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Rapport | Doc. 15950 | 26 mars 2024

Le respect des obligations et engagements de l'Albanie

Rapporteur : M. Ionuț-Marian STROE, Roumanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2024 - Deuxième partie de session

Résumé

Dans le présent rapport, la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi) de suivi évalue le respect des obligations et engagements de l'Albanie. Elle se félicite de l'apaisement de la crise politique systémique dans le pays et des réformes mises en œuvre pour garantir l'indépendance et l'intégrité du pouvoir judiciaire, en particulier la vérification des qualifications de tous les juges et procureurs. Elle exprime également sa satisfaction quant aux progrès réalisés dans la lutte contre la corruption généralisée dans le pays, y compris en ce qui concerne les condamnations de haut niveau.

Dans le même temps, la commission de suivi exprime également un certain nombre de préoccupations, en particulier en ce qui concerne l'environnement politique polarisé en Albanie, l'absence de décrets d’application pour la mise en œuvre de la loi de 2017 sur la protection des minorités nationales, ainsi que la détérioration de la liberté des médias dans le pays. Elle attend des autorités qu'elles répondent à ces préoccupations en priorité et qu'elles veillent à ce que les résultats tangibles enregistrés dans la lutte contre la corruption deviennent désormais une tendance irréversible et donnent un signal clair qu'il ne peut y avoir aucune tolérance ou impunité pour les comportements corrompus.

A la lumière des progrès visibles et marqués réalisés dans le respect de ses obligations et engagements, et reconnaissant la volonté politique clairement exprimée par la majorité au pouvoir de répondre aux préoccupations restantes, la commission de suivi recommande à l'Assemblée de clore la procédure de suivi concernant l'Albanie et d'engager un dialogue postsuivi dans le but de répondre aux préoccupations restantes énoncées dans le présent projet de résolution. Dans le même temps, la commission propose de renvoyer l'Albanie à une procédure de suivi complète si, au moment de son premier rapport dans le cadre du dialogue postsuivi, aucun progrès concret et tangible n'était enregistré pour répondre à ses préoccupations et recommandations concernant la lutte contre la corruption, la protection des minorités, la liberté des médias et la liberté d'expression.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 6 mars 2024.

(open)
1. L'Albanie a adhéré au Conseil de l'Europe le 13 juillet 1995. Lors de son adhésion, elle s'est engagée à respecter les obligations que l'article 3 du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) impose à chaque État membre concernant le pluralisme démocratique, la prééminence du droit et les droits humains. Elle a également pris un certain nombre d'engagements spécifiques dont la liste figure dans l’Avis 189 (1995) «Demande d’adhésion au Conseil de l’Europe», adopté par l'Assemblée parlementaire le 29 juin 1995. Conformément à la procédure de suivi établie dans la Résolution 1115 (1997), l'Assemblée a régulièrement évalué les progrès accomplis par l'Albanie dans l'exécution de ses obligations et de ses engagements.
2. Le précédent rapport sur le respect des obligations et engagements de l'Albanie a été examiné par l'Assemblée le 2 octobre 2014 et a conduit à l’adoption de la Résolution 2019 (2014). L'Assemblée note avec satisfaction que bon nombre des recommandations et des préoccupations énoncées dans la Résolution 2019 (2014) ont été prises en compte, et que l'Albanie a réalisé des progrès substantiels et tangibles pour honorer ses obligations et engagements à l’égard du Conseil de l’Europe. Dans le même temps, l’Assemblée est consciente qu'il reste un certain nombre de problèmes et de questions en suspens que le pays devrait s'efforcer de traiter.
3. L'Assemblée se félicite du fait que la crise politique systémique prolongée à laquelle le pays est en proie depuis des années ait récemment commencé à perdre de son intensité, même si ses causes profondes n'ont pas encore été éliminées. Elle reste néanmoins préoccupée par la polarisation de l'environnement politique, talon d'Achille de la consolidation démocratique du pays. Une vigilance constante est nécessaire à cet égard et toutes les forces politiques devraient continuer à travailler sans relâche pour créer un environnement politique qui permette véritablement l'exercice du jeu et de la gouvernance démocratiques.
4. L'Assemblée se félicite de l'adoption, en 2020, d'un nouveau cadre juridique pour les élections, fondé sur un processus inclusif et sur un large consensus entre les acteurs politiques. Elle est toutefois préoccupée par les modifications fréquentes du cadre électoral, qui traduisent une tendance à jouer avec les règles plutôt qu'à les respecter. L'Assemblée rappelle que la stabilité de la loi électorale est essentielle pour que les parties prenantes, et la population en général, aient confiance dans le processus électoral et les résultats des élections. Par conséquent, tout en appelant l'ensemble des acteurs politiques à remédier, bien avant les prochaines élections, aux lacunes et aux insuffisances constatées lors des élections passées, l'Assemblée leur demande instamment de ne pas recourir à d'incessantes modifications du Code électoral dans le but d'altérer l'équilibre des pouvoirs ou d’empêcher l'interaction politique normale au sein du parlement. En ce qui concerne le cadre électoral, l'Assemblée invite les autorités et le Parlement albanais, sur la base d'un large consensus entre toutes les forces politiques:
4.1. à adopter et à mettre en œuvre systématiquement une législation visant à lutter contre l’utilisation abusive des ressources administratives et l’achat de voix qui ont entaché les élections précédentes dans le pays;
4.2. à adopter la législation nécessaire pour garantir que le cadre juridique du financement des partis et des campagnes soit pleinement conforme aux normes internationales;
4.3. à faire en sorte que le découpage des circonscriptions électorales, comme le prévoit le Code électoral de 2020, s’effectue dans le cadre d’un processus inclusif pleinement conforme aux normes internationales;
4.4. à adopter, à titre prioritaire et bien avant la tenue de nouvelles élections, la législation voulue pour permettre à l'importante diaspora albanaise de voter à l'étranger, conformément à l'arrêt de la Cour constitutionnelle d'Albanie.
5. L'Assemblée est préoccupée par le fait que la polarisation politique dans le pays, aggravée par les mascarades entre partis et au sein des partis, sape le système d'équilibre des pouvoirs et limite le contrôle parlementaire. Dans ce contexte, elle regrette que le parlement n'ait pas été en mesure de trouver la majorité des deux tiers requise pour nommer un nouveau médiateur et un nouveau commissaire à la protection contre la discrimination, après l’expiration du mandat des personnes en poste, et qu'il ait eu recours à des mécanismes antiblocages abaissant la majorité requise pour d'autres nominations, y compris pour l'élection du Président de la République. L’Assemblée appelle l’opposition et la majorité au pouvoir à assurer le bon fonctionnement du système d'équilibre des pouvoirs, y compris un contrôle parlementaire efficace et effectif du pouvoir exécutif, et à respecter le rôle et la place qui reviennent à chacun dans la gouvernance du pays. En outre, l'Assemblée invite instamment la majorité au pouvoir et l'opposition à nommer, sur la base d'un large consensus, un nouveau médiateur et un nouveau commissaire à la protection contre la discrimination, ce qui est essentiel pour la légitimité démocratique de ces institutions importantes.
6. L'Assemblée se félicite de l'aboutissement de la réforme administrative et territoriale qui a considérablement réduit le nombre de municipalités et renforcé l'efficacité de l'autonomie locale et la fourniture de services aux citoyens. Elle note que les différentes forces politiques albanaises envisagent des ajustements de la carte administrative territoriale pour renforcer l'efficacité de l'autonomie locale et remédier à certains effets indésirables de la réforme. Il est important que toute modification du nombre de municipalités ou de leur périmètre repose sur un large consensus entre les différentes parties prenantes, dans le respect de la logique de la réforme qui vise à créer des collectivités locales fortes et efficaces qui fournissent des services proches des citoyens.
7. Dans ce contexte, l'Assemblée est préoccupée par les conséquences directes de la réforme administrative et territoriale pour l’exercice des droits des minorités en Albanie. Un certain nombre de municipalités dans lesquelles les minorités formaient la majorité locale ont été fusionnées en municipalités plus grandes où elles ne constituent plus une majorité, ni même une fraction importante de la population. Cette situation est aggravée par le fait qu'un certain nombre de droits fondamentaux des minorités, comme le droit à l’enseignement dans les langues minoritaires ou celui d'utiliser les langues minoritaires dans l'administration locale, ne sont accordés au niveau local que si la population minoritaire en question représente plus de 20 % de la population d’une municipalité. Ce seuil est excessif et n'est atteint que dans un nombre très limité de municipalités comptant d'importantes populations minoritaires. Il convient d'y remédier, en étroite consultation avec les minorités concernées, notamment dans le cadre de l'examen d'éventuels ajustements de la carte administrative territoriale.
8. L'Assemblée prend note des conclusions du rapport sur l'Albanie du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, adopté le 22 septembre 2021, notamment en ce qui concerne la répartition des fonctions et des responsabilités entre le gouvernement central et les autorités locales, ainsi que l'autonomie financière des municipalités. Elle appelle les autorités albanaises à répondre pleinement aux préoccupations et aux recommandations énoncées dans ce rapport.
9. La réforme du système judiciaire, qui vise à assurer son indépendance réelle et l'efficacité de l'administration de la justice, est une priorité de longue date de l'Assemblée dans le cadre de la procédure de suivi relative à l'Albanie. L'Assemblée se félicite par conséquent des progrès considérables et tangibles réalisés à cet égard par les autorités albanaises. Elle salue en particulier les amendements constitutionnels de 2016 qui ont permis, conformément aux recommandations de la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi), la réorganisation complète de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle et la création d'un Haut conseil des juges et d'un Haut conseil des procureurs, ainsi que d'institutions judiciaires spécialisées pour lutter contre la corruption endémique dans le pays.
10. Les amendements constitutionnels ont également permis, sous supervision internationale, la vérification des qualifications de l’ensemble des juges et des procureurs d'Albanie. Tout en étant consciente des effets considérables, quoique temporaires, de cette procédure de vérification sur le fonctionnement des principales institutions judiciaires en Albanie, l'Assemblée la considère comme un succès. Le nombre très élevé de juges et de procureurs qui n'ont pas satisfait à la procédure, soit plus de 60 % de l'ensemble des postes vérifiés, souligne à la fois l'importance et la nécessité de cette dernière.
11. L'Assemblée se félicite de l'établissement d'une nouvelle carte judiciaire, en étroite consultation avec le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, en vue d'améliorer la qualité et l'efficacité du système judiciaire et de résorber l'arriéré considérable d'affaires devant les tribunaux. La carte judiciaire sera évaluée tous les cinq ans sur la base des recommandations du Haut conseil des juges, ce qui devrait apaiser les inquiétudes et répondre à toutes les préoccupations éventuelles concernant l'accès des citoyens au système judiciaire à la suite de cette réforme.
12. Tout en se félicitant des progrès notables et tangibles accomplis, l'Assemblée invite instamment les autorités à tout faire pour éliminer totalement les ingérences intérieures et extérieures dans le pouvoir judiciaire et pour remédier à l’évolution encore trop lente du taux de variation du stock d'affaires pendantes devant les tribunaux.
13. Des progrès significatifs ont été accomplis dans la lutte contre la corruption systémique encore très répandue en Albanie et contre les préoccupations persistantes que suscite l'imbrication de la criminalité organisée avec les intérêts économiques et politiques du pays. Une structure spécialisée dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée (SPAK, composée du Bureau des procureurs spécialisés, du Bureau national d'enquête et de deux tribunaux spécialisés dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée) est désormais pleinement opérationnelle et commence à produire des résultats concrets, notamment en ce qui concerne les affaires de corruption de grande envergure. Il est important que ces résultats tangibles se transforment en tendance irréversible et que les structures de lutte contre la corruption disposent de toutes les ressources dont elles ont besoin afin de bien faire comprendre à tous les niveaux de la société que les pratiques de corruption ne resteront pas impunies.
14. Soulignant que la SPAK a été créée pour enquêter et statuer sur des affaires de corruption et de criminalité organisée de grande envergure, l'Assemblée considère que le seuil monétaire fixé pour décider si une affaire relève obligatoirement du mandat de la SPAK, actuellement d'environ 500 euros, est trop bas et risque d'inonder la structure d’affaires et donc de limiter sa capacité de lutte contre la corruption de grande envergure. Elle recommande vivement aux autorités de relever ce seuil monétaire.
15. L'Assemblée prend note du rapport de conformité du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) sur l'Albanie dans le cadre du cinquième cycle d'évaluation sur la prévention de la corruption et la promotion de l'intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l'exécutif) et des services répressifs. Tout en se félicitant des progrès constatés par le GRECO, elle regrette que seules 5 des 24 recommandations formulées dans le rapport d'évaluation du GRECO aient été traitées de manière satisfaisante, tandis que 13 recommandations n'ont été mises en œuvre que partiellement et 6 ne l'ont pas du tout été. L'Assemblée invite instamment les autorités à mettre pleinement en œuvre, à titre prioritaire, les recommandations formulées par le GRECO et en particulier:
15.1. à répondre aux réserves émises par le GRECO concernant le Comité d'éthique créée pour superviser la mise en œuvre et le respect du Code d'éthique ministériel, en retirant les membres du gouvernement de ce comité;
15.2. à veiller, en droit et en pratique, à ce que la responsabilité du Premier ministre à l'égard du Code d'éthique ministériel soit engagée;
15.3. à faire en sorte que tous les ministères désignent des coordinateurs de l'intégrité chargés de veiller au respect des plans d'intégrité élaborés par chaque ministère en consultation avec les différentes parties prenantes, dont la société civile;
15.4. à garantir que les règles adoptées pour assurer la transparence dans les interactions des ministres et personnes occupant de hautes fonctions avec les lobbyistes couvrent toutes les formes de contact, y compris par des moyens électroniques, et pas seulement les réunions physiques.
16. En ce qui concerne l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (la «Cour»), l'Assemblée se félicite de la décision du Comité des Ministres de mettre fin à sa surveillance de l'exécution dans le groupe d’affaires Manushaqe Puto et autres c. Albanie, ce qui indique que les affaires relatives à la restitution des biens expropriés par le régime communiste qui a dirigé l'Albanie de 1944 à 1992, qui constituaient une préoccupation importante de l'Assemblée, ont été résolues avec succès. Néanmoins, le nombre d'affaires contre l'Albanie pendantes devant la Cour et sous surveillance du Comité des Ministres reste trop élevé et des efforts supplémentaires et systématiques sont nécessaires pour assurer la prompte exécution des arrêts de la Cour, notamment en ce qui concerne l'exécution des décisions judiciaires internes et la durée excessive des procédures.
17. L'Assemblée regrette profondément qu'en dépit des progrès considérables accomplis dans le respect de ses obligations et engagements, le paysage médiatique ait continué de se dégrader en Albanie. Ce recul est très préoccupant, car l’existence d’un paysage médiatique libre et pluraliste est une condition essentielle au bon fonctionnement d'une démocratie. L'Assemblée invite donc les autorités albanaises:
17.1. à s'abstenir de recourir, contre les journalistes, à des menaces et à des propos hostiles, qui portent atteinte à leur sécurité physique et à leur capacité d'informer;
17.2. à dépénaliser entièrement la diffamation, conformément aux normes internationales, et à plafonner les amendes disproportionnées et les indemnités excessives pouvant être accordées en cas de diffamation, qui ont un effet dissuasif sur les journalistes et incitent à l'autocensure;
17.3. à promulguer une loi permettant de lutter efficacement contre l'utilisation des poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (poursuites-bâillons) contre les journalistes, les organes de presse et les organisations de la société civile.
18. L'Assemblée rend hommage à la société albanaise, hétérogène et multiculturelle, dotée d’une tradition historique de dialogue interreligieux et de tolérance. Tout en reconnaissant que les minorités nationales sont, à quelques exceptions près, bien intégrées dans la société albanaise, l'Assemblée est préoccupée par l'adéquation du cadre juridique régissant la protection des droits des minorités. Si l'adoption de la loi de 2017 sur la protection des minorités nationales a constitué une avancée majeure et bienvenue, l'Assemblée note que trois décrets d’application essentiels, nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de cette loi, n'ont toujours pas été adoptés. Les décrets d’application qui font encore défaut concernent des aspects essentiels de l'exercice des droits des minorités, notamment le droit de libre identification, le droit à l'enseignement dans les langues minoritaires et à leur emploi dans les relations avec les autorités, et la procédure de reconnaissance des minorités nationales. En ce qui concerne la protection des droits des minorités nationales, l'Assemblée invite instamment les autorités:
18.1. à adopter sans plus attendre, et en étroite consultation avec le Comité consultatif de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales, les trois décrets d'application de la loi de 2017 sur la protection des minorités régissant le droit de libre identification, le droit à l'enseignement dans les langues minoritaires et à leur emploi dans les relations avec les autorités, ainsi que la procédure de reconnaissance des minorités nationales;
18.2. à abaisser considérablement, et à interpréter avec souplesse, l'exigence selon laquelle une minorité nationale doit représenter plus de 20 % de la population locale pour que ses droits et services lui soient garantis juridiquement au niveau des municipalités.
19. En ce qui concerne la situation des droits des personnes LGBTI+, l'Assemblée se félicite de l'adoption d’amendements au Code du travail qui interdisent la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou le genre. Dans le même temps, elle note que l'Albanie n'autorise toujours pas l'enregistrement des partenariats entre personnes de même sexe, contrairement aux normes européennes, ni les changements de nom et de sexe dans le registre de l'état civil, ce qui empêche les personnes concernées d'exercer leurs droits civils. Elle appelle les autorités à traiter ces deux questions en priorité.
20. L'Assemblée regrette que l'Albanie n'ait pas adhéré à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148). Compte tenu de la présence importante de langues minoritaires en Albanie, elle invite les autorités à la signer et à la ratifier en priorité.
21. L'Assemblée se félicite de la volonté politique clairement exprimée par les autorités albanaises, ainsi que par l’ensemble des forces politiques du pays, de traiter, en priorité et en étroite coopération avec elle et les organes compétents du Conseil de l'Europe, les préoccupations et recommandations formulées dans la présente résolution et dans le rapport de la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi) qui l'accompagne. L'Assemblée décide donc de clore la procédure de suivi concernant l'Albanie et d'engager un dialogue postsuivi avec l'Albanie, conformément à la Résolution 2018 (2014), pour répondre aux préoccupations restantes exposées dans la présente résolution.
22. Dans le même temps, si aucun progrès tangible et concret n'a été fait pour répondre aux préoccupations et aux recommandations de l'Assemblée concernant la lutte contre la corruption, la protection des minorités ainsi que la liberté des médias et la liberté d'expression, telles qu'exprimées aux paragraphes 15, 17 et 18 de la présente résolution, l'Assemblée attend de sa commission de suivi qu'elle se demande, dès le premier rapport qu’elle fera dans le cadre du dialogue postsuivi, si l'Albanie doit de nouveau faire l'objet de la procédure de suivi complète.

