bien que l’automatisation (y compris l’IA) ne soit pas encore omniprésente, elle modifiera de plus en plus et de plus en plus fréquemment les profils professionnels 
			(36) 
			Selon l'étude du McKinsey
Global Institute (Manyika J., Lund S., Chui M., et al. «Jobs lost,
jobs gained: workforce transitions in a time of automation», 2017,
pages 1‑28), jusqu'à 60 % des professions actuelles comprennent
des tâches dont un tiers est automatisable. Cela concorde avec les
recherches de l'OCDE qui montrent que près de 14% des emplois (dans
les pays de l'OCDE) pourraient être automatisés et 32 % supplémentaires
pourraient l'être partiellement., ce qui entraînera une fragmentation des carrières, un besoin constant d’amélioration des compétences et, selon certains observateurs, un potentiel de polarisation de l’emploi et d’inégalités endémiques. La gestion algorithmique, d’abord expérimentée dans l’économie des plateformes, s’étend désormais à d’autres secteurs. Il convient de rappeler, dans ce contexte, que par l’adoption de la Résolution 2345 (2020) «Intelligence artificielle et marchés du travail: amis ou ennemis?», l’Assemblée soutient «les recommandations de la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail qui appelle à des stratégies centrées sur l’humain pour amortir les répercussions de l’IA et conseille vivement d’investir dans les compétences de chaque personne, dans l’apprentissage tout au long de la vie (acquisition de compétences, reconversion professionnelle et amélioration des compétences), dans les instituts de formation et dans un travail décent et durable, afin de garantir que «le travail s’accompagne de liberté, de dignité, de sécurité économique et d’égalité pour tous».
38. Dans ce contexte, il faut aussi noter la proposition de directive de la Commission européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique (COM(2021)762 final du 9 décembre 2021). La Commission européenne estime à l’heure actuelle à plus de 500 le nombre de plateformes de travail numérique et à environ 28 millions le nombre de travailleurs des plateformes dans les seuls pays de l’Union européenne; ce dernier chiffre devrait atteindre 43 millions d’ici 2025. La proposition de directive comprend une liste de critères visant à déterminer si la plateforme est un employeur et à préciser le statut d’emploi des travailleurs qui l’utilisent. Si ces critères sont appliqués, jusqu’à 4,1 millions de travailleurs pourraient voir leur situation changer et devenir salariés, et d’autres travailleurs deviendraient véritablement indépendants. Dans les deux cas, cette mesure clarifierait l’accès des travailleurs à la protection sociale et conférerait plus de transparence à la gestion algorithmique. Mais la syndicalisation des travailleurs des plateformes visant à permettre des négociations collectives demeure problématique.

5. Promouvoir un travail et une vie décents et dignes

39. Tant dans le contexte mondial qu’européen, le travail a été et restera probablement au cœur de la vie humaine. Il nous permet de gagner notre vie et notre dignité, d’avoir un rôle dans la société et de contribuer à une prospérité partagée, d’accéder à l’autonomie et de bénéficier de divers avantages. Le travail peut également donner un sens à la vie. Mais vivons‑nous pour travailler, ou travaillons‑nous pour vivre? Le débat sociétal qui se concentre sur la notion de travail rémunéré est impuissant à saisir les complexités humaines et de la vie. Il ferme en fait les yeux sur l’énorme travail non rémunéré que des milliards de femmes dans le monde offrent à la société en s’occupant des enfants et d’autres membres du foyer (généralement des personnes âgées); le travail bénévole est également dévalorisé. La plupart du temps, il recentre l’attention des idéaux d’intérêt public vers la recherche d’un intérêt privé où la valeur sociale et l’intérêt public sont souvent maintenus non rémunérés.
40. Selon l’OIT, dans le monde entier, les femmes effectuent les trois quarts du travail de soins non rémunéré; elles consacrent en moyenne 3,2 fois plus de temps que les hommes aux soins non rémunérés et sont constamment en manque de temps, ce qui limite leur participation au marché du travail 
			(37) 
			«Le
travail de soins non rémunéré et le marché du travail. Une analyse
des données sur l'emploi du temps basée sur la dernière compilation
mondiale des enquêtes sur l'emploi du temps», Jacques Charmes, OIT, 2019.. Aux États‑Unis, par exemple, les femmes consacrent en moyenne quatre heures par jour au travail non rémunéré (contre deux heures et demie pour les hommes); si les femmes étaient payées au salaire minimum pour ce travail non rémunéré, elles gagneraient au moins 1500 milliard $US par an 
			(38) 
			«Women’s
labour is worth $10,900,000,000,000», Gu Wezerek et Kristen R. Ghodsee,
5 mars 2020, New York Times.. La participation des femmes au marché du travail, les niveaux de rémunération et la qualité des emplois en sont inévitablement affectés.
