1. Introduction
1. Le présent rapport, qui a été
établi en vue d'un débat selon la procédure d'urgence, donne suite
à une demande de la commission des questions juridiques et des droits
de l'homme adressée au Bureau de l’Assemblée parlementaire pour
qu'il accélère l'élaboration du rapport «Questions juridiques et
violations des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine».
2. Le 26 avril 2022, la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme a mis en place une sous-commission
ad hoc chargée d’effectuer une visite
d’information en Ukraine, afin de recueillir des informations sur
d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis
pendant la guerre d’agression lancée par la Fédération de Russie
contre l’Ukraine. La sous-commission
ad
hoc a effectué sa mission du 27 au 29 juin 2022. La délégation
de la sous-commission était composée de dix membres de la commission,
dont moi-même en ma qualité de président
![(2)
Les autres membres
étaient: Sunna Ævarsdóttir (Islande, SOC), Boriss Cilevičs (Lettonie,
SOC), Erkin Gadirli (Azerbaïdjan, CE/AD), George Katrougalos (Grèce,
GUE), Eerik-Niiles Kross (Estonie, ADLE), Arkadiusz Mularczyk (Pologne,
CE/AD), Davo Ivo Stier (Croatie, PPE/DC), Ingvild Wetrhus Thorsvik
(Norvège, ADLE) et Emmanuelis Zingeris (Lituanie, PPE/DC).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
À la suite de sa visite et de ses entretiens avec les autorités
ukrainiennes le 28 juin, la sous-commission a décidé d’articuler
ses travaux autour des trois axes prioritaires suivants: 1) l’obligation
de répondre du crime d’agression; 2) l’engagement de poursuites
pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide éventuel;
et 3) la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation pour financer
la reconstruction d’après-guerre en Ukraine
![(3)
Rapport déclassifié,
9 septembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. J'ai donc décidé de traiter
ces trois axes prioritaires dans le rapport. Il s’agit d’éléments
interdépendants d'un système complet d’établissement de responsabilités
pour les violations du droit international découlant de l'agression
russe contre l'Ukraine. D'autres sujets abordés dans la proposition
de résolution initiale peuvent être examinés dans des rapports parallèles
ou futurs.
3. Au cours de l’élaboration du présent rapport, la commission
a procédé à trois auditions d’experts. Le 6 septembre 2022, nous
avons entendu M. James Goldston, directeur exécutif de Justice Initiative,
Open Society Foundations, et M. Dapo Akande, Professeur de droit
international public à la Blavatnik School of Government, université
d’Oxford
![(4)
Audition
organisée à Berne par la sous-commission des droits de l’homme (de
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Le 12 octobre 2022, la commission a tenu une deuxième audition à
laquelle ont participé M. Jonathan Agar, assistant spécial du procureur
de la Cour pénale internationale (CPI), et Mme Tamar
Tomashvili, professeure associée de droit à l’Université libre de
Tbilissi, Géorgie. Enfin, le 12 décembre 2022, nous avons entendu
Mme Iryna Mudra, vice-ministre de la
Justice de l'Ukraine, et M. Burkhard Hess, professeur, directeur
de l'Institut Max Planck Luxembourg pour le droit international,
européen et le droit procédural réglementaire. Je précise également
qu’en ma qualité de président de la commission et de rapporteur,
j’ai rencontré M. Andrii Kostin, procureur général d’Ukraine, lors
de sa première visite au Conseil de l’Europe le 14 octobre 2022.
Je tiens à remercier toutes ces personnes pour leur contribution.
2. Obligation de répondre du crime d’agression
2.1. Le
crime d'agression commis contre l'Ukraine et l'importance des poursuites
judiciaires
4. Le Tribunal de Nuremberg, dans
son arrêt du 30 septembre 1946, a fait la déclaration ci-après,
restée célèbre: «Déclencher une guerre d'agression n'est donc pas
seulement un crime d'ordre international: c'est le crime international
suprême, ne différant des autres crimes de guerre que du fait qu'il
les contient tous.» En d’autres termes, le crime d’agression est
le crime de droit international dont découlent tous les autres.
Le crime d’agression a été codifié à l’article 8 bis du Statut de
la CPI (Amendements de Kampala de 2010
![(5)
Article 8 bis du Statut de la CPI inséré par
la Résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010: «... on entend par crime d’agression
la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par
une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger
l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression
qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation
manifeste de la Charte des Nations Unies». On entend par «acte d’agression»
l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité
territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de
toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies».
Le paragraphe 2 énumère les actes qui constituent un acte d'agression
au sens de la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale des
Nations Unies, en date du 14 décembre 1974. La compétence de la
CPI à l'égard du crime d'agression a été activée à compter du 17
juillet 2018 par une résolution de l'Assemblée des États parties
de la CPI (Résolution ICC-ASP/16/Res.5).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
), mais
il est aussi reconnu par le droit coutumier international
![(6)
M. Goldston, lorsqu'il
s'est adressé à la commission, a déclaré qu’il était tout à fait
justifié de reconnaître que la définition du crime d’agression donnée
par le Statut de la CPI est une expression du droit international
coutumier. Voir également Astrid Reisinger Coracini, «The Case for
Creating a Special Tribunal to Prosecute the Crime of Aggression Against
Ukraine (Part II)» (justsecurity.org), 23 septembre 2022, notant
que la définition a été approuvée par un groupe de travail spécial
ouvert non seulement aux États parties au Statut de la CPI, mais
à tous les États, y compris la Fédération de Russie. D'autres ont
fait valoir que la définition contenue dans le Statut de la CPI
ne correspond pas pleinement à la définition du crime en droit international
coutumier, qui n'inclut pas nécessairement le «rôle de direction».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
5. L'invasion de grande ampleur de l'Ukraine lancée le 24 février
2022 par la Fédération de Russie constitue clairement une «agression»
aux termes de la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale
des Nations Unies adoptées en 1974
![(7)
Avis no 300 (2022),
paragraphe 3. Voir également la<a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FRES%2FES-11%2F1&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'> résolution
ES-11/1 de l'Assemblée générale</a> des Nations Unies, du 2 mars 2022, intitulée «Agression
contre l'Ukraine», adoptée par 141 voix contre 5, lors d'une session
extraordinaire d'urgence de l'Assemblée générale des Nations Unies
convoquée en vertu de la résolution intitulée «L'Union pour le maintien
de la paix» en raison de l'absence d'unanimité des membres permanents
du Conseil de sécurité des Nations Unies.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Il
s'agit d'un acte qui équivaut à «l'invasion ou l'attaque par les
forces armées d'un État du territoire d'un autre État ou l'occupation
militaire, même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une
telle attaque». La tentative d'annexion des quatre régions partiellement
occupées de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijjia, qui faisait
suite aux prétendus référendums tenus en septembre 2022, pourrait
également être qualifié]e d'acte «[d]’annexion par l’emploi de la
force du territoire ou d’une partie du territoire d’un État membre»
et constitue un exemple de l’escalade continue de l'agression de
la Fédération de Russie. L’agression en cours est en fait le prolongement
de l’agression commencée le 20 février 2014, qui comprenait l’occupation
et l’annexion illégale de la Crimée. Tous ces actes commis à l'encontre
de l'Ukraine, compte tenu de leur caractère, de leur gravité et
de leur ampleur, constituent une violation manifeste de la Charte
des Nations Unies, en particulier de l'article 2, paragraphe 4,
qui interdit la menace ou l'emploi de la force contre l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique de tout État. Ils n'ont
aucune justification crédible au sens du
jus
ad bellum, par exemple l'autodéfense individuelle ou
collective de la Russie au titre de l'article 51 de la Charte des
Nations Unies. Les actes d'agression commis par la Fédération de
Russie contre l'Ukraine franchissent clairement le seuil de la définition
du crime d'agression découlant du droit international coutumier et
de l'article 8
bis du Statut
de la CPI. L'agression est un crime qui persiste jusqu'à ce que
la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique
de l'État victime soient rétablies. La responsabilité pénale de ce
crime est imputable à ceux qui ont planifié, préparé, initié ou
exécuté les actes d'agression et qui étaient en mesure de contrôler
ou de diriger l'action politique ou militaire de l'État agresseur
(«rôle de direction»). Elle est censée s’appliquer aux plus hauts
dirigeants politiques et militaires du pays, voire aux membres du
Conseil de sécurité nationale qui, le 21 février 2022, ont approuvé
publiquement la ligne de conduite du Président russe
![(8)
Voir <a href='http://www.en.kremlin.ru/events/president/news/67825'>Security
Council meeting • President of Russia (kremlin.ru)</a>. Le modèle d’acte d’accusation de l’Open Society Justice
Initiative évoqué par M. Goldston lors de l’audition du 6 septembre
cite M. Poutine, M. Lavrov, M. Schoigu, M. Gerassimov, M. Patrushev,
M. Naryshkine, M. Beseda et Mme Matvienko.
Voir: <a href='https://www.justsecurity.org/81411/osji-model-indictment-for-the-crime-of-aggression-committed-against-ukraine/'>«Model
Indictment for the Crime of Aggression Committed against Ukraine»
(justsecurity.org)</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. La question de savoir si les membres
du parlement et des partis politiques russes qui ont voté en faveur
de décisions illégales validant l'agression et la tentative d'annexion
satisfont au critère du «rôle de direction» est plus difficile à
évaluer et doit faire l’objet d’un examen plus approfondi
![(9)
Voir Advisory Committee
on Public International Law of the Netherlands, «Challenges in prosecuting
the crime of aggression: jurisdiction and immunities», 12 septembre
2022, page 9; Résolution
2463 (2022), paragraphes 3 et 13.6.4 faisant référence à la Douma
russe et aux partis politiques russes qui ont voté pour des décisions
illégales empiétant sur la souveraineté et l'intégrité territoriale
de l'Ukraine.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
6. En outre, la complicité du Bélarus dans l'agression contre
l'Ukraine, largement condamnée par la communauté internationale
![(10)
Avis no 300 (2022),
paragraphe 3. <a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FRES%2FES-11%2F1&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>Résolution
ES-11/1</a> de l'Assemblée générale des Nations Unies, 2 mars 2022, intitulée
«Agression contre l'Ukraine».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, pourrait être
assimilée à un crime d'agression imputable aux dirigeants bélarusses.
Selon l’alinéa f) du paragraphe 2 de l'article 8
bis du Statut de la CPI, «le fait
pour un État d’admettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition
d’un autre État, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte
d’agression contre un État tiers» constitue un acte d'agression
autonome. Là aussi, les plus hauts dirigeants politiques et militaires
qui sont en mesure de contrôler ou de diriger le comportement du
pays devraient être pénalement responsables de leurs décisions.
7. L'importance d’engager des poursuites contre le crime d'agression
réside dans le fait qu'il s'agit d'un «crime générique» qui est
à l’origine des autres crimes (crimes de guerre, crimes contre l'humanité
et génocide éventuel). Aucun de ces crimes n'aurait pu être commis
sans la décision politique des dirigeants russes de mener une guerre
illicite et injustifiée
![(11)
Oona
A. Hathaway, <a href='https://www.justsecurity.org/83117/the-case-for-creating-an-international-tribunal-to-prosecute-the-crime-of-aggression-against-ukraine/'>«The
Case for Creating an International Tribunal to Prosecute the Crime
of Aggression Against Ukraine (Part I)» (justsecurity.org)</a>, 20 septembre 2022. Il a également été avancé que l'absence
de poursuites pour agression faciliterait également l'impunité des
dirigeants russes, car l’engagement de leur responsabilité individuelle
pour les crimes de guerre nécessite de démontrer qu’il existe un
lien précis entre eux et le comportement criminel spécifique.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Un autre motif de poursuites contre le crime d'agression peut être avancé
lorsque la responsabilité de ce crime s'étend également à tous les
décès, souffrances et destructions résultant de la guerre illicite,
y compris les actes conformes au droit international humanitaire
qui ne sont pas qualifiés de crimes de guerre (par exemple, les
décès de combattants ukrainiens qui sont des cibles légitimes au
regard du droit international humanitaire)
![(12)
Voir Andrew Clapham,
«Ukraine Tribunal Could Trial Russian Leaders for Aggression» (<a href='https://balkaninsight.com/2022/04/07/ukraine-tribunal-could-try-russian-leaders-for-aggression-expert/'>«Le
tribunal ukrainien pourrait juger les dirigeants russes pour agression»),</a>Balkan Insight; Tom Dannenbaum,
«A Special Tribunal for the Crime of Aggression?», Journal of International Criminal Justice (2022),
p. 5-6.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
8. En outre, le crime d'agression, notamment la tentative d'annexion
des régions occupées, est une atteinte à l'ordre juridique international
dans son ensemble. Il s'agit d'une violation flagrante de l'interdiction
du recours à la force et du principe corollaire de l'illicéité de
l'acquisition territoriale résultant de la menace ou de l'emploi de
la force
![(13)
Le paragraphe
4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies et la résolution
2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l'Assemblée générale des Nations
Unies, intitulée «Déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les États
conformément à la Charte des Nations Unies», énoncent le principe selon
lequel «le territoire d'un État ne peut faire l'objet d'une acquisition
par un autre État résultant de la menace ou de l'emploi de la force».
Selon la Cour internationale de justice, ces deux principes reflètent
le droit international coutumier: voir l'<a href='https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/131/131-20040709-ADV-01-00-FR.pdf'>avis
consultatif du 9 juillet 2004 intitulé «Conséquences juridiques
de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé»</a>, paragraphe 87.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Les États ont l'obligation non seulement de ne pas reconnaître comme
légale la situation créée par l'agression et de ne pas apporter
une aide ou une assistance pour la maintenir, mais aussi de coopérer pour
y mettre fin par des moyens légaux
![(14)
Voir à cet égard l'article
41 du «Projet d'articles de la Commission du droit international
sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite»
(2001), concernant les violations graves des obligations découlant
des normes impératives du droit international général (jus
cogens); rapport 2019 de la CDI, pages 193 à 197. La
CDI a cité comme exemple de norme de jus
cogens l'interdiction de l'agression (<a href='https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/english/commentaries/9_6_2001.pdf'>https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/english/commentaries/9_6_2001.pdf</a>, p. 112).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Pour toutes ces raisons,
il est essentiel que l'Ukraine et la communauté internationale trouvent
des voies légales appropriées pour poursuivre et punir ce crime.
9. Enfin, les poursuites contre le crime d'agression peuvent
jouer un rôle important dans la prévention des crimes similaires
qui pourraient être commis à l'avenir, dans le même pays ou dans
d'autres pays. En outre, l’existence même de voies juridiques et
de poursuites pénales bien établies en cas de violation de l'interdiction du
recours à la force pourrait inciter les dirigeants politiques et
militaires à réfléchir à deux fois avant de décider de commettre
un acte d'agression. Ces dispositifs pourraient également renforcer
les arguments et la position de ceux qui, au sein des institutions,
de l'armée, des médias, de la société civile, etc., s'opposent à
une telle ligne de conduite. En revanche, le fait qu’une violation
aussi flagrante du droit international ne soit pas poursuivie pourrait
mettre encore plus en confiance les dirigeants politiques et militaires
qui pensent que l'agression reste une option sans grand risque sur
le plan personnel.
