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Rapport | Doc. 15826 | 20 septembre 2023

L’idéologie d’extrême droite: un défi pour la démocratie et les droits humains en Europe

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Samad SEYIDOV, Azerbaïdjan, CE/AD

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15337, Renvoi 4606 du 27 septembre 2021. 2023 - Quatrième partie de session

Résumé

Face à l’augmentation ces dernières années de la violence d’extrême droite, alimentée par la xénophobie, le racisme et d’autres formes d’intolérance, le rapport souligne les menaces que ces actions font peser sur les droits humains, sur le fonctionnement des institutions démocratiques et sur les sociétés diverses et inclusives.

Pour relever les défis aux valeurs fondamentales que le Conseil de l’Europe entend défendre, le rapport appelle à renforcer l’adhésion à ces valeurs. Il s’agit notamment de renforcer la législation pour lutter contre l’extrémisme de droite, d’améliorer l’éducation, dont l’éducation aux médias, et de lutter contre la radicalisation en ligne.

Le projet de résolution souligne que les responsables politiques et les partis politiques devraient être en première ligne pour répondre à l’extrémisme de droite, tant en défendant publiquement les droits humains et les principes démocratiques qu’en rejetant sans équivoque toutes les formes de racisme et d’intolérance, de discours de haine, d’incitation à la haine raciale et de harcèlement. Il appelle à un dialogue respectueux et inclusif, et encourage les partis politiques à signer la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste et inclusive.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 11 septembre
2023.

(open)
1. Les idéologies qui cherchent à rejeter la démocratie, à saper les droits humains et à ignorer l'État de droit sont en opposition directe avec les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe. Les attaques perpétrées ces dernières années par des extrémistes de droite, tant en Europe que dans le monde, doivent nous rappeler le danger que cette idéologie représente pour les droits humains, pour le fonctionnement des institutions démocratiques et pour des sociétés diverses et inclusives.
2. L'Assemblée parlementaire rappelle que les États membres du Conseil de l'Europe se sont engagés à respecter les principes de la démocratie, des droits humains et l'État de droit, et à défendre le pluralisme, la tolérance et le respect de la diversité en tant que valeurs fondamentales sur lesquelles reposent les sociétés européennes. Les idéologies extrémistes qui menacent ces principes et ces engagements devraient être combattues au moyen d’une approche cohérente et responsable pour préserver une Europe libre, sûre et démocratique.
3. La violence d'extrême droite, motivée par la xénophobie, le racisme et d'autres formes d'intolérance, a fortement augmenté ces dernières années. Les tentatives avortées de coups d'État, de l'Allemagne au Brésil, et les attaques contre des élus ont confirmé le danger croissant de l'extrémisme de droite, tandis qu'un certain nombre d'États membres considèrent les formes de terrorisme d'extrême droite comme la menace à la croissance la plus rapide ou la plus importante à laquelle ils sont confrontés en matière de sécurité intérieure.
4. À maintes reprises, l’Assemblée a réaffirmé clairement qu’elle condamnait sans équivoque les manifestations de l’extrémisme de droite. Elle a adopté un certain nombre de résolutions pour s’attaquer au défi que représente l'idéologie d'extrême droite, le discours de haine et l'intolérance. La dynamique évolutive des mouvements d'extrême droite modernes, les moyens de communication plus sophistiqués, la prolifération de contenus extrémistes diffusés en ligne, la banalisation de l'idéologie d'extrême droite dans le domaine public et les niveaux de menace accrus dans un certain nombre d'États membres rendent nécessaire de continuer à affiner et à adapter les mesures de protection contre les idéologies incompatibles avec les droits humains, la démocratie et l'État de droit.
5. Le recul continu de la démocratie en Europe sert de toile de fond à la multiplication des agissements qui vont à l'encontre de nos valeurs et normes fondamentales. L’Assemblée considère que le moyen le plus efficace de prévenir l’extrémisme de droite est de renforcer l’adhésion à ces valeurs fondamentales.
6. Le quatrième Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe a donné un nouvel élan à l'Organisation en tant que pierre angulaire de la sécurité démocratique européenne, à la protection de nos fondements démocratiques et à la lutte contre les atteintes aux droits humains. L’Assemblée salue la détermination des États membres de s’opposer fermement aux tendances autoritaires en renforçant leurs engagements communs.
7. Les responsables politiques et les partis politiques devraient être en première ligne dans les réponses à ce phénomène, tant en défendant publiquement les droits humains et les principes démocratiques qu’en rejetant sans équivoque toutes les formes de racisme et d’intolérance, de discours de haine, d’incitation à la haine raciale et de harcèlement.
8. Les gouvernements doivent faire en sorte qu’il y ait des contrepoids au discours extrémiste en contestant publiquement les récits de l’extrémisme de droite et en veillant à la mise en place de mesures qui renforcent le respect des droits humains et qui favorisent un modèle de société valorisant la diversité et respectant la dignité humaine.
9. Il est nécessaire d'adopter des approches globales pour lutter contre les idéologies d'extrême droite, en cherchant à associer tous les niveaux de la société à la prévention et à la lutte contre l'extrémisme violent. L'Assemblée souligne la nécessité de plans d'action nationaux contre les idéologies extrémistes qui prévoient des approches consistant à impliquer l’ensemble de la société dont la société civile, les médias, les établissements d'enseignement et les partis politiques.
10. Compte tenu des informations faisant état du risque élevé de radicalisation des jeunes constaté ces dernières années, l’Assemblée rappelle l’importance de l’éducation en tant que rempart contre la propagation des idéologies d’extrême droite, et la nécessité de continuer à renforcer la résilience de la société face aux contenus extrémistes et au recrutement, en réponse à l’utilisation généralisée des plateformes en ligne pour promouvoir les idéologies extrémistes.
11. L’Assemblée reconnaît le rôle vital joué dans les démocraties par les membres des forces de l’ordre. S'il est vrai que l'écrasante majorité des policiers rejettent l'extrémisme sous toutes ses formes, la présence d'extrémistes de droite dans les forces de la police, constatée ces dernières années dans un certain nombre d'États membres, est très préoccupante. Les individus qui rejettent les fondements démocratiques de l’État ne peuvent pas le servir, et l’Assemblée souligne la nécessité de veiller à ce que des mécanismes efficaces soient mis en œuvre contre les extrémistes au sein de la police.
12. L'Assemblée considère que, compte tenu de la nature transnationale du phénomène, une coopération renforcée entre les États membres est nécessaire pour faire face à la dimension paneuropéenne de la menace, et elle exhorte les États membres à s'investir dans la coopération internationale et le partage d'informations pour lutter efficacement contre les activités transfrontalières des groupes d'extrême droite.
13. L’Assemblée attache une grande importance aux travaux des organes du Conseil de l’Europe, notamment de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, qui mènent des activités de suivi, d’élaboration de normes et de coopération visant à lutter contre la discrimination, le racisme et l’intolérance dans nos sociétés.
14. Compte tenu de ces considérations, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
14.1. à réexaminer et, si nécessaire, à renforcer la législation existante afin de lutter efficacement contre l'extrémisme de droite ainsi que contre le discours de haine, l'incitation à la violence et la discrimination propagés par des individus et des groupes d'extrême droite;
14.2. à renforcer les mesures existantes pour protéger les groupes en situation de vulnérabilité et de marginalisation contre la discrimination, le harcèlement et la violence découlant des idéologies d'extrême droite;
14.3. à promouvoir l'éducation, dont l’éducation aux médias, en intégrant dans les programmes scolaires une éducation complète aux droits humains, à la diversité et à la démocratie, et à renforcer les programmes d'éducation aux médias pour permettre aux citoyennes et citoyens d'analyser de manière critique la propagande extrémiste et d'y résister;
14.4. à lutter contre la radicalisation en ligne en collaborant avec les plateformes des médias sociaux et avec les entreprises de technologie afin d'identifier et de supprimer les contenus en ligne qui promeuvent des idéologies d'extrême droite, tout en préservant la liberté d'expression et en évitant toute censure injustifiée;
14.5. à élaborer des stratégies pour contrer la désinformation et la propagande propagées par les groupes d'extrême droite, en veillant à ce que prévalent des informations exactes et fondées sur des preuves;
14.6. à continuer à soutenir la société civile en apportant un soutien financier et moral adéquat aux organisations de la société civile et aux initiatives locales qui œuvrent en faveur de la tolérance, de la compréhension interculturelle, de la cohésion sociale et de la déradicalisation;
14.7. à encourager les dirigeantes et dirigeants politiques à tenir un discours public respectueux et inclusif, en condamnant le discours de haine et les propos qui sèment la discorde, et en plaidant pour des politiques qui respectent les valeurs démocratiques et les droits humains;
14.8. à renforcer la protection des élus contre les infractions à motivation politique, les intimidations et les menaces.
15. À cette fin, l’Assemblée appelle les États membres:
15.1. en ce qui concerne la législation visant à lutter contre l'extrémisme de droite et à renforcer la protection des groupes en situation de vulnérabilité et de marginalisation:
15.1.1. à veiller à ce que la législation relative à la dissolution des partis politiques ou à l'interdiction de créer un parti soit conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et aux recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit;
15.1.2. à élaborer des stratégies potentielles pour poursuivre l'extrémisme violent propice au terrorisme;
15.1.3. à signer et à ratifier, s'ils ne l'ont pas déjà fait, le Protocole no 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (STE no 177) et le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189);
15.1.4. à diffuser et à mettre pleinement en œuvre la Recommandation CM/Rec(2022)16 du Comité des Ministres aux États membres sur la lutte contre le discours de haine;
15.1.5. à créer des unités de lutte contre les crimes de haine au sein des forces de police;
15.1.6. à veiller à ce que des mécanismes efficaces permettent de prendre des mesures contre des membres des forces de l'ordre impliquées dans des activités d'extrême droite;
15.2. en ce qui concerne la promotion de l'éducation, dont l’éducation aux médias, la lutte contre la radicalisation en ligne et la lutte contre la désinformation:
15.2.1. à lutter contre les discours extrémistes et les diverses formes d’incitation, conformément à la Résolution 2221 (2018) de l’Assemblée «Les contre-discours face au terrorisme», par le biais de programmes scolaires et de campagnes de sensibilisation soulignant les valeurs partagées que sont la dignité humaine, la paix, la non-violence, la tolérance et les droits humains, et à y associer les victimes d’actes extrémistes;
15.2.2. à élaborer une politique nationale coordonnée d’éducation aux médias, conformément à la Résolution 2314 (2019) de l’Assemblée «L’éducation aux médias dans le nouvel environnement médiatique»;
15.2.3. à appuyer les projets éducatifs et les méthodes pédagogiques visant à s'attaquer aux idéologies antidémocratiques;
15.2.4. à compléter les campagnes de communication et de sensibilisation du public en prenant des mesures actives pour lutter contre les théories du complot et la désinformation et à renforcer les capacités de vérification des faits dans le cadre d'un ensemble de mesures visant à renforcer la résilience de la société face à la propagande d'extrême droite;
15.2.5. à veiller à ce que les intermédiaires d’internet prennent des mesures efficaces pour s’acquitter de leurs responsabilités et de leur devoir de ne pas rendre accessible ni diffuser de discours de haine interdit en droit pénal, civil ou administratif;
15.3. en ce qui concerne le soutien à la société civile:
15.3.1. à soutenir les politiques de prévention, notamment en coopérant avec les entités qui travaillent directement avec les jeunes, dont les travailleurs sociaux, ou les professionnels du secteur de la santé mentale;
15.3.2. à approfondir les partenariats avec les organisations de la société civile qui s'occupent de déradicalisation, de réinsertion et d'aide aux victimes;
15.4. en ce qui concerne la garantie d'un discours politique respectueux et inclusif:
15.4.1. à mettre en œuvre la Recommandation de politique générale no 15 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, consacrée à la lutte contre le discours de haine, en adoptant des dispositions de droit administratif, de droit civil et, en dernier recours, de droit pénal;
15.4.2. à s'assurer qu'aucun financement public n'est octroyé à des partis prônant un discours de haine et des crimes de haine;
15.5. en ce qui concerne le renforcement de la protection des élus, à élaborer, en coordination avec eux, des mesures spécifiques visant à améliorer leur protection.
16. En appelant à un dialogue politique respectueux et inclusif, l'Assemblée encourage ses membres à s’élever contre toute forme d’intolérance, et encourage les partis politiques à signer la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste et inclusive, telle qu’approuvée dans sa Résolution 2443 (2022) «Le rôle des partis politiques dans la promotion de la diversité et de l’inclusion: une nouvelle Charte pour une société non raciste».
17. L’Assemblée invite les organisations internationales qui partagent les valeurs du Conseil de l’Europe, à commencer par l’Union européenne et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à accroître leur coopération avec le Conseil de l’Europe afin de trouver des solutions communes au problème commun que constitue l’extrémisme de droite.

