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Rapport | Doc. 15830 | 25 septembre 2023

Prévenir les comportements addictifs chez l’enfant

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Diana STOICA, Roumanie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15269, Renvoi 4583 du 24 septembre 2021. 2023 - Quatrième partie de session

Résumé

Les comportements addictifs chez les enfants ont des conséquences désastreuses sur leur santé mentale et physique et leur développement. Les enfants sont vulnérables aux addictions, car ils sont à un stade où leur personnalité se forme. Ils ont donc particulièrement besoin d’être protégés par leurs parents, les professionnels qui travaillent avec eux et les décideurs politiques. Face à l’absence actuelle de réactivité ou à l’insuffisance des politiques de lutte contre ce fléau, il est nécessaire que les États renforcent les recherches et les pratiques innovantes en matière de prévention.

Les États membres du Conseil de l’Europe devraient développer des politiques de prévention complètes incluant notamment des mécanismes innovants qui font intervenir les enfants et les jeunes adultes dans le cadre d’un dialogue entre pairs ainsi que des formations pour les adultes qui travaillent avec les enfants. Ils devraient coopérer étroitement avec l’industrie numérique, de façon à interdire la vente de substances psychoactives et d’alcool aux enfants et l’accès des enfants aux jeux et paris en ligne, ainsi que toute forme de publicité en ligne de ces substances et des offres de jeux et paris en ligne aux enfants.

L’Assemblée devrait recommander au Comité des Ministres et au Groupe Pompidou de mener des études sur la consommation de cannabis chez les enfants, sur les addictions comportementales facilitées par les technologies en ligne et sur la prévalence de l’usage par les enfants de substances psychoactives nouvelles.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 19 septembre
2023.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est consternée par les comportements addictifs des enfants et les conséquences sur leur santé mentale et physique et leur développement. Elle relève que jusqu’à présent les politiques de prévention n’ont pas permis d’enrayer l’augmentation de ces comportements ni la multiplication des formes qu’ils revêtent.
2. Bien que le cannabis reste l’une des drogues les plus consommées, y compris chez les enfants, l’émergence continue de nouvelles drogues constitue un facteur de difficulté accrue dans la conception des politiques de prévention de l’usage de drogues. Avec les nouveaux comportements addictifs, principalement liés à l’utilisation des outils et applications numériques, le problème devient plus complexe à appréhender. L’exposition des enfants à des substances addictives ainsi qu’à des addictions comportementales s’est accrue dans le contexte de la pandémie de covid-19 et de la crise socio-économique qui s’en est suivie. Pendant les périodes de confinement, les mesures de prévention préexistantes ont souvent manqué d’adaptabilité et donc d’efficacité.
3. L’Assemblée entend faire prévaloir le droit à une vie saine de chaque enfant, tel que rappelé dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant qui garantit «le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation» et l’Objectif de développement durable n° 3 des Nations Unies visant à permettre à tous de vivre en bonne santé et à promouvoir le bien-être de tous à tout âge, ce qui suppose de renforcer «la prévention et le traitement de l’abus de substances psychoactives, notamment de stupéfiants et d’alcool».
4. L’Assemblée attache de l’importance à ce que les États préviennent ou réduisent les comportements addictifs, éliminant ainsi leurs conséquences physiques, psychologiques et sociales désastreuses qui constituent autant d’entraves au développement et au bien-être des enfants. En gardant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant, elle propose la mise en place de mesures souples et réactives qui prennent en considération les tendances en matière de comportements addictifs, sur la base d’une approche holistique des situations auxquelles sont confrontés les enfants. A cet égard, il convient de noter que bien que les comportements addictifs chez l’enfant soient présents dans tous les milieux socio-économiques, il est néanmoins patent que les enfants vivant dans un environnement défavorisé ou dont les parents ou les proches consomment des drogues sont plus vulnérables aux comportements addictifs.
5. L’Assemblée tient également à souligner que l’efficacité de la prévention et de la prise en charge la plus en amont possible de comportements addictifs plaide en faveur d’une intervention chez les jeunes enfants, y compris les plus jeunes d’entre eux, notamment lorsqu’ils sont exposés à des comportements addictifs dans leur entourage.
6. Face à l’absence actuelle de réactivité ou à l’insuffisance des politiques de lutte contre les drogues et les addictions chez les enfants, l’Assemblée estime nécessaire que les États renforcent les recherches et pratiques innovantes en matière de prévention, non seulement pour faire face aux addictions connues depuis longtemps mais aussi au regard des comportements addictifs qui ont émergé ces dernières années.
7. Au vu de ces éléments, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe à mettre en place des outils qui permettent de prévenir l’usage, par les enfants, des principales substances, de développer des mesures préventives globales adaptées aux différents comportements addictifs et de faire face de façon pérenne aux tendances en matière de comportements addictifs, en conformité avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Les politiques et plans d’action doivent inclure la recherche, la prévention, la réduction des risques, la prise en charge thérapeutique, avec un recul sur les expériences vécues par des enfants de différentes catégories d’âge, y compris les jeunes enfants. L’Assemblée insiste sur l’approche protectrice des politiques de prévention auprès des enfants, incluant outre une information adaptée à leur âge sur les substances addictives et leurs conséquences, des outils permettant de limiter l’accès à ces substances. A cet égard, il convient de prendre en considération les besoins spécifiques des enfants, en ayant une action ciblée auprès de certains publics plus vulnérables et en tenant compte des différents types de comportements addictifs.
8. En particulier, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à développer des mesures visant à renforcer les capacités des parents et des familles consommant de la drogue et de l’alcool, de façon à prévenir les addictions chez les enfants de ces familles;
8.2. à élaborer des mécanismes de prévention innovants qui font intervenir les enfants et les jeunes adultes dans le cadre d’un dialogue entre pairs. De même, elle suggère de développer des formations auprès des jeunes enfants et des adolescents sur la façon de résister à l’influence négative de leurs camarades, des adultes, des médias ou d’un environnement encourageant l’utilisation de drogues ou d’alcool;
8.3. à former les adultes qui travaillent avec les enfants, en particulier dans les milieux scolaires, sportifs, et médicaux, à détecter des comportements addictifs chez les enfants et à procéder à leur signalement en vue de leur prise en charge ou à les prendre en charge directement;
8.4. à renforcer l’interdiction de la fourniture ou de la vente de drogues et d’alcool aux enfants, y compris en sanctionnant systématiquement et de façon proportionnée les fournisseurs et les vendeurs;
8.5. à mettre en place des espaces d’accueil pour les enfants qui soient facilement accessibles et qui proposent une approche globale de la gestion des problèmes auxquels ils doivent faire face, y compris un soutien psychologique et social permettant de renforcer leur capacité à gérer les situations personnelles ou externes difficiles;
8.6. à évaluer le problème de la consommation de produits d’inhalation et ses conséquences sur la santé des enfants;
8.7. à lutter contre les drogues de synthèse, en ciblant en particulier le trafic à destination des enfants.
9. L’Assemblée demande aux États membres de coopérer étroitement avec l’industrie numérique:
9.1. afin d’interdire la vente en ligne de substances psychoactives et d’alcool aux enfants, ainsi que l’accès aux jeux et paris en ligne, de la même façon que dans le monde réel;
9.2. afin d’interdire toute forme de publicité en ligne de ces substances et des offres de jeux et paris auprès des enfants;
9.3. pour mettre en place des campagnes de prévention en ligne adaptées aux enfants concernant les jeux et paris en ligne et l’utilisation excessive des outils numériques.
10. L’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe ainsi que les États observateurs et les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée, qui ne l’ont pas encore fait, à adhérer à l’accord partiel élargi ayant créé le Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions (Groupe Pompidou).

