1. Introduction
1. La commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable a déposé une proposition
de résolution «Réaliser le droit humain à un environnement sûr,
propre, sain et durable grâce au processus de Reykjavík». La proposition
a été renvoyée à la commission le 23 juin 2023 pour rapport et j'ai
été désigné rapporteur le 19 septembre 2023.
2. Entre 2021 et 2022, le Conseil des droits de l’homme et l’Assemblée
générale des Nations Unies ont adopté des résolutions reconnaissant
explicitement le «droit à un environnement propre, sain et durable». Cette
reconnaissance s’aligne sur l’évolution des instruments régionaux
des droits humains qui consacrent déjà ce droit
. Dans le sillage de ces évolutions,
le Conseil de l’Europe fait figure d’exception: il est le seul système
régional des droits humains qui n’a pas encore formellement reconnu
ce droit. Il n’est donc pas surprenant que lors du 4e Sommet
du Conseil de l’Europe (tenu les 16 et 17 mai 2023 à Reykjavík),
les chefs d’États et de gouvernements ont reconnu «l’urgence d’efforts
supplémentaires pour protéger l’environnement, ainsi que pour lutter
contre l’impact de la triple crise planétaire engendrée par la pollution,
le changement climatique et la perte de biodiversité, sur les droits
de l’homme, la démocratie et l’État de droit». L’Assemblée parlementaire
ne peut que s’en réjouir.
3. A la suite de la Déclaration de Reykjavík, en janvier 2024,
la Secrétaire générale a créé, au sein de la Direction générale
droits humains et État de droit, une nouvelle direction dédiée aux
droits sociaux, à la santé et à l’environnement et en particulier
au suivi du processus de Reykjavík et l’environnement. C’est ainsi
qu’a été créé un groupe de travail inter-secrétariat sur l’environnement,
dont la première tâche a été de faire le point sur les activités
existantes, les activités prévues et les propositions de nouvelles
activités. Il a également proposé des éléments pour l’élaboration
d’une première stratégie du Conseil de l’Europe en matière d’environnement.
4. Lors de leur 1498e réunion en mai 2024, les Délégués des Ministres
feront suite aux propositions du groupe de travail. Quelques semaines
après, en juin 2024, le Comité directeur pour les droits humains
(CDDH), devra en principe soumettre au Comité des Ministres ses
conclusions sur la nécessité et la faisabilité d’un ou de plusieurs
instruments sur les droits humains et l’environnement à la suite
des travaux du Groupe de rédaction sur les droits humains et l’environnement
(CDDH-ENV). En fin d’année, ce sera au tour du Comité d'experts
sur la protection de l'environnement par le droit pénal (PC-ENV)
de transmettre le résultat de ses travaux sur la rédaction d’une
nouvelle convention sur ce sujet.
5. Le présent rapport s’inscrit dans la continuité de mon rapport
«Ancrer le droit à un environnement sain : la nécessité d’une action
renforcée du Conseil de l’Europe» et de la résolution et la recommandation
y afférentes, adoptées à l’unanimité
.
A bientôt un an après le 4e Sommet, il
entend mettre à jour et affiner la position de l’Assemblée au regard
des avancées et des points d’achoppement, politiques et juridiques,
mis en lumière depuis 2021. Cet exercice ambitionne de présenter,
sur cette base, une feuille de priorités concrètes et à la hauteur
des enjeux. De cette manière, l’Assemblée pourra actualiser ses
attentes à un moment stratégique, celui du tout début de la mise
en œuvre des engagements pris à Reykjavík en vue de réaliser le droit
humain à un environnement sûr, propre, sain et durable.
6. Si des crises sanitaire, économique ou géopolitique ont pu
prendre récemment le devant de la scène et ont éclipsé l'attention
qui était accordée, en 2021, au défi du changement climatique, celui-ci
est sans aucun doute l’urgence existentielle majeure de l’humanité
et nécessite une action immédiate et concertée.
