1. Origine et objet du rapport
1. En juin 2019, la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
a adopté les Paramètres des rapports entre la majorité parlementaire
et l’opposition dans une démocratie: une liste des critères
(ci-après «Liste des critères»).
2. La Liste des critères est l’aboutissement de travaux approfondis
et de longue haleine menés par la Commission de Venise, qui ont
pour origine la Résolution 1601 (2008) de l’Assemblée parlementaire
«Lignes directrices procédurales sur les droits et devoirs de l’opposition
dans un parlement démocratique». Selon les conclusions de la Commission
de Venise, il est important d’examiner les voies et les moyens par
lesquels le rôle de l’opposition parlementaire peut être formellement
mieux réglementé et protégé, et il est louable de s’employer à introduire
une réglementation souple dans un domaine qui est essentiel au bon
fonctionnement de la démocratie parlementaire.
3. La proposition de résolution qui sous-tend le présent rapport
recommandait à l’Assemblée:
-
de se féliciter de l’élaboration de la Liste des critères,
- de la diffuser et la recommander aux parlements des
États membres et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux
parlements bénéficiant du statut d’observateur ou de partenaire
pour la démocratie auprès de l’Assemblée.
4. La proposition recommandait aussi que, conformément à la pratique
en vigueur pour ce qui est d’un certain nombre de documents émanant
de la Commission de Venise, et notamment les Codes de bonne conduite
en matière électorale et en matière référendaire, et plus récemment
la Liste des critères de l’État de droit, l’Assemblée donne également
formellement son aval à la Liste des critères et poursuivre, en
coopération avec la Commission de Venise, son examen des questions
soulevées dans cette liste, afin de la développer si besoin est.
5. J’adhère pleinement aux suggestions formulées dans la proposition
de résolution. L’Assemblée devrait également inviter les groupes
politiques de l’Assemblée à compléter leur statut ou règlement intérieur
et à y inclure des dispositions spécifiant la procédure, les conditions
et les conséquences d’un changement d’affiliation politique, et
d’une suspension, exclusion ou démission d’un membre
6. Je m’attacherai, dans le présent document, à décrire le processus
qui a abouti à l’adoption de la Liste des critères et son contenu.
2. Pluralisme
et rôle de l’opposition parlementaire
7. La promotion et la consolidation
de la démocratie pluraliste figurent parmi les buts principaux du
Conseil de l’Europe et de son Assemblée. Les États membres de l’Organisation
doivent s’attacher à développer des normes et pratiques communes
visant à garantir une démocratie parlementaire libre et pluraliste,
et les moyens de leur mise en œuvre dans les parlements nationaux.
8. Le terme de démocratie recouvre une multitude de significations.
Lorsque l’on aborde la question de la démocratie, par conséquent,
il est question d’une pluralité de concepts. Les politologues n’identifient
pas moins de 11 types de démocratie et 56 adjectifs liés à cette
notion. Le terme est pour la toute première fois entré dans le champ
du langage politique mondial et nombreux sont ceux qui en ont conclu
que la démocratie et la culture démocratique étaient devenues, dans
les faits, la forme universelle de la légitimité politique
.
9. La confiance dans les institutions politiques représente un
élément central des systèmes démocratiques. Il est donc important
de prendre en compte le rôle, les pouvoirs et les responsabilités
de l’opposition dans les politiques démocratiques. Cette reconnaissance
reflète le principe du pluralisme politique (le pouvoir ne doit
pas être détenu en permanence par un seul parti) et témoigne d’un
engagement en faveur du dialogue démocratique – entendre l’autre
partie – dans la prise de décision.
10. La démocratie moderne ne se résume pas à un simple règne de
la majorité. C’est un système politique dans lequel la majorité
parlementaire et l’opposition partagent une responsabilité commune
pour consolider la confiance des citoyens dans le système politique
et les institutions démocratiques, assurer leur bon fonctionnement
et offrir au public un choix éclairé
.
11. La culture politique et constitutionnelle
, les principes
du pluralisme politique ainsi que la dynamique du pouvoir entre
la majorité parlementaire et l’opposition ont une incidence sur
la qualité du dialogue démocratique, l’inclusivité, la confiance
institutionnelle et la recherche du consensus.
12. La présence d’une opposition dotée de capacités et de pouvoirs
favorise le dialogue démocratique, à savoir un échange d’arguments
et de contre-arguments, où la majorité gouvernementale dispose du
pouvoir de décision finale, mais où la présence de l’opposition
rend nécessaire d’entendre l’autre partie, de s’engager dans un
processus public d’argumentation et de justifier les décisions prises.
La prise en compte de l’opposition contribue à renforcer la légitimité
et la résilience du système politique dans son ensemble, à la fois en
donnant un caractère normal au transfert démocratique du pouvoir
et en offrant un «prix de consolation» aux perdants.
13. La culture politique et constitutionnelle donne une indication
sur la mesure dans laquelle la relation entre la majorité et l’opposition
optimise la liberté de pensée et la liberté d’expression, notamment
la possibilité pour l’opposition de faire connaître son point de
vue aux citoyens et aux décideurs politiques; les possibilités qu’ont les
citoyens de participer à la vie politique ainsi que la rationalité
du débat et de la prise de décision politiques, dans le sens d’une
meilleure compréhension par les citoyens et les dirigeants des objectifs
en jeu et des moyens nécessaires
.
14. La qualité démocratique d’un parlement se mesure aux moyens
mis à la disposition de l’opposition ou de la minorité parlementaire
dans l’accomplissement de leurs tâches. Instaurer un cadre juridique
et procédural équitable, et des conditions matérielles permettant
à la minorité parlementaire de remplir ses fonctions est une condition
au bon fonctionnement de la démocratie représentative.
3. Travaux
antérieurs de l’Assemblée
15. En l’absence de toute mention
explicite des droits et responsabilités de l’opposition dans les
principaux textes officiels du Conseil de l’Europe
, les rapports entre la majorité parlementaire
et l’opposition ont été principalement examinés, par le passé, au
niveau de l’Assemblée, à l’occasion de débats sur les institutions démocratiques.
Le premier débat annuel sur la situation des droits de l’homme et
de la démocratie en Europe, tenu par l’Assemblée en 2007, a également
été l’occasion d’évoquer les droits de l’opposition
.
16. La commission du Règlement, des immunités et des affaires
institutionnelles de l’Assemblée a organisé une audition sur le
rôle de l’opposition dans un parlement démocratique. Les conclusions
de cette audition ont donné lieu à l’élaboration d’un rapport qui
a été débattu à l’Assemblée, suivi par l’adoption, le 23 janvier
2008, de la
Résolution
1601 (2008) «Lignes directrices procédurales sur les droits et devoirs
de l’opposition dans un parlement démocratique». Plusieurs administrations
parlementaires nationales ont donné suite à ces travaux dans le
cadre du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires
(CERDP), géré conjointement par les secrétariats du Parlement européen
et de l’Assemblée.
