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Rapport | Doc. 15967 | 16 avril 2024

La détention arbitraire de Vladimir Kara-Mourza et la persécution systématique des manifestants anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Thórhildur Sunna ÆVARSDÓTTIR, Islande, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15514 et Doc. 15578, Renvoi 4652 du 20 juin 2022. 2024 - Deuxième partie de session

Résumé

Depuis le début de la guerre d'agression de grande ampleur menée illégalement contre l'Ukraine, les Gouvernements russe et bélarussien ont cherché à réprimer toutes les formes de dissidence contre la guerre. Les autorités ont arrêté des milliers de personnes pour avoir manifesté et elles ont mis en place une législation draconienne visant à interdire la moindre critique de l'invasion ou de l'armée russe. Vladimir Kara-Mourza est l’une des premières victimes de la répression et a été condamné à une peine particulièrement lourde de 25 ans de prison. Il fait partie des nombreuses personnes qui ont été emprisonnées pour leur position anti-guerre et les conditions inhumaines dans lesquelles il est emprisonné mettent en danger son état de santé.

Malgré la persécution brutale, les mouvements anti-guerre russes et bélarussiens se sont adaptés et continuent de survivre.

L'Assemblée parlementaire devrait condamner la répression menée par les Gouvernements russe et bélarussien et leur demander de respecter les obligations internationales qu’ils ont contractées en matière de droits humains.

L'Assemblée devrait également demander aux États membres et observateurs d’accorder une plus grande reconnaissance et un soutien accru aux mouvements anti-guerre russes et bélarussiens, notamment en examinant d'autres moyens de briser le blocus de l'information mis en place par le Kremlin, en cherchant à obtenir la libération des personnes emprisonnées pour leur opposition à la guerre et en prenant des mesures supplémentaires pour assurer la protection des Russes et des Bélarussiens qui tentent de fuir leurs régimes oppressifs.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 avril
2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire est indignée par la détention arbitraire de Vladimir Kara-Mourza et la persécution systématique des manifestants anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus.
2. En ce qui concerne la Fédération de Russie, l'Assemblée rappelle que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme relatifs à des événements antérieurs à février 2022 ont déjà montré que la répression touchait durement les libertés d'expression, de réunion et d'association, ainsi que le droit à la liberté.
3. À partir de mars 2022, la Fédération de Russie a rapidement adopté une série d'amendements très restrictifs au Code pénal et au Code des infractions administratives visant à étouffer toute critique à l’encontre de sa guerre d'agression illégale, brutale et de grande ampleur contre l'Ukraine. Ces amendements législatifs, ne sont pas conformes aux normes internationales en matière de droits humains et ont eu pour effet d’ériger en infraction toutes les formes de dissidence contre la guerre et contre l’action de l'armée russe. Ces actions concourent à la guerre systémique de Vladimir Poutine contre la démocratie.
4. L'une des premières victimes de cette répression a été Vladimir Kara-Mourza, historien, homme politique et lauréat du Prix des droits de l'homme Václav Havel décerné en 2022. M. Kara-Mourza a été arrêté et placé en détention le 12 avril 2022. Il a ensuite été accusé de «diffusion délibérée de fausses informations» sur l’action de l'armée russe en Ukraine, de «participation aux activités d’une organisation indésirable» et de haute trahison. Le 17 avril 2023, M. Kara-Mourza a été condamné à 25 ans d’emprisonnement.
5. M. Kara-Mourza a survécu de justesse à deux empoisonnements antérieurs, imputés aux autorités russes, lesquels ont eu des effets préjudiciables durables sur sa santé. À la suite de sa détention provisoire, la polyneuropathie de M. Kara-Mourza causée par ces empoisonnements s’est significativement détériorée. Au cours des six derniers mois, M. Kara-Mourza a été placé à l’isolement total dans une cellule, d'abord dans une colonie pénitentiaire à régime strict, puis dans une colonie pénitentiaire sibérienne à «régime spécial», la catégorie la plus dure du système pénitentiaire russe. Depuis septembre 2023, il ne reçoit plus de traitement médical et sa polyneuropathie s’aggrave lentement.
6. La Fédération de Russie compte d’innombrables autres exemples de poursuites à motivation politique contre ceux qui critiquent la guerre. Désormais, la moindre prise de parole ou manifestation pacifique est passible de lourdes amendes, d’une mise en détention ou de peines d’emprisonnement prolongées. Le nombre de prisonniers politiques, tels que définis par la Résolution 1900 (2012), a augmenté de manière importante. Dans sa Résolution 2446 (2022), l'Assemblée indique qu’il y aurait 478 prisonniers politiques en Fédération de Russie. Selon OVD-Info, une organisation de défense des droits humains, leur nombre serait désormais supérieur à 1 000. L'organisation signale également que, depuis février 2022, près de 20 000 personnes ont été arrêtées en raison de leurs positions anti-guerre, dans la Fédération de Russie et le territoire occupé de Crimée.
7. Par ailleurs, l'Assemblée note que le mouvement anti-guerre en Fédération de Russie n'a pas été éradiqué mais qu’il s’est réfugié dans la clandestinité. Les Russes qui s'opposent à la guerre ont adapté leurs activités à la situation actuelle afin de pouvoir continuer à exprimer certaines formes de dissidence anti-guerre sans risquer d'être arrêtés immédiatement et emprisonnés pour une durée indéterminée.
8. L'Assemblée réaffirme que la persécution des personnes affichant une position anti-guerre entraîne de multiples violations de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5), à laquelle la Fédération de Russie était toujours liée jusqu'au 16 septembre 2022, et à des violations d'autres traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels la Fédération de Russie est partie, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9. De même, les manifestants anti-guerre ont fait l'objet d’une répression massive au Bélarus. Des informations crédibles indiquent que, dans le cadre d’une répression politique généralisée dans le pays, plus de 1 600 personnes ont été arrêtées pour leur convictions anti-guerre. La plupart de ces détentions ont eu lieu immédiatement après l'invasion de grande ampleur, lorsque les manifestations anti-guerre ont été brutalement dispersées. Depuis, la moindre expression critique à l’égard de la guerre a fait l'objet de poursuites, souvent pour infraction à la loi sur «l'extrémisme», dont les termes violent les normes internationales en matière de droits humains.
10. De nombreux Bélarussiens ont pris position en diffusant des informations sur les mouvements ou les infrastructures militaires, en endommageant les voies ferrées pour empêcher la circulation du matériel et du personnel militaires ou en sabotant des installations militaires. Ces actes ont fait l'objet d'une réaction manifestement disproportionnée, sous la forme de poursuites pour terrorisme.
11. L'Assemblée est choquée par les nombreuses informations crédibles faisant état d’actes de torture infligés à des personnes pour leur position anti-guerre au Bélarus, ainsi que par d'autres mesures répressives telles que la détention en cellule disciplinaire pendant des mois (sans couvertures, vêtements, livres ou commodités), le refus d'accès aux médicaments essentiels et d'autres formes de mauvais traitements. Le recours à la détention au secret, qui consiste à couper complètement les prisonniers politiques du monde extérieur, est devenu particulièrement courant. Cette pratique incroyablement cruelle et inhumaine punit non seulement le détenu mais aussi ses proches.
12. L'Assemblée établit une distinction entre, d'une part, les Gouvernements de la Fédération de Russie et du Bélarus et, d'autre part, les populations de ces deux pays. À cet égard, elle exprime sa solidarité avec les nombreux Russes et Bélarussiens qui s'élèvent contre la guerre d'agression, tout en reconnaissant qu'ils s’expriment dans un contexte de répression très dure et qu'ils s'exposent à de graves conséquences sur le plan personnel.
13. En conséquence, l'Assemblée appelle la Fédération de Russie et le Bélarus:
13.1. à mettre fin aux menaces, aux intimidations et aux poursuites contre les personnes qui ont été ciblées en raison de leur position anti-guerre, et à procéder à la libération immédiate de celles qui sont en détention;
13.2. en attendant leur libération, à s’assurer que les conditions de détention de tous ces détenus sont conformes au droit international des droits humains (notamment l'accès à des soins médicaux appropriés et le contact avec leurs avocats, leur famille et d'autres personnes);
13.3. à veiller à ce que les détenus ne soient pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements, à ce que toute allégation de ce type fasse l'objet d'une enquête rapide et effective et à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis;
13.4. à annuler les mesures prises contre les organisations de la société civile et les médias qui ont fait l'objet d'une fermeture, d'une dissolution, d'un blocage de leurs sites web ou d'une inscription sur la liste des «agents étrangers» ou des «organisations indésirables» en raison de leurs activités anti-guerre alléguées;
13.5. à abroger les lois promulguées dans le but de réprimer tout sentiment anti-guerre;
13.6. à mettre en œuvre les recommandations et décisions pertinentes des organisations internationales dont ils sont membres, notamment l’Organisation des Nations Unies et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ainsi que par les organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits humains qui sont compétents pour traiter les requêtes individuelles contres ces États.
14. En outre, l'Assemblée demande à la Fédération de Russie:
14.1. d’adopter sans tarder des mesures générales effectives pour résoudre les problèmes structurels et systémiques recensés par la Cour européenne des droits de l'homme et le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à propos de la liberté de réunion, de la liberté d'expression, de la liberté d'association et du droit à la liberté en Fédération de Russie, y compris en abrogeant ou en modifiant la législation pertinente, notamment les lois sur les «agents étrangers», les «organisations indésirables» et celles qui visent à censurer tout débat sur la guerre en Ukraine;
14.2. conformément à la décision du Comité des Ministres concernant le groupe Navalnyy et Ofitserov lors de sa 1492e réunion DH tenue en mars 2024, de veiller à la libération de tous les prisonniers actuellement détenus en Fédération de Russie dont la détention constitue un abus de pouvoir et dans le but de les réduire au silence et de dissuader d'autres détracteurs du régime de protester ou de s'exprimer;
14.3. de coopérer avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), tant que la Fédération de Russie reste partie à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), ce qui permettrait ainsi de surveiller l'état de santé des prisonniers politiques signalés et leurs conditions de détention dans l'attente de leur libération, et de vérifier les allégations de torture et de mauvais traitements.
15. L'Assemblée rappelle en outre que la Fédération de Russie refuse de payer la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l'homme dans des affaires individuelles et interétatiques. L'Assemblée décide d'explorer d'autres voies possibles pour garantir le paiement de ces indemnités, appelant les États membres et observateurs, ainsi que l'Union européenne, à faire de même.
16. Notant la nécessité d’accorder une plus grande reconnaissance et un soutien accru aux mouvements anti-guerre russes et bélarussiens, l'Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe:
16.1. à faire connaître au public les activités poursuivies par les mouvements anti-guerre russes et bélarussiens ainsi que leurs travaux en cours;
16.2. à mettre en œuvre des programmes de solidarité internationale avec les mouvements anti-guerre russes et bélarussiens, notamment en organisant des événements, en encourageant la visibilité médiatique, les travaux de recherche universitaire, les conférences et les tables rondes, et en soutenant les initiatives artistiques;
16.3. à examiner d'autres mesures qui permettent de fournir des informations à la population russe en brisant le blocus de l'information mis en place par le Kremlin, notamment en fournissant:
16.3.1. un environnement accueillant pour les organes de presse russes indépendants, notamment leur enregistrement en qualité de personnes morales et la facilitation de leurs travaux en cours;
16.3.2. le soutien financier nécessaire aux organes de presse russes indépendants;
16.3.3. une aide facilitant l'entrée et le séjour des journalistes russes indépendants et des personnes influentes sur les réseaux sociaux;
16.3.4. un soutien financier et autre aux personnes influentes russes des réseaux sociaux anti-guerre; et
16.3.5. des VPN (virtual private networks ou réseaux privés virtuels) gratuits et stables pour la population russe;
16.4. à soutenir les organisations de la société civile russe et bélarussienne situées à l'étranger dans leurs initiatives d’aide juridique et financière dispensée aux manifestants anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus;
16.5. à empêcher les entreprises de refuser de fournir des biens et des services aux organisations indépendantes de la société civile russes et bélarussiennes qui soutiennent des causes anti-guerre ou la défense des droits humains, en appliquant la législation et la réglementation nationales pertinentes et/ou en les renforçant si nécessaire;
16.6. à empêcher l'application de sanctions internationales visant les organisations indépendantes de la société civile russe et bélarussienne qui soutiennent des causes anti-guerre ou la défense des droits humains, y compris des sanctions financières et bancaires.
17. Alarmée par les terribles conditions d'emprisonnement de Vladimir Kara-Mourza et d'autres personnes détenues en raison de leur position anti-guerre, l'Assemblée appelle:
17.1. les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe à prendre des initiatives diplomatiques pour obtenir la libération des prisonniers politiques en Fédération de Russie et au Bélarus qui se sont opposés à la guerre d'agression contre l'Ukraine, en donnant la priorité à Vladimir Kara-Mourza et à d'autres personnes qui ont de graves problèmes de santé;
17.2. les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe à poursuivre les échanges de prisonniers afin d'obtenir la libération des prisonniers politiques en Fédération de Russie et au Bélarus qui se sont opposés à la guerre d'agression contre l'Ukraine, en donnant la priorité à Vladimir Kara-Mourza et à d'autres personnes qui ont de graves problèmes de santé (en relevant plus particulièrement le rôle que pourraient jouer l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique);
17.3. les États-Unis d'Amérique à reconnaître que M. Kara-Mourza est une «personne injustement détenue» au sens de la loi Levinson, en vue d'intensifier les activités déployées par le Gouvernement des États-Unis pour obtenir sa libération.
18. L'Assemblée demande aux États membres et observateurs du Conseil de l'Europe d’intensifier leurs initiatives pour que la Fédération de Russie et le Bélarus rendent des comptes aux Nations Unies, notamment:
18.1. en encourageant l'adoption d'une résolution du Conseil des droits de l'homme et en publiant une déclaration commune appelant à la libération des manifestants anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus et à la fin de la persécution politique des manifestants anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus, et en condamnant l'incapacité de la Fédération de Russie et du Bélarus à mettre en œuvre les décisions des organes internationaux relatifs à la répression des manifestants anti-guerre, y compris les arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (concernant la Fédération de Russie), du Groupe de travail sur la détention arbitraire et des organes conventionnels des Nations Unies;
18.2. en demandant qu’une visite soit organisée en Fédération de Russie et au Bélarus pour le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les rapporteurs spéciaux sur les droits de l'homme en Fédération de Russie et au Bélarus, et d'autres organismes compétents, afin qu’ils puissent se rendre dans les prisons et rencontrer les manifestants anti-guerre victimes de persécutions politiques, en accordant la priorité à ceux qui sont dans un état de santé grave, notamment Vladimir Kara-Mourza.
19. Notant la situation extrêmement précaire des Russes et des Bélarussiens qui sont opposés à la guerre et qui tentent de fuir leurs régimes oppressifs, et rappelant la Résolution 2446 (2022) et la Résolution 2499 (2023), l'Assemblée demande aux États membres et observateurs du Conseil de l'Europe:
19.1. d’aider les personnes fuyant la Fédération de Russie et le Bélarus en facilitant leur entrée et leur séjour légaux, leur liberté de circulation, leur sûreté et leur sécurité, leur accès à l'éducation, à la culture, aux services financiers et à l'exercice d'activités économiques. Il faudrait également prévoir des mesures appropriées concernant l'entrée d'urgence, les passeports d'urgence, les visas, les permis de séjour temporaires et à long terme, l'assistance socio-économique et (le cas échéant) le statut de réfugié;
19.2. d’examiner la possibilité de créer des cadres ou des réseaux internationaux distincts pour les personnes fuyant la Fédération de Russie et le Bélarus, afin de traiter les questions relatives à l’entrée et au séjour de ces personnes;
19.3. de refuser les demandes d'extradition de ressortissants russes et bélarussiens qui pourraient être considérées comme motivées par des considérations politiques;
19.4. de s'abstenir d'expulser vers leur pays d'origine les ressortissants russes et bélarussiens qui ont manifesté leur opposition à l'agression contre l'Ukraine et qui seraient ainsi exposés à un risque réel de persécution politique ou d'enrôlement dans l'armée russe;
19.5. de prendre des mesures pour répondre au refus des autorités bélarussiennes de délivrer des passeports dans leurs consulats à l'étranger (et de se préparer à la possibilité que la Fédération de Russie le fasse également), en reconnaissant l'apatridie de fait et en délivrant des documents de voyage pour permettre aux Bélarussiens (et, si nécessaire, aux Russes) qui risquent d'être persécutés politiquement ou d'être enrôlés de rester dans les États européens après l'expiration de leurs passeports;
19.6. de prendre des mesures pour protéger les Russes et les Bélarussiens qui ont fui leurs États contre toute forme de répression transnationale exercée par leurs gouvernements, comme le souligne la Résolution 2509 (2023).
20. L'Assemblée demande également aux États membres et observateurs du Conseil de l'Europe d’adopter des mesures restrictives (en particulier des sanctions au titre de leurs «lois Magnitski») à l'encontre des personnes ayant pris part aux persécutions politiques des Russes et des Bélarussiens en raison de leur position anti-guerre.
21. Notant le préjudice causé à la société civile indépendante russe et bélarussienne par l'application des sanctions nationales et internationales, l'Assemblée appelle les entreprises privées:
21.1. à continuer de fournir des biens et des services aux organisations indépendantes de la société civile russes et bélarussiennes qui soutiennent les causes anti-guerre ou la défense des droits humains;
21.2. à refuser de se conformer aux ordres des Gouvernements russe et bélarussien de bloquer les sites web, les comptes de réseaux sociaux ou d'autres ressources en ligne des organisations indépendantes des sociétés civiles russes et bélarussiennes qui soutiennent des causes anti-guerre ou la défense des droits humains.
22. L'Assemblée invite la Cour européenne des droits de l'homme à poursuivre l'examen des affaires pendantes et futures contre la Fédération de Russie à propos des violations alléguées de la Convention commises jusqu'au 16 septembre 2022, en particulier et à titre prioritaire, celles qui ont été introduites par les requérants qui ont été persécutés en raison de leur opposition à la guerre.
23. L'Assemblée demande à nouveau à Interpol d’être particulièrement vigilant lorsqu'il traite des demandes de notices rouges qui émanent du Bureau central national russe et peuvent être motivées par des considérations politiques, en tenant compte de la Résolution 2315 (2019) «La réforme d'Interpol et les procédures d'extradition: renforcer la confiance en luttant contre les abus».
24. L'Assemblée décide enfin de continuer à procéder à des échanges de vues avec les mouvements politiques anti-guerre russes et bélarussiens et d'autres forces d'opposition par le biais de ses plateformes de dialogue avec les forces démocratiques russes et bélarussiennes.