B. Exposé des motifs par M. Stroe Ionuț-Marian, corapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’Albanie a adhéré au Conseil de l’Europe le 13 juillet 1995. Lors de son adhésion, elle s'est engagée à respecter les obligations que l'article 3 du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) impose à chaque État membre concernant le pluralisme démocratique, la prééminence du droit et les droits humains. Elle a également pris un certain nombre d'engagements spécifiques dont la liste figure dans l’Avis no 189 (1995) sur la demande d’adhésion de l’Albanie au Conseil de l’Europe, adopté par l'Assemblée parlementaire le 29 juin 1995.
2. Le précédent rapport sur le respect des obligations et engagements de l'Albanie 
			(2) 
			Doc. 13586. a été examiné par l'Assemblée le 2 octobre 2014 et a conduit à l’adoption de la Résolution 2019 (2014). Depuis, comme nous l’exposerons dans le présent rapport, l’Albanie a accompli des progrès considérables et tangibles en matière de respect des obligations et engagements qu'elle a souscrits en rejoignant le Conseil de l’Europe. Demeurent toutefois un certain nombre de problèmes et sujets de préoccupation, dont certains très importants, que le pays devrait s’employer à résoudre.
3. Le présent rapport s’appuie sur les conclusions et observations établies à la suite de plusieurs visites d’information dans le pays et sur les discussions approfondies tenues avec les autorités albanaises, les partis politiques, les représentants de la société civile et d’autres parties prenantes. Plusieurs échanges de vues sur divers faits nouveaux survenus dans le pays ont en outre été organisés au sein de la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi). La pandémie de covid-19 a frappé le monde pendant la période de préparation du rapport et empêché les corapporteurs de se rendre dans le pays pendant près de trois ans. Le processus de suivi n’a pas été interrompu pour autant et s’est poursuivi à distance. Plusieurs réunions avec des experts ainsi qu’avec des représentants de la société civile et des parlementaires albanais se sont tenues en ligne. Nous exprimons notre reconnaissance aux autorités de l’Albanie, à la délégation albanaise auprès de l’Assemblée ainsi qu’à toutes les autres parties prenantes qui nous ont aidés dans notre travail pour leur coopération et pour la disponibilité dont elles ont fait preuve pour nous rencontrer et nous faire part de leur point de vue concernant l’évolution de la situation dans le pays.
4. Depuis l’adoption du précédent rapport, les corapporteurs se sont rendus six fois dans le pays et ont rédigé sept notes d’information. Plusieurs changements de corapporteurs sont intervenus pendant la période considérée. Le 29 janvier 2015, M. Grigore Petrenko (République de Moldova, GUE), qui a quitté l’Assemblée, a été remplacé par M. Andrej Hunko (Allemagne, GUE). À l’issue de son mandat de cinq ans, M. Hunko a été remplacé, le 30 janvier 2020, par M. Petter Eide (Norvège, GUE). M. Eide a quitté l’Assemblée et a été remplacé le 14 décembre 2021 par M. Asim Mollazada (Azerbaïdjan, CE/AD) 
			(3) 
			Le mandat de corapporteur
de M. Asim Mollazada a pris fin le 24 janvier 2024, à la suite de
la décision de l'Assemblée de ne pas ratifier les pouvoirs présentés
par la délégation parlementaire de l'Azerbaïdjan (voir Résolution 2527
(2024)).. Le 28 janvier 2016, M. Jonathan Evans (Royaume-Uni, PPE/DC) a quitté l’Assemblée et a été remplacé par M. Cezar Florin Preda (Roumanie, PPE/DC). Six mois après avoir démissionné de ses fonctions de corapporteur, M. Preda a été remplacé, le 23 juin 2016, par M. Joseph O’Reilly (Irlande, PPE/DC). M. O’Reilly a achevé son mandat, qui avait été prolongé à deux reprises, le 23 décembre 2022. Il a été remplacé le 21 mars 2023 par M. Ionuţ-Marian Stroe (Roumanie, PPE/DC).