17. La Commission de Venise a dans l’ensemble souscrit à la
Résolution 1601 (2008), en tant qu’un instrument non contraignant et innovant
consacré à un sujet d’une grande importance pour l’élaboration de procédures
parlementaires démocratiques et a préparé un «Rapport sur le rôle
de l’opposition au sein d’un parlement démocratique (ci-après «le
Rapport de 2010»)
. Si la Commission de Venise n’avait
jusque là pas rendu d’avis général sur le rôle de l’opposition
,
elle avait cependant traité de cette question dans un rapport de
2007 consacré à un pays précis, en l’occurrence «sur le projet de
loi relatif à l’opposition parlementaire en Ukraine»
.
18. Grâce à son mécanisme de suivi des obligations et engagements
contractés par les États membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée
veille depuis des décennies au bon fonctionnement du dialogue politique entre
la majorité et l’opposition, à la reconnaissance du rôle institutionnel
de l’opposition et au respect des droits de l’opposition parlementaire.
Elle assiste les parlements qui font face à de graves difficultés
en recherchant les moyens de sortir d’une crise politique.
19. En juin 2010, la Conférence européenne des Présidentes et
Présidents de Parlement a consacré l’une de ses deux sessions de
travail aux droits et responsabilités de l’opposition au sein d’un
Parlement
.
Par ailleurs, en septembre 2014, sa troisième session était axée
sur la question de savoir comment trouver un équilibre entre majorité
et opposition en démocratie
.
4. Processus
ayant conduit à l’adoption de la Liste des critères
20. Dans sa
Résolution 1601 (2008), l’Assemblée estimait qu’«une opposition parlementaire
et extraparlementaire est un rouage indispensable au bon fonctionnement
de la démocratie».
21. La Commission de Venise observe, depuis une dizaine d’années,
dans un nombre croissant de pays, une inquiétante montée de la mainmise
des vainqueurs politiques sur l’État. Cela se traduit par le démantèlement
des dispositifs de freins et contrepoids restreignant les pouvoirs
de la majorité parlementaire. Des lois sont plus fréquemment adoptées
dans la précipitation, sans authentique débat politique. La majorité nomme
et révoque à son gré des juges de juridictions supérieures ou des
responsables d’organismes indépendants. «Dans ses avis en la matière,
la Commission de Venise a mis en garde contre une conception de
la démocratie réduite au seul principe de majorité. Il était encore
affirmé avec optimisme dans le Rapport de 2010 que ‘la démocratie
est aujourd’hui plus solidement établie en Europe qu’elle ne l’a
jamais été auparavant’. Il se pourrait que ce ne soit plus vrai,
comme le révèle le durcissement des relations entre majorité et
opposition»
.
22. Selon l’enquête «Global State of Democracy 2022», les problèmes
auxquels fait face la démocratie en Europe aujourd’hui sont, entre
autres, le faible niveau de participation publique et le faible
soutien à la représentation politique. Un grand nombre de citoyens
n’ont pas confiance dans le gouvernement et les partis politiques,
et dans près de la moitié des pays – 17 au total –, la démocratie
a connu une érosion au cours des cinq dernières années, ces reculs
touchant 46 % des démocraties européennes les plus performantes.
Le recul de la démocratie dans le monde se caractérise notamment
par un affaiblissement de la crédibilité des résultats des élections,
la restriction des libertés et des droits en ligne, la perte de
confiance des jeunes à l’égard des partis politiques et de dirigeants
déconnectés de la réalité, la persistance de la corruption et la montée
des partis d’extrême droite qui a polarisé de la vie politique
.
23. Les paysages politiques ont été profondément modifiés au cours
de la dernière décennie: face aux changements intervenus dans les
relations entre l’exécutif et le législatif (présidentialisation
de la vie politique, évolution ou déclin du rôle du parlement) et
dans le rôle des partis (chute du nombre d’adhérents, recul des fonctions
traditionnelles des formations politiques), le moment est venu de
repenser les notions de base que sont la majorité et l’opposition
parlementaires.
24. La théorie, mais aussi les pratiques politiques montrent que
les dispositions constitutionnelles sur la gouvernance servent également
à protéger l’opposition politique, en établissant des procédures
que la majorité ne peut aisément modifier, en garantissant la représentation
et l’expression, et donc la possibilité pour l’opposition de concourir
pour obtenir le pouvoir majoritaire aux futures élections
.
25. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, dans son rapport
annuel de 2016, a également fait état de ces tendances inquiétantes
. Il a demandé à la Commission
de Venise de formuler des lignes directrices sur les rapports entre
majorité et opposition. En réponse, la Commission de Venise a chargé
un groupe de rapporteur·e·s
d’actualiser
le Rapport de 2010.
26. Les rapporteur·e·s ont constaté la nécessité d’actualiser
le Rapport de 2010 à la lumière des observations de la Commission
de Venise, et de lui ajouter une nouvelle partie: la Liste des critères.
Cette liste, qu’a examinée par deux fois la sous-commission sur
les institutions démocratiques
, a été adoptée par la Commission de Venise
lors de sa 119e session plénière à Venise,
le 21 juin 2019.
5. Liste
des critères
27. Comme le faisait observer le
Rapport de 2010, il n’existe pas de modèle commun des rôles respectifs de
l’opposition et de la majorité parlementaires. On ne saurait codifier
un ensemble complet de normes précises en la matière, applicables
à tous les régimes démocratiques.
28. La Liste des critères ne s’adresse pas principalement aux
régimes autocratiques, mais plutôt aux «démocraties vulnérables»,
où le pluralisme politique existe, mais demeure fragile. Par conséquent,
elle devrait aider leurs législateurs à formuler des règles juridiques
et à mettre en place des «conventions constitutionnelles» et de
bonnes pratiques non écrites afin de préserver le rôle de contre-pouvoir
de l’opposition parlementaire et de relève potentielle du gouvernement
en place.
29. La Liste des critères comprend 10 rubriques, qui portent sur
des questions telles que la formation des groupes majoritaires et
d’opposition au parlement, les nominations au sein du parlement,
certains processus législatifs et l’immunité des parlementaires.
La structure de la liste permettra aussi de la compléter et de l’ajuster
à l’avenir, au vu du développement politique et juridique des démocraties
européennes et non européennes. Ce doit être un instrument vivant.
30. Le Rapport de 2010 traitait du rôle de l’opposition au parlement.
Il n’abordait pas l’opposition politique dans l’ensemble de la société,
ni le degré de reconnaissance des droits humains et des libertés
fondamentales, ou encore les grands choix constitutionnels. La Liste
des critères conserve en majeure partie la même perspective: elle
se penche sur les règles et principes régissant le fonctionnement
de l’opposition parlementaire et les interactions de cette dernière
avec la majorité et d’autres institutions de l’État.
