1. Introduction
1. En tant que source de connaissances,
outil de communication et vecteur de créativité, internet offre
aux enfants des possibilités immenses. Mais il comporte aussi des
risques graves pour leur sécurité et leur bien-être. C’est la raison
pour laquelle la commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable (ci-après, la commission) a décidé de
déposer une proposition de résolution concernant la protection des
enfants lors de l’utilisation d’internet
, à l’initiative d’un groupe d’enfants
irlandais participant au projet pilote 2020-2022 de la commission
en faveur de la participation des enfants.
2. L’Assemblée parlementaire
et
le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe ont déjà abordé
la question de la protection de l’enfant sur internet. Conscients
que l’utilisation de l’internet peut engendrer des risques, notamment
de violence, d’exploitation et d’abus
,
et que ces dangers se sont accrus pendant la pandémie de covid-19
et les confinements, nous devons réexaminer la question. Nous devons
prendre en considération non seulement les menaces et les risques
les plus récents pour les enfants dans l’environnement en ligne,
mais aussi les droits et les attentes des enfants. Nous devons examiner
l’incidence des tout derniers progrès de la technologie, des pratiques
des enfants en ligne et du cadre juridique. Aujourd’hui, en particulier depuis
la pandémie de covid-19 et la transition de nombreuses activités
éducatives et sociales vers le numérique, les enfants sont des acteurs
autonomes sur internet. Ils ne sont pas seulement utilisateurs et spectateurs
des contenus et des plateformes, ils sont devenus eux-mêmes producteurs,
se mettant en scène sur les réseaux sociaux et conservant et partageant
toujours plus leur image et leurs données à caractère personnel.
3. Il est essentiel de continuer à donner aux enfants les moyens
d’agir en tant qu’acteurs d’internet, en leur permettant d’accéder
à l’information, à l’instruction et à la socialisation, ainsi que
de partager leurs opinions, tout en améliorant et appliquant un
cadre qui les protégera contre l’exposition à des contenus et des comportements
préjudiciables. La prévention contre les contenus illégaux, abusifs
ou préjudiciables et leur détection précoce doivent être renforcées.
Les restrictions aux publications des personnes mineures sont une mesure
qui peut être envisagée lorsqu’elle est dans l’intérêt supérieur
de l’enfant, compte tenu de sa situation personnelle et de ses capacités.
Cependant, ces restrictions imposées à la liberté d’expression et
à la vie privée de l’enfant doivent toujours respecter les conditions
fixées par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
ce qui implique, entre autres, qu’elles reposent sur une base légale
prévisible et accessible et qu’elles ne peuvent pas être appliquées
de manière arbitraire.
4. Si certains des risques restent similaires ou identiques à
ceux identifiés précédemment, l’exposition à internet a augmenté
de manière exponentielle. Nos sociétés, en premier lieu les enfants
et les jeunes, se sont habitués à l’utilisation de l’internet qu’ils
considèrent comme un prolongement presque ininterrompu de leurs vies
hors ligne. Cette augmentation du trafic virtuel s’est accompagnée
d’une augmentation du volume des abus signalés. Environ 80 % des
enfants interrogés dans 25 pays déclarent ressentir le danger de
l’abus ou de l’exploitation sexuelle en ligne
. L’âge auquel les enfants sont confrontés
pour la première fois à des contenus sexuellement explicites tend
à baisser d’un an tous les deux ans
. Les nouvelles technologies émergentes
telles que l’intelligence artificielle (IA) générative présentent
de nouveaux risques pour la sécurité des enfants en ligne, ainsi
en est-il des
deepfakes préjudiciables,
y compris des
deepfakes pornographiques
. De nouvelles tendances apparaissent,
notamment l’extorsion sexuelle financière, tandis que des menaces telles
que la sollicitation sexuelle en ligne ou la création de matériel
sexuel par les enfants eux-mêmes continuent de croître
. Un rapport d’Internet Watch Foundation
publié en 2023 montre que les images d’abus sexuel sur les enfants
créées par une utilisation abusive de l’IA constituent un nouveau
phénomène inquiétant
.
J’estime que ce phénomène doit être analysé et pris en considération
rapidement par les responsables politiques.
2. La dimension des risques pour les enfants
en ligne et la nécessité de donner aux enfants les moyens d’agir
5. L’internet offre aux enfants
de nombreuses possibilités en matière de socialisation, de loisirs,
d’achats ou d’instruction, y compris l’information et l’enseignement
en ligne. Les enfants ne sont pas seulement des destinataires passifs
d’informations, mais des participants engagés et actifs dans le
monde en ligne
. On estime qu’un usager
d’internet sur trois a moins de 18 ans
. Les statistiques de l’Union internationale
des télécommunications montrent que les trois quarts des jeunes
âgés de 15 à 24 ans dans le monde utilisent l’internet, alors que
ce pourcentage s’élève à 98 % en Europe
. Cette évolution vers le monde en
ligne s’est intensifiée en raison de la pandémie de covid-19, au
cours de laquelle, parfois, les seules interactions sociales possibles
avaient lieu sur des plateformes en ligne
.
Dans le même temps, les enfants sont plus vulnérables que les adultes
et sont donc plus susceptibles d’être maltraités ou de subir d’autres
préjudices en ligne.
6. À l’ère numérique, les moments où les droits des enfants sont
violés et la manière dont ils le sont n’étant pas toujours immédiatement
visibles ou apparents, il est essentiel d’obtenir leur point de
vue sur la question afin de bien comprendre les dangers et les défis
auxquels ils sont confrontés lorsqu’ils utilisent l’internet
.
À mon avis, la solution au problème ne peut être trouvée qu’en appliquant
une approche centrée sur l’enfant. En parlant aux enfants, nous
sommes mieux à même de comprendre non seulement les expériences
négatives auxquelles ils font face en accédant à l’internet, mais
aussi les opportunités dont ils profitent et les aptitudes et compétences
qu’ils acquièrent en participant à des activités en ligne. Dès lors,
nous pouvons mieux apprécier et analyser l’exposition des enfants
aux risques en ligne et aux préjudices éventuels, ainsi que le rôle de
leurs parents en tant que médiateurs et sources de soutien. Rappelant
le rapport de la Baronne Massey sur la participation des enfants
, je pense que les voix et les expériences
des enfants eux-mêmes devraient être au centre de l’élaboration
des politiques, de la réforme législative et de la fourniture de
programmes et de services, dans l’intérêt supérieur des enfants.