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 19 septembre 2023.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution … (2023) «Prévenir les comportements addictifs chez l’enfant» et souligne la responsabilité qui incombe aux États membres de garantir le droit des enfants de jouir du meilleur état de santé possible, y compris en adoptant des mesures de prévention et de traitement des comportements addictifs. La persistance, voire l’augmentation de ce fléau chez les enfants, ont montré le manque d’efficacité à long terme des politiques et des lois nationales en vigueur.
2. Partant du constat que les difficultés socio-économiques sont un facteur important de stress pour les enfants et donc une cause d’usage de drogues ou d’autres comportements addictifs, l’Assemblée tient à rappeler ses travaux en matière de pauvreté et notamment sa Recommandation 2234 (2022) «Éliminer la pauvreté extrême des enfants en Europe: une obligation internationale et un devoir moral». Elle regrette l’insuffisance de la réponse du Comité des Ministres dans ce domaine et l’exhorte à mettre pleinement en œuvre la recommandation de façon à atteindre, en Europe, l’objectif mondial d’éliminer l’extrême pauvreté d’ici 2030 (objectif de développement durable 1.1 des Nations Unies), contribuant ainsi à réduire l’une des causes profondes des addictions chez les enfants.
3. Elle salue les premiers travaux du Groupe de coopération internationale du Conseil de l’Europe sur les drogues et les addictions (Groupe Pompidou) centrés sur les enfants et les familles affectés par la consommation de drogue des parents et la Déclaration de Lisbonne des 13 et 14 décembre 2022 qui a inclus dans les priorités de travail 2023-2025 du Groupe Pompidou la protection des droits des personnes appartenant à des groupes vulnérables et la réduction de la disponibilité des drogues illicites, ainsi que la prévention de la dépendance à internet et aux jeux en ligne.
4. Dans ce cadre, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à demander aux organes directeurs du Groupe Pompidou:
4.1. de mettre l’accent sur la prévention de la consommation de drogues chez les enfants, en renforçant leur coopération avec d’autres organisations internationales et la société civile, en fondant leurs recommandations sur des études validées et en incluant la participation des enfants dans leurs travaux. Elle relève l’intérêt particulier de se pencher sur l’usage du cannabis qui demeure la drogue la plus utilisée par les enfants. Une synthèse des conséquences de l’usage du cannabis sur le développement physique et cognitif des enfants pourrait servir de base à une politique de prévention du cannabis coordonnée au niveau européen, et permettre d’avoir une approche tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant sur la question récurrente de la légalisation/dépénalisation de la détention ou de l’usage du cannabis, afin de délivrer un message clair qui soit compréhensible par l’ensemble de la population, en particulier par les enfants;
4.2. de prioriser leur travail sur les addictions comportementales facilitées par les technologies et les pratiques en ligne, en mettant l’accent sur l’analyse des conduites addictives des enfants et les mesures de prévention associées, y compris en proposant des indicateurs permettant d’identifier ce type de conduites addictives, indicateurs qui devront aussi être fournis dans une version adaptée aux enfants, afin notamment de permettre une auto‑évaluation par les enfants;
4.3. de mener des études sur la prévalence de l’usage, par les enfants, de substances psychoactives nouvelles, souvent des drogues de synthèse, qu’elles soient ou non légales, et de proposer des mesures de prévention adéquates auprès des enfants, des parents et des professionnels de la santé.
5. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres de charger le secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe de développer des outils à destination des enfants en vue de sensibiliser aux conséquences d’un usage excessif ou addictif des outils numériques, y compris les jeux et les paris en ligne, dans le cadre de la mise en œuvre de sa Stratégie pour les droits de l’enfant 2022-2027.
6. L’Assemblée estime pertinent de développer des réseaux régionaux en Europe et au-delà et d’étendre le travail réalisé dans le cadre du Projet d’enquête sur la consommation d’alcool et d’autres drogues dans les milieux scolaires méditerranéens (MedSPAD) à l’ensemble des États membres du Groupe Pompidou, permettant ainsi d’avoir une cartographie plus large des spécificités nationales en matière de consommation de substances et des comportements à risque des adolescents. Elle recommande ainsi au Comité des Ministres de charger les organes directeurs du Groupe Pompidou de mettre en place une cartographie plus large, comprenant l’ensemble des comportements addictifs, éventuellement par région, afin de permettre aux États d’échanger des bonnes pratiques à partir d’indicateurs communs concernant les adolescents. Cette cartographie devrait s’étendre à des populations de plus jeunes enfants.

C. Exposé des motifs par Mme Diana Stoica, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le 15 avril 2021, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable (la commission) a déposé une proposition de recommandation intitulée «Prévenir les comportements addictifs chez l’enfant» 
			(3) 
			Doc. 15269.. La proposition a été renvoyée à la commission pour rapport et j’ai été désignée rapporteure le 22 juin 2021. La commission a examiné une note introductive lors de sa réunion du 23 septembre 2022, et j’ai effectué une visite d’information à Dublin (Irlande), les 4 et 5 mai 2023. La proposition alertait sur l’exposition des enfants à des substances addictives ainsi qu’à des addictions comportementales, dans le contexte de la pandémie de covid-19 et de la crise socio-économique qui s’en est suivie.
2. Chaque enfant a droit à une vie saine. Tous les États membres du Conseil de l’Europe sont parties à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, qui garantit «le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation», et souligne que «[l]es États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances». L’Objectif de développement durable n° 3 des Nations Unies est de permettre à tous de vivre en bonne santé et de promouvoir le bien-être de tous à tout âge, ce qui suppose de renforcer «la prévention et le traitement de l’abus de substances psychoactives, notamment de stupéfiants et d’alcool». Il est donc essentiel de s’attaquer aux comportements addictifs chez l’enfant pour protéger les droits humains et assurer un développement durable, conformément aux cadres juridiques et aux politiques à l’échelle internationale 
			(4) 
			<a href='https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-coe-2022-handbook-child-rights_en.pdf'>«Manuel
de droit européen en matière de droits de l’enfant</a>», Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne
et Conseil de l’Europe, édition 2022.. En outre, de tels comportements ne se limitent pas à la consommation de substances – ils peuvent aller de pair avec le défilement des médias sociaux, les jeux, ou la pornographie. Ainsi, la pratique excessive de jeux vidéo ou de jeux de hasard et d’argent en ligne peut entraîner des risques et des dommages importants, notamment des addictions comportementales, l’isolement social, l’endettement financier et la détresse psychologique. Le Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe 
			(5) 
			Le <a href='https://www.coe.int/fr/web/pompidou/'>Groupe Pompidou</a> (Groupe de coopération internationale du Conseil de
l'Europe sur les drogues et les addictions) est la plateforme de
coopération sur les politiques en matière de drogues du Conseil
de l’Europe. a récemment engagé des travaux dans ce domaine 
			(6) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/pompidou/-/pompidou-group-launches-its-work-in-the-area-of-online-addictions'>Un
groupe de 14 experts a tenu sa première réunion les 10 et 11 mai
2023 à Paris et a convenu d'un programme de travail pour préparer
un rapport complet avec une analyse des risques et des dommages
associés aux jeux d'argent et de hasard en ligne et une vue d'ensemble
des réponses actuelles, à finaliser d'ici novembre 2023</a>..
3. La pandémie de covid-19 a constitué une menace majeure pour les catégories les plus vulnérables de la population, et les enfants ont compté parmi les personnes qui ont été les plus exposées à ses effets dévastateurs 
			(7) 
			World
Vision, 2020. <a href='https://www.wvi.org/newsroom/coronavirus-health-crisis/coronavirus-30-million-childrens-lives-risk-secondary-effects'>«Coronavirus:
30 million children’s lives at risk from secondary effects of killer
disease</a>».. Les systèmes de santé, fortement fragilisés ou défaillants dans certaines régions, ont été rapidement saturés. Beaucoup de personnes souffrant d’autres maladies n’ont pas été traitées par manque de place dans les centres de santé ou par crainte de contracter la covid-19 en se rendant à l’hôpital 
			(8) 
			Song, H., Ezaz, G.,
Greysen, S.R., Halpern, S.D., et Kohn, R., 2020. <a href='https://hbr.org/2020/07/how-hospitals-can-meet-the-needs-of-non-covid-patients-during-the-pandemic'>«How
Hospitals Can Meet the Needs of Non-Covid Patients During the Pandemic»</a>, Harvard Business Review.. Un grand nombre d’enfants européens ont ainsi vécu une catastrophe de santé publique liée à cette pandémie, et beaucoup d’entre eux connaissent aussi des difficultés économiques 
			(9) 
			Voir également le rapport
de M. Simon Moutquin (Belgique, SOC), intitulé «Santé mentale et
bien-être des enfants et des jeunes adultes» (Doc. 15829).. La crise de santé mentale des enfants et des adolescents qui en a découlé a contribué à l’apparition de comportements addictifs chez les enfants. Les troubles liés à la consommation de substances et les overdoses chez les adolescents ont augmenté au cours de cette période 
			(10) 
			«Mental Health and
Substance Use Considerations Among Children During the COVID-19
Pandemic», N. Panchal, R. Kamal, C. Cox, R. Garfield et P. Chidambaram,
26 mai 2021. Une <a href='https://s3.amazonaws.com/media2.fairhealth.org/whitepaper/asset/The Impact of COVID-19 on Pediatric Mental Health - A Study of Private Healthcare Claims - A FAIR Health White Paper.pdf'>analyse</a> de données émanant d'assurances privées a montré que,
de manière générale, la part des demandes de prise en charge concernant
des troubles liés à la consommation de substances et des overdoses
dans l'ensemble des demandes de remboursement de frais médicaux pour
les adolescents de 13 à 18 ans a augmenté en 2020, par rapport à
2019.. Un rapport régional rédigé par le réseau méditerranéen de coopération sur les drogues et les addictions du Groupe Pompidou a mis en évidence le léger impact qu’ont eu les restrictions imposées dans le cadre de la covid-19 sur la consommation de substances et les comportements à risque chez les adolescents de la région méditerranéenne 
			(11) 
			<a href='https://rm.coe.int/adolescent-substance-use-and-risk-behaviours-in-the-mediterrannean-reg/1680a941f3'>«Adolescent
substance use and risk behaviours in the Mediterranean region, Fourth
MedSPAD regional report», 2022</a>, pp. 69-71.. Ce rapport fait un état des lieux de la consommation de substances et de comportements à risque des adolescents dans la région méditerranéenne. Il pourrait être intéressant d’étendre le recueil de ces données à l’ensemble des États membres du Groupe Pompidou et au-delà pour permettre aux autorités d’avoir une approche comparative avec d’autres pays et de s’inspirer de politiques nationales qui pourraient être transposées dans leur propre pays.
4. Le présent rapport a pour objectif d’examiner les enjeux liés aux comportements addictifs chez l’enfant au regard de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et des Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les soins de santé adaptés aux enfants. Je souhaiterais proposer des recommandations sur les mesures à prendre et la méthode à employer qui doivent exiger la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, être fondées sur les droits humains et des données probantes, s’attaquer aux causes profondes des comportements addictifs et démontrer leur efficacité. Ces recommandations pourraient aussi contribuer à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable des Nations Unies et de la Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant (2022-2027) 
			(12) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/children/strategy-for-the-rights-of-the-child'>Stratégie
du Conseil de l’Europe pour les droits de l'enfant (2022-2027)</a>..