6. Opposition
– terme, droits et obligations
31. On ne saurait définir l’opposition
en quelques mots. Sa position et son fonctionnement diffèrent d’un système
politique à l’autre, notamment selon que l’on a affaire à un régime
parlementaire multipartite ou à un régime (semi) présidentiel. La
question des droits de l’opposition parlementaire est, par conséquent,
avant tout celle des droits de la minorité politique. Ceux-ci englobent
en général les droits procéduraux d’information, de représentation
et de participation, le droit d’expression et le droit de vote,
le droit de déposer des propositions de loi et d’autres propositions,
le droit de contrôler l’exécutif et d’avoir un droit de regard sur
ses activités, ainsi qu’une protection contre les éventuels abus
de la part de la majorité
.
32. Une réflexion globale devrait porter sur l’ensemble des fonctions
de l’opposition et prendre en considération un plus grand nombre
d’acteurs et de types de relations. Partant de ces principes, on
peut envisager de travailler en retenant la définition suivante
de l’opposition politique: un acteur organisé qui exprime sa position
dans la sphère publique et qui observe, explique et critique, de
manière permanente ou ponctuelle, la situation existante, par le
biais de divers moyens non violents (processus législatifs, questions parlementaires,
communiqués de presse, sollicitation des médias...), les cibles
de ses critiques étant le gouvernement et ses politiques, ou le
régime politique dans son ensemble
.
33. Il est impossible de dissocier les droits de l’opposition
de ses responsabilités. Assurer la surveillance du gouvernement
et étudier minutieusement le travail d’autres instances de premier
plan, amorcer le processus législatif et y prendre part, mais aussi
participer au fonctionnement du parlement, sont des droits qu’il
importe de protéger. Cependant ce sont aussi des devoirs qu’il faut
accomplir de manière à ce que l’intérêt public prime sur les intérêts
des partis à court terme et sur les divergences politiques.
34. On peut recenser deux formes principales au moins d’exercice
abusif ou de dysfonctionnement du rôle de l’opposition. Soit l’opposition
entrave totalement l’action effective du gouvernement et/ou du parlement,
soit elle ne propose aucune alternative à la politique menée par
le gouvernement et/ou aux propositions de la majorité parlementaire
et n’apparaît alors pas dans le débat politique
.
35. La fonction d’opposition implique des contrôles scrupuleux,
des observations et vérifications des agissements et actions des
autorités et agents publics
.
Cependant, le principe de la bonne gouvernance suggère que les partis
de l’opposition (ainsi que les partis au pouvoir) devraient s’abstenir
de toute action qui puisse éroder le débat démocratique et qui puisse
par conséquent compromettre la confiance des citoyens envers les
responsables politiques et les partis
.
36. Dans presque tous les parlements nationaux, il existe des
dispositions reconnaissant le rôle de l’opposition ou de la minorité
parlementaire en tant que groupes politiques ou parlementaires individuels
ne soutenant pas le gouvernement. Tandis qu’en droit parlementaire,
la notion de droits de la minorité est généralement employée plus
souvent que celle de droits de l’opposition, la société, et notamment
les milieux politiques, les médias ou le public intéressé, ont l’habitude
de parler de l’opposition.
37. Le meilleur moyen de faire en sorte que l’opposition soit
à la hauteur de ses responsabilités consiste à étendre ses droits
et à les définir précisément. Pourtant, seuls quelques-uns des États
membres du Conseil de l’Europe disposent de textes juridiques ou
constitutionnels faisant explicitement référence au rôle de l’opposition.
Certaines Constitutions ne reconnaissent l’opposition que dans les
grandes lignes, laissant une grande partie des détails être déterminés
par la législation ordinaire, les textes statutaires, le règlement intérieur
parlementaire, ou par les conventions, coutumes et traditions.
38. Des théoriciens qui ont analysé les différents dispositifs
en matière de droits de l’opposition distinguent trois éléments:
premièrement ces dispositifs favorisent la création d’un regroupement
d’opposition au moyen de dispositions qui encouragent l’action collective
et coordonnée; deuxièmement ils prévoient des droits qui renforcent
l’une et/ou l’autre des deux fonctions essentielles des partis d’opposition:
a) surveiller les actions de l’exécutif et amener celui-ci à rendre
des comptes au moyen de pouvoirs de contrôle; et b) agir comme un gouvernement
en puissance en faisant usage de droits en matière de fixation d’ordre
du jour; troisièmement, ces dispositifs comprennent un mécanisme
d’application (saisine de la juridiction constitutionnelle et/ou présidence
de parlement)
.
39. La Commission de Venise a déconseillé l’adoption d’une loi
spécifique sur l’opposition, estimant qu’il pourrait être très difficile
et, dans certains cas, délicat d’un point de vue de l’interdiction
de la discrimination, d’introduire des règles rigides, en particulier
lorsque ces dernières tendent à accorder des compétences particulières
à certains acteurs politiques au détriment d’autres qui sont tout
autant en droit d’intervenir en qualité de représentants des citoyens
.
40. Dans la grande majorité des pays, les droits et responsabilités
de l’opposition découlent de procédures parlementaires ou de la
pratique parlementaire et, dans certains cas, d’accords entre les
groupes politiques représentés au parlement. Il est donc souhaitable
de renforcer la cohérence et l’équité de ce système et de faire
en sorte qu’il ne soit plus tributaire de négociations politiques,
afin d’en faire un ensemble de règles juridiques claires.
41. Les dispositions infra-constitutionnelles peuvent donc être
adaptées, lorsque gouvernement et opposition se respectent mutuellement
et respectent loyalement les règles. Si les conditions favorables n’existent
pas, en revanche, il peut s’avérer aisé pour le gouvernement de
contourner des règles qui ne sont pas inscrites dans la Constitution
pour affaiblir l’opposition et empêcher tout contrôle effectif.
7. Degré
d’institutionnalisation des droits et devoirs de l’opposition dans
un parlement démocratique: une perspective comparative
42. L’état de démocratie garantit
que les processus d’accession au pouvoir et d’exercice et d’alternance
du pouvoir permettent une libre concurrence politique et émanent
d’une participation populaire ouverte, libre et non discriminatoire,
exercée en accord avec la règle de droit, tant dans son esprit que
dans sa lettre. L’élément clé de l’exercice de la démocratie est
la tenue, à intervalles réguliers, d’élections libres et équitables
permettant l’expression de la volonté populaire
. Par conséquent,
la démocratie implique la possibilité non seulement de remporter
les élections, mais aussi de les perdre.
43. La Constitution établit un cadre dans lequel les formations
politiques reflétant les principaux clivages économiques et sociaux
d’une communauté politique donnée peuvent porter une contestation
partisane et pluraliste au moyen d’élections ordinaires tenues de
manière périodique. La légitimité des procédures dans lesquelles
s’inscrit un régime des droits de l’opposition permet de canaliser
les désaccords politiques et de parvenir à un règlement institutionnel
. En somme, «tous les pays ont un
gouvernement; seules les démocraties ont une opposition»
.
44. La place accordée à l’opposition est tout aussi essentielle
à l’existence d’une démocratie que le rôle dévolu au gouvernement.