2. Trois avancées majeures en guise de
postulats
2.1. Vers
un rôle moteur du Conseil de l’Europe
7. Selon le rapporteur spécial
des Nations Unies sur la question des obligations relatives aux
droits de l'homme se rapportant aux moyens de bénéficier d'un environnement
sûr, propre, sain et durable, en 2019, plus de 80 % des États membres
des Nations unies (156 sur 193) reconnaissaient une forme ou une
autre du droit à un environnement sain dans leur législation nationale
. La nature, le
contenu et les implications du droit à un environnement sain sont
largement documentés depuis des décennies et ont fait l’objet d’une
foule de productions scientifiques, normatives et judiciaires.
8. Sur le continent européen, certains États ont adopté des lois
spécifiques, d’autres systèmes ont déjà intégré une vision éco-centrée
quand d’aucun ont seulement codifié la protection de l'environnement
en tant que principe ou objectif constitutionnel
. La qualification,
la portée, le contenu et la justiciabilité du droit varient donc
considérablement d’un État à l’autre. À cela s’ajoute, à des degrés
variant notamment selon le niveau d’appartenance aux traités en
matière d’environnement, la jurisprudence des cours et tribunaux
nationaux qui contribue, directement ou indirectement, à façonner
le droit à un environnement sain au niveau national
. En effet, dans
la plupart des États qui reconnaissent le droit à un environnement
sain dans leur législation nationale, ce droit est justiciable devant
les juridictions administratives ou constitutionnelles.
9. Ainsi, la réflexion sur la nature, le contenu et les implications
du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable est en
cours et des réponses sont trouvées au niveau national. Le processus
d’ancrage à ce niveau est en marche et ne s’arrêtera pas. Dans sa
Recommandation CM/Rec(2022)20 sur les droits de l'homme et la protection
de l'environnement, le Comité des Ministres a encouragé les États
membres à poursuivre dans ce sens et d’envisager le droit à environnement
sain comme un droit humain important pour la jouissance des autres
droits humains, objectif que la Déclaration de Reykjavík a traduit
en engagement à envisager activement de reconnaître le droit à
un environnement propre, sain et durable au niveau national comme
un droit humain à part entière.
10. La circonstance que cette reconnaissance n’est pas le fruit
d’une compréhension commune ou universelle du contenu substantiel
du droit à un environnement sain au sein des droits nationaux des
États membres du Conseil de l'Europe ne saurait constituer un frein
au progrès. C’est un fait évolutif et volatil tant les changements
sont rapides, ainsi qu’en atteste la foison de procédures contentieuses
pendantes devant les juridictions des États membres du Conseil de
l’Europe. L’absence de compréhension commune n’a d’ailleurs jamais
empêché la Cour européenne des droits de l’homme de développer progressivement
sa jurisprudence ni en matière environnementale ni autrement.
11. Pour autant, il m’a semblé, que certains États membres se
retranchaient derrière cette absence de compréhension commune ou
universelle pour mettre les travaux du Conseil de l’Europe dans
ce domaine à distance voire leur nier légitimité et valeur ajoutée
en matière environnementale. Au final, il importe peu qu’il n’y
ait pas de compréhension commune. Il n’est pas question pour le
Conseil de l’Europe de se substituer aux législateurs ni aux gouvernements
mais de leur donner un standard minimum.
12. L’absence de compréhension commune plaide au contraire pour
affirmer que le moment est venu pour les États membres de définir
le contenu du droit et sa fonction dans le contexte européen. Il
s’agit de leur permettre de clarifier leur compréhension dans une
direction commune tout en leur laissant une marge d’appréciation
pour décider des moyens utilisés pour remplir leurs obligations.
Au-delà de la nécessité politique pour le Conseil de l’Europe, une
telle définition aurait l’avantage d’orienter les législations nationales
et contribuerait grandement à la sécurité juridique. Elle permettrait
également aux États membres du Conseil de l’Europe d'influencer
d’éventuels développements ultérieurs liés au droit à un environnement
sain au niveau international.
2.2. Vers
une formalisation juridiquement contraignante
13. L’Assemblée peut se féliciter
que le CDDH-ENV se soit concentré sur la nécessité et la faisabilité
d’un ou plusieurs instruments établissant une reconnaissance juridique
d’un droit à un environnement sain au sein du Conseil de l’Europe.