2.2. Combler
un vide juridictionnel: la nécessité de créer un tribunal pénal
international ad hoc pour le crime d'agression contre l'Ukraine
10. La CPI n'a actuellement aucune
compétence pour le crime d'agression contre l'Ukraine. Contrairement aux
trois autres crimes prévus dans le Statut de la CPI (crimes de guerre,
crimes contre l'humanité et génocide), les poursuites pour crime
d'agression ne peuvent pas être engagées s'il est commis par des ressortissants
d’États qui ne sont pas parties au Statut ou sur le territoire d’États
qui ne sont pas parties au Statut
![(15)
Article 15 bis (5) et du Statut de la CPI:
«En ce qui concerne un État qui n'est pas Partie au présent Statut,
la Cour n'exerce pas sa compétence à l'égard du crime d'agression
quand celui-ci est commis par des ressortissants de cet État ou
sur son territoire.» Selon la résolution ICC-ASP/16/Res.5 de l'Assemblée
des États parties de la CPI, les deux États auraient dû ratifier
non seulement le Statut, mais également les amendements de Kampala
sur le crime d'agression. Voir également l'article 121(5) du Statut
de la CPI; Dapo Akande and Antonios Tzanakapoulos, <a href='https://academic.oup.com/ejil/article/29/3/939/5165645'>«Treaty
Law and ICC Jurisdiction over the Crime of Aggression», European
Journal of International Law, Oxford Academic (oup.com)</a>, 9 novembre 2018.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. L'Ukraine, la
Russie et le Bélarus ne sont pas parties au Statut de la CPI. Certes,
l'Ukraine a fait deux déclarations (en 2014 et 2015) indiquant qu’elle
se soumet à la compétence de la CPI, mais cette acceptation
ad hoc de la compétence ne peut
viser que les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et
le génocide
![(16)
En
vertu de l'article 12 (3) du Statut de la CPI. L'article 15 bis, paragraphe 5, est considéré
comme une lex specialis pour
le crime d'agression, remplaçant le régime juridictionnel ordinaire
énoncé à l'article 12.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Le régime juridictionnel
du crime d'agression convenu à Kampala est le résultat d'un compromis
politique et exclut cette possibilité. La seule autre option prévue
par le Statut de la CPI pour exercer sa compétence serait le renvoi
au procureur de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies
agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies
![(17)
Article 15 ter du Statut de la CPI.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
La Fédération de Russie y opposerait probablement son veto au Conseil
de sécurité de l'ONU. Quoi qu’il en soit, les membres du Conseil
de sécurité des Nations Unies pourraient encore essayer d'adopter
une résolution de renvoi afin de démontrer que toutes les voies
permettant à la CPI d’avoir compétence pour le crime d'agression
ont été épuisées. Il a même été avancé que l'Assemblée générale
des Nations Unies pourrait avoir le pouvoir de déférer la situation
à la CPI au titre de la résolution «L’union pour le maintien de
la paix», si le Conseil de sécurité des Nations Unies ne parvenait
pas à exercer ses responsabilités découlant du chapitre VII en raison
du veto russe
![(18)
<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf</a>, 9 décembre 2022, pp. 20-21.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Mais
cette option pourrait être contestée car la possibilité que l'Assemblée
générale des Nations Unies demande une saisine n'est actuellement
pas prévue dans le Statut de la CPI
![(19)
Shane Darcy, <a href='https://www.justsecurity.org/80686/aggression-by-p5-security-council-members-time-for-icc-referrals-by-the-general-assembly/'>«Aggression
by P5 Security Council Members: Time for ICC Referrals by the General
Assembly» (justsecurity.org)</a>, 16 mars 2022, qui signale que cette option a été soutenue
par certains États pendant les négociations du Statut de la CPI
et des amendements de Kampala mais qu’elle n’a pas été retenue.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
11. L'alternative à l’obligation de répondre de ses actes devant
un tribunal international est l’engagement de poursuites devant
des tribunaux nationaux. La Russie et le Bélarus ont codifié le
crime d'agression dans leur législation pénale nationale, mais pour
des raisons évidentes, il n'y a actuellement aucune possibilité
de poursuites. Certains pays ont ouvert des enquêtes sur le crime
d'agression contre l'Ukraine, sur la base du principe de la compétence
universelle ou du principe de protection
![(20)
Lituanie et Pologne.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Même si la législation ukrainienne érige en infractions pénales
la planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite
d’une guerre d’agression
![(21)
Article
437 du Code pénal de l'Ukraine. Dans ce cas, la compétence de l'Ukraine
repose sur le principe de territorialité.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, le
Bureau du procureur général est bien conscient que les immunités
personnelles des chefs d’État et des membres des gouvernements étrangers
(la fameuse troïka: chef d’État, chef de gouvernement et ministre
des Affaires étrangères) sont applicables en vertu du droit international
et constitueraient probablement un obstacle à des poursuites nationales.
Outre les éventuels obstacles juridiques à l’engagement de poursuites
nationales contre le crime d'agression
![(22)
Sur la question de
savoir si l'État victime ou un autre État autre que l'État agresseur
peut exercer sa compétence nationale pour le crime d'agression dans
le cadre du droit international, voir Advisory Committee on Public
International Law of the Netherlands, «Challenges in prosecuting
the crime of aggression: jurisdiction and immunities», 12 septembre 2022,
pp. 7-9. Par exemple, la Commission du droit international (CDI)
a fait valoir que seul l'État agresseur peut exercer sa compétence
à l'égard de ce crime.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, il existe aussi des raisons
liées à l'impartialité objective et à la légitimité qui semblent
militer en faveur de poursuites internationales au lieu de l’engagement
de poursuites purement nationales par la victime ou les tribunaux
d'un autre État
![(23)
Tom
Dannenbaum, «A Special Tribunal for the Crime of Aggression?», Journal of International Criminal Justice (2022),
p. 4; Carrie McDougall, «<a href='https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/'>Why
Creating a Special Tribunal for Aggression Against Ukraine is the
Best Available Option: A Reply to Kevin Jon Heller and Other Critics»,
Opinio Juris</a>, 15 mars 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
12. A cet égard, peu après le lancement de l'offensive armée de
grande envergure contre l'Ukraine en février 2022, un certain nombre
de personnalités des milieux juridique et politique ont proposé
la création d'un tribunal spécial pour la répression du crime d'agression
contre l'Ukraine, par une «coalition de volontaires»
ad hoc et en s'inspirant du précédent
de Nuremberg. Cette proposition prévoit que les États accepteraient
d'accorder à un tel tribunal spécialisé la compétence découlant
des codes pénaux nationaux et du droit international général
![(24)
Gordon Brown, Philippe
Sands, Philip Leach, Dapo Akande, Sir Nicolas Bratza et autres,
«Calling for the Creation of a Special Tribunal for the Punishment
of the Crime of Aggression Against Ukraine», 4 mars 2022. La déclaration
a été soutenue par le ministre ukrainien des Affaires étrangères
lors d'un événement organisé par Chatham House le 4 mars 2022; voir <a href='https://www.chathamhouse.org/events/all/research-event/criminal-tribunal-aggression-ukraine'>«A
criminal tribunal for aggression in Ukraine» (chathamhouse.org)</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
13. L'Assemblée a été la première instance internationale à faire
une proposition similaire. Dans sa
Résolution 2436 (2022) «L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine:
faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international
humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes» (rapport
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
rapporteur: M. Aleksander Pociej; débat d’urgence), adoptée le 28
avril 2022, l’Assemblée a appelé à l’unanimité tous les États membres
et observateurs du Conseil de l’Europe à mettre en place de toute
urgence un tribunal pénal international
ad
hoc chargé d’enquêter et d’engager des poursuites pour
le crime d’agression qui aurait été commis par les dirigeants politiques
et militaires de la Fédération de Russie. Ce tribunal, qui serait
créé dans le cadre d’un traité multilatéral entre des États qui
partagent les mêmes idées, serait appuyé par l’Assemblée générale
des Nations Unies et bénéficierait du soutien du Conseil de l’Europe,
de l’UE et d’autres organisations internationales
![(25)
Résolution 2436 (2022), paragraphe 11.6. Voir également la Recommandation 2231 (2022), paragraphes 2.3 et 2.4; la Résolution 2433 (2022) «Conséquences de l’agression persistante de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l'Europe»,
paragraphe 11.20; et la Résolution
2463 (2022) «Nouvelle escalade de l'agression de la Fédération de
Russie contre l'Ukraine», paragraphe 13.6.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
14. L'appel de l'Assemblée a ensuite été suivi par le Parlement
européen, l'Assemblée parlementaire de l'OSCE et l'Assemblée parlementaire
de l'OTAN
![(26)
<a href='https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20220517IPR29931/ukraine-meps-want-a-special-international-tribunal-for-crimes-of-aggression'>«Ukraine:
le Parlement souhaite un tribunal international dédié aux crimes
d’agression», Parlement européen (europa.eu)</a>, 19 mai 2022. Le Parlement européen a évoqué le soutien
d’instances multilatérales établies, telles que les Nations Unies
et le Conseil de l’Europe, favorables à la création sans délai d’un
fondement juridique approprié. Dans sa résolution du 23 novembre
2022 sur la reconnaissance de la Fédération de Russie en tant qu'État
soutenant le terrorisme, le Parlement européen a de nouveau appelé
l'UE et ses États membres à apporter le soutien approprié à la création
d'un tribunal spécial (paragraphe 11). Voir également la Résolution
de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE sur la guerre d'agression
menée par la Fédération de Russie contre l'Ukraine et son peuple,
et sa menace pour la sécurité dans la région de l'OSCE, paragraphes
35-36, 2-6 juillet 2022; <a href='https://www.nato-pa.int/document/resolution-479-nato-post-madrid'>Résolution
479</a> de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, paragraphe 19(h),
21 novembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Des parlements nationaux ont
également soutenu l'idée
![(27)
Voir
également la déclaration des présidents des commissions des affaires
étrangères appelant à la création d'un tribunal pénal international
sur l’association de malfaiteurs dirigée par Vladimir Poutine, 7
mars 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
15. Le 12 septembre 2022, un événement intitulé «Garantir la cohérence
de la responsabilité de l’agression russe contre l’Ukraine: le tribunal
spécial
ad hoc pour juger
le crime d’agression contre l’Ukraine et la commission d’indemnisation
pour l’Ukraine» a été organisé par la Représentation permanente
de l’Ukraine auprès du Conseil de l’Europe sous les auspices de
la Présidence irlandaise du Comité des Ministres, en présence de
la vice-ministre ukrainienne de la Justice. À cette occasion, la
proposition faite par l’Ukraine d’établir un tribunal spécial
ad
hoc pour juger les auteurs du crime d’agression contre
l’Ukraine a été présentée aux délégations. Selon cette proposition,
le tribunal spécial serait complémentaire de la CPI et n’interférerait pas
avec sa compétence, car il ne serait compétent que pour enquêter
sur le crime d’agression commis par les dirigeants politiques et
militaires de la Russie et en poursuivre les auteurs. Il pourrait
être établi sur la base d’un traité multilatéral entre États ou
sur la base d’un accord passé avec une organisation internationale
(par exemple, l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe). La
définition du crime d’agression serait conforme à celle consacrée
à l’article 8
bis du Statut
de Rome de la CPI. La fonction officielle d’un prévenu, qu’il soit
chef d’État ou autre haut responsable, ne l’exonérerait pas de sa
responsabilité pénale individuelle. Le tribunal spécial et les juridictions
nationales (ukrainiennes) compétentes possèderaient une compétence
concurrente, mais le tribunal spécial pourrait affirmer sa primauté,
ce qui signifie qu’il pourrait demander aux juridictions nationales
de renvoyer une affaire devant lui si l’intérêt de la justice l’exige
![(28)
Voir DD(2022)317F,
distribué au CM à la demande de l'Ukraine. D’autres propositions
ont été lancées par la société civile, les universitaires et différents
représentants des États suite à l’adoption de la Résolution 2436 (2022) de l’Assemblée:
Groupe de travail sur l’Ukraine du Global Accountability Network
(<a href='https://uba.ua/eng/news/9360/'>UBA</a>); Yale Club Roundtable: «A Special Tribunal for the
Crime of Aggression Recommended by the UN General Assembly?», New
York, 22 juin 2022 (Chair’s summary).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Le président
Zelensky s’est aussi prononcé en faveur de la création d’un tribunal
spécial pour juger le crime d’agression contre l’Ukraine, lorsqu’il s’est
adressé à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2022
![(29)
Les représentants de
la Pologne, de la Lituanie et de la République tchèque se sont également
exprimés en faveur de la création d’un tribunal spécial dans le
cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
et
à l’Assemblée parlementaire lors de sa session d’octobre 2022
![(30)
<a href='https://pace.coe.int/en/news/8854/volodymyr-zelenskyy-never-yet-in-history-was-united-europe-as-strong-as-it-is-today-'>Volodymyr
Zelensky: «Jamais encore dans l'histoire, l'Europe n'a été aussi
forte qu'aujourd'hui» (coe.int)</a>: L'Europe peut jouer «un rôle historique en créant un
tribunal spécial pour l'agression de la Russie contre l'Ukraine.
Faisons-le. Ce sera le meilleur moyen de protéger les principes
du droit international», a-t-il déclaré.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
16. Après avoir examiné les propositions ukrainiennes lors de
sa réunion des 14 et 15 septembre 2022, le Comité des Ministres
a adopté une
décision dans laquelle il «a souligné la nécessité urgente de
mettre en place un système complet de responsabilité pour les violations
graves du droit international liées à l’agression russe contre l’Ukraine,
afin d’éviter l’impunité et de prévenir de nouvelles violations».
Il a par ailleurs «pris note avec intérêt des propositions ukrainiennes
visant à établir un tribunal spécial
ad
hoc pour le crime d’agression contre l’Ukraine et [s’est
félicité] des efforts menés actuellement, en coopération avec l’Ukraine,
pour faire en sorte que les responsables du crime d’agression […]
répondent de leurs actes
![(31)
<a href='https://www.coe.int/en/web/portal/-/no-impunity-for-russian-aggression-against-ukraine'>«Pas
d’impunité pour les crimes de la Russie contre l’Ukraine», Salle
de presse (coe.int).</a> Voir également la Réponse du
CM à la Recommandation
2231 (2022), 18 octobre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
». Le Comité des
Ministres a appelé les États membres et le Conseil de l’Europe à
rester activement saisis de la question et à poursuivre résolument
l'élaboration d'un système complet pour amener les responsables
à répondre de leurs actes.
17. Cette question a également été traitée par le Groupe de réflexion
de haut niveau du Conseil de l’Europe dans son rapport du 5 octobre
2022, dans lequel il souligne «l’importance d’assurer la mise en
place d’un système complet de responsabilité pour les violations
graves du droit international résultant de l’agression russe contre
l’Ukraine», et demande au Conseil de l’Europe de rester engagé et
de contribuer aux efforts internationaux à cet égard
![(32)
<a href='https://rm.coe.int/report-of-the-high-level-reflection-group-of-the-council-of-europe-/1680a85cf1'>https://rm.coe.int/report-of-the-high-level-reflection-group-of-the-council-of-europe-/1680a85cf1</a>, paragraphe 40.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. À mon avis, le 4e Sommet
des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe qui se
tiendra à Reykjavik en mai 2023 serait une excellente occasion de
donner l'élan politique et le soutien nécessaires à la création
du tribunal spécial
![(33)
Voir
dans la même veine le rapport intitulé «Le Sommet de Reykjavik du
Conseil de l'Europe: Unis autour de valeurs face à des défis hors
du commun» (Doc. 15681,
rapporteure: Mme Fiona O’Loughlin, Commission
des questions politiques et de la démocratie), 13 décembre 2022,
paragraphe 8.3.1 du projet de recommandation et paragraphe 70 de
l'exposé des motifs. Le rapport tient compte de la contribution
d'une commission ad hoc sur le 4e Sommet
mise en place par le Bureau de l'Assemblée, auquel j'ai participé
en qualité de président de la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme. Voir, plus généralement, l'appel lancé
à la communauté internationale pour qu'elle prenne des mesures afin
que les responsables de tous les crimes commis en Ukraine répondent
de leurs actes, <a href='https://www.coe.int/en/web/portal/-/human-rights-day-council-of-europe-leaders-call-for-collective-action-to-end-impunity-for-crimes-committed-against-ukraine'>«Journée
des droits de l'homme: les dirigeants du Conseil de l'Europe appellent
à une action collective en vue de mettre fin à l'impunité pour les crimes
commis contre l’Ukraine», Portail (coe.int).</a>](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
18. Le 30 novembre 2022, la Commission européenne a expressément
soutenu l'idée de créer un tribunal spécial pour le crime d'agression
contre l'Ukraine, afin de combler le vide juridictionnel existant
et de veiller à ce que tous les auteurs des crimes commis rendent
des comptes. La Commission envisage pour le moment plusieurs options
impliquant le soutien de l'Assemblée générale des Nations Unies:
soit un tribunal international spécial fondé sur un traité multilatéral,
soit un tribunal spécialisé intégré dans un système de justice national
comprenant des juges internationaux (un tribunal hybride)
![(34)
<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_22_7311'>https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_22_7311</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Ces options doivent encore être précisées
par la Commission, puis examinées par le Conseil de l'Union européenne
![(35)
Dans les conclusions
adoptées par les chefs d'État ou de gouvernement à l'issue de la
réunion du Conseil européen du 15 décembre 2022, il n'est pas fait
mention d'un tribunal spécial, mais le Conseil de l'UE «se félicite
des efforts en cours pour faire en sorte que les auteurs du crime
d'agression contre l'Ukraine répondent de leurs actes et pour obtenir une
réparation intégrale des dommages, pertes ou préjudices causés par
les violations du droit international commises par la Russie en
Ukraine. [...] Il invite la Commission, la haute représentante et
le Conseil à faire avancer les travaux, conformément au droit de
l'Union et au droit international, en soulignant que les poursuites
relatives au crime d'agression concernent l’ensemble de la communauté
internationale». Voir les conclusions: <a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/12/15/european-council-conclusions-15-december-2022/'>www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/12/15/european-council-conclusions-15-december-2022/</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Donnant suite à la position de
la Commission européenne, la France a immédiatement annoncé qu'elle
avait commencé à travailler avec ses partenaires européens et ukrainiens
sur la proposition de créer un tribunal spécial sur le crime d'agression
de la Russie contre l'Ukraine
![(36)
<a href='https://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/ukraine/news/article/ukraine-special-tribunal-on-russian-crimes-of-aggression-30-nov-22'>www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/ukraine/news/article/ukraine-special-tribunal-on-russian-crimes-of-aggression-30-nov-22</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Les Pays-Bas ont à leur tour déclaré
qu'ils seraient prêts à accueillir le tribunal spécial à La Haye
![(37)
<a href='https://www.swissinfo.ch/eng/netherlands-willing-to-house-special-court-for-russia-invasion-of-ukraine--minister-says/48129172'>www.swissinfo.ch/eng/netherlands-willing-to-house-special-court-for-russia-invasion-of-ukraine--minister-says/48129172</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. La ministre allemande des Affaires
étrangères a également appelé récemment à la création d'un tribunal
spécial
![(38)
<a href='https://www.reuters.com/world/europe/germany-calls-special-tribunal-against-russia-over-ukraine-war-2023-01-16/'>www.reuters.com/world/europe/germany-calls-special-tribunal-against-russia-over-ukraine-war-2023-01-16/</a>, 16 janvier 2023.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Le 19 janvier
2023, le Parlement européen a adopté une nouvelle résolution dans
laquelle il appelle à la création d’un tribunal spécial international
pour poursuivre les dirigeants russes et ses alliés pour le crime
d’agression
![(39)
<a href='https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230113IPR66653/ukraine-les-deputes-demandent-un-tribunal-special-pour-punir-les-crimes-russes'>www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230113IPR66653/ukraine-les-deputes-demandent-un-tribunal-special-pour-punir-les-crimes-russes</a>. Le texte a été adopté par 472 voix pour, 19 contre
et 33 abstentions.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
19. Au niveau des Nations Unies, un projet de résolution de l'Assemblée
générale des Nations Unies proposant la création d'un tribunal international
sur les crimes d'agression commis contre l'Ukraine a été distribué
par l'Ukraine, mais il n'a pas encore été mis aux voix
![(40)
<a href='https://www.theguardian.com/law/2022/dec/04/russian-war-crimes-draft-resolution-circulated-un-ukraine-zelenskiy'>www.theguardian.com/law/2022/dec/04/russian-war-crimes-draft-resolution-circulated-un-ukraine-zelenskiy</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
2.3. Difficultés
juridiques et pratiques liées à la création et au fonctionnement
d'un tribunal pénal international spécial pour le crime d'agression
contre l'Ukraine
2.3.1. Fondement
juridique
20. Diverses options sont actuellement
à l'étude en vue de la mise en place d'un tribunal spécial sur le
crime d'agression contre l'Ukraine. La possibilité de créer un tribunal
ad hoc par le Conseil de sécurité
des Nations Unies en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies (comme ceux créés pour l'ex-Yougoslavie/TPIY et le Rwanda/TPIR)
doit être exclue, étant donné le droit de veto de la Russie au Conseil
de sécurité des Nations Unies. Certains ont fait valoir qu'en raison
du blocage du Conseil de sécurité des Nations Unies par un membre
permanent, l'Assemblée générale des Nations Unies pourrait créer
un tel tribunal agissant dans le cadre du mécanisme
L’union pour le maintien de la paix ![(41)
<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf</a>, 9 décembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Or cette proposition
pourrait être contestée et considérée comme une interprétation trop
large des pouvoirs de l'Assemblée générale. En outre, une résolution
adoptée par cette instance ne crée en principe pas d'obligations
internationales contraignantes pour les États. Quoi qu'il en soit,
l'Assemblée générale des Nations Unies pourrait recommander la création
d'un tribunal spécial pour le crime d'agression, par exemple dans
le cadre d’un accord entre l'Ukraine et les Nations Unies.