Dans les systèmes constitutionnels pluralistes, le cadre juridique
de l’opposition en général est défini (statut des partis, droits
des parlementaires, liberté d’expression, liberté d’association,
etc.) et l’opposition parlementaire en particulier bénéficie de
droits législatifs, réglementaires ou transmis par la coutume et
la pratique, voire d’une reconnaissance constitutionnelle, qui lui
permettent d’exprimer librement ses opinions et d’agir efficacement
comme contrepoids à la majorité au sein d’un environnement institutionnel. Il
est clair que la nature et la force de l’opposition dépendent principalement
du système électoral et du mode de scrutin utilisés. Des différences
existent entre les parlements des États membres du Conseil de l’Europe quant
au degré d’institutionnalisation de l’opposition, depuis une reconnaissance
informelle dans leur règlement, lorsque celui-ci accorde des droits
à la minorité parlementaire, jusqu’à une reconnaissance formelle de
l’opposition dans la Constitution de l’État.
45. L’opposition n’est donc pas simplement un trait caractéristique
de la gouvernance démocratique, mais aussi de la politique en général.
Au-delà de la diversité des systèmes parlementaires en Europe, tous
les parlements des États membres octroient des droits à la minorité
parlementaire, que cette opposition soit organisée au sein de groupes
politiques ou non. La garantie d’un équilibre démocratique est donc
une pierre angulaire de la stabilité politique. Or le fonctionnement
démocratique et la légitimité du système peuvent être affaiblis
ou détruits si les droits fondamentaux de l’opposition ne sont pas
suffisamment garantis. En revanche, la capacité de la majorité et
du gouvernement à gérer efficacement le pays peut à son tour être
affaiblie ou détruite si l’opposition se voit accorder des droits
et des pouvoirs étendus.
46. Ce qui fait la différence fondamentale entre un régime et
un autre tient à l’espace que la sphère électorale et la sphère
parlementaire donnent aux détenteurs de droits pour qu’ils puissent
exprimer leur opposition
. Mais il ne fait aucun doute
que majorité et opposition parlementaires composent ensemble un ordre
politique et constitutionnel, et plus précisément que l’opposition
est un concept «dépendant»: le caractère de l’opposition est lié
au caractère du gouvernement
.
47. L’opposition a la possibilité intrinsèque de devenir la majorité
de demain. Elle est donc censée, si les conditions sont idéales,
être conjointement responsable de la bonne gouvernance de l’État,
de la continuité institutionnelle et de la transparence du processus
législatif, dans la poursuite de l’intérêt public. Cela signifie, en
résumé, que l’opposition doit être constructive, responsable et
faire preuve de maturité et qu’elle ne doit pas chercher systématiquement
à entraver le travail de la majorité ou, inversement, à adopter
une position passive, voire se contenter de «faire de la figuration».
On peut également s’attendre à ce qu’une opposition dotée de droits
procéduraux appropriés ait moins recours au blocage du processus
parlementaire.
48. Plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ont cherché,
à des degrés divers, à promouvoir le rôle institutionnel de l’opposition
politique en établissant un certain nombre de droits spécifiques
sur une base constitutionnelle ou législative ou en introduisant
des bonnes pratiques
.
Ces droits se traduisent dans des dispositifs et des normes juridiques
plus spécifiques qui sont examinés dans la Liste des critères.
7.1. Représentation
proportionnelle
49. Dans sa Liste des critères,
la Commission de Venise prône la représentation proportionnelle
aux postes à responsabilité, qu’elle considère comme une importante
garantie des droits de l’opposition. Pour éviter que l’opposition
soit complètement évincée des organes de gouvernance du parlement,
elle recommande de formuler une règle garantissant à l’opposition
un accès équitable aux fonctions à responsabilité au sein du parlement,
de même qu’une représentation proportionnelle dans la composition
des délégations parlementaires nationales auprès des associations
parlementaires internationales et autres organismes similaires
.
50. La reconnaissance officielle du principe de représentation
proportionnelle varie considérablement d’un pays à l’autre. Dans
quelques pays, elle est expressément prévue dans la Constitution.
Par exemple, selon l’article 52 de la Constitution danoise
et l’article 95.2 de la Constitution turque
,
les dispositions du règlement doivent être libellées de manière
à garantir la participation de chaque groupe de partis politiques
à l’ensemble des activités de la [Grande Assemblée nationale], à
proportion du nombre de ses membres. Selon l’article 178.2 de la
Constitution portugaise, «la composition des commissions parlementaires
est proportionnelle à la représentativité des groupes parlementaires».
7.2. Le
chef de l’opposition
51. Certains pays ont institutionnalisé
la fonction de chef de l’opposition parlementaire, à savoir de chef
de la plus grande formation de l’opposition ou de la plus grande
coalition de formations de l’opposition. L’opposition y est par
conséquent une institution à part entière dont le rôle essentiel
est d’assurer l’exercice quotidien de la démocratie parlementaire.
Par exemple, le chef de l’opposition a une fonction officielle au Royaume-Uni
(«Leader of His Majesty’s Most Loyal Opposition», «Chef de la loyale
opposition de sa Majesté»)
.
Il s’agit d’une fonction qui a parfois un véritable statut constitutionnel
ou législatif. Dans les démocraties parlementaires concernées, les
règles régissant la désignation concrète du chef de l’opposition sont
variables.
7.3. Étapes
du processus d’élaboration des politiques
52. Trois étapes du processus d’élaboration
des politiques sont examinées: l’initiative, le débat et le contrôle parlementaire.
L’étape de l’initiative concerne le dépôt de propositions de loi
et la fixation de l’ordre du jour. Pour le débat, il s’agit du dépôt
d’amendements, de la composition des commissions et des procédures
en vigueur au sein de celles-ci. Enfin, les composantes du contrôle
parlementaire de l’action du gouvernement (droits accordés à une
minorité qualifiée, interpellation, motion de censure/vote de défiance)
permettent de mesurer l’étendue du pouvoir de veto des acteurs de
l’opposition
.
53. Le pouvoir d’opposition accordé par le parlement est faible
si seuls l’exécutif et les parlementaires peuvent déposer des projets
ou propositions de loi alors que les parlementaires sont soumis
à des restrictions spécifiques et peuvent voir leur initiative bloquée.
Il est plus important dans les parlements où un autre acteur au
moins (commissions, partis, entités infranationales ou citoyens)
peut déposer une proposition de loi – tout en restant soumis à des
limitations et/ou à la possibilité d’un veto. Les acteurs de l’opposition
bénéficient d’un fort pouvoir d’opposition si les parlementaires
ne sont soumis à aucune restriction ou éventualité de veto. Les parlements
dans lesquels au moins un acteur autre que l’exécutif ou les parlementaires
peut présenter des propositions de loi sans restriction ni éventualité
de veto sont ceux où le pouvoir d’opposition est le plus fort. Il existe
cependant un obstacle supplémentaire à surmonter: celui des acteurs
qui décident de l’ordre du jour des séances plénières, au sein desquels
le gouvernement peut exercer une position dominante.