2. But et portée du rapport

2.1. Vue d’ensemble

5. Un comportement addictif est un état de dépendance physiologique, physique ou psychologique à une substance ou se caractérise par un usage compulsif et répété. Les addictions peuvent se diviser en deux catégories: (i) les dépendances liées à des produits: tabac, alcool, médicaments ou drogues; (ii) celles non liées à des produits: dépendance au travail, aux jeux, à internet, au téléphone, au sport… De plus, l’addiction est souvent définie comme la perte de contrôle sur une action, ou sur la consommation ou l’utilisation de quelque chose, au point que cela peut être nocif pour la personne concernée 
			(13) 
			<a href='https://www.nhs.uk/live-well/addiction-support/addiction-what-is-it/'>«Addiction:
what is it?» – NHS</a>.. L’individu concerné peut souffrir d’anxiété, de dépression et avoir des pensées suicidaires. Il est également possible qu’il ne soit pas en mesure d’accomplir certaines tâches de la vie quotidienne. Les gènes peuvent influer sur le niveau de récompense que les individus ressentent lorsqu’ils consomment une substance pour la première fois ou qu’ils adoptent certains comportements. Le désir accru de renouveler l’expérience liée à la substance ou au comportement est influencé par des facteurs psychologiques, sociaux et environnementaux. L’addiction accapare l’esprit de l’individu en question, qui est incapable de penser à autre chose et organise souvent sa journée autour d’elle. Une exposition régulière et un usage chronique peuvent entraîner des changements cérébraux 
			(14) 
			<a href='https://www.apa.org/topics/substance-use-abuse-addiction'>«Addictions»
– American Psychological Association</a>.. Les dommages encourus sont encore plus néfastes pour le cerveau en développement des enfants. Plus la dépendance est forte, plus ses effets sont importants et graves. Tous les milieux sociaux et culturels sont touchés par ce phénomène, mais le contexte peut avoir une incidence et les substances consommées ainsi que les types de comportement observés peuvent varier.
6. Les enfants sont particulièrement vulnérables lorsqu’ils sont exposés à des substances et comportements addictifs, car ils sont à un stade où leur personnalité se forme. Ils sont aussi facilement influencés par leur environnement, leurs amis et les médias. Ainsi, les conséquences de la consommation de drogues par les parents se reflètent souvent dans le développement de l’enfant 
			(15) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/pompidou/enfants'>www.coe.int/fr/web/pompidou/enfants</a>.. Selon une récente étude menée auprès de jeunes enfants et d’adolescents au Royaume-Uni, des enfants d’à peine 11 ans boivent de l’alcool; si leurs amis en consomment déjà, ils ont cinq fois plus de risques de tenter l’expérience 
			(16) 
			<a href='https://www.recoverylighthouse.com/peer-pressure-bullying-can-lead-substance-abuse/'>www.recoverylighthouse.com/peer-pressure-bullying-can-lead-substance-abuse/</a>.. Ce fait a aussi été évoqué avec la plupart des interlocuteurs lors de la visite d’information en Irlande, étant identifié par certains comme l’une des principales causes des addictions chez les enfants, et qualifié d’«addiction intergénérationnelle». Le marketing commercial cible souvent les enfants et les personnes qui s’en occupent pour vendre des produits, même si ceux-ci sont potentiellement nuisibles à la santé et au bien-être des enfants 
			(17) 
			<a href='https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32403-X/fulltext'>www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32403-X/fulltext</a>.. La consommation de médias sociaux peut avoir des effets néfastes sur les enfants et les adolescents, qui sont particulièrement influencés par les contenus auxquels ils sont ainsi exposés. Des plateformes telles que YouTube et TikTok privilégient la participation plutôt que la santé mentale de leurs utilisateurs 
			(18) 
			<a href='https://www.psychiatrictimes.com/view/the-dangers-of-excessive-social-media-usage'>«The
Dangers of Excessive Social Media Usage</a>», Psychiatric Times,
Z. Khan, 13 octobre 2022.. Tout en ayant conscience du lien très fort qui existe entre la restauration rapide, les boissons sucrées, la publicité et les conséquences néfastes comme l’obésité, je ne traiterai pas des troubles alimentaires dans le présent rapport, dans la mesure où la problématique doit être abordée avec l’industrie alimentaire.
7. Les enfants ont donc particulièrement besoin d’être protégés par leurs parents, les professionnels qui travaillent avec eux et les décideurs. Les politiques pertinentes doivent dûment tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et prévoir des garanties adéquates à cet égard. Bien que les responsabilités incombent à la fois aux personnes et aux institutions, l’augmentation exponentielle des comportements addictifs chez l’enfant est clairement un problème systémique, qui appelle des solutions systémiques.
8. La pandémie de covid-19 ayant provoqué un accroissement de l’anxiété chez les enfants, les comportements addictifs liés ou non à des substances ont constitué des mécanismes d’adaptation chez les jeunes, en particulier pendant les périodes de confinement 
			(19) 
			Romano l., et al. (2021),
«<a href='https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352853221000559'>Substance-related
coping behaviours among young during the early months of the COVID-19
pandemic», ScienceDirect</a>; Sun, Y., et al, (2020), <a href='https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7300868/'>«Brief
report: Increased Addictive Internet and Substance Use Behavior
During the COVID-19 Pandemic in China»,</a>The American Journal on addictions,
29(4), 268-270.. Les parents et les autres personnes en charge d’enfants ont été soumis à des pressions accrues, tandis que les possibilités d’aller à la rencontre des enfants ayant besoin d’aide ont été réduites compte tenu des priorités fixées et des restrictions budgétaires. Cet aspect est traité par notre collègue Simon Moutquin dans son rapport intitulé «Santé mentale et bien-être des enfants et des jeunes adultes» 
			(20) 
			Doc. 15829, op. cit..
9. Une éventuelle dépression sous-jacente est un autre aspect important à prendre en compte lors de l’examen des comportements addictifs. Beaucoup des enfants qui présentent des addictions comportementales étaient déjà dans un état psychologique fragile, caractérisé par un sentiment profond de vide, des sautes d’humeur, de la détresse et de l’apathie. La dépression peut se manifester de différentes manières, et ne s’accompagne pas nécessairement d’une intense tristesse et d’un manque d’estime de soi. Ainsi, les enfants peuvent dissimuler leur état dépressif en adoptant un comportement hyperactif ou agressif. Des recherches récentes ont révélé que les enfants touchés par des troubles dépressifs ou d’anxiété ont une probabilité nettement plus élevée de faire l’expérience de l’alcool ou du tabac 
			(21) 
			<a href='https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9129013/'>«Anxiety,
depression, and substance experimentation in childhood</a>», R.J. Klein, J.A. Gyorda, N.C Jacobson, 24 mai 2022..
10. Souvent, les comportements addictifs peuvent être considérés comme un mécanisme de protection face à des expériences insupportables de souffrance et de solitude, masquant une estime de soi fragile et un sentiment de profonde insécurité. Dès qu’ils sont contrariés ou en colère, les adolescents se tournent souvent vers l’alcool ou la drogue pour les aider à gérer leurs états d’âme 
			(22) 
			<a href='https://childmind.org/article/mental-health-disorders-and-substance-use/'>«Mental
Health Disorders and Teen Substance Use</a>», C. Miller, S. Taskiran, Child Mind Institute, 28 juillet 2022.. Dans pareils cas, l’alcool peut leur procurer une sensation d'euphorie et de sociabilité, le cannabis un sentiment d’euphorie et de relaxation, tandis qu’internet peut les aider à vivre «dans le monde» et à se connecter aux autres. Par conséquent, le travail à mener auprès des enfants et des adolescents présentant des comportements addictifs doit viser à les aider à exprimer leurs expériences émotionnelles, à réfléchir avant d’agir afin de dépasser le processus primaire d’évacuation des tensions – en cherchant une échappatoire à la réalité – et à examiner les conséquences de leurs actes. Il faut également veiller à renforcer leur capacité à maîtriser leurs impulsions, qui peut être mise à mal dans une situation de vulnérabilité émotionnelle, et à mieux gérer leurs angoisses et leurs frustrations. Par ailleurs, en vue du développement serein de l’enfant vers l’âge adulte, il convient de noter qu’un enfant qui a expérimenté une substance a plus de risque de devenir dépendent plus tard dans sa vie. En outre, plus l’âge d’expérimentation est jeune, plus l’enfant qui a grandi ou est devenu adulte est à risque. Par exemple, un enfant qui expérimente de l’alcool à 11-12 ans a deux fois plus de risque d’être dépendant qu’un enfant qui expérimente à 13-14 ans et quinze fois plus de risque qu’un jeune qui expérimente après 18 ans 
			(23) 
			DeWitt D. J., Adlaf
E. M., Offord D. R., & Ogborne A. C. (2000). «Age at first alcohol
use: a risk factor for the development of alcohol disorders», American Journal of Psychiatry.. Je voudrais dès lors souligner l’importance de la prévention dès le plus jeune âge.