B. Exposé des motifs par Mme Thórhildur Sunna Ævarsdóttir, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le 15 mars2022, Vladimir Kara-Mourza a prononcé un discours devant la Chambre des représentants de l'Arizona, ce qui a entraîné son emprisonnement à son retour en Fédération de Russie. Au cours de son discours, il a déclaré ce qui suit:
J’aurais aimé que nous nous trompions sur ce point, mais aujourd’hui, le monde entier voit ce que le régime de Poutine fait à l’Ukraine. Les bombes à fragmentation sur les zones résidentielles, les bombardements des maternités, des hôpitaux et des écoles, et les crimes de guerre. Il s’agit de crimes de guerre commis par le régime dictatorial du Kremlin contre une nation située au milieu de l’Europe. C’est, malheureusement, là où toutes les années du règne de Poutine nous ont menés. Mais même s’il est difficile pour chacun d’entre nous d’être un peu optimiste et même un peu plein d’espoir pour l’avenir, je veux aussi vous parler de l’autre côté de la Russie. Très souvent, les Occidentaux ne voient que le côté officiel. Ils voient Poutine, la répression, les actions agressives et la guerre qui se déroule actuellement. L’autre côté est très souvent perdu. De l’autre côté, bien sûr, il y a des millions de personnes dans mon pays qui rejettent fondamentalement et sont fondamentalement en désaccord avec tout ce que le régime de Poutine représente, la kleptocratie, les abus, les répressions et les crimes contre l’humanité qui sont commis. 
			(2) 
			Vladimir Kara-Mourza,
«<a href='https://www.mccaininstitute.org/fr/resources/dans-les-nouvelles/declaration-sur-vladimir-kara-murza/'>Discours
devant la Chambre des représentants de l’Arizona»</a>, McCain Institute, 15 mars 2022.
2. Vladimir Kara-Mourza a été arrêté tout juste un peu plus d'un mois après et quelques jours après avoir fait une déclaration similaire devant la commission des questions juridiques et des droits de l'homme lors de sa réunion de mai 2022 à Paris. L'accusation portait sur la «diffusion délibérée de fausses informations» au sujet des forces armées russes. Après avoir été inculpé d'infractions supplémentaires de «coopération avec une ONG étrangère indésirable» et de «haute trahison», M. Kara-Mourza a été condamné à 25 ans d'emprisonnement le 17 avril 2023.
3. Le présent rapport 
			(3) 
			Le
rapport repose sur deux propositions de résolution, «Arrestation
arbitraire de Vladimir Kara-Murza, défenseur russe des droits de
l’homme et combattant pour la liberté» (Doc. 15514) et «Persécutions systématiques et massives contre les
manifestants anti-guerres en Fédération de Russie» (Doc. 15578), qui ont été renvoyées à la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme et qu’elle a décidé de fusionner
en un seul rapport. Le rapport tient également compte des propositions
de résolution «Nécessité urgente de lutter contre le terrorisme
d'État» (Doc.15599) et «L’Europe doit être solidaire du mouvement anti-guerre
russe et bélarusse» (Doc.15633). est consacré à Vladimir Kara-Mourza mais aussi à «l'autre côté de la Russie» dont il parlait en mars et avril 2022, celui des personnes qui ne croient pas à la guerre d'agression de Poutine. Il évoque également la manière dont nous pouvons faire davantage pour les aider.
4. La chapitre 2 décrit la répression brutale des personnes qui affichent une position anti-guerre en Fédération de Russie. Près de 20 000 personnes ont été détenues pour leur opposition au conflit, des milliers de poursuites ont été engagées et de longues peines d’emprisonnement ont été infligées pour avoir critiqué la guerre (sections 2.1 et 2.2). Les organisations de la société civile et des médias ont également été vidées de leur substance en raison notamment du recours accru aux notions d’«agent étranger» et d' «organisation indésirable» qui rendent le fonctionnement des groupes ainsi désignés presque impossible (section 2.3).
5. La répression contre les personnes et les organisations a été facilitée par une série d'amendements à une législation russe déjà très stricte, qui ont eu pour effet d’ériger en infraction la critique la plus insignifiante de la guerre ou de l'armée russe (section 2.4). La répression dystopique des opinions anti-guerre a été largement condamnée par les organisations internationales (section 2.5). Malgré cela, le mouvement anti-guerre n'a pas été détruit, préférant se réfugier dans la clandestinité pour survivre. Les Russes qui s'opposent à la guerre ont adapté leurs activités afin de pouvoir continuer à exprimer leur dissidence anti-guerre sans risquer d'être arrêtés immédiatement et emprisonnés pour une durée indéterminée (section 2.6).
6. La Fédération de Russie et le Bélarus sont des pays distincts dont les histoires, les traditions, les cultures et les gouvernements sont différents. Malheureusement, les populations des deux pays ont été soumises à une répression féroce pour leur opposition à la guerre d'agression contre l'Ukraine. Au Bélarus, les modifications législatives autoritaires qui avaient suivi le mouvement de protestation de 2020 avaient déjà considérablement accru la capacité du gouvernement à mener une répression à caractère politique. Ces mesures ont été utilisées pour réprimer brutalement les manifestations et les discours contre la guerre. Les rassemblements anti-guerre ont fait l'objet de répressions très dures et violentes. En effet, plus de 1 600 personnes ont été placées en détention pour avoir manifesté leur opposition à la guerre et des poursuites pour terrorisme ont été engagées contre des personnes qui diffusaient des informations sur les équipements militaires ou qui les sabotaient (section 3).
7. Je suis convaincue que nous pouvons et devons faire davantage pour soutenir les mouvements anti-guerre russes et bélarussiens. Une partie importante de ce rapport est consacrée à ce sujet (section 4) et explique comment les États membres et observateurs peuvent accorder une plus grande reconnaissance et une assistance concrète au mouvement anti-guerre, poursuivre les efforts pour faire libérer des prisonniers qui ont été détenus pour leurs opinions anti-guerre, intensifier les initiatives pour demander à la Fédération de Russie et au Bélarus de rendre des comptes aux Nations Unies, faciliter l'entrée et le séjour des Russes et des Bélarussiens qui ont adopté une position anti-guerre et qui tentent de fuir leurs régimes oppressifs, et mettre en place des mesures restrictives à l'encontre des personnes ayant participé aux répressions brutales décrites dans ce rapport. L’emprisonnement des personnes qui expriment leur opinion est une arme mortelle contre la démocratie, envoie un message effrayant à tous ceux qui en sont témoins et tue le débat démocratique, la liberté d'expression, voire la démocratie elle-même. Nous devons faire tout notre possible pour riposter.
8. Au cours de l’élaboration de ce rapport, j'ai bénéficié des informations communiquées directement par la société civile russe et bélarussienne, ainsi que par d'éminents experts, lors des deux auditions qui se sont tenues devant la commission des questions juridiques et des droits de l'homme le 22 mai 2023 et le 4 mars 2024; s’y ajoutent les 10 réunions qui ont eu lieu lors d'une visite d'information qui s’est déroulée à Vilnius les 20 et 21 septembre 2023 en présence de 28 avocats, journalistes et militants, ainsi qu'une réunion en ligne avec la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans la Fédération de Russie, Mariana Katzarova, le 11 décembre 2023. J’ai également bénéficié des informations communiquées lors de ma participation à la conférence du Dialogue d'Helsinki avec les forces démocratiques bélarussiennes, tenue les 11 et 12 janvier 2024 et de la précieuse contribution de l'épouse de Vladimir Kara-Mourza, Evgenia Kara-Mourza.

2. La persécution systématique des manifestants anti-guerre en Fédération de Russie

9. Aux fins du présent rapport, est considéré comme un «manifestant» anti-guerre quiconque exprime son opposition à la guerre d’agression russe contre l’Ukraine. Cette opposition peut se manifester de diverses manières, notamment par une activité personnelle sur les réseaux sociaux, la rédaction d’un article ou la participation à une manifestation publique.