Je voudrais également citer une recherche intéressante qui s’inspire
de conversations avec de jeunes survivants et survivantes de violence
en ligne, intitulée «Disrupting harm – Conversations with young
survivors»
, qui est un bon exemple
de la pertinence de faire participer les enfants à l’élaboration
des politiques. Dans le prolongement de la dernière édition de la
Journée européenne pour la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels qui a eu lieu le 18 novembre 2023, je suis convaincu
de la pertinence d’apprendre des victimes et survivants et survivantes
de violence sexuelle subie dans l’enfance afin de pouvoir élaborer
des politiques efficaces fondées sur des expériences vécues. Je propose
donc que les États membres entendent et prennent en considération
les témoignages et suggestions des victimes de violence en ligne
dans leur enfance au moment de l’élaboration des mesures et politiques
de prévention, de protection et de répression de la violence en
ligne.
7. La rapidité des innovations technologiques nous oblige à évaluer
les risques qu’elles peuvent poser pour le bien-être mental et physique
des enfants, ainsi que pour leur droit à la protection. Des risques
nouveaux et imprévisibles peuvent apparaître rapidement et menacer
la sécurité des enfants avant que leurs parents, leurs enseignants
ou les personnes qui en ont la charge n’en soient conscients
. L’identification
des risques est importante pour élaborer des politiques efficaces.
Les risques liés à la sécurité en ligne ont été classés en quatre
catégories: les risques liés au contenu, au contact, au comportement
et au commerce (parfois appelé contrat). C’est ce qu’on appelle
les 4C de la sécurité en ligne
.
8. Sont visés, premièrement, les risques liés au contenu, qui
surviennent lorsque l’enfant est exposé à un contenu médiatique
préproduit susceptible d’avoir un effet négatif, tel qu’un contenu
pornographique ou raciste. Deuxièmement, les risques liés au contact,
qui sont ceux auxquels les enfants peuvent être confrontés lorsqu’ils
interagissent avec d’autres internautes qui les mettent en danger,
par exemple en cas de sollicitation ou d’exploitation sexuelle.
Troisièmement, les risques liés au comportement qui surviennent
lorsque les enfants participent à des échanges, qui peuvent être
préjudiciables, avec d’autres mineurs de leur âge tels que la cyberintimidation
ou l’incitation à l’automutilation, le partage ou la réception d’images
de nudité et de semi-nudité ainsi que la visualisation ou l’envoi
de matériel pornographique. Enfin, les risques liés à un contrat,
qui concernent les enfants acceptant des contrats non désirés, abusifs
ou inappropriés étant donné leur âge, comme les jeux d’argent en
ligne et la publicité inappropriée.
9. Selon les méta-analyses d’études internationales sur les différentes
formes de violence contre les enfants en ligne, récemment mises
en évidence dans une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
8 % des adolescents ont vu une image sexuelle créée par eux-mêmes
transmise sans leur consentement, tandis que 11,5 % des participants
à l’enquête ont reçu des sollicitations sexuelles non désirées en
ligne et 15 % des enfants ont signalé des cas de cyberintimidation
et de victimisation
. En outre, d’autres
études comparant différentes régions indiquent également que les
enfants sont exposés à un niveau inquiétant de contenus en ligne
relatifs au suicide et à l’automutilation, à des contenus sexuels
ou violents et à des discours de haine, entre autres
. Une étude française a montré que
les enfants sont de plus en plus exposés à la pornographie. En effet,
63 % des garçons et 37 % des filles âgées de 15 à 17 ans ont regardé
au moins une fois le contenu d’un tel site web
. La pandémie a encore
aggravé l’exposition des enfants à la pornographie
ainsi
qu’aux images d’abus pédo-sexuels
.
10. La base de données internationale sur l’exploitation sexuelle
des enfants (ICSE), la plateforme technique d’INTERPOL, a permis
d’identifier à ce jour 37 900 enfants victimes d’exploitation sexuelle
dans le monde et 16 533 auteurs, souvent avec plus d’une victime
.
En moyenne, 15 victimes sont identifiées chaque jour
. La
pandémie a donné lieu à une forte recrudescence de l’exploitation
sexuelle des enfants et des abus en ligne au point que les abus
sexuels d’enfants en ligne ont augmenté de 50 % dans certains pays européens
.
11. Cependant, les données disponibles ne sont pas exhaustives
et des lacunes subsistent dans notre compréhension de l’ampleur
de la violence commise sur des enfants en ligne. Ces lacunes tiennent
aussi au fait que ce type de violence reste largement caché en raison
de la peur, de la honte, de la stigmatisation et du manque de services
de soutien. Moins de la moitié des enfants exposés à la violence
en parlent à quelqu’un
. En outre, les données
n’indiquent souvent que l’ampleur des risques auxquels les enfants
sont exposés en ligne et non les préjudices réels causés. Tout cela
souligne la nécessité de créer des systèmes de soutien adaptés aux
enfants.
12. La violence en ligne ciblant des enfants constitue également
un problème de santé publique important. Les abus sexuels commis
sur des enfants présentent un risque majeur de problèmes de santé
physique, mentale et sociale pouvant apparaître à l’adolescence
ou à l’âge adulte, notamment la dépression, l’anxiété, le syndrome
de stress post-traumatique, la toxicomanie et d’autres comportements
à risque pour la santé. Même après l’abus, les victimes continuent
souvent de craindre l’utilisation des images ou leur réapparition. La
cyberintimidation peut entraîner des problèmes de santé physique,
notamment des insomnies, des problèmes gastro-intestinaux et des
douleurs chroniques ainsi que des problèmes de santé mentale et l’augmentation
des comportements à risque pour la santé, par exemple la prise de
risques sur le plan sexuel. Permettez-moi de rappeler les conséquences
de toutes les formes de violence commises sur des enfants. La maltraitance
et l’exploitation des enfants ont été associées à des résultats
scolaires médiocres, au risque de conséquences sociales graves sur
les relations ultérieures des victimes et aux problèmes dans la
vie professionnelle
.