2.2. Addiction à des substances

11. L’addiction des enfants à certaines substances a été favorisée par la facilité d’accès, la publicité généralisée et les stratégies marketing ingénieuses. Au niveau mondial, plus d’un quart des jeunes âgés de 15 à 19 ans disent consommer de l’alcool. Environ 80 % des fumeurs adultes ont fumé leur première cigarette avant l’âge de 18 ans et quelque 43 millions d’enfants (âgés de 13 à 15 ans) ont consommé des produits du tabac en 2018 
			(24) 
			<a href='https://www.who.int/fr/news/item/19-12-2019-who-launches-new-report-on-global-tobacco-use-trends'>www.who.int/fr/news/item/19-12-2019-who-launches-new-report-on-global-tobacco-use-trends</a>.. Le cannabis/la marijuana est considéré comme la substance psycho-active la plus consommée chez les adolescents. D’autres drogues illicites, telles que les amphétamines, sont également couramment consommées par les adolescents dans de nombreuses régions du monde 
			(25) 
			<a href='https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8664882/'>www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8664882/</a>.. Certes, le tabagisme chez les jeunes demeure un problème de santé publique, auquel se substitue progressivement le vapotage, y compris chez les enfants 
			(26) 
			<a href='https://www.theguardian.com/society/2023/jun/14/the-child-vaping-crisis-from-what-my-daughter-says-90-of-her-year-do-it?CMP=Share_iOSApp_Other'>«The
child vaping crisis: ‘From what my daughter says, 90% of her year
do it’</a>», The Guardian,
14 juin 2023.. En Irlande, le projet de loi 2023 de santé publique (tabac et produits d’inhalation de nicotine) est actuellement débattu au parlement 
			(27) 
			«E-cigarettes – Health
issues and regulatory options», bibliothèque et service de recherche
des chambres de l’Oireachtas, A. Timoney, 21 septembre 2020; <a href='https://www.oireachtas.ie/ga/debates/debate/dail/2023-06-13/11/'>Public
Health (Tobacco and Nicotine Inhaling Products) Bill 2023: Second Stage</a>.. Ce projet de loi prévoit pour la première fois l’interdiction de la vente de produits d’inhalation aux enfants et dans les lieux destinés aux enfants et des restrictions en matière de publicité. En France comme en Belgique, il est notamment interdit de vapoter dans les établissements scolaires et les établissements destinés à l'accueil, à la formation et à l'hébergement des mineurs. Le Gouvernement français a récemment annoncé son intention d’interdire les cigarettes électroniques jetables («puffs»).
12. L’abus de substances fait référence à l’usage nocif ou dangereux de substances psychoactives, y compris l’alcool et les drogues illicites 
			(28) 
			<a href='https://www.afro.who.int/health-topics/substance-abuse'>Définition
de l'OMS</a>.. Ces dernières années, le champ des addictions s’est élargi, de sorte qu’il ne se limite plus aux seules drogues (au sens pharmacologique du terme), et s’étend à d’autres comportements compulsifs (voir ci-dessous) tels que les jeux de hasard et d’argent, les jeux vidéo et autres, qui, considérés dans leur globalité, constituent des facteurs de risque majeurs pour la santé publique. Les facteurs qui influent sur le passage éventuel d’une consommation occasionnelle et récréative à une consommation compulsive sont complexes. L’influence de la socialisation est déterminante, tout particulièrement à l’adolescence. Néanmoins, dans ce cas, comme pour de nombreuses maladies, une origine multifactorielle est reconnue. Parallèlement à la famille, aux amis et au cercle scolaire, au moins deux autres facteurs sont importants: celui lié aux caractéristiques biologiques et personnelles de l’adolescent qui présente le comportement addictif, et celui lié aux caractéristiques chimiques de la substance consommée. Pour différencier l’usage de l’abus et l’abus de la dépendance, il est important d’évaluer l’apparition de comportements caractéristiques (besoin irrépressible, état de manque et tolérance) et la mesure dans laquelle ces comportements altèrent le fonctionnement général de l’enfant.
13. Bien que le rapport porte principalement sur la prévention, je voudrais aussi ajouter qu’en matière de traitement les meilleurs résultats sont obtenus grâce à des interventions intégrées. En fait, aucun programme de traitement des troubles liés à l’usage de substances ne peut être mis en œuvre sans l’implication (aussi bien dans la phase de diagnostic que thérapeutique) du patient et de son entourage, grâce à une psychothérapie individuelle et familiale, ainsi qu’à un soutien médicamenteux visant à réduire le «manque», l’envie et le besoin irrépressibles de consommer une substance psycho-active. Dans les situations les plus difficiles, le placement au sein d’une communauté thérapeutique 
			(29) 
			<a href='https://nida.nih.gov/publications/research-reports/therapeutic-communities/what-are-therapeutic-communities'>«What
Are Therapeutic Communities?</a>», définition, National Institute on Drug Abuse. doit être envisagé au cas par cas et uniquement après une évaluation approfondie de l’intérêt supérieur de l’enfant. La mise en place d’un soutien psychothérapeutique peut s’avérer utile pour les patients les plus fragiles. Une visite fort instructive d’une Maison des enfants, «The Den», située dans la banlieue de Dublin, a montré l’importance d’un lieu accessible dédié aux enfants consommateurs de substances, non seulement pour leur apporter une aide thérapeutique, mais aussi pour leur offrir un lieu où ils se sentent en sécurité et non stigmatisés, la plupart d’entre eux ayant subi des expériences traumatisantes dans leur enfance. Comme l’ont indiqué les intervenants de «The Den», le bien-être aussi bien physique que psychologique et l’intégration sociale sont les pierres angulaires de la prévention. En quelque sorte, les fondamentaux que l’on retrouve dans les traitements les plus efficaces sont des éléments transposables en matière de prévention.