21. Les principales options viables sont les suivantes: a) un
tribunal international fondé sur un traité international multilatéral
conclu par des États, y compris l'Ukraine, (à l’exemple du tribunal
de Nuremberg) et b) un tribunal spécial créé par un accord entre
l'Ukraine et une organisation internationale, par exemple les Nations
Unies ou le Conseil de l’Europe. Dans la première option, ce tribunal
pourrait également être approuvé et soutenu (sur les plans logistique,
technique et financier) par autant d’organisations internationales
que possible. Dans la deuxième option, le statut du tribunal convenu
pourrait également être ouvert à la signature et à la ratification
des États et d'autres organisations internationales et régionales.
En ce qui concerne sa nature (internationale/hybride), il existe
différents degrés et options possibles d'intégration du tribunal
dans le système ukrainien, sachant qu’il existe un large éventail
de précédents tels que les chambres spécialisées du Kosovo*, le
Tribunal spécial pour la Sierra Leone et les chambres extraordinaires
au sein des tribunaux cambodgiens
![(42)
Les chambres
spécialisées du Kosovo ont été créées à la suite d'un échange de
lettres entre le Président du Kosovo et le Haut Représentant de
l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité; elles
font partie du système judiciaire du Kosovo. Le Tribunal spécial
pour la Sierra Leone a été créé par un accord entre les Nations
Unies et la Sierra Leone, à la suite d'une résolution du Conseil
de sécurité des Nations Unies (qui n'agit pas en vertu du Chapitre
VII de la Charte des Nations Unies) demandant au Secrétaire général
de négocier un accord avec la Sierra Leone. Ce tribunal, tout en
appliquant un mélange de droit international et national, ne faisait
pas partie du système judiciaire de la Sierra Leone. Les chambres
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ont été créées
en vertu du droit cambodgien et accompagnées par la suite d'un accord
bilatéral entre l'ONU et le Cambodge conformément à une résolution
de l'Assemblée générale des Nations Unies.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. L'intégration
d'un tribunal hybride dans le système ukrainien semble soulever
certaines questions, car l'article 125, paragraphe 6, de la Constitution
ukrainienne interdit la création de tribunaux extraordinaires et
spéciaux et le paragraphe 3 de l'article 127 prévoit que seul un
citoyen ukrainien peut être nommé juge. Les représentants ukrainiens
ont clairement indiqué qu'il serait très difficile de modifier la Constitution
en temps de guerre. Si un tribunal hybride (composé de juges ukrainiens
et internationaux ou uniquement de juges internationaux qui appliquent
la législation ukrainienne) peut éventuellement être créé en dehors
du système ukrainien, je pense que l'option d’un tribunal pleinement
international serait préférable, également pour les raisons que
j'expliquerai ci-après concernant les immunités personnelles
![(43)
Voir également le rapport
intitulé «L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine:
faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international
humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes» (Doc. 15510, rapporteur:
M. Aleksander Pociej, commission des questions juridiques et des
droits de l’homme) paragraphe 30 de l'exposé des motifs.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
22. Quoi qu'il en soit, en l'état actuel des choses, l'Assemblée
devrait laisser ouverte la question du fondement juridique (traité
multilatéral ou accord avec une organisation internationale, voire
une combinaison des deux). Bien que le Conseil de l'Europe puisse
juridiquement offrir un espace aux deux options, par exemple parvenir
à un accord avec l'Ukraine ou fournir le cadre institutionnel pour
la négociation d'un traité multilatéral
![(44)
Voir l’avis du CAHDI
(Comité des conseillers juridiques sur le droit international public)
sur la Recommandation
2231 (2022). Voir également, concernant le rôle possible du Conseil
de l'Europe, Kevin Jon Heller, <a href='https://opiniojuris.org/2022/03/16/the-best-option-an-extraordinary-ukrainian-chamber-for-aggression/'>https://opiniojuris.org/2022/03/16/the-best-option-an-extraordinary-ukrainian-chamber-for-aggression/</a>, 16 mars 2022; Tom Dannenbaum, «A Special Tribunal for
the Crime of Aggression?», Journal of
International Criminal Justice (2022), p. 14, notant
que les membres du Conseil de l'Europe représentent plus des deux
tiers des États qui ont incriminé l'agression au niveau national
et plus de 60 % de ceux qui ont ratifié les amendements de Kampala;
Owiso, «<a href='https://opiniojuris.org/2022/03/30/an-aggression-chamber-for-ukraine-supported-by-the-council-of-europe/'>An
Aggression Chamber for Ukraine Supported by the Council of Europe»,
Opinio Juris</a>, 30 mars 2022; www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf'> (2022)</a> 702574_FR.pdf, 9 décembre 2022. Les experts entendus
par notre Commission, le professeur Akande et James Goldston, ont
déclaré que le Conseil de l’Europe, en sa qualité de garant des
droits humains et de l’État de droit, pouvait jouer un rôle important
en apportant une légitimité au tribunal spécial. Le professeur Akande
a évoqué à cet égard l'exemple du Protocole de Malabo de 2014 (qui
n’est pas encore entré en vigueur), qui confère une compétence pénale internationale
à la Cour africaine de justice et des droits de l'homme, notamment
sur le crime d'agression.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
(peut-être sous la
forme d'un accord partiel élargi ouvert aux États non membres du
Conseil de l'Europe), la forme juridique finale de l'instrument
devrait être décidée de manière pragmatique, en cherchant à associer
le plus grand nombre possible d'États, idéalement représentatifs
des différentes régions du monde.
2.3.2. Compétence
23. Certains ont fait valoir que
les États ne peuvent pas simplement transférer leur compétence universelle ou
territoriale pour le crime d'agression à un tribunal international
nouvellement créé
![(45)
Voir
Advisory Committee on Public International Law of the Netherlands,
«Challenges in prosecuting the crime of aggression: jurisdiction
and immunities», 12 septembre 2022, p. 8, qui souligne que le Tribunal
de Nuremberg fonde sa compétence à l’égard de l’agression sur le
transfert de compétence par les puissances alliées qui ont occupé
l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale et ont ainsi assumé
les pouvoirs de l'État agresseur allemand.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Cependant,
d'autres auteurs ont rejeté la théorie de la «délégation» de compétence
aux tribunaux internationaux au motif qu’elle ne tient pas compte
de la personnalité juridique internationale des organisations internationales
et des tribunaux indépendants des États fondateurs
![(46)
Chile Eboe-Osuji, <a href='https://www.justsecurity.org/84416/the-absolute-clarity-of-international-legal-practices-rejection-of-immunity-before-international-criminal-courts/'>www.justsecurity.org/84416/the-absolute-clarity-of-international-legal-practices-rejection-of-immunity-before-international-criminal-courts/</a>, 8 décembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Lorsqu'ils créent
des tribunaux pénaux internationaux chargés d'exercer leur compétence
à l'égard de certains crimes et d'appliquer le droit international,
les États ne sont pas nécessairement limités par leur propre droit
interne et leurs propres règles de compétence.
24. Le tribunal spécial ne devrait être compétent que pour le
crime d'agression. Il ne devrait pas aller au-delà afin de ne pas
interférer avec la compétence de la CPI sur d'autres crimes internationaux.
Le futur statut du tribunal spécial devrait inclure la définition
du crime d'agression codifiée à l'article
8
bis du Statut de la CPI, qui est considéré comme une
expression du droit international coutumier, voire, de préférence,
contenir une référence directe au Statut de Rome, qui assurerait
la complémentarité et la coopération avec la CPI
![(47)
Voir la proposition
ukrainienne, paragraphe 19; Astrid Reisinger Coracini, <a href='https://www.justsecurity.org/83201/tribunal-crime-of-aggression-part-two/'>«The
Case for Creating a Special Tribunal to Prosecute the Crime of Aggression
Against Ukraine (Part II)» (justsecurity.org)</a>, 23 septembre 2022; Ukraine Task Force of The Global
Accountability Network (<a href='https://uba.ua/eng/news/9360/'>UBA</a>), 7 septembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
25. En ce qui concerne la compétence temporelle, la question se
pose de savoir si elle devrait commencer en février 2014 par la
tentative d'annexion illégale de la Crimée, suivie de l'occupation
de certaines parties des régions de Donetsk et de Lougansk, ou en
février 2022 par l'invasion à grande échelle de l'Ukraine. Bien
que les résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies n'aient
pas mentionné les événements de 2014 lorsqu’elles ont condamné l'agression,
il apparaît évident que la tentative d'annexion de la Crimée franchit également
le seuil élevé de la définition du crime d'agression. L'Assemblée
a en effet considéré l'agression actuelle comme un prolongement
de la guerre d'agression menée depuis le 20 février 2014
![(48)
Avis no 300
(2022), paragraphe 1.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Le fait que la compétence
de la CPI à l'égard du crime d'agression n'ait été activée que le
17 juillet 2018 ne devrait pas constituer un obstacle, car le crime
d'agression existait déjà auparavant en droit international coutumier.
2.3.3. Immunités
26. Un consensus semble se dégager
sur le fait que les immunités personnelles de ce que l'on appelle
la troïka (chefs d'État, chefs de gouvernement et ministres des
affaires étrangères en exercice)
![(49)
Immunités de poursuites
pénales pendant la durée de leur mandat pour des actes tant officiels
que privés, commis pendant ou avant cette période.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
ne
sont pas applicables aux cours ou tribunaux pénaux internationaux
en vertu du droit international coutumier
![(50)
Selon la CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt du 14
février 2002, paragraphe 61, un ministre des Affaires étrangères
en exercice ou un ancien ministre des Affaires étrangères peut faire
l’objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales
internationales, lorsqu’elles sont compétentes, telles que le TPIY,
le TPIR et la CPI. Voir aussi CPI, Le
Procureur c. Omar Hassan Ahmad
Al Bashir, arrêt du 6 mai 2019, paragraphes 113 et 115,
et l’article 27 du Statut de la CPI; Tribunal spécial pour la Sierra
Leone, Le Procureur c. Charles Ghankay Taylor, «Décision sur l’immunité
de juridiction», 31 mai 2004, paragraphes 52 et 53. Le CAHDI, dans
son avis sur la Recommandation 2231 (2022) adopté le 5 septembre
2022, paragraphes 7 et 8, a estimé que «l’un des sujets les plus
difficiles à aborder d’un point de vue juridique [était] la question
de l’immunité de juridiction pénale, basée sur le droit international
coutumier, qui s’applique particulièrement à certains représentants
de l’État (ladite «Troïka» […]). Le CAHDI note à cet égard que le
droit des immunités est en constante évolution, comme en témoignent
la jurisprudence de la Cour pénale internationale, du Tribunal spécial
pour la Sierra Leone et les travaux de la Commission du droit international.