Par conséquent, les opportunités qui pourraient se présenter à l’enfant
durant le reste de sa vie sont compromises, et le risque que le
traumatisme vécu nuise à la génération suivante est considérablement
accru
.
13. Les enfants interrogés dans le cadre d’un rapport ont déclaré
que la sécurité est essentielle à leur bien-être en ligne. Selon
eux, la sécurité signifie l’absence de danger et le sentiment d’être
protégé
.
Les mesures de protection des enfants en ligne doivent être spécifiquement
axées sur les problèmes. Les mesures trop restrictives visant à
protéger les enfants contre les dangers en ligne ont pour inconvénient
de réduire les opportunités qui se présentent à eux lorsqu’ils sont
connectés et de limiter le développement de leurs compétences numériques.
Dans nos sociétés actuelles, il est clair que l’internet joue un
rôle essentiel dans la vie quotidienne des enfants et les opportunités
qui en découlent ne sauraient être niées. Ce sont généralement le
contenu et le contact avec les autres qui créent un environnement
dangereux, et non les activités en tant que telles. La réponse consistera
donc à réglementer les activités de manière à créer un environnement
sûr et à minimiser le risque de préjudice. Elle ne poursuivra qu’un
seul objectif: faire en sorte que les enfants aient (davantage)
les moyens d’agir en ligne.
14. Il est manifestement urgent de mettre en place un cadre juridique
complet qui protège les enfants. Les États devraient adopter davantage
de mesures pour protéger leurs droits, en appliquant une approche
intégrée et équilibrée pour réduire l’exposition aux préjudices
en ligne tout en n’empiétant pas sur les possibilités qu’ont les
enfants de tirer profit de l’internet
. Afin d’assurer la protection la
plus efficace possible, les États doivent associer les parents et
les personnes qui s’occupent des enfants, qui n’ont souvent pas
les connaissances ou le soutien suffisants pour détecter l’exploitation,
les abus et la violence en ligne, et y réagir
.
Ils devraient également travailler en étroite collaboration avec
les parties prenantes du secteur technologique pour élaborer et
mettre en œuvre des politiques et des cadres réglementaires, afin
d’accroître leur responsabilité et leur obligation de rendre des
comptes en matière de protection des utilisateurs.
15. Je crois également pertinent d’inclure dans les mesures éducatives
en matière sexuelle une perspective visant à protéger les enfants
en ligne. Un rapport de l’OMS souligne l’importance de mettre en
œuvre des programmes éducatifs destinés aux enfants et aux parents
pour prévenir la violence en ligne. Le rapport affirme que des formes
complètes d’éducation à la sexualité peuvent réduire les agressions
physiques et sexuelles, en particulier, l’intimidation homophobe
et les rencontres et la violence dans les fréquentations et entre
les partenaires. L’efficacité de l’éducation à la sexualité a été
confirmée dans tous les pays
.
Sur ce point, il semble judicieux que le Comité d’experts sur la
prévention de la violence (ENF-VAE) inclue l’aspect de la violence
en ligne à l’encontre des enfants dans son étude de faisabilité
sur une éducation complète à la sexualité adaptée à l’âge en cours
d’élaboration
.
3. L’importance
de la technologie et le rôle du secteur technologique dans la protection
des enfants en ligne
16. La technologie offre des possibilités
infinies aux enfants, notamment dans le domaine de l’instruction. Elle
peut favoriser leur autonomisation et leur participation, et ces
aspects positifs devraient toujours être pris en compte lors de
l’élaboration de mesures visant à atténuer les risques. En effet,
les technologies peuvent également jouer un rôle déterminant pour
assurer et renforcer la protection des enfants vulnérables, qui peuvent
utiliser des services en ligne pour accéder aux informations diffusées
par des institutions, demander des conseils en utilisant les lignes
d’assistance téléphonique pour enfants ou signaler des incidents
et demander de l’aide.
17. Il est donc important de sensibiliser les enfants à ces possibilités
ainsi qu’aux dangers qu’ils peuvent encourir, d’autant qu’ils sont
loin d’être passifs lorsqu’il s’agit de leur sécurité en ligne.
Des études ont montré qu’ils sont capables d’élaborer des stratégies
pour faire face à des expériences négatives, telles que le blocage de
contacts insultants et la rétention d’informations à caractère personnel;
la recherche de conseils précis sur la sécurité en ligne; la modification
des paramètres de confidentialité sur un profil de réseau social;
ainsi que la comparaison de sites web pour juger de leur qualité
ou bloquer les spams
.
18. Pour créer un environnement sûr en ligne, il est essentiel
que la technologie utilisée soit adaptée aux enfants et ce à toutes
les étapes du processus, de la conception des sites web à la mise
en place de mécanismes de signalement adéquats. Les entreprises
de technologie qui créent des services ou des produits numériques
accessibles aux enfants doivent les concevoir pour répondre aux
besoins et défendre l’intérêt supérieur et les droits des enfants
. Je recommande donc d’associer les
enfants dès la première étape de la conception de la plateforme.
En outre, les États membres qui ne l’ont pas encore fait devraient
encourager et inciter les entreprises du secteur technologique à
intégrer la sécurité et le respect de la vie privée dès la phase de
conception et, par défaut, les transposer dans des principes directeurs
pour définir les caractéristiques et les fonctionnalités des produits
et des services que les enfants utilisent ou qui leur sont destinés.
19. Tout ce qui précède souligne le rôle essentiel du secteur
technologique pour garantir la sécurité en ligne et la protection
des enfants. Les entreprises technologiques sont responsables de
leurs sites web et de leurs contenus, en particulier lorsqu’elles
déploient des efforts considérables pour attirer les enfants vers
leurs produits et services. Ces entreprises doivent donc être tenues
pour responsables
.