41. Concilier travail rémunéré et non rémunéré soulève inévitablement des questions telles que la nécessité de reconnaître l’immense valeur de ce dernier (travail de soins familiaux) pour la société et de garantir une vie décente aussi à tous les «exclus du travail rémunéré» (les chômeurs de longue durée, certaines catégories de personnes souffrant de handicaps et de maladies chroniques, les femmes au foyer, les personnes «évincées» du marché du travail à cause de l’automatisation des emplois, les retraités, etc.). Fournir à ces catégories de population de maigres prestations ne suffit pas pour une vie décente. Pour remédier à cette situation, il conviendrait, à mon avis, d’envisager des politiques en conformité avec l’approche d’un revenu de base universel et d’un accès complet aux services de santé; plutôt que de les marginaliser, la société devrait accepter que les soins, le handicap, la retraite ou le chômage forcé font intégralement partie de la vie, au même titre que le travail rémunéré 
			(39) 
			«<a href='https://www.nytimes.com/interactive/2021/09/23/opinion/covid-return-to-work-rto.html'>Work
should mean: the future of work should mean working less</a>», Jonathan Malesic, New York
Times, 23 septembre 2021..
42. La pandémie a incité à porter un regard critique sur la façon de travailler et sur le sens du travail. Préserver sa santé et celle de sa famille, ainsi qu’un équilibre sain entre vie professionnelle et vie privée, est devenu une priorité essentielle. Vivre avec les horaires chaotiques du travail en plateforme, passer dix heures ou plus par semaine à faire la navette entre le domicile et le lieu de travail ou courir comme des hamsters en cage pour gérer une charge de travail déraisonnable a conduit de nombreux travailleurs à réévaluer leurs priorités et à privilégier la vie de famille, la santé et le bien‑être personnel, contribuant à une vague de démissions. Les décideurs politiques se doivent de tenir compte de cette nouvelle réalité et d’accompagner les changements en soutenant des conditions de vie décentes. Le travail ne doit pas nous rendre malheureux; il doit contribuer à notre épanouissement.
43. L’OIT estime qu’une approche de l’avenir du travail axée sur l’humain est nécessaire. Dans sa déclaration du centenaire, adoptée par consensus en 2019 
			(40) 
			Voir <a href='https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/mission-and-objectives/centenary-declaration/lang--en/index.htm'>www.ilo.org/global/about‑the‑ilo/mission‑and‑objectives/centenary‑declaration/lang‑‑en/index.htm</a>., elle lance un appel mondial à l’action aux gouvernements et aux institutions multilatérales pour améliorer le contrat social et demande aux partenaires sociaux d’investir dans les capacités des personnes, les institutions et la création d’un travail décent et durable. Ce dernier aspect nous rappelle que chacun doit avoir accès à l’emploi et à une rémunération équitable, que les droits au travail et les normes fondamentales du travail doivent être respectés, que la solidarité doit être le moteur de la protection sociale pour tous et que le dialogue social doit prévaloir. La déclaration plaide fortement en faveur de la justice sociale et environnementale, considérant que les politiques de l’emploi devraient se voir attribuer un rôle plus important dans la gestion de l’économie et la réduction des inégalités, sur la base d’une meilleure cohérence des décisions et d’un soutien aux droits fondamentaux – tant au niveau national qu’international.
44. Le Conseil de l’Europe est l’une des institutions multilatérales qui ont pour mission de défendre les droits fondamentaux. En tant que tel, il est le gardien de deux traités fondamentaux: la Convention européenne des droits de l’homme (STE n°5, «la Convention») et ses protocoles, et la Charte sociale européenne (STE n°35 et STE n°163 (révisée)). Si les articles 3, 4, 5, 8, 9, 10, 11 et 14 de la Convention interdisent certaines pratiques en matière d’emploi (traitements inhumains ou dégradants, travail forcé et atteinte à la sécurité des personnes, liberté de conscience, d’expression et d’association, violation de la vie privée et discrimination), la Charte énonce un large éventail de droits relatifs au travail et les lie à la protection juridique et sociale, aux conditions d’emploi, à l’orientation et à la formation professionnelles et à la libre circulation des personnes 
			(41) 
			Voir
le rapport de l’Assemblée intitulé «Un travail décent pour tous»
(Doc 13456), paragraphe 12 de l’exposé des motifs, par M. Roel
Deseyn (Belgique, PPE/DC), rapporteur.. Le Conseil de l’Europe a le devoir de promouvoir l’application de ces traités tant au sein de ses États membres qu’auprès de son propre personnel. Il doit veiller à ce que les États membres mettent effectivement en œuvre les engagements qu’ils ont pris par le biais de ces instruments juridiques en renforçant les politiques économiques, sociales et fiscales.