L’Assemblée espère que, dans le cadre du suivi de ces travaux, le
Comité des Ministres ira au-delà de la simple reconnaissance politique
du droit à un environnement sain envisagée par la Déclaration de
Reykjavík. La reconnaissance politique est acquise au moins depuis
l’impulsion politique donnée par la présidence géorgienne avec la
Conférence de haut niveau de 2020 sur «Protection environnementale
et droits de l’homme», dont le relais a été pris par les présidences
qui ont suivi
et, plus récemment, par la Recommandation
CM/Rec(2022)20 et par la présidence islandaise du Comité des Ministres
, et bien sûr la Déclaration de
Reykjavík elle-même.
14. Nous partons donc du postulat que la nécessité de reconnaître
un droit autonome à un environnement sain ne fera plus l’objet de
doute sur le plan politique après le Sommet de Reykjavík. Une régression
ne serait pas crédible.
15. L’enjeu post-Reykjavík réside dans la formalisation de ce
droit sur le plan juridique. Il s’agit là assurément d’un casse-tête
que le CDDH-ENV a tenté de démêler aux termes de trois ans de travaux
afin que le Comité des Ministres puisse prendre position de manière
éclairée.
16. J’entends souvent dire que les travaux de l’Assemblée de 2021
qui sont au centre des travaux du CDDH-ENV se sont concentrés sur
l’ajout d’un protocole à la Convention européenne des droits de
l’homme (STE n° 5). C’est en partie vrai. Nous avions en effet fait
l’effort en amont de rédiger un projet de protocole afin de démontrer
que cette tâche ne relevait pas de l’impossible sur le plan juridique
et sémantique
. Cela étant, cette
proposition n’était pas exclusive et venait en complément d’autres
options que l’Assemblée recommandait d’examiner en combinaison les
unes aux autres.
17. Nous proposions en effet de compléter l’autre traité phare
du Conseil de l’Europe protégeant les droits humains (la Charte
sociale européenne (révisée) (STE n° 163) par la reconnaissance
explicite du droit à un environnement sain, sûr, propre et durable
par le biais d’un protocole additionnel; de réfléchir à l’élaboration d’une
convention autonome et globale combinant des dispositions dites
«5 Ps» de Prévention, Poursuite des atteintes au droit à un environnement
sûr, propre, sain et durable et Protection des victimes, afin que
les États contractants adoptent des «Politiques intégrées» efficaces
et Pérennes, en y incluant un mécanisme supranational de contrôle
sur le modèle des comités d'experts indépendants; et de réviser
la Recommandation CM/Rec(2016)3 sur les droits de l’homme et les
entreprises.
18. Le cœur de la campagne et la position de l’Assemblée étaient
donc de se diriger
a minima vers l’élaboration
d’un instrument juridiquement contraignant du Conseil de l’Europe
pour garantir le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable
.
Ceci devrait être toujours la position de l’Assemblée trois ans après.
19. Cette position est d’autant plus vraie qu’entre-temps, les
États membres du Conseil de l'Europe ont tous voté, le 26 juillet
2022, en faveur de la reconnaissance de ce droit dans un instrument
juridique non contraignant, à savoir la Résolution 76/300 de l’Assemblée
générale des Nations unies
, ligne que la Déclaration de
Reykjavík propose de maintenir (annexe V, point i). Je n’aperçois
aucun intérêt, sauf purement symbolique, de réécrire sous une forme
non-contraignante le contenu de cette résolution dans le cadre du Conseil
de l'Europe.
2.3. Vers
la reconnaissance d’un droit autonome à un environnement sain
20. Les efforts de notre Assemblée
de reconnaître un droit autonome à un environnement sûr, propre,
sain et durable remontent à 1999 et ont connu un nouvel élan en
2021 avec la
Résolution
2396 (2021) et la Recommandation 2211(2021) «Ancrer le droit à un
environnement sain: la nécessité d’une action renforcée du Conseil
de l’Europe»
.