B. Exposé de motifs par M. Samad Seyidov, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Contexte et origine

1. Dans sa Résolution 1344 (2003) «Menace des partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe», attirant l’attention sur la tendance à l’extrémisme politique en Europe, l’Assemblée parlementaire a encouragé les États membres du Conseil de l’Europe à être plus vigilants que jamais et à évaluer les menaces que l’extrémisme fait peser sur les valeurs fondamentales que le Conseil de l’Europe entend défendre. Pour combattre les effets néfastes de l’extrémisme et préserver l’État de droit fondé sur le respect des principes démocratiques et des droits humains, l’Assemblée a recommandé aux États membres d’adopter un ensemble de mesures législatives et administratives, ainsi que des mesures dans le domaine de l’éthique politique et de l’éducation. Elle a également souligné que pour être efficaces, ces mesures devraient bénéficier de l’appui de l’opinion publique et être soutenues par la société civile.
2. Vingt ans plus tard, la commission des questions politiques et de la démocratie (la commission) a entrepris la préparation d’un rapport sur «Le défi de l’idéologie d’extrême droite pour la démocratie et les droits humains en Europe», en vue d’élaborer des recommandations visant à entraver la propagation de l’idéologie de l’intolérance dans toute l’Europe et à éradiquer l’impunité pour les actes d’intimidation et de violence commis par les représentants des mouvements d’extrême droite 
			(2) 
			Doc. 15337.. La vérité est que, ces deux dernières décennies, l’idéologie d’extrême droite a progressé et qu’elle s’est rapidement propagée, tant en Europe qu’à l’échelle mondiale. Les illustrations récentes de cette tendance incluent l’arrestation, en décembre 2022, de dizaines de personnes associées au mouvement d’extrême droite Reichsbürger (citoyen·ne·s du Reich), soupçonnées de fomenter un coup d’État contre le Gouvernement allemand. En janvier 2023, faisant sinistrement écho à l’invasion du Capitole aux États-Unis par les partisans de l’ex-président Donald Trump en 2021, des centaines de manifestant·e·s d’extrême droite, partisan·e·s de l’ancien président Jair Bolsonaro, ont envahi et vandalisé des lieux de pouvoir à Brasília (Brésil).
3. Les piliers de notre sécurité démocratique – à savoir un système judiciaire efficace et indépendant, la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association, le fonctionnement efficace des institutions démocratiques et la construction d'une société inclusive et d'une citoyenneté démocratique – sont tous menacés par l'idéologie extrémiste. Tant l'Assemblée, dans ses résolutions 
			(3) 
			Voir, par exemple,
la Résolution 2369 (2021) «La vision de l'Assemblée sur les priorités stratégiques
du Conseil de l'Europe»., que les États membres du Conseil de l'Europe ont qualifié cette sécurité démocratique d’élément clé pour garantir la paix et la prospérité en Europe, et se sont par conséquent engagés à contrer les actions qui portent atteintes aux droits humains, à la démocratie et à l’État de droit. Cette position a notamment été réaffirmée dans la Déclaration de Reykjavík du quatrième Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe (Déclaration de Reykjavík) 
			(4) 
			«Déclaration de Reykjavík,
Unis autour de nos valeurs», Sommet de Reykjavík du Conseil de l'Europe,
16-17 mai 2023.. Dans ce contexte, le présent rapport est plus que jamais d’actualité.