7.3.1. Commissions
54. Une grande partie du travail
parlementaire – en particulier les travaux liés à l’élaboration
concrète de la loi et ceux de contrôle des politiques – se fait
en commission. En règle générale, les commissions parlementaires
reflètent globalement la composition partisane de la chambre concernée
(une majorité de membres issus de la majorité gouvernementale, le
reste des sièges étant répartis entre les partis d’opposition en
fonction de leur poids). Si la composition des commissions est souvent
régie au niveau infra-constitutionnel, par une loi ordinaire ou
par le règlement de l’assemblée, certaines Constitutions établissent
des règles générales qui garantissent l’équilibre entre le gouvernement
et l’opposition.
55. Dans sa
Résolution
1601 (2008), l’Assemblée recommandait que l’opposition préside l’ensemble
des «commissions responsables du contrôle de l’action gouvernementale,
telles que les commissions en charge du budget et des finances,
du contrôle des comptes ou de la surveillance des services secrets
et de sécurité». La résolution va ici assez loin, par rapport à
la situation habituelle dans les parlements nationaux. Dans bien des
pays, les commissions parlementaires chargées du budget et des finances
ne sont en effet pas considérées comme de simples commissions de
«contrôle».
7.3.2. Fixation
de l’ordre du jour
56. L’opposition devrait avoir
la possibilité raisonnable, à intervalles réguliers, d’influer sur
l’ordre du jour, en ce qui concerne non seulement des propositions
législatives, mais aussi d’autres questions liées au contrôle des
actions gouvernementales et à l’évaluation des politiques et des
dépenses publiques, par exemple en proposant des points à inscrire
à l’ordre du jour à la demande d’une minorité qualifiée
.
57. Il est essentiel de donner à l’opposition la possibilité de
proposer un ordre du jour. La maîtrise du calendrier de la plénière
renvoie à la maîtrise des choix des points qui vont faire l’objet
de discussions et de décisions. Le fait de pouvoir établir ce calendrier
et de fixer l’ordre du jour représente donc un pouvoir considérable
.
58. Certains parlements prévoient des jours de séance spécifiques
où l’opposition peut fixer l’ordre du jour. Ces «journées de l’opposition»
existent traditionnellement dans un certain nombre de parlements
organisés sur le modèle du parlement du Royaume-Uni
. La plupart de ces journées sont attribuées
à l’opposition officielle (à savoir au parti d’opposition ayant
le plus de poids), les autres étant réparties entre le reste des formations
de l’opposition.
7.3.3. Répartition
du temps de parole
59. La Commission de Venise souligne,
dans la Liste des critères, qu’il est possible d’allouer plus de
temps de parole à l’opposition, surtout lorsqu’il s’agit de projets
émanant du gouvernement ou de propositions soumises par des parlementaires
de la majorité, et que les membres de l’opposition devraient bénéficier
d’un temps de parole égal à celui de la majorité, indépendamment
de leur force respective, dans certaines circonstances
.
60. La Commission de Venise recommande l’adoption de règles plus
transparentes s’agissant de la répartition égale du temps de parole
entre majorité parlementaire et opposition lors des débats. Cette
question est en partie encadrée par le Règlement du Parlement lituanien,
qui prévoit en son article 105.2 que le président du Seimas peut
modifier l’ordre des interventions afin de garantir une représentation
plus proportionnelle des formations, commissions et argumentaires
au sein des débats
.
61. Certains proposent d’inscrire dans la Constitution le principe
selon lequel les partis de l’opposition doivent bénéficier d’une
part suffisante du temps parlementaire
.
7.3.4. Participation
de l’opposition au contrôle parlementaire de l’exécutif
7.3.4.1. Minorités
qualifiées
62. Les droits de la minorité qualifiée
sont énoncés dans les dispositions générales de la procédure parlementaire
ou dans des procédures spéciales prévues pour des questions précises
et le plus souvent dans la procédure de contrôle et d’examen parlementaire
de l’exécutif.
63. À la suite des recommandations énoncées dans la
Résolution 1601 (2008) préconisant qu’une minorité qualifiée d’un quart des
membres ait compétence juridique pour demander: la convocation d’une
séance plénière (2.2.5); la tenue d’un débat sur une question spécifique
(2.2.7); la constitution d’«une commission d’enquête ou d’une mission
parlementaire d’information, et d’en être membres» (2.2.8); la convocation
d’une session extraordinaire (2.3.2) et la tenue d’auditions parlementaires
(2.5.4), la Commission de Venise – sur le principe, en fonction
de la tradition et du contexte politique – souscrit à l’idée d’accorder
à une minorité qualifiée de parlementaires des pouvoirs spécifiques
d’enquête dans le cadre de la fonction de contrôle du parlement.
64. Certains systèmes politiques reconnaissent à l’opposition
parlementaire, en général sous la forme d’une minorité qualifiée
particulière, non seulement l’exercice de droits de participation
à la procédure, mais également la compétence juridique d’adopter
la décision d’ouvrir une enquête, de demander des informations ou
de créer des commissions spéciales.
65. Deux mécanismes ont été conçus non pas pour empêcher la prise
de décisions à la majorité, mais pour donner à la minorité la possibilité
d’examiner des propositions, d’exprimer son opposition à celles-ci
et de mobiliser l’opinion publique: les mécanismes de report à l’initiative
de la minorité (où le veto se limite à reporter) et les mécanismes
de référendum à l’initiative de la minorité (où le veto peut être
annulé par un appel de la minorité parlementaire adressé à l’ensemble
de la population).
7.3.4.2. Mécanismes
de report à l’initiative de la minorité
66. Dans certains parlements, une
minorité qualifiée peut avoir le droit de reporter les décisions
prises par la majorité, par exemple en demandant la tenue de débats
supplémentaires ou une période de réflexion. Certaines Constitutions
accordent le droit à la minorité parlementaire de différer l’adoption
d’une loi pour permettre un examen et un contrôle approfondis.
7.3.4.3. Questions,
interpellations, motion de censure/vote de défiance et destitution
67. Dans sa Liste des critères,
la Commission de Venise a confirmé les recommandations formulées
dans la
Résolution 1601
(2008), selon lesquelles l’opposition devrait avoir le droit
d’ouvrir la séance de questions au gouvernement et de poser un plus
grand nombre de questions que les membres appartenant à la majorité.
68. Selon une fréquence définie, qui doit être régulière (dans
certains systèmes, plusieurs fois par semaine), l’opposition peut
poser des questions au gouvernement, par écrit ou à l’oral. Ces
dispositions peuvent être intégrées à la Constitution au titre des
droits de l’opposition, mais, dans la plupart des pays, cette question
est régie par le règlement des chambres.
69. Comme la Commission de Venise l’a indiqué dans sa Liste des
critères, le droit d’interpellation (avec débat) est l’instrument
le plus efficace dont disposent les membres de l’opposition; il
est souvent couplé au droit de déposer une motion de censure.
