1. Introduction
1. Depuis l'adoption de la
Résolution 2308 (2019) de l'Assemblée parlementaire «Le fonctionnement des institutions
démocratiques en République de Moldova», le pays a connu d'importants
changements politiques après l’élection présidentielle de novembre
2020 et les élections législatives anticipées de juillet 2021, dans
un contexte marqué par la gestion de la pandémie et les conséquences
de l'agression russe contre l'Ukraine. Le présent rapport de suivi
vise à rappeler les principaux faits survenus depuis 2019 et à faire
le point sur les progrès réalisés et les réformes qui sont encore
nécessaires.
2. Nous avons été désignés rapporteurs pour le suivi de la République
de Moldova respectivement en octobre 2020 et février 2021. Pour
la préparation de ce rapport, nous nous sommes appuyés sur les conclusions
établies par nos prédécesseurs, M. Egidijus Vareikis (Lituanie,
PPE/DC) et Mme Maryvonne Blondin (France,
SOC). Nous avons publié des déclarations à l'issue de nos deux visites
en République de Moldova, du 12 au 15 octobre 2021
et du 6 au 9
juin 2022
, ainsi que deux
notes d'information en mai 2021 et en février 2022
.
3. Un avant-projet de rapport a été transmis aux autorités pour
observations le 14 septembre 2022. M. Vlad Batrîncea, membre de
l’opposition et vice-président du Parlement moldave, a formulé des
observations
.
Nous tenons à remercier les autorités moldaves pour l'excellente
coopération et la préparation de nos visites ainsi que pour la coopération
continue établie avec les membres de la délégation moldave à l'Assemblée,
tant de la majorité que de l'opposition ainsi qu’avec la Représentation
Permanente de la République de Moldova auprès du Conseil de l’Europe.
Notre coopération avec le Bureau du Conseil de l'Europe à Chisinau
a également été très importante. Nous tenons à remercier le chef
du Bureau du Conseil de l'Europe, M. Massolin, et son équipe, pour
leur aide précieuse, ainsi que les représentants des organisations
internationales et de la communauté diplomatique de Chisinau pour
nos échanges fructueux au cours de ces deux dernières années.
2. Fonctionnement des institutions démocratiques
2.1. Développements
politiques intervenus en République de Moldova depuis 2019
2.1.1. De
novembre 2019 à novembre 2020: une période de turbulences politiques
4. Après la grave crise constitutionnelle
qu’a traversée le pays en juin 2019
, Mme Maia
Sandu, dirigeante du Parti action et solidarité (PAS), a été nommée
Première ministre en juin 2019, à l’issue d’un accord conclu entre
le bloc ACUM (composé du PAS et de la Plateforme Dignité et Vérité
(DA) et le Parti des socialistes visant à «désoligarchiser» le pays.
Cet objectif et les réformes ultérieures visant à «désoligarchiser»
le pays avaient été salués par l'Assemblée dans sa résolution d'octobre
2019. L’Assemblée avait souligné parallèlement la nécessité d’adopter
des réformes du système judiciaire et du ministère public conformes
aux normes du Conseil de l’Europe.
5. La question de la sélection d’un nouveau procureur général
lui apparaissait très importante pour garantir que les cas présumés
de corruption et d’ingérence dans le système judiciaire, ainsi que
les affaires liées à « la captation de l’État», fassent l’objet
d’enquêtes en bonne et due forme.
6. En effet, la sélection du procureur général a donné lieu à
une crise politique (longuement décrite par nos prédécesseurs
)
et a abouti, le 12 novembre 2019, à un vote de défiance soutenu
par 63 voix (sur 101 membres) du Parti des socialistes (PSRM) et
du Parti démocratique (PDM), et à la défaite du gouvernement de
Mme Sandu deux jours plus tard puisque
la négociation pour former une alliance entre le Parti des socialistes
et l'ACUM a tourné à l’échec. Sur proposition du Président de l’époque,
M. Igor Dodon, un gouvernement technique a été formé en novembre
2019 (huit des 10 ministres du cabinet étaient d’anciens conseillers
du Président Dodon) et a été approuvé par le parlement, avec l’appui
du Parti des socialistes et du PDM. Le 16 mars 2020, le PRSM et
le PDM ont signé un accord de coalition qui a débouché sur un remaniement
du gouvernement. Le Parti démocrate a obtenu cinq portefeuilles,
dont celui de vice-premier ministre chargé de la Réintégration,
de ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration européenne
et de ministre de la Défense.
7. À la suite de la défection de 16 membres du PDM et d'un membre
du PSRM entre février et juin 2020, la coalition PSRM-PDM s'est
retrouvée, à compter du 30 juin 2020, sans majorité parlementaire.
L’opposition a envisagé d’introduire une motion de censure ; entre-temps,
elle a boycotté certaines sessions du parlement et ainsi empêché
l’adoption de lois faute du quorum requis. En novembre 2020, le
PDM a retiré ses ministres du gouvernement, quitté la coalition
parlementaire peu avant le second tour de l’élection présidentielle,
et apporté son soutien à la candidature de Mme Maia
Sandu à l’élection présidentielle.
8. En l’absence d’une majorité parlementaire, la question de
l’organisation d’élections législatives anticipées concomitante
à l’élection présidentielle a été soulevée. La Cour constitutionnelle
a cependant décidé, le 7 juillet 2020, que la Constitution interdit
clairement la dissolution du parlement au cours des six derniers
mois du mandat du Président de la République et n’envisage aucune
exception sauf démission de l’intéressé, contredisant ainsi une
décision antérieure admettant des exceptions à cette règle
.
En outre, la Cour constitutionnelle a statué le 6 août 2020 que
les pouvoirs discrétionnaires du Président sont limités lors de
la nomination d’un candidat au poste de Premier ministre: le Président
est tenu d’approuver la candidature du Premier ministre proposée
par la majorité parlementaire absolue, et peut être démis de ses
fonctions ou destitué s’il ne le fait pas. S’il n’y a pas de majorité
parlementaire, le Président est tenu de désigner un candidat au
poste de Premier ministre après consultation des partis parlementaires
.
2.1.2. De
novembre 2020 à juillet 2021: de l'élection de la première femme
Présidente du pays aux élections législatives anticipées: une lutte
de pouvoir entre la Présidente et le Premier Ministre
9. L’élection présidentielle s’est
tenue les 1er et 15 novembre 2020. Le
Président sortant, M. Igor Dodon, candidat indépendant soutenu par
le Parti des socialistes, et la dirigeante du Parti Action et Solidarité, Mme Maia
Sandu, se sont qualifiés pour le second tour. L’homme d’affaires
et chef de «Notre Parti», Renato Usaitii, qui a remporté près de
17 % des voix au premier tour, est apparu comme le «faiseur de roi»,
appelant les électeurs à ne pas voter pour M. Dodon et réclamant
l’organisation d’élections anticipées. Au second tour, Mme Maia
Sandu a remporté une large victoire (57 %), avec le soutien massif
(92 %) des électeurs de la diaspora. Elle a ainsi été la première
femme élue à la présidence de la République de Moldova.
10. En raison de la situation sanitaire, l’Assemblée parlementaire
n’a pas été en mesure d’observer le déroulement du scrutin, mais
l’OSCE/BIDDH (Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe) a déployé une mission restreinte d’observation électorale
qui a conclu que les libertés fondamentales de réunion et d’expression
continuaient d’être respectées, tout en notant la campagne de dénigrement
clivante et la couverture médiatique polarisante; l’absence de contrôle
effectif du financement de la campagne; le discours intolérant et
conflictuel employé au second tour; les discussions importantes
sur le rôle de la diaspora moldave; les allégations de pressions indues
exercées sur des agents publics et des électeurs; de possibles achats
de voix et le transport organisé d’électeurs le jour du scrutin
.
11. Le programme de la nouvelle présidente élue, Mme Sandu,
comprenait notamment des réformes du pouvoir judiciaire et la lutte
contre la corruption. Cependant, son parti, le PAS, ne disposait
pas de la majorité parlementaire. À cette époque, les principaux
partis politiques, dont le PAS et le PSRM, à l’époque le groupe politique
le plus représenté au parlement, étaient favorables à l’organisation
d’élections législatives anticipées. Leurs avis ont toutefois divergé
par la suite quant au calendrier de ces élections. Un bras de fer
s’est alors engagé entre l’administration présidentielle et le parlement,
tandis que des questions d’interprétation des dispositions constitutionnelles
ont été soumises à la Cour constitutionnelle à plusieurs reprises
par l’ensemble des partis politiques pour régler ces différends.
Cette situation a donné lieu en avril 2021 à une grave crise politique
et constitutionnelle. Nous avons consacré une note d'information
à ces événements et décrit en détail les faits nouveaux survenus
entre l'élection présidentielle de novembre 2020 et la dissolution
du parlement en avril 2021
. La situation a entraîné une crise
politique et constitutionnelle dans un climat fortement polarisé, la
dissolution du parlement et finalement l'organisation d'élections
législatives anticipées le 11 juillet 2021.
12. Dans notre note, nous avions également souligné le rôle déterminant
joué par la Cour constitutionnelle. En effet, plusieurs questions
concernant l'interprétation des dispositions constitutionnelles
lui ont été soumises par des parlementaires appartenant à différentes
factions politiques. Cependant, le 15 avril 2021, lorsque la Cour
constitutionnelle s’est assurée par 3 voix contre 2 que les conditions
de dissolution du parlement avaient été réunies, la majorité parlementaire
dirigée par le Parti des socialistes a vivement réagi, a révoqué
le président de cette Cour (et nommé un suppléant) et a adopté une
déclaration sur «l'usurpation du pouvoir» qu’elle aurait commise.
Il s'agissait d'une attaque inacceptable contre cette institution.
La Cour constitutionnelle a par la suite déclaré inconstitutionnelles
les décisions du parlement, ainsi que la déclaration de l'état d'urgence
(qui rendait en fait impossible la dissolution du parlement).
13. Le 11 juillet 2021, des élections législatives anticipées,
basées sur le système proportionnel, ont été organisées. La commission
ad hoc d'observation des élections
de l'Assemblée a conclu que les élections étaient compétitives et
bien organisées, malgré la mauvaise gestion des contentieux électoraux
et des problèmes de financement de la campagne
.
14. Ces élections ont apporté un paysage politique nouveau dans
le pays: pour la première fois dans l'histoire de la République
de Moldova, un seul parti, le Parti Action et Solidarité, qui a
remporté 52,8 % des voix, dispose d'une large majorité au Parlement
(63 sièges sur 101). L'opposition est composée de 32 membres du
parlement du Bloc électoral des communistes et des socialistes (BCS)
et de 6 membres du Parti Shor.
15. Le parlement nouvellement élu a tenu sa première session le
26 juillet 2021 et a élu M. Igor Grosu, dirigeant intérimaire du
PAS, comme président du parlement. Mme Natalia
Gavrilița a été nommée candidate au poste de Première Ministre le
lendemain et son cabinet de 13 ministres a prêté serment le 6 août
avec le soutien de 61 voix, toutes du PAS.
2.1.3. Depuis
juillet 2021, une situation politique sans précédent en République
de Moldova, avec une majorité stable et un parti unique au parlement
16. Les résultats de l’élection
présidentielle (novembre 2020) et des élections législatives anticipées (11 juillet
2021) ont tous deux indiqué un choix clair exprimé par les électeurs
et électrices en faveur de l'éradication de la corruption et de
la mise en place d'institutions étatiques efficaces et transparentes,
capables de fonctionner pour le bénéfice de toutes et tous.
17. La commission ad hoc de
l'Assemblée qui a observé les élections de juillet 2021 a noté qu’après
des années d'instabilité politique, de corruption et de scandales,
qui ne peuvent pas être éradiqués par ces seules élections anticipées,
ces scrutins ont changé le paysage politique: «C’est la première
fois que le PAS remporte une majorité absolue de sièges à lui seul,
et c’est également la première fois depuis 1994 que ni le PSRM ni le
PCRM ne remportent le plus grand nombre de voix ou de sièges. L’ancien
partenaire de coalition du PAS, le DA, ainsi que le Parti démocratique
de Moldova (autrefois lié à l’oligarque Vladimir Plahotniuc, qui
a fui le pays en 2019) ne sont plus représentés au parlement pour
la première fois depuis plus de dix ans».
18. La nouvelle composition du parlement découragera, espérons-le,
la pratique longtemps critiquée du «changement d’étiquette politique»
(
party-hopping), que les rapporteurs
de suivi de l'Assemblée ont souvent décrite et décriée. Nos prédécesseurs,
Mme Blondin et M. Vareikis, avaient noté
avec inquiétude que 25 à 30 % des députés avaient changé de faction
politique au moins une fois (si ce n'est deux, voire trois) de février
2019 à août 2020, confirmant ainsi une pratique parlementaire qui
n'avait rien de nouveau
. Plus récemment,
le premier semestre 2020 a été marqué par la défection de 16 députés
du PDM, ce qui a conduit à une nouvelle crise politique et a incité
le Parlement moldave à adopter, le 11 juin 2020, une
déclaration condamnant les transfuges de partis et la corruption
politique au parlement. Nous avons discuté de cette question lors
de notre visite en octobre 2021, en soulignant que les autorités
devaient s'attaquer aux racines de cette migration politique (ou
«tourisme politique») – qui résulte du fait que des députés changent
de faction politique pour des raisons autres qu'idéologiques – et
améliorer la transparence de la vie publique, en particulier la
transparence du financement des partis politiques. Ce problème,
qui a été ces dernières années une source chronique d'instabilité
politique, a eu un impact néfaste sur le fonctionnement du parlement
et la confiance dans les processus électoraux.
19. Une série de mesures et de réformes ont été rapidement lancées
par les autorités nouvellement élues pour «nettoyer» le système
de ses éléments corrompus et mettre fin à «la captation de l’État»,
notamment en remaniant le personnel:
- Ainsi, un certain nombre de chefs d'agences gouvernementales
(telles que l'Agence des relations foncières et du cadastre, l'Agence
des relations interethniques, l'Agence d'État sur les institutions
de propriété intellectuelle, l'Agence de la propriété publique ou
la Compagnie nationale d'assurance maladie) et 22 secrétaires d'État
ont été limogés le 9 août 2021. Les chefs de l'Inspection générale
de la police et de l'Agence nationale des communications électroniques
et des technologies de l'information ont été révoqués le 10 août
2021, et le chef d'état-major de l'armée nationale le 8 septembre
2021.
- Le 30 septembre 2021, le parlement a adopté une loi lui
permettant d'évaluer les performances des institutions publiques
sous contrôle parlementaire (telles que le Conseil de la concurrence,
l'Agence nationale de régulation de l'énergie, le Conseil de l'audiovisuel,
l'Agence nationale de résolution des plaintes et la Commission nationale
du marché financier). La loi prévoyait également que leurs dirigeants pouvaient
être licenciés s'ils étaient considérés comme sous-performants.