1.2. Portée du rapport

4. Après ma désignation comme rapporteur en septembre 2021, la commission a tenu un premier échange de vues sur cette question le 16 mars 2022. Au cours de cet échange, les membres ont noté que l’idéologie d’extrême droite constituait une menace sérieuse non seulement pour la démocratie, mais aussi pour la paix et la stabilité internationales. Soulignant que la violence ou la haine dans le discours et l’activité politiques devraient être pleinement rejetées, les membres ont mis en garde contre la manipulation, à des fins politiques, d’étiquettes telles que «extrémiste» ou «extrême droite» pour les partis politiques, qui ne devraient pas être utilisées à la légère.
5. Un nouvel échange de vues tenu par la commission le 27 avril 2023 a montré que les avis étaient partagés. Certains membres ont estimé que je devais axer le rapport sur l'idéologie d'extrême droite, tandis que d'autres ont attiré mon attention sur l'extrémisme d'extrême gauche et m'ont suggéré d'élargir la portée du rapport de manière à couvrir toutes les formes d'idéologies extrêmes.
6. Je suis d'accord sur le fait que les tendances de l’extrémisme de gauche devraient continuer à être surveillées, d’autant qu’il s’agit d’un phénomène qui continue de sévir sur le continent. En effet, les rapports d'Europol pour la période 2006-2020 montrent que plus de 414 attaques manquées, déjouées ou réalisées dans les pays de l'Union européenne ont été inspirées par l'idéologie d'extrême gauche et anarchiste 
			(5) 
			Rapports
sur la situation et les tendances du terrorisme (TE-SAT) d'Europol
de 2007 à 2021.. Une grande partie de ces attaques a donné lieu à des actes de vandalisme et à la destruction de biens, et dans plusieurs cas importants ces attaques ont fait des blessés et des victimes 
			(6) 
			Direction
générale des migrations et des affaires intérieures de la Commission
européenne, «Contemporary Violent Left-wing and Anarchist Extremism
in the EU: Analysing Threats and Potential for P/CVE», 2021.. Ces idéologies ont été considérées dans la stratégie du Conseil de l'Europe contre le terrorisme (2023-2027) comme un sujet de préoccupation pour certains pays, même si la menace de l'extrémisme violent d'extrême gauche en Europe a été jugée faible 
			(7) 
			Comité du Conseil de
l’Europe de lutte contre le Terrorisme, «<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a7fa66'>Rapport</a> sur les menaces terroristes émergentes en Europe», 7
septembre 2022..
7. Après avoir examiné les deux points de vue, j'ai décidé de respecter la portée définie dans la proposition initiale. J'en suis arrivé à cette conclusion non seulement parce que l'idéologie d'extrême droite a un héritage historique particulier en Europe, mais aussi parce qu'elle est considérée comme la menace qui connaît l’expansion la plus rapide dans de nombreux pays européens, une tendance soulignée par le Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le terrorisme 
			(8) 
			Idem.. Dans l’esprit de la proposition de résolution à son origine, ce rapport mettra l’accent sur les manifestations de l’idéologie d’extrême droite qui sont clairement contraires aux principes et aux valeurs du Conseil de l’Europe, que la proposition définit comme une expansion de l’intolérance, du discours de haine et de la discrimination s’accompagnant souvent d’actes d’intimidation et de violence. C’est cette menace extrémiste que le rapport abordera.
8. Dans le cadre de la préparation du rapport, la commission a tenu, le 25 janvier 2023, une audition avec la participation de deux expert·e·s: Mme Cynthia Miller-Idriss, directrice fondatrice, Laboratoire de recherche et d’innovation sur la polarisation et l’extrémisme, Université américaine, Professeure, École des affaires publiques et École des sciences de l’éducation, Washington (USA), et M. Nicholas Potter, journaliste et chercheur sur l’extrême droite à la Fondation Amadeu Antonio (Berlin). Une deuxième audition s’est tenue le 20 juin 2023 avec la participation de M. Nicos Alivizatos (Grèce), membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).

2. Définir l’idéologie d’extrême droite

9. Il n’existe pas de définition universellement reconnue de l’extrême droite. En tant que terme générique, il peut englober un ensemble hétérogène d’idéologies, de croyances et de discours. Aux fins du présent rapport, trois caractéristiques déterminantes sont décrites qui doivent toutes être présentes pour répondre à la qualification d’extrémisme d’extrême droite. Premièrement, une croyance en une forme d’inégalité naturelle ou de hiérarchie entre les peuples ou groupes de personnes, qui peut inclure le nationalisme, le nativisme, le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, l’islamophobie et l’homophobie. Deuxièmement, une croyance en l’autoritarisme. Troisièmement, un objectif implicite ou explicite visant à détruire le système démocratique 
			(9) 
			Parlement européen,
«L’extrémisme de droite dans l’Union européenne», département thématique
des droits des citoyens et des affaires constitutionnelles, direction
générale des politiques internes, mai 2022..
10. Au sein des droites extrêmes, les chercheurs font généralement la distinction entre la droite «radicale» et l’extrême (ou ultra) droite. Tout en intervenant dans le cadre des processus démocratiques, en acceptant la souveraineté populaire et les règles procédurales minimales de la démocratie parlementaire, les groupes et les organisations de la droite radicale sont hostiles à la démocratie libérale et en critiquent les aspects essentiels tels que le pluralisme et les droits des minorités, et ils condamnent publiquement l’utilisation de la violence comme instrument politique.
11. En revanche, une caractéristique essentielle des groupes et organisations d’extrême droite est le rejet des valeurs sous-jacentes des démocraties et de l’État de droit 
			(10) 
			Idem.. La caractéristique comportementale qui distingue donc la droite radicale de l’extrême droite est pour cette dernière, la légitimation du recours à la violence pour poursuivre ses objectifs. Cette menace ou ce recours au harcèlement ou à la violence ont été définis comme étant une caractéristique importante de l’extrémisme d’extrême droite 
			(11) 
			P. Wilkinson, (1995).
«La violence et la terreur, et l’extrême droite. Terrorisme et violence
politique», 7(4), 82-93 (anglais seulement).. Ils englobent les attaques terroristes, les crimes de haine, la violence spontanée, le discours de haine et l’incitation à la violence ou à la haine 
			(12) 
			Idem.. Parmi les exemples contemporains d’acteurs d’extrême droite figurent Aube dorée en Grèce et les groupes suprémacistes blancs aux États-Unis 
			(13) 
			P. Castelli Gattinara,
E. Leidig, et J. Aasland Ravndal, «What characterizes the far-right
scene in Europe and beyond?», Center for Research on Extremism (C-REX),
7 septembre 2020..
12. Le rapport utilise donc ce prisme idéologique, associé à la caractéristique comportementale de légitimation de l'usage de la violence, pour définir le phénomène.
13. En plus de sa complexité sur le plan idéologique, l’extrême droite est variée sur le plan organisationnel. Outre les partis politiques, il existe toute une série de sous-groupes ayant des sympathies pour l’extrême droite, notamment des organisations relativement formelles telles que des groupes de réflexion, des groupes de pression, des organisations médiatiques, ainsi que des formations plus ponctuelles, notamment des forums, des organisations de rue, des communautés en ligne et hors ligne. L’espace de l’extrême droite se définit de plus en plus par des réseaux plutôt que par des organisations formelles, les individus intéressés entretenant des liens multiples et évitant une adhésion formelle. L’extrême droite est également composée en grande partie de militantes et militants qui, à titre personnel, élaborent, suivent et promeuvent leur propre position à partir de plateformes individuelles 
			(14) 
			«Understanding the
far-right landscape», Centre for research and evidence on security
threats (CREST), 14 juillet 2017.. Le Comité du Conseil de l’Europe de lutte contre le terrorisme a décrit cela comme une tendance croissante à «l’activité post-organisationnelle», où les individus et groupes agissent indépendamment les uns des autres et ne s’en remettent jamais à un commandement central ou à un chef unique pour en recevoir des ordres ou des instructions 
			(15) 
			<a href='https://rm.coe.int/-1445-10-2b-cdct-cm-2022-149-addf/1680a9ad63'>«Rapport</a> sur les menaces terroristes émergentes en Europe», op.
cit..
14. L’absence d’une définition commune de l’idéologie d’extrême droite constitue un obstacle à une lutte et une réponse efficaces contre ce phénomène, ainsi qu’à la compréhension et à l’évaluation de l’ampleur du problème dans les différents États membres. Le chevauchement partiel entre les crimes de haine, l’extrémisme violent de l’extrême-droite et le terrorisme de l’extrême-droite complique la manière dont certaines actions sont poursuivies et, par conséquent, la manière dont les gouvernements peuvent évaluer le nombre d’attaques violentes d’extrême droite commises sur leur territoire.