21. Par la reconnaissance d’un droit autonome, on entend une reconnaissance
qui va-au-delà d’un «verdissement des droits humains» contenus dans
la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte sociale
européenne (révisée) rendu nécessaire par les conséquences de la
dégradation de l’environnement et du climat sur le respect de droits
fondamentaux. Je ne m’attarderai donc pas sur l’intégration progressive
de la protection de l’environnement dans la jurisprudence de la
Cour au titre du non-respect du droit à la vie (article 2) dans
les cas les plus sérieux, ou du droit à la vie privée (article 8)
en cas d’«atteintes graves» ayant un impact négatif sur le bien-être
ou la santé des citoyens, ni sur la jurisprudence du Comité européen
des Droits sociaux (CEDS) dans son travail d’interprétation du droit
à la protection de la santé (article 11). Quelle que soit la richesse
de ces enseignements, il s’agit d’une approche indirecte et fragmentée
bien en deçà des enjeux réels et actuels. La Cour le résume parfaitement:
l’élément crucial qui permet de déterminer si, dans les circonstances
d’une affaire portée devant elle, des atteintes à l’environnement
ont emporté violation de l’un des droits de la Convention est l’existence
d’un effet néfaste sur la sphère privée ou familiale (ou la vie
ou la santé d’une personne), et non simplement la dégradation générale de
l’environnement
.
De même, si le CEDS a pu décider qu’un État partie n’était pas en
conformité avec la Charte au titre du «droit à un environnement
sain», c’est en raison de la carence des mesures prises pour protéger
la santé et la sécurité des personnes concernées
ou
pour garantir l’accès à un logement d’un niveau suffisant
.
22. L’issue des affaires climatiques pendantes devant la Cour
européenne des droits de l’homme ne devrait pas, de ce point de
vue, changer fondamentalement la donne
. Tout au mieux,
ces affaires sont un test pour déterminer si le système de la Convention,
tel qu’il est actuellement conçu, est adapté pour lutter contre
les violations par ricochet résultant des dommages associés au changement
climatique
. En outre, à supposer que
la Cour examine le fond des affaires, il est difficilement concevable
qu’un «verdissement» plus prononcé des droits humains soit politiquement
souhaitable au risque de mettre la Cour en capacité d’imposer des
choix économiques et politiques en matière environnementale aux
gouvernements. J’insiste sur ce point en écho à l’argument utilisé
de longue date par le Comité des Ministres pour s’opposer aux demandes
de l’Assemblée en vue de la reconnaissance du droit autonome à un
environnement sain, dernièrement dans sa réponse à la
Recommandation 2211 (2021) . Pour l’Assemblée, seule une action
des gouvernements en vue de reconnaître ce droit est essentielle
et permettra au Conseil de l’Europe de rester légitime au 21e siècle.
23. La campagne précitée de l’Assemblée a été le point de départ
du débat en cours sur la reconnaissance du droit à un environnement
sain au sein du Conseil de l’Europe. Lors de sa réunion finale (19-21
mars 2024), le CDDH-ENV, mandaté à cet effet par le CDDH, a achevé
d’évaluer les options mises sur la table par l’Assemblée et la société
civile. L’approche choisie s’est voulue globale dans le sens où
les options ont été examinées isolément et en combinaison les unes
aux autres en vue de mettre en lumière de quelle manière chaque
option ou combinaison d’options permet de remédier aux lacunes de
l’autre.
3. Le
principe de réalité pour ouvrir la voie après Reykjavík
3.1. Puisse
la fin ne pas compromettre les moyens
24. Les décisions finales en matière
de suivi des orientations du Sommet de Reykjavík sur l’environnement appartiennent
aux gouvernements, représentés au Conseil de l’Europe par les Ministres
et leurs Délégués. Le rôle de l’Assemblée à ce stade est de faire
part de son avis sur les orientations minimales nécessaires pour tirer
un profit maximum des initiatives en cours et pour définir les contours
de la Stratégie.
25. Il s’agit de se donner une finalité claire. À ce titre, l’Assemblée
devrait encourager les décideurs, après avoir confirmé «politiquement
parlant» que le processus de Reykjavík était officiellement lancé,
à ne pas reculer en deçà des postulats que le présent rapport a
rappelés ci-dessus et à concentrer une partie de la Stratégie à
l’élaboration d’un instrument juridique contraignant reconnaissant
un droit autonome à un environnement sain au sein du Conseil de
l’Europe.