20. La nomination de nouveaux fonctionnaires dans les institutions
étatiques et judiciaires, et la rapidité de ce processus, a également
fait l’objet de questions. Certains interlocuteurs ont déploré que
ces postes aient été attribués à des membres de la famille élargie
des nouvelles autorités, ce qui pourrait nuire à la crédibilité du
gouvernement. Nous avons été informés qu'il s'agit d'un problème
de longue date en République de Moldova, compte tenu des traditions
et des allégeances personnelles («cumatrisme») qui prévalent dans
le pays
. Les procédures
de nomination ont également été remises en cause par l'opposition
parlementaire: le Bloc des communistes et des socialistes a décrié
la nomination de «personnes loyales» dans le système judiciaire
ainsi que la nomination de la nouvelle médiatrice, Mme Moloşag,
ancienne avocate de Mme Sandu, le 23
septembre 2021
. Ces préoccupations ont été réitérées
dans les commentaires de M. Batrîncea
.
21. En outre, les autorités nouvellement élues, après d'importants
changements survenus dans le ministère public (et notamment la suspension
et le remplacement provisoire du procureur général), ont abordé
la question de la corruption politique liée aux groupes oligarques:
- La poursuite et l'arrestation
de l'ancien président, M. Igor Dodon, ont été un événement majeur.
Il a été détenu le 24 mai 2022 pendant 72 heures et assigné à résidence.
La Cour suprême de justice a décidé de libérer M. Dodon de l’assignation
à résidence le 19 novembre 2022, avec une interdiction de voyager de
60 jours. M. Dodon est accusé d'enrichissement illicite ,
de corruption passive, de financement illégal de partis et de trahison.
Cette affaire est liée à la corruption présumée du chef du Parti démocratique
de l'époque, M. Vladimir Plahotniuc, en juin 2019 (dans l'affaire
des «sacs noirs»). Le 27 juin 2022, le bureau du procureur général
a retenu des charges supplémentaires contre M. Igor Dodon dans l'affaire
des systèmes illégaux d'achat d'électricité en 2008-2009 par l'intermédiaire d'Energocom .
- Ces faits s'ajoutent à la détention, en février 2022,
de quatre anciens députés communistes (qui avaient «migré» vers
le Parti démocratique et le Parti Shor) soupçonnés de corruption
et d'enrichissement illicite, et à la demande de levée de l'immunité
parlementaire des députés M. Ilhan Shor et Mme Marina Tauber
du Parti Shor le 27 mai 2022, accusés de blanchiment d'argent et
de fraude dans l'enquête sur le «vol du milliard». Tandis que M. Shor
est à l'étranger (il a fui le pays en 2019), Mme Marina
Tauber a été déchue de son immunité, arrêtée le 23 juillet 2022
et détenue à la maison d'arrêt n°13 de Chisinau. Elle a été assignée
à résidence le 14 septembre 2022. Elle est accusée d'avoir «sciemment
accepté le financement du parti par un groupe criminel organisé»
et d'avoir falsifié le rapport sur la gestion financière du Parti
Shor.
22. Les autorités nouvellement élues ont également entrepris de
relancer l'enquête sur le scandale bancaire qui, en 2014, s'était
soldé par le vol d'un milliard de dollars dans le système bancaire,
ce qui a également eu un impact sur le fonctionnement des institutions
démocratiques, sapé leur crédibilité et mis en lumière les déficiences
des institutions étatiques. Depuis lors, les responsabilités n'ont
pas été clairement établies, et les autorités n'ont pas récupéré
les avoirs volés. Dans notre précédente note d'information
,
nous avions expliqué que l'enquête avait été marquée par une forte
polarisation, un climat de méfiance et des allégations de manipulation.
23. Le 20 août 2021, le parlement a adopté une décision déclarant
«insatisfaisante» l'activité de l'organe d'enquête criminelle dans
l'enquête sur la fraude bancaire et a noté «l'absence d'action et
de progrès mesurables dans l'enquête sur le vol du milliard». Le
procureur général, M. Stoianoglo, ne s'est pas présenté aux audiences
du parlement mais a envoyé un rapport de quatre pages sur les actions
de l'institution dans cette affaire. La décision stipulait que l'organe
d'enquête criminelle devait créer un instrument et un plan d'action
sur la récupération de l'argent volé dans les 30 jours. L'adoption
de cette stratégie de recouvrement était également cruciale pour
le déblocage de la prochaine tranche de l'aide macrofinancière de
l'Union européenne
.
24. La crise économique a déclenché des manifestations antigouvernementales.
Depuis le 18 octobre 2022, le Parti Shor organise régulièrement
des manifestations dans tout le pays. Des tentes ont été installées
par des manifestants devant le parlement, et des manifestations
se sont déroulées devant le bureau du procureur général. Les manifestations
ont souvent conduit la police à amener des manifestants, y compris
des mineurs, au poste de police en raison de leur comportement présumé.
En septembre 2022, le procureur chargé de la lutte contre la corruption
a arrêté 24 personnes, dont des membres du Parti Shor, dans le cadre
d’un financement illicite présumé des manifestations et a saisi
environ 181 000 US$ en espèces. D’autres recherches ont été effectuées
dans les semaines suivantes. Le 23 octobre, trois journalistes ont
été attaqués par les manifestants, ce qui doit être déploré. Le
30 octobre, la police s’est heurtée aux manifestants après avoir
été empêchée d’entrer sur la place de la Grande Assemblée nationale.
Le chef du parti, Ilan Shor (qui a été condamné dans la «fraude
bancaire d’un milliard de dollars» et a fui le pays), a appelé à
la désobéissance civique. Les médias d’investigation Rise Moldova
ont rapporté le soutien et la gestion présumés des manifestants
par les services de renseignement russes et leur influence dans
les campagnes électorales précédentes
. À la suite de
cette enquête, les autorités ont ouvert une enquête sur le soutien
illégal présumé des partis politiques par les autorités russes.
25. En outre, le ministre de la Justice a demandé à la Cour constitutionnelle
de déterminer si le Parti Shor était constitutionnel. Le 17 novembre
2022, le président par intérim de la Cour constitutionnelle a demandé
à la Commission de Venise un mémoire amicus
curiae sur la déclaration d’inconstitutionnalité d’un
parti politique, qui a été adopté en décembre 2022. Nous considérons
que la manipulation des manifestations par des moyens illégaux ou
à des fins illégales menace la stabilité du pays, et nous soutenons
les mesures prises par les autorités pour enquêter sur les allégations
soulevées par les médias d’investigation. Nous invitons également les
autorités à tenir pleinement compte des conclusions de la Commission
de Venise et de la jurisprudence bien établie de la Cour européenne
des droits de l’homme sur la liberté d’expression et d’association
des partis politiques lorsqu’elles traitent de cette question.
26. Rétablir le fonctionnement correct et transparent des institutions
démocratiques, «désoligarchiser» les institutions de l'État et s'attaquer
aux racines de la «captation de l'État» qui a prévalu jusqu'à présent
dans le pays reste un immense défi, pour lequel il n'existe pas
de solution toute faite. Ces changements déclenchent des résistances
au sein du système – tandis que les autorités soulignent que des
changements rapides sont nécessaires pour nettoyer les institutions.
Aussi urgentes et nécessaires les réformes soient-elles, les autorités devront
néanmoins veiller à ce que les réformes respectent l'État de droit
et les normes du Conseil de l'Europe, soient fondées sur la participation
de l'opposition parlementaire et de la société civile afin de garantir
la qualité des lois et conduisent à des changements durables.
2.2. L'environnement
mondial et régional et son impact sur le fonctionnement des institutions démocratiques
2.2.1. Gestion
de la pandémie de covid-19
27. Avec le déclenchement de la
pandémie de covid-19 en 2020, la République de Moldova a dû faire
face à des défis économiques et sanitaires majeurs. Pendant la période
examinée, le pays a dû faire face aux conséquences de la pandémie,
qui a fait jusqu'à présent plus de 11 000 morts
. Comme l'ont indiqué nos prédécesseurs,
l'état d'urgence a été déclaré en République de Moldova le 17 mars
2020 et prorogé à plusieurs reprises. Des dérogations au titre de
l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5) ont été notifiées à la Secrétaire
Générale en ce qui concerne la liberté de réunion et d’association, le
droit à l’éducation et la liberté de circulation.
28. Le parlement a habilité la « Commission des situations d’urgence »
à prendre les mesures nécessaires pour contenir, réduire et éliminer
les conséquences de la covid-19. Depuis le 16 mai 2020, la responsabilité d’imposer
des restrictions liées à la pandémie est passée de la Commission
gouvernementale pour l’état d’urgence à la Commission nationale
extraordinaire de santé publique présidée par le Premier ministre,
M. Ion Chicu.
29. L’état d’urgence et la gestion de la crise ont généré des
problèmes liés aux droits humains. Le médiateur, M. Cotorobai à
cette époque, a joué un rôle actif pendant la pandémie pour attirer
l’attention sur la protection des droits des enfants, des travailleurs
de la santé, etc., et a pointé du doigt la situation dans les prisons
. Le médiateur s’est engagé à
surveiller l’activité de la Commission des situations exceptionnelles
et des pouvoirs publics aux niveaux local et central, en rappelant
que les restrictions imposées par les autorités pour assurer la
protection de la population contre le virus doivent être nécessaires,
légitimes, raisonnables et proportionnelles au risque ou à la menace
pour la santé publique.
30. Afin de faire face aux conséquences économiques de la crise
de la covid-19 et au ralentissement de l’économie, le Gouvernement
moldave a présenté le 1er avril 2020
un projet de loi portant sur une série de mesures économiques et
sociales dans le but d’apporter une aide aux particuliers et aux
entreprises. Ce projet de loi a été partiellement contesté par l’opposition
devant la Cour constitutionnelle. Le 13 avril 2020, cette dernière
l’a déclaré inconstitutionnel en raison d’une violation de la procédure
prévue par la Constitution lors de son adoption. Le 23 avril 2020,
le Parlement moldave a adopté une nouvelle version de la loi et
a ratifié deux accords de prêt: l’un conclu avec le Fonds monétaire
international pour un prêt de 235 millions US$ à la Banque Nationale
de Moldova et l’autre conclu avec la Fédération de Russie pour un
prêt de 200 millions d’euros au Gouvernement moldave. L’opposition
craignait que ce dernier contienne des dispositions opaques de nature
à faciliter la canalisation de l’argent vers des projets inutiles
favorisant des entreprises russes
.
À la suite d’une requête introduite par l’opposition, la Cour constitutionnelle
a d’abord suspendu la loi de ratification de l’accord de prêt avec
la Fédération de Russie avant de la déclarer inconstitutionnelle.
Le gouvernement a relancé les négociations avec la Fédération de
Russie afin de pouvoir combler partiellement le déficit budgétaire
grâce à ce prêt.
31. Il a été rapporté que l’ex-président Dodon avait appelé le
président de la Cour constitutionnelle, M. Vladimir Turcan, avant
l’examen de la constitutionnalité de la loi relative au prêt russe.
Malgré les affirmations de M. Dodon selon lequel cet appel s’inscrivait
dans le cadre d’un dialogue inter-institutionnel, d’aucuns ont soupçonné
l’exercice de pressions sur la Cour et ce climat a abouti à un vote
de défiance de ses propres membres de cette instance, à la révocation
de son président et à l’élection de la juge Domnica Manole pour
lui succéder.
32. Le 22 avril 2020, la Commission européenne a décidé d’allouer
100 millions d’euros à ce pays (sur une enveloppe d’assistance macrofinancière
de 3 milliards d’euros destinés à dix pays limitrophes dans le cadre de
la politique européenne de voisinage) sous forme de prêts ; le but
était de limiter les retombées économiques de la pandémie de covid-19.
À la suite de l’adoption de la Loi sur les ONG
par
le Parlement moldave conformément à l’Accord d’association de 2014,
l’Union européenne a également été en mesure de débloquer une partie
de son assistance macrofinancière (soit 30 millions sur les 100 millions
d’euros prévus). L'Union européenne a ensuite adopté un plan de
relance économique pour la République de Moldova, d'une valeur de
600 millions d'euros, afin de continuer à soutenir la lutte menée
par le pays contre la covid-19. Une première tranche de 36,4 millions
d'euros a été décaissée.
33. Ces conditions sanitaires se sont ajoutées aux défis économiques
et à la crise énergétique auxquels le pays est confronté depuis
fin 2021. Malgré le renouvellement du contrat avec Gazprom en octobre
2021, le prix du gaz est passé de 457 US$ par 1 000 m3 en octobre
2021 à 1 200 US$ en avril 2022
.
Cette hausse a entraîné une crise économique qui a incité l'État
à déclarer l'état d'urgence pour faire face à la crise énergétique,
diversifier ses approvisionnements en énergie et, comme indiqué
par le Parlement européen, contrer «l'instrumentalisation inadmissible
du prix du gaz par la Russie afin d'exercer une pression politique sur
le Gouvernement moldave pour qu'il change d'orientation géopolitique»
.
2.2.2. Impact
de l'agression russe contre l'Ukraine et de la crise des réfugiés
qui en a résulté
34. Le déclenchement de la guerre
en Ukraine le 24 février 2022 a soulevé des défis considérables
dont nous avons pu discuter avec les autorités. Ce conflit s’est
ajouté à la crise énergétique et à la gestion de la pandémie de
covid-19 qui ont perturbé la coopération économique avec l'Ukraine
voisine et entraîné des taux d'inflation élevés (environ 30 %, les
plus élevés de la région) qui touchent directement la population.
35. L'une des conséquences de la guerre a été l'arrivée massive
de réfugiés en provenance d'Ukraine, un phénomène qui a été décrit
en détail par la Représentante spéciale de la Secrétaire Générale
sur les migrations et les réfugiés, Mme Kayacik
. Depuis le 24 février 2022, plus
de 700 000 réfugiés sont entrés en République de Moldova. Près de
100 000 d'entre eux sont enregistrés dans le pays
. La moitié
d'entre eux sont des enfants, et environ 90 % de ces réfugiés sont
accueillis par plus de 10 000 familles locales, principalement dans
la région de Chisinau. 3 600 réfugiés sont des ressortissants de
pays tiers. La Représentante spéciale de la Secrétaire Générale
a rappelé que la République de Moldova a la deuxième plus grande
frontière avec l'Ukraine (1 222 km, dont 453 km échappent au contrôle
des autorités constitutionnelles moldaves) et qu'elle était le pays
voisin qui accueillait le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens
par rapport à sa population (moins de trois millions)
.