3. Principaux moteurs et tendances de l’extrémisme de d’extrême droite

15. L’extrémisme de droite est un phénomène récurrent qui s’est développé au cours des dernières décennies. Son apparition et son fonctionnement ne sont pas sans contexte, mais constituent une réponse à des facteurs socio-économiques et culturels interdépendants, qui s’appuient sur des changements réels ou perçus au sein de la société 
			(16) 
			«L’extrémisme de droite
dans l’Union européenne», op. cit.. Ces vingt dernières années, le monde a été confronté à une succession de crises dues à la finance mondiale, aux migrations, à la pandémie de covid-19 et au retour d'une guerre d’agression à grande échelle sur le continent européen, lesquelles ont eu de graves conséquences sociales, économiques et politiques, entraînant frustration, peur et colère. Selon les experts, il s’agit là d’un élément clé pour comprendre le soutien croissant dont bénéficie l’extrémisme de droite, y compris dans ses manifestations violentes.
16. En effet, en s’appuyant sur le mécontentement social, l’extrémisme propose des solutions simplistes et stéréotypées en réponse aux angoisses et aux incertitudes qui affectent nos sociétés. Il rejette la responsabilité de ces difficultés sur l’incapacité de la démocratie à relever les défis du monde actuel et l’incapacité des élu·e·s et des institutions à répondre aux attentes des citoyen·ne·s, ou encore il incite à discriminer certains groupes en les accusant d’être responsables de l’insécurité et des problèmes socio-économiques, ou en laissant entendre qu’ils sont une menace potentielle pour l’État 
			(17) 
			Résolution 1344 (2003) «Menace des partis et mouvements extrémistes pour la
démocratie en Europe»..
17. La perspective de l’insécurité économique a également été associée à d’autres courants de soutien à l’extrémisme de droite découlant d’une réaction contre des changements culturels perçus ou réels qui menacent la vision du monde de segments de population autrefois prédominants 
			(18) 
			P.
Norris, R. Inglehart, «Cultural Backlash», 2019.. Les interactions entre les facteurs socio-économiques et culturels se combinent pour amener certains groupes de la société à contester la légitimité des démocraties.
18. Les services de renseignement ont observé ces dernières années l’évolution des caractéristiques du milieu d’extrême droite. Les formes traditionnelles de l’extrême droite, telles que le néo-nazisme et la culture skinhead, sont dépassées dans certains États par l’activisme anti-islam et anti-migrants qui deviennent les sujets prédominants de l’extrémisme d’extrême droite 
			(19) 
			Comité R, Enquête de
contrôle sur la manière dont les services de renseignement assurent
actuellement le suivi de la menace posée par l’extrême droite en
Belgique, ainsi que le rapport aux autorités, 19 janvier 2021, p.
23.. L’évolution des tendances a également connu un changement plus radicalement anti-institutionnel, les extrémistes d’extrême droite ciblant de plus en plus les institutions, avec une accélération de cette tendance après le début de la pandémie de covid-19.
19. D'autres facteurs de risque associés à l'émergence de manifestations d'extrémisme de droite ont été identifiés comme suit: problèmes identitaires non résolus, mauvaise gouvernance systémique et dysfonctionnements administratifs. Cela peut être aggravée par une faible confiance dans les médias grand public, un manque d’éducation aux médias et l’absence d’un journalisme critique et indépendant qui, combinés, peuvent amplifier la vulnérabilité à la désinformation 
			(20) 
			Commission européenne,
Avis d'expert, «Violent Right-Wing Extremism in the Western Balkans»,
juillet 2022..
20. En 2021, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) s'est alarmée du recours à des discours incendiaires et de la diffusion de contenus haineux et déshumanisants, et a rappelé que ne pas prévenir et combattre le discours de haine ultranationaliste et raciste peut conduire à des violations graves de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) et à une plongée dans la violence 
			(21) 
			ECRI,
«Déclaration sur la prévention et la lutte contre les discours de
haine et la violence ultra-nationalistes et racistes en relation
avec les affrontements et les conflits non résolus en Europe», mars
2021..
21. Les idéologies deviennent un sujet de profonde inquiétude lorsqu’elles préconisent le recours à la violence ou à d’autres activités illégales pour promouvoir des convictions particulières. L’utilisation d’un discours idéologique susceptible de dénigrer d’autres personnes ou de constituer une discrimination à leur égard en est une manifestation.