2. Principaux événements politiques

5. Pendant la plus grande partie de la période examinée, le pays est resté en proie à la crise politique systémique décrite dans le précédent rapport. Ce n’est que récemment que cette crise a commencé à perdre de son intensité – et encore ses causes profondes n’ont-elles pas été éradiquées. Le climat politique, et en particulier les relations entre les deux grandes forces politiques, le Parti socialiste (PS), au pouvoir, et le Parti démocrate (PD), actuellement dans l’opposition, est extrêmement polarisé et conflictuel. L’environnement politique qui résulte de cette situation est marqué par la mise en place de politiques publiques où tout ce qui est gagné par les uns est perdu par les autres, par le manque de respect entre l’opposition et la majorité au pouvoir et l’absence de volonté de compromis pour faire en sorte que chacun joue le rôle qui est le sien dans la gouvernance du pays, et par la persistance d’un discours politique agressif et hostile. Malgré les améliorations notables intervenues ces deux dernières années, en particulier à la suite des élections législatives de 2021, l’environnement politique reste un sujet de préoccupation car il empêche le parlement d’exercer son contrôle et entrave le bon fonctionnement du système de pouvoirs et contrepouvoirs dans le pays. Toutes les grandes forces politiques en portent la responsabilité et ont le devoir de surmonter ces clivages afin de créer un environnement politique qui permette véritablement l’exercice du jeu démocratique.
6. Des élections locales se sont tenues le 21 juin 2015 dans les 61 nouvelles collectivités locales (municipalités) créées dans le cadre de la réforme administrative et territoriale. Le scrutin, qui est intervenu dans un climat politique fragile à la suite de cette réforme politiquement sensible, a été observé par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe dans le cadre d’une mission internationale d'observation des élections (MIOE) à laquelle participaient également le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH de l'OSCE). La MIOE a conclu que si les libertés fondamentales que sont la liberté d’expression et la liberté de réunion avaient bien été respectées, le manque de volonté politique parmi les principaux partis de mettre en œuvre effectivement la législation électorale ainsi que la politisation des institutions de l’État avaient nui au processus électoral. La campagne électorale a été éclipsée par des accusations mutuelles faisant état de «charcutage électoral» – dont certaines ont été avérées – de pressions exercées sur les électeurs et d’utilisation abusive des ressources administratives.
7. La coalition majoritaire au pouvoir est sortie clairement vainqueure des élections locales de 2015. Elle a vu dans ce résultat le signe de la confiance des citoyens et citoyennes et de leur soutien aux réformes qu’elle avait lancées, tandis que l’opposition a considéré qu’il confortait son opinion selon laquelle la réforme administrative et territoriale était essentiellement centrée sur la modification de la division administrative du pays et non sur les aspects fonctionnels de l'autonomie locale. Les clivages se sont ainsi accentués, tant et si bien que la principale formation d’opposition, le PD, a entamé un boycott du parlement le 10 juillet 2014. À la suite d’une médiation du Parlement européen, l’opposition est revenue siéger le 24 décembre 2014 après avoir reçu l’assurance que la majorité au pouvoir rechercherait le consensus plutôt que de contourner l’opposition en s’appuyant sur sa majorité des trois cinquièmes.
8. La polarisation s’est poursuivie malgré l’accord intervenu, s’accélérant à l’approche des élections législatives de 2017. Outre que ces tensions ont eu de fortes conséquences sur la mise en œuvre et le rythme des réformes, elles ont entravé la consolidation de la démocratie ainsi que le processus d’intégration européenne du pays. En juillet 2016, le parlement a cependant pour une fois surmonté ces clivages, ce qu’il convient de saluer, et adopté à l’unanimité une révision de la Constitution afin de permettre une grande réforme de la justice comprenant notamment le contrôle de l’intégrité de tous les juges et procureurs du pays, condition posée par l’Union européenne avant toute ouverture de négociations en vue de l’adhésion de l’Albanie.
9. Le 7 février 2017, le PD a annoncé qu’il boycotterait les travaux du parlement et entamé une manifestation permanente devant le Bureau du Premier ministre, accusant la majorité au pouvoir d’avoir l’intention de manipuler les élections législatives à venir. Constatant que les demandes du PD, notamment la démission du Premier ministre Edi Rama et la formation d'un gouvernement technique d’union nationale, n’avaient pas été satisfaites, M. Luzlim Basha, président du Parti démocrate, a annoncé que l'opposition dirigée par le PD boycotterait les élections législatives prévues à l’origine pour le 18 juin 2017.
10. Grâce à d’importants efforts de médiation de la communauté internationale, en particulier du Parlement européen et de la Commission européenne, le PD et le PS sont parvenus à un accord le 18 mai 2017. Aux termes de celui-ci, le PD a renoncé à son boycott du parlement et des élections en échange d’un poste de Vice-Premier ministre et de cinq portefeuilles ministériels, jusqu’au scrutin. L’opposition a également obtenu la présidence de la Commission électorale centrale et plusieurs autres postes publics importants, dont celui de Médiateur. Certaines questions ont été soulevées quant à la conformité de l’accord avec la législation albanaise en vigueur 
			(4) 
			S’agissant par exemple
des dispositions régissant la révocation et la nomination du médiateur.. Conformément aux dispositions convenues, des élections législatives se sont tenues le 25 juin 2017, une semaine plus tard que la date initialement prévue. L'accord a en outre permis la création des organes de contrôle de l’appareil judiciaire, qui constituent un élément essentiel de la réforme de la justice. Les membres de ces organes ont été nommés à l’issue d’un vote de la majorité et de l'opposition lors d'une session extraordinaire du parlement le 17 juin 2017.
11. Ces élections ont été observées par l'Assemblée dans le cadre d’une MIOE qui comprenait également la mission d'observation électorale de longue durée du BIDDH de l’OSCE ainsi que des délégations de l’Assemblée parlementaire de l'OSCE et du Parlement européen. La MIOE a souligné que la campagne électorale s’était déroulée globalement sans incidents, que tous les candidats avaient pu faire campagne librement et que les droits fondamentaux de toutes et tous avaient été respectés. Elle a toutefois aussi relevé la politisation persistante de l'administration électorale ainsi que les nombreuses allégations d'achats de voix et de pressions exercées sur les électeurs, qui ont sapé la confiance du public à l’égard du processus électoral 
			(5) 
			<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/7/c/325491.pdf'>MIOE</a> – Republic of Albania. Parliamentary Elections, 25 juin 2017.
Voir également le rapport de la commission ad hoc de
l’Assemblée, Doc. 14392. .
12. Les élections de 2017 ont vu la victoire du PS, qui a obtenu 74 sièges sur 140, soit la majorité absolue, tandis que le PD en remportait 43. Certains ont vu dans ce résultat la sanction, par les électeurs albanais, de la stratégie de confrontation et de boycott des travaux parlementaires décidée par le parti, qui aurait entravé la mise en œuvre des réformes que le pays doit mener à bien pour entamer des négociations en vue de l’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne. Obtenant 19 sièges seulement, le Mouvement socialiste pour l’intégration (MSI) 
			(6) 
			Le MSI est
devenu en 2023 le Parti de la liberté (PL). a perdu son rôle traditionnel de faiseur de roi qui lui avait permis depuis 2009 d’intégrer les gouvernements successifs, alternativement avec le PD et le PS. Fort de sa majorité absolue, le PS pouvait gouverner sans consulter l’opposition ni coopérer avec elle, ce qui laissait craindre un style de gouvernance plus autocratique, eu égard en particulier au strict contrôle exercé par le Premier ministre, Edi Rama, sur le parti. La crise politique systémique et la polarisation extrême de la vie politique se sont poursuivies après le scrutin.
13. La crise politique s’est hélas sérieusement aggravée en février 2019 et a pris la dimension d’une véritable crise constitutionnelle lorsque le PD et le MSI ont demandé à leurs députés de renoncer à leur mandat. Tous les parlementaires de ces partis, à deux exceptions près, ont donné suite à cet appel. L’Albanie dispose d’un système électoral proportionnel reposant sur des circonscriptions régionales. Selon la législation nationale, tout mandat devenu vacant est automatiquement proposé à la personne figurant juste après le nom du dernier député élu – lors du scrutin le plus récent – sur la liste du parti dans la circonscription concernée. Tandis que les partis d’opposition appelaient leurs membres à ne pas accepter les mandats vacants, plusieurs personnes n’ont pas tenu compte de la position prise par la direction de leur formation et sont entrées au parlement. Les membres de l’opposition qui avaient refusé de renoncer à leur mandat et ceux qui ont accepté les sièges laissés vacants ont été de fait exclus de leur parti, devenant ainsi un troisième vecteur politique dans le pays. Les questions liées à la constitutionnalité de cette situation n’ont pu être tranchées à l’époque, car la Cour constitutionnelle ne fonctionnait pas, le processus de contrôle de l’intégrité des magistrats étant en cours.
14. Le fait que les principaux partis d’opposition soient en dehors du parlement et l’émergence d’un paysage politique caractérisé par l’interaction – difficile – entre trois vecteurs politiques (opposition extraparlementaire, opposition parlementaire et majorité au pouvoir) ont aggravé la crise politique et entravé le processus de réforme. La fonction de contrôle du parlement en a souffert, sans compter que la nomination des représentants du parlement dans les organes indépendants de réglementation a, dans bien des cas, été différée, laissant craindre que le système de freins et contrepoids du pays ne puisse fonctionner correctement.
15. Le 5 novembre 2018, le Président Meta a convoqué des élections locales pour le 30 juin 2019. Les principaux partis d’opposition, le PD et le MSI, ont toutefois posé une série de conditions à leur participation au scrutin, notamment la tenue de nouvelles élections législatives et la formation d’un gouvernement technique d’unité. La majorité au pouvoir y a, sans surprise, opposé une fin de non-recevoir. Comme les partis d’opposition maintenaient leur décision de boycott, le Président Meta a proposé de reporter le scrutin pour que toutes les formations aient le temps de trouver un compromis. Cette proposition a été rejetée par la majorité au pouvoir, au motif qu’une telle solution constituerait une dérive dangereuse et antidémocratique 
			(7) 
			On notera qu’il est
déjà arrivé que des élections soient reportées en Albanie pour dénouer
des crises politiques – cela a notamment été le cas des élections
législatives de 2017.. Le 10 juin 2019, invoquant des préoccupations pour la sûreté publique et sa responsabilité constitutionnelle de protéger le caractère pluraliste du processus électoral, le Président Meta a publié un décret annulant les élections du 30 juin 2019. Le décret a toutefois été considéré comme illégal par la Commission électorale centrale (CEC) qui, soutenue par le Parlement albanais, a maintenu la date du 30 juin 2019 pour la tenue du scrutin. Le collège électoral a confirmé la décision de la CEC le 24 juin 2019. Là encore, la question de la constitutionnalité du décret du chef de l’État ou des décisions de la CEC n’a pu être vérifiée par la Cour constitutionnelle, qui ne fonctionnait pas du fait de la procédure de contrôle de l’intégrité des magistrats.
16. Les élections locales se sont donc tenues le 30 juin 2019 sans la participation des principaux partis de l’opposition. Les candidats du PS se sont ainsi présentés sans adversaires dans 31 des 61 municipalités, tandis que dans les autres, ils ne se trouvaient que face à des candidats de petites formations d’opposition ou bien des candidats indépendants. Selon le BIDDH de l’OSCE, « [l]es élections locales du 30 juin se sont déroulées sans faire grand cas des intérêts de l’électorat. L’opposition a décidé de ne pas y participer et le gouvernement a décidé de tenir les élections sans elle. Dans ce climat d’impasse politique et de polarisation, les électeurs n’ont pas vraiment disposé d’un choix entre différentes options politiques 
			(8) 
			OSCE/ODIHR
Election Observation Mission for the Local Elections in Albania
on 30 June 2019, <a href='https://www.osce.org/odihr/elections/albania/429230?download=true'>Final
Report</a>.». Tous les postes de maire à une exception près ont été remportés par le PS, qui a aussi obtenu la majorité dans 59 des 61 conseils municipaux. Le taux de participation annoncé par la CEC a été de 21,6 %, soit moins de la moitié de celui des élections locales de 2015, ce qui montre qu’un nombre considérable d’électeurs de l’opposition ont suivi la consigne de boycott du scrutin.
17. La crise constitutionnelle a connu une nouvelle étape lorsque la majorité parlementaire a lancé une procédure de destitution du Président de la République en invoquant le décret d’annulation des élections locales du 30 juin 2019 pris par celui-ci. Un élément est venu rendre plus complexe encore cette procédure: le fait que si le parlement décidait de destituer le chef de l’État, l’étape suivante serait un procès devant la Cour constitutionnelle, qui devrait se prononcer sur la culpabilité de l’intéressé au titre des violations mentionnées dans la motion de destitution. Or comme cela a déjà été précisé, la Cour constitutionnelle ne fonctionnait pas à l’époque, du fait de la procédure de contrôle de l’intégrité des magistrats. Le président du Parlement albanais a sollicité l’avis de la Commission de Venise sur «l’étendue du pouvoir présidentiel de fixation de la date des élections». Dans son avis 
			(9) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2019)019-f'>CDL-AD(2019)019</a>. , la Commission de Venise a conclu que, en vertu de la Constitution albanaise, le droit du président d’annuler ou de reporter des élections en l’absence de toute base juridique précise est contestable, sauf si l’état d’exception a été déclaré, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence 
			(10) 
			Ibid.,
paragraphes 50 et 62.. La Commission de Venise a donc conclu implicitement que la tenue des élections le 30 juin était conforme au droit. Cependant, elle a aussi considéré que le Président, en reportant les élections, poursuivait le but légitime de rechercher une solution de compromis à la crise politique en cours, et que son décret d’annulation des élections pourrait «ne pas répondre aux critères requis de gravité suffisante dans les circonstances pour justifier une destitution du président 
			(11) 
			Ibid.,
paragraphe 101.». Le Parlement albanais a approuvé la destitution du Président Meta le 9 juin 2021 au motif que celui-ci avait mené des actions contraires à la Constitution, notamment en soutenant ouvertement un parti politique lors des élections. Le 17 février 2022, cependant, la Cour constitutionnelle albanaise, redevenue opérationnelle, a annulé la motion de destitution au motif que les éléments pesant contre le chef de l’État n’étaient pas constitutifs d’une «violation grave de la Constitution» justifiant sa destitution.
18. À la suite des élections locales de 2019, les différents partis et regroupements politiques de l’opposition et la majorité au pouvoir ont décidé d’un commun accord d’entreprendre une réforme pour mettre en place un cadre électoral ayant le soutien de toutes les parties prenantes et entités chargées des élections. On ne peut que saluer cette initiative visant à dépasser les profonds clivages politiques dans le pays. Nous présenterons le processus de réforme électorale en détail dans une autre partie du présent rapport. Sur ce point, on notera que les élections en Albanie ont bien souvent été suivies d’appels à réformer le système électoral, alors même que la Commission de Venise a estimé dans plusieurs avis que le cadre en vigueur dans le pays lors des différents scrutins, s’il pouvait être amélioré, convenait en principe à la tenue d’élections démocratiques pour peu qu’il soit mis en œuvre dans sa totalité et de bonne foi.
19. À l’issue de longues négociations et après que de fortes pressions exercées par la communauté internationale, les différents acteurs politiques sont parvenus à un accord sur la réforme électorale le 5 juin 2020. Nous reviendrons plus en détail sur celle-ci plus loin dans le présent rapport. Le 30 juillet 2020, en outre, le parlement a adopté, à l’initiative de 28 députés pour la plupart issus de l’opposition parlementaire 
			(12) 
			Cette
initiative n’a pas été soutenue par le PD et le MSI, qui se trouvaient
alors dans l’opposition extraparlementaire., une série de modifications de la Constitution instaurant un système électoral à listes ouvertes basé sur des circonscriptions régionales multiples. Par ailleurs, le seuil électoral a été abaissé à 1 % et les coalitions électorales ont été remplacées par des listes électorales communes. Après l’adoption de ces réformes, le Président Meta a convoqué des élections législatives pour le 25 avril 2021.
20. Ces élections ont été observées par l'Assemblée dans le cadre d’une MIOE à laquelle participaient également le BIDDH et l’Assemblée parlementaire de l'OSCE 
			(13) 
			Voir
le rapport de la commission ad hoc d’observation des élections législatives
de l’Assemblée, Doc.
15293.. La MIOE a conclu que les électeurs avaient eu le choix entre plusieurs candidats, qui avaient pu faire campagne librement. Elle a estimé que le cadre juridique relatif aux élections, qui respecte les libertés fondamentales, fournissait une base appropriée pour la tenue d’élections démocratiques et qu’il bénéficiait de la confiance de la plupart des parties prenantes. Cependant, la MIOE a aussi souligné que le PS, au pouvoir, avait tiré un avantage indu de sa position, notamment par le biais du contrôle qu’il exerce sur les administrations locales et d’une utilisation abusive des ressources administratives, certaines informations faisant même état de pressions exercées sur les fonctionnaires. Malheureusement, de nombreuses allégations d’achats de voix ont encore une fois été formulées, sapant la confiance de la population dans le résultat des élections.
21. Les élections ont été remportées par le PS, au pouvoir, qui a obtenu 48,7 % des suffrages et 74 sièges. Le PD a remporté 39,4 % des voix (59 sièges), le MSI 6,8 % des voix (4 sièges) et le Parti social-démocrate d’Albanie (PSD) 2,5 % des suffrages (3 sièges). Aucune autre formation n’a atteint le seuil de 1 %. Le résultat de ce scrutin semble confirmer la tendance observée lors des élections législatives de 2017, à savoir que les électeurs albanais choisissent la stabilité politique plutôt que des stratégies de confrontation et de boycott des travaux parlementaires, qui sont considérées comme une menace pour les processus de réforme et d'intégration européenne du pays.
22. Le parlement nouvellement élu n’a commencé à siéger que le 10 septembre 2021. Tous les membres élus ont accepté leur mandat et intégré l’institution. Le retour des principales formations de l’opposition au sein du parlement et la reprise de sa participation aux travaux a marqué un grand pas en avant dans la résolution de la crise politique et constitutionnelle évoquée plus haut, même s’il n’a pas permis d’en éradiquer toutes les causes profondes.
23. Le mandat du Président Meta a pris fin le 24 juillet 2022. Conformément à la Constitution albanaise, le Président de la République est élu au suffrage indirect, par le parlement, pour un mandat de cinq ans, dans la limite de deux mandats consécutifs. Le Président Meta a été élu pour la première fois en 2017. Cependant, étant donné les relations conflictuelles qu’il entretenait avec la majorité au pouvoir (comme en témoignent les deux tentatives de destitution dont il a fait l’objet), il n’a pas été envisagé de proposer sa candidature pour un second mandat. Le Président est élu par le parlement à la majorité des trois cinquièmes de tous les membres. Si aucun candidat n’obtient une telle majorité lors des trois premiers tours de scrutin, la majorité requise pour élire le Président est abaissée à la majorité absolue, soit 50 % des voix + 1, lors des tours de scrutin suivants. Le 10 mai 2022, le parlement a décidé de démarrer le scrutin de l’élection présidentielle le 16 mai 2022. Aucun candidat n’a hélas été proposé lors des trois premiers tours de scrutin, ce qui témoigne de la persistance de forts clivages dans la vie politique. Au quatrième tour, le PS a proposé la candidature du général Bajram Begaj, alors chef d'état-major de l'armée albanaise. Il a été élu avec 78 voix pour, quatre voix contre et une abstention, la plupart des membres de l’opposition ayant refusé de prendre part au vote. Nous regrettons vivement que l’opposition et la majorité au pouvoir se soient montrées incapables de s’entendre sur un candidat commun. Nous tenons à souligner que la condition de la majorité des trois cinquièmes a été inscrite dans la Constitution pour garantir que le Président bénéficie d’un large soutien au sein de toutes les forces politiques et qu’il puisse s’élever au-dessus des divisions partisanes. L’utilisation délibérée de la procédure «antiblocage», sans même avoir essayé de trouver un candidat de compromis pour les trois premiers tours, est clairement contraire à l’esprit de la Constitution.
24. L’aspect positif du retour de l’opposition au parlement a été quelque peu éclipsé par une fracture au sein du PD, qui a des répercussions négatives sur les travaux de l’institution. Exclu du groupe parlementaire du PD par le président du parti, Lulzim Basha, l’ancien Premier ministre et dirigeant de la formation Sali Berisha a contesté la légitimité de M. Basha en tant que titulaire du poste. Les deux hommes ont, chacun de leur côté, convoqué un congrès du parti et assuré que celui organisé par leur rival était illégal, ce qui a accentué la crise au sein de la formation politique. M. Basha a saisi les tribunaux sur la légalité de la convention convoquée par M. Berisha. Le 25 mars 2022, le tribunal de première instance de Tirana a statué en faveur de la “Commission en faveur du rétablissement du PD (de M. Berisha)” et considéré que le congrès convoqué le 11 décembre par M. Berisha était légal et valide. Cette décision a fait l’objet d’un recours déposé par M. Enkelejd Alibeaj, chef du groupe parlementaire du PD, fidèle à M. Basha. Le 3 mars 2023, la cour d’appel de Tirana a statué en faveur de M. Alibeaj et ordonné que la question de la légalité de la convention nationale du PD convoquée par M. Berisha soit réexaminée par les tribunaux. Cette décision n’a hélas pas résolu la fracture au sein du parti et laisse celui-ci dans une situation d’incertitude pour ce qui est de sa direction, chacun des deux hommes continuant de se revendiquer comme seul responsable légitime du PD.
25. Cette situation s'est encore compliquée du fait d'un blocage concernant la direction du groupe parlementaire du PD. Après la démission de M. Alibeaj de son poste de président de groupe, M. Gazment Bardhi a été élu à cette fonction, le 23 mai 2023. Le 4 septembre 2023, cependant, le «PD officiel» a annoncé que M. Basha, qui avait été nommé président du «PD officiel», serait le nouveau chef du groupe. M. Bhardi et la majorité des membres du groupe du PD ont rejeté cette décision, arguant que le président du groupe devait être élu par celui-ci et non par le parti. Ces événements ont entraîné une scission de fait du PD en trois branches rivales 
			(14) 
			Il convient de signaler
que le groupe de M. Bhardi ne conteste pas la légitimité de M. Basha
en tant que président du parti.. M. Bhardi, conscient de la fragmentation du PD, a appelé les trois factions à s'unir, au moins au sein du parlement. Au moment de la rédaction du présent rapport, M. Basha opposait une fin de non-recevoir tandis que M. Berisha, tout en ne souhaitant pas rejoindre le camp de M. Bhardi, avait fait part de sa volonté de coopérer.
26. Cette crise au sein de la direction du principal parti d’opposition a sérieusement morcelé l’opposition dans le pays et compromet l’efficacité du système de pouvoirs et contrepouvoirs en place, en particulier en ce qui concerne le contrôle parlementaire et l’obligation de rendre des comptes. Elle a également mis à mal la participation de l’opposition aux élections locales 
			(15) 
			<a href='https://balkaninsight.com/2023/03/06/court-ruling-further-complicates-albania-opposition-leadership-battle/'>«Court
Ruling Further Complicates Albania Opposition Leadership Battle»,
Balkan Insight.</a>. Il est important de faire en sorte que cette crise de la direction au sein du PD ne se transforme pas en crise politique nationale. Tout État démocratique a besoin d’une opposition viable qui travaille dans le cadre parlementaire. Il est par conséquent essentiel que les factions rivales et leurs dirigeants respectifs mettent de côté leurs divergences afin d’exercer un contrôle parlementaire et d’assurer un contrepoids constitutionnel à la majorité au pouvoir.
27. Des élections locales se sont tenues le 14 mai 2023. Perçues par beaucoup comme un indicateur de l'état d'esprit politique au niveau national, elles concernaient les maires et les conseils municipaux des 61 municipalités du pays. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a observé ces élections dans le cadre d'une MIOE à laquelle participaient également le Parlement européen et le BIDDH de l'OSCE. Dans sa déclaration faisant état des premiers constats et conclusions 
			(16) 
			<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/6/b/543561.pdf'>MIOE</a> – Local Elections, 14 mai 2023. , la MIOE a indiqué que les élections «avaient été globalement pluralistes et bien administrées» et qu’elles s’étaient tenues avec la participation des principales forces politiques. Cependant, la MIOE a également constaté qu’elles avaient été marquées par la persistance de profonds clivages entre les principales forces politiques et que les questions nationales avaient dominé la campagne, qui avait été très peu axée sur les questions relatives aux collectivités locales. À l'instar de ce qui avait déjà été constaté lors des élections législatives de 2021, la MIOE a déploré l'utilisation abusive de ressources administratives et les allégations persistantes d'achats de voix et de pressions exercées sur les employés du secteur public. Cette tendance est très préoccupante.
28. Si l’on se place au niveau national, les élections ont été remportées par la coalition dirigée par le Parti socialiste. Sur les 61 municipalités, le PS a obtenu la majorité dans 57 conseils municipaux ainsi que 53 postes de maire. La coalition «Ensemble, nous gagnons» a remporté 7 postes de maire et obtenu le plus grand nombre de suffrages dans 4 conseils municipaux. Marquées par un enjeu lié à la question des minorités, qui a pris une dimension internationale, l’élection au poste de maire de la municipalité de Himarë (district de Vlorë) a revêtu un caractère particulier. Nous reviendrons sur ce cas plus loin dans le présent rapport.
29. L’action politique ainsi que, dans une moindre mesure, toute la dynamique à l’œuvre dans le paysage politique de l’Albanie, sont restées déterminées en grande partie par le dossier prioritaire de la poursuite de l’intégration européenne, et en particulier les efforts en vue de l’adhésion à l’Union européenne. L’Albanie a présenté sa demande d’adhésion à l’Union européenne le 28 avril 2009. Comme nous l’indiquions dans notre précédent rapport 
			(17) 
			Doc. 13586, par. 22-29., la Commission européenne a appuyé cette demande, mais signalé que les autorités albanaises devraient déployer des efforts considérables avant que le statut de candidat puisse être examiné, notamment dans les domaines de la stabilité des institutions, de la gouvernance démocratique et de la prééminence du droit.
30. L’Albanie a lancé des réformes de grande ampleur pour atteindre cet objectif. Alors que la mise en œuvre des réformes nécessaires avait pris un retard considérable, en partie du fait de la crise politique systémique dans le pays, les progrès ont été tels que le Conseil européen a accordé le statut de candidat à l’Albanie en juin 2014. Il a toutefois été clairement indiqué que les négociations en vue de l’adhésion ne pourraient commencer que lorsque des progrès significatifs seraient intervenus en Albanie dans cinq domaines prioritaires – la réforme de l’administration publique; l’indépendance, l’efficacité et la responsabilité des institutions judiciaires; la lutte contre la corruption; la lutte contre la criminalité organisée; la protection des droits humains, notamment les droits des Roms, les politiques de lutte contre la discrimination et la mise en œuvre des droits de propriété – et qu’un dialogue constructif serait établi entre la majorité au pouvoir et l’opposition. Le 26 juin 2018, le Conseil européen a réaffirmé sa position et confirmé que «l’ouverture des négociations d’adhésion en juin 2019» interviendrait à condition que «d’autres progrès concrets soient réalisés dans la mise en œuvre de la réforme judiciaire, notamment le processus de contrôle» et que «d’autres résultats tangibles soient obtenus dans la lutte contre la corruption à tous les niveaux et dans la lutte contre la criminalité organisée». Le 29 mai 2019, la Commission européenne a estimé que des «progrès considérables» avaient été accomplis et a recommandé que le Conseil européen ouvre les négociations d’adhésion avec l’Albanie. Mais après que la France, les Pays-Bas et le Danemark eurent formulé une objection formelle 
			(18) 
			Précisons
que le scepticisme des milieux politiques des pays de l’Union européenne
quant à l'ouverture effective des négociations d'adhésion avec l'Albanie
n'était semble-t-il pas limité à ces trois pays., celui-ci a finalement renoncé, le 18 octobre 2019, à le faire à ce stade.
31. Le Conseil européen a finalement décidé le 25 mars 2020 d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Albanie, ce dont il y a lieu de se féliciter. La Commission a posé cinq conditions 
			(19) 
			a) adopter la réforme
électorale en pleine conformité avec les recommandations du BIDDH
de l'OSCE, en garantissant la transparence du financement des partis
politiques et des campagnes électorales ; b) veiller à poursuivre
la mise en œuvre de la réforme judiciaire et notamment à garantir
le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et de la Haute Cour,
en tenant compte de l'expertise internationale pertinente, y compris
des avis de la Commission de Venise en la matière ; c) achever la
mise en place des structures spécialisées en matière de lutte contre
la corruption et la criminalité organisée et renforcer encore la
lutte contre la corruption et la criminalité organisée ; d) s'attaquer
au phénomène des demandes d'asile infondées et assurer les rapatriements
et e) modifier la loi sur les médias conformément aux recommandations
de la Commission de Venise (Conseil des affaires générales. Conclusions
du Conseil sur l’élargissement et le processus de stabilisation
et d’association. République de Macédoine du Nord et République d’Albanie, <a href='https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-7002-2020-INIT/fr/pdf'>Com(2020)57
final).</a> préalables à l’organisation de la première conférence intergouvernementale sur les négociations d’adhésion. Une fois celle-ci satisfaites, la conférence intergouvernementale Union européenne-Albanie s’est tenue à Tirana le 19 juillet 2022. La Commission européenne a ensuite entamé l’examen analytique de l’acquis. En notre qualité de corapporteurs, nous soutenons depuis toujours le processus d’intégration européenne du pays et accueillons par conséquent avec une grande satisfaction le démarrage des négociations d’adhésion à l’Union européenne. Nous restons à cet égard convaincus que le plein respect des obligations et engagements souscrits par l’Albanie dans le cadre de son adhésion au Conseil de l’Europe, ainsi que la prise en considération des recommandations et préoccupations restantes qui sont présentées dans ce rapport seront un élément moteur déterminant pour le bon déroulement des négociations entre l’Union européenne et l’Albanie en vue de l’adhésion de cette dernière à l’Union.
32. Le rôle constructif joué par l'Albanie dans le domaine de la politique étrangère s'agissant de ses relations avec les États voisins et de la coopération dans l'ensemble de la région avait été salué dans de précédents rapports. Ces efforts se sont poursuivis au cours de la période examinée.