26. Il est ensuite crucial que les moyens déployés dans le cadre
de la stratégie reposent sur des standards élevés en termes de redevabilité:
transparence, éthique, accessibilité, responsabilité, efficacité
et fiabilité doivent transcender toutes les actions qui seront déployées.
La stratégie post-Reykjavík en matière d’environnement sera mise
en œuvre par et pour les jeunes générations et devra être portée
par la société civile. La barre doit donc résolument être tournée
vers l’avenir et être mise haut car le Conseil de l’Europe engage
sa responsabilité pour des décennies.
3.2. Une
approche par les droits humains, mais pas que
27. Quelle approche? Il faut à
l’évidence continuer à privilégier l’approche par les droits humains
qui remonte à la Conférence de Stockholm de 1972 et qui a été rappelée
avec force par la Déclaration de Reykjavík. On ne saurait en effet
assez rappeler qu’elle proclame un «ordre public» lié à l’éthique
et à la dignité humaine auxquels l’environnement est intimement
lié.
28. Sans abandonner l’approche que l’Assemblée prône depuis des
décennies (voir
supra), il
semble de plus en plus évident, avec la vitesse à laquelle les enjeux
environnementaux grandissent et s’intensifient, qu’il existe une
nouvelle réalité: le droit à un environnement sain est unique, il
«est à la fois, un droit de l’Homme et un droit au-delà de l’Homme»
,
il concerne un bien commun à l’Humanité et a pour titulaire les
générations présentes et les générations futures. Dans cette perspective,
les traités classiques du Conseil de l’Europe en matière de droits
humains pourraient en réalité s’avérer trop étroits et mal adaptés
pour garantir les droits humains environnementaux de façon efficace
car ils ne sauront éviter de proposer des solutions ponctuelles à
une échelle (quasi)individuelle à des problèmes globaux
.
29. Il apparaît donc inéluctable de s’interroger dans le cadre
de l’élaboration des futures normes sur le caractère anthropocentrique
du droit à un environnement sain et de repenser l’approche par les
droits individuels dans le cadre d’une convention autonome. Une
telle approche permettrait en outre au processus normatif en matière
environnementale d’avancer malgré la première priorité actuelle
du système de la Convention à savoir l’adhésion, désormais acquise,
de l’Union européenne qui risque de mobiliser les énergies pour
de longues années.
3.3. Un
format inclusif riche de l’écosystème conventionnel
30. L’expérience du Conseil de
l’Europe dans la protection de l'environnement va au-delà des droits humains
et couvre la gestion écologique des paysages, la protection de la
vie sauvage, la santé publique et la foule de besoins procéduraux
pour faire progresser la cause environnementale. Le préambule de
l’annexe V de la Déclaration de Reykjavík reconnaît cette légitimité.
31. De fait, la richesse de la production normative du Conseil
de l’Europe par le biais de normes obligatoires est incontestable.
La Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du
milieu naturel de l'Europe (1979, STE n° 104, «Convention de Berne»)
est un instrument international unique. La Convention sur le paysage
(2000, STE n° 176, Convention de Florence), initiée par le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux, envisage le paysage dans toutes
ses dimensions. Sur le plan procédural, la contribution du Conseil
de l’Europe est également très développée. La Convention sur l'accès
aux documents publics (2009, STCE n° 205, Convention de Tromsø)
concerne l'accès à l'information, l'accès à la participation du
public aux processus décisionnels et l'accès à la justice notamment
en matière d'environnement. La Convention sur la responsabilité civile
des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement
(1993, STE n° 150, Convention de Lugano)
ouvre le
locus standi aux associations et
fondations en charge de la protection de l’environnement, admet
le principe du pollueur-payeur et reconnaît le dommage écologique
pur. La Convention sur la protection de l’environnement par le droit
pénal (1998, STE n° 172)
, en cours de remplacement,
était le premier instrument international rendant obligatoire la
criminalisation des comportements attentatoires à l’environnement.
32. Cette richesse représente une opportunité à saisir pour appréhender
le droit à l’environnement dans toutes ses composantes et mettre
au point un instrument autonome, spécifique et inclusif des droits substantiels
et du volet procédural. Elle encourage donc à capitaliser au maximum
sur les normes déjà élaborées.