2.3. Addictions liées à internet

14. Les addictions non liées à des substances, également appelées addictions comportementales ou de processus, sont encore plus fréquentes, plus insidieuses et moins étudiées. Elles comprennent les addictions aux jeux vidéo en ligne, aux réseaux sociaux, aux jeux de hasard et d’argent, à la pornographie 
			(30) 
			Voir le rapport de
M. Dimitri Houbron «Pour une évaluation des moyens et des dispositifs
de lutte contre l'exposition des enfants aux contenus pornographiques», Doc. 15494, Résolution
2429 (2022) et Recommandation
2225 (2022)., et aux achats compulsifs. La technologie est un outil fondamental de notre vie quotidienne, mais certaines personnes peuvent en devenir «esclaves» ou «dépendantes» au point de mettre en péril leur vie sociale et relationnelle, et ce dès le plus jeune âge. Un phénomène particulièrement inquiétant est celui des jeux d’argent et de hasard en ligne incluant les machines à sous, loto/bingo, poker. L’addiction aux écrans est endémique chez les enfants qui grandissent à une époque où tablettes et smartphones sont facilement disponibles. En Irlande, un rapport indique que presque tous les parents déclarent avoir été témoins d’un changement négatif de l’humeur et de l’attitude de leur enfant en raison d’une utilisation prolongée des écrans; plusieurs d’entre eux nourrissant des craintes quant à la santé mentale et aux risques d’addiction inhérents à un temps d’écran excessif. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les taux de dépendance aux jeux d’argent et de hasard varient de 0,1 % à 6 % et les jeunes adultes sont parmi les plus vulnérables. Jusqu’à 14 % des étudiants font état d’un problème d’addiction à ce type de jeux 
			(31) 
			<a href='https://www.therecoveryvillage.com/process addiction/behavioral-addiction-statistics/'>www.therecoveryvillage.com/process
addiction/behavioral-addiction-statistics/</a>..
15. L’abus de jeux, y compris les jeux d’argent et de hasard en ligne peut entraîner de graves dangers et des effets négatifs, tels que la dépendance, l’endettement financier, l’isolement social et la détresse psychologique. Malgré les arguments avancés par les opérateurs de jeux en ligne, de nombreuses études confirment l’hypothèse selon laquelle l’utilisation excessive de ces plateformes peut conduire à la dépendance. Plusieurs programmes s’attaquent actuellement aux problèmes liés à une telle pratique addictive. Ces programmes comprennent des initiatives du secteur, des programmes d’auto-exclusion, des campagnes de sensibilisation du public, des services de conseil et de traitement, ainsi que des dispositions réglementaires 
			(32) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/pompidou/enfants'>www.coe.int/fr/web/pompidou/enfants</a>..
16. L’addiction à internet à l’adolescence peut constituer un véritable syndrome qui touche aussi bien les garçons que les filles. Les enfants concernés ressentent généralement un profond mal-être dès lors qu’ils sont privés d’accès à internet, lequel ne peut être apaisé d’aucune autre manière. Ce phénomène fait actuellement l’objet d’études, mais identifier sans ambiguïté une «addiction à internet» est assez complexe pour deux raisons. Il n’existe aucun paramètre objectif permettant de catégoriser le concept, ou plus exactement les conséquences précises d’un usage «excessif» d’internet. De plus, il n’est pas rare que l’utilisation incontrôlée d’internet et des réseaux sociaux (aussi bien sur ordinateur que sur smartphone) cache ou découle d’autres types de problèmes. Selon une étude récente, 5 % des jeunes de 14 à 21 ans présentent une dépendance modérée à internet, et 0,8 % une dépendance grave 
			(33) 
			<a href='https://www.jneuropsychiatry.org/peer-review/internet-addiction-update-diagnostic-criteria-assessment-and-prevalence.html'>«Internet
addiction update: diagnostic criteria, assessment and prevalence</a>», 2017, R. Poli, Département de santé mentale de la
Crémone.. Il apparait également que ce phénomène peut inclure l’addiction aux réseaux sociaux, aux jeux et aux achats en ligne, ou aux sites pornographiques.
17. Par ailleurs, l’addiction à internet et aux réseaux sociaux a souvent été associée à un syndrome baptisé «hikikomori» par les Japonais, qui désigne un phénomène accru d’isolement social, en particulier dans le cadre de la pandémie de covid-19. Le syndrome d’hikikomori 
			(34) 
			Teo
A.R., Gaw A.C. «<a href='https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4912003/'>Hikikomori,
a Japanese culture-bound syndrome of social withdrawal?: A proposal
for DSM-V»</a>. se caractérise par un refus de la vie sociale, scolaire ou professionnelle pendant une période prolongée, d’au moins six mois, et par l’absence d’interactions sociales en dehors de celles avec des parents proches. Les jeunes hikikomori peuvent manifester leur malaise de diverses manières, en restant cloîtrés chez eux toute la journée, en ne sortant que lorsqu’ils sont sûrs de ne pas croiser de connaissances, voire en errant sans but à longueur de journée, feignant d’être allés à l’école. Les hikikomori limitent au maximum leurs relations avec l’extérieur, et les seuls contacts qu’ils nouent sont ceux qu’ils établissent sur internet.
18. Des indicateurs fiables permettraient d’aider les professionnels mais aussi les décideurs politiques d’adopter une approche plus précise de ces comportements, permettant d’identifier plus facilement les enfants à risque et de développer des politiques de prévention scientifiquement fondées. Ils permettraient également aux enfants de s’auto-évaluer à condition qu’ils leur soient adaptés.

2.4. Causes profondes et conséquences de l’addiction

19. Pour lutter contre les comportements addictifs, il est essentiel d’en comprendre les causes profondes. Cela suppose d’examiner un large éventail de questions, allant de l’acceptation culturelle des substances addictives et des pratiques commerciales agressives ciblant les enfants et les adolescents à la facilité d’accès aux appareils électroniques et au manque de temps parental en raison des politiques du travail. Lors de la transition très délicate de l’enfance à l’âge adulte, les adolescents traversent une période de changements et sont particulièrement vulnérables aux tentations de toutes sortes en raison des changements physiques, psychiques et émotionnels qu’ils subissent. En général, cette phase de transformations est surtout caractérisée par le goût du risque et des excès, l’attirance pour l’interdit, le désir d’expérimenter. De nos jours, au-delà d’une vie sexuelle précoce pour certains, cette période d’expérimentation inclut la consommation de drogues tant légales qu’illégales 
			(35) 
			<a href='https://www.humanium.org/fr/enfants-dependances/'>«Enfants
et dépendances</a>», Humanium, S. Diringbin.. Je remarque que si le cas des adolescents est assez documenté, les causes addictives chez les plus jeunes enfants sont moins bien connues.
20. Dans de nombreux cas, les addictions peuvent être déclenchées par une expérience traumatisante 
			(36) 
			<a href='https://steverosephd.com/what-are-the-root-causes-of-addiction/'>«What
are the Root Causes of Addiction?</a>», Steve Rose, PhD.. Ces expériences peuvent recouvrir des situations variées telle que les abus physiques, sexuels ou psychologiques, la maltraitance, les discordes entre parents. Les causes sous-jacentes de l’addiction sont généralement invisibles. Outre un traumatisme, cause la plus fréquente, elles peuvent comprendre la souffrance, des besoins non satisfaits, un manque d’objectifs ou un manque de confiance en soi. Ces causes ont pour point commun un environnement ou des situations stressantes ou violentes. Par exemple, les adolescents confrontés au harcèlement scolaire ou en ligne, ont des habitudes de consommation nettement plus élevées 
			(37) 
			Pichel
R., et al. (2022). <a href='https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0190740922000056'>«Analysis
of the relationship between school bullying, cyberbullying, and
substance use</a>». Children and Youth Services Review, Volume 134..
21. Il convient donc d’adopter une approche globale de la prévention, qui couvre les aspects socioculturels et aborde les comportements addictifs sous un angle systémique, ainsi que des approches axées sur différents types d’addictions et de situations.
22. Les comportements addictifs peuvent avoir de graves conséquences sur la santé physique et mentale des enfants. Selon les estimations de l’UNICEF, chaque année 1,4 million d’enfants de 10 à 14 ans meurent d’un accident de la route dû à la consommation d’alcool ou d’autres drogues. Pour les jeunes, la consommation de drogues peut être un moyen de se suicider ou un encouragement à passer à l’acte. De plus, les addictions ont de graves répercussions sur le développement personnel des enfants, leurs résultats scolaires et leurs chances de réussite dans la vie. Des recherches ont montré que lorsque les enfants sont exposés à des événements chroniques stressants, leur neurodéveloppement peut être perturbé ou interrompu. En conséquence, le fonctionnement cognitif de l’enfant ou sa capacité à faire face à des émotions négatives ou déstabilisantes peuvent être altérés. Au fil du temps, et souvent lors de l’adolescence, l’enfant peut adopter des mécanismes d’adaptation nuisibles pour la santé, tels que l’usage de substance ou l’automutilation. Ces mécanismes d’adaptation peuvent ultérieurement engendrer des maladies, des handicaps, des problèmes sociaux et une mort prématurée 
			(38) 
			<a href='https://mnprc.org/wp-content/uploads/2019/01/aces-behavioral-health-problems.pdf'>«The
Role of Adverse Childhood Experiences in Substance Misuse and Related
Behavioral Health Problems</a>», R. Anda, juin 2018..