36. Cette situation pose des problèmes de logistique considérables
aux autorités, sans compter les questions liées aux droits humains
et à l'éducation des enfants. Le 24 février 2022, le parlement a
déclaré l'état d'urgence pour 60 jours (prolongé depuis lors et
toujours en vigueur), permettant à la Commission des situations
exceptionnelles d’arrêter des dispositions et des directives pour
réglementer la circulation vers et sur le territoire et gérer le
flux migratoire
.
Le parlement a également adopté une législation visant à gérer la
crise migratoire ainsi que l'augmentation du nombre d'enregistrements
de demandes d'asile (8 000 depuis le début de la guerre, alors que
la moyenne annuelle précédente était de 100).
37. Cette situation a mis à rude épreuve l'administration de l'État,
qui l'a remarquablement gérée. Le pays, qui avait préalablement
élaboré un plan d'urgence, a fait preuve d'une grande solidarité
et d'une grande résilience. Compte tenu de l’instabilité du contexte
régional, le pays prépare actuellement, en priorité, un plan national
d'urgence pour environ 500 000 personnes supplémentaires arrivant
d'Ukraine, dont la moitié pourrait rester en République de Moldova
.
Mme Kayacik a constaté que le pays avait
déployé des efforts extraordinaires pour accueillir les personnes
fuyant la guerre en Ukraine, mais elle a insisté sur la nécessité de
fournir des ressources supplémentaires pour mettre en place des
solutions à long terme pour les femmes, les enfants, les personnes
âgées et les personnes handicapées qui se trouvent actuellement
dans le pays, car certaines installations ne sont pas conçues pour
accueillir les réfugiés sur de longues périodes. Elle a également
suggéré dix mesures, dont l'adoption d'un cadre juridique spécifique
sur le statut et la protection des réfugiés d'Ukraine, la prévention
et la détection de la traite des êtres humains et de la violence
à l'égard des femmes sous toutes leurs formes, la protection des
enfants non accompagnés et séparés arrivant d'Ukraine et la promotion
d'un système éducatif inclusif visant à intégrer durablement les
enfants arrivant d'Ukraine aux enfants locaux
.
38. Outre la crise des réfugiés, la guerre en Ukraine a créé de
nouveaux problèmes de sécurité. Dans la région transnistrienne de
la République de Moldova, 1 700 soldats russes participent à des
opérations de maintien de la paix ou surveillent le dépôt de munitions
de Cobasna, qui contient 20 000 tonnes de munitions de l'ère soviétique.
Après l'agression russe, des explosions inexpliquées se sont produites
à Tiraspol en avril 2022 et des alertes ont été lancées en République
de Moldova concernant des bombes sophistiquées liées au conflit
en Ukraine.
39. Des déclarations faites par des responsables russes ou des
autorités
de facto à Tiraspol
ont également ajouté des préoccupations supplémentaires en matière
de sécurité. Le 22 juillet 2022, le «ministre des Affaires étrangères»
de facto de Transnistrie (et négociateur
en chef de Tiraspol dans le règlement du conflit 5+2), M. Ignatiev,
a annoncé qu'il demanderait l'annexion de la Transnistrie à la Russie,
ce que le Vice-Premier ministre chargé de la réintégration de la
République de Moldova, M. Serebrian, a qualifié de provocation et «peut
être de prélude à une opération militaire pro-russe contre la Moldova».
Le 31 août 2022, le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov,
a affirmé que Moscou surveillait la situation et a donné l'assurance
que la Russie entendait protéger les intérêts de la population ethnique
de Moldova, tant de [la région transnistrienne] que de la Gagaouzie
. Début
septembre 2022, Leonid Slutskiy, président de la commission permanente
de la Douma d'État russe pour les affaires internationales, a déclaré
que «la Transnistrie appartient à la Russie». Cette déclaration
a été jugée par le Vice-Premier Ministre Serebrian comme «inacceptable,
inadmissible et soulevant des questions alarmantes dans le contexte
des dispositions de l'article 5 du Traité d'amitié et de coopération
entre la République de Moldova et la Fédération de Russie du 19
novembre 2001» qui prévoit que «chacune des parties contractantes
s'abstiendra de toute action susceptible de porter préjudice à l'autre
partie contractante, à sa souveraineté, à son indépendance et à
son intégrité territoriale»
.
40. La mobilisation partielle des citoyens russes décidée par
le Président Poutine a également suscité des préoccupations quant
à l'éventuelle mobilisation des citoyens moldaves possédant la double
nationalité (jusqu'à 200 000 dans la région de Transnistrie). La
présidente, Mme Sandu, envisageait la
possibilité de retirer la nationalité moldave à des personnes possédant
également la nationalité russe et qui se battraient au nom de la
Fédération de Russie, voire d’imposer des peines plus sévères à
des citoyens moldaves qui encourageraient la guerre
.
Le sort des citoyens moldaves résidant actuellement en Fédération
de Russie fait également l'objet d'une surveillance étroite de la
part des autorités moldaves.
41. Les préoccupations sécuritaires du pays sont devenues encore
plus aiguës le 31 octobre 2022, lorsqu’un missile abattu par le
système anti-aérien ukrainien est tombé près de la ville de Naslavcea,
à la frontière avec l’Ukraine. Heureusement, aucune victime n’a
été signalée. En novembre 2022, les bombardements d’infrastructures
énergétiques en Ukraine par la Russie ont entraîné des réductions
massives de l’énergie. Le piratage des comptes Telegram de la Présidente
de la République, du vice-Premier ministre, du ministre de la Justice,
du chef du conseiller de police et d’un conseiller de la présidente
début novembre a accru les menaces sécuritaires subies par le pays.
2.2.3. Demande
d'adhésion de la République de Moldova à l'Union européenne
42. Après le déclenchement de la
guerre, les autorités moldaves
ont
posé leur candidature à l'Union européenne le 3 mars 2022, en même
temps que l'Ukraine et la Géorgie. Le 16 juin 2022, la Commission européenne
a recommandé d'accorder le statut de pays candidat à la République
de Moldova, ce qui a été accepté par le Conseil européen de l'Union
européenne le 23 juin 2022.
43. Depuis lors, une commission nationale pour l'intégration européenne
a été créée et a adopté un plan d'action pour remplir les conditions
liées au statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne
de la Moldova. Cette commission comprend, entre autres, la Bashkan
(Gouverneure) de Gagaouzie et le Président de l'Assemblée populaire
de Gagaouzie, ainsi que le directeur du Congrès des autorités locales
de Moldova et d'autres représentants de la société civile. Ce plan
comprend des mesures qui devraient être prises pour faire avancer
le processus d'adhésion de la Moldova, notamment dans les domaines
de la réforme de la justice, de la lutte contre la corruption, de
l'amélioration de la législation électorale, de la «désoligarchisation» et
du renforcement de la lutte contre la criminalité organisée et le
recouvrement d'avoirs, du renforcement des capacités de l'administration
publique et de la gestion des finances publiques, de la participation
de la société civile aux processus de prise de décisions, ainsi
que du renforcement de la protection des droits humains et de la
lutte contre la violence sexiste
. Le chemin vers
l'Union européenne sera long, mais la «perspective européenne» offerte
par la Commission européenne est un signal politique fort pour le
pays.
44. Compte tenu du contexte régional actuel, l'octroi du statut
de candidat à l'adhésion à l'Union européenne est également une
réponse à la quête de sécurité du pays, y compris la sécurité démocratique.
Il est également conforme au choix des électeurs exprimé en novembre
2020 (lors de l'élection de la présidente pro-européenne Mme Sandu)
et en juillet 2021, avec une nette majorité donnée au PAS et à son
programme pro-européen et pro-Union européenne. La guerre en Ukraine
a accéléré la transition de la République de Moldova vers l'Union
européenne, déjà amorcée avec la signature de l'accord d'association
en 2014.
2.3. Progrès
accomplis dans le domaine de l'égalité de genre et de la lutte contre
la violence à l'égard des femmes
45. Les élections législatives
anticipées de juillet 2021 ont permis de réaliser des progrès importants
dans le domaine de la participation des femmes à la vie publique;
en effet, les femmes sont désormais mieux représentées au parlement
(avec 39,6 % de députées
). Mme Maia
Sandu a été la première femme élue Présidente de la République,
et Mme Natalia Gavrilița la première
femme nommée Première ministre. Le gouvernement compte 4 femmes
(Intérieur, Santé, Environnement, et la Bashkan [gouverneure] de Gagaouzie)
sur 16 membres. Cette avancée est sans précédent dans l'histoire
de la République de Moldova et devrait inspirer d'autres pays d'Europe.
Nous saluons également la création, en juin 2022, d'un caucus de femmes
au sein du Parlement moldave afin de consolider davantage les droits
des femmes dans le pays.
46. Autre pas important en avant: la signature, le 31 janvier
2022, de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention
et la répression de la violence faite aux femmes et de la violence
familiale (STCE no 210, Convention d’Istanbul)
.
La Convention a été signée en 2017, mais la lutte contre la violence
domestique et la violence à l'égard des femmes est une question
qui fait l'objet de très vifs débats dans la société et qui est instrumentalisée
par certains partis politiques et églises.
47. La loi de ratification adoptée par le parlement le 14 octobre
2021 a été contestée par les socialistes. La Cour constitutionnelle
a ensuite demandé à la Commission de Venise d'évaluer «les implications constitutionnelles
des articles 3 c) [genre], 14 [éducation], 28 [signalement par des
professionnels] et 42 [justifications inacceptables des crimes,
y compris les crimes dits «d'honneur»] de la Convention d'Istanbul
sur le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs propres
croyances religieuses et sur la notion de famille».
48. Dans son mémoire
amicus curiae de
décembre 2021
, la Commission de Venise a rappelé
que la Convention d'Istanbul ne cherchait pas à imposer un certain
style de vie ou à interférer avec l'organisation personnelle de
la vie privée; elle visait uniquement à prévenir la violence à l'égard
des femmes et la violence domestique. En outre, «la convention ne
cherche pas à réglementer la vie de famille ni les structures familiales: elle
ne comporte pas de définition de la ‘famille' et ne promeut pas
un type de famille particulier»
.
La Commission de Venise a conclu qu'elle n'avait pas constaté d'incompatibilité
des dispositions susmentionnées de la Convention d'Istanbul avec
la Constitution moldave. Le 17 janvier 2022, la Cour constitutionnelle
a ainsi déclaré la requête irrecevable. Mme Manole,
Présidente de la Cour constitutionnelle, a notamment déclaré que «la
Convention d'Istanbul n'oblige pas les États à légaliser les mariages
entre personnes de même sexe. Par conséquent, la Convention d'Istanbul
ne contredit pas les constitutions nationales qui définissent le
mariage comme une union entre une femme et un homme»
.
49. La ratification de la Convention d'Istanbul constitue une
avancée majeure pour la protection des droits humains en République
de Moldova, qui fait désormais partie des précurseurs de la région
puisqu’au 26 septembre 2022, parmi les pays du Partenariat oriental,
seules la Géorgie (2017) et la République de Moldova (2021) avaient
ratifié la Convention d'Istanbul
. Le pays
a soumis le 3 octobre 2022 son
rapport étatique au Groupe d’experts sur la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) qui effectuera
sa première visite en 2023.
50. Nous saluons également l’adoption, le 17 novembre 2022, de
la Loi 316/2022 sur les amendements de certains actes normatifs
(garantissant les droits des victimes dans le cas de crimes liés
à la vie sexuelle et à la violence familiale) et les travaux en
cours pour la préparation de plans d’action sur l’égalité des genres
et la prévention et la lutte contre la violence domestique et la
violence faite aux femmes. Nous encourageons les autorités à poursuivre
la mise en conformité de leur législation avec les normes européennes,
en coopération avec le Conseil de l’Europe et son
projet visant à «Soutenir la mise en œuvre de la Convention
d'Istanbul en République de Moldova».
2.4. Réforme
du Code électoral
51. Le cadre électoral a fait l'objet
de nombreuses discussions. Nous avons rappelé que le pays avait introduit,
contre la recommandation de la Commission de Venise, un système
électoral mixte pour les élections législatives de 2019, avant de
revenir à un système proportionnel pour les élections de juillet 2021.
Tout en notant que le cadre électoral légal constituait une base
adéquate pour la conduite d'élections démocratiques «s’il était
appliqué de bonne foi», les observateurs de l'Assemblée ont mis
en évidence plusieurs problèmes nécessitant des améliorations, notamment
les dispositions juridiques traitant des plaintes et des recours,
le contrôle du financement de la campagne, le nombre et l'emplacement
des bureaux de vote à l'étranger et la couverture médiatique
.
52. Dans l’intervalle, les autorités ont lancé une réforme globale
du Code électoral, accélérée par la demande de la Commission européenne,
en juin 2022, de prendre des mesures pour, entre autres, «remédier aux
lacunes identifiées par le BIDDH de l’OSCE et le Conseil de l’Europe/Commission
de Venise» pour obtenir le statut de pays candidat. Un projet de
code électoral a été préparé par la Commission électorale centrale (CCE)
à la suite
d’un processus qui, selon la Commission de Venise, «semble avoir
été consultatif et inclusif jusqu’à présent»
. Il introduit un nombre considérable
de changements, y compris ceux liés à la composition des organes
de gestion des élections, à la conduite de la campagne électorale,
à la réglementation et à la supervision du financement des campagnes,
aux droits de vote, y compris à l’étranger, et aux règles relatives aux
différents types de référendums. Il a été adopté en première lecture
par le parlement le 28 août 2022.
53. À la demande du Président du Parlement de la République de
Moldova, M. Igor Grosu, l'OSCE/BIDDH et la Commission de Venise
ont adopté en octobre 2022 un avis conjoint sur le projet de code
électoral de la République de Moldova
. La Commission de Venise a noté
que le projet de code incluait un certain nombre d’évolutions bienvenues
«pour clarifier les procédures de vote à l’étranger, le renforcement
des règlements de financement des campagnes et le mandat de la CEC
de s’engager dans un contrôle et une supervision significatifs du
financement politique et des campagnes, et d’accroître la capacité
des conseils de district en rendant permanente la position de leurs
présidents». Le code a donné suite à la plupart des recommandations antérieures
du BIDDH de l’OSCE et des rapports d’observation du BIDDH et du
Conseil de l’Europe – y compris les recommandations formulées par
les observateurs de l’Assemblée – telles que l’introduction d’une règle
selon laquelle les aspects les plus importants de la loi électorale
ne peuvent pas changer dans l’année qui suit les élections; l’interdiction
du transport organisé des électeurs par les partis politiques le
jour de l’élection ou la définition et la clarification de ce qui
constitue une couverture électorale dans les médias audiovisuels.