70. Sur le plan théorique, les conséquences de l’interpellation
ne sont pas nécessairement identiques ni mêmes similaires en fonction
des pays qui appliquent ce dispositif. Dans certains pays, l’interpellation s’apparente
à l’un des moyens de contrôle les plus importants – une proposition
de vote de défiance –, tandis que dans d’autres, il est difficile
de faire clairement la distinction entre l’interpellation et la
question parlementaire «ordinaire» formulée par écrit; en ce sens,
l’interpellation est souvent définie comme une question parlementaire
qualifiée.
71. La Commission de Venise a recommandé de distinguer la procédure
d’interpellation (qui peut déboucher sur le dépôt d’une motion de
censure) d’une simple question, pour prévenir le danger d’escalade artificielle
des conflits
. En outre, pour limiter
le risque que les parlementaires minoritaires abusent du droit d’interpellation,
il est possible de prévoir un seuil pour l’adoption de ces motions
et, naturellement, ce seuil varie d’un pays à l’autre: en vertu
de l’article 61 de la Constitution lituanienne, par exemple, il
est nécessaire de réunir un cinquième des membres du Seimas pour
pouvoir interpeller les ministres (soit 29 députés sur 141). En
Finlande, les parlementaires doivent être au nombre de 20 pour adresser
une interpellation au gouvernement, qui doit y répondre en séance
plénière dans un délai de 15 jours; en Macédoine du Nord, en application
de l’article 72 de la Constitution, l’interpellation d’un membre
du gouvernement est possible si une motion est déposée par au moins
cinq parlementaires, sur un total de 120
; aux Pays-Bas, ce seuil est de 30 députés
sur 150
.
72. Comme l’indique la Commission de Venise dans la Liste des
critères
,
en régime parlementaire, il est essentiel que l’opposition puisse
exprimer son absence de confiance dans le gouvernement dans son ensemble;
toutefois, il convient de prendre en compte le contexte politique,
car ce mécanisme peut être utilisé abusivement et fragiliser encore
davantage le gouvernement
. Par ailleurs,
selon la Commission de Venise, une motion de censure devrait être
collective, et non pas émaner de députés isolés, et être déposée
par 10 ou 20 parlementaires
. Dans la pratique,
la Constitution de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe permet
au parlement de révoquer des ministres individuellement en votant
une motion de censure.
7.3.4.4. Commissions
d’enquête parlementaires
73. En ce qui concerne la question
du nombre de parlementaires requis pour créer une commission d’enquête,
la Commission de Venise, dans sa Liste des critères, a accepté la
Recommandation III.3 formulée dans les Lignes directrices de l’Union
interparlementaire selon laquelle «chaque groupe parlementaire doit disposer
d’un droit d’obtenir, selon une périodicité arrêtée après concertation,
la constitution d’une commission d’enquête sur le sujet de son choix.
Dans ce cas, l’opposition y est représentée»
.
74. Dans son analyse de la question du seuil du point de vue du
renforcement des partis d’opposition, la Commission de Venise a
fait valoir d’une part que le seuil d’un quart des parlementaires
serait considéré dans la plupart des systèmes politiques comme plutôt
bas
, alors que d’autre part «la réduction
du nombre de députés nécessaires à la création d’une commission
parlementaire à un cinquième de leur effectif pourrait contribuer
à renforcer le rôle des petits partis d’opposition, et est donc
une bonne chose»
.
75. Certaines constitutions permettent à un nombre minimum de
membres du corps législatif de créer une commission d’enquête. C’est
un outil potentiellement puissant entre les mains de l’opposition,
qui lui permet d’examiner de façon approfondie les décisions politiques.
76. Dans sa Liste des critères, la Commission de Venise fait la
recommandation suivante: si la décision de la commission d’enquête
doit être prise à la majorité des voix, il est important de réserver
certains droits procéduraux à ses membres représentant l’opposition
et de leur laisser la possibilité d’être co-rapporteurs ou de soumettre
un rapport de minorité distinct
.
7.4. Contrôle
de la constitutionnalité des lois
77. D’après la Liste des critères
de la Commission de Venise, la possibilité de contrôler la constitutionnalité des
lois et des projets de loi relève d’un choix politique; mais lorsqu’elle
existe, il y a de bonnes raisons pour qu’un groupe minoritaire au
parlement soit également habilité à en faire usage. Ainsi, la Cour
constitutionnelle devrait pouvoir être saisie d’un projet de loi
à la demande «d’un tiers ou d’un quart des députés», le seuil pouvant
même être plus bas si le corps législatif est très fragmenté (un
cinquième de l’ensemble des députés, par exemple)
.
78. Il existe un modèle largement répandu en Europe, qui permet
à une minorité parlementaire de demander le contrôle de la constitutionnalité
des lois, soit avant, soit après l’adoption du texte, en général
en saisissant la Cour constitutionnelle. Cette compétence donne
à l’opposition, dès lors qu’elle atteint une certaine importance
numérique, la possibilité de renvoyer les textes de loi et les autres
actes du parlement devant une instance judiciaire indépendante.
Une telle compétence peut, en soi, conférer à la minorité un certain
pouvoir de levier et ralentir l’adoption ou la promulgation d’une
nouvelle loi par la majorité. Son éventuelle capacité de blocage
du texte dépend du contenu de la loi, de la rigidité de la Constitution,
ainsi que de la volonté, de la composition et des habitudes de la
Cour constitutionnelle
.
7.5. Fonctions
de direction et administration du parlement
79. L’opposition peut bénéficier
d’une garantie d’être représentée dans les structures de direction
et d’administration interne du parlement et de participer à leurs
travaux. Le contrôle non seulement de l’organisation des débats
du corps législatif, mais aussi des biens matériels du parlement
– ses bâtiments, ses bureaux, ses bibliothèques, ses archives et
même ses places de parking – peut constituer un outil politique.
Il est essentiel que l’opposition puisse s’exprimer sur ces questions
pour garantir que le parlement travaille dans l’intérêt de l’ensemble
de ses membres et qu’un bon équilibre institutionnel est maintenu
entre le gouvernement et l’opposition.
8. Changements
d’affiliation politique
80. La question des changements
postélectoraux dans l’affiliation politique des parlementaires au
cours de leur mandat mérite d’être examinée sérieusement. Ce phénomène
est présent dans de nombreux parlements des États membres du Conseil
de l’Europe et le passage de parlementaires d’un groupe politique
à un autre ou leur retrait d’un parti pour siéger en tant que membres
indépendants – que ce soit pour des considérations idéologiques,
par opportunisme politique ou électoral ou pour la recherche d’avantages
personnels – est susceptible d’avoir un impact sur l’équilibre entre
la majorité et l’opposition au sein des parlements.
81. Pour les parlements, de tels faits peuvent compromettre l’exercice
des droits de l’opposition. Il convient donc d’examiner les règles
régissant les droits accordés aux groupes d’opposition politique:
sont-ils accordés au début de chaque législature ou chaque année
au début de la session ordinaire?