2.1. Aperçu statistique

10. Les statistiques présentées ci-après s'appuient sur les recherches d'OVD-Info, une importante organisation de la société civile russe exerçant désormais ses activités à l'extérieur du pays. Mises à jour en février 2024, lorsque les données ont été publiées pour marquer le deuxième anniversaire de la guerre, elles s'appliquent aux persécutions commises sur le territoire de la Fédération de Russie et le territoire occupé de Crimée 
			(4) 
			OVD-Info, «<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'>Persecution
of the anti-war movement report:</a> Two years of Russia’s full-scale invasion of Ukraine», 28 février
2024. Avant la guerre d'agression de grande ampleur, OVD-Info pouvait
s'appuyer largement sur les militants régionaux et les médias locaux
pour collecter des informations. Mais depuis l'invasion massive
et les répressions visant les médias et la société civile qui en
ont résulté, l'organisation a dû se tourner vers d’autres sources,
notamment des organismes répressifs, des données judiciaires et
des réseaux sociaux. OVD-Info estime que cette réorientation a rendu plus
difficile la collecte d'informations fiables et que les données
sous-estiment peut-être l'ampleur de la répression..
11. Depuis le lancement de la guerre d'agression contre l'Ukraine le 24 février 2022, plusieurs manifestations anti-guerre se sont déroulées sur la place publique. Elles ont fait l'objet dès le début d'une répression massive de la part des autorités russes. Le 25 février 2022, 437 détentions ont été recensées dans 26 villes 
			(5) 
			Reuters,
«<a href='https://www.reuters.com/world/europe/police-detain-more-than-900-people-anti-war-protests-across-russia-monitoring-2022-02-27/'>Anti-war
protests held in cities across Russia, 2,000 people arrested</a>», 27 février 2022.. Au cours des deux jours suivants, le nombre de personnes détenues a atteint 5 500.
12. À ce jour, 19 850 personnes ont été placées en détention pour avoir exprimé une position anti-guerre et 848 poursuites pénales ont été engagées, qui ont conduit à l’emprisonnement de 267 personnes. Les poursuites pénales contre les manifestants anti-guerre représentaient 67 % de toutes les poursuites à caractère politique en 2022 et 64 % en 2023. Plus de la moitié des poursuites pénales (444) ont été engagées pour des activités sur internet (telles que la publication d'une vidéo, d'un commentaire ou même d'un message de tchat). En 2022, la durée moyenne des peines d'emprisonnement pour activités anti-guerre était de 36 mois; en 2023, elle était de 70 mois 
			(6) 
			«<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'>Persecution
of the anti-war movement report:</a> Two years of Russia's full-scale invasion of Ukraine», op.cit.. La condamnation de Vladimir Kara-Mourza à 25 ans de prison est considérée  comme une mesure de représailles non seulement pour ses positions anti-guerre, mais aussi pour son soutien à la campagne de William Browder en faveur de l’application des «lois Magnitsky», qui facilitent les sanctions visant les auteurs de violations des droits humains jouissant de l'impunité dans leur propre pays 
			(7) 
			Voir aussi le rapport
parallèle d'Eerik-Niiles Kross (Estonie, ADLE), «Sanctions contre les personnes
de la «liste Kara-Mourza» (Doc. 15939)..
13. Les données précédentes concernent les poursuites pénales. Or, les répressions sont principalement commises en appliquant le droit administratif. L'article 20.3.3 sur les actes consistant à «discréditer l'armée» est la principale disposition utilisée pour poursuivre les manifestants anti-guerre. Au total, 8 693 cas de ce type ont été recensés depuis la création de l'infraction en mars 2022. Des personnes ont été poursuivies pour avoir brandi des feuilles de papier vierges ou une pancarte portant un astérisque, pour avoir prononcé des slogans pacifistes courants et pour avoir commenté ou publié des messages sur les réseaux sociaux. Les infractions administratives sont généralement sanctionnées par une amende qui s’élève en moyenne à 2,5 salaires mensuels minimums en Fédération de Russie. Le fait d’être poursuivi de manière répétée pour des infractions administratives peut entraîner de nombreuses années de prison 
			(8) 
			<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'>«Persecution
of the anti-war movement report:</a> Two years of Russia’s full-scale invasion of Ukraine», op. cit..
14. Enfin, les poursuites pénales et administratives s’accompagnent également de méthodes extrajudiciaires visant à faire pression sur les contestataires. Les acteurs non étatiques suivent les tendances générales des autorités et agissent en toute impunité contre les personnes qui affichent des opinions anti-guerre. Parmi les exemples, citons l'annulation d'événements (34 cas signalés), le harcèlement au travail (41), les menaces (112), l'expulsion (16) et l'exclusion des universités et d'autres organisations (3). Ces méthodes sont utilisées comme une technique d'intimidation qui peut être appliquée de manière flexible sans procédure administrative ou juridique. OVD-Info a recueilli 579 exemples de cas où des pressions extrajudiciaires ont été exercées, mais il est probable que ce chiffre soit nettement inférieur à l'ampleur réelle du phénomène. L'importance réelle de cette forme de répression est très difficile à estimer car la plupart des personnes soumises à des pressions n’en parlent qu’au cercle étroit de leurs proches 
			(9) 
			Ibid..

2.2. Exemples spécifiques

15. Les premières arrestations ont visé notamment Vladimir Kara-Mourza, homme politique de l'opposition, historien, défenseur des droits humains, cofondateur du Comité russe anti-guerre et lauréat du prix Václav Havel. Quelques jours après son témoignage devant la commission des questions juridiques et des droits de l'homme dans le cadre de la préparation du rapport consacré aux prisonniers politiques en Fédération de Russie, il a été arrêté et condamné à 15 jours de détention administrative pour un prétendu «refus d’obtempérer à un agent de police» (le 12 avril 2022). Le 22 avril 2022, il a été inculpé en vertu de l’article 207.3 du Code pénal pour avoir prétendument diffusé de «fausses informations délibérées» sur les actions des forces armées russes en Ukraine. M. Kara-Mourza a été inculpé pour le contenu d'un discours prononcé en mars 2022 devant la Chambre des représentants de l'Arizona, dans lequel il critiquait la politique de Vladimir Poutine, déplorait la «complaisance» de l'Occident à l'égard du Kremlin, soulignait l'importance du mouvement de protestation en Fédération de Russie et dénonçait la guerre d'agression contre l'Ukraine. En juillet 2022, il a également été accusé d’avoir organisé «les activités d'une organisation indésirable» (en vertu de l'article 284.1(1) du Code pénal russe) en raison de sa participation alléguée aux activités de la fondation Free Russia, une ONG qualifiée d‘«indésirable» par les autorités russes. En octobre 2022, les autorités ont inculpé Vladimir Kara-Mourza de «haute trahison» en vertu de l'article 275 du Code pénal russe. Selon les autorités, M. Kara-Mourza a coopéré avec un pays de l'OTAN, comme l'ont «prouvé» ses discours publics critiques à Lisbonne, Helsinki et Washington 
			(10) 
			Amnesty International,
“Russie.<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/10/russia-vladimir-kara-murza-jailed-prisoner-of-conscience-awarded-vaclav-havel-prize/'> Vladimir
Kara-Mourza, prisonnier d’opinion, reçoit le prix Václav Havel</a>”, 10 octobre 2022; Human Rights Watch, “World Report
2023:<a href='https://www.hrw.org/fr/world-report/2023'> Russian Federation”.
[version abrégée en français]</a>.
16. Il a été interdit à Vladimir Kara-Mourza d'appeler ou de voir sa famille pendant sa détention provisoire. Son état de santé s'est fortement dégradé, notamment après son placement en cellule disciplinaire à de multiples reprises et pour des motifs fallacieux. M. Kara-Mourza a survécu de justesse à deux empoisonnements imputés aux autorités russes, mais ceux-ci ont eu des effets négatifs durables sur sa santé, dont une polyneuropathie dans les deux pieds. Il doit faire régulièrement de l’exercice pour rester en bonne santé; cependant, après quasiment un an de détention provisoire, dont une semaine à l'isolement (dans une cellule de 3 mètres sur 1,5 mètre) et la privation de son droit à des promenades quotidiennes, la polyneuropathie de Vladimir Kara-Mourza a empiré.
17. Son procès s'est tenu à huis clos en avril 2023. Le secret a été justifié par l'allégation selon laquelle «M. Kara-Mourza veut utiliser la salle d'audience comme une tribune pour discréditer publiquement le régime en place». Le tribunal qui l'a jugé comprenait le juge Sergei Podoprigorov, qui figure sur la «liste Magnitsky» et a été sanctionné par les États-Unis et le Royaume-Uni. Au cours des plaidoiries, M. Kara-Mourza s'est déclaré convaincu que «notre société [russe] ouvrira les yeux et sera horrifiée par les crimes terribles qui ont été commis en son nom … Aujourd'hui encore, même dans l'obscurité qui nous entoure, même assis dans cette cage, j'aime mon pays et je crois en notre peuple» 
			(11) 
			<a href='https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/04/10/vladimir-kara-murza-final-statement-court/'>«Vladimir
Kara-Murza's final statement to Russian court»</a>, The Washington Post,
10 avril 2023..
18. Le 17 avril 2023, M. Kara-Mourza a été condamné à 25 ans de prison pour «diffusion de fausses informations sur l'armée russe», «coopération avec une ONG étrangère indésirable» et «haute trahison». L'un des avocats de Vladimir Kara-Mourza, Vadim Prokhorov, a déclaré avoir reçu de multiples menaces de la part du procureur général et du juge présidant le procès, ce qui l'a contraint à quitter le pays 
			(12) 
			Vadim Prokhorov,
«<a href='https://www.justsecurity.org/91443/a-lawyer-for-political-prisoners-on-why-he-fled-russia/'>A
Lawyer for Political Prisoners on Why He Fled Russia</a>», Just Security,
24 janvier 2024..
19. Depuis septembre 2023, M. Kara-Mourza a été transféré dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité en Sibérie. Son emplacement n'a été connu que trois semaines après son transfert. Le 24 septembre 2023, ses avocats ont annoncé qu'il avait été localisé et qu'il était détenu dans une cellule disciplinaire. Au cours des six derniers mois, M. Kara-Mourza a été détenu à l’isolement complet dans une cellule d'environ 3 mètres sur 4, d'abord dans une colonie pénitentiaire à régime strict, puis dans une colonie pénitentiaire sibérienne à «régime spécial», qui est la catégorie la plus dure du système pénitentiaire russe. Depuis septembre 2023, il ne reçoit plus de traitement médical et sa polyneuropathie s’aggrave lentement.
20. Suite au décès d'Alexeï Navalny le 16 février 2024, de nombreuses personnes craignent que Vladimir Kara-Mourza et d'autres prisonniers politiques russes ne soient également assassinés par le régime du Kremlin. M. Kara-Mourza a déclaré qu'il avait réagi avec désespoir à la mort de M. Navalny, mais qu'il n'abandonnerait pas le combat pour faire de la Fédération de Russie un pays normal, libre, européen et démocratique 
			(13) 
			CNN,
«<a href='https://edition.cnn.com/europe/live-news/russia-ukraine-war-news-02-22-24/h_1e6d78cefdf223ce1d9258261023ccf8'>Jailed
Kremlin critic Kara-Murza says he will not give up after Navalny's
death</a>», 22 février 2024..
21. Des milliers d'autres personnes ont également été persécutées. La moindre prise de parole ou manifestation pacifique est désormais sanctionnée par une amende élevée, un placement en détention ou une incarcération prolongée. De longues peines d'emprisonnement ont été prononcées contre des personnes qui ont créé, partagé, «aimé» ou commenté de manière répétée des messages sur les réseaux sociaux (comme les messages de l'étudiant militant Dmitry Ivanov), ou qui ont brandi une pancarte anti-guerre à la télévision (la présentatrice de télévision Marina Ovsyannikova). Un exemple notable est celui d'Alexey Gorinov, conseiller municipal de Moscou, qui, lors d'une réunion du conseil, a déclaré que «des enfants mouraient» et que «tous les efforts de la société civile russe devraient viser à arrêter la guerre et à retirer les troupes du territoire ukrainien». Ce conseiller a été le premier à être condamné, au titre des modifications apportées à la loi, à près de sept ans d'emprisonnement pour avoir diffusé sciemment de fausses informations sur l'armée russe. L'état de santé de M. Gorinov est très mauvais et se détériore en détention. Les autorités pénitentiaires l'ont inscrit sur un registre préventif comme détenu susceptible de s'évader; elles le contrôlent donc toutes les deux heures, y compris en le réveillant la nuit. L'artiste Aleksandra Skochilenko a été condamnée à 7 ans d'emprisonnement pour avoir remplacé les étiquettes de prix des supermarchés par des slogans anti-guerre et des informations sur les activités des forces armées russes en Ukraine en avril 2022. Le 9 décembre 2022, l’homme politique Ilya Yashin a été condamné à 8 ans et six mois de prison pour avoir posté une vidéo sur le massacre de Boutcha. Selon Amnesty International, 43 journalistes ont été poursuivis pour leur position anti-guerre 
			(14) 
			Amnesty International,
«Russie:<a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/eur46/5988/2022/fr/'> Les
autorités déploient de nouvelles lois pénales afin d’étouffer les
critiques sur la guerre menée par la Russie en Ukraine</a>», EUR 46/5988/2022, 2 septembre 2022; Pjotr Sauer, «<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/jul/08/moscow-councillor-jailed-seven-years-criticising-ukraine-war-alexei-gorinov'>Moscow
councillor jailed for seven years after criticising Ukraine war
»</a>”, The Guardian,
8 juillet 2022; Tom Watling, «<a href='https://www.independent.co.uk/travel/europe/russia/sasha-skochilenko-russia-puting-protest-b2449298.html'>Russian
artist jailed for staging anti-war supermarket protest as Putin
pardons murderer of Kremlin-critic</a>», The Independent,
17 novembre 2023; Amnesty International, «<a href='https://www.amnesty.org/en/latest/news/2024/03/anti-war-protest-in-russia/'>Anti-war
Protest in Russia »</a>, (données au 4 mars 2024)..
22. Oleg Orlov, coprésident du Centre de défense des droits de l'homme Memorial, a été condamné pour avoir «discrédité de manière répétée les forces armées russes». Le 27 février 2024, il a été condamné à deux ans et six mois d'emprisonnement. Cette condamnation se fonde sur un message posté sur les réseaux sociaux en novembre 2022, dans lequel il partageait un article intitulé «Russie: ils voulaient le fascisme, ils l'ont eu», et sur le fait qu'il tenait une pancarte en mars 2022 sur laquelle on pouvait lire «Paix pour l'Ukraine, liberté pour la Russie». De nombreuses accusations pénales ont été portées contre les avocats d'Alexeï Navalny, notamment Vadim Kobzev, Igor Sergounine, Alexeï Lipster (qui ont tous été arrêtés) et Olga Mikhaïlova (qui a été inculpée par contumace) 
			(15) 
			Emanuelis Zingeris
(Lituanie, PPE/DC) et Thórhildur Sunna Ævarsdóttir (Islande, SOC),
«<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9377/pace-general-rapporteurs-strongly-condemn-sentencing-of-the-legendary-human-rights-defender-oleg-orlov-to-prison-and-demand-the-release-of-political-prisoners'>Les
rapporteurs généraux de l'APCE condamnent fermement la peine de
prison infligée au défenseur des droits de l'homme légendaire, Oleg
Orlov, et demandent la libération des prisonniers politiques</a>», 27 février 2023; Vadim Prokhorov, op cit..
23. Les effets de la répression peuvent même avoir une incidence sur les droits parentaux des personnes persécutées pour s'être opposées à la guerre. Par exemple, la fille d’Alexeï Moskaliov, qui avait fait un dessin dénonçant la guerre à l’école, a été placée dans un orphelinat après le placement en détention de son père en mars 2023 pour avoir «discrédité» l’armée russe. L'adolescente est désormais chez sa mère mais M. Moskaliov risque une peine de deux ans dans une colonie pénitentiaire, assortie d'une interdiction d'utiliser internet 
			(16) 
			Mark Trevelyan, «<a href='https://www.reuters.com/world/europe/russian-court-spurns-emotional-appeal-man-whose-daughter-drew-anti-war-picture-2023-07-03/'>Russian
court spurns emotional appeal from man whose daughter drew anti-war
picture »</a>, Reuters, 3 juillet
2023..