33. Cela permettra aux États membres de rationaliser les engagements
déjà pris, sans perdre de vue la mise en chantier de nouveaux engagements
là où ils s’avèrent indispensables pour le respect effectif de la
vie sur terre. On songe en priorité aux travaux normatifs sur la
responsabilité des acteurs du secteur privé. Les codifications ne
manquent pas. Tant les principes directeurs des Nations Unies relatifs
aux entreprises et aux droits de l'homme
, la Recommandation CM/Rec(2016)3
sur les droits de l'homme et les entreprises et les Principes directeurs
de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques
(OCDE) à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite
responsable des entreprises
, pourront faire gagner du temps au niveau
du Conseil de l’Europe pour élaborer et amplifier des normes en
matière de conduite responsable des entreprises. Nous attendons
également les résultats imminents des travaux du groupe de rédaction
ad hoc du Comité permanent de la
Convention de Berne entamés en 2022 en vue de renforcer et d’assurer
la durabilité de son système de financement
.
34. Dans cette veine, nous pouvons soutenir pleinement le mandat
du PC-ENV chargé en 2022 par le Comité des Ministres de rédiger
une nouvelle convention sur la protection de l'environnement par
le droit pénal. Sur certains aspects, la convention initiale de
1998 devait être précisée et actualisée. Il ne faudrait pas freiner cet
élan dans l’attente de l’adoption formelle de la Directive de l’Union
européenne relative à la protection de l'environnement par le droit
pénal destinée à remplacer la Directive 2008/99/CE
.
Me référant à la
Résolution 2477
(2023) et à la
Recommandation
2246 (2023) «Impact environnemental des conflits armés», je suis
d’avis de rappeler que le Conseil de l’Europe a tout à gagner à
voir plus grand et à se départir de la notion d’infraction qualifiée
retenue par la Directive pour embrasser celle d’«écocide» et instaurer
un mécanisme de contrôle performant.
4. Un
triangle dynamisé par des modes de gouvernance adaptés et adaptables
35. En sus du volet normatif, un
élément clé de la stratégie sera de faire preuve de créativité et
de développer une véritable vision stratégique en matière de modes
de gouvernance, y compris le suivi et la coopération.
4.1. Le
Comité de Reykjavík, la priorité numéro un
36. La Déclaration de Reykjavík
contient un élément réellement novateur qui est l’appel à créer
un «nouveau Comité intergouvernemental sur l’environnement et les
droits de l’homme» et la reconnaissance que le Conseil de l’Europe
est doté «à la fois des outils et des structures nécessaires pour
traiter la question des droits de l’homme et de l’environnement,
dans un esprit de coopération et en partageant des expériences et
des pratiques prometteuses».
37. L’urgence première, dès la session ministérielle de mai 2024,
se situera dans la création de ce comité ad
hoc pour organiser, coordonner et piloter la mise en
œuvre de la stratégie et du plan d’action non seulement dans son
aspect production normative (voir supra)
mais également dans son volet gouvernance. Ce comité opérationnel,
dont la transversalité des tâches nécessitera une concertation interne
étroite entre les différents secteurs du Secrétariat, travaillera
de concert avec le groupe de travail intersecrétariat récemment
mis en place.
38. L’Assemblée n’est pas opposée à ce que le Comité de Reykjavík
soit composé d’experts intergouvernementaux si tant est qu’ils bénéficient
de l’expertise et de la réactivité des ministères spécialisés. Ses
méthodes de travail pourraient s’inspirer dans un premier temps
de celles de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) au moment de sa création et s’organiser autour de trois axes:
collecter pays par pays des exemples de bonnes pratiques et les
promouvoir, faire des recommandations concrètes aux États, et assurer
une interaction avec la société civile au sens large: le monde scientifique
et académique, les associations de jeunes, les mouvements citoyens,
les défenseurs de l’environnement, et les groupements portant la
parole des populations économiquement et socialement les plus sensibles
ou exposées à la dégradation de l’environnement. Il va sans dire
que le Comité de Reykjavík pourra compter sur le soutien de l’Assemblée
et de son Réseau parlementaire pour un environnement sain pour la
dissémination de ses travaux dans les parlements nationaux.