Il apparaît donc nécessaire d’instaurer une collaboration étroite
entre l’État et le secteur technologique pour trouver des solutions
dans un environnement qui évolue rapidement, tout en imposant des
obligations légales aux entreprises technologiques afin qu’elles
mettent en place des mesures appropriées pour protéger les enfants et
empêcher l’utilisation abusive des services qu’elles proposent.
20. Une étude interrogeant les enfants sur les conditions préalables
à un environnement sûr en ligne a confirmé que des mesures de protection
appropriées sont essentielles, par exemple en imposant une vérification
de l’âge, en limitant les contacts éventuels avec des étrangers
et en assurant un contrôle parental tout en continuant cependant
d’encourager l’autonomisation numérique des enfants
.
Les conseils et les contrôles des parents ne sont pas suffisamment
efficaces pour constituer le principal mécanisme de protection, d’autant
que le danger provient des sites web eux-mêmes.
21. La première étape pour préserver les enfants en ligne tout
en protégeant le droit d’accès à l’internet est de mettre en place
des outils de vérification de l’âge. Ces outils, qui sont basés
sur la collecte massive de données à caractère personnel, ce qui
constitue déjà un problème en soi, se révèlent souvent très faciles
à contourner, par exemple en confirmant simplement un courrier électronique
reçu. Une étude montre qu’environ 44 % des enfants âgés de 11 à
18 ans ont menti sur leur âge en ligne
. Il existe cependant
des méthodes appropriées de vérification de l’âge.
22. Avant tout, je tiens à souligner qu’il est de la plus haute
importance d’informer et de sensibiliser les enfants, les parents,
les tuteurs légaux et le personnel éducatif aux bonnes pratiques
en matière de cybersécurité. Deuxièmement, il est clair que les
fournisseurs de sites web doivent être tenus responsables des contenus
qu’ils hébergent. Cette responsabilité est généralement déjà prévue
par la législation nationale et européenne, notamment l’obligation
pour les sites web de vérifier l’âge de leurs visiteurs lorsqu’ils fournissent
des contenus ou des produits spécifiques. Il existe une corrélation
entre l’obligation de vérifier l’âge en ligne et hors ligne et cette
obligation doit être appliquée et mise en œuvre efficacement dans
les deux cas. Il est nécessaire de renforcer les obligations légales
relatives à ces processus de vérification de l’âge en ligne, étant
donné que le monde numérique permet d’accéder à des contenus dangereux
et risqués depuis n’importe où dans le monde, sans que l’enfant
ne quitte l’endroit où il est censé être en sécurité, à savoir chez
lui.
23. Il existe plusieurs options sur la façon de mettre en place
un processus approprié de vérification de l’âge, par exemple par
une validation de carte de paiement, un système de vérification
hors ligne en achetant une «carte à gratter» dans un magasin ou
un supermarché pour obtenir un identifiant de connexion et un mot
de passe, une analyse des documents d’identité, ou l’utilisation
d’outils fournis par l’administration centrale pour vérifier l’identité
et l’âge
.
24. Le choix d’une méthode passe par l’application des trois critères
suivants: une vérification suffisamment fiable, une couverture complète
de la population et le respect de la protection des données, de
la vie privée et de la sécurité des personnes, en particulier la
confidentialité des informations et la réduction au minimum des échanges
de données.
25. Il est particulièrement important de protéger l’enfant de
toute exposition à la pornographie compte tenu de ses effets avérés
sur le comportement et le développement. Une méta-analyse de 2015
portant sur 22 études réalisées dans sept pays a révélé que la consommation
de pornographie était significativement associée à une augmentation
des agressions verbales et physiques
. Il existe également
un lien entre la consommation de pornographie et les troubles compulsifs
du comportement sexuel
. De plus, une corrélation entre
la pornographie et la violence sexuelle entre jeunes a été établie
. Les enfants
doivent être protégés des adultes mais aussi des autres enfants
dans ce domaine. La pornographie doit être considérée comme une question
de santé publique pour laquelle les États ont la responsabilité
de prendre des mesures appropriées, notamment en matière d’éducation
et de sensibilisation
. La norme minimale de protection
des enfants devrait être l’obligation de vérification de l’âge sur
les sites web, en particulier sur les sites fournissant des produits
et des contenus qui ne sont pas destinés aux enfants et qui entraîneraient
des obligations similaires dans le monde hors ligne.
26. Afin d’assurer la sécurité d’un espace en ligne, il conviendrait
de mettre en place des mesures pour faciliter le signalement des
contenus préjudiciables, pornographiques ou autres. Les fournisseurs
doivent en outre modérer eux-mêmes les contenus de manière proactive,
par exemple au moyen d’outils de détection ou d’unités spécialement
formées. En 2022, la base de données ICSE a identifié 4 693 sites
web contenant 121 276 liens vers des images de pornographie enfantine.
La prochaine version actualisée de cette base de données utilisera
les technologies les plus récentes ainsi que l’IA et sera donc encore
plus efficace. Pour accéder à cette base de données, les États ont
besoin d’unités nationales spécialisées. Or en Afrique et en Asie,
ces unités font cruellement défaut et huit États membres du Conseil
de l’Europe n’en ont pas encore créées
.
Afin de lutter efficacement contre l’exploitation sexuelle des enfants
en ligne, tous les États membres du Conseil de l’Europe devraient
adhérer à la base de données ICSE et des unités nationales spéciales devraient
être créées là où elles n’existent pas encore.
27. L’IA peut jouer un rôle essentiel dans la lutte pour la protection
des enfants en ligne. Elle offre un moyen rapide et automatique
de vérifier et de signaler les contenus potentiellement préjudiciables,
ainsi que des possibilités d’identifier les victimes et les auteurs.