54. La Commission de Venise a formulé un certain nombre de recommandations
clés, notamment pour clarifier les dispositions prévoyant un vote
de deux jours (qui est une nouveauté), préciser les motifs permettant la
révocation des membres de la CEC, la radiation des candidats ou
préciser la liste exhaustive des circonstances qui pourraient conduire
à la radiation des partis politiques. Elle a également soulevé des questions
sur la composition proposée de la CEC. D’autres recommandations
portent sur la nécessité d’élaborer (ou de faire référence) aux
processus électoraux organisés au sein de l’unité territoriale autonome de
Gagaouzie, de définir plus précisément les symboles qui ne sont
pas autorisés dans les campagnes ou de revoir les conditions d’éligibilité
à la présidence de la République et des maires, ou de conserver
la possibilité que les bulletins de vote et les autres informations
pertinentes pour les électeurs soient produits en roumain et dans
les langues parlées par les minorités nationales. La Commission
de Venise a également rappelé que l’adoption des codes électoraux
devrait se fonder sur un large consensus politique
.
55. Certains partis d’opposition parlementaires et extraparlementaires
ont exprimé leur mécontentement à l’égard du projet de code et ont
contesté en particulier le vote électronique
. Dans ses commentaires sur l’avant-projet
de rapport, M. Batrîncea a également contesté la procédure de nomination
des membres des organes électoraux, le statut des membres actuels
(nommés en 2022) et les modalités confiant à la CEC de décider de
tenir le vote sur deux jours, ce qui ne garantirait pas l’égalité
des droits de vote pour tous les citoyens du pays
.
56. Le parlement a adopté le 9 décembre 2022, en troisième et
dernière lecture, le Code électoral. Faute de temps, nous n’avons
pas été en mesure d’analyser en profondeur le Code électoral tel
que révisé et adopté. Nous avons noté que la composition de la CEC
a été modifiée et que les élections pourraient avoir lieu sur deux
jours (samedi et dimanche) dans des situations exceptionnelles (pandémie,
état d’urgence, dans certaines circonscriptions) par dérogation
à la règle générale à décider par la CEC au moins 25 jours avant
le jour de l’élection. Nous attendons de plus amples informations
pour être en mesure d’évaluer la version adoptée du Code électoral.
Nous regrettons cependant qu’il n’ait pas pu être adopté sur la
base d’un large consensus et un engagement constructif de toutes
les forces politiques représentées au parlement. Nous appelons donc
toutes les parties prenantes à mettre en œuvre le Code électoral
en tenant compte des recommandations existantes et futures émises
par la Commission de Venise pour garantir que le processus électoral
se déroulera conformément aux normes européennes régissant des élections
libres et équitables.
2.5. L’Entité
territoriale autonome de Gagaouzie (Gagaouz-Yeri)
57. Lors de nos visites dans le
pays, nous avons examiné la situation de l'Unité territoriale autonome
de Gagaouzie (UTAG), une région de 85 km2 et
d’environ 135 000 habitants (selon le recensement de 2014), dont près
de 84 % se déclarent Gagaouzes
. Cette
région aspirait à l'indépendance en décembre 1991. Une solution
pacifique a ensuite été négociée sur deux ans, ce qui a conduit
le Parlement moldave à adopter, le 23 décembre 1994, la loi no 344-XIII
de la République de Moldova relative au statut spécial de la Gagaouzie. La
hiérarchie de la législation en Gagaouzie est la suivante: la Constitution
moldave est suivie par la loi sur le statut spécial de la Gagaouzie,
le Code juridique de la Gagaouzie et, enfin, les lois gagaouzes
adoptées par l'Assemblée populaire de Gagaouzie.
58. Nos prédécesseurs ont souligné qu’il existe un certain nombre
de questions et d'exigences formulées de longue date par les autorités
gagaouzes qui n'ont pas été traitées, en particulier la nécessité
d'harmoniser la législation moldave et gagaouze. Un groupe de travail
(créé en 2015) a été rétabli au sein du Parlement moldave après
les élections parlementaires de juillet 2021 pour s'attaquer à cette
question et a repris ses travaux en mars 2022
. D'autres
demandes d'organes plus autonomes ont été formulées par les autorités gagaouzes,
notamment dans les domaines du système judiciaire, du Code électoral
ou de la représentation parlementaire de la population gagaouze.
Des députés de l’UTAG ont récemment proposé un amendement au Code
électoral de Moldova et exigé que cinq sièges au parlement soient réservés
aux députés représentant la Gagaouzie
.
59. Au cours de nos visites, nous avons rencontré Mme Irina
Vlah, Bashkan de l'Unité territoriale autonome de Gagaouzie, qui
a été réélue au premier tour pour un second (et dernier) mandat
de quatre ans en juillet 2019
.
La Bashkan est un membre de droit du gouvernement.
60. En octobre 2021, la Bashkan a souligné la nécessité d'améliorer
les conditions socio-économiques de la population moldave en premier
lieu, de lutter contre l'abandon scolaire précoce, d'accroître les
possibilités d'emploi, d'améliorer l'accès à la langue roumaine
et sa maîtrise, et de mettre en place des partenariats économiques
pour empêcher les jeunes instruits de quitter le pays. Elle a regretté
le manque de dialogue avec les nouveaux dirigeants moldaves, le
manque de consultation lorsque les autorités ont décidé de demander l'adhésion
à l'Union européenne, son exclusion du Conseil national de sécurité
et de la cérémonie d'investiture de la présidente, et l'abrogation
du statut de membre de droit du procureur général de Gagaouzie au
Conseil supérieur des procureurs. Elle nous a également expliqué
qu’il était nécessaire de protéger les minorités nationales et l'utilisation
des trois langues officielles de l'UTAG (roumain, russe et gagaouze),
ainsi que de renforcer l'apprentissage de la langue roumaine.
61. Les élections régionales de l'Assemblée populaire ont eu lieu
le 19 septembre 2021 (elles n'ont pas été observées par le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux en raison de la situation sanitaire).
Ces derniers mois ont été marqués par une lutte entre la Bashkan
et l'Assemblée du peuple, qui tente d'étendre son pouvoir aux dépens
du gouvernement central de Chisinau et d'Irina Vlah, dont le second
(et dernier) mandat expire en juin 2023 (l'élection d'un nouveau
gouverneur est prévue le 30 avril 2023).
62. Lors de sa réunion avec Mme Vlah,
qui s’est tenue le 25 novembre 2021, la présidente, Mme Sandu,
a exhorté les représentants de l’UTAG à soutenir les réformes engagées
dans le pays, notamment dans le domaine de la justice et de la lutte
contre la corruption et de ne pas restreindre les libertés démocratiques
des citoyens. La présidente a annoncé qu'elle se rendrait en Gagaouzie
dès que le processus de mise en place des organes de travail de
l'assemblée régionale nouvellement élue serait achevé
.
Mme Sandu s'est rendue à Comrat en septembre
2022, a appelé à la préservation de la paix interethnique et de
la culture gagaouze, et a annoncé le lancement, en 2023, d'un programme
national d'apprentissage du roumain. Elle a également reconnu que
les (larges) pouvoirs de l’Entité autonome devaient être réglementés
et mis en conformité avec la législation, ce qui reste un processus
laborieux
.
63. Les relations entre Chisinau et Comrat sont devenues plus
difficiles dans le contexte de l'agression de l'Ukraine par la Russie.
- Alors que le Parlement moldave
avait adopté, le 7 avril 2022, une loi contre l'utilisation des
symboles de guerre et du ruban de Saint-Georges (voir ci-dessous)
signée par la Présidente Sandu, les députés de l'Assemblée du peuple
ont adopté à l'unanimité une loi relative aux symboles de la victoire
sur le territoire de Gagaouzie autorisant le déploiement des symboles
associés à la Grande Guerre patriotique en Gagaouzie (excluant de
ce fait le symbole «Z»). Cette loi a été signée par la Bachkan.
La Cour d'appel de Comrat a rapidement suspendu la nouvelle loi
adoptée par l'Assemblée populaire, car elle violait la loi moldave.
Défiant l'autorité de Chisinau, l'Assemblée du peuple a organisé
une séance d'urgence la nuit précédant le Jour de la Victoire et
a une nouvelle fois voté en faveur d'une loi légalisant l'utilisation
du ruban de Saint-Georges en Gagaouzie .
- Les députés de l'assemblée régionale de l'UTAG ont également
adopté une législation anti-LGBT qui interdit l'organisation de
toute forme de défilé des fiertés en Gagaouzie, quelques jours après
l’annonce que plusieurs événements LGBT auraient lieu à Chisinau
en juin 2022 pour marquer la Journée internationale contre l'homophobie,
la transphobie et la biphobie. M. Igor Grosu, Président du Parlement moldave,
a critiqué la nouvelle loi .
- Au début de cette année, tandis que les autorités moldaves
faisaient face à la crise énergétique et à l'augmentation du prix
du gaz, une délégation de l'UTAG a entrepris, en janvier 2022, de
se rendre à Moscou afin de négocier des prix préférentiels pour
le gaz.
64. Dans le contexte de l'agression russe contre l'Ukraine, les
relations entre Chisinau et Comrat sont restées difficiles, les
décisions prises par l'Assemblée du peuple défiant manifestement
les institutions de l'État. Néanmoins, nous saluons les efforts
visant à contribuer au renforcement du dialogue, notamment l'inclusion de
la Bashkan dans la Commission nationale pour l'intégration européenne
nouvellement créée, ou le projet de lancer un programme d'apprentissage
de la langue roumaine. Il est également important de soutenir les travaux
du groupe parlementaire, qui pourrait être un moyen d’examiner des
questions litigieuses et problèmes de longue date qui devraient
être résolus de manière légale.
3. État
de droit
3.1. Réforme
du système judiciaire
65. Le système judiciaire présente
des problèmes de longue date
qui préoccupent
l'Assemblée depuis de nombreuses années
. La
Commission internationale des juristes avait même affirmé en 2019
que le système judiciaire était «uniquement une coquille vide» caractérisée
par une corruption endémique, un contrôle politique, une justice
sélective, un manque d'intégrité judiciaire et une mauvaise application
de la loi. Ce constat expliquait également le faible niveau de confiance
dans le système judiciaire: selon un baromètre de l'opinion publique
de juin 2021, plus de 65 % de la population moldave ne faisait pas
confiance au système judiciaire
.
66. L'Assemblée a également fait part, en janvier 2021, de ses
préoccupations concernant l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Dans sa
Résolution 2359
(2021), elle a noté que «plusieurs tentatives de réformer la justice
n’ont pas abouti et que la corruption, y compris dans les cercles
du pouvoir judiciaire, demeure un phénomène très répandu dans ce
pays». Elle a appelé les autorités moldaves à «poursuivre la réforme
de la justice, du Conseil supérieur de la magistrature et du ministère
public conformément aux recommandations des organes et des instances
du Conseil de l’Europe» et à «prendre les mesures nécessaires pour
mettre en œuvre la nouvelle stratégie pour la réforme de la justice».
Elle a appelé les autorités moldaves à «donner priorité à la question
de l’évaluation des juges et des procureurs, et utiliser pleinement
les procédures qui existent déjà pour assurer l’intégrité de la
justice» et à «renforcer considérablement leurs efforts pour lutter contre
la corruption parmi les juges et les procureurs» en mettant en œuvre
les recommandations du GRECO
.
67. En fait, depuis juin 2019, les gouvernements successifs concentrent
leurs efforts sur la réforme du système judiciaire et du ministère
public. En particulier le Conseil supérieur de la magistrature était
au centre d’une bataille juridique, ce qui a incité le président
de la Commission de Venise à appeler les institutions moldaves à
travailler ensemble pour garantir l’indépendance et l’intégrité
du pouvoir judiciaire
. La réforme du
système judiciaire s'est intensifiée après les élections législatives
de juillet 2021, la nouvelle majorité s'étant engagée à le «nettoyer»
de ses éléments corrompus.
68. Il est encourageant de constater que tout au long de ces dernières
années, la coopération des autorités moldaves avec le groupe de
travail de haut niveau de la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe
a été intensive, ce qui a abouti à l'adoption de la stratégie de
réforme de la justice et à l'élaboration d'un plan d'action. La
coopération s’est également poursuivie avec la Commission de Venise
en ce qui concerne la réforme du Conseil supérieur de la magistrature,
du ministère public, de la Cour suprême de justice et des modifications à
la loi sur la Cour constitutionnelle.
69. Nous avons l’intention de résumer les principales mesures
prises en vue de réformer le système judiciaire, même si certaines
de ces questions ont été décrites en détail dans nos notes d'information précédentes,
publiées à l’issue des visites que nous avons effectuées dans le
pays.
3.1.1. Adoption
d'amendements à la Constitution visant à dépolitiser le système
judiciaire
70. L'une des principales questions
en jeu était la révision de la constitution visant à dépolitiser
le système judiciaire. La Commission de Venise a évalué le projet
de modification constitutionnelle en préparation depuis 2018
.
Dans son avis de juin 2020, la Commission de Venise a estimé que
le projet de loi portant révision de la Constitution «pourrait
renforcer l’indépendance, la responsabilisation et l’efficacité
du système judiciaire. Aussi les modifications proposées sont-elles
dans l’ensemble positives et conformes aux normes applicables
». La Commission
de Venise a également attiré l’attention sur le renouvellement des
membres non professionnels du Conseil supérieur de la magistrature
lors de l’entrée en vigueur des modifications de la Constitution,
lequel devrait avoir lieu début 2021, conformément aux nouvelles
règles exigeant une majorité qualifiée de trois cinquièmes des députés
pour leur élection ; elle suggérait que les dispositions transitoires permettent
aux membres non professionnels nommés en mars 2020
de se présenter
à nouveau
.
71. Les amendements constitutionnels ont été adoptés en lecture
finale le 23 septembre 2021 à une large majorité (86 députés étaient
favorables, les députés Shor s'étant abstenus) après plusieurs consultations
avec la Commission de Venise
et sont entrés en vigueur le 1er avril
2022. Nous avons salué cette révision constitutionnelle fondée sur
un large consensus et acceptée par les principaux partis politiques.
Les amendements ont modifié l'élection et la nomination des membres
du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil supérieur
des procureurs et ont constitué un progrès majeur dans la réforme
de la justice.
72. Ensuite, la Commission de Venise a été sollicitée par les
autorités pour évaluer le «projet de loi portant modification de
certains actes normatifs» (système judiciaire), qui devrait mettre
la législation relative au système judiciaire en conformité avec
les amendements constitutionnels de 2022
.
La Commission de Venise a estimé, le 17 juin 2022, que le projet
de loi «était positif et conforme aux normes européennes applicables» tout
en formulant des recommandations supplémentaires visant à l’améliorer.
La Commission de Venise a notamment salué la suppression des périodes
probatoires pour les juges, l'unification de la procédure de nomination
des juges qui exclut la participation du parlement et le transfert
du pouvoir de nomination des présidents et vice-présidents des tribunaux
au Conseil supérieur de la magistrature
.