Les perspectives de tout tribunal international de contribuer efficacement
à l’établissement de la responsabilité individuelle des membres
de la Troïka pour les actes d’agression commis contre l’Ukraine
dépendront du fait de savoir si la question des immunités est traitée
de manière précise». Le Comité européen pour les problèmes criminels
(CDPC), dans ses commentaires sur la Recommandation 2231 (2022), a noté
que les immunités personnelles sont largement considérées comme
inapplicables en ce qui concerne les procédures devant les tribunaux
internationaux. Les deux experts, M. Goldston et M. Akande, ont
confirmé qu’un tribunal international ne serait pas confronté au
problème des immunités des hauts responsables de l’État, contrairement
aux tribunaux nationaux. Voir également Chile Eboe-Osuji, <a href='https://www.justsecurity.org/84416/the-absolute-clarity-of-international-legal-practices-rejection-of-immunity-before-international-criminal-courts/'>www.justsecurity.org/84416/the-absolute-clarity-of-international-legal-practices-rejection-of-immunity-before-international-criminal-courts/</a>, 8 décembre 2022. Pour l'opinion selon laquelle les
immunités pourraient être ignorées sur la base du droit de légitime
défense de l'Ukraine<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf'>,
voir www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA (2022)</a> 702574_FR.pdf, 9 décembre 2022, p. 29.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
La raison d'être des immunités personnelles des tribunaux étrangers
réside dans le principe de l'égalité souveraine des États, selon
lequel un État souverain ne peut pas se prononcer sur la conduite
d'un autre État. Un tel principe n'a aucune pertinence pour les
tribunaux internationaux. En outre, la position selon laquelle l'immunité fonctionnelle
ou l'immunité
ratione materiae (c'est-à-dire
pour les actes commis en qualité officielle) de la juridiction pénale
ne s'applique pas aux crimes internationaux, y compris le crime
d'agression, est également défendue par certains
![(51)
Voir Advisory Committee
on Public International Law of the Netherlands, «Challenges in prosecuting
the crime of aggression: jurisdiction and immunities», 12 septembre
2022, p. 11-12, notant toutefois que la CDI n'a pas mentionné le crime
d'agression dans le projet d'article de 2017 prévoyant que l'immunité
fonctionnelle devant les tribunaux d'États étrangers ne s'applique
pas à six crimes internationaux. Selon l’Advisory Committee, il
n’est pas logique de faire une distinction entre le crime d'agression
et les autres crimes à cet égard. Voir aussi Tom Dannenbaum, «<a href='https://www.justsecurity.org/80626/mechanisms-for-criminal-prosecution-of-russias-aggression-against-ukraine/'>Mechanisms
for Criminal Prosecution of Russia' s Aggression Against Ukraine»
(justsecurity.org)</a>, 10 mars 2022: «functional immunity would logically
appear to be out of place in the context of an international crime
that is by definition a state act». [«l'immunité fonctionnelle semblerait
logiquement déplacée dans le contexte d'un crime international qui
est par définition un acte d'État»].](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
27. Néanmoins, la question demeure de savoir si le nouveau tribunal
spécial serait suffisamment «international» pour éviter l'applicabilité
des immunités personnelles. Selon certains auteurs, la cour ou le tribunal
international·e devrait être suffisamment détaché·e des juridictions
nationales et tenir suffisamment compte de la volonté de la communauté
internationale de réprimer collectivement les crimes contre le droit international
coutumier
![(52)
Astrid
Reisinger Coracini et Jennifer Trahan, <a href='https://www.justsecurity.org/84017/the-case-for-creating-a-special-tribunal-to-prosecute-the-crime-of-aggression-committed-against-ukraine-part-vi-on-the-non-applicability-of-personal-immunities/'>«The
Case for Creating a Special Tribunal to Prosecute the Crime of Aggression
Committed Against Ukraine (Part VI): On the Non-Applicability of
Personal Immunities» (justsecurity.org)</a>, [Les arguments en faveur de la création d'un tribunal
spécial pour poursuivre le crime d'agression commis contre l'Ukraine (Partie
VI): sur la non-applicabilité des immunités personnelles], 8 novembre
2022, se référant à la jurisprudence de la CPI et du Tribunal spécial
pour la Sierra Leone.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Si les points de vue diffèrent
sur la question de savoir si ce projet pourrait être réalisé par
un accord avec l'ONU (à l'instar du Tribunal spécial de la Sierra
Leone), ou avec la participation d'un groupe
ad
hoc d'États ou d'une organisation régionale
![(53)
Ibid.;
Larry D. Johnson, <a href='https://www.justsecurity.org/80395/united-nations-response-options-to-russias-aggression-opportunities-and-rabbit-holes/'>«United
Nations Response Options to Russia' s Aggression: Opportunities
and Rabbit Holes»</a> (justsecurity.org), 1 mars 2022; Carrie McDougall, <a href='https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/'>«Why
Creating a Special Tribunal for Aggression Against Ukraine is the
Best Available Option: A Reply to Kevin Jon Heller and Other Critics»,
Opinio Juris</a>, 15 mars 2022; Alexander Komarov et Oona A. Hathaway, <a href='https://www.justsecurity.org/81063/the-best-path-for-accountability-for-the-crime-of-aggression-under-ukrainian-and-international-law/'>«The
Best Path for Accountability for the Crime of Aggression Under Ukrainian and
International Law» (justsecurity.org)</a>, 11 avril 2022; www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA
(2022) 702574_FR.pdf, 9 décembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, il me
semble que la question des immunités pourrait être mieux traitée
(et résolue) dans un traité ou un accord portant création d’un tribunal
pleinement international (et non hybride), de préférence avec l'approbation
de différentes organisations internationales (ONU, Conseil de l'Europe,
Union européenne, etc.). Une telle approbation permettrait de montrer
que le tribunal tient compte de la volonté de la communauté internationale
dans son ensemble. En tout état de cause, le statut du tribunal devrait
expressément contenir une disposition similaire à l'article 27 du
Statut de la CPI, énonçant que la qualité officielle de l'accusé
ne doit en aucun cas l'exonérer de sa responsabilité pénale ou atténuer
la peine. Cela s'appliquerait évidemment aux ressortissants de pays
non parties au traité (c’est-à-dire les États agresseurs), comme
c'est le cas actuellement dans le cadre du régime juridictionnel
de la CPI pour les situations renvoyées par le Conseil de sécurité
des Nations Unies (par exemple, le président soudanais Al Bashir)
ou les crimes autres que l'agression (par exemple, les crimes contre
l'humanité commis par un ressortissant russe sur le territoire d'un
État partie ou d'un État ayant accepté la compétence de la CPI).
2.3.4. Coopération
des États agresseurs et efficacité
28. D’aucuns considèrent qu'un
tribunal international spécial ne serait pas en mesure d'obtenir
la coopération des États agresseurs et la présence des accusés.
À cet égard, il existe des différences importantes avec les tribunaux
internationaux spéciaux ou internationalisés qui ont été créés après
la fin des conflits concernés (Nuremberg et Tokyo, Sierra Leone,
Cambodge et Kosovo). Cependant, l'émission d'actes d'accusation
et de mandats d'arrêt contre des dirigeants russes limiterait déjà
gravement leur liberté de circulation et conduirait à un isolement
politique accru. Ils pourraient également agir à titre dissuasif
contre d'autres crimes
![(54)
Le
précédent de l'ancien président soudanais Al Bashir, qui a fait
l'objet d'un mandat d'arrêt émis par la CPI alors qu'il était au
pouvoir, est souvent cité.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Les actes d'accusation
et les mandats d'arrêt auraient également une valeur singulière
pour les victimes
![(55)
Tom
Dannenbaum, «A Special Tribunal for the Crime of Aggression?», Journal of International Criminal Justice (2022),
page 8.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. La coopération avec le tribunal
ad hoc, notamment la reddition de
dirigeants politiques ou militaires, pourrait également faire partie
d'un futur accord de paix avec la Russie, ou du moins être envisageable
en cas de changement de régime.
2.3.5. Droits
de l'accusé
29. Le statut du futur tribunal
devrait contenir une liste des droits de l'accusé à un procès équitable
et à une procédure régulière, conformément aux droits garantis par
la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) et le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les
procès
par contumace devraient être
évités, conformément à la pratique d'autres tribunaux pénaux internationaux,
y compris la CPI
![(56)
Articles
60 et 63 (1) du Statut de la CPI. Pour les procès devant le TPIY,
le TPIR, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les chambres
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens et les chambres
spécialisées au Kosovo, le droit d'un accusé d'être jugé en sa présence
figurait parmi les garanties minimales auxquelles l'accusé avait
droit. Seul le Tribunal spécial pour le Liban autorise explicitement
les procès par contumace.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Ils soulèveraient en effet des questions de droits de l'homme et
de légitimité. Le statut devrait également garantir le principe
non bis in idem, ainsi que le principe
de légalité. En ce qui concerne le principe de légalité, la définition
du crime d'agression devrait tenir compte de l'état du droit international
coutumier (par exemple, conformément à l'article 8
bis du Statut de la CPI), afin d'éviter
toute contestation d'une application rétroactive ou imprévisible
au détriment de l'accusé
![(57)
Voir
également les commentaires du CDPC sur la Recommandation 2231 (2022).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
2.3.6. Complémentarité
avec la CPI et conséquences à long terme pour la justice pénale
internationale
30. Les différentes propositions
concernant le tribunal spécial pour le crime d'agression ont suscité
des inquiétudes quant à la possibilité qu'un tel tribunal entre
en concurrence avec la CPI ou compromette sa légitimité. Il convient
de souligner que la compétence du tribunal spécial serait limitée
au crime d'agression commis contre l'Ukraine et que la compétence
de la CPI à l'égard des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité
et du génocide en Ukraine ne serait en aucune façon affectée. Une
juridiction matérielle étroite aurait des avantages budgétaires
(par rapport aux enquêtes sur les crimes de guerre), mais le financement
du tribunal spécial ne devrait en aucun cas entraîner un détournement
des ressources de la CPI. En outre, les deux tribunaux devraient
négocier un accord de coopération visant des questions telles que
la non-ouverture d’enquêtes concurrentes, l’émission de mandats
d'arrêt, la garde de suspects, la mise en commun des preuves, la
séquence des procès, etc.
![(58)
David
Scheffer, <a href='https://www.justsecurity.org/83757/forging-a-cooperative-relationship-between-intl-crim-court-and-a-special-tribunal-for-russian-aggression-against-ukraine/'>www.justsecurity.org/83757/forging-a-cooperative-relationship-between-intl-crim-court-and-a-special-tribunal-for-russian-aggression-against-ukraine/</a>, 25 octobre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Si le nouveau
tribunal spécial avait son siège à La Haye, cela faciliterait évidemment
cette coordination et cette complémentarité avec la CPI. Une référence
directe au Statut de Rome de la CPI dans son statut aurait le même
effet.
31. Plus important encore, la création d'un tribunal spécial devrait
s’accompagner du renforcement du système de justice pénale internationale
pour l'avenir. Afin de répondre aux problèmes de sélectivité que soulève
un tel tribunal spécial sur l'agression contre l'Ukraine, les États
favorables à cette initiative (y compris l'Ukraine) devraient au
minimum ratifier le Statut de la CPI et les amendements de Kampala
![(59)
Les États membres du Conseil de l’Europe:
Allemagne, Andorre, Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, Espagne, Estonie,
Finlande, Géorgie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein,
Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Pays-Bas, Pologne,
Portugal, République tchèque, Saint-Marin, République slovaque,
Slovénie, Suède et Suisse.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. En outre, ils devraient
redoubler d’efforts pour modifier le régime juridictionnel de la
CPI pour le crime d'agression et le rendre plus universellement
applicable, soit en supprimant ses limitations existantes (article
15
bis du Statut), soit en
introduisant la possibilité générale de renvois de l'Assemblée générale
au procureur de la CPI en cas de blocage du Conseil de sécurité
![(60)
Tom Dannenbaum, «A
Special Tribunal for the Crime of Aggression?», Journal of International Criminal Justice (2022),
p. 11; Shane Darcy, <a href='https://www.justsecurity.org/80686/aggression-by-p5-security-council-members-time-for-icc-referrals-by-the-general-assembly/'>«Aggression
by P5 Security Council Members: Time for ICC Referrals by the General Assembly»
(justsecurity.org)</a>, 16 mars 2022. Certains auteurs ont également indiqué
que de tels renvois seraient déjà possibles grâce à une interprétation
dynamique des pouvoirs de l'Assemblée générale des Nations Unies
dans le cadre de la résolution intitulée «L'Union pour le maintien
de la paix»: <a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA
(2022)</a> 702574_FR.pdf, 9 décembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Ils devraient également être prêts à accepter que le régime de responsabilité
pour le crime d'agression devant la CPI soit plus équitable et universel,
notamment vis-à-vis des membres permanents du Conseil de sécurité
des Nations Unies. Un tel engagement permettrait de répondre aux
préoccupations de sélectivité soulevées à l'encontre du tribunal
spécial pour l'Ukraine et contribuerait à la cohérence globale de
la justice pénale internationale.
32. Les deux options (modification du Statut de la CPI et création
d'un tribunal spécial) devraient être envisagées en parallèle, étant
donné que la modification du Statut de la CPI peut prendre du temps
et être assez complexe
![(61)
Les
amendements proposés requièrent le consensus de l'Assemblée des
États Parties ou une majorité des deux tiers. Un amendement permettant
à l'Assemblée générale des Nations Unies de renvoyer des situations
à la CPI (par exemple, en prévoyant cette possibilité à l'article
13 du Statut de la CPI) nécessiterait également, en principe, la ratification
ou l'acceptation de sept ou huit États parties, conformément à l'article
121(4) du Statut. Il existe également des doutes quant à l'effet
rétroactif des amendements et quant à la date à laquelle la compétence
étendue de la CPI en matière d'agression prendra effet. Voir Shane
Darcy, <a href='https://www.justsecurity.org/80686/aggression-by-p5-security-council-members-time-for-icc-referrals-by-the-general-assembly/'>«Aggression
by P5 Security Council Members: Time for ICC Referrals by the General
Assembly» (justsecurity.org)</a>, 16 mars 2022; Carrie McDougall, <a href='https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/'>«Why
Creating a Special Tribunal for Aggression Against Ukraine is the
Best Available Option: A Reply to Kevin Jon Heller and Other Critics»,
Opinio Juris</a>, 15 mars 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. En attendant l'extension
de la compétence permanente de la CPI au crime d'agression, la création
d'un tribunal spécial chargé de juger le crime d'agression en cours
contre l'Ukraine semble être la meilleure option possible.
3. Obligation
de répondre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et
d’un éventuel génocide
3.1. Allégations
de crimes
3.1.1. Crimes
de guerre et crimes contre l’humanité
33. Depuis le début de la guerre
d’agression, l’Assemblée a exprimé à maintes reprises l’horreur
que lui inspirent les signalements de graves violations du droit
international humanitaire (DIH) commises par la Fédération de Russie
et les troupes russes en Ukraine, notamment: les attaques de cibles
civiles; l’utilisation aveugle de l’artillerie, de missiles et de
bombes dans des zones densément peuplées; les attaques de couloirs humanitaires;
les prises d’otages et les enlèvements; l’utilisation du viol et
de la torture comme armes de guerre; la torture, les mauvais traitements
et les condamnations à mort des prisonniers de guerre; et la déportation
forcée d’Ukrainiens, y compris d’enfants, des territoires temporairement
occupés. Elle a notamment évoqué les atrocités particulières perpétrées
dans des villes et des villages sous le contrôle temporaire des
troupes russes (par exemple Boutcha et les environs de Kiev), les
attaques de missiles visant des villes ukrainiennes (par exemple
le 10 octobre 2022) ou les condamnations à mort prononcées à l’encontre de
trois soldats des forces armées ukrainiennes d’origine étrangère
![(62)
Voir Avis 300 (2022), paragraphe 6; Résolution 2436 (2022), paragraphes 1 à 4, et Rapport paragraphes 5 à 18; Résolution 2446 (2022) «Cas signalés de prisonniers politiques dans la Fédération
de Russie», paragraphes 13 et 14; Résolution 2463 (2022), paragraphes 5 et 6, et Rapport paragraphes 11 à 19.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
34. Lors de la mission réalisée le 28 juin 2022 par notre
sous-commission ad hoc en
Ukraine, nous avons été choqués par ce que nous avons
vu et entendu à Boutcha et Irpine, deux villes qui sont restées
brièvement sous contrôle russe au début de l’invasion massive de
l’Ukraine. La sous-commission a pris note d’indices concrets confirmant
que Boutcha a été le théâtre de meurtres de sang-froid de civils
à grande échelle. À Irpine, nous avons constaté la destruction massive
de bâtiments résidentiels et d’infrastructures civiles. Les dommages
ont été manifestement causés par l’utilisation d’armes lourdes par
les forces russes, ce qui apparaît comme une violation flagrante
du droit international humanitaire
![(63)
<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2022/AS-JUR-2022-27-fr.pdf'>AS/Jur (2022) 27</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
35. Dans son «Mémorandum sur les conséquences de la guerre en
Ukraine en matière de droits humains» publié le 8 juillet 2022,
la
Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a déclaré avoir été confrontée
à des schémas incontestables de violations du droit à la vie, notamment
des exécutions arbitraires et des disparitions forcées; des violations
du droit à la propriété, dont la destruction massive d’infrastructures civiles;
des cas de torture et de mauvais traitements, en particulier de
violence fondée sur le genre et de violence sexuelle en temps de
guerre; et de violations du droit à la liberté et à la sécurité,
dont des enlèvements et des détentions arbitraires ou au secret.
Les schémas identifiables de certains types de violations du DIH,
y compris des attaques généralisées ou systématiques, «pointent
vers une possible qualification de nombre de ces violations en crimes
de guerre et/ou crimes contre l’humanité»
![(64)
<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/the-commissioner-publishes-her-memorandum-on-the-human-rights-consequences-of-the-war-in-ukraine'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/the-commissioner-publishes-her-memorandum-on-the-human-rights-consequences-of-the-war-in-ukraine</a>. La Commissaire évoque notamment le crime de transfert
forcé de population, en référence au transfert des citoyens ukrainiens
vers la Russie ou vers des zones sur le territoire ukrainien non
contrôlées par le gouvernement, par le biais du processus dit de
«filtration».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Plus récemment, la Commissaire
aux droits de l’homme s’est dit particulièrement préoccupée par
les transferts forcés d’enfants ukrainiens vers la Russie et a rappelé
que le transfert forcé de personnes protégées vers le territoire
de la puissance occupante était interdit par la Quatrième Convention
de Genève, de même que le changement du statut personnel des enfants,
y compris la nationalité, par une force d’occupation
![(65)
<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/protecting-and-supporting-children-impacted-by-the-war-in-ukraine-must-be-top-priority'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/protecting-and-supporting-children-impacted-by-the-war-in-ukraine-must-be-top-priority</a>, 18 novembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
36. De nombreux rapports internationaux ont documenté les crimes
de guerre et les crimes contre l’humanité qui semblent avoir été
commis par les forces russes pendant la guerre d’agression en cours.