Cependant, son utilisation comporte également des risques, liés
notamment au droit à la vie privée et au droit à la protection des
données à caractère personnel. Il s’agit d’un outil précieux pour
renforcer la protection des enfants en ligne, mais il doit être
utilisé dans un cadre juridique clair et complet. Ici aussi, il
est primordial d’associer les entreprises technologiques au processus d’élaboration
d’un tel cadre.
28. Le Conseil de l’Europe s’emploie actuellement à élaborer une
convention-cadre pour réglementer l’intelligence artificielle en
adoptant une approche transversale
. Ce cadre réglementaire est
fondé sur les normes du Conseil de l’Europe en matière de droits
humains, de démocratie et d’État de droit
. Les travaux doivent
également aborder de manière suffisamment détaillée le droit de
l’enfant à la protection lorsqu’il utilise l’internet. Le Comité
directeur pour les droits de l’enfant a identifié trois grands problèmes
qui subsistent à cet égard, à savoir l’absence de cadre juridique
prenant en considération les droits de l’enfant dans le contexte
de l’intelligence artificielle ainsi que la mise en œuvre insuffisante
des cadres juridiques existants; le fait que les systèmes d’intelligence
artificielle soient conçus sans tenir compte des besoins particuliers
des enfants ni des risques spécifiques auxquels ils font face; et
la nécessité de disposer d’éléments scientifiques plus solides concernant
les incidences de l’IA sur le développement de l’enfant
.
Le cadre juridique que le Conseil de l’Europe élabore actuellement
est un excellent moyen de combler ces lacunes en matière de protection
des enfants et j’invite instamment les personnes qui participent
à ce travail à garder cet aspect au premier plan.
29. En ce qui concerne la surveillance des communications, par
exemple, le «repérage» et le signalement des contenus préjudiciables,
il convient de veiller à ce que les droits de l’enfant ne soient
pas lésés. En effet, les gouvernements et les entreprises privées
peuvent collecter des données auprès des enfants pendant le processus
de signalement, et la disponibilité de ces données peut avoir des
conséquences néfastes pour les enfants lorsqu’ils deviennent adultes
. Il est donc essentiel que la surveillance
des communications ne soit utilisée que pour défendre le droit de
l’enfant à la protection lors de l’utilisation de l’internet, et
pour détecter et supprimer rapidement les contenus préjudiciables
dans les limites de la loi.
4. Le
cadre juridique
4.1. L’Organisation
des Nations Unies
30. Le cadre juridique relatif
à la protection des enfants sur internet est en construction permanente.
Il évolue rapidement par nécessité et s’adapte aux nouveaux défis.
Il repose toutefois essentiellement sur la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE) et ses protocoles
.
La Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant
(2022-2027) réaffirme que «La CIDE restera une référence pour toute
action menée par le Conseil de l’Europe dans ce domaine». Il convient
de toujours accorder une attention particulière aux quatre grands
principes énoncés à l’article 2 (non-discrimination), à l’article
3 (intérêt supérieur de l’enfant), à l’article 6 (droit de l’enfant
à la vie, à la survie et au développement) et à l’article 12 (droit
d’être entendu) de la CIDE.
31. L’Observation générale n° 25 du Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies fournit aux États et aux autres parties prenantes
concernées des orientations fondées sur des preuves et des principes
leur permettant d’interpréter la CIDE à l’ère numérique. Elle vise
à mieux faire connaître les risques auxquels les enfants sont confrontés
en ligne tout en indiquant aux pays et aux entreprises qu’ils sont
tenus de prendre des mesures pour y faire face. L’Observation générale
n° 25 s’adresse aux principales parties prenantes afin qu’elles reconnaissent
l’importance des droits de l’enfant dans les environnements numériques.
Elle réaffirme les principes fondateurs des droits de l’enfant,
notamment leur droit d’être protégés contre les abus, l’exploitation et
d’autres formes de violence sur l’internet. Elle recommande d’agir
plus vigoureusement et de renforcer les capacités institutionnelles
dans les situations de violence et d’abus à l’encontre des enfants,
et appelle à une plus grande responsabilité des États et du secteur
privé dans la mise en place, dès sa conception, d’un environnement
numérique sûr où l’enfant est protégé. Elle plaide également en
faveur d’une harmonisation internationale dans ce domaine, car les
menaces qui pèsent sur la sécurité des enfants en ligne dépassent
les frontières.
32. Plus précisément, l’Observation générale souligne que les
mesures doivent être adaptées aux enfants et à leur âge. Elle énonce
que les États doivent fournir une assistance appropriée aux parents
et aux personnes qui s’occupent des enfants «dans l’exercice de
leurs responsabilités éducatives». Il est nécessaire de mettre en
place des programmes qui sensibilisent aux risques et apportent
aux parents une culture numérique qui leur permette d’aider directement
les enfants à réaliser leurs propres droits en ligne, y compris la
protection
. Il conviendrait par ailleurs
de normaliser les sites web gouvernementaux qui informent les parents
des risques possibles et les sensibilisent aux mesures qui peuvent
être prises.
33. Je tiens à souligner que les violations des droits de l’enfant
dans un environnement numérique doivent être traitées spécifiquement
dans la législation nationale. Il est impératif que celle-ci tienne
compte des normes internationales en matière de droits humains et
de droits de l’enfant en ligne, et qu’elle s’accompagne d’une politique
et d’une stratégie globales et constamment mises à jour sur la manière
de réaliser ces droits. Il est recommandé aux États de désigner
un organisme gouvernemental chargé de cette tâche ainsi que de la collaboration
avec les écoles et le secteur technologique
.
34. L’accès à la justice pour les enfants ayant subi des préjudices
continue de poser un problème considérable. Cette situation est
principalement due à une absence de législation interdisant directement
les violations des droits de l’enfant dans le contexte de l’environnement
numérique
. Les États
membres devraient mettre en œuvre une législation spécifique. En
outre, les États devraient proposer aux services répressifs et aux
juges une formation spéciale sur les violations des droits de l’enfant
en ligne, afin de les doter des outils et des connaissances nécessaires.
La retraumatisation de l’enfant dans le cadre des poursuites judiciaires
est un problème particulier que les services répressifs et les juges
doivent garder à l’esprit et prévenir.
