Doc. 8600

21 décembre 1999

Pour un respect des droits de l’enfant dans l’adoption internationale

Avis

Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie

Rapporteur : Mme Ruth-Gaby Vermot-Mangold, Suisse, Groupe Socialiste

1.       Aperçu de la situation

1.       Alors que les Nations Unies s’apprêtent à célébrer le dixième anniversaire de la Convention sur les droits de l’enfant, il apparaît urgent de dénoncer les atteintes à ces droits qui sont commises depuis ces dernières années avec une ampleur inégalée, et de mettre en alerte les citoyens et les gouvernements sur des pratiques illicites de plus en plus répandues.

2.       La Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie souscrit pleinement au projet de recommandation et aux conclusions du rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille.

3.       Elle souhaiterait néanmoins s'appesantir sur les quelques aspects spécifiques de la question de l’adoption internationale, liés notamment au transfert vers les pays receveurs et au retour dans les pays d’origine des enfants adoptés.

4.       L’adoption internationale obéit désormais aux lois du marché. Elle ne correspond plus à l’idée d’origine de mesure de bien-être pour l’enfant, mais elle est devenue une activité avant tout lucrative qui engendre de gros profits. La corruption règne aussi parmi les fonctionnaires et les magistrats.

5.       Souvent, les pays ont réagi en annonçant des moratoires sur l’adoption, afin d’enquêter sur des abus ou afin d’établir un cadre juridique adéquat. Mais la fermeture des frontières se traduit souvent par un déplacement de la demande vers d’autres pays.

6.        L’adoption internationale était absente des pays de l’ancien bloc de l’Est. Ces pays en transition ont connu un accroissement inquiétant de l’adoption, en particulier l’Albanie, la Roumanie, la Bulgarie et la Russie. Les réactions dans ces pays ont parfois été féroces, comme en Roumanie ou en Géorgie.

2.        Cadre juridique international

7.       En matière de droits de l’enfant, la Déclaration des Nations Unies de 1986 indique que l’adoption internationale peut être considérée comme une alternative pour fournir une famille à l’enfant si l’enfant ne peut pas être pris en charge dans le pays d’origine.

8.       La Convention sur les droits de l’enfant de 1989 met l’accent sur le devoir de l’Etat d’assurer l'intérêt supérieur de l’enfant. Elle lui reconnaît un droit à l’identité depuis sa naissance (nom, nationalité et relations familiales). Enfin, elle consacre le principe de subsidiarité.

9.       Ce principe de subsidiarité est tourné en règle par la Convention de La Haye de 1993, qui reconnaît que l’adoption internationale peut offrir l’avantage d’une famille permanente à un enfant pour qui une famille convenable ne peut être trouvée dans son Etat d’origine. La Convention de La Haye est destinée principalement à mettre en place un mécanisme de coopération intergouvernementale pour donner effet aux dispositions de la Convention de Genève relatives à l’adoption internationale. Les responsabilités et les tâches doivent être partagées entre les Etats d’origine et les Etats receveurs. Les procédures d’adoption internationale devraient être en dernier ressort de la responsabilité des Etats impliqués, qui doivent se porter garants de ce que l’adoption corresponde à l'intérêt supérieur de l’enfant et respecte ses droits fondamentaux.

10.       Les violations sont souvent commises sous couvert de l’allégation d’acte humanitaire et justifiées par la vision simpliste qu’un enfant est mieux élevé dans un pays riche. Le trafic d’enfants met souvent en présence des réseaux criminels, des intermédiaires de toutes sortes (y compris dans les pays receveurs pour placer les enfants) et de couples prêts à tout pour s’assurer une adoption.