4.2. Un
rôle créatif sous contrainte
39. Il ressort des informations
à la disposition de l’Assemblée que le Comité de Reykjavík fera,
dans l’immédiat, face à la limite des moyens prévus dans le budget
2024-2025 du Conseil de l’Europe pour déployer des projets et activités
de mise en œuvre des engagements pris à Reykjavík. Toutefois, le
budget peut et devrait être révisé pour 2025. Le Comité de Reykjavík
devra se montrer créatif en capitalisant sur la capacité et les
ressources existantes de l’Organisation. Je propose trois projets
orientés sur les modes de gouvernance en matière environnementale
qu’on pourrait lancer sans moyen supplémentaire et qui signeraient
la valeur ajoutée et la visibilité du Conseil de l’Europe sans attendre.
40. Le premier est celui de contribuer à la construction de l’acceptabilité
sociale des politiques publiques en matière environnementale, au
moyen d’une vraie participation citoyenne au niveau national. Du
fait de son profond impact sur les modes de vie, la transition écologique
ne se fera pas sans l’assentiment des citoyens, lequel implique
un changement des « règles du jeu » sur un mode ascendant. Plusieurs
États européens ont déjà vu se développer des initiatives locales
fort intéressantes, telles que l’émergence d’un nouveau modèle délibératif
dans l’établissement des politiques environnementales par la création
d’assemblées citoyennes pour le climat
ou
l’accompagnement et l’éducation de groupes de jeunes issus de milieux
populaires à se mobiliser autour des entrepreneurs
,
qu’il conviendrait d’encadrer, de structurer et de valoriser afin
de les rendre plus visibles et plus légitimes. Au sein du Conseil
de l’Europe, le Comité de Reykjavík pourrait profiter de l’expérience
et des travaux du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux et établir
un partenariat avec cette entité montante dans ce domaine.
41. Je compte dépasser la simple conformité aux normes et politiques
environnementales. Mon objectif ultime est d’intégrer une perspective
sociale dans toutes les politiques publiques environnementales.
En reconnaissant que les populations les plus vulnérables sont souvent
les premières touchées par les défis environnementaux, il nous faut
promouvoir des initiatives qui non seulement protègent notre environnement, mais
qui renforcent également la résilience des communautés marginalisées
et garantissent leur inclusion dans la transition vers un avenir
durable.
42. Le deuxième consiste à promouvoir le développement de pôles
environnementaux spécialisés à tous les niveaux de gouvernance et
donc une plus grande capacité de réaction. Au niveau gouvernemental,
outre l’encouragement à la création de portefeuilles ministériels
dédiés à l’environnement, la création d’agences ou d’organismes
spécialisés chargés de conseiller le gouvernement est en plein essor
et mériterait d’être valorisée. Un tel projet devrait aussi être
promu lors de la dotation des juridictions qu’il s’agisse de structures juridictionnelles
spécialisées, de chambres spécialisées au sein des juridictions
ou d’un référé́ spécial en matière environnementale. Qu’elles soient
judiciaires, administratives ou constitutionnelles, nationales ou internationales,
elles sont toutes concernées et la justice climatique a tout à gagner
d’une plus grande expertise. L’implication des parlements nationaux
dans ce développement et dans la politique environnementale en général
implique elle-même d'avoir des structures spécialisées en leur sein.
Au niveau du Conseil de l’Europe, le Comité de Reykjavík fera rapport
au Comité des Ministres qui pourrait créer un groupe de rapporteurs
dédiés aux questions environnementales. Il pourrait aussi explorer,
avec la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ),
l’intérêt de créer un groupe de travail sur les moyens de renforcer
l’efficacité de la justice climatique.
43. Le troisième concerne le renforcement en pratique de la protection
juridique pour les défenseurs de l’environnement. La Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a émis des recommandations sur
la manière dont les parties prenantes pourraient mieux protéger
et soutenir leur travail
.
Dans le cadre de la Convention sur l’accès à l'information, la participation
du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière
d'environnement («Convention d'Aarhus»), un mécanisme de réaction
rapide pour protéger les défenseurs de l'environnement a été établi
et un premier Rapporteur spécial de ce nouveau système a été désigné
.
Le Comité de Reykjavík pourrait s’investir dans la mise au point
de programmes de soutien juridique spécialement conçus pour ce groupe
de défenseurs.