82. Dans un avis qu’elle a publié en 2009, la Commission de Venise
a souligné qu’il était important que les parlementaires exercent
un mandat libre et indépendant, et a indiqué que «la déchéance de
la qualité de représentant pour cause de changement d’affiliation
politique est contraire au principe d’un mandat libre et indépendant».
Elle a ajouté que même si le but recherché par ce type de mesures
(à savoir, empêcher les élus de «vendre» leur mandat au plus offrant)
peut être considéré avec une certaine bienveillance, le principe constitutionnel
fondamental qui interdit le mandat impératif, ou toute autre pratique
visant à priver un représentant de son mandat, doit prévaloir en
tant que clé de voûte du constitutionnalisme démocratique européen
.
83. Dans les États membres du Conseil de l’Europe, le mandat impératif
étant prohibé, le parlementaire a la libre disposition de son mandat.
Pour autant, le mandat constitue un contrat moral entre les électeurs
et l’élu autour des principes, des valeurs et des opinions défendues
dans son programme électoral. Le changement d’affiliation politique
postélectoral soulève donc des interrogations et des critiques –
notamment de nature déontologique et morale – quant à l’opportunisme
politique, l’éventuelle perte de confiance des citoyens envers la
classe politique et la discipline interne des partis. Outre ces
critiques d’ordre général, le passage postélectoral de parlementaires
d’un groupe politique à un autre ou leur retrait d’un groupe en
vue de siéger en tant que membres indépendants entraînent des conséquences
sur le fonctionnement de l’institution parlementaire. Lorsqu’il
s’agit de membres de l’Assemblée, de tels faits sont susceptibles
d’influer sur l’équilibre de la représentation politique au sein
des délégations nationales à l’Assemblée.
84. Le rapport de l’Assemblée intitulé «Le changement d’affiliation
politique postélectoral des membres et ses répercussions sur la
composition des délégations nationales»
, qui se fondait sur les réponses
à un questionnaire envoyé aux correspondants nationaux du CERDP
(Requête n° 2417 du 8 novembre 2013) indiquait que les groupes politiques
qui connaissent des défections peuvent rencontrer diverses difficultés
en fonction de l’étendue du phénomène. Parmi les répercussions principales,
citons le risque de sous-représentation, voire de disparition, la
réduction des contributions et aides financières et la perte d’influence politique
dans les organes parlementaires. La sous-représentation a une incidence
sur les groupes qui, en vertu du règlement intérieur, doivent compter
un nombre minimal de membres pour exister. L’Assemblée a donc invité
les parlements nationaux:
«- à
lancer une réflexion approfondie sur le changement d’affiliation
politique des parlementaires, afin de déterminer l’opportunité d’adopter
ou non des mesures restreignant le changement de groupe politique,
par l’interdiction de rejoindre un autre groupe parlementaire –
pour le restant de la législature ou pour une certaine durée – et
l’obligation de siéger comme non-inscrit·e·/indépendant·e·, ou la
perte de certains droits de participation et de représentation;
- à réviser leur réglementation interne si celle-ci ne
comporte pas déjà des dispositions spécifiant la possibilité ou
l’interdiction de changement d’affiliation politique, les conditions
et les conséquences d’un changement d’affiliation politique et d’une
suspension, d’une exclusion ou d’une démission d’un membre de son
groupe politique»
.
85. En outre, l’Assemblée a invité les groupes politiques de l’Assemblée
à compléter leur statut ou règlement intérieur, le cas échéant,
afin d’y rendre plus explicites les valeurs et principes qui fondent
le groupe et les objectifs qu’il poursuit et d’y inclure des dispositions
spécifiant la procédure, les conditions et les conséquences d’un
changement d’affiliation politique, et d’une suspension, exclusion
ou démission de membres
.
9. Immunités
des parlementaires
86. Le but de l’immunité, tel que
le soulignait l’Assemblée dans sa
Résolution 1325 (2023) «Immunités des Membres de l’Assemblée parlementaire»,
est de préserver l’intégrité et l’indépendance des parlements en
leur offrant une protection spécifique contre les mises en cause
auxquelles les parlementaires sont plus exposés que les autres justiciables.
87. L’Assemblée a été la première institution parlementaire internationale
en Europe à inscrire, dans son Règlement, des dispositions relatives
à la levée de l’immunité de ses membres, concrétisant ainsi l’article 40 du
Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1)
et l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe
(STE no 2, 1949) ainsi que son Protocole
additionnel (STE no 10, 1952).
88. Dans sa Liste des critères, la Commission de Venise souligne
que l’immunité protège de manière générale tous les députés, mais
particulièrement ceux de l’opposition, surtout dans les pays où
les forces de l’ordre pourraient être acquises à la majorité. Il
importe de définir l’étendue de ces immunités dans la loi, et de mettre
en place des garanties procédurales rendant relativement difficiles
leur levée et la possibilité de poursuites ultérieures
.
89. Comme l’a souligné la Commission de Venise, l’immunité parlementaire
dont jouissent aujourd’hui les parlementaires varie d’un État membre
du Conseil de l’Europe à l’autre; elle est en principe régie par
les Constitutions elles-mêmes
. Ces dispositions assurent
à la fois la protection collective du parlement en tant qu’institution
(contre l’exécutif) et la protection individuelle de chaque parlementaire
contre l’exécutif et la majorité parlementaire.
90. La Commission de Venise considère que deux catégories distinctes
d’immunité sont apparues: l’irresponsabilité (qui signifie fondamentalement
que la responsabilité d’un député ne peut pas être engagée par ses
votes et avis émis dans l’exercice de son mandat) et l’inviolabilité
(qui protège un député contre certaines mesures coercitives, comme
l’arrestation, sans autorisation du parlement ou d’un organe de
ce dernier)
.
91. Des études ont montré que la crainte de perdre son immunité
pouvait avoir les conséquences suivantes: elle rend les députés
des partis d’opposition plus pacifiques; ils s’investissent avec
moins d’ardeur dans les travaux parlementaires (ils rédigent moins
de textes législatifs, lancent moins d’enquêtes, prononcent moins de
discours et des discours plus courts) et sont moins virulents (ils
interrompent moins souvent les autres députés)
.
Ils ont également moins tendance à émettre des votes dissidents
contre le gouvernement. La réduction de l’intensité des activités
de l’opposition entraîne une baisse de la confiance des citoyens
dans le parlement.
10. Règlement
des différends portant sur des droits de l’opposition
92. L’indépendance des parlementaires
est importante non seulement vis-à-vis du pouvoir exécutif, mais aussi
au sein du parlement en ce qui concerne leurs interactions avec
les partis politiques et les autres parlementaires. Il est essentiel
que les droits de l’opposition parlementaire – libertés d’association, d’expression
et de réunion – soient garantis par la Constitution, par la législation
du pays et par le règlement intérieur du parlement, et qu’ils ne
soient pas remis en cause par le code de conduite des parlementaires.
Les parlementaires de l’opposition ne devraient pas être incriminés,
harcelés ou désavantagés de quelque manière que ce soit
.