3. Institutions démocratiques

3.1. Réforme électorale

33. Dans ses rapports, l'Assemblée n'a cessé de souligner le lien étroit qui existe entre la réforme électorale et la crise politique systémique en Albanie. Elle considère qu'une réforme électorale fondée sur un large consensus entre toutes les parties prenantes et suivie d'élections serait essentielle pour résoudre la crise politique systémique en Albanie. Des progrès considérables et tangibles ont heureusement été accomplis à cet égard dans la période qui a précédé les élections législatives de 2021, ce qui a en grande partie résolu la crise politique et constitutionnelle en cours, sans toutefois faire évoluer le climat politique, toujours extrêmement polarisé.
34. Ces progrès sont à saluer, mais on relève aussi que les élections en Albanie sont fréquemment suivies d’appels à un changement du système électoral dans le cadre de ce que des rapports de mission d’observation qualifient de tendance, par les forces politiques albanaises, à jouer avec les règles autant qu’à les respecter. La Commission de Venise a rendu des avis successifs sur les dispositions juridiques régissant les élections en Albanie selon lesquels le cadre en vigueur lors des différents scrutins, bien qu’il puisse être amélioré, convenait en principe à la tenue d’élections démocratiques pour peu qu’il soit mis en œuvre dans sa totalité et de bonne foi. Il faut insister sur le fait que les modifications à répétition du système électoral sont peu propices à l’instauration d’un cadre électoral stable, condition essentielle de la tenue d’élections véritablement démocratiques. Le Code électoral doit effectivement être renforcé et modifié pour donner suite aux recommandations de la Commission de Venise et du BIDDH de l'OSCE, mais nous demandons instamment aux forces politiques de ne pas recourir à d'incessantes modifications de la législation électorale dans le but d'altérer l'équilibre des pouvoirs ou d'empêcher l'interaction politique normale au sein du parlement.
35. Le 14 janvier 2020, la majorité au pouvoir, l’opposition parlementaire et l’opposition extraparlementaire ont décidé de créer un Conseil politique pour la réforme électorale, composé des coprésidents de la commission parlementaire ad hoc sur la réforme électorale et d’un représentant des deux partis de l’opposition extraparlementaire. Pour sa part, la majorité au pouvoir s’est engagée à adopter toute proposition consensuelle élaborée par le Conseil politique. La réforme électorale a ainsi pu être débattue dans le cadre d’un processus inclusif auquel ont participé tous les acteurs politiques concernés.
36. Le Conseil politique est parvenu, le 5 juin 2020, à un accord sur la réforme électorale qui prévoit le remplacement de la Commission électorale centrale par une structure tripartite composée d’un commissaire aux élections nationales, responsable des aspects logistiques de l’organisation des scrutins, accompagné d’un commissaire-adjoint, désigné par l’opposition; d’une commission de réglementation (5 membres), chargée d’examiner et d’adopter tous les actes normatifs et juridiques de l’administration électorale; et d’une commission des réclamations et sanctions (cinq membres), qui instruit les réclamations administratives concernant l’administration électorale. Le Conseil politique a aussi notamment décidé que toutes les commissions électorales aux échelons inférieurs seraient dépolitisées juste après les élections locales de 2023 
			(20) 
			Par la mise en place
de commissions électorales totalement professionnelles et ne comportant
aucun représentant des partis., que le vote à l’étranger serait mis en place et que le Collège électoral, qui statue sur les réclamations en matière électorale, sera composé de juges retenus à l’issue du processus de contrôle de l’intégrité des magistrats (voir ci-après). Cependant, aucun accord n’a pu intervenir au sein du Conseil politique au sujet d’une modification du système électoral lui-même, que demandait l’opposition parlementaire, ni sur la mise en place d’un gouvernement chargé des affaires courantes avant chaque élection législative, que réclamait l’opposition extraparlementaire. Il a été jugé que la recommandation émise par la communauté internationale concernant la création d’une administration électorale impartiale et professionnelle ne pouvait être mise en œuvre faute de confiance en l’impartialité de la fonction publique albanaise qui est, aux yeux de nombreuses parties prenantes, extrêmement politisée. Les modifications de la législation électorale découlant de l’accord du 5 juin du Conseil Politique ont été adoptées par le Parlement albanais le 23 juillet 2020.
37. En outre, à l’initiative de 28 députés pour la plupart issus de l’opposition parlementaire, le parlement a adopté le 30 juillet 2020 une série de modifications de la Constitution instaurant un système proportionnel à listes ouvertes à l’échelon régional et supprimant le lien constitutionnel entre circonscriptions régionales et régions administratives, le découpage des circonscriptions électorales relevant désormais du niveau inférieur de la législation électorale. La question du seuil électoral, auparavant du domaine constitutionnel, a elle aussi été transférée à la loi électorale. Enfin, les coalitions électorales ont été interdites 
			(21) 
			Elles ont été remplacées
par des listes communes de candidats. . Ces modifications ont été critiquées par l’opposition extraparlementaire qui a fait valoir qu’elles ne figuraient pas dans l’accord du Conseil politique – certaines ayant même été explicitement rejetées dans le cadre de ce processus. Le désaccord n’a toutefois pas mis un terme à la coopération en vue de la mise en œuvre de la réforme électorale.
38. La loi sur la mise en œuvre des modifications de la Constitution a été adoptée par le parlement le 5 octobre 2020. Le seuil électoral a été fixé à 1 % et les conséquences du vote préférentiel sur le classement d’une liste ont été précisées 
			(22) 
			Les votes préférentiels
ne pourront modifier le classement de la liste que si le candidat
ou la candidate figurant parmi les non-élus de la liste obtient
plus de votes préférentiels que le nombre moyen de votes reçus pour
chacun des sièges remportés par le parti. Pour que la représentation
des femmes et des hommes sur les listes reste équilibrée, une personne
obtenant un mandat grâce aux votes préférentiels pourra uniquement
remplacer une personne du même sexe.. En ce qui concerne le découpage des circonscriptions électorales, il a été convenu que les anciennes circonscriptions (liées aux districts administratifs) seraient maintenues pour les élections de 2021. La délimitation des circonscriptions électorales pour les futures élections est une question sensible qui peut facilement susciter une controverse et des contestations politiques. Nous appelons toutes les forces politiques à faire en sorte que le découpage des circonscriptions électorales s’effectue dans le cadre d’un processus inclusif pleinement conforme aux normes internationales.
39. Le 23 octobre 2020, le chef de l’État a mis son veto aux modifications du Code électoral du 5 octobre 2020 au motif qu’elles avaient été adoptées unilatéralement, sans recueillir un large consensus. Il a également dit craindre que ces modifications ne placent certaines parties prenantes dans une «situation défavorable et discriminatoire». Le 27 octobre 2020, sans attendre l’avis de la Commission de Venise, le parlement a passé outre le veto présidentiel. Dans son avis 
			(23) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)036-f'>CDL-AD(2020)036</a> – Avis conjoint de la Commission de Venise et de l’OSCE/BIDDH
sur les amendements à la Constitution du 30 juillet 2020 et au Code
électoral du 5 octobre 2020, adopté par la Commission de Venise
à sa 125e session plénière (11-12 décembre 2020). élaboré conjointement avec le BIDDH de l’OSCE, la Commission de Venise regrettait que l’adoption des modifications de la Constitution et des modifications du Code électoral soit intervenue dans la hâte. Elle n’a toutefois pas considéré que les modifications du système électoral étaient d’une importance telle qu’elles porteraient atteinte au principe de stabilité du droit électoral.
40. Compte tenu de l’importance de la diaspora albanaise (environ 57 % des Albanais vivent hors du territoire national 
			(24) 
			Les estimations varient
selon les sources, mais la plupart se situent dans une fourchette
de 55 à 60 %. La population de l’Albanie s’élevant à 2,9 millions
de personnes environ, cela signifie que la diaspora compte quelque
4,4 millions de personnes.), le vote à l’étranger, qui peut modifier l’équilibre politique dans le pays, est une question aussi importante que sensible. Les partis politiques sont convenus, dans le cadre de l’accord du 5 juin 2020, de l’instaurer pour les élections législatives. Face à l’ampleur de la tâche, cependant, la CEC a annoncé qu’elle ne disposait pas du temps suffisant pour procéder aux préparatifs nécessaires pour le scrutin législatif de 2021. Le 22 décembre 2022, la Cour constitutionnelle a jugé que le parlement avait l’obligation d’adopter les dispositions législatives permettant la mise en place du vote à l’étranger lors des prochaines élections législatives.
41. Par ailleurs, en dépit des améliorations constatées par la MIOE, un certain nombre de préoccupations subsistent quant à la conduite des élections, notamment en ce qui concerne le financement des partis et des campagnes et l'utilisation abusive de ressources administratives. Les autorités albanaises et les parties prenantes aux élections se sont engagées à apporter des réponses à ces préoccupations conformément aux normes internationales et suffisamment longtemps avant la tenue des prochaines élections. Dans la continuité des pratiques précédentes, l'opposition et la majorité au pouvoir ont mis en place une commission ad hoc sur les réformes électorales, coprésidée par un représentant de chaque bord, en vue d'adopter les modifications de la législation électorale permettant de répondre à ces préoccupations et de mettre en œuvre le vote à l'étranger. La commission n'avait toutefois pas encore commencé ses travaux au moment de la rédaction du présent rapport – cela est en partie dû aux vicissitudes que connaît actuellement l'opposition.
42. Pour compléter les modifications évoquées ci-dessus, les acteurs électoraux vont devoir se mettre d’accord sur la délimitation des nouvelles circonscriptions électorales. Le découpage devrait être effectué dans un processus inclusif et consensuel associant tous les protagonistes électoraux, à partir de critères clairs, objectifs et conformes aux normes et principes internationaux. Tout manquement à cet égard ouvrira la porte à des soupçons de manipulation électorale et sera source de nouvelles tensions et controverses politiques.
43. Tout en soulignant l’importance des réformes électorales décrites, nous souhaitons redire combien la stabilité de la loi électorale est un élément essentiel pour que les parties prenantes, et la population en général, aient confiance dans le processus électoral et les résultats des élections. La législation et le système électoral en place se sont avérés parfaitement adéquats pour la tenue d’élections démocratiques – à condition d’être mis en œuvre de bonne foi, selon la lettre et l’esprit des textes, par toutes les parties prenantes. Il ne faut pas revenir à une situation où les principales forces politiques se livrent à des réformes successives dans le but principal de tirer leur épingle du jeu lors des scrutins suivants. De plus, la situation dans laquelle les négociations sur le système électoral et sa mise en œuvre ont remplacé le jeu parlementaire normal entre la majorité au pouvoir et l'opposition constitue, à notre sens, une faiblesse majeure de la vie politique albanaise et une source de polarisation, de sorte qu'il convient de ne pas la reproduire.

3.2. Fonctionnement du parlement

44. Comme nous l’avons déjà souligné, la polarisation extrême de l’environnement politique, accentuée par la fragmentation de l’opposition, a restreint la capacité du parlement d’exercer un véritable contrôle parlementaire de l’exécutif. Bien souvent l’opposition et la majorité ne travaillent pas ensemble de manière constructive et la majorité parlementaire donne à la majorité au pouvoir la possibilité de gouverner sans avoir besoin de consulter l’opposition et de dialoguer avec elle. Le désir de remporter une élection ou un combat politique semble, dans bien des cas, être plus important que la nécessité d’élaborer des lois et des politiques de qualité qui soient acceptées par le plus grand nombre.
45. Malheureusement, même pour les questions où une majorité qualifiée est nécessaire, aucune coopération ni aucun compromis ne semblent possibles entre l'opposition et la majorité au pouvoir, si bien que les nominations ne se font pas ou alors uniquement à la majorité simple, en utilisant les mécanismes antiblocages prévus par la législation. Le parlement n'a pas été en mesure de nommer un nouveau médiateur ou un nouveau commissaire à la protection contre la discrimination après l’expiration du mandat des personnes en poste. Bien que cela ne pose pas de problème juridique, puisque la loi prévoit que le médiateur et le commissaire en exercice peuvent continuer à exercer leurs fonctions tant que personne d'autre n'a été désigné, les deux titulaires nous ont informés que cela nuisait à la légitimité, et donc à l'efficacité, de leurs déclarations et de leurs actions. Comme nous l'avons déjà expliqué, aucun candidat n'a été proposé aux trois premiers tours de l'élection à la présidence de la République d'Albanie par le parlement, qui requièrent une majorité qualifiée des trois cinquièmes. Ce n'est qu'au quatrième tour, où une majorité simple est suffisante, que la majorité au pouvoir a présenté un candidat, lequel a été élu avec les seules voix de cette majorité, ce qui porte atteinte à l'esprit d'une élection consensuelle du président, tel que prévu par la Constitution.
46. Pour remédier à cette vulnérabilité affectant le fonctionnement du système d'équilibre des pouvoirs, il faudra avant tout, mais pas seulement, que l’opposition et la majorité au pouvoir modifient leur comportement et leurs attitudes. La plupart des personnes rencontrées estiment que les règles de procédure sont globalement adaptées pour garantir le contrôle parlementaire et un système opérationnel de freins et contrepoids, à condition qu'elles soient mises en œuvre de bonne foi. Nous demandons donc instamment à l'opposition et à la majorité au pouvoir de dépasser leurs relations conflictuelles et de respecter le rôle et la place qui reviennent à chacun dans la gouvernance du pays.