Par exemple, le deuxième rapport du
mécanisme
de Moscou de l’OSCE «Rapport
sur les violations du droit international humanitaire et des droits
de l’homme, sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis
en Ukraine du 1er avril au 25 juin 2022»,
publié le 14 juillet 2022, a conclu que des attaques aveugles avaient
été lancées contre des populations civiles et des biens de caractère
civil (habitations, hôpitaux, écoles, crèches, centrales nucléaires,
sites du patrimoine culturel, lieux de cultes, etc.) dans de nombreuses
villes et villages; leur ampleur et leur fréquence constituent «des
preuves crédibles que les hostilités ont été menées par les forces
armées russes au mépris de leur obligation première de respecter
les principes essentiels de distinction, de proportionnalité et
de précaution qui constituent le fondement du droit international humanitaire».
Les événements survenus dans les villes de Boutcha (exécutions sommaires
de civils présentant des marques de torture
![(66)
Après le retrait des
forces armées russes, des rapports, des photos et des vidéos d’une
vingtaine de corps de personnes portant des vêtements civils et
gisant dans une rue de Boutcha ont commencé à circuler dans les
médias. Plus de 350 corps civils auraient ainsi été découverts à
Boutcha après le départ des troupes russes. Des salles de torture
ont également été découvertes dans un camp d’été de Boutcha; dans
l’une d’elles, les corps de cinq hommes habillés en civil ont été
découverts. Selon la BBC, plus de 1 000 civils auraient été tués
à Boutcha et dans ses environs, dont plus de 650 auraient été abattus
par les forces armées russes.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
) et d’Irpine ont
été considérés comme des exemples emblématiques de violations graves
du DIH au titre des Conventions de Genève, qui constituent des crimes
de guerre. En ce qui concerne les prisonniers de guerre, le rapport
mentionne le cas de trois membres des forces armées ukrainiennes –
deux Britanniques et un Marocain – qui ont été considérés comme
des mercenaires et condamnés à mort à l’issue d’une parodie de procès
par la Cour suprême de la soi-disant République populaire de Donetsk.
Ces soldats auraient dû bénéficier du statut de prisonnier de guerre
en vertu de la troisième Convention de Genève et ne pas être condamnés
pour le simple fait d’avoir participé au conflit. D’autres signalements
de violations du DIH portaient sur le traitement des détenus (processus
de «filtration» des civils
![(67)
Les
centres de «filtration» servent à trier les individus qui cherchent
à quitter les villes assiégées ou d’autres zones dangereuses. Selon
les témoignages, le processus de «filtration» implique des interrogatoires
musclés et des fouilles corporelles humiliantes. Ceux qui passent
le test de «filtration» sont généralement envoyés, avec ou sans
leur consentement, sur le territoire russe. Les autres sont souvent
transférés dans les régions de Donetsk et de Lougansk, et on ignore
généralement où ils se trouvent. Pour une analyse juridique des
camps de «filtration» en vertu du droit international humanitaire,
voir aussi Natia Kalandarishvili-Mueller, <a href='https://www.ejiltalk.org/civilians-are-protected-under-gc-iv-1949-the-illegality-of-russian-filtration-camps-under-ihl/'>www.ejiltalk.org/civilians-are-protected-under-gc-iv-1949-the-illegality-of-russian-filtration-camps-under-ihl/</a>, 30 novembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, torture), l’administration
du territoire occupé («passeportisation»), les disparitions forcées
(y compris le transfert d’enfants vers la Russie pour adoption),
le respect de la propriété privée (pillage), les déportations ou
le transfert forcé de civils vers le territoire de la puissance
occupante
![(68)
Le nombre
de civils ukrainiens déportés en Russie varie selon les sources
d’information. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) a estimé que 1 136 243 citoyens ukrainiens avaient franchi
la frontière russe au 9 juin 2022. Selon le commissaire aux droits
de l’homme du Parlement ukrainien, au 14 juin 2022, la Russie avait
déporté 1 700 000 Ukrainiens, dont 276 000 enfants.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
,
la conscription de ressortissants ukrainiens (y compris les Criméens),
le blocage de l’aide humanitaire, l’utilisation de non-combattants
comme boucliers humains et l’usage d’armes à sous-munitions et d’autre
nature dans les zones habitées. Beaucoup de ces violations du DIH
pourraient constituer des crimes de guerre au sens du Statut de
la CPI et donner lieu à une responsabilité pénale individuelle
![(69)
Le rapport donne plusieurs
exemples, comme le fait de diriger intentionnellement des attaques
contre des biens culturels (article 8(2)(b)(ix)), des attaques contre
des hôpitaux et des centres médicaux (article 8(2)(b)(ii)(ix) et
(xxiv)), des exécutions extrajudiciaires de personnes protégées
(article 8(2)(a)(i)), des actes de torture (article 8(2)(a)(ii))
ou de pillage (article 8(2)(b)(xvi)).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. La mission
a également conclu que certains types d’actes violents contraires
au droit international des droits de l’homme, tels que les exécutions
ciblées, les disparitions forcées ou les enlèvements de civils,
étaient susceptibles d’être assimilés à une «attaque généralisée
ou systématique lancée contre une population civile», et que tout
acte violent unique de ce type, commis dans le cadre d’une telle
attaque et en connaissance de celle-ci, constituait un crime contre
l’humanité
![(70)
Voir
l’article 7 du Statut de la CPI.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
37. La
Commission d’enquête internationale
indépendante sur l’Ukraine, mise en place par le Conseil des
droits de l’homme des Nations Unies, a également conclu que des
crimes de guerre, des violations des droits de l’homme et du DIH
avaient été commis en Ukraine, principalement par les forces armées
russes. Dans son rapport consacré aux événements survenus fin février
et en mars 2022 dans les quatre régions de Kiev, Tchernihiv, Kharkiv
et Soumy, publié le 18 octobre 2022, la Commission a recensé les
violations suivantes: attaques aveugles menées au moyen d’engins
explosifs (armes à sous-munitions, roquettes non guidées et frappes
aériennes) dans des zones peuplées; attaques contre des civils qui
tentaient de fuir; cas répétés d’exécutions sommaires, de détentions
illégales, d’actes de torture, de mauvais traitements, de viols et
d’autres violences sexuelles dans les zones provisoirement occupées
par les forces armées russes; transferts forcés et déportations
vers la Russie; ainsi que des violations des droits des enfants
![(71)
<a href='https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/637/75/PDF/N2263775.pdf?OpenElement'>https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/637/75/PDF/N2263775.pdf?OpenElement</a>. La Commission présentera son rapport final, qui abordera
d’autres régions et événements, en mars 2023.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
La Commission a également recueilli des informations sur deux cas
dans lesquels les forces armées ukrainiennes auraient blessé par
balles et torturé des soldats russes capturés, ce qui pourrait constituer
un crime de guerre
![(72)
Le
Bureau du procureur général d’Ukraine a informé la Commission que
son bureau avait ouvert une procédure pénale dans les deux cas.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
38. Le
Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de l’homme (HCDH) a récemment publié
un rapport qui décrit en détail la façon dont les troupes russes
ont tué des civils dans les villes et villages ukrainiens des régions
de Kiev, Tchernihiv et Soumy entre le 24 février et le 6 avril 2022.
À Boutcha, le HCDH, par l’intermédiaire de la mission de surveillance
des droits de l’homme en Ukraine, a confirmé le meurtre de 73 civils
et est en train de corroborer 105 autres meurtres allégués. Au total,
la mission a enregistré la mort violente de 441 civils dans les
trois régions au cours des seules six premières semaines de l’invasion
russe. Les meurtres se répartissent en deux catégories: les exécutions
sommaires, en détention ou sur place, et les attaques meurtrières
contre des civils pendant leur déplacement à pied, à vélo ou en
voiture. Le rapport révèle également que les hommes et les garçons
sont très majoritairement visés, puisqu’ils représentent 88 % de l’ensemble
des victimes d’exécutions sommaires. Selon le rapport, «les circonstances
des exécutions sommaires donnent de fortes raisons de penser que
ces meurtres peuvent être assimilés au crime de guerre d’homicide
intentionnel, une infraction grave aux Conventions de Genève»
![(73)
<a href='https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2022/12/un-report-details-summary-executions-civilians-russian-troops-northern'>www.ohchr.org/fr/press-releases/2022/12/un-report-details-summary-executions-civilians-russian-troops-northern</a>, 7 décembre 2022. Le rapport et son annexe décrivent
de façon détaillée une centaine de meurtres, autant d’exemples qui illustrent
les souffrances endurées par les civils dans ces régions.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Dans son dernier compte rendu sur la situation en Ukraine (1er août-30 octobre
2022), la mission de surveillance des Nations Unies a également
signalé des attaques de plus en plus fréquentes contre des infrastructures
énergétiques et hydrauliques, qui entraînent d’importantes pénuries
d’électricité et d’eau dans tout le pays; la destruction d’objets
à caractère éducatif et médical; des meurtres de civils (par exemple,
447 corps ont été exhumés près d’Izium), des cas de violence sexuelle
liée au conflit (86 cas documentés depuis le 24 février), des transferts forcés
d’enfants vers la Russie ou les territoires occupés par la Russie,
le «processus de filtration» de personnes; des actes de torture
et des mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre; des
détentions arbitraires et des disparitions forcées de civils; ainsi
que l’application du droit russe et l’octroi de la citoyenneté russe
aux citoyens ukrainiens dans les quatre régions prétendument annexées.
La grande majorité de ces violations du droit international humanitaire
et du droit international des droits de l’homme peuvent être attribuées
aux forces armées russes et aux groupes armés affiliés. La mission
de surveillance des droits de l’homme en Ukraine a également signalé
certaines violations graves commises par les forces armées ukrainiennes,
telles que des actes de torture ou des mauvais traitements, mais
à une échelle bien moindre
![(74)
<a href='https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/hrmmu-update-human-rights-situation-ukraine-1-august-31-october-2022'>www.ohchr.org/en/documents/country-reports/hrmmu-update-human-rights-situation-ukraine-1-august-31-october-2022</a>, 2 décembre 2022. En ce qui concerne les prisonniers
de guerre, lire: <a href='https://www.ohchr.org/fr/press-briefing-notes/2022/11/ukraine-russia-prisoners-war'>www.ohchr.org/fr/press-briefing-notes/2022/11/ukraine-russia-prisoners-war</a>, 15 novembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
40. Enfin, il convient de rappeler que tous les prisonniers de
guerre ont le droit de recevoir des visites régulières de délégués
du Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) en vertu de la troisième Convention de Genève.
Ces visites permettent généralement aux délégués du CICR de vérifier
les conditions de détention des prisonniers et le traitement auquel
ils sont soumis, de donner des nouvelles à leurs familles et de
leur fournir des objets personnels tels que des couvertures, des
vêtements chauds, des produits d’hygiène ou des livres. Les autorités
russes ont récemment autorisé certaines visites, ce qui constitue
un progrès important, mais le CICR doit pouvoir accéder librement
à tous les prisonniers de guerre, de manière répétée et en privé,
quel que soit leur lieu de détention. Ne pas autoriser ces visites
à tous les prisonniers constitue une violation du DIH.
41. Je tiens à rendre hommage au courage et à l’engagement de
tous les acteurs nationaux et internationaux, qu’il s’agisse d’organisations
gouvernementales, intergouvernementales ou non gouvernementales,
qui contribuent à évaluer et à consigner les atrocités ou qui s’efforcent
d’apporter une aide humanitaire aux populations touchées dans des
circonstances aussi difficiles.
3.1.2. Génocide
42. Des allégations selon lesquelles
la Russie commettrait un génocide en Ukraine ont également été formulées,
principalement par des dirigeants politiques et des parlements nationaux
![(76)
Notamment le Président
Zelensky et le Président Biden. Voir <a href='https://www.justsecurity.org/81564/compilation-of-countries-statements-calling-russian-actions-in-ukraine-genocide/'>www.justsecurity.org/81564/compilation-of-countries-statements-calling-russian-actions-in-ukraine-genocide/</a>, 20 mai 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Si certaines déclarations
semblent utiliser ce terme de façon rhétorique ou dans un sens plus
politique, d’autres semblent se fonder sur la définition juridique
du génocide en droit international. Par exemple, un rapport de l’Institut
New Lines et le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de l’homme
publié en mai 2022 estime qu’il existe des motifs raisonnables de
conclure que la Russie est responsable (a) d’une incitation directe
et publique à commettre un génocide en violation de l’article III (c)
de la Convention sur le génocide de 1948; et (b) d’un ensemble d’atrocités
dont on peut déduire l’intention de détruire en partie le groupe
national ukrainien, en violation de l’article II de la Convention
sur le génocide
![(77)
L’article II
énonce une liste d’acte génocidaires possibles: le meurtre de membres
du groupe; l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de
membres du groupe; la soumission intentionnelle du groupe à des
conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle; les mesures visant à entraver les naissances
au sein du groupe; et le transfert forcé d’enfants du groupe à un
autre groupe. Cette liste est reprise à l’article 6 du Statut de la
CPI, mais les éléments constitutifs des crimes de la CPI exigent
en outre que le comportement s’inscrive dans le cadre «d’une série
manifeste de comportements analogues dirigés contre ce groupe» ou
qu’il puisse en lui-même entraîner la destruction.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Ce rapport établit l’existence d’un risque sérieux de génocide,
qui déclenche l’obligation juridique faite à tous les États de prévenir
le génocide, en vertu de l’article I de la Convention sur le génocide
![(78)
<a href='https://newlinesinstitute.org/wp-content/uploads/French-Final-Reportt-1.pdf'>https://newlinesinstitute.org/wp-content/uploads/French-Final-Reportt-1.pdf</a>, mai 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
43. En ce qui concerne l’accusation d’incitation au génocide,
le rapport susmentionné s’appuie sur la propagande officielle russe
qui nie l’existence d’un groupe national ukrainien, la campagne
de «dénazification»
![(79)
Par
exemple, le 3 avril 2022, Timofeï Sergeïtsev a publié un éditorial
intitulé «Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine» sur le site
de l’agence de presse officielle russe RIA Novosti, dans lequel
il qualifie les Ukrainiens de «société nazie», affirme que les élites
ukrainiennes «doivent être liquidées car la rééducation est impossible»
et que «la dénazification passera inévitablement par la déukrainisation».
Un autre exemple cité est un message posté sur Telegram par Dmitri
Medvedev le 5 avril: «[…] Il n’est pas étonnant que, s’étant transformée
en Troisième Reich, et ayant inscrit dans ses manuels d’histoire
les noms de traîtres et de sbires nazis, l’Ukraine connaisse le
même sort. Ce genre d’Ukraine n’a que ce qu’elle mérite […]».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
,
la constitution d’une menace existentielle que représente l’Ukraine
pour la Russie et le conditionnement de la population russe en faveur
de la commission ou de l’acceptation des atrocités
![(80)
Le rapport donne l’exemple
d’un titre honorifique décerné à la 64e brigade de fusiliers à moteur,
soupçonnée d’avoir perpétré des massacres à Boutcha.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Les personnes qui diffusent les messages d’incitation relèveraient
de la responsabilité de l’État, puisqu’elles appartiennent toutes
à un organe de l’État
de jure ou
de facto, qu’il s’agisse du chef
de l’État, de hauts responsables de la Douma ou d’organes médiatiques
appartenant au Kremlin ou agissant sous son contrôle.