11.       De nouvelles méthodes de trafic d’enfants sont employées pour circonvenir aux lois afin de répondre à la demande croissante d’enfants en vue de l’adoption. Parmi ces méthodes, l’on trouve : la pression sur les autorités pour exporter plus d’enfants et assouplir les lois et les procédures ; l’obtention illégale d’enfants en vue de l’adoption (rapt de bébés et d’enfants, incitation des mères d’abandonner leur bébé nouveau-né ou à naître, relation de la mort de l’enfant à la mère, échange d’enfants contre des biens matériels, conception d’un enfant aux fins d’adoption contre rémunération financière, livraison d’informations fausses aux parents biologiques quant aux conséquences de l’adoption afin d’arracher leur consentement, livraison d’informations fausses aux parents adoptifs sur l’état de santé de l’enfant à adopter par exemple), l’obtention frauduleuse du permis d’adoption (falsification de documents, corruption de fonctionnaires et de magistrats), le contournement de la procédure d’adoption (écriture de fausses déclarations de paternité ou de naissance, transit de l’enfant par un pays tiers).

12.       Le droit de l’enfant à une identité inclut le droit à connaître ses origines (la Convention de La Haye oblige les Etats à conserver ces informations et à permettre leur accès). L’identité de l’enfant a de grandes chances d’être prise en otage lorsque l’adoption se fait de manière illégale. Les trafiquants d’enfants cherchent à brouiller les pistes en faisant transiter les enfants par des pays tiers avant de les proposer à l’adoption à l’étranger. Toutes les recherches récentes démontrent que le fait que l’on dissimule à un enfant ses origines a un effet négatif sur son développement. Ces recherches ont permis un début de prise de conscience chez les parents adoptifs qui établissent ou maintiennent des liens avec la famille biologique («adoption ouverte»). Dans certains pays, les registres ont été ouverts.

13.       L’identité de l’enfant est souvent en danger. Le cas a été rapporté de femmes enceintes accouchant à l’étranger afin que leur enfant soit exporté dans un autre pays; le gouvernement du pays d’accueil ayant démantelé ce trafic, des difficultés ont surgi à propos de la nationalité de ces enfants nés de mères étrangères. Les enfants qui ont été importés clandestinement dans un pays se trouveront souvent dans l’oubli. S’ils ont perdu leur nationalité d’origine comme résultat de la procédure d’adoption dans leur pays de naissance, ils feront face à la situation précaire d’apatride.

14.       Les identités nationales peuvent aussi être incertaines en cas de rupture de l’adoption, qui a plus de chances de se produire lorsque les précautions habituelles n’ont pas été prises. Le sort d’enfants infectés par le virus du SIDA est souvent tragique. Ces enfants sont parfois présentés à leurs futurs parents adoptifs comme étant sains. Beaucoup de ces enfants ont été rejetés ou ont échoué dans des pays lointains ou ont été renvoyés dans leur pays d’origine.

15.       Le rapt d’enfants aux fins de commerce des organes est un crime particulièrement abominable. Ce commerce est actif dans des pays d’Europe de l’Est, où la vie de mineurs est mise en danger pour satisfaire les besoins d’une clientèle aisée en Amérique du Nord et en Europe occidentale.

16.       Permettre à de telles actions de se prolonger perpétue l’idée que des décisions fondamentales concernant la vie d’un enfant peuvent être prises en ignorant la loi, et de surcroît en relation avec des considérations financières, en contradiction totale avec la Convention de Genève sur les Droits de l’Enfant. L’existence d’un nombre particulièrement élevé d’abus parmi les adoptions internationales touche potentiellement tous les enfants, qui se retrouvent exposés au danger de l’abandon dans le pays en question.

17.        Lorsque des scandales liés à l’adoption se font jour, il arrive souvent que les pays d’origine interdisent complètement l’adoption internationale ; cette mesure a pour conséquence de toucher les enfants qui auraient besoin de cette forme d’aide. Lorsque des irrégularités sont mises en évidence, c’est aussi l’adoption domestique qui supporte les conséquences.

3.       Problèmes posés par les abus de l’adoption internationale

18.       Les abus surviennent spécialement dans des périodes de conflit armé, de désastres écologiques, de soulèvements politiques ou de crise économique.

19.       Une base législative solide est essentielle pour empêcher les abus. L’absence de législation dans de nombreux pays ex-communistes a créé un climat favorable au trafic d’enfants en Albanie, en Bulgarie, en Lettonie et en Pologne. Ce n’est pas seulement le champ de l’adoption à proprement parler qui doit être régi par la loi. Les enfants qui n’ont pas d’existence juridique sont aussi vulnérables. Dans de nombreux pays il n’existe pas de législation rendant obligatoire l’enregistrement des naissances (3% des naissances sont enregistrées au Bangladesh). Une législation est aussi d’importance vitale pour établir les critères relatifs à la qualification d’un abandon de la part des parents, qui pose une période pendant laquelle les parents puissent revenir sur leur décision, et qui prévoie la procédure à suivre.