3.3. Réforme administrative et territoriale et collectivités locales

47. Comme souligné dans le précédent rapport, la mise en œuvre d’une réforme administrative et territoriale visant à renforcer les collectivités locales était une priorité dans le pays. Une nouvelle carte administrative territoriale découpant le pays en 61 municipalités (contre 374 auparavant) et 12 régions a été adoptée en 2015. Ayant reçu un large soutien transpartisan en Albanie, le principe de la fusion des municipalités et des régions a été accueilli très favorablement par les partenaires internationaux du pays, y compris le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, car il permet la création d’institutions fortes dans les collectivités locales. Un certain nombre de parties prenantes ont toutefois eu le sentiment que le processus de réforme en lui-même ne s’était pas déroulé de manière inclusive et que le redécoupage avait été effectué de façon partisane pratiquement sans tenir compte des particularités des zones où vivent des minorités 
			(25) 
			Ce point de vue apparaît
aussi dans le cinquième Avis du Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités. Pour leur part, les autorités
ont souligné, dans leurs commentaires, que la carte administrative territoriale
comprenait également quelques petites municipalités spécialement
créées pour protéger les droits des minorités dans ces zones. . La Cour constitutionnelle a rejeté le recours déposé par le Parti démocrate contre le projet de redécoupage administratif. Les autorités ont indiqué qu'elles avaient l'intention de procéder à une évaluation complète de la réforme administrative et territoriale, en coopération avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, en vue de combler les lacunes apparues à la suite de la mise en œuvre de cette réforme. Il convient de s'en féliciter.
48. Le nombre exact de municipalités ainsi que la délimitation de celles-ci restent des points de controverse entre l’opposition et la majorité au pouvoir. L’opposition a indiqué qu’elle souhaiterait que le nombre de municipalités passe à 90, une idée que rejette la majorité. Le maire de Tirana, avec qui nous nous sommes entretenus, nous a déclaré qu’il serait favorable à une nouvelle réduction du nombre de municipalités, ce qui, selon lui, permettrait une plus grande efficacité des collectivités locales. Quelle que soit l’issue de ce débat, nous aimerions insister sur la nécessité de parvenir à un large consensus au sein de toutes les forces politiques au sujet de la carte administrative territoriale de l’Albanie, tout en respectant la logique dans laquelle s’inscrit la réforme, à savoir la création de structures d’autonomie locale fortes, efficaces et proches des citoyens albanais.
49. Comme nous l’expliquerons en détail plus loin, la réforme administrative et territoriale a eu des conséquences directes sur l’exercice des droits des minorités en Albanie. Du fait de la fusion des collectivités locales, plusieurs municipalités où les minorités formaient la majorité de la population ont cessé d’exister et les minorités concernées ne représentent maintenant qu’une petite partie de la population de la nouvelle municipalité. Cela est notamment le cas à Himarë et Sarandë. Cette situation pose un problème spécifique, car un certain nombre de droits fondamentaux des minorités – comme le droit à l’éducation dans la langue minoritaire ou le droit d’utiliser la langue minoritaire dans l’administration locale – ne sont garantis juridiquement que si une minorité donnée représente plus de 20 % de la population d’une municipalité. Comme le relève le dernier rapport du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, il est certes important de disposer de collectivités locales efficientes, mais cela ne devrait pas se faire au détriment de minorités qui se retrouvent privées de l’exercice de leurs droits en raison de l’importance du reste de la population. Le Comité consultatif a par conséquent appelé de nouveau les autorités albanaises à examiner, en consultation avec les représentants des minorités nationales, l’incidence de la réforme administrative et territoriale sur les droits des minorités, et à remédier aux lacunes qui seront constatées 
			(26) 
			Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales,
cinquième Avis sur l’Albanie (adopté le 6 juin 2023), paragraphes 29
et 202-206..
50. Les autorités locales au niveau des municipalités sont les maires élus au suffrage direct et les conseils municipaux. Le nombre de membres du conseil municipal est fonction de la taille de la municipalité. Les maires sont élus au scrutin majoritaire à un tour pour un mandat de quatre ans. Ils sont à la tête de l'exécutif de la municipalité et peuvent être assistés par un ou plusieurs adjoints qu'ils nomment directement. Les conseils municipaux sont élus pour le même mandat de quatre ans sur la base d'un système proportionnel à liste bloquée. Le président et le vice-président du conseil municipal sont élus par les membres de celui-ci à sa première réunion. Du fait de leurs fonctions, les maires disposent de pouvoirs importants qui, dans les petites municipalités, peuvent être supérieurs à ceux du conseil municipal, lequel doit assurer le contrôle démocratique de l'exécutif au niveau local. Au niveau central, le conseil des ministres est en charge de la décentralisation et des collectivités locales. Les autorités centrales sont représentées au niveau local et régional par des préfets nommés par le conseil des ministres dans chacune des 12 régions administratives de l'Albanie.
51. La réforme administrative et territoriale a accru le nombre de services que les municipalités peuvent et doivent fournir dans le cadre de leurs compétences propres et a renforcé l'autonomie financière des collectivités locales, qui peuvent en particulier lever leurs propres impôts et percevoir des redevances pour les services qu'elles fournissent. Les réformes ont également augmenté la part des pouvoirs délégués aux municipalités, qui sont financés par des transferts budgétaires du gouvernement central. Celui-ci continue de superviser et de coordonner ces pouvoirs délégués. Les autorités locales demeurent dans une large mesure tributaires des financements du gouvernement central. Selon les informations disponibles, plus de 70 % des autorités locales reçoivent plus de 50 % de leur budget du gouvernement central, ce qui limite leur autonomie.
52. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe veille à l’application de la Charte européenne de l’autonomie locale en Albanie (STE no 122). Son dernier rapport a été adopté le 22 septembre 2021. Tout en saluant les réformes accomplies, le Congrès a observé que le transfert de compétences du gouvernement central vers les autorités locales n'avait pas encore abouti à une répartition suffisamment claire des fonctions et des responsabilités, tandis que les pouvoirs délégués restaient placés sous la supervision et le contrôle trop étroit des autorités centrales. Selon le Congrès, en outre, la plupart des collectivités locales, y compris les plus grandes, ne disposaient toujours pas de ressources financières suffisantes pour mener à bien les missions qui sont les leurs, et de fortes disparités existent entre les différentes collectivités. Dans ce contexte, il convient de souligner que l'autonomie financière des municipalités est un élément essentiel – et donc particulièrement sensible – des collectivités locales. Tout en notant que la situation financière des collectivités locales s'était considérablement améliorée avec les réformes, le Congrès a estimé que l'autonomie financière de la plupart des municipalités était trop faible et insuffisante pour leur permettre d'exercer pleinement les compétences qui leur ont été attribuées et de remplir leur mission.
53. Comme cela a été mentionné, la réforme administrative et territoriale a instauré 12 régions composées de municipalités partageant un intérêt géographique, historique et culturel. Cependant, si les réformes de 2015 ont considérablement renforcé l'autonomie au niveau local, il n’en a pas été de même au niveau régional. Les régions n'ont toujours que très peu de compétences ou de marge d'initiative et l'administration régionale reste peu développée. Cela se traduit également dans les conseils régionaux, qui ne sont pas élus au suffrage direct mais composés de maires et de représentants (élus au suffrage indirect) des conseils municipaux de la région. Nous appuyons la recommandation du Congrès visant à ce que les conseils régionaux soient élus au suffrage universel direct. Leur légitimité démocratique s'en trouverait accrue, ce qui permettrait de renforcer la gouvernance régionale. Cependant, les régions ont vu leur champ d'action encore réduit avec la mise en place, par le gouvernement central, en 2020, de quatre régions administratives qui sont chargées du développement économique et des politiques de cohésion au niveau régional. Lors de nos entretiens à Tirana, il est apparu clairement que les autorités considèrent que le nombre actuel de régions est trop important pour permettre une gouvernance régionale efficace, et ne font donc pas du renforcement des 12 régions administratives une priorité.
54. Un Conseil consultatif composé de représentants du gouvernement central et des collectivités locales et régionales a été créé en 2016, ce dont il y a lieu de se féliciter. Ce dispositif est la principale instance de consultation entre le gouvernement et les collectivités locales, notamment sur les projets de textes législatifs ayant des incidences sur les municipalités. Le Conseil consultatif se réunit plusieurs fois par an. Si les réformes ont semble-t-il permis de renforcer le dialogue et la coopération entre le gouvernement central et les collectivités locales, le rapport du Congrès relève que les relations entre le gouvernement central et les municipalités restent marquées par les préoccupations partisanes et les stratégies politiques nationales des principales forces politiques du pays. La survivance de deux organisations de municipalités locales, issues chacune d'une mouvance politique, en est une autre indication.
55. Les actes et décisions des municipalités sont soumis au contrôle des préfets, qui peuvent saisir les tribunaux pour les faire annuler. De même, les municipalités peuvent déposer des recours en justice contre les actes et décisions des préfets. La supervision des collectivités locales étant par nature une question potentiellement sensible, le fait que le Congrès ait conclu que les structures de contrôle sont conformes aux obligations incombant au pays en vertu de la Charte et que les organisations de municipalités n’aient pas signalé d’atteinte aux droits des collectivités locales à cet égard est un point positif.
56. Lors de notre dernière visite, un certain nombre des personnes rencontrées ont soulevé la question de la rotation élevée du personnel municipal, en particulier après des élections. Dans certaines municipalités, le personnel nommé par le pouvoir politique représenterait plus de 50 % des effectifs municipaux, ce qui peut avoir des conséquences sur la continuité et la qualité des services fournis par ces collectivités. Cette situation devrait être corrigée.
57. Sur le sujet du renforcement de l'autonomie locale et régionale, il est impossible de ne pas évoquer brièvement ce qui s'est passé à Himarë dans le cadre des élections locales de 2023. Le candidat de l'opposition au poste de maire, M. Fredi Beleri, issu de la minorité grecque, a été arrêté juste avant le scrutin sous l'accusation d'achats de voix. L'opposition a dénoncé cette arrestation, y voyant une manœuvre de la majorité au pouvoir destinée à influer sur les résultats de l'élection. M. Beleri n’en a pas moins remporté le scrutin, mais n’a pu être investi dans ses fonctions du fait de l’enquête pénale en cours sur les allégations d’achats de voix. Tant que M. Beleri n’a pas prêté serment, le maire sortant, défait lors du scrutin, reste à la tête de la mairie.
58. Bien que l'affaire semble être principalement de nature politique, selon un certain nombre d'interlocuteurs liés au développement des importantes ressources touristiques de la municipalité 
			(27) 
			Dans son cinquième
Avis sur l’Albanie, le Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales a dit craindre que le
développement touristique sans limite, en particulier dans les zones
littorales où vivent un grand nombre de personnes appartenant à
la minorité grecque, ait des répercussions négatives sur les droits
de propriété des minorités nationales dans les zones où elles sont
traditionnellement implantées (par. 82-86)., la question des relations avec les minorités n'a pas tardé à être soulevée. La minorité grecque a en effet estimé que le fait que M. Beleri ne soit pas autorisé à prêter serment en tant que nouveau maire d'Himarë la privait illégalement de son droit électoral 
			(28) 
			Le dossier de M. Beliri
est entre les mains du Procureur spécial chargé de la lutte contre
la corruption (SPAK), qui a engagé des poursuites pénales contre
lui. Nous avons été informés, après notre retour d’Albanie en septembre 2023,
que la SPAK avait également ouvert une enquête pénale contre le
maire actuellement en poste.. Cette affaire a pris une dimension internationale lorsque le Gouvernement grec a émis une protestation officielle contre les violations injustifiées, selon lui, du droit à la représentation de la minorité grecque. Il fait valoir que si M. Beliri avait été investi, il aurait été remplacé dans ses fonctions par l'un des adjoints qu'il aurait nommés pendant la procédure judiciaire, et non par le maire précédent, issu d'un autre parti, qui continue d'exercer ses fonctions à titre intérimaire.
59. Nous ne souhaitons – et ne saurions – émettre des commentaires sur les charges pénales retenues contre M. Beliri. Cependant, il est important à notre avis de bien différencier, d'une part, les accusations pénales portées contre lui et, d'autre part, son droit démocratique d'être élu. En l’état de notre connaissance de la législation albanaise 
			(29) 
			Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, CG(2021)41-14final
para. 60: «La nullité du mandat de maire est déclarée lorsque les
conditions de l'article 45 de la Constitution et des dispositions
pertinentes du Code électoral de la République d'Albanie ne sont
pas remplies. Le mandat de maire commence dès que le maire prête serment
et prend fin lorsque le maire successeur est assermenté. Si le conseil
municipal ne se réunit pas dans les 30 jours à compter de la date
de l'annonce des résultats des élections par la commission électorale
centrale, le préfet organise dans les locaux de la commune la cérémonie
de serment du maire en présence des habitants de la collectivité. Le
mandat de maire prend fin si celui-ci refuse de prêter serment ;
démissionne ; n’est plus résident permanent de la commune dans laquelle
il a été élu ; est révoqué par le Conseil des ministres en vertu
de l'article 62 de la loi 139/2015 (s’ils ont commis de graves violations
de la Constitution ou des lois ; s’ils sont reconnus coupables d'une
infraction pénale par une décision judiciaire définitive ; si le
conseil municipal propose de les révoquer pour absence de service
fait pour une période continue de 3 mois.) ; est candidat pour devenir
membre du Parlement ; est déclaré inéligible par décision judiciaire
définitive ; décède. En cas de résiliation prématurée du mandat
de maire, des élections partielles pour un nouveau maire sont organisées,
conformément aux dispositions du Code électoral de la République
d'Albanie et les fonctions de maire sont exercées par le maire adjoint
en attendant l'élection d'un nouveau maire.», le mandat d'un maire prend fin si la personne qui occupe cette fonction est reconnue coupable, dans un jugement définitif, d'une infraction pénale. Jusqu'à la condamnation définitive par un tribunal 
			(30) 
			Le 5 mars 2024, le
tribunal spécialisé dans la lutte contre la corruption et la criminalité
organisée de Tirana a condamné M. Beliri à deux ans de prison pour
achat de voix. M. Beliri a fait appel de cette condamnation., le principe de la présomption d'innocence doit être respecté. Il est essentiel que cette situation ne dégénère pas. Nous appelons donc de nouveau toutes les parties prenantes concernées à respecter pleinement les principes de l'État de droit et des droits de la défense dans le traitement de cette affaire.

4. Prééminence du droit

60. La réforme du système judiciaire, qui vise à assurer son indépendance et son efficacité, notamment en luttant contre la corruption systémique et généralisée qui règne en son sein, est une priorité fixée depuis longtemps par l'Assemblée dans le cadre de la procédure de suivi relative à l'Albanie. Des progrès considérables ont été accomplis à cet égard pendant la période de référence et des résultats concrets ont été observés.
61. En juin 2015, la commission parlementaire ad hoc sur la réforme de la justice et le groupe d'experts de haut niveau ont réalisé une «Analyse du système judiciaire en Albanie – 2015». Sur la base de cette analyse, les autorités, en consultation avec les parties prenantes concernées et les différentes forces politiques, ont formulé une proposition de réforme judiciaire globale pour le pays visant à assurer l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire et à améliorer l'efficacité des procédures judiciaires et de l'administration de la justice.
62. Le 21 juillet 2016, après 18 mois de négociations et de consultations intenses avec la communauté internationale, le parlement a adopté à l’unanimité des dispositions législatives ouvrant la voie à la réforme tant attendue du système judiciaire. Le programme de réformes prévoit la modification de 46 articles de la Constitution (soit près d’un tiers de ses articles) 
			(31) 
			La Commission de Venise
a contribué à la préparation du programme de réformes en rédigeant
deux avis et a été consultée pour l'élaboration du concept de la
réforme.. Après l'adoption des modifications constitutionnelles, des travaux ont débuté afin de préparer les textes d'application, soit environ 40 textes au total. Malheureusement, la collaboration entre l'opposition et la majorité au pouvoir a très vite volé en éclats. Malgré cela, les textes de loi les plus importants – 7 au total 
			(32) 
			Loi
sur les instances dirigeantes du système judiciaire, loi sur l’évaluation
des juges et procureurs, loi sur la Cour constitutionnelle, loi
sur l'organisation du système judiciaire, loi sur l'organisation
du Bureau du procureur, loi sur le statut des juges et procureurs,
loi sur l'organisation et le fonctionnement des organes chargés
de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. – ont été adoptés par le parlement avec la participation de l'opposition.
63. Le programme de réformes adopté visait à régler un large éventail de problèmes touchant le système judiciaire, et notamment à éradiquer la corruption généralisée, à empêcher toute ingérence politique dans le travail des juges et des procureurs et à éliminer tout lien avec la criminalité organisée. En outre, les modifications constitutionnelles prévoyaient, entre autres, la réorganisation complète de la Cour suprême, de la Cour constitutionnelle et de plusieurs autres institutions judiciaires et établissaient de nouveaux mécanismes de nomination aux hautes fonctions judiciaires. Un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et un Conseil supérieur du parquet (CSP) ont été créés, ainsi qu’un poste de procureur spécialisé et un tribunal spécialisé dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée (voir partie suivante).
64. Le CSM est composé de six juges élus par leurs pairs et de cinq membres non professionnels. Les cinq membres non professionnels sont élus à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. Le CSP est organisé sur le même modèle et désigné selon les mêmes règles. Si le CSM et le CSP sont responsables de la procédure de nomination des procureurs et des juges, y compris en ce qui concerne la Cour suprême 
			(33) 
			Les membres
de la Cour constitutionnelle sont nommés selon une formule complexe,
pour un tiers par le Président de la République, pour un tiers par
le parlement et pour un tiers par la Cour suprême et le Tribunal
administratif supérieur. , les procédures disciplinaires contre les juges et les procureurs relèvent de la responsabilité d'un organe nouvellement créé, le haut inspecteur de la justice qui, à l'instar du procureur général, est élu par le parlement à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. La mise en place de ces institutions et de la procédure de nomination a contribué à la dépolitisation du pouvoir judiciaire, ce qui mérite d'être salué. Cependant, bien que croissante, la confiance dans l'indépendance (politique) du pouvoir judiciaire reste relativement faible et ne doit pas être tenue pour acquise. 
			(34) 
			Voir également  European
Neighbourhood Policy and Enlargement Negotiations 2023 Screening
Report Albania, p. 48 (en anglais). Une vigilance constante est requise à cet égard et, si cela s'avère nécessaire, les dispositions légales doivent être renforcées et les vulnérabilités corrigées. C'est d'autant plus important que la majorité des trois cinquièmes n'est pas une garantie à toute épreuve contre la politisation, dans la mesure où ces derniers temps, les majorités au pouvoir disposaient de mandats suffisants pour obtenir de telles majorités au parlement sans les voix de l'opposition.

4.1. Contrôle de l'intégrité des magistrats

65. L'un des volets les plus importants de la réforme judiciaire a été la mise en place d'une procédure de réévaluation (ou procédure de contrôle de l'intégrité) de l'ensemble des juges et des procureurs d'Albanie, y compris du procureur général, des juges de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême, ainsi que des membres des institutions récemment créées pour lutter contre la corruption et la criminalité organisée. La loi sur la réévaluation a été contestée auprès de la Cour constitutionnelle par le Parti démocrate. Cependant, le 22 décembre 2016, la Cour constitutionnelle a déclaré que la loi était conforme à la Constitution albanaise. Il convient de souligner que, nonobstant le recours formé par le Parti démocrate devant la Cour constitutionnelle, la procédure de contrôle de l'intégrité des magistrats a pu compter sur un solide soutien bipartisan, qui a été déterminant dans son succès, et tel est encore le cas.
66. Le contrôle des juges et des procureurs est effectué par la Commission indépendante de vérification des qualifications, qui se compose de 12 membres nommés par le parlement sur la base des recommandations de l'Opération internationale de surveillance, dirigée par la Commission européenne en étroite coopération avec les États-Unis. Outre la Commission indépendante de vérification des qualifications, il existe également une Chambre spécialisée de vérification des qualifications composée de sept juges nommés de la même manière que ceux de la commission. Cette chambre peut être saisie pour contester les décisions de la commission. Deux commissaires publics représentent les citoyens dans ces procédures et peuvent faire appel des décisions de la commission devant la chambre. L'Opération internationale de surveillance vérifie les procédures au sein de la commission et peut recommander aux commissaires publics de faire appel de ses décisions. La Commission indépendante de vérification des qualifications est composée de quatre groupes de trois membres. Tous les juges et procureurs sont évalués en fonction de trois critères: la justification du patrimoine, le contrôle des antécédents et la compétence juridique. Si les résultats du contrôle du patrimoine d’un candidat ne sont pas satisfaisants, ses antécédents et sa compétence juridique ne sont pas évalués. De même, un candidat qui échoue au contrôle des antécédents ne sera pas évalué pour sa compétence juridique.
67. La procédure de contrôle a commencé le 26 octobre 2017 par les neuf «cas prioritaires», soit les sept membres de la Cour constitutionnelle, le président de la Cour suprême et le procureur général. Par la suite, le 30 novembre 2017, il a été procédé à la répartition entre les chambres de la Commission indépendante de vérification des qualifications des 48 dossiers qui constituent la deuxième liste prioritaire, composée des quatre autres membres de la Cour suprême, ainsi que des procureurs et des juges qui sont candidats au Conseil supérieur de la magistrature, au Conseil supérieur des procureurs et au Conseil des nominations à la justice.
68. Au total, 805 postes de juge et de procureur seront soumis à la procédure de contrôle. Selon les données fournies par la Commission indépendante de vérification des qualifications, au 30 septembre 2023, cette dernière avait contrôlé 694 postes, ce qui avait conduit à la confirmation de 303 juges ou procureurs dans leurs fonctions, à la révocation de 238 d'entre eux et à l'interruption de la procédure en raison de la démission de juges ou procureurs ou du retrait de candidats dans 153 cas 
			(35) 
			Nous
avons été informés qu'un nombre considérable de candidats se sont
retirés de la procédure de contrôle lorsqu'il est clairement apparu
qu'ils ne seraient pas confirmés, de même que de nombreux juges
et procureurs ont purement et simplement démissionné pour éviter
la procédure.. Il convient de noter que dans 80 % des cas, soit une grande majorité, les candidats se sont retirés parce qu'ils ne pouvaient pas justifier leur patrimoine.
69. Lorsque la procédure de contrôle de l’intégrité a été mise en place, elle était limitée dans le temps sur l'avis de la Commission de Venise, qui considérait qu'une procédure de durée indéterminée serait contraire aux normes internationales. Les dispositions constitutionnelles établissant la procédure de contrôle prévoyaient donc un mandat de cinq ans pour la Commission indépendante de vérification des qualifications et les commissaires publics, qui devait expirer le 17 juin 2022, et un mandat de neuf ans pour la Chambre spécialisée de vérification des qualifications, qui devait prendre fin le 17 juin 2026. Cependant, au vu du nombre considérable de dossiers à traiter et de leur complexité, il est rapidement apparu que ces délais seraient trop serrés, ce sur quoi, nous, en tant que corapporteurs, avons plusieurs fois attiré l’attention. Le retard déjà pris a été exacerbé par l'impact de la pandémie de covid-19 et, en juillet 2021, il est clairement apparu qu'à l'issue de son mandat initial, la Commission indépendante de vérification des qualifications n’aurait traité que 500 dossiers environ, et en laisserait quelque 300 en suspens. Selon la Constitution, ces dossiers devaient ensuite être parachevés par le CSM et le CSP, et les recours traités par la Cour constitutionnelle. Toutefois, au vu du nombre estimé de dossiers en suspens, il aurait fallu, de fait, engager des procédures de contrôle différentes, ce qui aurait constitué une inégalité de traitement pour de nombreux juges et procureurs, aurait été contraire aux normes internationales, et aurait nui à la légitimité de la procédure de contrôle en tant que telle.
70. Afin de remédier à ce problème, après un avis positif 
			(36) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2021)053-f'>CDL-AD(2021)053</a>. La Commission de Venise a considéré que la prorogation
du mandat était due à des circonstances exceptionnelles et qu'elle
était donc justifiée et conforme aux normes internationales, dans
la mesure, en particulier, où une décision contraire aurait entraîné
une inégalité de traitement entre les magistrats contrôlés. de la Commission de Venise, le Parlement albanais a adopté, le 10 février 2022, les modifications constitutionnelles autorisant la prorogation jusqu’au 31 décembre 2024 du mandat de la Commission indépendante de vérification des qualifications et des commissaires publics. Lors de nos réunions avec la Commission indépendante de vérification des qualifications, nous avons été informés que la prorogation de son mandat était suffisante pour permettre aux organes d'évaluation de vérifier les postes restants, qui concernaient essentiellement des postes de niveau inférieur qui prendraient moins de temps à examiner que les postes de niveau élevé contrôlés au début de la procédure. La prorogation du mandat des organes de contrôle a sauvegardé ce processus important et il convient de s'en féliciter.
71. Les résultats de la procédure de vérification de l'intégrité des magistrats ont été véritablement impressionnants. Plus de 62 % des personnes contrôlées ont été démises de leurs fonctions – essentiellement parce qu’elles n’ont pas été en mesure de justifier leur patrimoine – ou ont démissionné. Afin de bien saisir quel a été l'impact de la procédure de contrôle, il convient de noter que parmi ces personnes figuraient le procureur général d'Albanie, ainsi que 8 juges de la Cour constitutionnelle sur 9 et 15 juges de la Cour suprême sur 18. Le nombre très important de révocations et de démissions montre l'importance et la nécessité d’une telle procédure, mais, dans le même temps, il a eu un impact considérable sur le fonctionnement du système judiciaire, plusieurs organes judiciaires essentiels n'ayant plus eu le quorum requis pour fonctionner pendant une durée prolongée. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2020 que la Cour constitutionnelle a atteint le quorum de six juges requis pour siéger en plénière. De même, la Cour suprême n’est devenue opérationnelle qu’en juillet 2021, lorsque six nouveaux juges ont été nommés. Leur nomination a porté le nombre des membres de la Cour suprême à 9 sur 19 et lui a permis d’atteindre le quorum nécessaire pour pouvoir fonctionner. La procédure de contrôle de l'intégrité des magistrats a également retardé la nomination de personnes aux nouveaux organes établis par les réformes, notamment à la SPAK. Les nouveaux CSM et CSP n'ont commencé à fonctionner que le 20 décembre 2018. Le CSP a ensuite envoyé, le 22 novembre 2019, la liste des candidats au poste de procureur général au Parlement albanais, qui a finalement pu nommer un procureur général le 5 décembre 2019 
			(37) 
			Le poste
était temporairement occupé, non sans susciter des polémiques, par
un procureur général ad interim depuis décembre
2017.. Le 18 décembre 2019, le CSM a officiellement institué les deux tribunaux spécialisés dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée et le 19 décembre 2019, les huit premiers procureurs de la SPAK ont prêté serment devant le Président de l'Albanie.