3.1.2. Réforme
du Conseil supérieur de la magistrature
73. Les amendements constitutionnels
adoptés ont changé la nomination des juges ainsi que la composition et
la sélection du Conseil supérieur de la magistrature (CSM): la période
initiale de nomination de cinq ans dans le cas des juges a été abrogée;
le ou la Président·e ne peut rejeter qu'une seule fois les candidat·e·s
proposés par le CSM. Les juges ne bénéficieront plus d’une immunité
générale, mais seulement d’une immunité fonctionnelle. Les juges
de la Cour suprême de justice seront nommés de la même manière que
les juges des cours de droit commun et d'appel, par le ou la Président·e,
sur proposition du CSM. Le procureur général et le ministre de la
Justice sont exclus de la composition du CSM, qui sera composé de
six membres parmi les juges et de six membres non professionnels,
sélectionnés par le parlement. Les amendements introduisent une
règle constitutionnelle de majorité qualifiée de membres du parlement
pour l'élection des membres non professionnels du CSM et incluent
une référence dans la Constitution au mécanisme anti-blocage au
cas où le parlement ne parviendrait pas à atteindre la majorité
qualifiée.
74. Les amendements prévoient que l'Assemblée générale des juges
élira six juges en tant que membres du CSM (quatre issus des tribunaux
de première instance, un d'une cour d'appel et un autre de la Cour suprême
de justice). Les candidats au poste de juge-membre doivent désormais
avoir au moins trois ans d'expérience dans la magistrature et n'avoir
fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire au cours des trois dernières
années. Le CSM comprendra également trois membres non professionnels
nommés par le parlement et trois membres de droit (c'est-à-dire
le ministère de la Justice, le procureur général et le président de
la Cour suprême de justice), malgré l'avis négatif du Conseil supérieur
de la magistrature, qui avait recommandé d'exclure le procureur
général et le ministère de la Justice des membres de droit afin
de garantir la dépolitisation et l'indépendance du pouvoir.
3.2. Ministère
public
75. Dans le contexte du démantèlement
de la «captation de l’État», la procédure de sélection du procureur général
et l'organisation du ministère public sont des questions cruciales.
Des amendements à la loi sur le ministère public ont été adoptés
en juillet 2019 et en septembre 2019, introduisant une nouvelle
procédure pour la nomination d'un procureur général intérimaire
en attendant la désignation d'un procureur général permanent, une
nouvelle composition du Conseil supérieur des procureurs et une
nouvelle procédure pour la nomination et la révocation du procureur
général. Un groupe de députés a contesté la constitutionnalité de
ces amendements. La Cour constitutionnelle a demandé conseil à la
Commission de Venise, qui a adopté son mémoire
amicus curiae en décembre 2019
.
Entre-temps, la nomination du procureur général a déclenché une
crise politique majeure et a entraîné un vote de défiance et la
chute du gouvernement de Mme Sandu en novembre
2019 (voir ci-dessus).
76. Après les élections de juillet 2021, les amendements à la
loi n°3/2016 sur le ministère public ont été rapidement adoptés
par le parlement en août 2021. Les amendements ont réorganisé le
Conseil supérieur des procureurs, introduit de nouveaux mécanismes
de responsabilisation du procureur général et ramené l'âge de la
retraite pour les membres du Conseil supérieur des procureurs à
65 ans. Les amendements ont également introduit des mécanismes d'évaluation
ad hoc des performances du procureur
général et ont prévu un mécanisme relatif à sa révocation en cas
de violation disciplinaire. Dans son avis de décembre 2021, la Commission
de Venise a critiqué l'adoption rapide des amendements pendant la
période des vacances d'été, sans délibérations en bonne et due forme
au parlement ou un débat public significatif. Elle a demandé des modifications
de la loi en ce qui concerne la procédure d’«évaluation des performances»
du procureur général, la composition de cette commission d'évaluation,
ainsi que les conditions liées à la suspension ou à la révocation
du procureur général
.
3.2.1. Réforme du Conseil supérieur des procureurs
77. La composition du Conseil supérieur
des procureurs (CSP) avait déjà été modifiée en 2019; le nombre de
membres avait alors été porté de 12 à 15. Les amendements adoptés
en août 2021 ont de nouveau réduit le nombre de membre du CSP à
12
,
excluant les trois anciens membres de droit (à savoir le procureur général,
le procureur en chef du bureau du procureur de l'UTAG et le président
de l'association du barreau), tandis que le ministre de la Justice,
le président du CSM et le médiateur restent membres de droit, et
assurant un nouvel équilibre entre les membres du ministère public
et les membres non professionnels au sein du CSP.
- La Commission de Venise a souligné
que la composition du CSP a été modifiée à deux reprises depuis 2019.
Elle a averti que «[d]es changements aussi fréquents peuvent donner
l'impression que chaque majorité parlementaire respective a essayé
de modifier en sa faveur l'équilibre des pouvoirs au sein du CSP»
et a donc suggéré de réglementer cette question dans la Constitution
«pour réduire le risque de tels changements arbitraires», et d'exiger
«une majorité qualifiée des votes pour de tels changements importants
des règles sur le CSP» . De même, les amendements
prévoyant un nouvel âge de départ à la retraite à 65 ans ont, en
fait, permis la résiliation anticipée du mandat d'un membre du CSP [M. Pulbere]
qui avait été nommé par le président précédent et en vertu des règles
précédemment en vigueur. La Commission de Venise a estimé que la
question de la cessation anticipée du mandat des membres du CSP
devait également être régie par la Constitution et que «l'attente
légitime des membres de terminer leur mandat ne devait pas être
perturbée sans raisons très sérieuses» .
- La Commission de Venise a invité les autorités de la République
de Moldova à envisager le retour du procureur général au sein du
CSP en tant que membre de droit (avec un ajustement correspondant
de la composition du CSP, si nécessaire) et, concernant l’exclusion
du procureur général de Gagaouzie du CSP, a suggéré que la loi pourrait
prévoir que l'un des procureurs élus par leurs pairs soit originaire
de Gagaouzie. La Commission de Venise a toutefois noté que les procureurs
élus par leurs pairs (au nombre de 5 sur 12 membres) restent une
«partie substantielle» du CSP (conformément aux recommandations
de la Commission de Venise), et que la nouvelle composition du CSP
reste suffisamment pluraliste «pour garantir qu'aucun des trois
groupes (procureurs, membres non professionnels ou membres de droit)
ne puisse gouverner seul» .
- La participation du ministre de la Justice au CSP en tant
que membre de droit contredit les recommandations émises par le
GRECO en 2020 qui avaient recommandé la suppression de la participation
de droit du ministre de la Justice et du président du Conseil supérieur
de la magistrature pour fournir des garanties appropriées d'objectivité,
d'impartialité et de transparence .
La Commission de Venise a adopté une position plus nuancée et a
estimé que «la participation du PG au CSP n'est pas répréhensible
si le PG n'a pas de droit de vote ou si les membres du ministère
public dans le CSP réformé restent en minorité, même avec le PG» .
78. Le 21 janvier 2022, le parlement a adopté des amendements
supplémentaires à la loi sur le ministère public qui réglementeront
la procédure de sélection et de nomination du procureur général
et des chefs des bureaux des procureurs spécialisés. La loi prévoit
la création d'une commission indépendante, composée de cinq membres
(un nommé par le ministère de la Justice, un par le ou la Président·e
moldave, et trois par le CSP). La commission spéciale organisera
des entretiens, vérifiera l'intégrité des candidats et soumettra
la liste complète des candidats et leurs résultats au CSP, qui a
le droit de faire sa propre évaluation des dossiers et de choisir
tout candidat admis au concours, même s'il n'a pas été désigné vainqueur
du concours par la commission spéciale
.
79. Les autorités ont préparé entre-temps des projets d'amendements
supplémentaires qui ont été examinés par la Commission de Venise
le 17 juin 2022 (et avant leur adoption par le parlement, contrairement aux
amendements d'août 2021). La Commission de Venise a conclu que ces
projets d'amendements à la loi sur le ministère public représentaient
«une amélioration significative par rapport à la version actuelle
de la loi» et a suggéré quelques modifications supplémentaires.
Elle a noté que la plupart des principales recommandations avaient
été prises en compte, et notamment que le procureur général serait
désormais membre de droit du CSP, mais avec des droits limités,
que la composition du CSP resterait compatible avec les recommandations
antérieures de la Commission de Venise, que la Commission d'évaluation
ne pourrait pas fonctionner sans les membres du parquet et que ses
conclusions seraient de nature consultative, tandis que la décision
de révoquer le PG pour insuffisance de performance appartiendrait
au CSP, qu'il n'y aurait pas de suspension automatique des adjoints
du PG en cas de suspension de ce dernier, et qu'en règle générale, le
CSP déciderait à la fois de la suspension initiale du PG et de sa
prolongation
.
3.2.2. Mise en place de mécanismes d'évaluation
des performances et de révocation du procureur général
80. Les modifications de la loi
sur le ministère public adoptées le 24 août 2021 prévoient la possibilité
de procéder à une «évaluation de la performance»
ad hoc du procureur général une
fois par an par une commission d'évaluation spécialement créée (ce
qui est «assez rare en Europe», note la Commission de Venise
) et de révoquer le procureur général
à la suite de la procédure menée par une commission disciplinaire.
La procédure d'évaluation peut être engagée sur notification du
Président ou d'au moins trois membres du CSP et réalisée par la
commission d'évaluation composée de 5 membres
. Le rapport
de la commission est ensuite transmis au CSP; si l'activité du procureur
est jugée «insuffisante», le CSP suggérera au Président de révoquer
le procureur général
. Le CSP a ensuite
approuvé, le 22 novembre 2021, le règlement relatif à la procédure
d'évaluation des performances du procureur général et a détaillé
les critères qui seront utilisés pour évaluer le travail de l’intéressé.
81. La Commission de Venise a toutefois critiqué ce mécanisme
«d'évaluation de la performance» du procureur général établi en
août 2021 et a demandé une révision importante de celui-ci, notamment l'introduction
de critères d'évaluation plus clairs
.
En évaluant les projets d'amendements préparés en 2022
, la Commission
de Venise a conclu que ces amendements répondaient aux principales
recommandations formulées en 2021, notamment en ce qui concerne
la composition de la commission d'évaluation (qui ne pourra pas
fonctionner sans le ministère public), sachant que ses conclusions
seront de nature consultative, que la décision de révoquer le PG
pour «performances insuffisantes» appartiendra au CSP, qu’il n'y
aura pas de suspension automatique des adjoints au PG en cas de
suspension de ce dernier, et que, en règle générale, le CSP décidera
à la fois de la suspension initiale du PG et de toute prolongation
de celui-ci. La Commission de Venise a toutefois jugé nécessaire
d'inclure «une formulation plus précise des indicateurs» lors de
l'évaluation de la performance du procureur général afin de répondre
à une exigence générale de sécurité juridique en termes de prévisibilité
de tout texte juridique et d'éviter le risque d'interprétation arbitraire
de termes tels que «efficacité», «comportement public» ou «confiance».
3.2.3. L'affaire de la suspension du procureur
général, M. Stoianoglo
82. En ce qui concerne l’affaire
de M. Stoianoglo, qui avait été nommé procureur général par le président de
l'époque, M. Dodon
, le 29 novembre 2019, une
procédure d'évaluation a été lancée par le parlement, qui a estimé
que ses résultats avaient été insuffisants, ouvrant la voie à sa
révocation. À la demande de la Présidente, Mme Sandu,
une commission d'évaluation
a été
mise en place en novembre 2021 pour évaluer les performances de
M. Stoianoglo. La commission d’évaluation a évalué l’activité du
procureur général du 29 novembre 2019 au 5 octobre 2021 et a adopté
son rapport le 26 avril 2022, qui a été approuvé par le CSP le 23
mai 2022. Le CSP a proposé que la Présidente de la République licencie
M. Stoianoglo du bureau du procureur général
.
83. Dans son avis de juin 2022, la Commission de Venise a rejeté
une éventuelle application rétroactive de la loi et a souligné que
«toute évaluation des performances du procureur général avant le
24 août 2021, qui pourrait finalement conduire à sa révocation,
devrait être fondée sur des critères d'intégrité et de professionnalisme
qui pourraient indiscutablement découler des règles préexistantes
ou de la nature même du mandat du PG, comme souligné dans l'avis
de 2021». [traduction] La Commission de Venise a également pris note
des explications fournies par le ministère de la Justice «selon
lesquelles les performances du procureur général au cours de la
période antérieure au 24 août 2021 dans le cadre d'une nouvelle
procédure sera basée sur des normes de performance préexistantes
liées à son mandat»
. [traduction]
84. Parallèlement à cette procédure d'évaluation, une enquête
pénale a été ouverte en octobre 2021 par le bureau du procureur
contre le procureur général suite aux déclarations du député du
PAS Lilian Carp, président de la commission de la sécurité nationale,
de la défense et de l'ordre public. Ce dernier alléguait, entre
autres, que M. Stoianoglo, alors qu'il était député du Parti socialiste
dix ans plus tôt, avait promu une législation facilitant l'implication
de la Moldova dans le blanchiment russe (international) d'argent.
Le 5 octobre 2021, quelques heures après l'ouverture de la procédure
pénale et alors qu'il s’apprêtait à donner une conférence de presse,
le procureur général a été arrêté pour abus de pouvoir, corruption,
faux témoignage et facilitation d'un groupe criminel organisé. Il
a été détenu à la maison d'arrêt de la division de police de Chisinau, assigné
à résidence pour 30 jours le 8 octobre 2021
et suspendu
de ses fonctions le 21 octobre 2021. Le 9 décembre 2021, il a été
libéré de son assignation à résidence et est depuis lors sous contrôle
judiciaire.
85. Plusieurs interlocuteurs ont exprimé leurs préoccupations
et leurs interrogations quant au respect des garanties procédurales
et à la transparence des procédures
.
86. En raison de l'enquête en cours, et conformément à la loi,
tous les procureurs généraux adjoints ont été suspendus. En outre,
l'arrestation de M. Stoianoglo a entraîné la démission de plusieurs
procureurs généraux adjoints et l’ouverture de poursuites contre
d'autres procureurs
.
87. Le 7 juillet 2022, l'une des poursuites pénales engagées contre
M. Stoianoglo, dans laquelle il était accusé d'ingérence dans l'administration
de la justice en abusant de sa position officielle dans l'enquête
sur l'expulsion d'enseignants turcs en 2018, a été clôturée par
le Service des poursuites anti-corruption moldave en raison d'un
manque de preuves
. En ce qui concerne
l'autre affaire, M. Stoianoglo a déposé une plainte devant la Cour
européenne des droits de l'homme. Le Gouvernement a répondu à la
demande d'information formulée par la Cour
.