2.3. Suppression de la société civile et des organisations de médias

24. Les organisations de défense des droits humains et les médias indépendants ont été systématiquement dissous, leurs employés ont fait l'objet de poursuites pénales et administratives et/ou ont été placés dans une situation telle qu’ils ont été contraints de mettre fin à leurs activités. Cette répression, qui a commencé avant l'invasion de grande ampleur, s'est considérablement intensifiée ensuite.
25. Memorial, l'une des organisations russes de défense des droits humains les plus réputées, a vu son recours contre les ordonnances de dissolution rejeté par la Cour suprême russe le 3 mars 2022. En avril 2022, les autorités russes ont annulé l'enregistrement de 15 ONG et fondations étrangères, y compris Human Rights Watch et Amnesty International, ce qui les a obligées à fermer leurs bureaux en Fédération de Russie. Le Groupe Helsinki de Moscou, la plus ancienne organisation russe de défense des droits humains, a reçu l'ordre de fermer ses portes en janvier 2023. En mars 2023, la police a perquisitionné les domiciles de neuf membres du conseil d'administration et du personnel de Memorial, qui avait continué à fonctionner de manière ad hoc après sa dissolution officielle. En avril 2023, les autorités ont également dissous «Sova», un groupe de réflexion travaillant sur la xénophobie et l'extrémisme. En août 2023, le centre Sakharov a également été dissous 
			(17) 
			Radio Free Europe /
Radio Liberty, «<a href='https://www.rferl.org/a/memorial-appeal-denied/31765088.html'>Memorial
Says Russian Supreme Court Rejects Appeal Of Closure Order</a>», 22 mars 2022; Human Rights Watch, «World Report 2023:<a href='https://www.hrw.org/world-report/2023/country-chapters/russian-federation'> Russian
Federation »</a> [version abrégée en français], Human Rights Watch, «<a href='https://www.hrw.org/news/2022/12/21/russias-oldest-human-rights-group-faces-liquidation'>Russia’s
Oldest Human Rights Group Faces 'Liquidation'</a>», 21 décembre 2022; Human Rights Watch, «<a href='https://www.hrw.org/news/2023/03/21/russia-opens-new-case-against-memorial'>Russia
Opens New Case against Memorial</a>», 21 mars 2023; SOVA Center, «<a href='https://www.sova-center.ru/en/announcement/2023/04/d76602/'>The
Moscow City Court orders liquidation of SOVA Center</a>», 27 avril 2023; International Federation for Human
Rights (FIDH), «Russia:<a href='https://www.fidh.org/en/issues/human-rights-defenders/russia-liquidation-of-the-sakharov-center'> Liquidation
of the Sakharov Center</a>», 30 août 2023..
26. Les autorités ont utilisé un puissant moyen de répression qui consiste à qualifier certaines organisations d’«agents étrangers» et d’«organisations indésirables». Ces qualifications sont en place depuis de nombreuses années. Cependant, le champ d'application de la législation pertinente a été considérablement élargi en décembre 2022, et les lois ont été appliquées de manière beaucoup plus étendue.
27. Les ONG qualifiées d'«agents étrangers» sont confrontées à un large éventail de restrictions qui rendent leurs activités quotidiennes extrêmement difficiles. Il s'agit notamment de contrôles gouvernementaux intensifs (tels que des contrôles fiscaux), d'obstacles administratifs importants à la collecte de fonds, d'une obligation d’indiquer la mention «agents étrangers» sur les publications et d'une interdiction d’organiser des événements publics. Le non-respect de ces restrictions peut entraîner une responsabilité pénale individuelle importante. Le nombre d'enregistrements d'«agents étrangers» en 2022 est supérieur à leur nombre total cumulé pour 2019 à 2021 
			(18) 
			OVD-Info, «Making sense
of the repression of ‘foreign agents’ and ‘undesirable organizations’
in Russia and beyond», séminaire en ligne organisé par L’Archipel, 19 janvier 2024.. Entre février 2023 et février 2024, 56 organisations et 162 personnes ont été qualifiées d’«agents étrangers». Parmi les nouveaux enregistrements, 109 organisations et personnes s'étaient «opposées à l'opération militaire spéciale en Ukraine». Au moins 30 personnes sont poursuivies pour des infractions pénales liées à des inscriptions sur la liste des «agents étrangers» effectuées depuis le 24 février 2023. Il s’agit notamment des membres du mouvement «Golos», du rédacteur en chef du journal de la province de Pskov, Denis Kamalyagin, et du rédacteur en chef du service Tatar-Bashkir de «Radio Liberty» Alsu Kurmasheva 
			(19) 
			Ibid.; «Persecution of the anti-war
movement report:<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'> Two
years of Russia’s full-scale invasion of Ukraine</a>», op. cit..
28. Si une organisation est qualifiée d’«indésirable», le fait de la diriger ou de la financer peut donner lieu à des poursuites immédiates. En outre, la participation à l'une de ses activités peut entraîner des condamnations administratives entraînant de lourdes amendes (et des poursuites pénales si une deuxième infraction est commise dans l'année). La «participation» peut inclure des actions aussi mineures que la «republication» de messages sur les réseaux sociaux. Entre février 2023 et février 2024, 66 organisations ont été qualifiées d'«indésirables», dont 41 qualifications liées à la guerre. Parmi les exemples, citons l'Université libre de Moscou, en raison de son enseignement de l'histoire russe, et le journal étudiant Doxa 
			(20) 
			«Making sense of the
repression of ‘foreign agents’ and ‘undesirable organizations’ in
Russia and beyond», op. cit., séminaire
en ligne organisé par L’Archipel,
19 janvier 2024; «Persecution of the anti-war movement report:<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'> Two
years of Russia’s full-scale invasion of Ukraine»</a>”, op.cit.; Politico,
«<a href='https://www.politico.eu/article/russia-media-doxa-undesirable-organization-news-journalism/'>Russia
labels student news outlet Doxa an ‘undesirable’ organization»</a>, 25 janvier 2024..
29. Enfin, depuis le 24 février 2022, le service de censure russe Roskomnadzor a bloqué 66 061 ressources, dont le site web d'OVD-Info 
			(21) 
			«Persecution of the
anti-war movement report:<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'> Two
years of Russia’s full-scale invasion of Ukraine</a>», op. cit.. Un tribunal russe a jugé que des entreprises de médias sociaux et numériques telles que Meta exerçaient des «activités extrémistes» en vertu des lois fédérales 374-FZ et 375-FZ, et Facebook et Instagram ont été bloqués 
			(22) 
			The Guardian, «<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/mar/21/russia-bans-facebook-and-instagram-under-extremism-law'>Russia
bans Facebook and Instagram under ‘extremism’ law</a>», 21 mars 2022..

2.4. Situation juridique

30. Avant la guerre d'agression de grande ampleur, la Fédération de Russie avait déjà commis de nombreuses violations de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n°5) en ce qui concerne la liberté de réunion 
			(23) 
			Par exemple, Lashmankin et autres groupe c. Russie,
requête n° 57818/09, arrêt du 7 février 2017., la liberté d'expression et d'information 
			(24) 
			Par exemple, Vladimir Kharitonov c. Russie, requête
n° 10795/14, arrêt du 23 juin 2020., la liberté d'association 
			(25) 
			Par
exemple, Ecodefence et autres c. Russie, requêtes
n° 9988/13 et 60 autres, arrêt du 14 juin 2022. et le droit à la liberté 
			(26) 
			Par
exemple, Tsvetkova et autres c. Russie,
requêtes n° 54381/08, 10939/11, 13673/13, 69739/14, 70724/14 et 52440/15,
arrêt du 10 avril 2018.. Les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme visant ces problèmes systémiques n'ont pas été exécutés par la Fédération de Russie, ce qui a conduit à une situation désastreuse pour les droits liés à l'exercice des libertés politiques avant même le début de la guerre. Les faits juridiques survenus en mars 2022 ont encore facilité la répression brutale décrite ci-dessus.
31. Le 2 mars 2022, le Parlement russe a apporté une série d’amendements au Code pénal. L’article 207.3 a été amendé pour ériger en infraction pénale la «diffusion publique délibérée de fausses informations sur l’utilisation des forces armées russes» (5 à 10 ans d’emprisonnement, 15 ans pour les infractions entraînant «de graves conséquences»); l’article 280.3 pour ériger en infraction pénale «les actions publiques visant à discréditer les forces armées russes» (jusqu’à 5 ans d’emprisonnement) et l’article 284.2 pour ériger en infraction pénale «les appels à la prise de mesures restrictives contre la Fédération de Russie, ses citoyens ou ses entités juridiques» (amende et jusqu’à 3 ans d’emprisonnement). Le projet de loi, qui a été adopté par les deux chambres du Parlement russe et a été signé par le Président Poutine, est entré en vigueur en 48 heures, le 4 mars 2022. Le 25 mars 2022, l’article 207.3 du Code pénal a été de nouveau modifié pour interdire «la diffusion délibérée de fausses informations», non seulement sur les forces armées russes, mais aussi sur tout organe public russe agissant à l’étranger 
			(27) 
			Amnesty
International, «Russie.<a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/eur46/5988/2022/fr/'> Les
autorités déploient de nouvelles lois pénales afin d’étouffer les
critiques sur la guerre menée par la Russie en Ukraine »</a>, EUR 46/5988/2022, 2 septembre 2022.. En février 2024, une nouvelle loi a été approuvée pour permettre la confiscation des biens, des capitaux et des avoirs des personnes reconnues coupables de diffuser sciemment de «fausses informations» au sujet de l'armée 
			(28) 
			Associated
Press, «<a href='https://apnews.com/article/russia-ukraine-war-property-confiscation-bill-18de6de5c9ab7333671a341cf70fd2ac'>Putin
signs law to confiscate assets of those convicted of discrediting
the Russian army</a>», 14 février 2024..
32. En ce qui concerne les infractions administratives, un amendement à l'article 20.3.3 du Code russe des infractions administratives est entré en vigueur le 4 mars 2022. Reprenant l'article 280.3 du Code pénal pour «discrédit des forces armées», mais utilisé pour des infractions moins graves, l'amendement a entraîné la condamnation de 556 manifestants à des amendes de plusieurs milliers de roubles dans les six semaines qui ont suivi son entrée en vigueur 
			(29) 
			The
Moscow Times, «How Russia's New Law Against 'Fakes' is
Being Applied», 22 avril 2022..
33. Ces lois montrent la vraie nature du régime russe. Avant l'invasion de grande ampleur, les autorités utilisaient des accusations inventées de toutes pièces pour engager des poursuites à des fins politiques, notamment la possession de drogue ou la corruption de journalistes et de militants. Depuis mars 2022, les autorités se soucient d’autant moins de dissimuler les motivations politiques derrière les poursuites qu’elles ont explicitement érigé en infraction la dissidence tant dans le droit pénal que dans le droit administratif.
34. Par ailleurs, le 1er décembre 2022, des modifications du droit administratif sur les «agents étrangers» sont entrées en vigueur. Elles ont élargi les critères justifiant l’inscription de personnes sur la liste des agents étrangers – de la réception d’un «financement étranger» au fait d’être «sous influence étrangère» – et ont étendu la qualification d’«activité politique» pour inclure toute activité liée aux «droits et libertés de l’homme et des citoyens», la «collecte ciblée d’informations dans le domaine des activités militaires de la Fédération de Russie», la diffusion publique de tout message ou document, ou la participation à la création de tels messages ou documents 
			(30) 
			Inoteka,
«<a href='https://inoteka.io/ino/2022/08/22/state-duma-adopted-new-law-foreign-agents-what-will-change'>The
State Duma adopted a new law on ‘foreign agents’. What will change?»</a>, 22 août 2022. En conséquence, les organisations et les personnes qui contestent le discours de l’administration russe sur la guerre, par exemple en rendant compte des activités de l’armée russe en Ukraine, ou qui dénoncent les violations des droits humains peuvent facilement être qualifiées d’«agents étrangers» et s’exposer ainsi à des sanctions administratives ou à la dissolution.
35. D'autres articles du Code pénal ont souvent été employés pour arrêter et placer en détention des manifestants anti-guerre. Parmi les plus fréquemment utilisés, citons l'article 205.2.2, en vertu duquel tout appel public à mener des activités terroristes, toute justification publique du terrorisme ou tout acte de propagande diffusé au moyen de médias de masse, ou de réseaux électroniques d'information et de télécommunication, y compris internet, sont passibles d'une peine de cinq à sept ans d’emprisonnement. Par exemple, la participation d'Andrey Boyarshinov à des appels à des émeutes de masse dans des tchats Telegram a entraîné sa détention 
			(31) 
			OVD-Info, «<a href='https://repression.info/en/persons/andrey-boyarshinov'>Criminal
repression of anti-war stance in Russia: Andrey Boyarshinov</a>».. Une autre disposition fréquemment utilisée est l'article 214.2 relatif à des actes de vandalisme commis par une personne ou un groupe de personnes et motivés par la haine ou l'animosité politique, idéologique, raciale, ethnique ou religieuse, ou par la haine ou l'animosité à l'égard d'un groupe social. Les infractions sont passibles d'une peine de privation de liberté, de travaux forcés ou d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. Citons, par exemple, Alexander Martynov qui a écrit «Ukraine, pardonne-nous» sur un mur situé à l’arrière d’un magasin avant d’être reconnu coupable de vandalisme à motivation politique et condamné à une peine de six ans et demi dans une colonie pénitentiaire, soit une peine pour violation aggravée de l'article 207.3 
			(32) 
			OVD-Info,
«<a href='https://repression.info/en/persons/alexander-martynov'>Criminal
repression of anti-war stance in Russia: Alexander Martynov</a>».. Enfin, l'article 280.2 concerne les appels publics à mener des activités extrémistes au moyen de médias de masse, ou de réseaux d'information et de télécommunication, y compris internet, ce qui est passible de travaux forcés ou d'une peine de privation de liberté pouvant aller jusqu'à 5 ans. L’exemple d’Oleg Belousov, qui a accusé Poutine de crimes de guerre dans une vidéo avant d’être condamné à cinq ans et demi dans une colonie pénitentiaire en vertu de cet article, est frappant à cet égard 
			(33) 
			OVD-Info, «<a href='https://repression.info/en/persons/oleg-belousov'>Criminal
repression of anti-war stance in Russia: Oleg Belousov</a>».. Des abus dans les poursuites engagées au titre des lois relatives au terrorisme ont également été signalés. Au cours des deux dernières années, des actions de protestation anti-guerre peu violentes (notamment des incendies criminels de faible ampleur n’ayant pas porté atteinte à des personnes) ont fait l'objet de poursuites disproportionnées pour violations des lois anti-terroristes 
			(34) 
			Amnesty
International, «Russie.<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/02/russia-surge-in-abuse-of-anti-terrorism-laws-to-suppress-dissent/'> Les
lois antiterroristes sont de plus en plus instrumentalisées pour
étouffer la dissidence</a>», 19 février 2024.. Les journalistes et autres personnes sont également accusés à tort de nombreuses autres infractions pénales, notamment la détention de drogue, la trahison, l'espionnage, le séparatisme et les insultes à l'encontre de responsables publics 
			(35) 
			ONU,
Conseil des droits de l'homme, «<a href='https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/ahrc5454-situation-human-rights-russian-federation-report-special'>Situation
des droits humains dans la Fédération de Russie, Rapport de la Rapporteuse
spéciale sur la situation des droits de l’homme dans la Fédération
de Russie, Mariana Katzarova</a>», 15 septembre 2023, A/HRC/54/54, paragraphes 54 et
59..
36. La majorité (si ce n’est la totalité) des modifications susmentionnées du Code pénal et du Code administratif russes depuis mars 2022 violent les normes relatives aux droits humains, y compris la Convention et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Sachant que la Cour européenne des droits de l’homme instruira et jugera des affaires qui concernent d’éventuelles violations de la Convention survenues jusqu’au 16 septembre 2022 et impliquent la Fédération de Russie 
			(36) 
			Comité
des Ministres, <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5ee2b'>Résolution
CM/Res(2022)3 sur des conséquences juridiques et financières de
la cessation de la qualité de membre du Conseil de l’Europe de la
Fédération de Russie</a>, paragraphe 7., on peut raisonnablement penser qu’elle rendra en temps voulu des arrêts sur les violations des droits humains qui découlent de la répression des manifestants anti-guerre. Par ailleurs, l'article 284.3 du Code pénal, adopté en avril 2023, érige en infraction la coopération avec des organismes internationaux auxquels la Fédération de Russie n'est pas partie. La loi est formulée en termes généraux, ce qui laisse craindre qu'elle puisse être utilisée pour engager des poursuites à la suite de tentatives d’exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Selon Human Rights Watch, la loi a rapidement entraîné l'abandon de certaines requêtes 
			(37) 
			Human
Rights Watch, «Russia:<a href='https://www.hrw.org/news/2023/05/05/russia-law-targets-international-criminal-court'> Law
Targets International Criminal Court</a>», 5 mai 2023..