4.2. Nouvelle carte judiciaire

72. La procédure de contrôle de l'intégrité des magistrats a retardé les nominations non seulement à la Cour suprême, mais aussi aux juridictions de première et de deuxième instance, laissant les tribunaux à court de personnel. Cette situation n'a fait qu'aggraver l'arriéré d’affaires déjà excessivement élevé à tous les niveaux du système judiciaire. Au 31 décembre 2022, le volume du stock d'affaires pendantes toutes juridictions confondues s'élevait à 132 769 affaires, ce qui représentait une augmentation de près de 6 % par rapport à décembre 2021. La Cour suprême avait un arriéré de 35 822 affaires. Cependant, après la nomination des nouveaux juges à la Cour suprême, le taux de variation du stock d'affaires pendantes a considérablement augmenté. Nous avons été informés qu'en septembre 2023, l'arriéré judiciaire avait été réduit d'environ 12 000 affaires. En revanche, au niveau des juridictions d'appel, l'arriéré a augmenté de plus de 43 % entre 2019 et 2022, avec une durée moyenne d'attente pour le traitement d'un recours d'environ 900 jours, pouvant aller jusqu'à 5 800 (!) jours pour une affaire pénale devant la Cour d'appel de Tirana 
			(38) 
			European Neighbourhood
Policy and Enlargement Negotiations, Albania Screening Report, pages
37-38.. Cet arriéré et l'évolution très lente du taux de variation du stock d'affaires pendantes sont extrêmement préoccupants, puisqu'ils vont à l'encontre du droit à un procès dans un délai raisonnable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5). Le Parlement albanais examine actuellement un certain nombre d'amendements au Code de procédure civile et à la loi sur les tribunaux administratifs afin de simplifier et d'accélérer les procédures judiciaires. L’adoption de ces amendements, qui requiert une majorité des deux tiers, devrait permettre de réduire considérablement l’arriéré judiciaire.
73. Un certain nombre de réformes ont été engagées par les autorités dans le but d’améliorer la qualité et l’efficacité du système judiciaire. Parmi les principales propositions soumises figurait l'élaboration d'une nouvelle carte judiciaire, l'objectif étant d'avoir moins de tribunaux, mais mieux dotés en ressources, qui puissent traiter plus efficacement le nombre d'affaires dont ils sont saisis. Dans le cadre de cette réforme, les six juridictions d'appel ont été réunies en une Cour d'appel unique. Deux tribunaux administratifs de première instance ont été créés à la place des six précédents. Cette nouvelle carte administrative a été, au départ, quelque peu critiquée. Un nombre considérable d'interlocuteurs craignaient en effet que cette nouvelle carte n'éloigne les citoyens des tribunaux et réduise ainsi leur accès à la justice. Cependant, ces inquiétudes n’ont, pour l’heure, pas été corroborées. En outre, un système d'assistance juridique gratuite a été mis en place pour favoriser l'accès des citoyens à la justice. La situation devra cependant être suivie de près afin de veiller à ce que tous les citoyens jouissent d’un accès effectif au système judiciaire. Dans ce contexte, il convient de se féliciter que le HCJ évalue régulièrement le fonctionnement de la carte judiciaire, qui peut être actualisée par le Conseil des ministres tous les cinq ans sur la base d’une proposition commune du HCJ et du ministre de la Justice.
74. Bien que les réformes aient créé un cadre propice au renforcement de l'indépendance et de l'efficacité du système judiciaire, des inquiétudes subsistent. En effet, les ingérences dans le pouvoir judiciaire, tant extérieures qu’intérieures, n’ont pas encore été entièrement éliminées et des mesures supplémentaires, allant au-delà du système de contrôle de l'intégrité des magistrats, devront être prises. Dans ce contexte, le système d’attribution aléatoire des affaires, récemment renforcé, ne semble toujours pas être totalement à l’abri d’ingérences 
			(39) 
			Nous
avons été informés qu'également en raison du nombre important de
postes vacants dans les juridictions de première et de deuxième
instance, le système peut relativement aisément être contourné. . De plus, le traitement des affaires est encore trop lent, la durée des procédures judiciaires trop longue et les délais d’exécution des décisions judiciaires trop élevés – autant de problèmes qui doivent être réglés de façon prioritaire.

4.3. Lutte contre la corruption et la criminalité organisée

75. La lutte contre la corruption systémique encore très répandue en Albanie et les allégations persistantes d'une imbrication de la criminalité organisée avec les intérêts économiques et politiques du pays restent des sujets de préoccupation importants, auxquels les autorités se sont attaquées en priorité pendant la période examinée au cours de laquelle des progrès notables ont été enregistrés. La résolution de ces problèmes a occupé une place centrale dans la procédure de suivi et représente une condition essentielle de l'adhésion de l'Albanie à l'Union européenne.
76. Comme nous l'avons indiqué plus haut, la procédure de contrôle de l'intégrité des juges et des procureurs, qui visait à lutter contre la corruption persistante au sein du pouvoir judiciaire albanais, a été l'une des principales composantes de la stratégie de lutte contre la corruption et la criminalité organisée dans le pays. Elle constitue, dans une large mesure, le socle sur lequel se construisent et reposent les autres volets de la stratégie.
77. Les modifications constitutionnelles adoptées en 2016 prévoyaient la création de trois nouveaux organes intégrés de lutte contre la corruption et la criminalité organisée. La Structure spécialisée dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée (SPAK) est composée du Bureau des procureurs spécialisés, du Bureau national d’enquête et de deux tribunaux spécialisés dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. La SPAK est chargée d'enquêter et de statuer sur des affaires de corruption et de criminalité organisée de grande envergure. Cependant, le seuil monétaire actuellement fixé pour décider si une affaire relève du mandat de la SPAK, soit environ 500 €, est très bas et risque d'inonder la structure d’affaires, de sorte qu'elle n'aura pas l'efficacité requise pour enquêter sur la grande corruption qui sévit dans le pays. Nous recommandons vivement que ce seuil monétaire soit relevé. Des observations similaires ont été formulées par le chef du Bureau des procureurs spécialisés dans la lutte contre la corruption dans son allocution du 17 octobre 2023 devant le Conseil national de l'intégration européenne, dans laquelle il a souligné que la faiblesse du seuil actuel surchargeait la SPAK. 
			(40) 
			Les autorités nous
ont informés que la modification de ce seuil nécessitait des modifications
du Code pénal et du Code de procédure pénale. Le ministère a entamé
une révision du Code pénal dans le cadre de laquelle il espère donner suite
à cette recommandation après avoir consulté la SPAK et les partenaires
internationaux de l'Albanie. Cette question doit être traitée en
priorité.
78. La SPAK est maintenant pleinement opérationnelle, les 32 derniers enquêteurs spéciaux sur les 60 que compte le Bureau national d'enquête ayant été nommés en 2022. La SPAK a engagé plusieurs procédures pour corruption contre des fonctionnaires, y compris au plus haut niveau du gouvernement, ce qui représente un signal important. Si les résultats de la procédure de contrôle de l'intégrité des magistrats donnent lieu à des soupçons de corruption, le dossier est transmis à la SPAK. Elle a ainsi ouvert plusieurs enquêtes, notamment contre 10 anciens juges de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle. Au vu du nombre élevé de magistrats révoqués pour n'avoir pas été en mesure de justifier leur patrimoine dans la procédure de contrôle, nous nous attendons à ce que le nombre d'enquêtes augmente. Bien que le nombre de condamnations soit encore trop faible, il y a eu une augmentation des résultats tangibles, y compris dans des affaires de haut niveau telles que le «scandale de l'incinérateur», qui a abouti à l'emprisonnement pour corruption d'un ancien ministre de l'Environnement. Il est important que ces résultats tangibles deviennent une tendance irréversible et que les structures de lutte contre la corruption disposent de toutes les ressources dont elles ont besoin, afin de faire bien comprendre à tous les niveaux de la société que les pratiques de corruption ne resteront pas impunies.
79. Au début, la SPAK n’avait pas accès à toutes les bases de données et tous les registres étatiques pertinents, mais nous avons été informés que ce problème a été résolu. En outre, le Bureau des procureurs spécialisés et le Bureau national d’enquête ont tous deux attiré l'attention sur la coopération fructueuse et efficace qu'ils entretenaient avec des institutions analogues en Europe et aux États-Unis et le soutien qu'ils en obtenaient.
80. La Haute inspection pour la déclaration et la vérification du patrimoine et des conflits d'intérêts joue un rôle déterminant dans la lutte contre la corruption. Tous les élus, juges et hauts fonctionnaires doivent déclarer leur patrimoine – ainsi que celui de leur conjoint, de leurs enfants et des personnes avec lesquelles ils cohabitent – à la haute inspection en vue de sa vérification. Dans sa dernière résolution sur l'Albanie, l'Assemblée a exprimé certaines inquiétudes concernant les ressources mises à disposition de la Haute inspection par rapport à l'ampleur de ses tâches, ce qui pourrait nuire à son efficacité. Le nombre très important de retraits de candidats à des postes de juge et de procureur dans le cadre de la procédure de contrôle de l’intégrité en raison de la non-déclaration ou de la non-justification de leur patrimoine montre que ces inquiétudes sont fondées: c'est pourquoi nous encourageons les autorités à évaluer quels enseignements peuvent être tirés de la procédure de contrôle pour le bon fonctionnement de la haute inspection. Parmi les évolutions positives, il convient de noter que le travail de la haute inspection a été renforcé par une loi de protection des lanceurs d'alerte et que le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) a constaté une hausse régulière des ressources financières et humaines allouées à l'institution. Afin d'aider la haute inspection à vérifier le nombre considérable de déclarations de patrimoine qu'elle reçoit chaque année, un système de déclaration électronique a été développé et, après un long retard, a été mis en ligne le 1er janvier 2022. Cette évolution mérite d'être saluée. Tout en reconnaissant les progrès accomplis, il importe que la haute inspection continue à améliorer sa capacité de vérification des déclarations de patrimoine afin de jouer un rôle efficace dans la prévention et la lutte contre la corruption.
81. Bien que le cadre juridique albanais permette la confiscation des produits de la corruption et de la criminalité (organisée), dans la pratique, la confiscation et le recouvrement des avoirs d'origine criminelle sont minimes, même si des progrès ont été accomplis en la matière. En 2021, environ 21,5 millions d'euros ont été saisis et confisqués dans des affaires de corruption, ainsi que l'équivalent de 50 millions d'euros de produits du crime organisé et du blanchiment d'argent. Des avoirs d'une valeur de 21 millions d'euros ont également été saisis – mais non confisqués – sur la base de la loi antimafia. L'Albanie a créé l'Agence pour l'administration des biens saisis et confisqués sous l'égide du ministère de l'Intérieur et prévoit de mettre en place un nouveau mécanisme de recouvrement des avoirs rattaché à la police nationale afin d'accélérer la détection et la géolocalisation des produits des activités criminelles. Il est à espérer que ces efforts permettront d'augmenter considérablement la saisie et la confiscation des biens et des produits issus de la corruption et de la criminalité organisée, ce qui constitue un moyen de dissuasion important pour rendre ces activités moins attractives.
82. Le 25 septembre 2020, le GRECO a rendu public l’addendum au deuxième rapport de conformité sur l’Albanie, dans lequel il a conclu que le pays avait mis en œuvre de façon satisfaisante neuf des dix recommandations formulées dans le rapport d’évaluation du quatrième cycle. Le quatrième cycle d'évaluation est à présent considéré comme achevé.
83. Le 3 mars 2023, le GRECO a publié son rapport de conformité dans le cadre du cinquième cycle d'évaluation (Prévention de la corruption et promotion de l'intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs). Dans ce rapport, le GRECO a conclu que seulement 5 de ses 24 recommandations avaient été traitées de manière satisfaisante. 13 recommandations ont été partiellement mises en œuvre et 6 ne l'ont pas été du tout. Au vu de ce faible niveau de conformité, le GRECO a conclu que «des progrès supplémentaires [étaient] nécessaires pour démontrer un niveau acceptable de conformité aux recommandations» 
			(41) 
			<a href='https://rm.coe.int/cinquieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-et-promotion-/1680aa6126'>GRECORC5(2022)4,</a> paragraphe 116..
84. Selon le GRECO, le cadre institutionnel et juridique garantissant l'intégrité des agents publics et des personnes exerçant de hautes fonctions de l'exécutif a été renforcé. Les noms des conseillers ministériels sont publiés en ligne et ces personnes sont couvertes par la réglementation relative aux cadeaux et à la déontologie. Une Direction générale de la lutte contre la corruption a été créée sous l’égide du Coordinateur national de la lutte contre la corruption (actuellement le ministre de la Justice), qui coopèrera étroitement avec la SPAK et avec la Haute inspection pour la déclaration et la vérification du patrimoine et des conflits d'intérêts.
85. Bien qu'il se soit félicité de l'adoption du Code d'éthique ministériel, le GRECO a émis d'importantes réserves concernant la composition du Comité d'éthique créé pour superviser l'adhésion audit code et sa mise en œuvre. En effet, ce comité est composé de hauts fonctionnaires et de membres du gouvernement lui-même, ce qui nuit à son indépendance. En outre, il n’existe toujours pas de dispositions ni de règles engageant la responsabilité du Premier ministre lui-même à l'égard du Code d'éthique. Avancée dont il convient de se féliciter, des plans d'intégrité ont été élaborés pour tous les ministères avec la participation de l'administration publique elle-même, ainsi que de la société civile. Malheureusement, seulement cinq ministères ont nommé des coordinateurs d'intégrité chargés de veiller à la mise en œuvre et d'assurer le respect des plans d'intégrité par «leurs» ministères. Bien que des règles régissant les contacts avec les lobbyistes aient été adoptées pour assurer la transparence dans les interactions des ministres et des personnes occupant de hautes fonctions exécutives avec eux, elles ne couvrent cependant que les réunions physiques et non les contacts par d'autres moyens tels que le téléphone et les courriers électroniques. De plus, si des restrictions après cessation des fonctions s'appliquent aux ministres et aux personnes occupant de hautes fonctions exécutives, des dérogations sont possibles sur décision du Comité d'éthique qui, comme nous l'avons indiqué, ne peut être considéré comme indépendant. Ces préoccupations exprimées par le GRECO sont importantes et doivent être traitées de toute urgence par les autorités.
86. Outre la procédure de contrôle de l'intégrité des juges et des procureurs, les autorités albanaises ont décidé de mettre également en œuvre une procédure de contrôle de l'intégrité des services répressifs, qui sont largement perçus comme étant enclins à la corruption. En 2018, le Parlement albanais a adopté une loi sur le contrôle transitoire de la police nationale albanaise, en vertu de laquelle tous les policiers, y compris les gardes-frontières, devaient être soumis à un contrôle portant sur la légitimité de leur patrimoine, sur leurs éventuels contacts avec des personnes impliquées dans des activités criminelles et leurs intérêts par rapport à ces personnes, ainsi que sur leurs compétences professionnelles. À la différence de la procédure de contrôle visant le système judiciaire, le contrôle de la police s'effectue sans la participation ou la surveillance d’acteurs internationaux. Dans son rapport d'évaluation, le GRECO a exprimé des doutes quant à la faisabilité et à l'impact de ce processus de contrôle, qui était censé couvrir plus de 12 000 postes. Le GRECO a également émis des réserves concernant l'objectivité de la procédure, étant donné que les différents processus de contrôle s’accompagnent de bien moins de garanties que ceux auxquels sont soumis les magistrats. Compte tenu de la situation, les autorités albanaises ont drastiquement réduit le nombre d'agents des forces de l'ordre soumis au contrôle, qui est désormais limité aux échelons supérieurs. En outre, il est maintenant prévu que ces personnes seront contrôlées tous les cinq ans, ce dont on peut se féliciter. La Commission d'évaluation externe 
			(42) 
			Cette commission était
composée de 5 membres nommés par la Haute inspection pour la déclaration
et la vérification du patrimoine et des conflits d'intérêts, et
de 10 membres nommés par un comité composé de 5 membres représentant
le ministre de l’Intérieur, le médiateur, le commissaire à la protection
contre la discrimination, le Service de renseignements et le commissaire
au droit à l’information et à la protection des données à caractère
personnel. qui effectuait le contrôle a été remplacée par un nouveau Service de surveillance de la police, dont l'intégrité des membres a été vérifiée avant qu'ils ne prennent leurs fonctions.
87. La police albanaise a le droit de recevoir des financements 
			(43) 
			Sous forme de dons
et non sous forme monétaire. de sources privées et peut fournir des services privés, comme assurer la sécurité de grandes manifestations privées. Si les règles en la matière ont été renforcées, le GRECO considère que les garanties contre la corruption, ainsi que l'analyse de l'évaluation des risques de corruption liés à cette possibilité, demeurent insuffisantes. En règle générale, nous sommes réservés sur la possibilité d'autoriser les forces de l'ordre à recevoir des contributions et des financements privés, ce qui est intrinsèquement une porte ouverte à la corruption. Nous avons été informés que la police nationale applique un certain nombre de mesures pour améliorer la transparence des dons qu'elle reçoit et de leurs sources. De plus, afin de donner suite aux recommandations du GRECO, elle procède à l’évaluation de la législation actuelle et des procédures de travail types pour les dons, afin d'éviter les conflits d'intérêt et les possibilités de corruption. Néanmoins, conformément aux recommandations du GRECO, nous recommandons vivement aux autorités de mettre fin à la pratique consistant à financer la police par des sources privées ou à la rémunérer pour les services fournis.
88. En mai 2022, Moneyval a publié son troisième rapport de suivi renforcé sur les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en Albanie. Il a conclu que l'Albanie avait globalement remédié à la plupart des lacunes techniques constatées dans le rapport d'évaluation, mais a décidé, pour le moment, de maintenir le pays sous suivi renforcé. Le 28 octobre 2023, le Groupe d'action financière (GAFI) a décidé de retirer l'Albanie de la liste des pays faisant l'objet d'une surveillance accrue, la «liste grise».