44. Le rapport poursuit en affirmant que l’intention génocidaire
(«intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel»
![(81)
Article II de la Convention
sur le génocide. Selon la jurisprudence de la CIJ, la destruction
doit s’entendre au sens physique ou biologique.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
),
la
mens rea qui distingue
le génocide des autres crimes internationaux, peut être attribuée
à un État par la preuve de l’existence d’un plan général ou peut
être déduite d’un schéma systématique d’atrocités visant le groupe
protégé. Les cinq actes génocidaires visés à l’article II peuvent
également indiquer une intention génocidaire lorsqu’ils sont considérés
dans leur ensemble. Le rapport fournit de nombreux exemples d’atrocités
commises par les forces armées russes contre des civils, qui pourraient
être qualifiées d’actes génocidaires en violation de l’article II
(par exemple, massacres, infliction délibérée de conditions d’existence
mettant en danger la vie, transfert forcé d’enfants, viols et violences
sexuelles
![(82)
Le rapport
cite l’exemple de soldats russes qui ont dit à des femmes et des
jeunes filles détenues dans un sous-sol pendant 25 jours qu’«ils
les violeraient de sorte qu’elles ne voudraient plus avoir de contacts
sexuels avec aucun homme, pour les empêcher d’avoir des enfants
ukrainiens».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
). Selon le rapport, l’intention
génocidaire peut être déduite d’un schéma d’atrocités visant les
Ukrainiens
![(83)
Dans
le même ordre d’idée, Genocide Watch a émis en août 2022 une alerte
au génocide pour l’Ukraine en dénonçant les massacres intentionnels
de civils ukrainiens par la Russie, les déportations forcées, la
torture, la violence sexuelle et les discours de haine visant à
promouvoir, justifier et nier le génocide: <a href='https://www.genocidewatch.com/_files/ugd/b3be20_eea90f3cb7fd4c6ca73c59f7d2d89eb1.pdf'>www.genocidewatch.com/_files/ugd/b3be20_eea90f3cb7fd4c6ca73c59f7d2d89eb1.pdf</a>. Voir aussi la <a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-09-15_FR.html'>résolution
du Parlement Européen</a> du 15 septembre 2022, relative au déplacement et la
déportation forcés d’enfants ukrainiens, et à leur adoption forcée
par des familles russes.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
45. Cette analyse a été critiquée par certains auteurs qui estiment
qu’elle ne reflète pas pleinement la jurisprudence de la Cour internationale
de justice (CIJ) sur la qualification de génocide
![(84)
Voir William A. Schabas,
«Genocide and Ukraine: Do Words Mean What We Choose them to Mean», Journal of International Criminal Justice (2022),
pour qui il semble difficile de conclure que l’intention de détruire
physiquement le peuple ukrainien soit la seule explication raisonnable
des activités et du comportement militaires de la Russie, comme l’exige
la jurisprudence de la CIJ (Application de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Serbie), arrêt du 3 février 2015, paragraphes 143
à 148).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Il appartiendra évidemment aux tribunaux
internationaux et autres juridictions compétentes de se prononcer
sur la responsabilité de la Fédération de Russie en vertu de la
Convention sur le génocide (au cas où l’Ukraine ou d’autres États
engageraient une nouvelle procédure contre la Russie devant la CIJ
en vertu de la Convention) et/ou sur l’éventuelle responsabilité
pénale des responsables russes pour un tel crime dans chaque affaire (étant
donné la compétence actuelle de la CPI à l’égard de la situation
ukrainienne). Mais il semble de plus en plus évident que la rhétorique
russe
![(85)
Voir une
série de déclarations accessibles au public: <a href='https://www.justsecurity.org/81789/russias-eliminationist-rhetoric-against-ukraine-a-collection/'>www.justsecurity.org/81789/russias-eliminationist-rhetoric-against-ukraine-a-collection</a>, 1er novembre 2022. Voir
aussi Douglas Irvin-Erickson, <a href='http://opiniojuris.org/2022/04/21/is-russia-committing-genocide-in-ukraine/'>http://opiniojuris.org/2022/04/21/is-russia-committing-genocide-in-ukraine</a>, 21 avril 2022. Selon un document récent du Centre régional
pour les droits de l’homme, une ONG ukrainienne, les déclarations
publiques des dirigeants politiques et des médias pro-gouvernement confirment
l’existence d’une politique d’État ou d’un plan de la Fédération
de Russie visant à exterminer les Ukrainiens en tant que groupe
national. Le rapport dénonce également le recours à la propagande
religieuse (par exemple, par l’Église orthodoxe russe) comme outil
d’incitation au génocide contre la nation ukrainienne, et instrument
de sa justification.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
utilisée pour justifier
l’invasion à grande échelle de l’Ukraine contient des éléments caractéristiques
de l’incitation publique à commettre un génocide. En outre, certaines
des atrocités commises de manière répétée par les forces russes
dans différentes régions d’Ukraine peuvent éventuellement indiquer
une intention de détruire le groupe national ukrainien, au moins
en partie
![(86)
Cette
«partie» du groupe peut notamment désigner les dirigeants politiques
et communautaires du groupe, tels que les responsables des autorités
locales. Pour aller dans ce sens, lors de la visite de notre sous-commission
à Boutcha, nous avons entendu parler de soldats russes qui passaient
de maison en maison à la recherche de personnes inscrites sur une
liste – des membres de la famille d’officiers, des fonctionnaires
locaux et d’autres dirigeants de la localité – qui ont ensuite «disparu»
ou dont les corps ont été retrouvés ultérieurement.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Il convient également de noter que l’article III (d) de la Convention
sur le génocide interdit la
tentative de
génocide, qu’elle considère comme un acte autonome qui doit être
puni. Si les parlements et les gouvernements des États parties à
la Convention sur le génocide établissent l’existence d’un risque
sérieux qu’un génocide soit commis, actuellement ou dans le futur,
cela devrait activer l’obligation conventionnelle faite à ces États
de «mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur
disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide»,
conformément à l’article I de la Convention
![(87)
CIJ, Application de
la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt du 26 février 2007, paragraphes 430 et 431. Selon la CIJ,
«l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le corollaire
prennent naissance, pour un État, au moment où celui-ci a connaissance,
ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque
sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant, l’État est
tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif
à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou
dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention
spécifique (dolus specialis), de mettre en
œuvre ces moyens, selon les circonstances».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Ce devoir de prévention devrait au moins impliquer la prise de mesures
individuelles et collectives pour amener les forces russes qui ont
commis des atrocités à répondre de leurs actes et dissuader ainsi
la commission de nouveaux crimes, par exemple en engageant des poursuites
au niveau national ou en soutenant la compétence de la CPI.
3.2. Les mécanismes de responsabilité existants
et la nécessité d’une coordination efficace
46. Le 2 mars 2022, le
procureur de la CPI, M. Karim Khan,
a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la situation en Ukraine,
sur la base de renvois effectués par 39 États parties au Statut
de la CPI (dont 34 États membres du Conseil de l’Europe)
![(88)
Ce nombre est ensuite
passé à 43 États parties.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. L’enquête englobe
toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre,
de crimes contre l’humanité ou de génocide commis par toute partie
au conflit sur quelque partie du territoire ukrainien que ce soit
à partir du 21 novembre 2013
![(89)
Compétence
donnée sur la base de deux déclarations faites par l’Ukraine en
2014 et 2015 au titre de l’article 12, paragraphe 3, du Statut de
la CPI, qui permet à un État qui n’est pas partie au Statut d’accepter
l’exercice de la compétence de la CPI à l’égard de crimes qui auraient
été commis sur son territoire.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Le procureur
de la CPI s’est rendu à trois reprises en Ukraine et a déployé une
équipe d’enquête sur le terrain
![(90)
<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/le-procureur-de-la-cpi-m-karim-aa-khan-qc-annonce-le-deploiement-en-ukraine-dune-equipe'>www.icc-cpi.int/fr/news/le-procureur-de-la-cpi-m-karim-aa-khan-qc-annonce-le-deploiement-en-ukraine-dune-equipe</a>. La mission était composée de 42 enquêteurs, experts
en criminalistique et autre personnel d’appui.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Il a également prévu d’ouvrir un bureau sur le terrain à Kiev en
2023. Il a envoyé plusieurs communications à la Fédération de Russie,
mais n’a reçu aucune réponse.
47. M. Jonathan Agar, assistant spécial du procureur de la CPI,
qui a participé à une audition devant notre commission, a expliqué
que, dans son discours prononcé devant le Conseil de sécurité des
Nations Unies le 22 septembre 2022, le procureur de la CPI avait
indiqué que les allégations de déportations et de transfert de civils
ukrainiens, y compris d’enfants, vers la Russie, étaient l’une des
priorités de son enquête. Sur le plan de la coopération avec d’autres
acteurs habilités à demander des comptes, M. Agar a souligné «l’excellente coopération»
et «les relations solides» avec le procureur général ukrainien,
la participation du procureur de la CPI à l’équipe commune d’enquête
mise en place par plusieurs pays sous les auspices d’Eurojust
![(91)
<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/statement-icc-prosecutor-karim-aa-khan-qc-office-prosecutor-joins-national-authorities-joint'>www.icc-cpi.int/fr/news/statement-icc-prosecutor-karim-aa-khan-qc-office-prosecutor-joins-national-authorities-joint</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, ainsi que la collaboration avec
les ONG
![(92)
<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/eurojust-et-le-procureur-de-la-cpi-publient-des-lignes-directrices-concretes-pour-aider'>www.icc-cpi.int/fr/news/eurojust-et-le-procureur-de-la-cpi-publient-des-lignes-directrices-concretes-pour-aider</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. A cet égard, il convient de noter
que la législation ukrainienne a été modifiée en 2022 pour faciliter
le travail du procureur de la CPI sur le terrain (l’audition des
victimes, par exemple). Bien que les États parties au Statut de
la CPI et l’Union européenne aient apporté leur aide par le biais
d’agents nationaux détachés et de contributions financières volontaires
![(93)
Les contributions volontaires
à la CPI ne peuvent être affectées à une situation spécifique et
le procureur de la CPI a rappelé à plusieurs reprises que ces ressources
supplémentaires viendraient soutenir le travail de son bureau dans
toutes les situations.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, les contributions volontaires
ne peuvent se substituer à un financement régulier et durable de
la CPI, qui doit faire face à une charge de travail sans précédent.
L’Assemblée des États parties au Statut de la CPI a récemment approuvé
une augmentation limitée du budget ordinaire de la CPI pour 2023
![(94)
<a href='https://www.justiceinfo.net/fr/109740-2023-relance-budget-cpi.html'>www.justiceinfo.net/fr/109740-2023-relance-budget-cpi.html</a>, 2 décembre 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
48. Nous ne devons pas oublier que la compétence de la CPI est
complémentaire de celle des États, ce qui signifie qu’elle n’engage
des poursuites que lorsque les États n’ont pas la volonté ou ne
sont pas dans la capacité d’enquêter ou de mener des poursuites
eux-mêmes
![(95)
Articles 1
et 17 du Statut de la CPI. Voir aussi le préambule du Statut de
la CPI («il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction
criminelle les responsables de crimes internationaux»).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
À cet égard, tant la Russie que l’Ukraine, en tant que parties aux
Conventions de Genève et au Protocole additionnel I, ont l’obligation
d’enquêter de manière effective sur les allégations de crimes de
guerre
![(96)
Voir, par
exemple, l’article 129 de la Troisième Convention de Genève et l’article 146
de la Quatrième Convention de Genève. L’obligation d’enquêter sur
les crimes de guerre et de poursuivre les suspects constitue également
une norme de droit international coutumier (<a href='https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule158'>https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule158</a>).](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Cela s’applique aussi aux soldats
et aux commandants de chaque partie.
49. Le Code pénal ukrainien érige
en infraction pénale la violation des lois et des usages de la guerre (article 438),
y compris l’utilisation de méthodes de guerre interdites par les
instruments internationaux, ou toute autre violation des règles
de la guerre reconnues par les instruments internationaux dont le
Parlement ukrainien a admis la force obligatoire, et le fait de
donner l’ordre de commettre de tels actes. Il criminalise également
le génocide (article 442) en tant qu’acte commis dans l’intention
de détruire, totalement ou partiellement, tout groupe national,
ethnique, racial ou religieux en exterminant ses membres ou en portant
de graves atteintes à leur intégrité physique, en soumettant le
groupe à des conditions de vie visant à sa destruction physique
totale ou partielle, en prenant des mesures destinées à empêcher
les naissances ou en transférant de force des enfants du groupe
à un autre groupe. Ces dispositions permettent à l’Ukraine de poursuivre
une personne pour des crimes qui peuvent être qualifiés de crimes
de guerre et de génocide en vertu du droit international. Toutefois,
comme le Code pénal ne prévoit pas le crime contre l’humanité, le Bureau du procureur général n’est
pas compétent pour connaître de ce crime. Mme Tamar
Tomashvili (professeure associée de droit à l’Université libre de
Tbilissi) nous a expliqué que les autorités ukrainiennes pourraient
confier à la CPI l’enquête sur des crimes assimilables à des crimes
contre l’humanité au regard du droit international (par exemple,
les déportations forcées) pour défaut de compétence en droit national.
50. Au 4 janvier 2023, le Bureau du procureur général avait enregistré
60 734 cas de violations des lois et usages de la guerre
![(97)
<a href='https://www.gp.gov.ua/'>www.gp.gov.ua</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Au 21 novembre 2022, 217 suspects
avaient été avisés, 61 personnes mises en examen et 12 personnes
déjà condamnées
![(98)
<a href='https://rm.coe.int/taras-semkiv-presentation/1680a93ca9'>https://rm.coe.int/taras-semkiv-presentation/1680a93ca9</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Au cours de son audition devant
notre commission, Mme Tomashvili nous
a indiqué que la politique délibérée de déportation forcée d’enfants
ukrainiens et la mise en place de processus d’adoption en Russie
pouvaient aussi faire l’objet d’une enquête pour génocide (transfert
forcé d’enfants d’un groupe à un autre)
![(99)
Voir aussi <a href='https://www.rferl.org/a/ukraine-russian-genocide-children-deportation-venediktova/31881902.html'>www.rferl.org/a/ukraine-russian-genocide-children-deportation-venediktova/31881902.html</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. En outre, elle a souligné les nombreuses
difficultés auxquelles les enquêtes nationales en Ukraine pourraient
être confrontées, notamment le besoin d’une expertise spécifique,
compte tenu de la nature des crimes; la politique de hiérarchisation
des affaires; le renforcement des capacités de toutes les parties
prenantes, y compris les juges et les avocats de la défense; la
conception d’outils informatiques; les difficultés d’accès aux éléments
de preuve dans les zones de guerre ou les territoires sous occupation
temporaire; l’accès aux informations des services de renseignement
de l’Ukraine et des partenaires alliés et leur utilisation dans
les procédures pénales pour étayer les accusations de responsabilité
de commandement.
51. Par ailleurs, nous avons été informés du fait que la procédure
d’instruction et le procès des soldats et des représentants de l’État
russes pouvaient avoir lieu par contumace. Lors de ma rencontre
en octobre 2022 avec le procureur général, M. Kostin, nous avons
discuté de la question de savoir si ces pratiques pouvaient précisément
entraver l’entraide judiciaire et les demandes d’extradition adressées
par l’Ukraine à des pays tiers. Il est de la plus haute importance
que les poursuites et les procès menés en Ukraine respectent les principaux
aspects du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme, y compris les principes
établis par la Cour européenne des droits de l’homme relatifs aux
procès par contumace. Dans le cadre de son projet «Système de justice
pénale conforme aux droits de l’homme en Ukraine», le Conseil de
l’Europe a apporté son expertise aux autorités ukrainiennes dans
ce domaine
![(100)
<a href='https://rm.coe.int/coe-ua-info-note-public-outreach-re-war-crimes-proceedings-final/1680a72dcf'>https://rm.coe.int/coe-ua-info-note-public-outreach-re-war-crimes-proceedings-final/1680a72dcf</a>; <a href='https://rm.coe.int/coe-ua-info-note-in-absentia-trial-re-war-crimes-proceedings/1680a83583'>https://rm.coe.int/coe-ua-info-note-in-absentia-trial-re-war-crimes-proceedings/1680a83583</a>. Plus généralement, la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a souligné la nécessité de respecter les
normes internationales consacrées par le droit international des
droits de l’homme et le DIH (voir <a href='https://rm.coe.int/memorandum-on-the-human-rights-consequences-of-the-war-in-ukraine/1680a72bd4'>https://rm.coe.int/memorandum-on-the-human-rights-consequences-of-the-war-in-ukraine/1680a72bd4</a>). Voir aussi le rapport du mécanisme de Moscou de l’OSCE: <a href='https://www.osce.org/files/f/documents/3/e/522616.pdf'>www.osce.org/files/f/documents/3/e/522616.pdf</a>, p. 74 à 76, qui évoque les premières condamnations
de soldats russes pour violations des lois et usages de la guerre.
La question de la dérogation applicable à l’Ukraine en vertu de
l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme sur
la base de la loi martiale, et de ses effets possibles sur l’article 6
est un sujet qui sera traité dans un autre rapport.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
52. Au cours de la visite de la sous-commission à Kiev, nous avons
constaté que les victimes avaient des difficultés à signaler les
cas de viols et d’autres formes de violence sexuelle. Selon les
informations reçues, une trentaine de procédures étaient en cours
à ce moment-là
![(101)
L’ancien
procureur général avait fait état de 30 cas lors de notre visite
en juin 2022. En octobre 2022, Mme Tomashvili en
a mentionné plus de 30.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Une unité chargée de
la violence sexuelle liée aux conflits a récemment été créée au
sein du Bureau du procureur général et une stratégie axée sur les victimes
a été élaborée. La question se pose du soutien international accordé
aux autorités ukrainiennes sur cette question importante, en particulier
de la part des États membres qui peuvent mettre leur expertise à disposition
dans ce domaine et de la part du Conseil de l’Europe
![(102)
Par exemple, le Conseil
de l’Europe a organisé un webinaire sur les violences sexuelles
liées aux conflits pour les juges et procureurs ukrainiens le 30 novembre
2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
53. Une autre question préoccupante est celle de savoir dans quelle
mesure les autorités ukrainiennes enquêtent sur les éventuels crimes
de guerre commis par des combattants ukrainiens. L’ancien procureur général
a assuré les membres de la sous-commission que des enquêtes étaient
en cours et qu’un département spécial s’occupait de ces crimes.