88. Le 6 octobre 2021, à la suite de l'arrestation et de la suspension
de M. Stoianoglo, le Conseil supérieur de la magistrature a nommé
M. Dumitru Robu, que nous avons rencontré, procureur général par
intérim. M. Robu n'a pas été autorisé à commenter l'enquête en cours,
mais il a admis que l'arrestation d'un procureur général en exercice
était un cas exceptionnel.
3.3. Loi sur la sélection des candidats
aux postes administratifs dans les organes d'auto-administration
des juges et des procureurs: la question de l'évaluation externe
des juges et des procureurs (par une commission de contrôle préalable)
89. L'un des sujets sensibles liés
à la réforme du système judiciaire concernait la création d'un mécanisme d'évaluation
externe pour vérifier l'intégrité des juges et des procureurs et
veiller à ce que ceux qui échouent au test soient écartés du système.
L'évaluation, la promotion et la révocation des juges et des procureurs
sont normalement effectuées par les organes judiciaires autonomes
(c'est-à-dire les conseils supérieurs des magistrats et des procureurs).
Il est apparu clairement, lors de nos rencontres avec la présidente,
Mme Sandu, et d'autres représentants
de la majorité, qu'une évaluation effectuée par des parties prenantes
externes était d'une importance capitale et de «nature exceptionnelle»
due à des «circonstances extraordinaires». Selon la présidente,
cette évaluation était censée «nettoyer le système des personnes
ayant des problèmes d'intégrité et des richesses injustifiées» et
«frapper les intérêts profonds des groupes corrompus, qui ont été
enracinés et consolidés dans des systèmes de corruption pendant
des années»
.
90. Les autorités ont donc décidé de créer une commission d'évaluation
ad hoc chargée de vérifier l'intégrité des candidats à des postes
administratifs au sein du CSM, du CSP et de leurs organes spécialisés.
À la demande du ministre de la Justice, M. Sergiu Litvinenko, la
Commission de Venise a adopté, en décembre 2021
, un avis sur le projet de loi
sur «certaines mesures relatives à la sélection des candidats aux
postes administratifs dans les organes d'auto-administration des
juges et des procureurs et à la modification de certains actes normatifs».
91. La Commission de Venise a estimé que, d'une manière générale,
les contrôles d'intégrité visant la situation du CSM, du CSP et
des organes spécialisés envisagés dans le projet de loi révisé représentaient
«un processus de filtrage, et non un processus de vérification judiciaire»
qui pourrait être considéré comme «établissant un équilibre entre
les avantages des mesures et leurs effets négatifs éventuels» s'il
était correctement mis en œuvre. La Commission de Venise a déclaré
que «c'est aux autorités moldaves qu'il appartient en dernier ressort
de décider si la situation qui prévaut dans le système judiciaire
moldave constitue une base suffisante pour soumettre tous les juges
et procureurs, ainsi que les membres du CSM et du CSP, à des évaluations
d'intégrité extraordinaires». Elle recommandait cependant que la
loi prévoie des garanties appropriées pour la protection du droit
à la vie privée et à la vie familiale des juges, des procureurs
et des personnes impliqués dans la procédure, qu'elle permette aux
candidats et candidates de se présenter devant la commission d'évaluation
et de participer à la procédure devant elle s'ils le souhaitent,
qu'elle clarifie la notion de «partenaires de développement» et
leurs critères de sélection des membres de la commission d'évaluation, et
qu'elle indique clairement la durée du mandat de cette commission.
92. En mars 2022, le parlement a adopté la loi sur la sélection
des candidats aux postes administratifs dans les organes d'auto-administration
des juges et des procureurs. Elle prévoit la création d'une commission d'évaluation
composée de six membres (trois nommés sur proposition des factions
parlementaires, selon le principe de proportionnalité, et trois
proposés par les «partenaires de développement» et approuvés par
les trois cinquièmes des députés élus). La commission devra évaluer
l'intégrité des candidats et analyser leur patrimoine et celui de
leurs familles en élargissant les recherches et les informations
fournies par tous les organes et autorités publics, les registres
publics, ainsi que toutes les personnes privées, y compris les banques.
La commission soumettra les informations aux organes répressifs
compétents, si elle constate des divergences entre les informations
déclarées par le ou la candidat·e et la situation réelle. Les décisions
de la commission pourront faire l'objet d'un recours devant la Cour
suprême de justice et être examinées par un panel spécial de juges,
dont les membres sont nommés par le CSM et confirmés par décret
par le Président de la Moldova. Il était prévu que le projet de
loi soit limité dans le temps et en vigueur jusqu'à la fin de 2022
. Le parlement
est susceptible de proroger le mandat de la commission de pré-évaluation
jusqu’au 30 juin 2023.
93. Lors de notre visite en juin 2022, nous avons rencontré certains
membres de cette «commission de pré-évaluation», qui est dirigée
par un juriste néerlandais (M. Herman von Hebel) et comprend un
avocat géorgien et un avocat américain
.
Nous avons été informés que la commission évaluerait une centaine
de candidats à des postes clés au sein du CSM, du CSP et de leurs
organes spécialisés. L'évaluation des candidats repose sur la déclaration
de patrimoine et d'intérêts personnels faite par les candidats et
leur audition, les données requises auprès de personnes privées
ou de personnes morales publiques ou privées, notamment les autorités
fiscales et de lutte contre la corruption ainsi que les informations
communiquées par des organisations de la société civile et des journalistes
d'investigation.
94. La commission, qui a commencé ses travaux début juillet 2022,
devra rendre une décision motivée sur l'évaluation de chaque candidat.
Nous avons noté que la commission travaillera sous pression dans
des délais très serrés et qu'elle est confrontée, comme d'autres
institutions, à une pénurie de ressources humaines. Fin novembre
2022, 22 candidats parmi les juges inscrits au concours pour le
poste de membre du CSM ont atteint l’étape de l’audience publique.
La commission de pré-évaluation a désigné, le 11 novembre, les trois
meilleurs candidats qui répondaient aux critères d’intégrité éthique
et financière et qui avaient réussi l’évaluation. Les entrevues
d’autres candidats étaient toujours en cours au moment de la rédaction
du rapport
.
95. La question du contrôle des juges en exercice a également
été soulevée dans le cadre de l’élaboration du projet de loi sur
la Cour suprême de justice, soumis par les autorités à la Commission
de Venise. Ce projet de loi prévoyait la pré-évaluation des candidats
(par la commission d’évaluation) et le contrôle des juges en exercice
par la création d’un mécanisme d’évaluation extraordinaire de l’intégrité
des juges actuels. Dans son avis d’octobre 2022
,
la Commission de Venise a rappelé qu’elle avait souligné, dans son
avis de 2019
, qu’il relevait en dernier ressort
des compétences des autorités moldaves de décider si la situation
actuelle dans le système judiciaire moldave constituait une base
suffisante pour soumettre les juges de la Cour suprême à des évaluations
extraordinaires de l’intégrité. Toutefois, des vérifications extraordinaires
ne peuvent être justifiées que dans des circonstances exceptionnelles,
à condition que d’autres voies (c’est-à-dire la procédure disciplinaire,
l’évaluation régulière et les enquêtes pénales en tant que méthodes
régulières de responsabilité judiciaire) ne soient pas disponibles
en cas de très faible niveau de confiance dans le système judiciaire
.
96. En plus des changements législatifs mentionnés ci-dessus,
la Loi no 228 sur le contrôle des déclarations de
patrimoine des candidats aux postes de juges et de procureurs dès
leur candidature à l'Institut national de la justice a été adoptée
le 28 juillet 2022.
97. Nous saluons l'adoption des amendements constitutionnels sur
le système judiciaire, qui constitue un premier pas mais représente
un progrès significatif. Nous avons noté que la législation relative
au pouvoir judiciaire a introduit de profonds changements (tels
que l'évaluation du travail du procureur général par une commission),
qui sont contestés au sein du système et prendront du temps pour
être pleinement mis en œuvre.
4. Lutte contre la corruption
98. La corruption en République
de Moldova reste un problème très répandu. Selon Transparency International,
le pays se classe au 105e rang (sur 180
pays) et présente un score de 36 sur 100 dans l'indice de perception
de la corruption 2021
.
Nous notons une légère amélioration depuis 2016 puisque le pays,
qui était classé 123e en 2016, est 115e en
2020. Ces scores montrent que la corruption reste un sujet de préoccupation
majeur et un phénomène omniprésent que les nouvelles autorités se
sont engagées à traiter en priorité.
4.1. Évolution récente de la situation
99. Quelques semaines après les
élections de juillet 2021, le parlement a adopté une série de textes législatifs
importants.
100. Des amendements à la loi sur l'Autorité nationale pour l'intégrité
(ANI) et à la loi sur la déclaration de patrimoine et des intérêts
personnels ont été adoptés le 7 octobre 2021. Ces amendements devraient améliorer
le cadre législatif relatif au travail de l’ANI et prévenir les
conflits d'intérêts et l'incompatibilité des personnes qui occupent
des fonctions publiques. La législation prévoit désormais la suspension
de fonctions de personnes dès lors qu'il a été établi que leur patrimoine
est injustifié, ou qu'elles sont en infraction avec le régime juridique
des conflits d'intérêts, des incompatibilités, des restrictions
et des limitations. Elle prévoit également la vérification des revenus
acquis dans l'exercice du mandat ou de la fonction, liée à la situation
des biens détenus, mais aussi des dépenses engagées. Elle étend
le contrôle du patrimoine et des intérêts personnels aux membres
de la famille.
101. Le Parti PAS a également rédigé un projet de loi visant à
compléter l'article 70 de la Constitution sur les incompatibilités
et immunités, par une disposition stipulant qu'aucun consentement
du parlement n'est requis pour procéder à la détention, l'arrestation,
la perquisition ou les poursuites pénales de députés en cas de violation
liée à la corruption passive ou active, au trafic d'influence, à
l'excès de pouvoir, à l'enrichissement illicite ou au blanchiment
d'argent. Le 26 octobre 2021, la Cour constitutionnelle a jugé que
le projet d'amendements constitutionnels répondait aux normes d'une
révision de la Constitution. Le parlement sera en droit d'adopter
une loi sur la modification de la Constitution au plus tôt dans
les six mois à compter de la date de présentation du projet de loi
.
102. En outre, le 25 novembre 2022, à la suite du mémoire
amicus curiae joint d’octobre 2022
de la Commission de Venise et du BIDDH de l’OSCE concernant le délit
d’enrichissement illicite
, la Cour constitutionnelle a également
déclaré irrecevables plusieurs pétitions concernant l’inconstitutionnalité
de l’article 330, paragraphe 2, du Code pénal, qui établit la responsabilité
pénale pour enrichissement illicite. La Cour constitutionnelle a
ainsi réaffirmé que le délit d’enrichissement illicite demeure dans
le Code pénal moldave.
103. Le 28 octobre 2021, l'initiative législative visant à annuler
le «secret offshore» a été adoptée par 74 députés. Les principales
dispositions du document font référence à l'obligation de l'Agence
des services publics de garantir l'accès du public aux informations
du registre d'État concernant les bénéficiaires réels dans les ressources
et les plateformes existantes pour la publication de données ouvertes
sur les entreprises
.
104. Le 14 juillet 2022 a vu l’adoption de la Loi no 189,
établissant un mécanisme de poursuites, de procès et de condamnation
par contumace. Cette loi devrait fournir la base juridique permettant
de prononcer des sentences judiciaires définitives dans plusieurs
affaires de haut niveau liées à la corruption, au blanchiment d'argent
et à d'autres crimes graves.
105. La loi sur le Centre national anticorruption (CNA) a été modifiée:
son directeur sera désormais nommé pour un mandat unique de 5 ans
par une majorité de députés, sur proposition d'au moins 20 députés
et avec l'approbation de la commission juridique. Le CNA a aussi
été soumis à une procédure d'évaluation par une commission parlementaire
spéciale (composée de membres de la Commission de la sécurité de
la défense et de l'ordre public et de la Commission juridique, des
nominations et des immunités), qui a analysé l'activité du Centre
au cours de la période 2016-2021. Le 17 novembre 2021, le parlement
a déclaré les activités du CNA insatisfaisantes et inefficaces.
Le rapport de la commission a noté, entre autres, qu'au cours de
cette période, «aucune personne occupant des postes de direction
et ayant coordonné des systèmes de corruption n'a été traduite en
justice», qu'il y avait «un manque d'intérêt de la part du CNA pour
les affaires très médiatisées et que, dans certains cas, le CNA
avait fait obstacle à la clarification de la vérité et avait saboté
le travail des procureurs»; que le CNA n'était «pas indépendant
dans ses actions et que la direction de l'organisme n'a pas assuré
une mise en œuvre efficace de la législation anticorruption.» En
conséquence, M. Ruslan Flocea, directeur de la NIA, a été révoqué.
Il a réfuté le rapport d'évaluation de l’Autorité nationale pour
l'intégrité préparé par le parlement, le qualifiant de «déformation
délibérée de la réalité, de manipulation grossière des informations
et d'incompréhension totale des processus»
.
106. À la suite du processus d'évaluation mené par le parlement,
le ministre de la Justice avait envisagé de fusionner le Bureau
du procureur chargé de la lutte contre la corruption et le Centre
national de lutte contre la corruption en une seule institution
qui s'occuperait exclusivement de la corruption à grande échelle
.
Pour l'heure, les autorités ont lancé des consultations en vue de
préparer des projets de loi sur la répartition des tâches entre
le Bureau du procureur chargé de la lutte contre la corruption et
le Centre national de lutte contre la corruption, ainsi que sur
des modifications de la loi sur les activités d'enquête spéciales.
Les autorités ont également l'intention d'améliorer le cadre juridique
relatif aux lanceurs d'alerte.
107. Une commission consultative indépendante chargée de la lutte
contre la corruption (CCIA), composé d'avocats, d'économistes et
de journalistes d'investigation, a également été créée en juin 2021
par un décret présidentiel, en tant qu'organe commun national et
international indépendant. Son principal objectif est d'analyser
les problèmes de corruption systémique qui touchent toutes les institutions
moldaves et d'améliorer la mise en œuvre des mesures de lutte contre
la corruption par les parties concernées. Elle sera également chargée
de détecter les cas de corruption, de les instruire et de soumettre
des rapports à leur sujet
.
108. La nomination d'un nouveau procureur en chef de la lutte contre
la corruption en juin 2022 devrait également stimuler la lutte contre
la corruption: Mme Veronica Dragalin
était jusqu'ici procureure fédérale aux États-Unis. Ce recrutement
«en dehors du système» a pour but de renforcer la confiance dans
cette institution moldave qui est fondamentale pour lutter contre
la corruption.