2.5. Évaluations par l'Assemblée et d'autres organes internationaux

37. Depuis le début de l'agression militaire illégale et non provoquée contre l'Ukraine le 24 février 2022, l'Assemblée 
			(38) 
			Avis 300 (2022) «Conséquences de l'agression de la Fédération de Russie
contre l'Ukraine», paragraphe 11; Résolution 2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l'agression de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine», paragraphe 7 et Résolution 2446 (2022) «Cas signalés de prisonniers politiques dans la Fédération
de Russie», paragraphe 18., son Président 
			(39) 
			Conseil de l'Europe, <a href='https://pace.coe.int/fr/news/9269/-it-s-simply-unacceptable-pace-president-tiny-kox-on-the-day-of-political-prisoners.'>«C'est
tout simplement inacceptable» – Tiny Kox, Président de l'APCE, à
l'occasion de la Journée des prisonniers politiques</a>», 27 octobre 2023; Conseil de l'Europe, «<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9051/pace-leaders-show-their-strong-solidarity-with-political-prisoners-in-russia-and-belarus-'>Les
dirigeants de l’APCE manifestent leur ferme solidarité avec les
prisonniers politiques en Russie et au Bélarus</a>», 24 avril 2023; et Conseil de l'Europe, «<a href='https://pace.coe.int/fr/news/8618'>Réaction du
Président de l’APCE suite à la nouvelle loi russe à l’encontre des
médias</a>», 7 mars 2022., ses commissions 
			(40) 
			Par exemple: Conseil
de l’Europe, «<a href='https://pace.coe.int/fr/news/8691/committee-chair-calls-for-immediate-release-of-russian-opposition-politician-vladimir-kara-murza'>Le
Président d’une commission appelle à la libération immédiate de
l'opposant russe Vladimir Kara-Mourza</a>», 27 avril 2022. et ses rapporteurs 
			(41) 
			Conseil de l'Europe,
«<a href='https://pace.coe.int/fr/news/8674/general-rapporteur-on-the-situation-of-human-rights-defenders-reacts-to-the-sentence-of-vladimir-kara-murza'>La
rapporteure générale sur la situation des défenseur.e.s des droits
de l'homme réagit à la condamnation de Vladimir Kara-Mourza</a>», 14 avril 2022; Conseil de l'Europe, «<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9132/rapporteur-expresses-concern-over-harassment-and-trial-of-russian-human-rights-defender-oleg-orlov-and-others-who-oppose-russia-s-war-of-aggression'>Une
rapporteure se dit préoccupée par le harcèlement et le procès du
défenseur russe des droits humains Oleg Orlov et d’autres personnes
qui s’opposent à la guerre d’agression de la Russie</a>», 8 juin 2023; Conseil de l'Europe, «<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9194/pace-general-rapporteur-concerned-by-ongoing-treatment-of-vladimir-kara-murza'>Une
rapporteure générale de l'APCE préoccupée par le traitement infligé
à Vladimir Kara-Mourza</a>», 14 août 2023., ainsi que la Commissaire aux droits de l'homme 
			(42) 
			Déclarations
de la Commissaire aux droits de l'homme, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/les-d%C3%A9fenseurs-des-droits-de-l-homme-en-russie-doivent-%C3%AAtre-soutenus'>Les
défenseurs des droits de l'homme en Russie doivent être soutenus»</a>, 25 janvier 2023; «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/member-states-should-provide-more-support-to-russian-and-belarusian-human-rights-defenders'>Les
États membres devraient apporter un soutien accru aux défenseurs
des droits humains de Russie et du Bélarus</a>», 12 octobre 2022; et «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/russian-authorities-should-stop-the-unprecedented-crackdown-on-freedoms-of-expression-assembly-and-association-in-the-country'>Les
autorités russes doivent mettre fin à la répression sans précédent
des libertés d'expression, de réunion et d'association dans le pays»</a>, 7 mars 2022., tout en dénonçant sans équivoque l'invasion, ont continué à réagir à la répression des opposants politiques et des militants de la société civile dans la Fédération de Russie, en particulier des personnes qui s'opposent à la guerre. La répression de l'activisme anti-guerre a également été régulièrement condamnée par les rapporteurs spéciaux et les experts de l’ONU 
			(43) 
			ONU,
Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH), «<a href='https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/09/russia-un-expert-alarmed-continued-targeting-human-rights-defenders'>Russie:
UN expert alarmed at continued targeting of human rights defenders»</a>, 14 septembre 2022; OHCHR, «<a href='https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/03/russia-un-experts-alarmed-choking-information-clampdown'>Russia:
UN experts alarmed by ‘choking’ information clampdown</a>», 12 mars 2022; OHCHR, «<a href='https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/07/russia-un-experts-condemn-civil-society-shutdown'>Russia:
UN experts condemn civil society shutdown»</a>, 13 juillet 2022; et OHCHR, «<a href='https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2023/01/comment-un-human-rights-office-spokesperson-marta-hurtado-russia'>Observation
de Marta Hurtado, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de l’homme, à propos de la Fédération de Russie</a>», 26 janvier 2023., les mécanismes des organes conventionnels des Nations Unies 
			(44) 
			ONU, Comité des droits
de l'homme (2022), «<a href='https://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2FPPRiCAqhKb7yhstWB5OJfDOQhMEkiX20XNhLNfx3Ua79YTO797pfAxhNTrVgG%2Ff4Oa6%2BJnkGMdF2Jl4lJ83LeugDOQOyZKxECEmNShaNtmihTg74Y65wZEWF1'>Observations
finales concernant le huitième rapport périodique de la Fédération
de Russie</a>», CPR/C/RUS/CO/8, 1er décembre 2022; et ONU, Conseil
des droits de l'homme, Groupe de travail sur la détention arbitraire,
«<a href='https://www.ohchr.org/en/special-procedures/wg-arbitrary-detention/opinions-adopted-working-group-arbitrary-detention/opinions-adopted-working-group-arbitrary-detention-its-95th-session'>Avis
adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire lors
de sa 95e session, 14-18 novembre 2022: Avis n° 78/2022 concernant
Alexey Gorinov (Fédération de Russie)</a>», A/HRC/WGAD/2022/78, 17 mars 2023, paragraphes 95-98. et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) 
			(45) 
			OSCE, Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH), «<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/7/5/526720.pdf'>Report
on Russia's Legal and Administrative Practice in light of its OSCE
Human Dimension Commitments</a>», ODIHR.GAL/58/22 REV.1, 22 septembre 2022; Assemblée
parlementaire de l'OSCE, «<a href='https://www.oscepa.org/en/news-a-media/press-releases/2022/osce-pa-president-and-human-rights-leaders-denounce-jailing-of-political-opponent-in-moscow'>OSCE
PA President and human rights leaders denay prisonaging of political opponent
in Moscow</a>», 13 avril 2022; et Assemblée parlementaire de l'OSCE,
«<a href='https://www.oscepa.org/en/news-a-media/press-releases/press-2023/osce-pa-human-rights-leaders-issue-statement-on-court-decision-to-shutter-moscow-helsinki-group'>OSCE
PA human rights leaders issue statement on court decision to shutter
Moscow Helsinki Group»</a>, 26 janvier 2023..