93. Comme l’indique la Commission de Venise dans sa Liste des
critères, outre la nécessité de maintenir l’ordre au sein du parlement
et de régler les différends portant sur les droits et le comportement
des députés et des groupes, il est important de tenir compte du
fait que les organes internes compétents en matière disciplinaire
et procédurale ne doivent pas devenir un outil de manipulation politique
pour la majorité
.
94. Selon la Commission de Venise, il appartient en premier lieu
au parlement lui-même ou à ses organes désignés de décider des propos
et comportements jugés inadmissibles au sein du parlement. Les codes
de conduite ne pouvant régler clairement tous les problèmes, il
importe de veiller au caractère prévisible des sanctions et de respecter
les traditions et les précédents. Par exemple, dans un pays où l’obstruction
par «filibustering» est traditionnellement admise comme une pratique
légitime, il ne conviendrait pas de punir les députés de la minorité
qui y recourent, simplement parce que la majorité prend ombrage
de l’obstacle qu’elle suscite
.
95. En outre, l’Union interparlementaire recommande que la procédure
d’adoption des codes de conduite soit inclusive, transparente et
concertée et que les membres de l’opposition soient donc associés
au processus d’élaboration du code de conduite dès le début
. Le caractère inclusif de la procédure
vise à s’assurer que le code n’a pas été élaboré uniquement par
quelques parlementaires ou par le parti majoritaire. Cette situation donnerait
lieu à des préoccupations encore plus vives quant à la possibilité
d’une instrumentalisation du code de conduite pour cibler les membres
de la minorité parlementaire ou pour restreindre l’indépendance
des membres du corps législatif
.
96. Il est recommandé, pour que les comités de déontologie parlementaire
obtiennent et conservent une légitimité, que leur composition soit
représentative du parlement pour ce qui est de l’équilibre entre
les partis politiques et entre les sexes et les origines ethniques,
et que leurs membres soient nommés de manière transparente et équitable.
Ces comités sont souvent présidés par un membre de l’opposition,
bien que cela puisse être controversé dans les sociétés où la culture
politique est très conflictuelle ou l’élite politique divisée.
11. Principes
généraux servant de base à la Liste des critères
97. La majorité parlementaire forme
souvent, mais pas toujours, la majorité gouvernementale dans le
sens où elle soutient le gouvernement. Le Rapport de 2010 portait
principalement sur «les systèmes parlementaires nationaux et sur
le modèle le plus répandu, dans lequel les partis de l’opposition
sont minoritaires et ont par conséquent besoin d’un certain degré
de protection pour pouvoir exercer les fonctions essentielles et
légitimes de l’opposition, qui sont indispensables à l’existence
d’une démocratie effective et durable». La Liste des critères conserve
le même centrage.
98. ll convient cependant de respecter certains principes généraux,
au-delà des règles constitutionnelles et législatives. Selon la
Commission de Venise, les principes constitutionnels ci-après sont
les plus importants pour la bonne marche de l’action parlementaire:
liberté, pluralisme, freins et contrepoids, coopération loyale et respect
des institutions, solidarité à l’égard de la société, possibilité
d’alternance politique et efficacité de la prise des décisions.
- Pluralisme: un
État démocratique devrait respecter les valeurs de pluralisme et
de liberté et, par conséquent, dans une société démocratique, la
critique émanant de l’opposition ne saurait être considérée comme
un élément destructeur ou une voix contre le pays, ni interprétée
comme un rejet des résultats d’élections démocratiques.
- Freins et contrepoids: un
État démocratique ne peut exister sans les freins et contrepoids
maintenant l’équilibre entre ses institutions. Les freins et contrepoids
au sens large incluent également des acteurs non étatiques (tels
que la société civile ou la presse libre), ce qui contribue à prévenir
une concentration excessive du pouvoir dans une seule institution.
- Coopération loyale et respect
des institutions: les freins et les contrepoids nécessitent
une coopération constructive pour réaliser l’intérêt public; ils
exigent un respect mutuel entre les institutions de l’État appartenant
à des pouvoirs différents, ainsi qu’un équilibre approprié et un
contrôle mutuel entre elles.
- Solidarité politique à
l’égard de la société: le principe de solidarité politique
exige une responsabilité partagée de la majorité et de l’opposition
à l’égard de la société. La majorité, précisément parce qu’elle est
majoritaire, doit exercer le pouvoir avec retenue et respect envers
l’opposition, de manière inclusive et transparente. Dans le même
temps, l’opposition ne doit pas non plus abuser de ses droits procéduraux;
lorsqu’elle critique les politiques de la majorité, elle ne doit
pas appeler à la violence ni s’associer à des violences, ou à l’obstruction
physique du travail parlementaire.
- Possibilité d’alternance
du pouvoir: les mesures prises par la majorité ne devraient
pas affecter l’État de droit ni viser à changer les règles du jeu
démocratique, et en dernier ressort la possibilité d’alternance politique
par des élections libres et équitables. La majorité ne devrait pas
abuser de son pouvoir pour empêcher (ou entraver gravement) la possibilité
pour la minorité de devenir majoritaire.
- Efficacité de la prise
des décisions: la majorité devrait être en mesure de
déployer son programme politique et l’opposition ne doit pas, de
son côté, faire délibérément obstacle aux travaux parlementaires. Les
rapports entre majorité et opposition devraient toujours respecter
l’impératif d’équilibre entre les intérêts légitimes de la majorité
et de l’opposition, l’une et l’autre ayant un devoir politique de
coopération constructive et loyale.
99. Le fonctionnement du parlement a une légitimité démocratique
incontestable s’il respecte ces principes. La majorité et l’opposition
doivent montrer, dans leur action, le même engagement conjoint et
responsable au service de l’intérêt public de la population, source
légitime du pouvoir démocratique. Cet engagement doit être primordial,
car il dépasse les enjeux de la confrontation politique, même si
cette dernière est à la fois normale est indispensable dans une
démocratie.
100. La série de principes généraux figurant dans la Liste des
critères est loin d’être exhaustive, et ces principes peuvent être
formulés différemment, en fonction du régime politique, de la culture
constitutionnelle et des traditions nationales. Ces principes sont
étroitement liés. L’alternance politique régulière au pouvoir renforce
la retenue au sein de la majorité et l’attitude constructive de
l’opposition à l’égard de cette dernière. En revanche, en abusant
de sa position dominante pour se maintenir au pouvoir, la majorité
risquerait de provoquer une radicalisation générale au sein de l’opposition.
101. La Liste des critères est fondée sur des questions qui permettent
de cerner les points faibles de la réglementation nationale. Nombre
d’entre elles sont ouvertes, mais chaque fois un bref commentaire accompagnant
une question explique les principes généraux, évoque de bonnes (ou
mauvaises) pratiques, et suggère des solutions possibles. La structure
de la liste permettra aussi de la compléter et de l’ajuster à l’avenir,
au vu du développement politique et juridique des démocraties européennes
et non européennes.