4.2. Le
Conseil de l’Europe
35. La Convention européenne des
droits de l’homme et ses Protocoles contribuent également à la protection
des droits de l’enfant, que ce soit en ligne ou non. L’article 8
de la Convention a été élargi afin d’inclure la protection des données
en ligne. L’article 10 s’applique aux formes d’expression en ligne
et les moyens de recevoir ou d’accéder à l’information. Le droit
à la liberté de réunion et d’association prévu à l’article 11 s’applique
également en ligne. D’autres questions ont été soulevées, notamment
le problème spécifique de la mauvaise connexion à l’internet qui
entrave l’accès à l’instruction en ligne (article 2 du Protocole
additionnel à la Convention (STE n° 9), Droit à l’instruction).
En tant que rapporteur, je ne souhaite pas inclure cette question
dans le champ de mon rapport, car elle n’est pas directement liée
à la protection des enfants lors de l’utilisation d’internet.
36. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
peut également être pertinente. Par exemple, dans l’affaire
K.U. c. Finlande ,
la Cour a constaté une violation de l’article 8 de la Convention
en raison de l’absence d’une base légale permettant aux autorités
d’obliger un fournisseur d’accès à internet à divulguer l’identité
d’une personne recherchée pour avoir placé une annonce indécente
concernant une personne mineure sur un site de rencontres. La législation
doit fournir le cadre permettant de concilier les différentes revendications
qui se disputent la protection dans ce contexte.
37. Le Conseil de l’Europe a élaboré d’autres instruments conventionnels
s’appliquant à la protection des enfants sur internet. En effet,
l’ensemble des droits de l’enfant qui s’appliquent hors ligne devraient
s’appliquer en ligne. Les droits couverts par les instruments suivants
sont donc particulièrement pertinents: la Charte sociale européenne
(révisée) (STE n° 163), la Convention sur la protection des enfants
contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201, «Convention
de Lanzarote»), la Convention sur la lutte contre la traite des êtres
humains (STCE n° 197) et la Convention sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE n° 210, «Convention d’Istanbul»). En outre, des problèmes spécifiques
liés à l’environnement numérique sont visés par d’autres conventions
du Conseil de l’Europe, par exemple la Convention sur la cybercriminalité
(STE n° 185, «Convention de Budapest») et son Protocole additionnel
relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe
commis par le biais de systèmes informatiques (STE n° 189) ou la
Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé
des données à caractère personnel (STE n° 108).
38. La Convention de Lanzarote revêt une importance particulière
en ce qui concerne le droit à la protection de l’enfant contre la
violence sexuelle lors de l’utilisation d’internet. Elle est également
ouverte à l’adhésion d’États non-membres du Conseil de l’Europe,
ce qui élargit son application et son impact sur la protection des enfants
. Cette convention est à ce jour
ratifiée par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe,
la Fédération de Russie et la Tunisie
. En vue d’assurer la
protection la plus large possible des enfants, au niveau mondial,
je pense que d’autres États devraient accéder à cette convention,
en premier lieu les États observateurs et les États dont les parlements
bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie
auprès de l’Assemblée. Dans le même ordre d’idée, il me semble important
de promouvoir la signature ou l’adhésion à la Convention de Budapest
qui prévoit que tous les comportements
se rapportant à la pornographie enfantine doivent être érigés en
infractions pénales.
39. La Convention de Lanzarote vise à fournir un cadre pour une
collaboration pluridisciplinaire et interinstitutionnelle adaptée
aux enfants, y compris la coordination (article 10), les auditions
de l’enfant (article 35), les mesures de protection et l’assistance
aux victimes (articles 11, 14 et 31). Il est internationalement
reconnu que cette collaboration pluridisciplinaire et interinstitutionnelle
est importante pour les enfants victimes et témoins de violences
. Les directives de l’Union européenne
sur les droits des victimes (Directive 2012/29/UE du Parlement européen
et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales
concernant les droits, le soutien et la protection des victimes
de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du
Conseil) et sur les abus sexuels commis sur des enfants (Directive
2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011
relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle
des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre
2004/68/JAI du Conseil) promeuvent les mêmes normes auprès des États
membres de l’Union européenne.
40. Le projet conjoint
Barnahus de
l’Union européenne et du Conseil de l’Europe tient compte de cette
idée de créer un environnement sûr pour les enfants, en réunissant
tous les services concernés afin de fournir une réponse coordonnée
et efficace et de prévenir la retraumatisation de l’enfant pendant
l’enquête et les procédures judiciaires
.
Je pense qu’il serait utile d’examiner la manière de fournir une
telle réponse aux enfants victimes d’abus en ligne.
41. Le Comité de Lanzarote surveille la mise en œuvre de la Convention
par les États parties. Le deuxième cycle de suivi de la mise en
œuvre de la Convention de Lanzarote porte sur la protection des
enfants contre l’exploitation et les abus sexuels facilités par
les technologies de l’information et de la communication (TIC) et met
l’accent sur les défis soulevés par les images et/ou vidéos à caractère
sexuel autogénérées par les enfants. Le rapport de mise en œuvre,
adopté le 10 mars 2022, contient plusieurs recommandations. Il met notamment
l’accent sur la nécessité de clarifier la législation pour assurer
une couverture complète des abus commis sur les enfants. Le Comité
de Lanzarote encourage par ailleurs les États parties à introduire,
dans leur cadre juridique, des références explicites aux comportements
impliquant la diffusion d’images et/ou de vidéos sexuelles autogénérées
par des enfants ou à envisager d’incriminer le délit de sollicitation
à caractère sexuel, même lorsqu’il ne donne pas lieu à une rencontre
physique ni à la production de matériel représentant des abus sexuels
sur des enfants
. L’Allemagne, la Croatie, Chypre,
et la Suède mentionnent explicitement le matériel sexuel produit
par les enfants eux-mêmes dans leur cadre juridique national.