3. Quelques exemples de bonnes pratiques à retenir de la visite d'information en Irlande

23. Je souhaite en particulier m’intéresser aux exemples de pratiques nationales concernant les approches globales de prise en charge des comportements addictifs chez l’enfant. De ce point de vue, une visite d'information en Irlande m'a permis d'examiner l'expérience des autorités irlandaises dans la mise en pratique du document intitulé «De meilleurs résultats pour un avenir meilleur: un cadre politique national pour les enfants et les jeunes» 
			(39) 
			<a href='https://www.gov.ie/en/publication/63a1ff-report-of-the-national-policy-framework-for-children-young-people-20/'>«Better
Outcomes, Brighter Futures: The National Policy Framework for Children
and Young People, 2014-2020</a>», p . 79, p. 108 et p. 103.. Cette politique a été prolongée et fait actuellement l'objet d'une révision en vue de son adoption en 2024. En 2019, l’Irlande a lancé «une déclaration stratégique et un guide pratique sur les préjudices invisibles», qui visaient à lutter contre l’addiction à l'alcool et aux drogues chez les enfants. «Grandir en Irlande» est une étude sur les enfants financée par le gouvernement. Les données recueillies dans ce cadre ont permis de rédiger le rapport «Émergence de générations numériques? Conséquences de l’utilisation du numérique par les enfants sur le bien-être psychologique et socio-affectif au regard de deux cohortes en Irlande, 2007-2018». En outre, l’Irlande a été le premier pays d’Europe à élaborer une stratégie nationale sur la participation des enfants et des jeunes à la prise de décisions (en 2015) et associe de longue date les enfants et les jeunes à l’élaboration des politiques qui les concernent, ce qui fait qu’elle possède une riche expérience en la matière.
24. L’Irlande constitue une étude de cas intéressante. Si l’usage des smartphones et l'accès à l'internet sont en hausse, ils n'ont pas encore atteint les niveaux de saturation qui sont courants dans plusieurs pays d'Europe du Nord et du continent. En effet, d’après les données de l'enquête EU Kids Online Survey (2011), les enfants irlandais âgés de 9 à 16 ans ont un accès fréquent à l'internet dans 93 % des ménages, En outre, selon l'enquête Net Children Go Mobile (2015), 46 % des enfants irlandais âgés de 9 à 16 ans utilisent leur smartphone comme principale source d'accès à internet, et 63 % l'utilisent au moins une fois par jour 
			(40) 
			O’Neill,
B., et Dinh, T., 2015. «Net children go Mobile: Full findings from
Ireland», Dublin Institute of Technology.. Selon les deux enquêtes, les jeunes Irlandais utilisent internet moins souvent que les jeunes des autres pays européens et passent globalement moins de temps en ligne 
			(41) 
			O’Neill,
B., Grehan, S. et Ólafsson, K., 2011. «Risks and safety for children
on the internet: The Ireland report». LSE, London: EU Kids Online..
25. Les modèles et les incidences de l'utilisation du numérique sur le bien-être socio-psychologique des enfants ont été élaborés en Irlande en étudiant deux cohortes de jeunes qui ont grandi à «l'ère numérique», la cohorte de 1998 (interrogée en 2007/2008) et la cohorte de 2008 (interrogée en 2017/2018) 
			(42) 
			<a href='https://link.springer.com/article/10.1007/s12187-020-09767-z'>«Emerging
Digital Generations? Impacts of Child Digital Use on Mental and
Socioemotional Well-Being across Two Cohorts in Ireland, 2007–2018»</a>.. Dans le cadre du projet de recherche Growing Up in Ireland (GUI), ces deux cohortes ont fait l’objet d’une étude longitudinale multi cohorte comprenant des données comparatives abondantes sur un nombre important de jeunes de 9 ans ainsi que de modèles de régression linéaire multifactorielle.
26. Les résultats montrent que les enfants étaient plus impliqués dans les médias sociaux et les appareils numériques en 2017-2018 qu’ils ne l’étaient en 2007-2008, lorsqu'ils regardaient davantage la télévision et utilisaient des médias moins diversifiés. De plus, passer plus de trois heures par jour à la télévision ou à des activités numériques était lié à une baisse significative du bien-être socio-affectif des enfants, même si ces effets ont été plus importants en 2017-2018 qu'en 2007-2008; les activités d'information et d'éducation en ligne (mais pas les autres formes d’activités numériques) étaient un facteur prédictif important du bien-être socio-affectif en 2017-2018. Dans l'ensemble, l'étude révèle la persistance, mais aussi quelques changements importants, des tendances récentes concernant l'utilisation du numérique par les enfants et son incidence sur le bien-être socio-affectif en Irlande.
27. Même si l'on constate une augmentation de la consommation de cocaïne et une diminution de la consommation de cannabis en Irlande, toutes les parties prenantes que j'ai rencontrées étaient fermement opposées à la légalisation/dépénalisation du cannabis, compte tenu de ses effets dévastateurs sur le cerveau des enfants. La question est plutôt de mettre fin à l'offre et au trafic de toutes sortes de drogues. Le phénomène est lié à de multiples facteurs communautaires, notamment l'influence des pairs, la pauvreté, l'attitude des parents à l'égard des drogues et, plus généralement, un environnement familial dysfonctionnel. Le programme de traitement proposé consiste à s'attaquer aux conséquences des expériences négatives vécues par les enfants. M. Shane Mulligan, médecin à l'Agence Tusla pour la protection de l'enfance et la famille, a souligné la nécessité d'une approche globale, qui devrait inclure les parents ou les tuteurs.
28. En ce qui concerne les jeux d'argent et de hasard, le ministère de la Santé, qui mène pour la première fois une enquête sur une dépendance comportementale, a souligné la nécessité de disposer de données. En attendant, le ministère réfléchit à un projet de loi sur les jeux d'argent axé sur la prévention, ce qui est une véritable évolution culturelle. Sur ce point, l'ONG Foróige, qui s'occupe des enfants et des jeunes, a souligné la nécessité de renforcer le programme familial de réhabilitation et de lutter contre la culture de l'acceptation du problème.
29. La Stratégie nationale de lutte contre la drogue aborde trois grands domaines d'intervention: la prévention de la consommation de drogues et d'alcool chez les jeunes, le développement d'interventions de prévention et de réduction des risques ciblant les groupes à risque, et l'amélioration de l'accès aux services pour les femmes, les enfants et les jeunes 
			(43) 
			<a href='https://www.gov.ie/en/publication/4e5630-reducing-harm-supporting-recovery-2017-2025/'>«Reducing
Harm, Supporting Recovery: A health-led response to drug and alcohol
use in Ireland 2017-2025</a>», p. 22-28, p. 29 et pp. 43-44..