M. Kostin a déclaré que les crimes commis par les forces ukrainiennes relevaient
de la compétence des procureurs militaires. À l’heure actuelle,
il ne semble pas y avoir d’informations officielles sur le volume
des enquêtes – qu’elles soient en cours ou terminées – fondées sur
des accusations portées contre des combattants ukrainiens pour des
violations du DIH depuis le 24 février 2022. Il est important que
les deux parties au conflit étendent leurs enquêtes aux suspects
de leur propre camp.
54. En ce qui concerne la Russie, son Code pénal punit également
les crimes de guerre (article 356) et précise que les membres des
unités militaires russes sont pénalement responsables de leurs crimes
commis sur le territoire d’États étrangers (article 12(2)). Cependant,
malgré le nombre croissant d’allégations de crimes de guerre contre
les troupes russes, il n’existe aucune information indiquant que
les autorités russes ont mené des enquêtes ou engagé des poursuites
sur ce terrain.
55. Il existe d’autres enquêtes et investigations en dehors de
celles menées par le procureur de la CPI et le procureur général
d’Ukraine. Dès la fin du mois de mars 2022, une
équipe commune d’enquête (ECE)
a été mise en place par la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine sous
les auspices d’Eurojust dans le but d’échanger des preuves et des
informations en lien avec les enquêtes en cours sur les principaux
crimes internationaux qui auraient été commis en Ukraine. Elle permet
également aux enquêteurs d’opérer dans les pays partenaires, avec
le consentement de l’État concerné. Le procureur de la CPI a rejoint
l’ECE
![(103)
<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/statement-icc-prosecutor-karim-aa-khan-qc-office-prosecutor-joins-national-authorities-joint'>Statement
by ICC Prosecutor, Karim A.A. Khan QC: «Office of the Prosecutor
joins national authorities in Joint Investigation Team on international
crimes committed in Ukraine», International Criminal Court (icc-cpi.int)</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, de même que l’Estonie, la Lettonie,
la République slovaque et la Roumanie
![(104)
<a href='https://www.eurojust.europa.eu/news/romania-becomes-seventh-member-joint-investigation-team-alleged-core-international-crimes'>«Romania
becomes seventh member of joint investigation team on alleged core
international crimes committed in Ukraine», Eurojust, European Union
Agency for Criminal Justice Cooperation (europa.eu)</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. À ce propos, le règlement d’Eurojust
a été modifié pour envisager la création d’une base de données consacrée
à la conservation des preuves des principaux crimes de droit international
et pour donner à Eurojust un nouveau mandat d’analyse de ces preuves,
l’objectif étant d’établir des liens, de repérer les lacunes des
enquêtes et de conseiller les procureurs
![(105)
<a href='https://www.eurojust.europa.eu/about-us/organisation/eurojust-legal-framework'>Eurojust
legal framework | Eurojust | European Union Agency for Criminal
Justice Cooperation (europa.eu)</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Dans le même temps,
plusieurs pays tiers ont ouvert
des enquêtes sur des crimes commis sur le territoire ukrainien en
vertu du principe de compétence universelle ou des principes de
personnalité active ou passive
![(106)
Parmi ces pays figurent
la Lituanie, l’Allemagne, la Pologne, l’Espagne, la Suède et la
République tchèque. Voir le rapport du mécanisme de Moscou de l’OSCE,
p. 113.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Selon Mme Tomashvili,
18 États ont ouvert des enquêtes nationales. De son point de vue,
les membres de l’ECE et les États tiers devraient recueillir des
preuves auprès des réfugiés ukrainiens qui, en leur qualité de victimes ou
de témoins potentiels de ces crimes, pourraient aider l’Ukraine
dans ses enquêtes de terrain. Une coordination internationale est
indispensable pour éviter que les preuves ou les témoignages recueillis
dans un pays soient omis dans une procédure engagée dans un autre
pays, soit par ignorance, soit en raison de procédures d’entraide
judiciaire longues et complexes.
56. Enfin, il convient de mentionner le rôle de la Commission d’enquête internationale indépendante
sur l’Ukraine, créée par le Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies le 4 mars 2022. Son vaste mandat recouvre les
enquêtes sur toutes les allégations de violations et d’abus des
droits de l’homme et de violations du DIH, ainsi que sur les crimes
connexes, commis dans le contexte de l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine. Cette commission peut identifier, dans
la mesure du possible, les individus et les entités responsables
de ces abus et violations, dans la perspective de toute procédure
judiciaire future. Elle présentera un rapport écrit complet en mars
2023. Elle a déjà recueilli des preuves concernant plusieurs crimes et
a annoncé qu’elle ferait des recommandations concernant les formes
de responsabilité qui complètent la responsabilité pénale, notamment
des mesures telles que la réparation.
57. Compte tenu du nombre important d’acteurs habilités à demander
des comptes qui sont impliqués en Ukraine, il existe un besoin évident
de coordination pour améliorer l’efficacité et éviter les doublons.
Les dernières informations concernant l’ECE et la coopération entre
le procureur de la CPI et le procureur général d’Ukraine semblent
aller dans le bon sens. La proposition d’établir des tribunaux hybrides
pour les crimes de guerre commis en Ukraine, qui viendrait ajouter
un niveau d’établissement de responsabilités supplémentaire à ceux
qui existent déjà, ne semble pas avoir de valeur ajoutée dans le
contexte actuel. Néanmoins, il serait souhaitable de renforcer l’aide
internationale. Les États et les organisations internationales devraient
soutenir les autorités ukrainiennes en leur offrant davantage de
ressources et d’expertise et en favorisant le renforcement des capacités.
Le Conseil de l’Europe continuera à fournir un appui spécialisé
aux autorités ukrainiennes dans leurs enquêtes et poursuites concernant
les violations des droits de l’homme liées à la guerre, dans le
cadre du nouveau plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine,
intitulé «Résilience, redressement et reconstruction» (2023-2026).
Des mesures devraient également être prises pour assurer une meilleure
coordination et une plus grande cohérence entre tous les acteurs
internationaux, régionaux et nationaux habilités à demander des
comptes. À cet égard, on ne peut que se féliciter de la création
par l’UE, le Royaume-Uni et les États-Unis d’un groupe consultatif
sur les atrocités criminelles en Ukraine
![(107)
<a href='https://www.state.gov/creation-of-atrocity-crimes-advisory-group-for-ukraine/'>www.state.gov/creation-of-atrocity-crimes-advisory-group-for-ukraine/</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
et de la mise en place d’un Groupe
de dialogue sur l’établissement des responsabilités pour les crimes
commis en Ukraine, à la suite de la conférence sur la responsabilité
des crimes commis en Ukraine qui s’est tenue en juillet 2022
![(108)
<a href='https://rm.coe.int/declaration-politique-de-la-conference-ministerielle-sur-l-etablisseme/1680a81620'>https://rm.coe.int/declaration-politique-de-la-conference-ministerielle-sur-l-etablisseme/1680a81620</a>](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
, et encourager d’autres initiatives
du même type.
4. Responsabilité des États pour les
violations des droits de l’homme et autres violations du droit international
58. Si les dirigeants, les auteurs
de crimes et les commandants russes peuvent être tenus pénalement responsables
à titre individuel des différents crimes mentionnés ci-dessus, la
Fédération de Russie en tant qu’État devrait également être tenue
de rendre des comptes pour toutes les violations du droit international commises
par ses organes ou par des entités privées dont les actes sont imputables
à l’État. Le système complet de responsabilité implique également
d’établir la responsabilité internationale de la Fédération de Russie
pour toutes les violations du droit international (y compris le
DIH et le droit international des droits de l’homme) qui découlent
de l’agression de l’Ukraine, qui peut être déterminée par des tribunaux
internationaux et d’autres mécanismes internationaux. À l’heure
actuelle, il existe à cet égard au moins deux procédures judiciaires
internationales interétatiques qui sont déterminantes. L’une se
déroule devant la Cour européenne des droits de l’homme (
Ukraine c. Russie (X), no 11055/22)
et concerne des allégations de violations massives et flagrantes
des droits de l’homme commises par la Fédération de Russie dans
le contexte de la guerre en cours sur le territoire de l’Ukraine
depuis le 24 février 2022. Rappelons que la Cour reste compétente
pour connaître des requêtes introduites contre la Russie à propos
des actes ou omissions assimilables à des violations de la Convention
européenne des droits de l’homme survenus jusqu’au 16 septembre
2022. Il convient de se féliciter de ce que 23 États membres du
Conseil de l’Europe ont demandé l’autorisation d’agir en qualité
de tiers intervenant dans l’affaire interétatique qui concerne les
événements survenus depuis le 24 février, en signe de soutien à
l’Ukraine
![(109)
<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre-press?i=003-7442167-10192987'>https://hudoc.echr.coe.int/fre-press?i=003-7442167-10192987</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Dans le cadre de cette procédure,
la Cour a indiqué au gouvernement de la Fédération de Russie un
certain nombre de mesures provisoires, qui ont malheureusement été
ignorées. La Cour a également reçu un certain nombre de demandes
de mesures provisoires et de requêtes soumises par des personnes
touchées par la guerre en cours
![(110)
Par exemple, le 30 juin
2022, la Cour fait droit à des demandes de mesures provisoires dans
les affaires introduites par deux prisonniers de guerre britanniques
condamnés à mort dans la soi-disant «République populaire de Donetsk».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
59. L’autre procédure judiciaire a été ouverte auprès de la CIJ
au sujet d’un différend portant sur l’interprétation, l’application
et l’exécution de la Convention de 1948 pour la prévention et la
répression du crime de génocide. La requête déposée par l’Ukraine
vise à démontrer que les allégations russes selon lesquelles l’Ukraine
serait responsable d’un génocide dans les régions de Louhansk et
de Donetsk sont sans fondement, et par conséquent que l’intervention
militaire entreprise par la Fédération de Russie sur la base de ces
allégations n’a aucun fondement juridique
![(111)
Voir CIJ, «Allégations
de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide» (Ukraine c. Fédération
de Russie), ordonnance du 16 mars 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Dans le cadre de cette procédure, la CIJ a indiqué des mesures conservatoires
et demandé à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement
les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022
sur le territoire de l’Ukraine. Sans préjuger du fond du différend,
la CIJ a déclaré qu’elle n’était en possession d’aucun élément de
preuve permettant d’étayer l’allégation de la Fédération de Russie
selon laquelle un génocide aurait été commis
![(112)
<a href='https://www.icj-cij.org/fr/affaire/182/mesures-conservatoires'>www.icj-cij.org/fr/affaire/182/mesures-conservatoires. </a>](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
60. Il faudra probablement de nombreuses années pour que les deux
juridictions internationales se prononcent sur l’ampleur de la responsabilité
internationale de la Fédération de Russie pour toutes ces violations
et rendent des arrêts sur les éventuelles mesures de réparation
et de satisfaction équitable. En ce qui concerne la procédure de
la Cour européenne des droits de l’homme, il sera difficile pour
la Cour de traiter ces affaires sans la participation et la coopération
de l’État défendeur, qui a cessé de répondre à la Cour. Mais cet
obstacle et le risque que la Russie n’exécute pas les futurs arrêts
de la Cour ne devraient pas empêcher celle-ci de documenter et de
déterminer la responsabilité de l’État agresseur dans les violations
des droits de l’homme ni de rendre justice à l’État ukrainien et
à ses citoyens. En ce qui concerne les violations des droits de
l’homme commises après le 16 septembre 2022 dans les zones sous
le contrôle de facto de la
Fédération de Russie, le Conseil de l’Europe devrait envisager la
mise en place d’autres mécanismes permettant de surveiller la situation
des droits de l’homme dans les territoires occupés, qui se trouvent
à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine
et font donc partie de l’espace juridique de la Convention. Parallèlement,
le Conseil de l’Europe devrait soutenir l’action des autres mécanismes
internationaux de protection des droits de l’homme (Nations Unies,
OSCE) encore accessibles aux habitants de ces zones. L’Assemblée
devrait étudier ces questions dans ses futurs rapports afin d’éviter
la formation de «trous noirs» dans ces territoires et contribuer
à la réflexion en cours sur le rôle du Conseil de l’Europe dans
les «zones de conflit».
5. Indemnisation des dommages causés
par l’agression et les violations connexes du droit international
commises par la Fédération de Russie
5.1. Propositions pour l’établissement
d’un mécanisme international d’indemnisation
61. La justice et l’établissement
complet des responsabilités pour l’agression et ses conséquences
ne peuvent pas être atteints sans une réparation intégrale des dommages
causés à l’Ukraine et à ses citoyens. Lors de la visite de notre
sous-commission à Kiev, les autorités ukrainiennes nous ont présenté
une proposition de mécanisme d’indemnisation des dommages causés
par l’agression, inspirée du précédent constitué par la Commission
d’indemnisation des Nations Unies pour l’Iraq et le Koweït (UNCC)
![(113)
<a href='https://uncc.ch/'>Home | UNCC</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. En septembre 2022, elles ont présenté
au Comité des Ministres une proposition détaillée, dont la première
étape consiste à créer un registre des dommages pour consigner les
informations sur les demandes d’indemnisation et constituer un recueil
de preuves des dommages causés. Le Comité des Ministres
a
accueilli avec intérêt la proposition ukrainienne et a rappelé que la Fédération
de Russie portait la responsabilité de l’acte d’agression, et qu’elle était
donc dans l’obligation, en vertu du droit international, d’assurer
la réparation intégrale des dommages, pertes ou préjudices, matériels
ou moraux, causés par les violations du droit international par
la Russie. En octobre 2022, l’Assemblée a appelé les États membres
à établir un mécanisme international complet d’indemnisation assorti
d’un registre international des dommages, en coopération avec les
autorités ukrainiennes et dans le cadre d’un système complet de
responsabilité pour les violations du droit international résultant
de l’agression
![(114)
Résolution 2463 (2022), paragraphe 13.6.3. Voir aussi la Résolution 2448 (2022) «Conséquences humanitaires et déplacements internes
et externes en lien avec l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine», paragraphe 10.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
62. Du côté des Nations Unies, l’Assemblée générale a adopté le
14 novembre 2022 la résolution présentée par l’Ukraine et une cinquantaine
de pays, intitulée «Agression contre l’Ukraine: recours et réparation»
![(115)
<a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FRES%2FES-11%2F5&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>A/RES/ES-11/5
(undocs.org)</a>. 94 pays ont voté pour, 14 contre et 73 se sont abstenus.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. L’Assemblée
générale des Nations Unies a reconnu la nécessité de créer un mécanisme
international de réparation des dommages, pertes ou préjudices résultant
des faits internationalement illicites commis par la Fédération
de Russie. Elle a recommandé la création par les États membres,
en coopération avec l’Ukraine, d’un registre international des dommages,
pertes ou préjudices causés à toutes les personnes physiques et morales
concernées, ainsi qu’à l’État ukrainien. Ce registre ne ferait pas
partie du système des Nations Unies, mais serait créé par les États
membres. Si le mode de création de ce mécanisme est nouveau (par
le biais d’un accord entre États), l’utilisation d’un tel registre
n’est pas sans précédent; elle s’inspire de l’exemple du registre créé
par l’Assemblée générale des Nations Unies pour les dommages causés
par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé
![(116)
<a href='http://unrod.org/'>index.htm (unrod.org)</a>. Dans ce cas, le registre des dommages est un organe
subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations Unies et fonctionne
sous l’autorité administrative du Secrétaire général.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
63. Lors d’une audition organisée le 12 décembre 2022 à Paris,
Mme Iryna Mudra, vice-ministre ukrainienne de
la Justice, a présenté à notre commission la proposition ukrainienne
de mécanisme d’indemnisation
![(117)
<a href='https://www.youtube.com/watch?v=v5K1yR2czV4'>PACE
public hearing: mechanisms for Ukraine to be compensated for Russia’s
aggression – YouTube</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Elle a expliqué que le mécanisme
d’indemnisation prévoyait la création: a) d’une commission d’indemnisation chargée
d’examiner les demandes d’indemnisation; b) d’un fonds d’indemnisation,
à partir duquel les indemnités seront versées; et c) d’une procédure
efficace d’exécution des décisions de la commission. Cette proposition
s’inscrit dans une démarche progressive ou par étapes, avec la création
à court terme d’un registre international des dommages qui établira
l’infrastructure nécessaire à un futur mécanisme d’indemnisation
et aura pour mandat d’enregistrer les demandes, de consigner les
éléments de preuve des pertes, des lésions et des dommages, d’évaluer
la recevabilité à première vue des demandes (territorialité, temporalité,
causalité) et, enfin, de consigner les demandes recevables dans
le registre. Le registre sera indépendant de l’Assemblée générale
des Nations Unies; il sera établi et fonctionnera au sein d’une
organisation internationale. Il aura son siège dans une ville européenne.
À ce stade, il n’est pas conçu comme une commission d’examen des demandes
dotée d’un pouvoir décisionnel, même s’il est envisagé d’élargir
ultérieurement le mandat de cet organe international pour inclure
cette fonction.