3.1. L’extrémisme violent d’extrême droite: une menace croissante et de plus en plus transnationale

22. Le paysage de l’extrême droite s’étend aux quatre coins du monde. Si son importance en Europe s’est considérablement accrue au cours des années 2000, l’extrême droite détient une présence historique et contemporaine en Amérique latine, en Inde et en Indonésie, ainsi qu’en Amérique du Nord et en Océanie 
			(22) 
			ONUDC, «Manuel sur
la prévention et la réponse aux attaques terroristes fondées sur
la xénophobie, le racisme et d’autres formes d’intolérance ou se
revendiquant d’une conviction religieuse ou autre», 2022, p. 3..
23. Les manifestations violentes de l’idéologie d’extrême droite sont également mondiales. Aujourd’hui, la violence politique associée à l’extrême droite est largement considérée comme une menace croissante dans le monde entier 
			(23) 
			Selon
un <a href='https://freedomhouse.org/report/special-report/2020/new-eurasian-far-right-rising'>rapport</a> de Freedom House, les groupes d’extrême droite soutenant
la violence ou la menace de son usage gagnent également en importance
et complexité à travers l’Eurasie, entraînant de graves implications
pour le développement démocratique dans la région.. Le Rapport sur les menaces terroristes émergentes en Europe, élaboré sous les auspices du Comité du Conseil de l’Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT), le confirme pour l’Europe. Il souligne que le terrorisme d’extrême droite est une menace croissante dans un certain nombre d’États membres 
			(24) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a7fa66'>«Rapport</a> sur les menaces terroristes émergentes en Europe», op.
cit...
24. Ces dernières années, outre les fusillades de masse (Utøya (Norvège), 2011; Charlottesville (États-Unis), 2017; Christchurch (Nouvelle-Zélande), 2019), les extrémistes de droite ont perpétré des assassinats politiques (la députée britannique Jo Cox, 2016; l’homme politique allemand Walter Lübcke, 2019) et des actes d’insurrection, y compris armés (invasion du Capitole américain, 2021; et plus récemment l’insurrection au Brésil) ou comploté en vue de tels actes (Allemagne, 2022). La menace extrémiste persistante s’est également manifestée à travers les attaques contre les mosquées, les synagogues et les centres d’accueil des demandeurs d’asile observées en Europe ces dernières années.
25. Le caractère de plus en plus transnational de l’extrémisme violent d’extrême droite tient également à la coopération croissante, par-delà les frontières nationales, entre des groupes et des réseaux extrémistes qui partagent des motifs, des inspirations et des objectifs en ligne et hors ligne 
			(25) 
			PNUD,
«From pilots towards policies: utilizing online data for preventing
violent extremism and addressing hate speech», 13 mai 2022.. Les conclusions de la Conférence internationale sur les «Menaces terroristes transnationales émanant des mouvements extrémistes violents émergents et réémergents» confirment que les plateformes en ligne sont largement utilisées pour le recrutement et la diffusion d’idéologies extrémistes, ainsi que de matériels pédagogiques. Cela permet aux groupes et aux individus d’apprendre et de s’inspirer les uns des autres 
			(26) 
			Voir la <a href='https://rm.coe.int/ve-conf-summary2022-fin/1680a95e1c'>Synthèse</a> de la Conférence organisée par le CDCT en collaboration
avec le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, les
3-4 novembres 2022 à Strasbourg. [en anglais]. Les réseaux en ligne peu organisés sont de plus en plus un moyen pour les acteurs violents d’extrême droite de nouer des contacts avec d’autres personnes et groupes au niveau international, les acteurs isolés inspirés par ces réseaux ou groupes devenant la principale tactique pour mener des attentats violents. Motivés par la propagande extrémiste violente, ces acteurs agissant de leur propre initiative sont particulièrement difficiles à détecter et intercepter en temps utile 
			(27) 
			Idem..
26. En 2011, l’attentat terroriste perpétré par un extrémiste d’extrême droite à Oslo et sur l’île d’Utøya, en Norvège, qui a fait 77 morts, a choqué le monde. Quelques années plus tard, un autre extrémiste d’extrême droite, s’inspirant des idées et des actions extrêmes de l’auteur des attentats d’Utøya, tuait 51 fidèles musulmans à l’autre bout du monde, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Quelques mois plus tard encore, un autre extrémiste de droite «inspiré» par le tireur de Christchurch tuait deux personnes à Halle, en Allemagne. Ces manifestations d’extrémisme de droite, relevant de l’imitation d’actes antérieurs, montrent le danger de ce que les psychosociologues ont appelé la contagion comportementale et la portée mondiale de la violence d’extrême droite 
			(28) 
			Centre
de politique de sécurité de Genève, Analyse stratégique de la sécurité,
juillet 2020..
27. L’infiltration de l’idéologie d’extrême droite chez les militaires et dans les forces armées et les forces de l’ordre ainsi que la circulation de matériaux extrémistes de droite au sein de ces groupes suscitent également une inquiétude continue. Dans ce contexte, il convient de noter que parmi les personnes arrêtées dans le cadre du complot contre le Gouvernement allemand, on compte un juge et d’anciens membres de l’armée, y compris des forces spéciales. Des poursuites contre des agents des forces de l'ordre et de sécurité ont eu lieu ces dernières années, tant pour préparation d'attentats terroristes dirigés contre des hommes politiques et des personnalités publiques que pour affiliation à des groupes interdits. De même, il est affirmé que l’insurrection au Brésil a été possible en raison d’une collusion avec des personnes situées au plus haut niveau de la police militaire. Il va sans dire qu’une menace particulière existe lorsque les personnes qui sont chargées de défendre et de protéger la population se laissent gagner par des idéologies extrémistes.

3.2. L’environnement extrémiste en ligne

28. Depuis la dernière fois que l’Assemblée s’est penchée sur ce sujet dans la Résolution 1344 (2003), les progrès technologiques ont encore facilité les efforts internationaux de réseautage des extrémistes d’extrême droite. Les réseaux sociaux et les plateformes de jeux en ligne, ainsi que les sous-cultures internet au sens large, sont largement utilisés pour diffuser une idéologie d’extrême droite et cibler des individus en vue de les recruter 
			(29) 
			Nations
Unies, Rapport du Secrétaire général, A/77/266, 3 août 2022.. La forte augmentation du volume de matériels en ligne prônant les idéologies d’extrême-droite a amplifié les processus de radicalisation et éliminé le besoin d’un contact «réel».
29. On a assisté sur internet à la prolifération de contenus, y compris la propagande performative, les «manifestes», les mèmes, des vidéos d’influenceurs popularisant l’extrémisme de droite et des documents idéologiques en ligne. Des difficultés se posent concernant la modération des espaces en ligne, à l’heure où les extrémistes sont capables de migrer vers un éventail de plateformes aux structures réglementaires différentes, et l’utilisation de messageries codées entre groupes, qui a été décrite comme poussant à l’extrême les limites de la liberté d’expression, de sorte qu’il est difficile pour les forces de l’ordre d’intervenir en utilisant les outils existants 
			(30) 
			Stratégie
du Conseil de l’Europe contre le terrorisme (2023-2027), 8 février
2023..
30. La façon dont les internautes passent du temps en ligne peut avoir des effets importants. Les chambres d’écho amplifient le risque de radicalisation en ligne à travers des contenus extrêmes présents sur toutes les plateformes et qui se renforcent mutuellement. La radicalisation algorithmique, par laquelle les algorithmes des médias sociaux poussent les utilisatrices et utilisateurs vers des contenus de plus en plus extrêmes, peut conduire à ce que l’on appelle des «puits sans fond» de désinformation, de théories du complot et de consommation de propagande.
31. La pandémie de covid-19 a contribué à amplifier les discours de l’extrême-droite en ligne, qu’illustre la nette progression à l’échelle mondiale des théories du complot anti-asiatiques et antisémites. La pandémie a également contribué à l’émergence de nouvelles idéologies et à la pollinisation croisée entre des groupes idéologiques et démographiques disparates. Les multiples griefs liés aux réponses apportées à la pandémie, les sentiments généralisés de peur, d’anxiété et d’incertitude, ainsi que l’isolement croissant, ont créé un environnement propice à l’exploitation par les mouvements d’extrême droite cherchant à transférer les peurs et les frustrations en ciblant des individus et groupes «autres». Cette évolution s’est accompagnée d’une augmentation du temps passé en ligne, ce qui a créé des conditions propices à la circulation de la propagande et de la désinformation et, par conséquent, à un risque accru de radicalisation en ligne.

3.3. La banalisation de l’idéologie d’extrême-droite

32. Il est crucial de qualifier l’extrémisme de menace pour la démocratie elle-même. Il représente à la fois une menace directe, dans la mesure où il met en péril l’ordre constitutionnel démocratique et les libertés, et une menace indirecte, en ce qu’il peut altérer la vie politique. En 2003, l’Assemblée a mis en garde contre la tentation éventuelle des partis politiques traditionnels d’adopter la posture et le discours démagogique propres aux partis extrémistes afin de combattre la popularité électorale croissante de ces derniers. En 2010, elle s’est également inquiétée du risque non négligeable que les partis politiques traditionnels tendent à s’appuyer sur un discours raciste pour éviter la perte d’une partie de leur électorat 
			(31) 
			Résolution 1754 (2010) «Lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses
et échecs».. Cela montre que nos démocraties ne sont pas à l’abri de la politique d’extrême droite. Plus récemment, l’Assemblée a constaté que le discours de haine et l’intolérance faisaient désormais partie du discours politique, où ils sont utilisés non seulement par des groupes populistes et extrémistes, mais de plus en plus par des représentant·e·s de mouvements et de partis de tout l’éventail politique 
			(32) 
			Résolution 2275 (2019) «Rôle et responsabilités des dirigeants politiques dans
la lutte contre le discours de haine et l’intolérance».. Il s’agit là d’une tendance inquiétante, à laquelle il faut mettre un terme.
33. L’Assemblée a souligné le rôle important des partis politiques dans la lutte contre le racisme et l’intolérance et dans la promotion d’une société inclusive. La Charte révisée des partis politiques européens pour une société non raciste et inclusive engage ses signataires à défendre les droits humains fondamentaux et les principes démocratiques et à rejeter toutes les formes de racisme et d’intolérance, le discours de haine, l’incitation à la haine raciale et le harcèlement 
			(33) 
			Résolution 2443 (2022) «Le rôle des partis politiques dans la promotion de
la diversité et de l’inclusion: une nouvelle Charte pour une société
non raciste».. J’encourage tous les partis politiques à signer la Charte révisée, afin de marquer leur attachement aux valeurs du Conseil de l’Europe.
34. Il existe des équilibres sensibles pour les médias. Les salles de rédaction sont confrontées à la question de savoir comment remplir leur rôle démocratique qui consiste à informer le public, tout en évitant de donner un poids disproportionné aux extrémistes ou aux personnalités clés de l’extrême droite. Fournir par inadvertance, une plateforme démesurée aux opinions extrémistes marginales risque de légitimer et de faire avancer ces idées et leurs objectifs.