2.6. Adaptation: comment les activités anti-guerre se poursuivent dans un environnement répressif

38. Sur les 19 850 personnes qui ont été détenues pour avoir pris position contre la guerre, 15 355 l’ont été au cours du premier mois de l'agression de grande ampleur. Le nombre d'arrestations mensuelles n'a cessé de diminuer depuis lors, à l'exception d'un pic entre août et octobre 2022, qui a coïncidé avec la mobilisation en Fédération de Russie. Entre novembre 2023 et février 2024, OVD-Info a enregistré moins de cinq détentions de manifestants anti-guerre par mois. À mon avis, les données indiquent qu'il y a eu (et qu'il y a toujours) un niveau important d'opposition du public à la guerre d'agression mais que la répression massive des manifestants anti-guerre a réussi à étouffer l’expression publique de cette opposition 
			(46) 
			«<a href='https://en.ovdinfo.org/persecution-anti-war-movement-report-two-years-russias-full-scale-invasion-ukraine'>Persecution
of the anti-war movement report: Two years of Russia’s full-scale
invasion of Ukraine</a>», op.cit..
39. Cela ne signifie pas que le mouvement anti-guerre a été détruit: il s’est tout simplement réfugié dans la clandestinité. Les Russes qui s'opposent à la guerre ont adapté leurs activités afin de pouvoir continuer à exprimer certaines formes de dissidence anti-guerre sans risquer d'être arrêtés immédiatement et emprisonnés pour une durée prolongée et indéterminée. Les organisations qui ont été dissoutes continuent de fonctionner de manière informelle. Les journalistes continuent de publier du contenu indépendant sur des sites web hébergés à l'étranger. Les avocats fournissent un soutien et des conseils juridiques aux requérants. Outre les initiatives juridiques, les projets d'éducation aux droits humains poursuivent leurs activités. Par exemple, l'école Yelena Bonner sur les droits de l'homme organisée par le Centre russe Sakharov est désormais présente en ligne et accueille régulièrement des centaines de participants vivant en Fédération de Russie et des participants ayant récemment émigré. Memorial continue d'organiser des visites guidées de diverses villes russes autour de thèmes comme le terrorisme d'État et les droits humains. Ces points de rencontre sont importants pour les personnes qui partagent les mêmes points de vue en matière de protection des droits humains 
			(47) 
			Katia Patin, «<a href='https://www.codastory.com/rewriting-history/memorial-human-rights-group-russia-crackdown/'>Surviving
Russia' s Control</a>», Coda, 30 octobre
2023.. Memorial et d'autres projets de défense des droits humains ont ouvert une ligne d'assistance téléphonique et des consultations en ligne pour les personnes qui souhaitent éviter la mobilisation militaire. Une autre initiative de solidarité a été lancée en octobre 2023; il s’agit de la «Fondation du 30 octobre», qui vise à aider les prisonniers politiques russes et leurs familles. Le premier don a été fait par M. Kara-Mourza, qui a utilisé le montant qu'il a reçu en 2022 dans le cadre du Prix Václav Havel pour les droits de l'homme et du Prix Axel Springer qui récompense le courage.
40. Les membres de la société civile russe avec lesquels j'ai parlé vivent désormais en dehors de la Fédération de Russie et font partie des centaines, voire des milliers de personnes qui œuvrent à l'extérieur du pays pour soutenir les éléments de la société qui s'opposent à la guerre. Les avocats qui ont quitté la Fédération de Russie travaillent avec des collègues dans le pays pour fournir une assistance juridique aux personnes qui contestent la guerre; les journalistes indépendants établis à l'extérieur de la Fédération de Russie travaillent avec des sources et des contacts au sein de l'État pour publier des informations précises sur la guerre; et les militants à l'étranger travaillent avec des contacts locaux pour contribuer à la fourniture d’un soutien matériel aux personnes qui ont été persécutées. Toutes ces activités supposent d’être en mesure de travailler avec une société civile qui continue d'exister en Fédération de Russie et de fournir un soutien aux personnes qui y vivent et qui affichent des opinions anti-guerre 
			(48) 
			À titre d’exemple,
l’organisation OVD-Info, qui mène des initiatives juridiques depuis
l'étranger, a déposé plusieurs recours auprès de la Cour constitutionnelle
russe dans des affaires de harcèlement administratif de masse visant
tous ceux qui sont accusés de «discréditer les forces armées russes».
Les avocats russes continuent également de déposer des requêtes
devant la Cour européenne des droits de l'homme pour des violations
survenues avant le 16 septembre 2022 et utilisent de plus en plus
les mécanismes judiciaires et quasi-judiciaires de l’Organisation
des Nations Unies..
41. Ces activités ne relèvent pas forcément d'une organisation collective pilotée par un seul dirigeant. Elles sont souvent menées par des organisations qui ont une existence semi-formelle ou totalement informelle au sein de la Fédération de Russie elle-même. Plus important encore, les activités de ces groupes sont généralement peu connues: parce que les autorités russes n'en parlent pas dans le pays et parce que ceux qui mènent ces activités ne souhaitent pas forcément que les autorités en soient informées. Cela ne signifie pas pour autant que les activités et les opinions anti-guerre ont été éradiquées en Fédération de Russie. En effet, les gens s’expriment lorsqu’ils ont un moyen légal et sûr de le faire: par exemple, la campagne en faveur de la candidature de Boris Nadezhdin à l'élection présidentielle pour lutter contre la guerre aurait recueilli plus de 100 000 signatures.
42. Le mouvement anti-guerre russe a été soumis à des pressions incroyables mais il n’a pas été brisé, et nous ne devons pas faire écho à la propagande du Kremlin qui affirme qu'aucun Russe ne s'oppose à cette guerre d'agression injustifiée et inadmissible.

3. Situation au Bélarus

43. La vague répressive qui a fait suite aux élections de 2020 au Bélarus s’est traduite par une série de modifications législatives draconiennes qui ont considérablement renforcé la capacité du gouvernement à mener une répression à caractère politique. Ces réformes ont créé de nouvelles infractions en droit pénal et administratif (souvent pour des actes à la définition floue), alourdi les sanctions, étendu l’application de la peine de mort et restreint encore davantage les libertés d’expression, de réunion et d’association.
44. Il convient notamment de noter les changements apportés en mai 2021 à la «loi relative à la lutte contre l’extrémisme» qui ont élargi la définition des «activités extrémistes» pour y inclure des actes tels que la diffusion de «fausses informations» sur le Bélarus, l’outrage aux autorités ou le discrédit jeté sur le gouvernement. Ces amendements ont étendu le champ d’application d’une loi déjà amplement utilisée auparavant pour réprimer les voix dissidentes, entraînant une multiplication des poursuites et un durcissement des peines. Les documents réputés «extrémistes» ont été inscrits sur des listes officielles qui comprennent des sites web, des médias, des publications sur les droits humains, des livres, des chansons, des podcasts, des chaînes Telegram et des hashtags. Par ailleurs, six autres lois évoquant l’«extrémisme» ont été promulguées entre 2021 et 2023, et imposent d’autres sanctions pénales pour des comportements définis de manière vague 
			(49) 
			Loi
sur la prévention de la réhabilitation du nazisme du 14 mai 2021;
loi sur le génocide du peuple bélarussien du 5 janvier 2022; loi
no 165-Z portant modification du Code
pénal de la République du Bélarus du 13 mai 2022; loi no 199-Z portant
modification du Code de procédure pénale de la République du Bélarus
du 20 juillet 2022; loi no 242-Z portant modification
de la loi sur la citoyenneté de la République du Bélarus adoptée
le 5 janvier 2023; et loi portant modification du Code en matière
de responsabilité pénale du 9 mars 2023.. Sept lois supplémentaires ont été modifiées ou nouvellement adoptées au cours de cette période, restreignant encore plus les libertés d’expression, d’association et de réunion. En particulier, une modification apportée au Code pénal en janvier 2022 a érigé en infraction pénale la participation aux activités d’associations non enregistrées. Les modifications du Code pénal engagent la responsabilité des propriétaires de ressources internet dans la diffusion de contenus interdits (article 198-1) et prévoient des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour diffamation, voire six ans si ces contenus visent le Président (articles 188 et 367). Les modifications de la loi sur les événements de masse, apportées en mai 2021, encadrent strictement la procédure d’autorisation, engagent la responsabilité individuelle des personnes en cas de rassemblement non autorisé, et interdisent aux journalistes d’en rendre compte (en les assimilant à des participants) 
			(50) 
			«<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/d/5/543240.pdf'>Report
on the serious threat to the OSCE human dimension in Belarus since
5 November 2020»</a>, rapport du professeur Hervé Ascensio, OSCE, 11 mai 2023.
Voir pages 3-4, 14-20..
45. En outre, la définition du «terrorisme» contenue dans la législation bélarussienne est excessivement large et ne respecte pas les caractéristiques cumulatives des actes de terrorisme (énoncés dans la Résolution 1566 (2004) du Conseil de sécurité des Nations Unies et le modèle de définition proposé par le Rapporteur spécial sur la lutte contre le terrorisme et les droits humains) 
			(51) 
			Rapporteuse
spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, Anaïs Marin,
«<a href='https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n23/251/38/pdf/n2325138.pdf?token=iMPx2MnNZoRo1ZgZTz&fe=true'>Situation
des droits de l'homme au Bélarus»</a>, A/78/327, 25 août 2023, paragraphe 60.. En mai 2022, des modifications législatives ont été adoptées afin de permettre aux troupes du ministère de l’Intérieur d’utiliser des armes de combat et des équipements militaires spéciaux pour disperser les manifestations publiques 
			(52) 
			Amnesty International,
«<a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/pol10/5670/2023/fr/'>La
situation des droits humains dans le monde, rapport 2022/23»</a>, 27 mars 2023, page 122.. Enfin, la protection insuffisante du droit à un procès équitable et l’absence d’indépendance de la justice compromettent régulièrement les procédures pénales au Bélarus.
46. Ces conditions ont permis d’exercer une répression sévère et immédiate contre les manifestant·es anti-guerre au Bélarus, après le début de l’invasion à grande échelle. Cette dernière a coïncidé avec le référendum constitutionnel tenu au Bélarus le 27 février 2022. L’un des amendements proposés autorisait le déploiement d’armes nucléaires sur le territoire du Bélarus, établissant ainsi un lien entre le référendum et l’agression militaire. Des manifestant·es se sont rassemblés spontanément devant les bureaux de vote afin de protester contre la guerre, et ce jusqu’au lendemain du scrutin. Ces rassemblements ont été durement réprimés, entraînant l’arrestation d’environ 1 500 personnes. Même les actes les plus anodins pouvaient donner lieu à détention, comme le port d’un t-shirt «Non à la guerre», le dépôt de fleurs devant l’ambassade d’Ukraine ou le fait d’arborer les couleurs bleu et jaune. La plupart des arrestations ont été effectuées au titre de l’article 24.23 du Code bélarussien des infractions administratives, pour «violation de la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements de masse». De nombreuses informations ont fait état de personnes ayant subi des tortures après avoir été arrêtées lors de rassemblements 
			(53) 
			«<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/d/5/543240.pdf'>Report
on the serious threat to the OSCE human dimension in Belarus since
5 November 2020</a>», rapport du professeur Hervé Ascensio, op.cit; «<a href='https://spring96.org/en/news/110533'>Shot in the knees
and jailed: what Belarusians risk for the anti-war stance</a>», Viasna, 23 février 2024..
47. Par la suite, toute expression d’opinions défavorables à la guerre a fait l’objet de poursuites, souvent en application de la législation contre l’«extrémisme». Des personnes ont été placées en détention et reconnues coupables d’infractions administratives pour avoir appelé un commissariat de police et proféré le slogan «Gloire à l’Ukraine», pour avoir félicité l’Ukraine sur TikTok à l’occasion du Jour de l’indépendance du pays, pour avoir entonné l’hymne national de l’Ukraine lors d’un karaoké ou encore pour avoir posté sur les réseaux sociaux une photo du drapeau ukrainien. Des actes comme la publication de tags anti-guerre sur les réseaux sociaux ou des interviews critiquant la position du gouvernement sur la guerre ont donné lieu à des accusations d’«incitation à l’hostilité» en vertu de l’article 130 du Code pénal 
			(54) 
			Viasna op. cit.; rapport du professeur Ascensio,
OSCE op. cit., paragraphe 95..
48. De nombreux Bélarussiens courageux sont allés plus loin, en diffusant des informations sur des sujets militaires. Certaines actions ont été punies de plusieurs années d’emprisonnement, notamment le fait de filmer des avions (donnant lieu à des accusations de «facilitation d’activités extrémistes» en vertu des articles 361 à 364 du Code pénal) et de photographier des installations militaires (donnant lieu à des accusations de haute trahison en vertu de l’article 356). Certains Bélarussiens ont même été jusqu’à endommager des voies ferrées pour ralentir la progression de l’armée russe, ou à saboter des installations militaires russes. Au cours des neuf premiers mois de la guerre, 30 procédures pénales pour «actes de terrorisme» ont été ouvertes, qui peuvent déboucher sur de longues peines d’emprisonnement, voire sur la peine de mort 
			(55) 
			Rapport
du professeur Ascensio, OSCE op. cit.,
paragraphes 95-97..
49. Les poursuites pour terrorisme engagées contre les «partisans des chemins de fer» ont donné lieu à des peines ridiculement disproportionnées. Ainsi, le 27 décembre 2022, le tribunal régional d’Homiel a condamné trois personnes à des peines d’emprisonnement de 21 à 23 ans. De même, le 8 février 2023, le même tribunal a condamné deux personnes à 16 et 14 ans de prison, respectivement. Selon les informations disponibles, les deux intéressés ont été arrêtés avant même d’avoir commis les moindres dégâts. En juillet 2022, des modifications ont été apportées à l’article 468-27 du Code de procédure pénale du Bélarus, afin de prévoir la tenue de procédures pénales spéciales par contumace, pour juger des personnes se trouvant hors du Bélarus et soupçonnées d’être impliquées dans des actes de terrorisme, trahison, sabotage, création d’une organisation extrémiste ou participation aux activités d’une telle organisation, participation à une émeute et appel à des sanctions 
			(56) 
			Rapporteuse spéciale
sur la situation des droits de l’homme au Bélarus op. cit., paragraphe 61; Haut-Commissaire des
Nations Unies aux droits de l’homme, «<a href='https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g23/009/00/pdf/g2300900.pdf?token=7OwspBSHXSbNp7ywRU&fe=true'>Situation
des droits de l’homme au Bélarus à la veille et au lendemain de l’élection
présidentielle de 2020</a>», A/HRC/52/68, 3 février 2023, paragraphe 31..
50. Selon l’organisation bélarussienne de défense des droits humains Viasna, plus de 1 600 personnes ont été arrêtées au Bélarus en raison de leur opposition à la guerre. Parmi elles, 94 ont été condamnées à des peines d’emprisonnement comprises entre 1 et 23 ans. Au moins 5 personnes ont été poursuivies pour coopération alléguée avec les services spéciaux ukrainiens. 13 personnes détenues au Bélarus ont été condamnées pour sabotage de voies ferrées (totalisant 199,5 ans d’emprisonnement); au moins 37 personnes ont été condamnées pour avoir transmis aux médias des photos d’équipements militaires russes; 15 pour avoir eu l’intention de combattre aux côtés de l’Ukraine; au moins 38 pour avoir dénoncé publiquement l’agression russe et soutenu l’Ukraine; et 14 pour avoir collecté des dons en faveur de l’Ukraine. D’après Viasna, il y a plus de 1 400 prisonniers politiques au Bélarus, dont 101 souffrent de graves problèmes de santé 
			(57) 
			Viasna op. cit., données au 23 février 2024..
51. Je suis consternée par les nombreuses informations crédibles faisant état d’un recours non nécessaire à la force contre des protestataires anti-guerre au Bélarus, ainsi que de l’utilisation généralisée du cachot (sans fourniture de couvertures, de vêtements, de livres ou autres commodités), d’un refus d’accès aux médicaments, de mauvais traitements et de tortures par les autorités bélarussiennes à l’encontre de personnes qui ont exprimé leur opposition à la guerre. Le recours à la détention au secret, où les prisonniers politiques sont privés de tout contact avec le monde extérieur, est devenu particulièrement courant. Il s’agit d’une pratique extrêmement cruelle et inhumaine, qui punit non seulement la personne détenue, mais aussi ses proches 
			(58) 
			Haut-Commissaire des
Nations Unies aux droits de l’homme, op.
cit., paragraphe 10; rapport du professeur Ascensio,
OSCE, op. cit., paragraphe 98;
Katsiaryna Bublis (juriste au Centre des droits humains Viasna), témoignage
oral devant la commission des questions juridiques et des droits
de l'homme, Paris, 4 mars 2024; Tatsiana Khomich (coordinatrice
de l’équipe de Viktar Babaryka, représentante du Conseil de coordination
pour les prisonniers politiques), témoignage oral devant la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme, Paris, 4 mars 2024..