4. Actions possibles dans les domaines de l'éducation, de la protection sociale et de la santé

30. De nombreuses catégories de groupes sociaux sont touchées par la pauvreté urbaine, en particulier les enfants des familles à faible revenu. Le nombre d'enfants des rues augmente et les plus vulnérables sont les filles. Les enfants des rues sont marginalisés et constituent, à l’adolescence, un groupe difficile d'accès. Leur ressentiment souvent profond et leur grande méfiance à l'égard des systèmes formels et traditionnels les empêchent d'accéder aux soins de santé et aux services publics. De nombreux enfants des rues ont déjà été victimes d'abus et tous sont exposés à la violence, à la prostitution et à la toxicomanie. Dans de telles circonstances, ils se réfugient dans la toxicomanie pour "échapper" à ces expériences traumatisantes. Ce constat, mentionné par nos interlocuteurs irlandais, peut-être transposé dans de nombreux pays européens, y compris le mien. Certains d'entre eux tombent dans la criminalité et leur niveau de toxicomanie est généralement très élevé.
31. Les systèmes scolaires et de protection de l'enfance sont à bout de souffle dans de nombreux pays, exposant des milliers d'enfants à un risque accru de maltraitance, d’abandon, d'exploitation sexuelle et d’exploitation par le travail. Les appels aux lignes d'assistance téléphonique pour la protection de l'enfance ont considérablement augmenté dans le monde entier pendant le confinement. Si nous n'agissons pas, les résultats peuvent être catastrophiques pour cette génération, aujourd'hui et à l'avenir 
			(44) 
			Human
Rights Watch, 2020. <a href='https://www.hrw.org/fr/news/2020/04/09/limpact-devastateur-du-covid-19-sur-les-enfants'>«L’impact
dévastateur du COVID-19 sur les enfants»</a>.. Je suis favorable à prioriser les moyens en faveur du soutien aux enfants, qui leur permettent d’évoluer dans un environnement scolaire ou socio-éducatif serein, et de développer les services de protection de l’enfance. Je crois fortement qu’un pays qui investit dans l’enfance et dans sa jeunesse investit non seulement pour leurs droits humains mais aussi pour construire une société plus résiliente et à terme économiquement stable.
32. Il est important de recenser les moyens de soutenir et de protéger la génération covid-19. L'idée que la covid-19 a mis tout le monde sur un pied d’égalité est absurde. L'égalité d'accès aux soins, fondée sur le modèle de la solidarité, ne s’est pas vérifiée pendant la pandémie, qui a eu un effet négatif disproportionné sur les plus pauvres et les plus vulnérables. Cela a été constaté aussi bien pour l'impact de l'épidémie elle-même sur les pauvres, les personnes âgées et les personnes médicalement vulnérables, que pour la crise scolaire actuelle causée par la pandémie, qui a une incidence particulièrement négative sur les enfants les plus pauvres et qui crée les conditions d’un futur échec scolaire 
			(45) 
			<a href='https://blogs.worldbank.org/fr/education/pandemie-covid-19-coronavirus-systeme-education'>https://blogs.worldbank.org/fr/education/pandemie-covid-19-coronavirus-systeme-education</a>.. Lorsque les écoles ont finalement rouvert, de nombreux enfants pauvres ne sont jamais retournés en classe. La pauvreté est la principale explication de l'absence des enfants à l'école 
			(46) 
			<a href='https://www.hrw.org/news/2020/06/09/when-schools-reopen-many-children-will-be-missing. %5b'>www.hrw.org/news/2020/06/09/when-schools-reopen-many-children-will-be-missing</a>., et la pauvreté est la principale cause profonde de la toxicomanie, comme l'ont indiqué la plupart des parties prenantes que j'ai rencontrées lors de ma visite d'information en Irlande. La lutte contre la pauvreté et l'extrême pauvreté des enfants et de leur famille est donc une mesure préventive essentielle pour éviter les comportements addictifs. Les dépenses urgentes en matière de santé et de sécurité sociale devraient également être une priorité lorsqu’il s’agit d’allouer des crédits limités. Il est inacceptable de laisser le secteur de l'éducation aux prises avec des réductions budgétaires 
			(47) 
			<a href='https://ourworldindata.org/financing-education'>https://ourworldindata.org/financing-education</a>..
33. Les tendances à la hausse de la consommation d'alcool et de drogues illicites chez les enfants représentent un défi sociétal important dans les États membres du Conseil de l'Europe, compte tenu du rythme rapide des changements dans nos pays. Une grande variété de produits chimiques est désormais disponible pour les enfants, qui les combinent souvent avec de l'alcool. Il est particulièrement difficile pour les décideurs politiques de créer un éventail suffisamment large et opportun de solutions permettant d’agir avec efficacité, compte tenu des nouveaux modes de consommation de substances psychoactives, qui évoluent en permanence. On peut affirmer aujourd'hui que le cannabis reste la drogue la plus fréquemment consommée par les jeunes Européens et qu'en général, la propension à prendre des drogues et la probabilité de s'intoxiquer ou de consommer du cannabis ou d'autres substances illégales augmentent rapidement avec l'âge. Un examen périodique des tendances concernant les comportements addictifs chez les enfants en Europe pourrait contribuer à l'élaboration de politiques souples et ciblées 
			(48) 
			Le rapport européen
sur les drogues de l’OEDT (<a href='https://www.emcdda.europa.eu/system/files/documents/2023-05/taster_edr2023_fr_final_web.pdf'>Observatoire
européen des drogues et des toxicomanies</a>) donne une vue d'ensemble annuelle des tendances: «<a href='https://www.emcdda.europa.eu/publications/european-drug-report/2023_en'>European
Drug Report 2023: Trends and developments</a>», juin 2023..

5. Recommandations pratiques aux États membres

34. Le spectre des stratégies de prévention de la toxicomanie est large, allant des initiatives qui se concentrent sur les personnes à risque à celles qui ciblent la société (prévention environnementale). Les principaux défis consistent à faire correspondre ces différentes tactiques aux populations et situations cibles appropriées, tout en veillant à ce qu'elles soient fondées sur des données factuelles et couvrent une population suffisante. De nombreuses initiatives de prévention se concentrent sur la consommation de substances en général; cependant, un petit nombre d'entre elles ciblent des substances spécifiques comme l'alcool, les cigarettes ou le cannabis. Certaines concernent également des questions connexes telles que la violence et les comportements sexuels à haut risque. Il est nécessaire de mettre en place des études et un suivi constant des tendances afin d’adapter les politiques à l'évolution des usages, d'accompagner au mieux les jeunes utilisateurs et d'éviter le développement de comportements addictifs. La question souvent controversée de la dépénalisation/légalisation du cannabis devrait être débattue de manière approfondie aux niveaux national et européen, en tenant particulièrement compte des conséquences de la consommation de cannabis sur le développement des jeunes. Cette question qui fait l’objet de débats depuis longtemps dans les pays européens et de politiques nationales parfois changeantes au gré de considérations souvent idéologiques devrait en réalité reposer sur l’intérêt supérieur de l’enfant à grandir dans les meilleures conditions de santé mentale et physique. Si je peux comprendre qu’il y ait des divergences s’agissant des adultes, il me semble important de réfléchir à cette question au niveau européen, s’agissant des enfants, de façon à avoir une approche plus harmonisée et fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
35. Ainsi, certaines techniques dites de «prévention environnementale» ont pour objectif de modifier les contextes sociaux, physiques, culturels et économiques dans lesquels les personnes décident de consommer des drogues ou d'autres substances addictives. Ces techniques comprennent des politiques telles que la réglementation des prix de l'alcool et la restriction du tabagisme et de la publicité pour les cigarettes, qui ont toutes deux prouvé leur efficacité. D'autres tactiques consistent à créer un climat bienveillant favorable à l’apprentissage et à éduquer les élèves aux normes et valeurs civiques afin d’instaurer des conditions d'enseignement sûres. L'objectif de la prévention universelle est d'atteindre des populations entières, généralement dans le cadre scolaire et communautaire, et de fournir aux jeunes les compétences sociales et personnelles dont ils ont besoin pour retarder ou éviter de commencer la consommation de drogues ou d'autres substances addictives. Il serait utile également que les enseignants et les éducateurs bénéficient d’une formation spécifique pour aider les enfants consommateurs de substances psychoactives.
36. La prévention sélective cible les communautés, les familles ou les groupes qui sont plus vulnérables à la consommation de drogues ou de la dépendance, souvent en raison d'un manque relatif de liens sociaux et/ou de ressources. L'approche préventive recommandée se concentre sur ceux qui présentent des profils comportementaux ou psychologiques qui peuvent indiquer un risque plus élevé d’être confrontés plus tard à des problèmes de consommation de substances. Dans la plupart des pays européens, ce type de prévention se concentre principalement sur la fourniture de conseils aux jeunes consommateurs de drogue.
37. En Europe, diverses méthodes, notamment la thérapie psychosociale, le traitement pharmaceutique et la désintoxication, sont utilisées pour traiter la toxicomanie 
			(49) 
			<a href='https://www.emcdda.europa.eu/publications/mini-guides/action-framework-for-developing-and-implementing-health-and-social-responses-to-drug-problems_fr'>Cadre
d’action pour l’élaboration et la mise en œuvre de réponses sanitaires
et sociales aux problèmes de drogue,</a> «Health and social responses to drug problems: a European
guide», 2021, OEDT.. L'organisation du système national de santé et la nature des problèmes de drogue dans chaque pays doivent être prises en compte dans les options thérapeutiques proposées. Lorsqu'il s'agit de jeunes, les services de traitement de la toxicomanie devraient privilégier les interventions psychosociales telles que le conseil, l'entretien motivationnel, la thérapie cognitivo-comportementale, la thérapie de groupe et la thérapie familiale, ainsi que la prévention des rechutes. Ces programmes aident les jeunes à gérer et à résoudre leurs problèmes de consommation de drogue.