20.       L’absence ou l’insuffisance de tribunaux et de services administratifs qui puissent assurer la mise en œuvre de la législation augmente le risque de façon significative. Dans certains pays, les systèmes judiciaires sont débordés. Il se peut qu’il n’y ait pas de juge ayant de compétence dans ce domaine. Les services sociaux peuvent se révéler être incapables de procéder à la mise en œuvre des tâches nécessaires pour que l’enfant puisse rester dans sa famille, de mettre au jour des alternatives domestiques ou de faire les préparatifs appropriés quand une adoption est envisagée.

21.       Dans les pays où une politique en faveur du maintien de l’enfant dans sa famille biologique fait défaut, le recours à l’abandon et l’acceptation des soins de substitution constitue un danger clair d’abus en matière d’adoption. D’autres symptômes d’un système d’adoption corrompu sont les effets inadéquats et insuffisants pour retrouver les parents d’enfants abandonnés, et le manque de considération des opportunités domestiques d’action. Les magistrats peuvent aussi se montrer trop pressés à déclarer un enfant abandonné.

22.       Les problèmes les pires et les plus fréquents se produisent dans le cadre des adoptions privées. Face à la vente d’enfants, le Comité des Droits de l’Enfant, organe créé par la Convention de Genève sur les Droits de l’Enfant pour assurer son suivi, a demandé à ce que l’adoption nationale soit centralisée et qu’elle ne soit pas laissée entre les mains de magistrats à la recherche de profits.

23.       Lorsque de futurs parents adoptifs décident d’agir unilatéralement, les possibilités de mettre en œuvre des mesures de sauvegarde sont réduites de manière drastique. Le paiement par avance d’enfants inexistants ou ne convenant pas à l’adoption est une fraude répandue. Dans beaucoup de cas, les adoptions privées se produisent en raison des procédures strictes appliquées à l’adoption internationale. Il est très important que ces parents prennent conscience du fait que ces mesures sont destinées à protéger les intérêts et les droits de l’enfant, et que ce ne sont pas des obstacles arbitraires à l’adoption. Ils devraient aussi se souvenir, comme le souligne à juste titre le Rapporteur de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille, que l’adoption ne doit pas répondre à un impératif d’avoir un enfant pour un couple sans enfants, mais plutôt à trouver des parents à un enfant abandonné ou orphelin.

24.       Dans le cas de situations d’urgence, la vulnérabilité accrue des enfants et de leurs familles, ajoutée à l’image sensationnaliste véhiculée par les médias, et l’apparition d’outsiders prêts à apporter leur aide de leur propre initiative, rend les abus et les mauvaises pratiques de l’adoption internationale encore plus importantes.

25.       Dans les cas de situation d’urgence, l’adoption internationale est fortement déconseillée. Le manque de contrôle du territoire national, l’effondrement des structures judiciaires et administratives, rend tout le processus de l’enregistrement des naissances à la décision du tribunal impossible à assumer. Les enfants dans une situation d’urgence ne sont pas mûrs pour l’adoption.

26.       Une fois l’adoptabilité de l’enfant déterminée, l’on doit d’abord envisager le placement de l’enfant au sein de sa famille au sens large, et dans le cas d’enfants réfugiés, à l’intérieur de la communauté de réfugiés ou dans des familles du pays qu’il a fui. L’adoption internationale ne peut être envisagée qu’après que le rapatriement ou d’autres mesures de placement ont été exclues.

4.       Les situations à risques

27.       Une recommandation de la Conférence de La Haye de 1994 recommande que toutes les mesures raisonnables soient prises pour retrouver la trace et réunir les enfants et leurs parents ou les enfants et les membres de leurs familles lorsque les enfants ont été séparés d’eux, et recommande que le rapatriement de l’enfant dans son pays d’origine aux fins du regroupement familial ne soit pas faisable ou désirable, s’il y a un risque que l’enfant ne reçoive pas les soins appropriés ou une protection satisfaisante dans son pays.