4.2. Conclusions récentes du GRECO
109. Le GRECO a évalué le cadre
juridique relatif à la prévention de la corruption des parlementaires,
juges et procureurs. Il a noté des progrès clairement insuffisants
concernant les parlementaires: «encore trop de lois sont adoptées
sans consultation adéquate et par la procédure accélérée. Un Code
de conduite à l’intention des parlementaires, comprenant notamment
des mesures pour prévenir différentes formes de conflits d’intérêts,
doit encore être adopté. Des critères clairs et objectifs sur la
levée de l'immunité parlementaire ne sont toujours pas en place»
.
Il conviendrait de compléter le projet de Code sur les règles et
procédures parlementaires au-delà des dispositions existantes en
matière de discipline et de sanctions, afin de couvrir la question
des conflits d’intérêt et les questions connexes (l’acceptation
de cadeaux, les incompatibilités, les activités annexes et les intérêts
financiers, le lobbying, etc.). La mise en œuvre de ces recommandations pourrait
contribuer à une plus grande transparence dans la vie politique.
110. La question de la levée de l'immunité parlementaire devrait
être traitée dans un amendement constitutionnel: le GRECO a pris
note de la saisine qui a été déposée en septembre 2021 par 63 parlementaires
pour proposer des amendements constitutionnels visant à rendre possible
la levée de l'immunité sans l'approbation préalable du parlement
lorsque les parlementaires ont commis des infractions de corruption
passive ou active, d'abus de pouvoir, d'enrichissement illicite
et de blanchiment d'argent. Cette saisine a été acceptée par la
Cour constitutionnelle. Par conséquent, la loi portant révision
de la Constitution peut être examinée par le parlement 6 mois après
la présentation du projet de loi.
111. La prévention de la corruption des juges et des procureurs
a été évaluée à la lumière des modifications législatives de 2021:
le GRECO s'est félicité «des progrès significatifs réalisés avec
l'adoption du nouveau cadre constitutionnel régissant la composition
du Conseil supérieur de la magistrature». Concernant l'évaluation
externe (
vetting) de tous
les juges et procureurs envisagée lors de la visite du GRECO (en
octobre 2021), celui-ci rappelle que «les efforts de lutte contre
la corruption doivent être proportionnés et compatibles avec les
exigences de l'indépendance judiciaire et, par conséquent, que l'intégrité
des (candidats) juges doit être testée dans le cadre de règles claires,
prévisibles, complètes et appliquées de manière cohérente. En effet,
il sera important que les mesures prises dans le cadre des réformes
incluent les garanties nécessaires et respectent les cadres constitutionnels
et juridiques moldaves, ainsi que les dispositions pertinentes de
la Convention européenne des droits de l’homme (en particulier l’Article
6) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme».
Le GRECO a également attiré l’attention sur les conséquences pratiques d’une
évaluation à grande échelle et encouragé les autorités «à s'assurer
que le cadre juridique et les capacités opérationnelles existent
pour remplacer les juges et les procureurs qui échoueraient à l'évaluation, ou
choisiraient de ne pas y être confrontés, par de nouveaux candidats
suffisamment qualifiés et dont l'intégrité serait vérifiée avant
leur nomination, également dans le cadre d'une procédure conforme
aux principes fondamentaux»
.
112. Le GRECO a également pris note des intentions des autorités
d'améliorer le cadre juridique et opérationnel de la responsabilité
disciplinaire des juges, d’autant que la nouvelle instruction contraignante
du procureur général vise à garantir que toutes les interventions
hiérarchiques concernant une affaire sont correctement documentées,
conformément à la recommandation précédente du GRECO. Il s'est félicité
de l'élaboration et de la distribution à tous les procureurs de
lignes directrices sur la mise en œuvre du code d'éthique des procureurs
(avec le soutien du projet de coopération du Conseil de l'Europe
«Action contre la corruption en Moldova») et a noté que le système
de responsabilité disciplinaire des procureurs est opérationnel,
alors que le cadre juridique doit encore être modifié
.
113. Concernant l’Autorité nationale pour l’intégrité (ANI), le
GRECO a noté que la législation visant à renforcer l'indépendance
et l'efficacité de cet organe et à améliorer les règles régissant
la déclaration de patrimoine et d'intérêts personnels a été adoptée.
Il note également que l’ANI a renforcé ses contrôles des déclarations
de patrimoine et d'intérêts personnels des parlementaires, des juges
et des procureurs, que ces contrôles ont effectivement abouti à
des sanctions administratives et, le cas échéant, à des renvois
aux organes chargés de l'enquête pénale. Il relève que le budget
de l’ANI a été augmenté mais il note que cet organe est toujours
en sous-effectif, puisque seule la moitié des membres du personnel
attendus ont été nommés à ce jour, et qu'aucun programme de formation
spécifique n'a été mis en place pour renforcer les capacités professionnelles
des inspecteurs. Enfin, une stratégie globale pour l'ANI fait toujours
défaut
.
114. La mise en œuvre des recommandations du GRECO pourrait contribuer
à renforcer les mécanismes de lutte contre la corruption. Nous espérons
tout d'abord que le parlement prendra les mesures attendues, à savoir
l'adoption d'un code de conduite pour les députés et d'un code de
règles et procédures parlementaires.
115. Parallèlement, au cours de nos visites, la présidente, le
premier ministre et le président du parlement ont souligné que le
principal problème était la mise en application de la législation
existante par toutes les parties prenantes. Ils ont expliqué que
la lutte contre la corruption dans la sphère politique nécessitait
des actions efficaces de la part de divers acteurs, allant de la
Commission électorale centrale (renouvelée en septembre 2021) à
d'autres organes chargés de l'application de la loi et des finances
publiques, qui devraient exercer un meilleur contrôle sur le financement
des partis politiques. Il est aussi attendu du ministère public qu'il
mène des enquêtes appropriées et des juges qu'ils prononcent des
sentences. Le procureur général en exercice a reconnu que les procureurs
s'étaient abstenus d'enquêter sur les allégations de corruption
politique afin de «ne pas s'immiscer dans la politique». Il a indiqué
que les allégations de corruption politique devraient désormais
faire l'objet d'une enquête afin d'établir les faits, ou de les
rejeter
.
5. Droits humains
5.1. Situation des médias
116. La situation des médias a été
évoquée dans les précédents rapports de suivi et notes d'information.
En tant qu’observateurs des élections, nous avions exprimé nos préoccupations
quant à «la partialité des grands médias en raison de leur affiliation
à des partis» et souligné que «la démocratie ne peut prospérer sans
une réforme d’ensemble des médias qui fixe des règles claires assurant
la transparence de la propriété des médias et les bases d’une presse
équilibrée et informative»
.
117. Reporters sans frontières a constaté que les médias nationaux
sont diversifiés mais extrêmement polarisés, et que les oligarques
ont une influence excessive. Certes, la liberté de la presse et
le droit à l'information sont garantis par la loi, mais dans la
réalité, les lois régissant le secteur sont appliquées de manière
arbitraire par des organismes de réglementation à orientation politique.
L'accès à l'information est régulièrement entravé et les procès
pour diffamation sans fondement sont fréquents. Une tendance positive est
néanmoins constatée: le pays a été classé, dans le classement mondial
de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, à la 40e place
en 2022 (sur 180 pays) alors qu’il occupait la 89e place
en 2021
.
118. À la suite des élections de juillet 2021, le Conseil audiovisuel
(BCC) a fait l'objet d'une évaluation parlementaire. Le parlement
a rejeté le rapport d'activité du BCC; tous les membres du Conseil
ont été révoqués par le parlement le 11 novembre 2021 et les nouveaux
membres ont été nommés le 3 décembre 2021. Le BCC est composé de
sept membres, nommés pour un mandat de six ans: trois sont proposés
par les factions parlementaires (en l’espèce, le PAS a proposé deux
candidats, et le BCS un), deux candidats par les organisations de
la société civile, un par la présidence et un par le gouvernement.
Si la (rapidité de la) procédure de nomination des nouveaux membres
du BCC a suscité des interrogations, on peut noter que la nouvelle
direction du BCC a cherché à donner un nouvel élan qui pourrait
ouvrir de nouvelles voies pour renforcer l'accès à une information
pluraliste et de qualité.
119. Un amendement au code des services de médias audiovisuels
adopté le 4 novembre 2021 a également rétabli le contrôle parlementaire
sur le BBC et le radiodiffuseur public Teleradio-Moldova, qui était
décrit comme un «outil de propagande, servant les intérêts des oligarques
successifs au pouvoir et au lieu de travailler dans l'intérêt du
peuple». Cet amendement a toutefois été débattu et critiqué par
l'opposition et les ONG; en effet, il ramenait le pays à la situation
qui prévalait en 2009, lorsqu'un seul parti contrôlait le parlement,
le gouvernement et la présidence, et exerçait un contrôle sur le
radiodiffuseur public. Cette situation avait été critiquée par la
Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt
Manole et autres c. Moldova. L’opposition
affirme que cet amendement représente une politisation de la structure
des médias et une ingérence dans leur activité
.
120. Compte tenu du contexte régional actuel et à la suite de la
guerre en Ukraine, le pays a eu recours à des mesures pour atténuer
les effets d'une guerre hybride. Le 7 avril 2022, le parlement moldave
a interdit l'utilisation des symboles de guerre et du ruban de Saint-Georges
(mesures contestées par l'Assemblée populaire gagaouze, voir ci-dessus).
En juin 2022, le parlement a également adopté la «loi sur la sécurité
de l'information» qui interdit les bulletins d'information et les
reportages produits dans les pays qui n'ont pas ratifié la Convention
européenne sur la télévision transfrontière: la propagande sera
pénalisée plus sévèrement et les médias qui se livreront à la désinformation
seront progressivement sanctionnés, allant d’amendes au retrait du
droit de diffuser des publicités
.
121. Ces lois ont été contestées par le Parti des socialistes devant
la Cour constitutionnelle, qui a demandé un avis à la Commission
de Venise sur les modifications apportées au Code des services de
médias audiovisuels et à certains actes normatifs, notamment l'interdiction
des symboles associés à des actes d'agression militaire et utilisés
dans ce cadre. Tout en rappelant que toute ingérence dans le droit
à la liberté d’expression doit respecter les trois exigences de
restrictions légales (c’est-à-dire les exigences de légalité, de légitimité,
de nécessité et de proportionnalité), la Commission de Venise a
déclaré qu’«il est plausible de soutenir que l’affichage des symboles
utilisés par les forces armées russes dans la guerre actuelle pourrait entraîner
un danger réel et immédiat de désordre et une menace pour la sécurité
nationale et les droits d’autrui, y compris ceux des réfugiés de
guerre ukrainiens, et qu’il existe un besoin social urgent d’interdire
cette utilisation»
.
122. La Commission de Venise a rappelé que l’objectif principal
de la loi no 143 portant modification du Code des services de médias
audiovisuels était de fournir des outils juridiques pour assurer
la sécurité de l’information et lutter contre les fausses informations
et la désinformation. L’avis de la Commission de Venise se concentre
sur deux dispositions critiquées par l’opposition
.
Il souligne, encore une fois, que ces restrictions au droit à la
liberté des médias et à la liberté d’expression doivent respecter
les exigences des restrictions légales (voir ci-dessus), mais souligne
que la loi «poursuivait un objectif légitime et que son adoption
répond à un besoin social pressant» car le pays a été «fortement
exposé à des sources externes d’information et une cible constante
d’activités de désinformation émanant de sources extérieures». La Commission
de Venise a appelé les autorités moldaves à veiller à ce que la
loi soit suffisamment claire et précise pour éviter les effets dissuasifs.
Les modifications du Code des services de médias audiovisuels ont été
adoptées le 3 novembre 2022. Nous attendons de plus amples informations
pour déterminer si le code révisé est conforme aux recommandations
de la Commission de Venise.
123. Outre les défis posés par l'indépendance des médias, les représentants
des médias ont également souligné les défis économiques auxquels
ils sont confrontés et la nécessité de disposer d'informations transparentes
sur la propriété des médias.
5.2. Situation dans les prisons
124. Nous avons continué de prêter
attention à la situation dans les prisons. En septembre 2020, le
Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dégradants (CPT) a noté avec regret que,
bien que des progrès tangibles aient été réalisés dans plusieurs
domaines, plusieurs de ses recommandations de longue date n'avaient
toujours pas été suivies d'effet. Il s’agissait notamment de «la persistance
d'une sous-culture carcérale qui favorise la violence entre détenus
et détériore les conditions de vie des détenus jugés ‘humiliés’
par la hiérarchie informelle des prisons, ainsi que le régime offert
aux prévenus et aux condamnés et les faibles effectifs dans les
prisons»
.
125. Les représentants des ONG ont dénoncé le manque d'investissements
structurels, les mauvaises conditions de détention et, surtout,
le faible accès aux services médicaux dans les systèmes pénitentiaires, notamment
en période de pandémie. Le taux d'incarcération reste élevé (9 demandes
d'arrestation sur 10 sont accordées presque automatiquement). La
situation de la prison 13 de Chisinau est particulièrement alarmante, en
raison de sa surpopulation et des traitements inhumains qui y sont
infligés et qui ont conduit à des condamnations par la Cour de Strasbourg.
126. Le ministre de la Justice, très conscient de la situation,
nous a informés qu'une nouvelle prison devrait être construite avec
le soutien de la Banque de développement du Conseil de l'Europe.
Ce projet, qui est en cours de préparation depuis de nombreuses
années, n’a jamais pu être concrétisé en raison d'appels d'offres infructueux
et de négociations qui n’ont pas abouti
.
Le ministre a affirmé qu'un mécanisme d’indemnisation avait été
récemment approuvé pour compenser les conditions de détention inhumaines,
ce qui devrait diminuer le nombre de requêtes introduites auprès
de la Cour de Strasbourg
.
5.3. Situation des minorités nationales
127. La République de Moldova est
un État multi-ethnique. Selon le dernier recensement (2014), les Moldaves
représentent 75,1 % de la population, les Roumains 7,7 %, les Ukrainiens
6,6 %, les Gagaouzes 4,6 %, les Russes 4,1 %, les Bulgares 1,9 %
et les Roms 0,3 %. Les langues déclarées comme étant généralement
parlées étaient le moldave (54,6 %), le roumain (24 %), le russe
(14,5 %), l'ukrainien (2,7 %), le gagaouze (2,7 %) et le bulgare
(1 %). Le pays est partie à la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales depuis 1996 et étudie actuellement la possibilité
de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
(signée en 2002).
128. Au cours de notre visite en juin 2022, nous avons rencontré
des représentants des minorités nationales ukrainienne, gagaouze,
russe et rom, le président du Conseil pour la prévention et l'élimination
de la discrimination et la garantie de l'égalité ainsi que le directeur
général adjoint de l'Agence des relations interethniques. Compte
tenu du calendrier de notre visite, nos discussions ont été dominées
par la situation dans la région et l'impact du conflit sur la coexistence
des communautés nationales. En dépit de ce contexte régional difficile,
le pays est resté stable, ce qui mérite d'être salué.