6. Conclusions

38. J'espère que ces suggestions seront utiles, compte tenu notamment des bouleversements sociaux et économiques qui agitent actuellement l’Europe ou qui surviendront probablement à l’avenir. La crise climatique, les conflits armés et la montée des inégalités resteront incontestablement une source d’anxiété pour les enfants, qui seront ainsi en quête de réconfort, et ces épreuves continueront de mettre à l’épreuve les valeurs et la résilience de nos sociétés.
39. Comme je l’ai indiqué, il existe un large éventail de mesures de prévention à explorer et à développer. J’aimerais cependant mettre l’accent sur les causes profondes des comportements addictifs, en particulier les expériences stressantes et violentes que pourraient subir les enfants. Au niveau du Conseil de l’Europe, je compte en particulier sur le Groupe Pompidou pour développer ses travaux dans un souci de prévention des comportements addictifs des enfants. Je me réjouis des nouvelles priorités de travail 2023‑2025 du Groupe qui comportent la protection des droits des personnes appartenant à des groupes vulnérables et la réduction de la disponibilité des drogues illicites, ainsi que la prévention de la dépendance à internet et aux jeux en ligne et je propose donc de cibler pour partie ces priorités sur les enfants. En outre, les travaux du Groupe pourraient être complémentaires de ceux de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) dans son domaine de compétence.
40. Pour réduire et prévenir les comportements addictifs chez les enfants, il est nécessaire d’agir simultanément en renforçant les facteurs de protection et en réduisant les facteurs de risque. Notre objectif doit être de veiller à ce que les enfants puissent grandir dans un environnement sûr et sécurisé, quelle que soit leur situation, et de renforcer les facteurs de protection. Il faudrait donc, s’agissant des enfants les plus vulnérables, que la lutte contre la pauvreté infantile soit une priorité politique. J’insiste donc sur la mise en œuvre de la Recommandation 2234 (2022) «Éliminer la pauvreté extrême des enfants en Europe: une obligation internationale et un devoir moral». Je pense que le Conseil de l’Europe doit agir rapidement pour qu’en Europe, l’objectif mondial d’élimination de la pauvreté extrême soit atteint en 2030 (objectif de développement durable 1.1 des Nations Unies), contribuant ainsi à réduire l’une des causes profondes des addictions chez les enfants. Les enfants issus de familles ayant des antécédents d'addiction sont, en moyenne, davantage confrontés à des situations difficiles et à la récidive possible de comportements addictifs 
			(50) 
			<a href='https://www.mentalhelp.net/addiction/does-addiction-run-in-the-family/'>«Does
Addiction Run in the Family? Genes and the Home Environment</a>».. Les États membres du Conseil de l'Europe devraient envisager que des études approfondies soient menées au niveau européen sur les causes profondes des comportements addictifs, la dépendance «intergénérationnelle» étant l'un des principaux facteurs soulevés par les parties prenantes irlandaises que j'ai rencontrées. Le Conseil de l'Europe pourrait ainsi réaliser un suivi des travaux qu’il mène sur les «enfants dont les parents consomment des drogues» 
			(51) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/pompidou/enfants'>«Enfants
dont les parents consomment des drogues – Pratiques prometteuses
et recommandations</a>», Groupe Pompidou, 2022., en mettant l'accent sur des mesures spécifiques visant à aider les enfants vivant dans un contexte de toxicomanie. Il est également important de promouvoir les compétences personnelles et sociales permettant à l'enfant de grandir et de trouver des solutions, même dans des situations difficiles. Les programmes d'enseignement devraient accorder une place au développement de certaines compétences, notamment la création et le maintien de relations, la capacité de s’adapter, la résolution de problèmes, l'estime de soi, la gestion de situations conflictuelles, la résistance à la pression, et le développement d’une réflexion indépendante et critique. Le Conseil de l'Europe pourrait élaborer une approche globale de la prévention et du traitement des addictions chez les enfants, en s’appuyant sur ses lignes directrices relatives aux soins de santé adaptés aux enfants et en tenant compte du contexte socio-économique et de santé publique actuel. Sur cette base, il pourrait également élaborer des cours destinés aux professionnels de la santé et à la communauté éducative afin de développer des capacités spécifiques de détection et de soutien aux enfants ayant des comportements addictifs.
41. À long terme, les avantages de cette approche dépasseront le cadre de la protection contre les addictions, les fragilités et les troubles psychologiques; ils se manifesteront par la santé physique des enfants et leur bonne intégration sociale et scolaire.
42. Le risque lié à une utilisation problématique et addictive des réseaux et des appareils numériques est de plus en plus répandu dans nos sociétés, et la covid-19 n'a fait qu'aggraver ces aspects négatifs. Les changements introduits par la technologie, la flexibilité, l'immédiateté de la communication et l'absence de limites entre le travail/l'école et l'utilisation récréative ont certainement des effets positifs mais ils peuvent également conduire à une utilisation compulsive. Il est clair que tous les individus doivent apprendre à maîtriser leur utilisation des écrans et à utiliser la technologie avec discernement, cet apprentissage peut être plus difficile pour les enfants, sauf s’ils bénéficient d'un soutien. Je recommande que le Conseil de l'Europe élabore certains outils de prévention dans le cadre de sa Stratégie pour les droits de l'enfant 2022-2027, notamment dans le cadre de son objectif novateur 3.2.7 («Explorer les nouvelles problématiques affectant le bien-être des enfants, tels que les jeux en ligne, le marketing en ligne et l’influence en ligne»). Je souligne en outre que le soutien du secteur technologique est essentiel pour s'attaquer au problème posé par les jeux d'argent ou de hasard chez les enfants, ainsi qu’à celui du marketing et de la publicité en ligne. Les États membres du Conseil de l'Europe pourraient envisager de créer un partenariat avec le secteur technologique pour élaborer une réglementation dans ce domaine, en s'appuyant sur l'objectif 3.2.1 de la Stratégie pour les droits de l'enfant, qui se lit comme suit: «Inviter les entreprises commerciales et industrielles à assumer leurs responsabilités envers les enfants, en particulier en procédant à des études d’impact sur les enfants en garantissant la participation des enfants aux phases d'évaluation, ainsi qu'en les impliquant dans la conception des services et produits numériques.»
43. En ce qui concerne la persistance de la consommation de drogues et d'alcool, qui commence malheureusement à un jeune âge, le Conseil de l'Europe pourrait contribuer à l'élaboration de programmes spécifiques adaptés aux jeunes enfants (6-12 ans). En outre, la question spécifique de la consommation de cannabis et de la dépendance qui en résulte, sachant qu’il s’agit de la substance addictive la plus répandue utilisée par les enfants, devrait être analysée et traitée aux niveaux national et européen. Le Conseil de l'Europe pourrait mener, en collaboration avec une autre entité telle que l’OEDT, une vaste étude portant sur l'impact des cannabinoïdes sur le cerveau et le comportement des enfants, la prévalence de la consommation de ces drogues dans la population infantile, les mesures spécifiques de prévention, notamment la question de l'accès facile aux drogues, l'acceptation culturelle, la dépénalisation/légalisation ou la criminalisation de cette substance, ainsi que les programmes complets de traitement, y compris des refuges pour le traitement des enfants, comme c'est le cas en Irlande.