4.4. Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme

89. En 2022, la Cour a examiné 116 requêtes concernant l'Albanie, dont 107 ont été déclarées irrecevables, et a conclu à une violation d'au moins un article de la Convention dans les neuf affaires restantes. Au 1er juillet 2023, 393 affaires dirigées contre l'Albanie étaient pendantes devant la Cour. Les principaux sujets traités par les arrêts de la Cour sont les suivants: les conditions de détention inhumaines, l'absence d’enquêtes sur des allégations de mauvais traitements en prison, l'absence de voies de recours effectives, la non-exécution des décisions des juridictions internes, en particulier des décisions relatives à la restitution de biens, et la durée excessive des procédures.
90. Dans l’affaire Luli et autres c. Albanie, la Cour a indiqué que la durée excessive des procédures démontrait l’existence d’un grave dysfonctionnement du système judiciaire de l'Albanie. Elle a explicitement demandé que des recours internes effectifs soient mis en place contre la durée excessive des procédures judiciaires. Malheureusement, l'exécution de cet arrêt reste placée sous la surveillance soutenue du Comité des Ministres.
91. Plusieurs requêtes ont été introduites devant la Cour concernant la procédure de contrôle de l'intégrité des juges et des procureurs décrite plus haut. Dans l'affaire Xhoxhaj c. Albanie 
			(44) 
			Requête
no 15227/19., qui concernait une juge de la Cour constitutionnelle démise de ses fonctions dans le cadre de la procédure de contrôle de l'intégrité, la Cour a conclu à la non-violation de l'article 6, paragraphe 1, au motif que les organes de contrôle avaient été indépendants et impartiaux et la procédure équitable. Elle a également considéré que la révocation de la requérante avait été proportionnée aux graves fautes déontologiques commises. En revanche, dans l'affaire Thanza c. Albanie 
			(45) 
			Requête
no 41047/19., la Cour a considéré qu'il y avait eu violation de l'article 6, paragraphe 1, au motif que M. Thanza – qui avait été démis de ses fonctions de juge de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle de l'intégrité – n'avait pas eu la possibilité de se défendre concernant son omission de révéler ses contacts avec des personnes impliquées dans la criminalité organisée. En revanche, dans la même affaire, la Cour n'a pas conclu à la violation de l'article 8 concernant l'évaluation du patrimoine de M. Thanza, qui a servi de base légale pour sa révocation.
92. Comme indiqué dans le précédent rapport de l’Assemblée, la restitution des biens expropriés par le régime communiste qui a dirigé l'Albanie de 1944 à 1992 est un problème juridique de longue date. L'absence de voies de recours et la non-exécution des décisions des juridictions internes rendues dans les affaires touchant à cette question ont donné lieu aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans le groupe d’affaires Manushaqe Puto et autres c. Albanie (arrêt du 31 décembre 2012). Ces affaires concernent le problème structurel de la non-exécution des décisions judiciaires et administratives définitives rendues par les juridictions internes qui reconnaissent le droit des requérants à la restitution de biens immobiliers nationalisés sous le régime communiste ou à leur indemnisation pécuniaire ou en nature (violations de l'article 6, paragraphe 1, et de l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 9)) et l’absence d'un recours effectif en la matière (violations de l'article 13).
93. Afin de remédier aux lacunes mises en lumière par ces arrêts, le parlement a adopté, le 5 décembre 2015, la loi sur le traitement des biens et l’achèvement du processus d’indemnisation. Cette loi porte création d’un fonds d’indemnisation (sous forme financière ou foncière) chargé de mettre à disposition les ressources nécessaires pour indemniser les anciens propriétaires. Des dispositions expresses prévoient également une allocation annuelle du budget de l'État au fonds de compensation dont le montant est calculé pour permettre l'achèvement du processus de paiement dans un délai de dix ans. Des délais contraignants ont été fixés pour les diverses étapes de la procédure. La loi est entrée en vigueur le 24 février 2016 et les trois premiers décrets d’application ont été adoptés le 23 mars 2016.
94. Un recours constitutionnel contre la loi a été formé par le Président de la République, un groupe de députés, le médiateur, le Parti républicain albanais et des associations d’anciens propriétaires. Le 7 juillet 2016, le président de la Cour constitutionnelle d’Albanie a sollicité auprès de la Commission de Venise un mémoire d’amicus curiae relatif à la conformité de la loi avec l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le 14 octobre 2016, la Commission de Venise a adopté son mémoire d’amicus curiae sur la restitution des biens, dans lequel elle accueillait favorablement les nouveaux mécanismes juridiques mis en place. Le 9 novembre 2016, bien qu'ayant déclaré inconstitutionnels deux paragraphes de la loi, la Cour constitutionnelle a accepté lesdits mécanismes. En conséquence, le Comité des Ministres a décidé en 2020 de clore sa surveillance de l'exécution du groupe d’affaires Manushaqe Puto et autres c. Albanie.
95. Le nombre d'affaires pendantes devant la Cour et sous surveillance du Comité des Ministres reste trop élevé et davantage d'efforts sont nécessaires pour assurer la prompte exécution des arrêts de la Cour, notamment en ce qui concerne l'exécution des décisions judiciaires internes et la durée excessive des procédures.

5. Droits humains

5.1. Liberté des médias

96. Le paysage médiatique albanais préoccupe depuis longtemps l’Assemblée. Malheureusement, si l'Albanie a globalement accompli des progrès considérables dans le respect de ses obligations et engagements, le paysage médiatique a continué de se dégrader pendant la période examinée. Ce recul est très préoccupant, car l’existence d’un paysage médiatique libre et pluraliste est une condition essentielle au bon fonctionnement d'une démocratie.
97. L'Albanie présente un paysage médiatique diversifié qui, bien que globalement pluraliste, est divisé en fonction des courants politiques, de nombreux médias privés soutenant l'un ou l'autre des principaux partis politiques, selon les préférences politiques liées aux intérêts économiques sous-jacents. Dans sa Résolution 2019 (2014) «Le respect des obligations et engagements de l'Albanie», l'Assemblée avait déjà exprimé des inquiétudes concernant la polarisation du paysage médiatique. Les menaces et les propos hostiles prononcés contre les journalistes par les responsables politiques, y compris par le Premier ministre, se sont multipliés ces dernières années et les menaces de procès en diffamation, qui peuvent donner lieu à de lourdes amendes portent atteinte à la liberté de la presse.
98. Dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2023 établi par Reporters sans frontières et publié le 3 mai 2023, l’Albanie est remontée de sept places par rapport à 2022 et se classe actuellement 96e sur un total de 180 pays (le pays occupant la 1ère place étant considéré comme celui où les conditions d’exercice du journalisme sont les meilleures). Elle regagne donc un peu de terrain après sa chute de 20 places dans le classement 2022. Selon Reporters sans frontières, la liberté de la presse est menacée par la réglementation partisane des médias, tandis que «les journalistes sont victimes de la criminalité organisée et, parfois, de violences policières, que favorisent l'absence de protection du gouvernement» 
			(46) 
			Reporters sans frontières, <a href='https://rsf.org/fr/classement'>Classement
2023 de la liberté de la presse</a>. La Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes a enregistré six alertes pour l’année 2023 (dont trois sont restées sans réponse des autorités) ainsi que le meurtre d'un journaliste 
			(47) 
			<a href='https://fom.coe.int/fr/pays/detail/11709474'>Plateforme
pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes</a>. .
99. Le «dispositif antidiffamation», présenté au parlement par les autorités en décembre 2018, a été un sujet de préoccupation majeure pendant la période examinée. En effet, le dispositif prévoyait une série de modifications à la loi sur les médias audiovisuels et à la loi sur les communications électroniques, qui auraient donné aux autorités un pouvoir disproportionné sur le contenu des médias en ligne et aurait poussé les journalistes à s’autocensurer encore davantage. En réaction, la commission de suivi a décidé, lors de sa réunion de janvier 2020, de solliciter l’avis de la Commission de Venise concernant ce projet.
100. La Commission de Venise a adopté son Avis sur le projet de modifications le 19 juin 2020 
			(48) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)013-f'>CDL-AD(2020)013</a>., dans lequel elle se déclarait vivement préoccupée par les amendements envisagés, qu’elle estimait ne pas être «prêts à l’adoption sous leur forme actuelle. Le texte de la loi modifiée est trop vague, et aurait vraisemblablement des effets dissuasifs sur le libre débat et le discours politique sur l’internet albanais». Tout en reconnaissant qu’il était légitime de chercher à régler le problème de la diffamation par les médias en ligne, la Commission de Venise a recommandé aux autorités «de revenir sur le projet de modification de la loi no 97/2013 (et les amendements portant sur la loi no 9918/2008 qui l’accompagnent) adopté par le Parlement en décembre 2019».
101. À la suite de la publication de l’avis, les autorités ont retiré le projet de modifications et ont annoncé qu'elles le réviseraient à la lumière des recommandations de la Commission de Venise avant de le déposer à nouveau devant le parlement. À cette fin, elles ont sollicité l’assistance du Conseil de l’Europe. Malheureusement, les conseils donnés ne semblent pas avoir été suivis. Dans leur analyse, les experts du Conseil de l’Europe ont conclu que si les modifications révisées comportaient certaines améliorations, elles ne tenaient pas compte de façon satisfaisante des principales recommandations, d'importance cruciale, de la Commission de Venise et ne pouvaient donc pas être considérées comme conformes aux normes internationales. Par la suite, les autorités ont annoncé qu'elles ne souhaitaient plus adopter ces modifications et, après des appels en ce sens de la communauté internationale, y compris de l'Assemblée, elles ont retiré le projet de modifications de l'ordre du jour du parlement.
102. S'il convient de se féliciter du retrait du dispositif antidiffamation de l'ordre du jour parlementaire, la répression de la diffamation reste cependant un sujet de préoccupation majeure. En effet, le Code pénal prévoit des amendes très élevées – selon nous, disproportionnées – en cas de diffamation 
			(49) 
			Le
Code pénal albanais prévoit les infractions suivantes: Insulte (article
119): l'insulte intentionnelle est passible d'une amende de 50 000
à un million de leks. Lorsqu'elle est proférée en public, l'insulte
est passible d'une amende de 50 000 à trois millions de leks. Diffamation
(article 120): diffusion intentionnelle de déclarations portant
atteinte à l'honneur ou à la dignité d'une personne en sachant que
ces déclarations sont fausses. La diffamation est passible d'une
amende de 50 000 à 1 500 000 leks. Lorsqu'elle est publique, elle
est passible d'une amende de 50 000 à trois millions de leks (Source :
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH)
et International Press Institute). et le Code civil ne fixe pas de plafond au montant de l'indemnisation pouvant être accordée en cas de diffamation. De plus, ces dispositions légales ont un effet dissuasif sur les journalistes qui s'autocensurent de plus en plus pour ne pas risquer un procès en diffamation. Le recours croissant à ce que l'on appelle les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (poursuites-bâillons) constitue un autre motif d'inquiétude en lien avec le précédent, ces poursuites visant non seulement les organes de presse et les journalistes, mais aussi, semble-t-il, les organisations de la société civile et les militants. Nous appelons donc les autorités à dépénaliser entièrement la diffamation, à fixer dans le Code civil un plafond au montant de l'indemnisation pouvant être accordée en cas de diffamation et à promulguer une loi permettant de lutter efficacement contre l'utilisation des poursuites-bâillons contre les journalistes, les organes de presse et les organisations de la société civile.
103. Le Premier ministre, Edi Rama, a interdit à des journalistes d'assister aux conférences de presse du gouvernement pendant de longues durées (jusqu'à trois mois) pour lui avoir posé des questions qui lui ont déplu. Cette interdiction a été critiquée par des organes de presse internationaux et d'autres parties prenantes, dont notre Assemblée, en ce qu'elle ne permet pas un journalisme critique et pourrait encourager l'autocensure. De telles pratiques ne vont pas non plus dans le sens d'une gestion transparente des affaires publiques. Nous avons toutefois été informés, pendant notre dernière visite, qu'elles étaient de plus en plus rares et nous espérons vivement ne plus avoir à déplorer de telles mesures.
104. L’impartialité de l’Autorité albanaise des médias audiovisuels (AMA) et le contrôle politique exercé sur celle-ci ont continué à être sujets à controverse pendant la période examinée. En effet, le 8 juillet 2021, après les élections législatives, mais avant la formation du nouveau parlement, le Parlement albanais a nommé Armela Krasniqi à la présidence de l’AMA. Mme Krasniqi avait été chargée de communication au sein du Parti socialiste et directrice de la communication de l’actuel Premier ministre Edi Rama, ce qui a amené les différentes parties prenantes à s’interroger sur son impartialité. L’Union européenne, qui avait demandé que le processus de nomination soit repoussé jusqu'à ce que le nouveau parlement soit formé s’est déclarée préoccupée par cette nomination. Cependant, le 17 février 2022, le Parlement albanais a pourvu six postes vacants au conseil d’administration de l’AMA, apparemment selon une approche bipartite, les candidats élus ayant recueilli plus des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Lors de notre dernière visite, nous avons constaté que les représentants et représentantes des médias que nous avons rencontrés semblaient moins s’inquiéter de l'indépendance de l'AMA. Il convient de s'en féliciter, bien qu'une vigilance constante soit nécessaire, dans la mesure où il ne peut y avoir de paysage médiatique libre et pluraliste sans une autorité des médias indépendante et impartiale.
105. Le 18 septembre 2021, le Gouvernement albanais a créé l’Agence des médias et de l’information. L'objectif déclaré de cette agence est d'assurer la transparence et la centralisation des communications sur les activités et les politiques du gouvernement. Elle est aussi chargée de surveiller les médias (sociaux) nationaux et étrangers et d’informer le gouvernement de l'opinion publique concernant ses activités. Sa mise en place a immédiatement suscité des craintes, largement partagées par de nombreuses parties prenantes nationales et internationales, que les différents ministères ne communiquent plus directement avec les médias et que toutes les demandes d'informations publiques soient centralisées. Cependant, à notre grande satisfaction, ces craintes semblent avoir été injustifiées. Les journalistes continuent d'avoir pleinement accès à chaque ministre et ministère et les demandes d'informations publiques continuent d'être directement adressées à l'organe ou service gouvernemental compétent.
106. S'agissant de l'accès des citoyens et des journalistes à l’information publique, nous avons appris que, contrairement aux dispositions légales régissant l’accès à l’information, les demandes officielles d’information sont souvent rejetées sans raison, ou que les délais de prise en compte des demandes sont si longs que lorsqu'elles aboutissent, elles ne sont plus d'actualité ou n’ont plus de raison d’être. Cette situation nuit à la gestion transparente des affaires publiques et devrait être corrigée par les autorités.