4. Le défi de l’idéologie d’extrême droite pour nos valeurs communes

4.1. Porter atteinte aux normes démocratiques

35. La diffusion d’idées extrêmes, à la fois hors ligne et en ligne, et leur acceptation croissante représentent une grave menace pour l’ordre juridique démocratique.
36. Des événements tels que l’assaut du Capitole américain en 2021 démontrent la menace continue et active que représentent les idéologies d’extrême-droite à l’échelle mondiale. Les activités de militant·e·s extrêmes ont joué un rôle décisif dans la mobilisation de milliers de personnes qui ont tenté de faire annuler le résultat d’une élection légitime.
37. Les attaques contre l’ordre constitutionnel, comme celles perpétrées contre le pouvoir judiciaire ou les processus électoraux, ainsi que les actions visant à dégrader ou subvertir notre culture démocratique sont de plus en plus préoccupantes. Les tentatives implicites et explicites visant à affaiblir l’équilibre des pouvoirs au sein des institutions publiques constituent une menace pour la démocratie, et le Conseil de l'Europe a mis en garde à plusieurs reprises contre cette menace de recul de la démocratie. En s'engageant à respecter les principes de Reykjavík lors du quatrième Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe en mai 2023, les États membres ont convenu de protéger et de promouvoir les principes de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l'homme, de s'opposer fermement aux tendances autoritaires, de prévenir le recul de la démocratie en Europe et d’y résister.
38. Les manifestations violentes de l'extrémisme sont fondamentalement un rejet de nos valeurs démocratiques communes de tolérance, respect, inclusion et diversité. Le fonctionnement de l’ordre démocratique est entravé par des manifestations d’extrémisme telles que le discours de haine systématique, la distillation de la peur, la propagation de la désinformation, la diabolisation et l’intimidation 
			(34) 
			Commission européenne,
Réseau de sensibilisation à la radicalisation «Entre l’extrémisme
et la liberté d’expression: traiter avec des acteurs extrémistes
de droite non violents», 2021..
39. Les efforts déployés pour exercer une influence ont été particulièrement prononcés lors des manifestations contre les mesures relatives à la covid-19, les manifestations publiques ayant vu l’apparition de groupes non affiliés d’idéologues d’extrême droite contestant la légitimité de l’action gouvernementale, les institutions démocratiques, et amplifiant les théories du complot. Le recours à la violence lors d’un certain nombre de ces événements et l’abus du droit de manifester sont inacceptables.
40. Les incidents de harcèlement et les menaces proférées à l’encontre d’élu·e·s ont été coordonnés par des groupes d’extrême droite. Cette intimidation ne peut être tolérée dans notre culture démocratique.

4.2. Porter atteinte aux droits humains

41. Les droits humains reposent sur le principe de la dignité inhérente à tous les êtres humains et de leur égalité, de sorte que promouvoir un ensemble de droits tout en portant atteinte aux droits d’autres personnes ou en violant ces droits est contraire aux principes des droits humains.
42. Les idéologies d’extrême droite englobent et promeuvent des visions xénophobes, racistes et nativistes, incluant d’autres formes d’intolérance ou se revendiquant d’une conviction religieuse ou autre croyance. Le fait de distinguer comme les «Autres», des personnes considérées comme faisant partie d’un groupe extérieur expose ces personnes à la haine et les prive de leurs droits humains. Les «récits de griefs» exposent certaines personnes et communautés à un risque particulier. Il s’agit notamment des groupes ethniques et religieux, de la communauté LGBTQ, ainsi que des responsables politiques et d’autres personnalités publiques 
			(35) 
			Chambre des communes
du Royaume-Uni, «Extreme Right-Wing Terrorism», 13 juillet 2022.. Le discours de haine, les appels à des politiques restrictives qui portent atteinte aux droits humains des groupes minoritaires et la propagation d’une idéologie d’intolérance doivent être combattus.

5. Lutter contre la menace

43. La présence et la menace de groupes non démocratiques impliquent que des mesures doivent être prises pour renforcer les démocraties. L’internationalisation de l’idéologie d’extrême-droite, le rôle démesuré des contenus extrémistes en ligne et la banalisation de l’extrémisme de droite montrent qu’il est nécessaire de lutter contre la désinformation, la mésinformation et la propagande. Le risque que les principes démocratiques fondamentaux soient sapés est trop grand pour ne pas agir.
44. Cette action devrait consister, notamment, en un renforcement des valeurs et des pratiques démocratiques au sein du grand public et en des actions stratégiques à la fois légales, politiques et éducationnelles. Le concept de «démocratie défensive» (également appelé «démocratie militante») peut être instructif pour ces actions, étant définies comme «toutes les activités, qu’il s’agisse de dispositions formelles ou de stratégies politiques, visant explicitement et directement à protéger le système démocratique de la menace de ses opposants internes» 
			(36) 
			G. Capoccia, «Défendre
la démocratie: Réactions à l’extrémisme politique dans l’Europe
de l’entre-deux-guerres», 2001..
45. Ces mesures de «démocratie défensive» prennent un certain nombre de formes. Premièrement, grâce à une législation qui limite les menaces pesant sur l’ordre démocratique et ses principes clés que sont les droits humains, la démocratie et l’État de droit. Deuxièmement, à travers des réponses culturelles et sociales, c’est-à-dire des stratégies éducatives et sociales qui renforcent la résilience contre la manipulation par la propagande, la désinformation et les techniques extrémistes persuasives notamment la désignation de boucs émissaires. Cela comprend des stratégies pour donner à la population les outils nécessaires pour construire ses propres contre-arguments, reconnaître et rejeter la désinformation, ainsi qu’un soutien au rôle important joué par la société civile dans ces efforts 
			(37) 
			C. Miller-Idriss, «Strengthening
democracy is the key to preventing far-right extremism», Institute
for Global Change, 30 avril 2021..

5.1. Réponses juridiques

46. Afin de lutter efficacement contre la menace de l'extrémisme, les États membres ont élaboré un certain nombre de mesures législatives pour faire face à l'extrémisme de droite et les activités qui y sont liées. Outre la codification des activités criminelles ayant des aspects extrémistes, les États membres ont également élaboré des législations pour faire face aux menaces qui pèsent sur l'ordre démocratique ou constitutionnel.

5.1.1. Le discours de haine

47. Lorsque des organisations se sont livrées à des actes tels que le discours de haine, la discrimination et la violence, les États membres ont adopté des mesures pour dissoudre ces organisations. Citons notamment les mesures prises par le Gouvernement français en 2021 contre l'organisation Génération Identitaire; le décret de la Cour suprême de Finlande du 22 septembre 2020 selon lequel le Mouvement de résistance nordique et Pohjoinen Perinne ry (tradition nordique) devaient être dissous; l'interdiction d'Action nationale au Royaume-Uni en 2016 et la reconnaissance de l'organisation Aube dorée en tant qu'organisation criminelle en Grèce en octobre 2020.
48. La législation relative à la dissolution des organisations d'extrême droite peut prendre un certain nombre de formes, par exemple des lois sur les associations ou sur les crimes de haine ou encore des lois interdisant les organisations soupçonnées d'être impliquées dans le terrorisme. Face aux défis similaires auxquels tous les pays d'Europe sont confrontés, et à la lumière des aspects transnationaux de la menace, il apparaît nécessaire de continuer à coopérer et à contribuer à l'élaboration d'approches juridiques communes. Il conviendrait également de prendre des mesures utiles pour renforcer cette coopération, notamment accorder un soutien accru aux autorités nationales pour coordonner les enquêtes transfrontières et encourager les organismes d'enquête compétents à partager les connaissances sur les meilleures pratiques en matière d'enquêtes et de poursuites relatives à l'extrémisme de droite.
49. En ce qui concerne les contenus extrémistes en ligne, l'intervention des pouvoirs publics s'est intensifiée ces dernières années, un nombre croissant de gouvernements ayant proposé et adopté des lois pour lutter contre la prolifération des contenus terroristes et extrémistes en ligne 
			(38) 
			OCDE,
«L’établissement de rapports de transparence sur les contenus terroristes
et extrémistes violents en ligne», n° 334, 2022.. Les services de partage de contenus en ligne tendent à interdire eux-mêmes l'utilisation de leurs technologies à des fins extrémistes violentes, et une coopération accrue avec ces services pourrait contribuer à renforcer la coordination des approches visant à améliorer la définition des contenus extrémistes violents pour mieux cibler ces efforts.
50. En réponse à la montée persistante et inquiétante du discours de haine, notamment en ligne, telle qu’elle est décrite en détail par les organes de suivi du Conseil de l'Europe, le Comité des ministres a adopté des recommandations sur la lutte contre ce phénomène, y compris des appels à la mise en place de cadres juridiques complets et efficaces qui consistent en des dispositions de droit civil, administratif et pénal bien calibrées. Le Comité des Ministres recommande que les dispositions du droit pénal relatives au discours de haine ne soient appliquées qu’en dernier recours et pour les expressions de haine les plus graves 
			(39) 
			Recommandation <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a67951'>CM/Rec(2022)16</a> du Comité des Ministres aux États membres sur la lutte
contre le discours de haine, 20 mai 2022..