4. Comment la communauté internationale peut-elle soutenir davantage les manifestant·es anti-guerre?

52. Tout au long des réunions et des événements cités dans l’introduction, j’ai eu l’occasion d’entendre longuement des personnes qui ont contribué à soutenir le mouvement d’opposition à la guerre, en Fédération de Russie et au Bélarus. Elles ont exprimé leur gratitude pour l’aide reçue de la part de la communauté internationale, en particulier des États qui les ont accueillies après qu’elles avaient fui leur pays d’origine. J’ai écouté avec intérêt leurs propositions sur la manière dont la communauté internationale peut faire preuve de solidarité avec les manifestant·es anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus.
53. En m’appuyant sur ces discussions, j’ai établi une liste de propositions présentée ci-dessous. Bien que ces dernières s’appliquent dans une certaine mesure aussi bien à la Fédération de Russie qu’au Bélarus, il ne faut pas traiter les problèmes (ou les solutions) relatifs à ces pays de la même manière. C’est pourquoi je mets en évidence ci-après la proposition la plus appropriée à chacun des États.

4.1. Une plus grande reconnaissance internationale du mouvement anti-guerre en Fédération de Russie

54. L’une des principales préoccupations portées à mon attention tient à la prévalence d’un discours erroné dans les pays européens sur l’état actuel du mouvement anti-guerre en Fédération de Russie. De nombreux membres de la société civile russe en exil ont fait part de leur consternation face à un point de vue relayé par les médias et le discours politique européens, selon lequel le Gouvernement russe a réduit à néant le mouvement anti-guerre en Fédération de Russie ou qu’il «n’y a plus» de société civile indépendante.
55. Pour les raisons exposées au point 2.6 ci-dessus, ce récit est faux. Le mouvement anti-guerre n’a pas été anéanti, il s’est adapté à un environnement répressif. Cependant, en plus d’être erronés, ces propos sur la destruction du mouvement sont également préjudiciables.
56. Il est décourageant pour les membres du mouvement anti-guerre de s’entendre dire que celui-ci n’existe pas. Les Russes qui s’opposent à la guerre agissent souvent à leurs propres dépens. Les personnes avec lesquelles je me suis entretenue ont souligné à maintes reprises que les vraies victimes sont les Ukrainiennes et les Ukrainiens, et qu’en comparaison, les problèmes rencontrés par la société civile russe sont négligeables. Il importe toutefois de noter que les personnes qui ont quitté le pays ont dû abandonner leur famille, leurs amis, leur travail ainsi que leur localité. Celles qui y sont restées vivent sous la menace constante de poursuites au titre d’une liste arbitraire et toujours plus longue «d’infractions», et nombre d’entre elles sont déjà en prison. Des membres de la société civile russe ont indiqué que le moral des personnes engagées dans le mouvement anti-guerre avait souffert des rumeurs affirmant qu’il est inexistant. Ces allégations peuvent les amener à penser que leur travail n’est pas reconnu, qu’il est sans intérêt ou inefficace.
57. Cependant, il m’a également été dit que c’est la société russe dans son ensemble qui pâtit le plus de la négation du mouvement anti-guerre. En effet, celle-ci renforce la version avancée par le Gouvernement russe, à savoir que la nation est unie face à la guerre, qu’il n’y pas lieu de s’y opposer puisque nul autre ne la conteste.
58. Les participant·es aux discussions ont aussi souvent fait part de leurs préoccupations quant à l’isolement des Russes et des Bélarussiens coupés de l’Europe, et aux conséquences à long terme sur leur soutien aux valeurs européennes. Des membres de la société civile bélarussienne ont fait remarquer que les étudiant·es du pays vont de plus en plus fréquemment faire leurs études en Fédération de Russie plutôt que dans le reste de l’Europe, en raison des restrictions croissantes posées à leur entrée et à leur séjour. De plus, le nombre de Bélarussiens participant à des conférences, des échanges, des ateliers et des visites d’étude en Europe dans différents domaines est en baisse. Les intervenant·es russes ont également exprimé leur inquiétude face à l'accès de plus en plus restreint du grand public aux idées européennes, en raison notamment du manque de possibilités de se rendre en Europe.
59. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée devrait faire publiquement la distinction entre les gouvernements et peuples russe et bélarussien, ainsi qu’entre les vastes mouvements anti-guerre qui perdurent en Fédération de Russie et au Bélarus – et appeler les autres pays à en faire de même. Elle devrait également inviter les États membres et observateurs à mettre en œuvre des programmes de solidarité internationale avec les mouvements anti-guerre russe et bélarussien, notamment en organisant des événements, en encourageant la visibilité médiatique, les travaux de recherche universitaire, les conférences et les tables rondes, et en soutenant les initiatives artistiques.

4.2. Des efforts diplomatiques pour obtenir la libération de prisonniers politiques – y compris des échanges de prisonniers

60. Un grand nombre de mes entretiens ont porté sur la situation terrible des prisonniers politiques en Fédération de Russie et au Bélarus, en particulier ceux atteints de problèmes de santé qui mettent leur vie en danger. C’est notamment le cas de Vladimir Kara-Mourza, ainsi que d’autres personnes comme Alexandra Skochilenko, Igor Baryshnikov et Alexei Gorinov.
61. Lors de mes échanges avec des membres de la société civile, il m’a souvent été demandé de mettre en avant la nécessité d’assurer la remise en liberté de ces prisonniers politiques. C’est important avant tout pour des raisons humanitaires, afin de garantir la vie et la liberté de personnes qui ont fait preuve d’une bravoure exemplaire en défendant les valeurs qui nous sont les plus chères. Parallèlement, ces libérations seraient de nature à rassurer et à encourager le mouvement anti-guerre. De l’avis général, toute opposition publique et répétée à la guerre conduit quasi inévitablement derrière les barreaux, la libération de prisonniers aurait donc un effet bénéfique sur le moral des militant·es anti-guerre dans leur ensemble.
62. L’Assemblée devrait appeler la Fédération de Russie à libérer tous les prisonniers politiques qui ont manifesté leur opposition à la guerre d’agression contre l’Ukraine. Elle devrait inviter les États membres et observateurs à prendre des initiatives diplomatiques pour obtenir ces libérations, en privilégiant les personnes en mauvaise santé. L’Assemblée devrait se joindre à l’appel lancé par d’autres acteurs internationaux aux États-Unis d’Amérique pour qu’ils reconnaissent M. Kara-Mourza comme une «personne détenue à tort» en vertu de la loi Levinson, ce qui permettrait une intensification des actions menées par le Gouvernement américain pour assurer sa libération 
			(59) 
			Membre du Congrès Steven Cohen,
représentant spécial de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE sur
les prisonniers politiques, <a href='https://cohen.house.gov/media-center/press-releases/congressman-cohen-expresses-concern-about-fate-vladimir-kara-murza'>Lettre
au Président Biden et au Secrétaire d'État Blinken (anglais seulement)</a>, 16 février 2024; <a href='https://freedomhouse.org/article/biden-administration-must-accelerate-efforts-free-kara-murza'>Lettre
adressée par de nombreuses organisations de défense des droits humains
et des personnalités de premier plan</a> au Président Biden <a href=''>(anglais seulement)</a>, 22 février 2024..
63. L’échange de détenus, notamment d’espions capturés, est le moyen le plus souvent évoqué par la société civile pour obtenir la libération de prisonniers politiques. Cette proposition a également été faite par des membres et des spécialistes de la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme au profit de Vladimir Kara-Mourza, dans le cadre des auditions relatives au rapport «Sanctions contre les personnes de la “liste Kara-Mourza”». Elle visait en particulier le Gouvernement du Royaume-Uni (M. Kara-Mourza ayant la double nationalité russe et britannique) 
			(60) 
			Audition
tenue à Paris le 30 novembre 2023. La proposition d'échange de prisonniers
a été soutenue par les deux spécialistes présents, Evgenia Kara-Mourza
et Bill Browder, ainsi que par le rapporteur Eerik-Niiles Kross
et d'autres membres présents.. Le Gouvernement britannique a depuis lors affirmé avec force qu’il n’envisageait pas l’échange de prisonniers, au motif qu’une telle mesure encourage la prise d’otages. Je ne partage pas du tout cette approche, car elle ne tient pas compte de la vie de ressortissant·es britanniques qui ont un besoin impérieux d’un tel échange.
64. Après la mort d’Alexei Navalny, de nombreuses informations ont fait état d’un échange de prisonniers qui était sur le point d’avoir lieu, entre M. Navalny et le tueur à gages du FSB, Vadim Krasikov, condamné par un tribunal allemand pour le meurtre d’un Tchétchène exilé à Berlin (et peut-être aussi deux autres citoyens américains détenus en Fédération de Russie, le journaliste Evan Gershkovich et l’ancien militaire Paul Whelan). Les pourparlers entre les gouvernements des États-Unis, de l’Allemagne et de la Fédération de Russie auraient atteint un stade avancé. Cela montre que de tels échanges de prisonniers sont en principe possibles.
65. L’Assemblée devrait appeler les États membres et observateurs, en particulier le Royaume-Uni, les États-Unis d’Amérique et l’Allemagne, à poursuivre de manière urgente les échanges de prisonniers afin d’obtenir la libération des prisonniers politiques qui se sont opposés à la guerre d’agression contre l’Ukraine, en premier lieu Vladimir Kara-Mourza et d’autres atteints de graves problèmes de santé.

4.3. Un meilleur soutien en vue de briser le blocus russe de l’information

66. Le Gouvernement russe empêche la majorité de son peuple de s’opposer à la guerre en imposant un blocus de l’information, associant contrôle direct des médias et répression punitive des voix dissidentes.
67. Nous devrions tout mettre en œuvre pour soutenir les Russes qui s’efforcent de surmonter ce blocage et de fournir à leurs compatriotes des informations exactes. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, j’ai eu la chance de rencontrer un grand nombre de journalistes et de médias russes indépendants, opérant depuis l’étranger. Ils ont mis en évidence les problèmes suivants rencontrés dans l’exercice de leurs fonctions.

4.3.1. Un durcissement de la position des gouvernements occidentaux en matière d’accueil de médias russes

68. La situation en Lettonie illustre particulièrement un certain durcissement de la position à l’égard de l’accueil d’organisations de médias russes. Des journalistes russes ont félicité le Gouvernement letton de l’excellent soutien apporté aux médias russes indépendants pour leur permettre de s’installer à Riga et de poursuivre leurs activités. Cependant, plusieurs interlocuteurs ont critiqué le traitement réservé à TV Rain par les autorités lettones. TV Rain avait été qualifiée d’organisation indésirable et décrite comme un média d’opposition par les autorités russes. En décembre 2022, la chaîne a essuyé de vives critiques en Lettonie, après qu’un de ses présentateurs a appelé les troupes militaires russes «notre armée» et réclamé «des équipements et des provisions de base» pour les soldats (il a par la suite nié avoir demandé du matériel militaire). À d’autres occasions, la chaîne n’a pas fourni de sous-titrage en letton et a affiché une carte sur laquelle la Crimée faisait partie de la Fédération de Russie. À la suite de ces incidents, les autorités lettones ont décidé, en décembre 2022, de retirer sa licence à TV Rain en invoquant des «menaces pour la sécurité nationale et l’ordre public», amenant la chaîne à transférer son siège principal aux Pays-Bas.

4.3.2. Des problèmes liés à la réinstallation hors de la Fédération de Russie

69. Les journalistes et les influenceurs ou influenceuses russes, qui remettent ouvertement en question la guerre, sont souvent contraints de quitter le pays pour échapper à la persécution. S’ils veulent continuer à exercer leurs activités, ils doivent avoir la possibilité de vivre et de travailler hors de la Fédération de Russie. Ce point est abordé plus en détail ci-après.

4.3.3. La priorité accordée aux médias contrôlés par le Kremlin par les grands moteurs de recherche internet

70. L’État russe impose son espace d’information parallèle en veillant notamment à ce que la plupart des recherches en ligne ne renvoient pas à des sources d’informations indépendantes. Yandex et Google sont les deux moteurs de recherche les plus utilisés en Fédération de Russie, et traiteraient respectivement 60 % et 35 % des recherches sur le web. Supposons qu’un ressortissant russe regarde un reportage produit par une chaîne de télévision contrôlée par l’État, niant des atrocités commises par l’armée russe en Ukraine. Toute recherche ultérieure d’informations concernant cet incident effectuée sur Yandex serait susceptible de privilégier les sources pro-Kremlin, laissant ainsi penser que la version des faits donnée par la télévision d’État est corroborée par de multiples sources 
			(61) 
			BBC, «<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-63246153'>Ukraine
war: Russians kept in the dark by internet search</a>», 11 novembre 2022.. Les avis divergent quant à la manière dont ce contrôle est exercé, certains avançant qu’il combine l’interdiction de sites d’information indépendants (en vertu des lois énoncées dans le présent rapport), l’allocation de sommes importantes par le Kremlin à l’optimisation des moteurs de recherche au profit des médias qui lui sont favorables, et l’adoption de mesures visant à garantir que seuls les articles de médias approuvés par le Kremlin figurent dans la liste des «principaux sujets d’actualité» de la page d’accueil du moteur de recherche le plus populaire, Yandex. Il n’est pas possible de modifier les résultats proposés par les moteurs de recherche russes de manière à les rendre plus objectifs. Cependant, il est possible d’offrir aux Russes un meilleur accès à des solutions alternatives, en s’attaquant aux autres problèmes décrits ci-dessous.