129. La question de la recommandation de la langue roumaine, qui
est cruciale pour intégrer des universités ou trouver un emploi,
a été soulevée, et il existe une demande claire des minorités nationales
qui doit être traitée par les autorités. Il semblerait par ailleurs
que les autorités étudient la possibilité d'élargir l'accès aux émissions
de radio télévisées dans les langues minoritaires, ainsi que de
proposer des contre-modèles aux chaînes de télévision russes diffusées
en République de Moldova. Cela contribuerait également à mettre
en œuvre la stratégie de consolidation des relations interethniques
en République de Moldova pour 2017-2027, telle que recommandée par
le Comité des ministres en juillet 2021, «afin de poursuivre le
développement d’une identité civique inclusive et solidement fondée
sur le respect de la diversité ethnique et linguistique en tant
que partie intégrante de la société moldave»
.
6. Règlement du conflit en Transnistrie
130. À la lumière du programme de
travail approuvé par la sous-commission des conflits concernant
les États membres du Conseil de l'Europe et de la décision d'organiser
un séminaire sur «la protection des droits de l'homme dans la région
de Transnistrie de la République de Moldova et le rôle du Conseil
de l'Europe
», nous avons discuté du processus
de règlement de la Transnistrie et des questions connexes relatives
aux droits humains avec les autorités moldaves au cours de notre
visite d'octobre 2021 et nous nous sommes rendus à Tiraspol, dans
la région transnistrienne de la République de Moldova. Ce voyage
a été facilité par M. Claus Neukirch, alors Chef de la Mission de
l'OSCE, auquel nous adressons nos remerciements pour l'aide précieuse qu'il
nous a apportée ces dernières années. Il importe de noter que cette
visite a eu lieu avant le déclenchement de la guerre en Ukraine.
131. La gestion de la pandémie de covid-19 a affecté le processus
de règlement du différend avec la région transnistrienne de la République
de Moldova: la Transnistrie a déclaré «l’état d’urgence » le 17 mars,
interdit l’entrée des non-résidents et limité la possibilité pour
les résidents locaux de quitter le territoire transnistrien. Des
points de contrôle supplémentaires et des postes illégaux dans la
zone de sécurité ont été établis unilatéralement par les « autorités »
de fait. La mission de l’OSCE a encouragé les deux parties à faciliter:
la circulation des médicaments ainsi que des produits alimentaires
et phytosanitaires destinés aux personnes vivant en Transnistrie ;
la libre circulation du personnel médical résidant en Transnistrie
vers leurs lieux de travail respectifs ; l’hébergement temporaire
du personnel médical (considéré comme un groupe à haut risque) sur
la rive droite du Dniestr pendant la pandémie de Covid-19 ; et l’accès
des résidents de Transnistrie titulaires d’une assurance maladie
moldave aux établissements de santé et aux pharmacies de la rive
droite. L’état d’urgence a été prolongé à trois reprises jusqu’au
16 juin 2020, date à laquelle un « régime de quarantaine » a été
mis en place. Le Bureau moldave de la réintégration a toutefois
dénoncé les actions illégales menées par Tiraspol et l’évolution
inquiétante de la situation, notamment en ce qui concerne les droits
humains, les écoles ou les restrictions aux déplacements.
132. À Chisinau, M. Vlad Kulminski, alors vice-Premier ministre
chargé de la réintégration
, nous a informés
des derniers développements, notamment de la coopération établie
avec Tiraspol en période de pandémie. Le vice-Premier ministre a
évoqué la jurisprudence actuelle de la Cour européenne des droits
de l'homme. En 2012, la Cour européenne des droits de l’homme avait
établi, dans l'arrêt Catan et autres c. Moldova et Russie, et confirmé
dans des arrêts ultérieurs
, la violation
des droits des enfants, des parents et des membres du personnel
des écoles utilisant l’alphabet latin en 2002-2004. La Cour de Strasbourg
a jugé que la Fédération de Russie exerçait un «contrôle effectif»
sur la «République moldave de Transnistrie» (RMT) pendant la période
en question et que du fait de son soutien militaire, économique
et politique continu à la «RMT», laquelle n’aurait pu survivre autrement,
la responsabilité de la Fédération de Russie se trouvait engagée
au regard de la Convention à raison de l’atteinte au droit des requérants
à l’instruction». La mise en œuvre de l'arrêt Catan est supervisée
par le Comité des Ministres, qui attend de la Fédération de Russie
qu'elle présente un plan d'action exposant les mesures concrètes
prises (ou envisagées) pour mettre en œuvre les arrêts. La Fédération
de Russie a toutefois souligné que le fait que la Cour européenne
ait attribué à la Russie la responsabilité des violations qui ont
eu lieu sur le territoire d'un autre État créait de graves problèmes
de mise en œuvre et a proposé au Comité des Ministres, en décembre
2020, d'engager des experts pour mener une évaluation indépendante
de la situation en Transnistrie
. Les autorités moldaves se sont
déclarées profondément préoccupées par l'exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l'homme concernant la région transnistrienne
de la République de Moldova, y compris la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme. L'exécution de ces arrêts méritera une attention
particulière après l’expulsion de la Fédération de Russie du Conseil
de l'Europe à la suite de son agression contre l'Ukraine.
133. Dix ans après l'arrêt
Catan et
autres c. Moldova et Russie, le Comité des Ministres
a estimé que la Fédération de Russie n'avait pas payé la satisfaction
équitable et mis en œuvre les mesures d'exécution de ces arrêts,
y compris «la révocation du ‘cadre réglementaire’ à l'origine des
violations, la restitution aux écoles utilisant l’alphabet latin
de leurs anciens locaux ou d'autres locaux adéquats aux fins du
processus éducatif, et des mesures pour éliminer le harcèlement
et l’intimidation à l'encontre des élèves, des parents et du personnel»
. Le Comité des Ministres a réitéré
«avec une insistance ferme l’obligation inconditionnelle de la Fédération
de Russie, en vertu de l’article 46, paragraphe 1, de la Convention,
de mettre en œuvre l'arrêt définitif de la Cour européenne et exhortent
les autorités à se conformer à cette obligation, notamment en versant
rapidement les sommes octroyées, ainsi que les intérêts de retard
échus, et en soumettant un plan d'action énonçant des actions concrètes
pour mettre en œuvre les mesures susmentionnées»
.
Nous ne pouvons que soutenir cet appel et réitérons la nécessité
de garantir le droit à l'éducation dans les écoles utilisant l’alphabet
latin de la région transnistrienne de la République de Moldova.
134. Nous avons également été informés que le Parlement moldave
pourrait créer un groupe de travail composé de membres du Parlement
moldave et de membres du «Conseil suprême» de
facto.
135. À Tiraspol, notre discussion a porté sur la situation sanitaire
actuelle, et la protection des droits humains. Les autorités
de facto de Transnistrie ont exprimé
leur disponibilité pour participer au séminaire de suivi envisagé
par la sous-commission. Nous avons également discuté de la situation
dans les prisons et nous nous sommes enquis de la suite donnée aux
recommandations émises en 2018 par M. Thomas Hammarberg, alors expert
principal des droits de l'homme des Nations Unies dans la région
de Transnistrie après son engagement précédent en 2012
. Le «médiateur»
de facto a affirmé que la situation
s'était considérablement améliorée dans les prisons (nous n'avons
toutefois pas eu la possibilité d’en visiter une). Nous restons
préoccupés par le nombre de prisonniers politiques détenus dans
les prisons de Transnistrie et par les personnes qui ont été poursuivies
dans le cadre de la «Stratégie 2020-2026 de lutte contre l'extrémisme»,
comme ce fut le cas pour M. Ghennadi Ciorba
, condamné à trois ans et trois mois
de prison le 19 juillet 2021 pour extrémisme et pour avoir insulté
le «président»
de facto, M. Vadim
Krasnoselsky, à l'issue d'un procès à huis clos. Les conditions de
détention de M. Oleg Horjan, chef du Parti communiste de Transnistrie,
suscitent également des inquiétudes: en 2018, celui qui était alors
membre
de facto du «Conseil
suprême» a été condamné à 4 ans et demi de prison pour usage de
violence contre un représentant de l'autorité
.
Des représentants d'ONG réunis à Tiraspol ont également fait état
des restrictions imposées à la liberté de réunion et d'expression
des opinions dissidentes, ainsi que du climat d'intimidation régnant
dans la région.
136. Mais le principal sujet de préoccupation exprimé alors par
tous les interlocuteurs à Tiraspol concerne la libre circulation
des véhicules commerciaux. La délivrance de plaques d'immatriculation
neutres a été obtenue dans le cadre des négociations 5+2 ("paquet
Berlin Plus") et permet aux citoyens de la région de Transnistrie d'immatriculer
leur véhicule privé dans les points d'immatriculation des véhicules
mis en place à Rîbnița et Tiraspol; ils reçoivent alors une plaque
d'immatriculation neutre, ce qui leur permet d'avoir accès aux routes internationales.
À compter du 1er septembre
2021, la République de Moldova et l'Ukraine ont convenu que «l'accès
au trafic routier international ne sera accordé qu'aux moyens de
transport de la région de Transnistrie qui auront les plaques d'immatriculation
de la République de Moldova et des plaques neutres, y compris l'autocollant
‘MD’»
.
En conséquence, les entreprises de la région de Transnistrie exerçant
une activité commerciale (notamment les autobus de passagers et
les ambulances) ne peuvent plus franchir la frontière ukrainienne.
137. Nous avons également prêté attention à la situation des écoles
utilisant l’alphabet latin et au droit des enfants à l’éducation.
Il y a actuellement 8 écoles où l'enseignement est dispensé en roumain
sur le territoire de la Transnistrie (5 lycées, 2 écoles secondaires
et un internat)
qui
ont été confrontées à de nombreux problèmes pour fonctionner. La
question des locaux de ces écoles est désormais la principale préoccupation des
autorités moldaves: certaines écoles ont été relocalisées et 5 écoles
sont situées dans des bâtiments inadaptés. Nous avons rencontré
la directrice de l'école utilisant l’alphabet latin de Grigoriopol,
qui est en fait relocalisée à Dorotcaia (à 26 km) dans la zone de
sécurité, ce qui oblige les élèves et les enseignants à faire la
navette tous les jours et à utiliser les bâtiments scolaires par
roulement. La directrice est dans l'enseignement depuis 20 ans.
Elle a expliqué que la situation s'était améliorée, mais que les
élèves ne bénéficiaient pas de conditions d'enseignement normales
et ne disposaient pas d'un bâtiment scolaire à Grigoriopol. Nous
avons salué les efforts consentis par la communauté éducative pour
assurer l'éducation des élèves malgré les circonstances difficiles.
138. Depuis notre visite sur le terrain en octobre 2021, la situation
a radicalement changé après l'agression russe de l'Ukraine, qui
a eu des répercussions sur le règlement du conflit en Transnistrie.
La sous-commission a été informée par M. Oleg Serebrian, vice-premier
ministre chargé de la réintégration, lors de sa réunion à Paris
le 30 mars 2022, de l'évolution possible de la situation si le conflit
devait s'étendre aux régions occidentales de l'Ukraine, en particulier
à Odessa. La situation en matière de sécurité demeure fragile et imprévisible.
Nous avons toutefois noté que Chisinau et Tiraspol avaient, surtout
au début de la guerre, fait preuve de retenue et appelé au calme.
Les canaux de communication restent ouverts, malgré une situation tendue,
aggravée par les déclarations provocatrices des responsables russes
ou des autorités de facto à Tiraspol.
139. La sous-commission sur les conflits concernant les États membres
se penchera sur cette nouvelle situation à la suite de l’expulsion
de la Russie du Conseil de l'Europe en mars 2022 et devra réfléchir
à la voie à suivre dans la situation actuelle.
7. Observations
finales
140. Ce rapport tente de donner
un aperçu des principaux faits politiques survenus depuis le dernier
rapport de suivi adopté par l'Assemblée. La République de Moldova
s'est engagée dans une voie ambitieuse et difficile. Le rétablissement
de l'État de droit, en particulier d'un pouvoir judiciaire indépendant,
est une entreprise colossale dans un pays caractérisé par la captation
de l'État. Fortes d'une majorité parlementaire stable et confortable,
les autorités se sont engagées dans une course contre la montre
pour remanier la direction des institutions de l'État et du système
judiciaire et engager un processus de réformes profondes, notamment
pour restaurer l'indépendance du pouvoir judiciaire, supprimer les
manœuvres criminelles qui alimentent la «captation de l'État» et
rétablir la confiance dans les institutions de l'État. Il s'agit
là d'un exercice périlleux, dans lequel l'impératif de rapidité
ne doit pas l'emporter sur le respect de l'État de droit.
141. Le contexte régional, les pressions incommensurables exercées
par la Fédération de Russie sur les questions énergétiques, puis
les conséquences de la guerre, ont placé la République de Moldova
dans une situation très difficile, que les autorités tentent de
gérer avec calme et résilience. L’ouverture des négociations d'adhésion
à l'Union européenne devrait contribuer à consolider le processus
de réforme en cours.
142. Dans ce contexte, nous saluons la coopération étroite et fructueuse
des autorités moldaves avec le Conseil de l'Europe, en particulier
l'Assemblée et sa commission de suivi, ainsi qu'avec la Commission
de Venise, qui a adopté, depuis 2019, onze avis et six mémoires amicus curiae. Il convient de noter
que ces avis ont été, dans la grande majorité des cas, demandés
par les autorités (parlement, Cour constitutionnelle, opposition
parlementaire ou Haut Conseil des Procureurs Publics) et qu’ils
ont conduit à la révision de la législation et, très souvent, à
la demande d'un deuxième avis de la Commission de Venise. Nous nous félicitons
également de la volonté exprimée par les autorités de lutter contre
la corruption, en particulier dans le système judiciaire. Les mesures
juridiques et constitutionnelles prises dans ce sens, conformément
aux recommandations de la Commission de Venise et du GRECO, sont
les bienvenues. Le défi sera maintenant de consolider les institutions
en mobilisant des ressources humaines et financières suffisantes.
L'Assemblée devrait donc encourager les autorités à poursuivre et
à mettre en œuvre leur programme de réforme fondé sur les normes
du Conseil de l'Europe, afin d'établir des institutions étatiques
solides et durables, qui sont une condition préalable au bon fonctionnement
des institutions démocratiques. Poursuivre avec succès ce processus
ouvrirait la voie à une nouvelle phase du dialogue postsuivi avec
le pays. Dans l’intervalle, nous continuerons de suivre l’évolution
de la situation et de soutenir le processus de réforme dans le cadre
de la procédure de suivi.