5.1.2. Restrictions imposées aux partis politiques

51. Face aux inquiétudes concernant les tentatives des antidémocrates et des extrémistes d'entrer dans les institutions démocratiques d'un pays afin d'abuser de l'ordre démocratique et de le subvertir, un certain nombre de mécanismes ont été développés pour surveiller, contenir et poursuivre les discours et les activités extrémistes. Les instruments pertinents prévoient notamment des mesures qui limitent directement ou indirectement la présence de groupes extrémistes et antidémocratiques au sein des institutions démocratiques.
52. Les recommandations de l’ECRI prévoient le retrait de toute forme de soutien financier ou autre de la part des organismes publics aux partis politiques et autres organisations qui utilisent le discours de haine ou ne sanctionnent pas l'utilisation de ce discours par leurs membres. Les États membres devraient également prévoir, dans le respect du droit à la liberté d'association, la possibilité d'interdire de telles organisations ou de les dissoudre lorsque le recours au discours de haine a pour but ou peut avoir pour effet d'inciter à commettre des actes de violence, d'intimidation, d'hostilité ou de discrimination à l'encontre des personnes visées 
			(40) 
			ECRI, Recommandation
de politique générale n°15 sur la lutte contre le discours de haine,
2015..
53. L'Assemblée a déclaré que «les restrictions ou dissolutions de partis politiques ne peuvent être que des mesures d’exception, ne se justifiant que dans les cas où le parti concerné fait usage de violence ou menace la paix civile et l’ordre constitutionnel démocratique du pays», et que «le recours à des mesures moins radicales que la dissolution doit, autant que possible être privilégié 
			(41) 
			Résolution 1308 (2002), «Restrictions concernant les partis politiques dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe», 18 novembre 2002, paragraphe
11.». Cela a été repris par la Commission européenne pour la démocratie par le droit, qui a recommandé que «la possibilité pour des autorités gouvernementales de dissoudre un parti politique ou interdire à un parti politique de se former doit concerner des circonstances exceptionnelles, être étroitement encadrée et ne doit être appliquée que dans des cas extrêmes. Un niveau de protection aussi élevé est approprié, compte tenu du rôle fondamental des partis politiques dans le processus démocratique, ce qui exige également un niveau de contrôle plus strict par rapport aux associations autres que les partis politiques» 
			(42) 
			Commission
européenne pour la démocratie par le droit et Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE, «Lignes directrices
sur la réglementation des partis politiques», deuxième édition,
2020, 50..
54. Des mesures visant à restreindre ou à dissoudre les partis politiques ont été imposées par un certain nombre de pays européens. En février 2023, le Parlement grec a adopté des dispositions législatives pour disqualifier les partis dirigés par des responsables politiques reconnus coupables de délits graves et considérés comme une menace potentielle pour la démocratie s’ils se présentent aux élections. Ces mesures ont été confirmées par un arrêt de la Cour suprême de Grèce du 2 mai 2023. La Cour suprême a ainsi décidé de bannir le Parti national hellénique en raison de l’incitation à la violence, du manque de respect à la démocratie, de la promotion d’idéologies totalitaires, de la diffusion d’idées racistes, intolérantes et incitant à la haine qui menaçaient la coexistence pacifique des groupes sociaux dans le pays 
			(43) 
			V.
Tsagkroni, «Registered, Banned and Excluded: Thoughts on Mobilisation
and Exclusion of Far-Right Parties», GPSG Pamphlet No 7: First Thoughts
on the 21 May 2023 Election in Greece, May 2023 (anglais seulement)..
55. Il existe d’autres exemples de décisions rendues par des cours constitutionnelles sur la question de l'interdiction d'un parti, notamment la décision de 2017 de la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui s'est prononcée contre l'interdiction du Parti national-démocrate d'Allemagne 
			(44) 
			Bundersverfassungsgericht
[Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne], 2 BvB 1/13 (17 janvier
2017).. Ce parti prône l'abolition de l'ordre fondamental libre et démocratique existant et son remplacement par un État national autoritaire qui adhère à l'idée d'une communauté définie par l'ethnie. Le raisonnement de la Cour constitutionnelle a consisté notamment à déterminer s'il existait des indicateurs spécifiques et importants montrant qu'un parti pouvait atteindre ses objectifs antidémocratiques. En l’absence de preuves que le parti en question pouvait y parvenir, la Cour a jugé que l'interdiction n'était pas nécessaire pour la protection de la démocratie 
			(45) 
			J.
Hogan, «Analyzing the Risk Thresholds For Banning Political Parties
After NPD II», German Law Journal (2022), 23, pp. 97-116..
56. Les mesures prises pour défendre la démocratie peuvent en elles-mêmes soulever des questions quant à leur conformité avec les normes en matière de droits humains. Si les instruments de défense des droits humains reconnaissent qu’il existe des motifs valables de restriction de la liberté d'association, notamment la nécessité de lutter contre l'extrémisme violent, les mesures doivent dans ce cas être les moins intrusives possibles pour atteindre l'objectif visé. Toute mesure prise pour atteindre un objectif légitime doit être nécessaire dans une société démocratique et ne pas être appliquée à d'autres fins que celles pour lesquelles elle a été prescrite 
			(46) 
			Lignes directrices
sur la réglementation des partis politiques, op. cit..
57. La Cour européenne des droits de l'homme a toujours estimé qu'en raison de leur rôle important dans le fonctionnement de la démocratie, les restrictions à la formation des partis politiques devraient être utilisées avec modération et uniquement lorsqu'elles sont nécessaires dans une démocratie 
			(47) 
			Cour européenne des
droits de l’homme: Gorzelik et autres
c. Pologne [GC], Requête n° 44158/98, 17 février 2004, paragraphe
95; Sidiropulos et autres c. Grèce,
Requête n° 26695/95, 10 juillet 1998, paragraphe 40; TTebieti Mühafize Cemiyyeti and Israfilov c.
Azerbaïdjan, Requête n° 37083/03, 8 octobre 2009, paragraphe
78..