42. Il existe des exemples de pratiques prometteuses concernant
les campagnes de sensibilisation à la violence sexuelle et aux risques
auxquels les enfants peuvent être confrontés en ligne, notamment
la campagne albanaise #Openyoureyes, qui a utilisé une combinaison
de canaux de messages visuels pour renforcer l’impact de la sensibilisation,
ainsi que le projet SeguraNet au Portugal, qui a permis de créer,
entre autres mesures, un concours annuel pour les étudiants, les
parents et les enseignants sur les questions de sécurité numérique,
y compris le sexting et la cyberprédation
.
43. Tous les États parties ont mis en place des mécanismes de
signalement des abus commis sur les enfants. Cependant, les États
doivent veiller à ce que tous les mécanismes existants facilitent
l’accès des enfants victimes à l’aide et à l’accompagnement. Par
exemple, le centre national irlandais de lutte contre le contenu
illégal a élargi son offre «Hotline.ie» en y ajoutant un nouveau
service de signalement pour aider les jeunes dont les images et
vidéos intimes ont été partagées en ligne sans leur consentement
.
44. Par ailleurs, deux campagnes de prévention menées par l’Internet
Watch Foundation au Royaume‑Uni constituent un exemple de bonne
pratique. La campagne «Gurls out loud» aide les jeunes filles âgées
de 11 à 13 ans à reconnaître les actes commis par des agresseurs
et leur donne les moyens de bloquer et de signaler ces actes et
d’en informer une personne de confiance
. «T.A.L.K.» est une autre campagne
visant à sensibiliser les parents aux risques encourus et à leur
apprendre à protéger leurs enfants en ligne
.
45. La coopération est un autre facteur important pour protéger
les droits de l’enfant en ligne. L’article 38 de la Convention de
Lanzarote définit les principes généraux et mesures de coopération
internationale. Tout État partie peut demander une assistance pour
mettre en place des activités concernant la mise en œuvre des normes
du Conseil de l’Europe. Par exemple, l’initiative WeProtect Global
Alliance, dont l’objectif est de mettre fin à l’exploitation et
aux abus sexuels des enfants en ligne, est le résultat d’une collaboration
entre 40 États européens
. D’autres pays devraient prendre
des mesures similaires. La coopération est essentielle pour protéger
les droits de l’enfant sur internet. Je me félicite à cet égard
que le Conseil de l’Europe ait rejoint, en novembre 2023, WeProtect
Global Alliance, une coalition qui rassemble des gouvernements,
des organisations de la société civile, des entreprises et des organisations
internationales engagés dans la lutte contre l’exploitation et les
abus sexuels concernant des enfants
.
46. S’agissant du Conseil de l’Europe, les lignes directrices
et les stratégies adoptées par le Comité des Ministres jouent un
rôle central dans la mise à jour des principaux instruments juridiques
de l’Organisation afin de prendre en compte les nouveaux développements
et défis liés à internet. Il convient d’accorder une attention particulière
à la Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant
(2022-2027) qui a consacré son objectif stratégique n° 3 à la mise
en place de «l’accès aux technologies et leur utilisation sûre pour
tous les enfants», ainsi qu’aux Lignes directrices 2018 du Conseil
de l’Europe relatives au respect, à la protection et à la réalisation
des droits de l’enfant dans l’environnement numérique. L’objectif
stratégique n° 3, entre autres, prône une sensibilisation à l’utilisation
abusive et sexiste des médias sociaux et aux menaces en ligne pour
les enfants, en garantissant que le signalement, les enquêtes et
les poursuites en cas d’abus d’enfants en ligne seront rapides,
efficaces et appropriés, en apportant un soutien aux parents, aux
familles, aux enseignants, aux bénévoles et aux enfants afin de
les prévenir ainsi qu’en les éduquant et les aidant.
47. En outre, en ce qui concerne l’innovation, les entreprises
commerciales et industrielles sont invitées à assumer leurs responsabilités
envers les enfants, notamment en procédant à des études d’impact
sur les enfants et en impliquant les enfants à la conception des
services et produits numériques. Les risques posés par les technologies
de l’intelligence artificielle et les avantages qui en découlent
devraient également être analysés
.
4.3. L’Union
européenne
48. Il convient également de noter
que l’Union européenne mène actuellement des travaux visant à mettre à
jour son cadre juridique relatif à la protection des enfants sur
internet. Actuellement, le principal instrument de l’Union européenne
traitant de ce sujet est la Directive 2011/93/UE relative à la lutte
contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants,
ainsi que la pédopornographie, dont l’article 25(1) traite de la pédopornographie
en ligne. Concernant le traitement des données, le Règlement (UE)
2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard
du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation
de ces données est applicable.
49. En mai 2022, la Commission européenne a adopté une nouvelle
stratégie européenne pour un meilleur internet pour les enfants
(BIK+)
. Les évolutions récentes du cadre
juridique pertinent fourni par l’Union européenne incluent un accord
provisoire pour l’application de règles temporaires visant à détecter
et à éradiquer la cyberpédocriminalité. Cet accord temporaire, en
vigueur pendant trois ans à compter de sa date de publication au
Journal officiel
, prévoit une dérogation à
la confidentialité des communications afin de détecter la sollicitation
sexuelle. Il a servi de base aux dernières propositions établissant
des règles pour prévenir et combattre les abus sexuels sur les enfants,
ainsi qu’à la législation sur les services numériques. Le 7 février
2024, le Parlement européen a autorisé l’ouverture de négociations
avec le Conseil de l’Union européenne pour une extension de cette
dérogation aux règles en matière de protection des données.
50. En mars 2023, l’Union européenne a confirmé qu’elle adopterait
une nouvelle législation pour lutter contre les abus sexuels commis
sur des enfants en ligne. Le cadre défini par l’Union européenne
peut être considéré comme un exemple de la manière dont la législation
nationale peut être améliorée. Le principal mécanisme sera basé
sur un système obligatoire de détection, de signalement et de suppression.
Son objectif principal est non seulement de protéger les enfants
mais aussi de soutenir les victimes et de sauver des vies.