6. Façonner l’avenir du travail: vers un progrès sociétal grâce à des emplois de qualité, une organisation flexible du travail avec accès aux droits socio-économiques et un développement inclusif et durable

45. Compte tenu des considérations susmentionnées, l’évolution du marché du travail oblige les responsables politiques à revoir les systèmes actuels de législation du travail, de protection sociale, d’apprentissage et de formation, de négociation collective, voire de fiscalité. Nous pouvons constater que la numérisation et la période de pandémie ont accéléré les tendances à un travail plus intelligent, qui implique une flexibilité librement choisie des heures et du lieu de travail, tandis que les technologies facilitent ou même prennent en charge certaines tâches pour de nombreux emplois. La transition vers une nouvelle ère du travail exige des adaptations de la part des employeurs et des employés pour faire aboutir une organisation saine et équilibrée du travail.
46. À mon avis, il est nécessaire de disposer à la fois d’un cadre national général pour le travail à distance et de réglementations spécifiques susceptibles de s’adapter aux besoins particuliers des employés et employeurs. Alors que le télétravail et le travail hybride sont en voie d’être considérés comme une nouvelle norme pour les emplois «télétravaillables», ils ne devraient jamais être imposés (sauf dans des circonstances exceptionnelles et pour les entreprises entièrement virtuelles); cependant, étant donné les multiples avantages qu’ils présentent – notamment d’un point de vue environnemental et de santé publique – il conviendrait de les faciliter et de les encourager tout en assurant une solide protection des droits socio-économiques. Dans le contexte d’une crise climatique imminente, la population devrait être consultée sur l’éventualité de rendre obligatoire le travail à distance au moins un jour par semaine.
47. Pour lutter contre le travail précaire, il convient de réfléchir à la nécessité d’harmoniser la protection des droits des différentes catégories de travailleurs. L’OCDE conseille de réduire les différences de traitement fiscal entre les différents types de contrats afin de diminuer les lacunes en matière de protection sociale pour les travailleurs indépendants (par exemple, en autorisant le cumul de certains droits, en garantissant une couverture minimale universelle pour tous et en assurant la portabilité de la couverture sociale pour ceux qui changent d’employeur) et le risque d’erreur de classification en termes de statut d’emploi. Les systèmes nationaux d’emploi et de protection sociale doivent être passés au crible pour détecter les lacunes dans l’accès aux droits des travailleurs se trouvant dans la zone grise de l’emploi atypique ou du travail temporaire. Certaines pratiques injustes et abusives, telles que les essais d’emploi non rémunérés (principalement au Royaume‑Uni), devraient être reconsidérées et interdites: tout travail mérite rémunération.
48. Compte tenu de l’intérêt primordial que représente pour la société le soutien à l’employabilité à différents stades de la vie professionnelle, les programmes publics de développement des compétences devraient élargir l’accès et améliorer la participation de tous, et en particulier des personnes exerçant de nouvelles formes de travail. Comme le suggère la Résolution 2345 (2020) «Intelligence artificielle et marchés du travail: amis ou ennemis?», tous les États membres du Conseil de l’Europe pourraient mettre en place le concept de comptes personnels de formation pour tous les travailleurs, qui créerait pour les employeurs l’obligation positive de mettre en place des plans de développement des compétences ou des formations; j’ajouterais que nous avons besoin de ce type de comptes également pour les travailleurs potentiels tels que les jeunes qui ont arrêté les études, sont sans emploi et ne suivent aucune formation (NEET, de l’anglais «not in education, employment or training»), les personnes en travail non rémunéré ou au chômage, ou les retraités qui souhaitent continuer à travailler mais qui doivent mettre à niveau leurs compétences.