5.2. Minorités

107. La société albanaise est une société hétérogène et multiculturelle dotée d'une solide tradition historique de tolérance et de dialogue interreligieux. Cependant, comme l'a indiqué le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (Comité consultatif) et comme nous l'avons souligné dans nos précédents rapports, l'absence de données ventilées fiables concernant les minorités nationales empêche d'analyser la situation des minorités et d'élaborer des politiques efficaces les concernant. L'intégration des minorités nationales, à l'exception des Roms, et dans une moindre mesure des Égyptiens, est généralement considérée comme satisfaisante, mais il existe des tensions avec et entre les minorités nationales. Les Roms et les Égyptiens sont deux minorités nationales confrontées à une marginalisation et à une discrimination importantes qui empêchent leur intégration. Le cinquième Avis du Comité consultatif a été adopté le 6 juin 2023. Le dernier rapport de l'ECRI sur l'Albanie, établi dans le cadre de son sixième cycle de monitoring, a été adopté le 7 avril 2020.
108. Le principal cadre législatif régissant les droits et la protection des minorités nationales est la loi sur la protection des minorités nationales, qui a été adoptée le 13 octobre 2017. Dans cette loi, l'Albanie reconnaît neuf minorités nationales: les Aroumains, les Bosniaques, les Bulgares, les Égyptiens, les Grecs, les Macédoniens, les Monténégrins, les Roms et les Serbes. Cette loi représente, d'une manière générale, un cadre juridique adéquat pour la protection des minorités, mais elle dépend de la législation secondaire pour son application. Si neuf sur douze décrets d'application ont été adoptés, trois d'entre eux, considérés comme les plus importants et les plus sensibles, ne l'ont pas encore été. Il s'agit de décrets régissant le droit de libre identification, le droit à l'enseignement dans les langues minoritaires et à leur utilisation dans les relations avec les autorités et la procédure de reconnaissance des minorités nationales.
109. Le Comité consultatif a exprimé de sérieuses réserves concernant le projet de décret relatif à la libre identification, qui repose sur des critères soi-disant objectifs, tirés de documents officiels. Il juge cette approche fondamentalement viciée «dans la mesure où elle dépend de la collecte de données historiques notoirement peu fiables sur les minorités nationales en Albanie» 
			(50) 
			Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales,
cinquième Avis sur l'Albanie, paragraphe 4. . En outre, cette approche ignore le principe de libre identification tel que l'entend l'article 3(1) de la Convention-cadre, ce qui est préoccupant.
110. Cette approche problématique de la libre identification doit être replacée dans son contexte, à savoir qu'un certain nombre de droits garantis par la loi sur les minorités nationales dans les municipalités où les minorités sont présentes en grand nombre, tels que le droit à l'enseignement dans les langues minoritaires ou l'emploi des langues minoritaires dans les relations avec les autorités locales, sont subordonnés au fait que la minorité en question représente plus de 20 % de la population dans cette municipalité. Cependant, le seuil de 20 % constitue un obstacle insurmontable dans pratiquement l'ensemble des 61 municipalités, empêchant l'accès effectif à ces droits. Le seuil de 20 % de personnes appartenant à une minorité nationale n'est atteint que dans trois municipalités (Dropull, Finiq et Pustec). Aucune autre minorité nationale, en dehors de celles qui résident dans ces trois municipalités, ne peut bénéficier de ces droits garantis par la loi sur la protection des minorités nationales. La stricte observation du seuil de 20 % dans le contexte de la fusion des municipalités a entraîné, dans les faits, une réduction des droits des minorités sur de nombreux territoires par rapport à 2014. Nous appuyons donc pleinement la recommandation adressée par le Comité consultatif aux autorités de remettre en question le seuil de 20 % afin de privilégier un système plus souple qui prenne mieux en compte les besoins des minorités résidant traditionnellement en nombre substantiel dans différentes localités 
			(51) 
			Ibid.,
paragraphes 112-123.. Les autorités nous ont informés qu'elles coopéraient étroitement avec le Comité consultatif pour traiter ces questions dans un avenir, espérons-le, très proche.
111. L'enseignement dans les langues minoritaires représente pour les minorités un moyen important de protéger leur culture et de garantir leurs droits. Un enseignement en langue grecque est proposé dans les districts de Gjirokastër, Sarandë, Delvina et Korçë, où la minorité grecque est importante. De même, un enseignement en langue macédonienne est assuré dans des établissements scolaires du district de Korçë. Quelques établissements scolaires enseignent également en langue romani. Comme indiqué précédemment, la stricte application du seuil de 20 % est un obstacle à l'enseignement dans les langues minoritaires. Cependant, une décision du Conseil des ministres, adoptée en 2018, permet aux autorités locales de prendre l’initiative, lorsqu'elles en perçoivent le besoin, d'ouvrir des classes dans lesquelles l'enseignement est dispensé dans une langue minoritaire. Il n'est pas nécessaire dans ce cas de respecter le seuil normal d'au moins 15 élèves pour pouvoir créer une classe. Ces mesures renforcent les possibilités d'instruction dans les langues minoritaires, ce qui mérite d'être salué. Malheureusement, la loi ne prévoit pas d'enseignement dans les langues minoritaires au-delà de la 9e année, qui correspond à la fin de la scolarité obligatoire. Nous recommandons d'envisager la possibilité de dispenser un enseignement dans les langues minoritaires à des niveaux plus élevés dans les régions où des minorités résident historiquement en nombre important.
112. Le sentiment général qui est ressorti de nos réunions avec les représentants des minorités, notamment de représentants de la communauté rom, est que la représentation politique des minorités est très limitée. Le Comité consultatif l'a également constaté. Aucun ministre n'est issu des minorités nationales et seul un député appartient à une minorité. À Vlorë, qui compte une importante minorité rom, il n'y a qu'un seul membre rom au conseil municipal, bien que le maire de Vlorë nous ait informés que la municipalité avait employé un conseiller spécial pour les questions relatives aux Roms qui était issu de cette communauté. À l'échelle nationale, la loi de 2017 sur la protection des minorités nationales a institué un Comité sur les minorités nationales sous l'égide du Cabinet du Premier ministre. Cet organe est chargé de protéger les minorités nationales et de servir d'intermédiaire entre elles et le gouvernement central. Le président et le vice-président de ce comité sont nommés par le Premier ministre sur recommandation d'ONG travaillant dans le domaine des minorités. Les autres membres représentent chacune des neuf minorités nationales reconnues et sont nommés par un comité ad hoc constitué à cet effet. Le Comité consultatif a recommandé de revoir les procédures de nomination et le règlement intérieur du Comité sur les minorités afin de renforcer son indépendance (perçue) et son efficacité 
			(52) 
			Ibid.,
paragraphes 173-175..
113. La loi sur la protection contre la discrimination, telle que modifiée en 2020, vise à protéger les minorités contre la discrimination et les discours de haine. Il existe en Albanie deux institutions chargées d'assurer l'égalité: le défenseur du peuple (médiateur) et le commissaire chargé de la protection contre la discrimination. Elles sont toutes deux bien perçues par les minorités. Les craintes selon lesquelles leurs mandats risquaient de se chevaucher et d'entrer en conflit ne se sont pas avérées et une relation de travail efficace et cordiale, ainsi qu'une répartition des tâches, ont été établies entre les deux entités. En revanche, les ressources financières et humaines allouées aux deux entités, en particulier au médiateur, ne sont pas suffisantes pour leur permettre de mener à bien leurs nombreuses tâches. En outre, les suites données par les autorités aux rapports et aux recommandations des deux institutions ne sont, selon le médiateur et le commissaire, toujours pas satisfaisantes.
114. Les Roms et les Égyptiens font face à une discrimination considérable et à d'importants obstacles à leur pleine intégration dans la société albanaise. Le plan national d'action 2021-2025, élaboré en consultation avec ces minorités, est axé sur l'éducation, le logement et les soins de santé, mais dépend largement de financements étrangers, ce qui limite la prise en main du plan par le pays et son efficacité. Le déficit de financement serait de plus de deux millions d'euros. Les représentants roms que nous avons rencontrés se sont plaints de ce que le plan d'action consistait principalement en des stratégies et intentions, mais que les moyens financiers mis à disposition pour leur mise en œuvre au niveau local étaient faibles, voire inexistants, de sorte que le plan d'action était, selon eux, largement inefficace. S'agissant de l'éducation, la scolarisation des enfants roms s'est améliorée, mais les taux de scolarisation et – en particulier – de fréquentation restent très faibles par rapport au reste de la population. Si les autorités albanaises ont déclaré qu'il n'existait plus d'écoles séparées, l'ECRI et le Comité consultatif ont indiqué qu'une ségrégation de fait subsistait dans certaines localités. Ce problème doit être réglé par les autorités.
115. En ce qui concerne le logement des Roms, la situation reste difficile et caractérisée par l'absence généralisée de titres de propriété ou de contrats de location. En raison de l'augmentation des projets de développement immobilier, les Roms sont souvent victimes d'expulsions qui ne respectent pas toujours pleinement les normes internationales et les conditions légales, notamment en ce qui concerne les délais de préavis et l'offre de solutions de relogement.
116. Les Roms et les Égyptiens continuent d'être confrontés à des taux de chômage élevés et sont pour la plupart actifs dans l'économie informelle. En conséquence, ils ne sont souvent pas inscrits comme chômeurs, ce qui les met hors de portée des programmes de soutien, notamment de formation professionnelle. Fait positif, la plupart des Roms et des Égyptiens sont désormais inscrits dans le registre national d'état civil et ont accès à des documents d'identité.
117. Comme c'est le cas pour de nombreux autres groupes, les données officielles concernant les personnes LGBTI+ font largement défaut. Cependant, les personnes appartenant à cette communauté sont victimes de discrimination et d’ostracisme dans la société albanaise, ce qui les empêche de jouir d'une égalité effective. En 2015, avancée qui mérite d'être saluée, le Parlement albanais a adopté une résolution sur la protection des droits et des libertés des communautés LGBTI+ qui a conduit à l'adoption du plan d'action 2016-2020 sur les questions relatives aux LGBTI+. Ce plan d'action a été élaboré avec la participation de la communauté LGBTI+. Bien qu’il ait notamment conduit à l'adoption de modifications au Code du travail visant à interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou le genre, ILGA Europe, dans ses commentaires 2023 relatifs au rapport sur l'élargissement de l'Union européenne, a fait observer que dans les faits, seul un ministère concerné (le ministère de la Santé et de la Protection sociale) avait coopéré avec la communauté LGBTI+, ce qui avait limité la mise en œuvre effective du plan d'action. Ce problème doit être réglé lors de la mise en œuvre du prochain plan d'action. L'Albanie, contrairement à ce que prévoient les normes européennes, n'autorise toujours pas l'enregistrement des partenariats entre personnes de même sexe ni les changements de nom et de genre dans le registre de l'état civil, ce qui empêche les personnes concernées d'exercer leurs droits civils. Les autorités devraient se pencher en priorité sur ces questions.
118. Le discours de haine reste un sujet de préoccupation en Albanie. Si le discours de haine et les actes de violence inspirés par la haine sont considérés comme des infractions graves par la législation albanaise, leurs auteurs sont, dans les faits, rarement traduits en justice et la collecte de données en la matière manque toujours d'efficacité. Les autorités nous ont informés que le ministère de la Justice avait commencé à collecter, auprès des juridictions de droit commun, des données statistiques annuelles sur le nombre d'infractions pénales, dont les crimes de haine, et sur le nombre de personnes condamnées 
			(53) 
			Ces statistiques sont
publiées sur le site officiel du ministère de la Justice et peuvent
être consultées à l'adresse suivante: <a href='https://www.drejtesia.gov.al/statistika/'>www.drejtesia.gov.al/statistika/.</a>. Les actes de violence inspirés par la haine et les discours de haine sont insuffisamment signalés à et par la police. À titre d'exemple, si les discours et les crimes de haine fondés sur l'orientation sexuelle sont considérés comme des infractions graves par la législation albanaise, les représentants de la communauté LGBTI+ continuent de faire état de très nombreux propos haineux et actes de violence, qui ne sont souvent pas signalés pour éviter davantage de stigmatisation.
119. Le médiateur a fait du discours de haine un domaine d'action prioritaire et le parlement a adopté un Code de déontologie qui interdit aux députés de tenir des propos racistes, homophobes, discriminatoires ou fondés sur des stéréotypes aussi bien dans le cadre de leurs activités parlementaires qu'extraparlementaires. Si ces mesures méritent d'être saluées, il est extrêmement rare que des personnalités politiques de haut rang condamnent publiquement et s'opposent à des discours de haine, lesquels, selon l'ECRI, continuent apparemment d'être des éléments acceptables et ordinaires du débat public.
120. La violence liée à la haine est, selon les informations disponibles, peu fréquente en Albanie, bien que l'on manque de données statistiques officielles précises à cet égard. Malheureusement, l'ILGA, dans son commentaire susmentionné concernant le rapport sur l'élargissement, a indiqué que la communauté LGBTI+ d'Albanie avait fait état d'un nombre important de violences motivées par la haine exercées contre ses membres.
121. En ce qui concerne les minorités religieuses, l'Albanie se targue, à juste titre, de la coopération et de la tolérance interreligieuses existant dans le pays. Cependant, les Témoins de Jéhovah ont fait savoir que, bien qu'ils soient généralement libres de se réunir pour pratiquer leur culte et partager leur foi, leur communauté en Albanie est souvent victime de discrimination dans les médias ou de la part d'organismes officiels. L'enregistrement en tant que communauté religieuse leur ayant été refusé, ils sont enregistrés en tant qu'organisation non gouvernementale, ce qui est incorrect. Selon la Constitution albanaise, il appartient au Conseil des ministres de décider quelle communauté peut être enregistrée comme organisation religieuse. Le Conseil des ministres, qui semble avoir été doté d'un large pouvoir discrétionnaire en la matière par la Constitution, a jusqu'à présent refusé l'enregistrement. Les Témoins de Jéhovah ont intenté un recours devant les tribunaux albanais qui les ont déboutés en première instance. La procédure d'appel est en cours.
122. Un recensement de la population était en cours en Albanie au moment de la rédaction du présent rapport. Il est attendu de ce recensement qu'il aide les autorités albanaises à recueillir, sur la base du principe de libre identification, des données fiables sur les minorités du pays. Le recensement de 2011 a été critiqué à cet égard et n'a pas permis de traiter cette question. En effet, des modifications de dernière minute apportées à la loi de 2000 relative au recensement prévoyaient une amende en cas de réponse «incorrecte» à la question de l'appartenance ethnique et établissaient qu'une réponse serait jugée incorrecte si elle ne correspondait pas aux données figurant dans le registre d’état civil. En conséquence, une grande partie de la population a choisi de ne pas répondre à la question et les résultats du recensement de 2011 concernant la nationalité/l'origine ethnique sont largement considérés comme peu fiables et inexacts. Il convient donc de se féliciter de ce que la possibilité d'infliger une amende en cas de réponses «incorrecte» ait été retirée de la loi avant la réalisation du recensement de 2023. Néanmoins, certains représentants de minorités que nous avons rencontrés ont estimé que la manière dont les questions étaient posées dans le processus de recensement manquait parfois de clarté ou suggérait une réponse «correcte», ce qui risquait de compromettre la fiabilité des données collectées, en particulier concernant les questions relatives aux minorités.
123. L’Albanie n’a pas signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Compte tenu de l'importante présence de langues minoritaires en Albanie, nous invitons les autorités à envisager de signer et de ratifier cette charte à titre prioritaire.

6. Observations finales

124. L'Albanie fait l'objet d'une procédure de suivi complète depuis 1995. Pendant la majeure partie de cette période, le pays a connu une crise politique systémique prolongée, qui a entravé son processus d'intégration européenne. Cette crise a récemment commencé à s'atténuer et peut être considérée comme largement surmontée ce dont on ne peut que se féliciter, même si ses causes profondes n'ont pas encore disparu. Une vigilance constante est nécessaire à cet égard et toutes les forces politiques devraient continuer à travailler sans relâche pour surmonter la polarisation systémique de l'environnement politique qui pèse sur le système d’équilibre des pouvoirs et reste le talon d'Achille du bon fonctionnement des institutions démocratiques du pays.
125. Dans le même temps, comme le présent rapport le montre, le pays a fait récemment de grands progrès, bien qu'à des rythmes différents, dans le respect de ses obligations et engagements envers le Conseil de l'Europe. Il a mis en œuvre des réformes de grande envergure pour renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire et accroître l'efficacité de l'administration de la justice. Il a continué à lutter contre la corruption et la criminalité organisée qui sévissent dans le pays depuis si longtemps. Le contrôle de l’intégrité des magistrats et la mise en place d'une série d'institutions viables pour lutter contre la corruption donnent des résultats notables et des progrès tangibles ont été enregistrés. Lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de ces réformes, le pays a consulté le Conseil de l'Europe et coopéré étroitement avec l'Organisation, dont les recommandations et les conseils ont été suivis et mis en œuvre dans la majorité des cas. Lors de nos visites et de nos contacts avec les autorités au plus haut niveau et avec l'opposition, celles-ci ont clairement manifesté leur volonté politique de continuer à travailler avec les différents organes du Conseil de l'Europe afin de répondre aux préoccupations restantes, comme le présent rapport le souligne.
126. Nous recommandons donc que la commission propose à l'Assemblée de clore la procédure de suivi concernant l'Albanie et d'engager un dialogue postsuivi conformément à la Résolution 2018 (2014) pour répondre aux préoccupations restantes exposées dans le présent rapport. Dans le même temps, nous recommandons à la commission d'envisager de soumettre à nouveau l’Albanie à la procédure de suivi complète si lors du premier rapport dans le cadre du dialogue postsuivi, aucun progrès significatif et tangible n’a été fait pour répondre aux préoccupations et aux recommandations formulées dans le présent rapport et dans le projet de résolution en ce qui concerne la lutte contre la corruption, la protection des minorités ainsi que la liberté des médias et la liberté d'expression.