64. Pour ce qui est de son fondement juridique, le registre sera
une organisation internationale fondée par un traité multilatéral
international, ouvert à tous les États et à toutes les organisations
régionales. Il sera financé par les contributions volontaires des
États participants et des institutions internationales. La future
commission sera chargée d’examiner et d’évaluer les demandes présentées
par les personnes physiques et morales, les organismes rattachés
à l’État et l’État ukrainien. Il est intéressant de noter que, selon
cette proposition, les réparations pécuniaires ordonnées par les
arrêts exécutoires rendus par les juridictions internationales,
y compris la CIJ et la Cour européenne des droits de l’homme, devraient
également être payées par le biais de ce mécanisme d’indemnisation.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les autorités ukrainiennes
estiment que le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle de premier
plan dans la mise en place d’un tel mécanisme et encourager ses
États membres à y adhérer. Mme Mudra
a ajouté que le Conseil de l’Europe pourrait apporter son expertise
au registre, voire servir de plateforme pour son fonctionnement,
si le soutien financier s’avérait suffisant.
65. À mon sens, le Conseil de l’Europe devrait au minimum soutenir
la mise en place de ce mécanisme d’indemnisation, y compris du registre
des dommages, en appelant ses États membres à y adhérer et à devenir parties
à l’accord fondateur. Il pourrait également devenir lui-même partie
à l’accord ou fournir une expertise juridique et technique. Mais
il pourrait encore aller plus loin et jouer un rôle de premier plan.
Compte tenu de l’expérience du Conseil de l’Europe – en particulier
de la Cour et du Service de l’exécution des arrêts – en matière
de traitement des demandes de satisfaction équitable et de suivi
du versement des indemnisations découlant de violations flagrantes
et graves des droits de l’homme, l’organisation serait bien placée
pour héberger le registre des dommages ou lui offrir son architecture
institutionnelle, pour autant que les États lui accordent les ressources
nécessaires. En même temps, puisque la future commission d’indemnisation
aurait pour mandat de statuer sur les demandes d’indemnisation pour
les dommages subis du fait de l’agression russe (c’est-à-dire à
partir du 24 février 2022), elle ne serait pas limitée – contrairement
à la Cour – aux dommages résultant de violations des droits de l’homme
commises jusqu’au 16 septembre 2022, date à laquelle la Convention
a cessé de s’appliquer à l’égard de la Russie. Son vaste mandat
engloberait tous les dommages résultant des violations du droit
international commises par la Fédération de Russie, notamment son
agression, ainsi que toute violation du droit international humanitaire
et du droit international des droits de l’homme. Cette commission
permettrait ainsi de combler une lacune importante en garantissant l’établissement
des responsabilités et la réparation intégrale du préjudice subi
par les victimes ukrainiennes et l’Ukraine.
66. Certaines questions devront être abordées lors de l’établissement
du mécanisme d’indemnisation proposé. Par exemple, l’articulation
entre ce mécanisme et les procédures nationales en Ukraine, ainsi
qu’avec les différents tribunaux ou organes internationaux compétents
pour traiter des différents aspects de l’agression (CIJ, Cour européenne
des droits de l’homme, CPI, ou le futur tribunal spécial pour le
crime d’agression contre l’Ukraine). L’autre question est de savoir
si les demandes individuelles devraient être prioritaires par rapport aux
demandes déposées par l’État ukrainien, ou si les demandes pourront
être jugées sur une base individuelle ou dans le cadre d’une «action
collective»
![(118)
<a href='https://www.justsecurity.org/81558/launching-an-international-claims-commission-for-ukraine/'>Launching
an International Claims Commission for Ukraine (justsecurity.org)</a>, 20 mai 2022.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
5.2. Exécution des décisions d’indemnisation
et du paiement: trouver les sources de financement
67. Une fois que la commission
d’indemnisation proposée commencera à traiter et à évaluer les demandes, les
indemnités allouées devront être versées aux auteurs des demandes
qui ont obtenu gain de cause. Mme Mudra
nous a précisé qu’elle n’aborderait pas à ce stade la question du
financement du fonds d’indemnisation, car ses autorités souhaitaient
pour l’instant se concentrer sur la collecte et le traitement des demandes.
Elle a toutefois indiqué que plusieurs moyens d’action juridiques
étaient à l’étude, outre la saisie des avoirs russes gelés, notamment:
les instruments financiers proposés par les parties au futur accord
et les institutions financières internationales; l’utilisation des
revenus tirés des contrats d’exportation de pétrole et de gaz de
la Fédération de Russie (à l’instar du système Iraq-Koweït); et
la mise en place d’une procédure simplifiée d’exécution des décisions
d’indemnisation par les juridictions des États participants, avec
la possibilité de lever l’immunité souveraine de la Russie.
68. Le professeur Burkhard Hess a également formulé plusieurs
propositions pour utiliser les avoirs appartenant à la Fédération
de Russie et à certains de ses citoyens (ceux que l’on appelle les
«oligarques» ou qui ont des liens avec l’État) qui ont été saisis,
voire gelés, à des fins d’indemnisation. L’idéal serait bien sûr d’organiser
cette forme d’indemnisation avec le consentement des autorités russes
par le biais d’un accord de paix, d’un accord sur un mécanisme d’indemnisation
ou d’un traité. M. Hess a indiqué qu’il pourrait être difficile de
surmonter les différents obstacles juridiques en l’absence du consentement
de la Russie, mais il a évoqué de manière générale la possibilité
de justifier l’expropriation et le transfert d’avoirs sous forme
de contre-mesures prises par les États qui s’opposent à la guerre
d’agression
![(119)
En
se référant au Projet d’articles de la Commission du droit international
sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite
(2001), qui admet qu’un État peut agir de manière non conforme à
une obligation internationale à l’égard d’un autre État dans la
mesure où l’acte en question constitue une contre-mesure prise à
l’encontre de cet autre État, sous réserve du respect de certaines
conditions.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Concernant les avoirs de la Banque centrale
russe, il a mentionné un arrêt récent de la Cour suprême suédoise
qui a admis une exception à l’immunité d’exécution de l’État dans
le cas où les avoirs sont utilisés pour des investissements et donc
à but lucratif
![(120)
<a href='https://www.magnussonlaw.com/news/the-swedish-supreme-court-certain-property-owned-by-central-bank-is-not-protected-from-enforcement-according-to-international-principles-of-state-immunity/'>«The
Swedish Supreme Court: Certain property owned by a central bank
is not protected from enforcement according to international principles
of state immunity», Magnusson (magnussonlaw.com)</a>. Le professeur Hess a également évoqué un arrêt récent
de la Cour suprême ukrainienne (avril 2022) qui a levé l’immunité
russe en matière de dommages de guerre dans le cadre de procédures
civiles, sur le fondement d’une exception de responsabilité civile délictuelle
à l’immunité d’État applicable lorsque le préjudice est survenu
sur le territoire de l’État de la juridiction saisie et que l’auteur
de l’acte ou de l’omission préjudiciable était présent sur ce territoire.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
S’agissant des avoirs privés des citoyens russes («oligarques»),
M. Hess rappelle que, dans certains cas, la Cour européenne des
droits de l’homme a admis la confiscation sans condamnation d’avoirs acquis
dans des circonstances douteuses par des personnes soupçonnées de
criminalité organisée ou de corruption, confiscation qu’elle jugeait
compatible avec la Convention à condition que les principes de légalité, d’intérêt
public et de proportionnalité soient respectés, ainsi que les garanties
procédurales
![(121)
Voir,
par exemple, Gogitidze et autres c. Géorgie, requête
no 36862/05, 12 mai 2015; Telbis et Viziteu c. Roumanie, requête
no 47911/15, 26 juin 2018.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Il s’agit d’un exercice difficile et dont la marge de manœuvre juridique
est étroite, qui exige d’établir, en vertu de la législation de
la plupart des États membres, de solides éléments de preuve des
malversations, notamment pour assurer la protection de l’article 1
du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l’homme (ETS n° 9). Et cela soulève en tout état de cause la question
de l’utilisation de ces avoirs, qui devraient normalement être rendus
à la population victime de leur utilisation illicite.
69. L’Assemblée a jusqu’à présent souscrit à la confiscation des
avoirs illicites sans condamnation et au renversement de la charge
de la preuve dans le contexte spécifique de la lutte contre la criminalité
organisée et la corruption, sous réserve de l’existence de garanties
appropriées
![(122)
<a href='https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=24761&lang=fr'>Résolution 2218 (2018)</a> «Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation
des avoirs illicites».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. S’agissant du cas particulier
des avoirs des citoyens et des entreprises publiques russes frappés
de sanctions ciblées pour leur responsabilité dans la guerre d’agression
lancée contre l’Ukraine, bien que l’Assemblée ait appelé les États
membres à les utiliser dès que leur confiscation sera définitive
pour indemniser l’Ukraine et ses citoyens pour tout dommage causé
par la guerre d’agression lancée par la Fédération de Russie, cette
décision a été prise dans un contexte différent, car le rapport
portait essentiellement sur l’utilisation des avoirs illicites dans
la lutte contre le crime organisé et la corruption
![(123)
Résolution 2436 (2022) «L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine:
faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international
humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes»,
paragraphe 11.9. Voir aussi Résolution
2434 (2022) «Comment faire bon usage des avoirs confisqués d’origine
criminelle?», paragraphe 9.6., qui ouvre la voie à l’utilisation
de ces avoirs pour compenser une partie de la dette financière de
la Fédération de Russie envers l’Ukraine.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Cette
possibilité soulève des questions juridiques importantes et délicates
qui devraient évidemment être résolues dans le respect des voies
de recours nationales et des garanties de la Convention européenne
des droits de l’homme.
70. La Commission européenne étudie aussi les différents moyens
juridiques d’utiliser les avoirs gelés des réserves de la Banque
centrale russe et des citoyens russes («oligarques») pour indemniser
l’Ukraine des dommages subis. À court terme, elle envisage de créer
une structure pour gérer ces fonds et les investir, dans le but
d’utiliser ensuite les intérêts en faveur de l’Ukraine. À long terme,
une fois les sanctions levées, ces fonds pourraient être utilisés
comme garantie pour s’assurer que la Russie indemnise intégralement
les dommages causés
![(124)
<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_22_7307'>Déclaration
de la Présidente von der Leyen sur la responsabilité de la Russie
et l’utilisation des avoirs russes gelés (europa.eu)</a>](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Sur le plan juridique, la solution
qui consiste à utiliser les avoirs gelés comme garantie, en commençant
par ceux qui appartiennent à des institutions d’État comme la Banque
centrale, me semble plus prometteuse que la possibilité de les saisir
et de les utiliser pour reconstruire l’Ukraine en dehors de tout
accord avec la Fédération de Russie.
71. Dans ce contexte, les États membres doivent également tenir
compte du fait que la saisie et l’utilisation de ces avoirs en l’absence
d’un cadre juridique très solide affaibliraient la confiance dans
le système financier des pays européens et, plus généralement, occidentaux,
et donc leur solidité. En outre, leurs institutions, leurs citoyens
et leurs entreprises risqueraient de voir leurs propres biens saisis
et utilisés à mauvais escient dans des pays comme la Fédération
de Russie, ou peut-être dans d’autres pays, à des fins politiques.
72. Différentes possibilités juridiques devront être étudiées
pour assurer l’exécution et le paiement des indemnisations, tout
en respectant les droits individuels garantis par la Convention
européenne des droits de l’homme et le droit international des droits
de l’homme. Un éventuel futur traité ou accord multilatéral établissant
un mécanisme d’indemnisation et/ou un futur accord de paix devra
réglementer, entre autres, ces questions dans le détail.
6. Conclusions
73. L’attaque armée injustifiée
et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine lancée par la Fédération
de Russie le 24 février 2022 constituent une agression et une violation
manifeste de la Charte des Nations Unies. Cette agression représente
une violation grave par la Fédération de Russie du Statut du Conseil
de l’Europe, ce qui a justifié la décision sans précédent prise
par le Comité des Ministres d’exclure la Fédération de Russie du Conseil
de l’Europe le 16 mars 2022, conformément à la position exprimée
par l’Assemblée.
74. L’Assemblée a déjà adopté un certain nombre de textes sur
les différents aspects politiques et juridiques de l’agression de
la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Elle doit maintenant indiquer
clairement que les actes d’agression commis par les dirigeants de
la Fédération de Russie correspondent à la définition du crime d’agression
en droit international. Les dirigeants politiques et militaires
russes qui ont planifié, préparé, initié ou exécuté ces actes doivent
être identifiés et poursuivis pour ce crime. Sans leur décision
de mener cette guerre d’agression, les atrocités qui en découlent
(crimes de guerre et autres crimes), ainsi que les destructions
et les morts qu’elle occasionne, n’auraient pas eu lieu. Cette position
devrait également s’appliquer aux dirigeants bélarusses qui ont
permis à la Fédération de Russie d’utiliser leur territoire pour perpétrer
l’agression. Étant donné que la CPI n’est actuellement pas compétente
pour le crime d’agression commis contre l’Ukraine, l’Assemblée devrait
réitérer son appel unanime aux États membres et aux États observateurs
du Conseil de l’Europe à créer un tribunal pénal international spécial
pour ce crime, qui devrait être soutenu et approuvé par le plus
grand nombre possible d’États et d’organisations internationales,
et en particulier par l’Assemblée générale des Nations Unies. À
l’occasion de leur 4e sommet à Reykjavik
en mai 2023, les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe
devraient apporter leur soutien politique à la création d’un tel
tribunal. La compétence de ce tribunal devrait être limitée au crime
d’agression commis contre l’Ukraine, et ne devrait en aucun cas
restreindre ou nuire à la compétence de la CPI sur les autres crimes
commis dans le cadre de l’agression en cours.
75. Dans le même temps, les États membres qui ne l’ont pas déjà
fait devraient ratifier le Statut de Rome de la CPI et ses amendements
de Kampala sur le crime d’agression. En outre, et parallèlement
à la création d’un tribunal spécial pour l’agression en cours, ils
devraient prendre les mesures nécessaires pour modifier le régime
de compétence du Statut de la CPI sur le crime d’agression, afin
de le rendre plus universellement applicable.
76. L’Assemblée devrait par ailleurs condamner les nombreuses
atrocités et violations du droit international humanitaire commises
en Ukraine par les forces russes ou les groupes armés affiliés au
cours des hostilités ou dans les zones qu’ils occupent temporairement.
Nombre de ces atrocités (attaques aveugles contre des civils, exécutions
sommaires de civils, torture et mauvais traitements, disparitions
forcées, violences sexuelles, transfert forcé et déportation de
citoyens ukrainiens, etc.) peuvent être qualifiées de crimes de
guerre ou de crimes contre l’humanité. Il existe en outre de plus
en plus de preuves que la rhétorique officielle russe visant à justifier
l’agression présente les caractéristiques d’une incitation publique
au génocide ou révèle une intention de détruire le groupe national
ukrainien en tant que tel, ou au moins une partie de celui-ci, conformément
à la définition du génocide donnée par la Convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide de 1948. Tous les États parties
à cette convention ont le devoir de prévenir et de punir le génocide.
Les États membres devraient soutenir l’enquête en cours ouverte
par le procureur de la CPI sur la situation en Ukraine, qui porte
sur des allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité
ou de génocide. Ils devraient également aider les autorités ukrainiennes
et, en particulier, le Bureau du procureur général, dans leurs efforts
visant à enquêter sur les crimes internationaux commis en Ukraine,
en leur offrant des ressources, une expertise et un renforcement
des capacités. Tout en tirant pleinement parti du principe de compétence
universelle et des mécanismes d’entraide judiciaire existants, ils
devraient assurer une coordination et une cohérence accrues entre
tous les acteurs habilités à demander des comptes.
77. Enfin, il ne peut y avoir de responsabilité complète pour
les graves violations du droit international découlant de l’agression
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine sans réparation intégrale
des dommages causés à l’Ukraine et à ses citoyens. L’Assemblée devrait
donc appeler à la mise en place d’un mécanisme international d’indemnisation,
y compris d’un registre international des dommages pour consigner
les preuves et les demandes concernant les dommages, les pertes
ou les préjudices causés à toutes les personnes physiques et morales
en Ukraine, ainsi qu’à l’État ukrainien, par les violations du droit
international découlant de l’agression russe. Le Conseil de l’Europe
devrait jouer un rôle de premier plan dans la mise en place et la gestion
du futur mécanisme. Ce mécanisme pourrait aussi permettre d’exécuter
les décisions rendues par les juridictions internationales – telles
que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme – sur
la réparation des dommages causés par l’agression actuelle.
78. Le Conseil de l’Europe dans son ensemble et ses États membres
devraient contribuer à garantir, aux côtés d’autres organisations
internationales, que la Fédération de Russie, ses dirigeants et
ses agents soient tenus de répondre des graves violations du droit
international commises en Ukraine dans le cadre de l’agression en
cours.