5.2. Réponses culturelles et sociétales

58. La lutte contre l’extrémisme d’extrême droite nécessite une approche multidimensionnelle qui combine à la fois des mesures d’application de la loi et des mesures de sécurité adéquates, avec des réponses non juridiques qui mettent l’accent sur la prévention, l’éducation et la lutte contre les causes profondes.
59. Compte tenu de la nature transnationale de l’extrémisme violent de droite, il est important de renforcer la coopération internationale en tant qu’outil clé pour avoir un échange sur les défis et les bonnes pratiques et créer des synergies entre les États, les organisations internationales et les entités spécialisées. Les efforts coordonnés et multipartites visant à identifier et analyser les facteurs politiques, sociétaux et autres à l’origine de l’adhésion croissante aux idéologies d’extrême droite sont des mesures bienvenues pour évaluer les évolutions et y réagir de manière proactive. Des définitions et des pratiques communes peuvent contribuer à améliorer la collecte de données sur l’ampleur de la menace, tout en apportant une plus grande clarté conceptuelle à la manière d’aborder le phénomène.
60. La recherche et l’expérience pratique ont montré l’importance d’associer tous les niveaux de la société à la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent 
			(48) 
			Stratégie du Conseil
de l’Europe contre le terrorisme (2023-2027), 8 février 2023.. L’approche consistant à impliquer l’ensemble de la société, y compris les acteurs publics, privés et non gouvernementaux, dans la lutte contre les différents aspects de la radicalisation et du désengagement et pour la réintégration sociale est une stratégie encourageante pour contrer les récits extrémistes qui font peser une menace sur la démocratie et les droits humains.
61. Une autre mesure importante pour les gouvernements peut être d’investir davantage dans des approches éducatives et préventives visant à remédier aux vulnérabilités vis-à-vis de la propagande extrémiste au sein du grand public. L’exemple allemand de l’intervention financée par le gouvernement «Demokratie leben» (vivre la démocratie) replace l’extrémisme dans un cadre plus général afin de renforcer et de protéger une démocratie inclusive et diversifiée et de travailler contre la radicalisation et la polarisation de la société 
			(49) 
			«Strengthening democracy
is the key to preventing far-right extremism», op. cit.. L’éducation démocratique proactive est un élément important pour renforcer la résilience démocratique contre les phénomènes des idéologies d’extrême droite et des discours de haine dans nos sociétés.
62. Le Conseil de l'Europe a souligné à plusieurs reprises que les mesures visant à renforcer la capacité de la société à rejeter toutes les formes d'extrémisme par le biais de l'éducation formelle et informelle, des activités de jeunesse et de la formation des principaux acteurs (tels que les médias, les responsables politiques et les acteurs sociaux) jouent un rôle essentiel à cet égard. 
			(50) 
			Comité des ministres,
CM(2015)74-addfinal,125e session du Comité
des ministres, Bruxelles, 19 mai 2015. Le développement de compétences en matière de pensée critique et d'éducation aux médias peut renforcer la résilience face à la désinformation et aux contenus en ligne qui incitent à l'extrémisme et aux efforts de recrutement des groupes d’extrême droite.
63. Les activités ciblant la jeunesse revêtent une importance particulière en raison du risque élevé de radicalisation des jeunes qui a été constaté ces dernières années. Dans certains États membres, les services de renseignement ont observé une évolution démographique des personnes associées à des activités extrémistes d’extrême droite touchant des personnes sans antécédents criminels, aux connaissances techniques sophistiquées et de plus en plus âgées de moins de 18 ans 
			(51) 
			«Extreme Right-Wing
Terrorism», op. cit.. La Déclaration de Reykjavík a noté la priorité à accorder à la participation des jeunes à la vie démocratique, y compris à l’éducation aux droits humains et aux valeurs démocratiques fondamentales telles que le pluralisme, l’inclusion et la non-discrimination 
			(52) 
			Conseil de l’Europe,
Déclaration de Reykjavík, mai 2023..
64. Les groupes communautaires et les organisations de la société civile jouent un rôle important dans le travail de sensibilisation, l’éducation et la réaction aux efforts de déradicalisation. La coopération et les relations entre le gouvernement et ces groupes sont d’une importance constante pour garantir une approche consistant à impliquer l’ensemble de la société dans la lutte contre les conditions propices à l’extrémisme d’extrême droite et dans les efforts visant à empêcher l’intolérance et l’extrémisme violent de s’établir dans les communautés. Cela inclut le rôle des organisations de la société civile éduquant aux valeurs démocratiques, menant des activités communautaires visant à renforcer les fondements démocratiques et aidant les victimes d’activités extrémistes. Il comprend également la fourniture d’un soutien aux personnes qui souhaitent quitter un groupe extrémiste violent ou se réinsérer dans les communautés à la suite de leur association avec des groupes extrémistes.
65. Les questions relatives à l’utilisation abusive de l’espace en ligne en lien avec l’extrémisme de droite sont à la fois d’une importance capitale et d’une grande complexité. Il demeure essentiel de mettre l’accent sur les messages, le discours de haine, la propagande et le recrutement de l’extrême droite. En même temps, l’utilisation de messageries codées, de mèmes, d’une pléthore de plateformes différentes et de communications chiffrées rend le suivi et la détection difficiles. En outre, une grande partie des contenus d’extrême droite apparaissent parmi des contenus qui restent en-deçà des seuils pénaux. Une coopération accrue devrait être encouragée entre les gouvernements et les prestataires de services de communication dans le cadre des efforts visant à détecter et à supprimer de manière proactive les contenus préjudiciables.
66. Dans sa Résolution 2443 (2022) «Le rôle des partis politiques dans la promotion de la diversité et de l’inclusion: une nouvelle charte pour une société non raciste», l’Assemblée a réaffirmé que les représentant·e·s des gouvernements et les responsables politiques en général devraient mener avec détermination les efforts visant à éliminer le racisme, la haine et l’intolérance et donner l’exemple en contestant, rejetant et condamnant publiquement les expressions de haine, quelle que soit leur provenance. Cela contribue de manière essentielle à promouvoir un modèle de société qui encourage la diversité et respecte la dignité humaine et à orienter la tonalité du discours public.
67. L'Assemblée a également appelé, dans la même résolution, tous les partis politiques démocratiques à signer et à appliquer la Charte révisée des partis politiques européens pour une société non raciste et inclusive, qui comprend l'adhésion à la défense des droits humains fondamentaux et des principes démocratiques et au rejet de toutes les formes de racisme et d'intolérance, de discours de haine, d'incitation à la haine raciale et de harcèlement.

6. Conclusions

68. Le quatrième Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe a donné un nouvel élan à l'Organisation en tant que pierre angulaire de la sécurité démocratique européenne, à la protection de nos fondements démocratiques et à la lutte contre les atteintes aux droits humains.
69. L’essor et la propagation rapide de l’idéologie d’extrême droite en Europe se caractérisent par une montée de l’intolérance, du discours de haine et de la discrimination, et cette tendance a été identifiée dans nombre de pays européens comme la plus grande menace que doit affronter leur démocratie. Nous ne pouvons accepter des actes d’intimidation et de violence qui représentent un risque pour nos structures démocratiques et mettent en péril les droits humains et les libertés fondamentales.
70. Les attaques perpétrées ces dernières années par des extrémistes de droite, tant en Europe que dans le monde, doivent également nous rappeler que nous ne pouvons pas sous-estimer le danger que représente cet extrémisme de droite. Les activités destinées à mettre à mal la société démocratique, nos valeurs et nos principes requièrent une réponse ferme et vigoureuse à la fois au niveau national et international afin de préserver une Europe libre, sûre et démocratique. Les défis auxquels nos sociétés sont confrontées, tels que l’incertitude économique, la polarisation sociétale et l’instabilité géopolitique, ont encore élargi l’opportunité pour les extrémistes d’extrême droite de promouvoir des solutions suprémacistes et d’atteindre des publics mécontents.
71. Une coopération internationale et la mise en œuvre efficace de politiques cohérentes et responsables sont nécessaires pour faire face aux évolutions de plus en plus transnationales, à la prolifération des contenus extrémistes en ligne et à la banalisation de l’idéologie d’extrême droite dans la sphère publique. Des politiques de prévention doivent être ajustées, affinées et étendues aux manifestations et tactiques modernes de l’extrémisme d'extrême droite.
72. Les gouvernements doivent garantir qu’il existe des contrepoids aux discours extrémistes en les contestant publiquement et en veillant à la mise en place d’une éducation qui renforce le respect des droits humains et encourage la compréhension et la tolérance.
73. Les responsables politiques devraient être en première ligne dans cette action, jouer pleinement leur rôle de défense des droits humains et des principes démocratiques et rejeter sans équivoque toutes les formes de racisme et d’intolérance, de discours de haine, d’incitation à la haine raciale et de harcèlement.