51. Les entreprises technologiques seront tenues de suivre des
procédures juridiques strictes si le risque d’abus sexuel d’enfants
sur leur site web est suffisamment élevé. La première étape est
une évaluation du risque que l’entreprise technologique doit soumettre
à l’autorité de coordination. Si cette évaluation montre que le
risque est suffisamment élevé, l’autorité de coordination rédige
une requête aux fins de détection. Dès lors, l’entreprise est tenue
d’introduire des mesures de détection tout en respectant la vie
privée de l’utilisateur dans toute la mesure du possible.
52. Deuxièmement, l’entreprise technologique concernée doit réaliser
une analyse d’impact sur la protection des données, qui sera examinée
par l’autorité nationale de protection des données et une autorité
compétente. Enfin, une autorité judiciaire statuera sur la requête
aux fins de détection en mettant en balance la nécessité de la requête
et l’efficacité des garanties permettant de limiter le caractère
invasif des mesures. Si le matériel abusif est détecté, les signalements
à ce sujet seront vérifiés par un nouveau centre de l’Union européenne et,
s’ils sont confirmés, communiqués à la police.
53. La suppression des contenus abusifs est généralement un processus
de longue durée qui relevait jusqu’à présent de la décision de l’entreprise
technologique. Avec la nouvelle loi, la nature des contenus qui doivent
être supprimés dans les 24 heures suivant une décision judiciaire
de suppression est désormais prédéterminée
. Cette disposition est un pas énorme
dans la bonne direction. En effet, la clarté juridique est essentielle
pour lutter efficacement contre les violations des droits de l’enfant
en ligne. Ce sujet ne peut pas être laissé aux entreprises technologiques
et devrait être réglementé par la loi.
54. Le Règlement (UE) sur les marchés numériques (entré en vigueur
le 1er novembre 2022) et le Règlement
(UE) sur les services numériques (pleinement entré en application
le 17 février 2024) ont vocation à s’appliquer en l’espèce. Le Règlement
sur les services numériques prévoit un mécanisme de «repérage» pour
signaler des contenus inappropriés et met en place des mesures d’atténuation
telles que la vérification de l’âge.
5. Conclusions
55. Je suis convaincu que l’objectif
que nous voulons atteindre est commun à tous les États membres,
à savoir la protection efficace des enfants en ligne. Comme je l’ai
indiqué, toutes les parties prenantes, y compris, mais sans s’y
limiter, les États, le secteur technologique, les parents et les
enfants, doivent travailler ensemble et participer à l’élaboration
de mesures et de politiques visant à atteindre cet objectif. Seule
cette approche globale permettra de créer l’environnement le plus
sûr et le plus respectueux.
56. La sécurité intégrale ne peut pas être obtenue du jour au
lendemain et la situation continuera d’évoluer en fonction des progrès
de la technologie. Notre objectif doit être de passer d’un continuum
de violence en ligne à un continuum de protection, en veillant à
ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit sauvegardé à tout moment.
Il est important de garder à l’esprit que de nouveaux défis concernant
le droit de l’enfant à la protection lors de l’utilisation de l’internet
continueront à se poser au fur et à mesure que les nouvelles technologies
se développeront. Les obligations et les mesures actuelles et futures
doivent donc être systématiquement réexaminées et, le cas échéant,
adaptées.
57. Le point de départ de ce processus est la révision de la législation
nationale et sa mise à jour, le cas échéant, conformément à tous
les aspects des normes relatives aux droits humains, en particulier
aux droits de l’enfant. Ce processus comprendra l’introduction d’obligations
juridiquement contraignantes dans le secteur technologique en faveur
de la protection des enfants sur les sites web, y compris la vérification
de l’âge comme norme minimale. Parallèlement aux mesures législatives,
les États devraient mettre l’accent sur des campagnes de sensibilisation
et d’information visant à développer la culture et l’empouvoirement
numériques des enfants en ligne en général. Ces campagnes doivent
toucher tous les groupes concernés, notamment les parents, les personnes
qui s’occupent des enfants, les enseignants, le personnel chargé
de l’application de la loi et, bien sûr, les enfants. L’objectif
devrait être également de mettre en place des systèmes de soutien adaptés
aux enfants. Dans toutes les mesures prises, la technologie la plus
avancée, y compris l’intelligence artificielle, peut être considérée
comme une alliée pour obtenir les meilleurs résultats en matière
de prévention, de détection et de suppression des contenus préjudiciables.
58. L’utilisation des ressources en ligne par les enfants continuera
sans aucun doute d’augmenter de manière exponentielle, même à partir
d’âges plus précoces, et les technologies mises à leur disposition
se développeront également. Le Conseil de l’Europe devrait jouer
un rôle de premier plan en veillant à ce que les États membres soient
prêts à prévenir les préjudices causés aux enfants par ces évolutions,
en mettant à profit son expertise en matière de droits de l’enfant
et de droits humains en général ainsi que ses travaux actuels sur les
cadres juridiques relatifs à la technologie.
59. Je propose donc que l’Assemblée demande aux États membres
du Conseil de l’Europe:
- de prendre
les mesures nécessaires pour réviser et mettre à jour leur législation
nationale en ce qui concerne les normes relatives aux droits humains
afin d’améliorer encore davantage la protection des enfants en ligne;
- de collaborer non seulement avec
les autres États membres au sujet de la protection de l’enfant en ligne,
mais aussi avec toutes les parties prenantes concernées, en particulier
le secteur de la technologie, et de créer des systèmes de soutien
adaptés aux enfants;
- de tenir compte des nouvelles formes de violence en
ligne, y compris les deepfakes préjudiciables.
60. L’Assemblée devrait également recommander au Comité des Ministres
d’inclure la question de la violence en ligne à l’égard des enfants
dans ses travaux et que les organes compétents, y inclus le Comité
de Lanzarote, mettent l’accent sur la prévention des abus et la
protection des enfants dans le monde en ligne, y compris face aux
nouvelles formes de violence. Ce faisant, le Comité des Ministres
devrait également renforcer sa coopération avec l’industrie technologique.