4.3. Un
mécanisme de plaintes et de suivi: le Graal
44. Sur le plus long terme, l’élément
de gouvernance le plus performant qui vient à l’esprit, du fait
de l’expérience acquise par l’Organisation en matière de droits
humains avec la Cour européenne des droits de l’Homme et le Comité
européen des droits sociaux, est l’instauration, au niveau du Conseil
de l’Europe, d’un mécanisme de plaintes contre les acteurs étatiques
et non étatiques et d’une procédure de suivi en matière d’environnement.
45. Se lancer dans un projet d’une telle ambition requerra des
moyens d’analyse, de logistique, financiers importants. De plus,
de prime abord, on ne saurait envisager que le Comité de Reykjavík
puisse aller de l’avant sans une étude de faisabilité venant en
complément de celle déjà effectuée par le CDDH-ENV et adaptée aux choix
qui auront été faits par le Comité des Ministres sur l’avancée normative.
46. Le Conseil de l’Europe a mis en place des modèles solides
qui ont fait leurs preuves et qui pourraient l’inspirer. En marge
de l’extension de la compétence des organes conventionnels par le
truchement de l’ajout de droits substantiels, l’Assemblée avait
évoqué en 2021 l’instauration d’un comité d’experts indépendants comme
le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains
(GRETA) ou le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) ou encore
l’ECRI
.
Des modèles plus ambitieux pourraient également guider la réflexion,
tels que la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) et le/la Commissaire aux droits de l’Homme.
47. A mes yeux, l’option qui semble, à ce jour, la plus en phase
avec les enjeux est la désignation d’un représentant spécial de
la Secrétaire générale pour l’environnement et les droits humains.
Son mandat serait d’examiner les plaintes et, à ce titre, mais aussi
sur son initiative, de mener des enquêtes, d’effectuer des analyses
et des évaluations sur des problématiques environnementales spécifiques
en examinant, avec l’aide d’une équipe suffisamment dotée et stable
budgétairement, les politiques, les pratiques et les impacts environnementaux
dans les États membres.
48. Un tel représentant spécial pourrait être doté du pouvoir
d’avoir recours à des experts indépendants lui permettant d’externaliser
l'établissement des faits scientifiques. Les affaires environnementales
sont souvent très complexes et font appel à des connaissances scientifiques
de pointe dans les domaines du climat, de la santé, de l’environnement,
de la biodiversité, des catastrophes naturelles, etc. Il importe
que le Conseil de l’Europe donne l’exemple et ne se retranche pas
derrière cette complexité pour rester inactif.
49. Un représentant spécial renforcerait également la visibilité
du Comité de Reykjavík et permettrait au Conseil de l’Europe d’être
représenté à un niveau techniquement et politiquement élevé dans
les événements et forums mondiaux sur les questions environnementales.
5. Conclusion
50. Le suivi de la Déclaration
de Reykjavík est un processus vivant dans lequel de nombreux paramètres feront
l’objet de discussions et d’analyses qui s’étaleront sur le long
terme. Pour le moment le suivi de Reykjavík manque encore de ciment
pour mettre du liant sur l’ensemble des travaux. Gageons que la
présente contribution de l’Assemblée soit source d’inspiration et
que le Comité des Ministres bouge les lignes pour contribuer à combler
les carences sans ambiguïté.
51. Cela nécessitera des actions et des engagements politiques
résolus, accompagnés par les moyens budgétaires nécessaires à l’accomplissement
d’un vrai cadre complet et efficace au sein du Conseil de l’Europe
en matière de protection de l’environnement et pour contrer l’impact
de la dégradation de l’environnement sur les droits humains, enjeu
hors du commun de notre époque.
52. Je rappelle que la raison d’être et la crédibilité du Conseil
de l’Europe sont en jeu. L’Organisation doit rattraper son retard,
c’est ce qui en est attendu, en particulier par la jeune génération,
de rattraper son retard. J’espère que le présent rapport sera le
dernier à constater une énième fois le décalage qu’il y a entre
l’appel que l’Assemblée lance depuis des décennies pour renforcer
l’action du Conseil de l’Europe en matière environnementale et les
avancées concrètes.