28.       Les événements des années 1990 dans les pays d’Europe centrale et orientale ont démontré les risques d’abus en matière d’adoption internationale qui peuvent surgir à l’occasion de changements drastiques du climat socio-politique et l’appauvrissement brutal d’une partie de la population. Un renversement de l’économie peut aussi engendrer des abus flagrants. C’est ce qui s’est produit au Vietnam en 1993. Afin de pourvoir aux nombreuses demandes et de pouvoir continuer un commerce initié il y a des années, les intermédiaires locaux ont commencé à faire pression sur des mères pour qu’elles abandonnent leur enfant.

29.       Le placement international en foyers d’accueil a explosé au cours des dernières années, et il implique aujourd’hui des milliers d’enfant par an. Il peut s’agir d’enfants vivant dans des institutions, d’enfants souffrant de problèmes de santé ou d’enfants victimes de conflits armés ou d’autres périls. Les enfants originaires des pays d’Europe centrale et orientale sont en première ligne. Placer un enfant dans une famille d’un autre pays est une mesure généralement temporaire pour une période donnée. Le risque majeur dans cette optique est que le placement en foyer familial incombe à des groupes de volontaires. Cette forme de placement ne bénéficie pas des mêmes garanties que le placement en institutions nationales, pas plus qu’elle ne reçoit l’attention qu’elle mérite de la part des autorités locales. Un autre risque encouru est que le placement international est parfois utilisé pour contourner certaines procédures légales en matière d’adoption internationale : l’enfant ne retourne alors pas dans son pays après la fin du séjour, et la famille d’accueil engage une procédure d’adoption dans le pays de résidence.

30.       La nouvelle Convention de La Haye sur la protection des enfants de 1996 contient des mesures de sauvegarde et des procédures particulières afin que le placement international en familles d’accueil se passe dans les meilleures circonstances possibles. L’article 33 de cette Convention prévoit une formule de consultation concernant la décision des autorités de l’Etat de placer l’enfant en soin dans un autre Etat. D’autres articles concernent les procédures de délivrance d’aide pour tenter de localiser les enfants disparus et le transfert d’enfants malades ou à risques d’un Etat à un autre.

5.       Conclusions

31.       Le problème de l’adoption internationale peut se résumer de la façon suivante : d’une part, des milliers d’enfants vivent actuellement dans des institutions dans des conditions qui sont préoccupants. Pour une partie de ces enfants, l’adoption représente une option qui peut être mise en œuvre parce qu’ils ont besoin d’un environnement familial permanent. Ceux-ci cependant sont maintenus pour des raisons diverses en institutions. D’autre part, des milliers de couples ou d’individus de pays d’accueil considèrent l’adoption comme la dernière solution après un long et difficile chemin qui les a conduits à des traitements infructueux contre la stérilité, des demandes d’adoption domestique repoussées ou le placement sur de longues listes d’attente.

32.       La Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie partage les conclusions du rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille que le premier but de l'adoption internationale doit être de protéger les droits des enfants adoptés et de leur assurer un environnement familial stable, et souhaite que le Conseil de l’Europe s’occupe plus activement de ces questions.

33.       La Convention européenne sur la nationalité du Conseil de l’Europe de 1997 devrait contenir une disposition spécifique concernant les enfants adoptés de façon illégale et qui risquent de se retrouver apatrides. La Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie propose en conséquence d’inclure cette recommandation en troisième tiret du point 7 du projet de recommandation, qui serait libellé ainsi : « à réviser la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 afin de faciliter l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil pour un enfant étranger en cas de faillite de l’adoption ou de rupture de la procédure d’adoption ».

*

* *

Commission chargée du rapport: commission des questions sociales, de la santé et de la famille (Doc. 8592).

Commission saisie pour avis: commission des migrations, des réfugiés et de la démographie.

Origine: Directive N° 543 (1998).

Projet d'avis approuvé par la commission le 17 décembre 1999.

Secrétaires de la commission: M. Newman, Mme Nachilo, M. Adelsbach.