49. Nous devrions viser à une meilleure reconnaissance du travail non rémunéré en le rendant plus visible, en mettant en place des politiques plus favorables à la famille (comme l’aménagement du temps de travail et une offre plus abordable de services de garde d’enfants pour les parents qui travaillent, avec soutien financier supplémentaire pour les personnes vulnérables) et en essayant d’attribuer une valeur pécuniaire à ce travail (par la création de moyens de le mesurer, par des estimations de sa valeur pécuniaire et par un soutien par le biais de prestations sociales substantielles ou d’un revenu de base). L’OCDE considère que l’allègement de la «double charge» de travail qui pèse sur les femmes devrait être une priorité de l’agenda politique et une étape essentielle pour parvenir à une véritable égalité entre femmes et hommes par le travail. En outre, l’OCDE propose que le travail non rémunéré soit mieux mesuré, par le biais de comptes satellites de production des ménages insérés dans le cadre du système des comptes nationaux 
			(42) 
			«<a href='https://www.oecd.org/Dev/Development-Gender/Unpaid_Care_Work.Pdf'>Unpaid
care work: the missing link in the analysis of gender gaps in labour
outcomes</a>», Gaëlle Ferrant, Luca Maria Pesando et Keiko Nowacka,
document de synthèse, OCDE..
50. Les contrats de travail non standard ou atypiques représentent des défis transversaux particuliers pour l’élaboration des politiques. Ils compliquent l’application des lois, des réglementations et des contrôles du travail, défient parfois les normes traditionnelles en matière de santé et de sécurité au travail et rendent la négociation collective inefficace, voire inexistante. En ce qui concerne la santé et la sécurité au travail, les stratégies nationales devraient être actualisées pour couvrir les nouvelles formes de travail. Les travailleurs temporaires et contractuels, parce qu’ils se déplacent d’un lieu de travail à un autre, sont souvent moins au fait des exigences de sécurité et donc plus exposés aux accidents du travail. Il en va de même pour de nombreux travailleurs de plateformes qui font face à une concurrence féroce. Dans ce contexte, il faudrait envisager de doter les inspections nationales du travail de prérogatives accrues ainsi que de ressources et de formations supplémentaires, afin qu’elles puissent, en privilégiant la prévention et les approches fondées sur le risque, mener à bien leur mission de contrôle de la sécurité dans cette nouvelle ère du travail.
51. Les nouvelles formes d’emploi atypique rendent les travailleurs indépendants tout aussi vulnérables aux abus que les travailleurs «classiques». L’égalité de traitement exige donc de mettre à niveau les protections et de garantir les mêmes droits à tous les travailleurs. Étant donné que la Convention de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociation collective fait référence aux travailleurs en général, les nouvelles formes de travail devraient être couvertes de manière équitable et tout obstacle à la réglementation antitrust considéré comme nul envers ces travailleurs. La plus grande difficulté est bien sûr de faire fonctionner ce droit dans un contexte international. Le seul moyen d’avancer à cet égard reste un dialogue international sur la politique du travail qui pourrait conduire à une protection minimale renforcée des droits fondamentaux de tous les travailleurs, partout dans le monde.
52. Face à la généralisation du travail hybride et entièrement à distance, les chercheurs et les travailleurs réclament des semaines et des journées de travail plus courtes, pour une rémunération égale: «un modèle de travail à heures réduites peut aider à remédier à de nombreux facteurs négatifs du travail actuel, rendant les employés plus productifs, en meilleure santé et plus heureux 
			(43) 
			«<a href='https://www.bbc.com/worklife/article/20210819-the-case-for-a-shorter-workweek'>The
case for a shorter workweek</a>», BBC, 24 août 2021.». L’énergie et la concentration humaines à raison de huit heures d’affilée par jour, voire plus, ne peuvent simplement pas perdurer au‑delà de quelques jours, au mieux. Des horaires de travail plus courts et plus flexibles permettent de se focaliser non plus sur le nombre d’heures travaillées mais sur les résultats obtenus: une productivité accrue, une meilleure définition des priorités, un engagement plus fort et une réduction des facteurs d’inefficacité. Ils simplifient également la vie de ceux qui doivent jongler avec de nombreuses responsabilités. Ils réduisent le stress, font que les gens commettent moins d’erreurs, contribuent à faire baisser le niveau de congés maladie et améliorent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Cependant, la flexibilité pour le management et pour les employés a deux significations différentes et un équilibre juste des préférences avec la protection de tous les droits essentiels du travail devrait être recherché. En un mot, si nous recherchons un véritable progrès sociétal, l’avenir du travail passe par une plus grande attention aux besoins humains, aux droits socio-économiques bien protégés, au libre choix, à la flexibilité et à la justice sociale.