4.3.4. Un manque de recettes publicitaires pour les médias indépendants

71. Les organes d’information russes indépendants sont confrontés à un dilemme en ce qui concerne leur modèle de financement. Il leur est difficile de bénéficier de revenus tirés d’abonnements de résidents russes, étant donné que les mesures juridiques décrites dans le présent rapport ont érigé en infraction pénale les paiements effectués à de nombreux médias indépendants. S’agissant des recettes publicitaires, un grand nombre de sites d’information indépendants ne sont accessibles qu’à l’aide d’un VPN (Virtual Private Network ou réseau privé virtuel). D’où les problèmes liés au placement des publicités, car l’utilisation de VPN renforce l’anonymat des internautes et laisse penser qu’ils sont situés dans un autre pays. Prenons l’exemple de lecteurs ou lectrices résidant en Fédération de Russie mais utilisant un VPN français: leur adresse IP s’en trouve modifiée de sorte qu’ils peuvent se voir proposer des publicités françaises. Cette publicité aléatoire et non ciblée n’est pas très attrayante pour les entreprises qui envisagent d’acheter de l’espace publicitaire sur des sites de médias. Par conséquent, les États membres devraient être incités à soutenir financièrement les médias indépendants afin de faciliter les efforts qu’ils déploient pour informer le public russe de manière factuelle et impartiale.

4.3.5. Un défaut d’accès de nombreux Russes aux réseaux privés virtuels

72. Les VPN permettent aux utilisateurs d’établir une connexion internet en dehors du pays où ils se trouvent, et donc aux Russes de contourner les restrictions d’accès à internet en vigueur en Fédération de Russie. Les VPN connaissent toutefois certaines limites en termes d’efficacité, puisque Yandex continue de présenter essentiellement des résultats de recherche pro-Kremlin, même en cas d’utilisation d’un VPN en dehors du pays, et ce en raison des problèmes susmentionnés. Néanmoins, un accès plus large aux VPN permettrait aux Russes d’accéder à des sites d’information indépendants bloqués en Fédération de Russie (comme Meduza ou TV Rain). Cela faciliterait également la libre consultation de Google, Facebook, Instagram, X et d’autres sources d’informations indépendantes habituellement frappées d’interdiction ou de restriction en Fédération de Russie.

4.3.6. Une multiplication du nombre d’influenceurs et d’influenceuses russes soutenant la guerre sur les réseaux sociaux

73. Depuis le début de la guerre d’agression, les «bloggeurs-Z» comptent des millions d’abonnés sur des sites tels que Telegram. Ils jouissent d’une audience et d’une influence considérables, contribuant ainsi à entretenir le soutien de l’opinion publique à la guerre et à encourager l’enrôlement de soldats. Les influenceurs et influenceuses pro-guerre sont souvent intégrés à des unités militaires russes, peuvent se voir confier des rôles importants en matière de contrôle gouvernemental de l’espace d’information et sont très bien rémunérés pour leur propagande. Le Président Poutine s’est entretenu longuement avec les principaux blogueurs favorables à la guerre à qui il aurait déclaré «l’espace d’information est un champ de bataille. Un champ de bataille crucial» 
			(62) 
			BBC,
«<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-66653837'>Ukraine
war: Putin influencers profiting from war propaganda»</a>, 2 septembre 2023.. Il est impossible de limiter la portée de ces personnes influentes. Toutefois, les États membres et observateurs devraient être invités à soutenir les influenceurs et influenceuses russes qui ont pris position contre la guerre.

4.3.7. Briser le blocus de l’information – mesures proposées

74. Les Russes doivent être mieux informés du coût réel de cette guerre, de ses conséquences désastreuses pour les Ukrainiens en particulier, mais aussi pour la population russe dans son ensemble. Ils doivent être au fait des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans le cadre de cette guerre non provoquée, et de la possibilité d’y mettre fin. Par conséquent, l’Assemblée devrait inviter les États membres et observateurs à examiner la possibilité de prendre des mesures pour assurer ce qui suit:
  • un environnement propice à l’accueil d’organes d’information russes indépendants, y compris leur enregistrement en qualité de personnes morales et la réglementation applicable;
  • des facilités d’entrée et de séjour pour les journalistes et les influenceurs et influenceuses russes indépendants;
  • le soutien financier dont ont besoin les organes d’information russes indépendants;
  • des VPN gratuits et stables pour la population russe; et
  • une aide financière et autre aux influenceurs et influenceuses russes qui s’opposent à la guerre sur les réseaux sociaux.

4.4. Renforcement du soutien pratique aux manifestant·es anti-guerre en Fédération de Russie et au Bélarus

75. Les personnes qui ont eu le courage d’afficher publiquement leur opposition à la guerre ont souvent besoin d’un soutien concret. Il peut s’agir d’une assistance juridique pour assurer leur défense face à une accusation pénale, voire d’une aide financière directe accordée à la personne concernée ou à sa famille, car la condamnation peut se traduire par une amende, entraîner une perte de revenus pendant la période de détention, ainsi que la perte d’un emploi.
76. La façon la plus efficace d’apporter ce soutien serait de fournir des ressources supplémentaires aux organisations de la société civile établies hors de Fédération de Russie et du Bélarus, mais qui apportent une aide juridique et financière aux personnes résidant dans ces États.

4.5. Protection des organisations indépendantes de la société civile contre les sanctions internationales

77. Avant même le début de la guerre d’agression en février 2022, les organisations de la société civile du Bélarus et de la Fédération de Russie faisaient face à d’importants obstacles entravant leur fonctionnement, liés à l’application de la législation nationale. Après le déclenchement de cette guerre, les entreprises internationales et les gouvernements nationaux ont également pris une série de mesures pour cesser la fourniture de biens et de services par les personnes morales russes et bélarussiennes, y compris par les organisations de la société civile. Ces mesures ont nui à la capacité d’action de la société civile, dont les activités ont été compromises par leur propre gouvernement, mais aussi en partie par les entreprises et les gouvernements étrangers.
78. L’expérience vécue par OVD-Info illustre bien cette situation. En 2021, les tribunaux russes ont bloqué le site d’OVD-Info et Yandex l’a supprimé de ses résultats de recherche. Roskomnadzor, l’agence russe de surveillance et de censure des communications, a demandé aux réseaux sociaux de supprimer les comptes d’OVD-Info, ce qui a entraîné le blocage de l’organisation sur les principales plateformes de réseaux sociaux russes. Les plateformes de paiement en ligne russes ont cessé de gérer les dons destinés aux organisations dont les sites avaient été bloqués ou qui avaient été désignées comme «agents étrangers». Après le début de la guerre d’agression à grande échelle menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, des entreprises internationales ont également cessé d’offrir leurs services, notamment en tant qu’hébergeurs de domaines web et de plateformes de paiement pour des associations caritatives. Le blocage de ces services peut non seulement empêcher toute activité future, mais aussi anéantir une grande partie du travail accompli précédemment (se traduisant par exemple par la suppression des listes de diffusion ou des listes de donateurs réguliers). Les sanctions financières ont également restreint l’utilisation par les organisations de la société civile russe de plateformes de paiement en ligne comme Stripe.
79. Selon OVD-Info, l’intensification de la répression menée par les autorités russes, conjuguée aux sanctions infligées par les acteurs internationaux, placent la société civile russe dans une position extrêmement difficile 
			(63) 
			OVD-Info, «Report on
the participation of civil society organisations pursuing expressions
of international solidarity through transnational, international,
and regional networks», transmission à l’Experte indépendante des
Nations Unies sur les droits de l'homme et la solidarité internationale,
1 mars 2024..
80. Les États membres et observateurs ne sont pas en mesure d’infléchir directement la répression exercée par les autorités russes et bélarussiennes. Cependant, ils sont en mesure de prévenir ou d’atténuer les conséquences négatives des sanctions internationales sur la société civile indépendante de la Fédération de Russie et du Bélarus. Le projet de résolution comprend des recommandations sur la manière d’y parvenir.

4.6. Accroissement des mesures visant à obliger la Fédération de Russie et le Bélarus à rendre des comptes devant les Nations Unies

81. Après l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022, il est devenu de plus en plus important pour les États d’agir par l’entremise des Nations Unies pour exiger du Gouvernement russe qu’il rende des comptes au sujet du traitement autoritaire qu’il inflige à son propre peuple. Le projet de résolution comprend certaines recommandations concrètes à cet effet.

4.7. Renforcement du soutien pratique aux personnes fuyant la Fédération de Russie et le Bélarus

82. De nombreux membres de la société civile russe et bélarussienne ont exprimé des avis très positifs sur le bilan de certains États membres en matière d’accueil des personnes ayant dû fuir la Fédération de Russie et le Bélarus sous peine d’être persécutées. Un grand nombre des entretiens ont eu lieu à Vilnius et la Lituanie y a été citée comme un exemple remarquable. Les participant·es ont également mis en exergue l’exemple positif de l’Islande qui a délivré en urgence un passeport à un militant du Bélarus qui avait besoin de papiers étrangers afin d’échapper à des persécutions imminentes.
83. Cependant, des membres de la société civile ont également souligné que, sur un plan général, il est de plus en plus difficile pour les personnes opposées à la guerre qui fuient la Fédération de Russie et le Bélarus de se rendre dans les pays voisins et de s’y installer. Des problèmes ont été mis en évidence dans les États membres du Conseil de l’Europe en ce qui concerne les entrées urgentes, l’obtention de visas, de titres de séjour temporaires et de longue durée, et du statut de réfugié. Il convient également de noter que les Russes et les Bélarussiens qui ont quitté leur pays d’origine n’échappent pas à la menace d’une extradition vers celui-ci. J’ai par exemple adressé, en juillet 2023, un courrier aux autorités du Kirghizstan au sujet d’une menace présumée d’extradition de manifestants russes anti-guerre. Par ailleurs, des informations ont fait état d’objecteurs de conscience expulsés de Hongrie vers la Fédération de Russie 
			(64) 
			Eszter Benkő, Tamás Fazekas
et Zsolt Szekeres, «<a href='https://strasbourgobservers.com/2024/03/12/imminent-risk-of-irreparable-harm-why-failure-to-protect-russians-fleeing-the-putin-regime-would-be-a-serious-blow-to-the-courts-reputation/'>Imminent
risk of irreparable harm: why failure to protect Russians fleeing
the Putin regime would be a serious blow to the Court’s reputation»</a>, Strasbourg Observers,
12 mars 2024.. Le risque encouru par les manifestant·es opposés à la guerre de ne pas pouvoir quitter la Fédération de Russie et le Bélarus pour aller vivre en toute sécurité dans un autre pays pourrait bien décourager le discours anti-guerre dans ces pays.
84. Il est certes essentiel que les États membres prennent les mesures appropriées pour protéger leur sécurité nationale, mais ils ont également le devoir de protéger les personnes vulnérables qui ont dû fuir leur pays pour avoir défendu nos valeurs communes. Nous ne pouvons pas refuser l’asile aux Russes et aux Bélarussiens qui risquent l’emprisonnement, la torture ou la mort parce qu’ils se sont battus pour ces valeurs. Rappelant la Résolution 2446 (2022) «Cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie» et la Résolution 2499 (2023) «Relever les défis spécifiques auxquels sont confrontés les Bélarussiens en exil», le projet de résolution propose des mesures concrètes à cet égard.

5. Conclusion

85. Vers la fin de son discours qui l’a conduit en prison, Vladimir Kara-Mourza a déclaré ce qui suit:
La Russie vit aujourd’hui une période très sombre. Nous sommes dans une période où nous avons des centaines de prisonniers politiques. Ce nombre ne va faire qu’augmenter maintenant que des personnes sont arrêtées pour avoir participé à des manifestations contre la guerre. Toutes les grandes organisations d’opposition ont été écrasées et détruites; tous les derniers médias indépendants ont été liquidés par les autorités depuis le début de la guerre en Ukraine au cours des trois dernières semaines; chaque jour, nous entendons parler de nouvelles arrestations, de nouvelles détentions et de nouvelles répressions contre nos amis. Mais nous savons, et nous nous souvenons de cette leçon, que la nuit est la plus sombre avant l’aube. Nous savons que l’aube viendra. Nous savons qu’il y a beaucoup de gens en Russie qui partagent nos opinions et nos valeurs 
			(65) 
			Vladimir Kara-Mourza,
«<a href='https://www.mccaininstitute.org/fr/resources/dans-les-nouvelles/declaration-sur-vladimir-kara-murza/'>Discours
devant la Chambre des représentants de l’Arizona»</a>, McCain Institute, 15 mars 2022..
86. Cette aube nouvelle en Russie et au Bélarus ne se lèvera peut-être pas la semaine prochaine, ni le mois prochain, ni même l’année prochaine. Mais je suis convaincue que ce jour viendra et que nous devons nous y préparer. Comme l’a dit Vladimir Kara-Mourza, de nombreuses personnes en Fédération de Russie et, j’ajouterais, au Bélarus, partagent nos opinions et nos valeurs. Nous devons faire tout notre possible pour les aider.