Recueil des amendements écrits (Version révisée)
- Doc. 13734
- Les opérations de surveillance massive
Projet de résolution
1L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par les pratiques de surveillance massive révélées depuis juin 2013 par les journalistes auxquels un ancien membre de la sécurité nationale des Etats-Unis, M. Edward Snowden, avait confié une grande quantité de données hautement secrètes qui démontrent l’existence de pratiques de surveillance massive et d’intrusions à large échelle jusqu’ici inconnues du grand public et même de la plupart des décideurs politiques.
2Les informations divulguées à ce jour dans les fichiers Snowden ont déclenché un gigantesque débat planétaire sur les opérations de surveillance massive menées par les Etats-Unis et les services de renseignement d’autres pays et sur l’absence de dispositions légales et de protections techniques adéquates aux échelons national et international et/ou de leur application effective.
3Ces révélations ont fourni la preuve manifeste de l’existence de systèmes de grande envergure à la pointe des progrès technologiques, mis en place par les services de renseignement américains et leurs partenaires dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, en vue de collecter, de conserver et d’analyser à une gigantesque échelle les données des communications, y compris leur contenu, les données de géolocalisation et les autres métadonnées ainsi que des mesures de surveillance ciblées, qui englobent de nombreuses personnes que rien ne justifie de soupçonner d’avoir commis un acte répréhensible.
4Les opérations de surveillance révélées jusqu’ici mettent en danger les droits de l’homme fondamentaux, notamment le droit au respect de la vie privée (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)), le droit à la liberté d’information et d’expression (article 10), ainsi que le droit à un procès équitable (article 6) et le droit à la liberté de religion (article 9), surtout lorsque les communications confidentielles des avocats et des ministres du culte sont interceptées et les preuves numériques manipulées. Ces droits sont les pierres angulaires de la démocratie. Les atteintes qui leur sont portées sans qu’un contrôle juridictionnel acceptable ne soit exercé compromettent également l’Etat de droit.
5L’Assemblée est également profondément préoccupée par les menaces que font peser sur la sécurité d’internet les pratiques de certaines agences de renseignement, révélées par les fichiers Snowden: elles recherchent systématiquement, utilisent et vont jusqu’à créer des «trappes» et autres failles dans les normes de sécurité et leur application, qui peuvent facilement être exploitées également par les terroristes et les cyberterroristes ou d’autres délinquants.
6Elle s’inquiète également de la collecte massive de données à caractère personnel par les entreprises privées et du risque que des acteurs étatiques ou non étatiques puissent accéder à ces données et les utiliser à des fins illégales.
7L’Assemblée est aussi profondément préoccupée de l’usage extensif fait de lois et de tribunaux secrets ainsi que des interprétations secrètes données à de telles lois, qui ne sont pas contrôlées de manière adéquate.
8La présence, entre les mains de régimes autoritaires, d’outils de surveillance massive comparables à ceux qu’ont mis au point les services américains et alliés aurait des conséquences catastrophiques. En période de crise, il n’est pas impossible que le pouvoir exécutif tombe aux mains de responsables politiques extrémistes, même dans des démocraties bien établies. Un certain nombre de régimes autoritaires utilisent déjà des outils de surveillance de haute technologie, qui servent à traquer les opposants et à supprimer la liberté d’information et d’expression.
9Dans plusieurs pays, on assiste à l’évolution d’un gigantesque «complexe industriel de la surveillance», favorisé par la culture du secret qui entoure les opérations de surveillance, leur haute technologie et le fait que les décideurs politiques et budgétaires ont du mal à évaluer, d’une part, la gravité des menaces alléguées et, d’autre part, les contre-mesures précises nécessaires et leur coûts et avantages, sans faire appel à l’avis de groupes eux-mêmes intéressés. Ces structures puissantes risquent d’échapper au contrôle démocratique et à l’obligation de rendre des comptes; elles menacent le caractère libre et ouvert de nos sociétés.
10L’Assemblée observe que, dans la plupart des Etats, la législation protège dans une certaine mesure la vie privée des ressortissants nationaux, mais pas des ressortissants étrangers. Les fichiers Snowden montrent que l’Agence nationale de sécurité (NSA) des Etats-Unis et ses partenaires étrangers, notamment au sein de l’alliance «Five Eyes» (Australie, Canada, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni), contournent les restrictions nationales en échangeant les données relatives aux ressortissants de leurs partenaires respectifs.
11L’Assemblée reconnaît la nécessité d’une surveillance ciblée et efficace des personnes soupçonnées de mener des activités terroristes ou d’autres groupes de criminels organisés. Cette surveillance ciblée peut être un outil efficace pour faire respecter la loi et prévenir la criminalité. Parallèlement, elle observe que, d’après des études indépendantes réalisées aux Etats-Unis, les opérations de surveillance massive ne semblent pas avoir contribué à prévenir les attentats terroristes, contrairement à ce qu’affirmaient autrefois les hauts responsables des services de renseignement. Au contraire, des ressources qui pourraient servir à prévenir des attaques sont redirigées vers la surveillance massive, laissant des personnes potentiellement dangereuses libres d’agir.
12L’Assemblée reconnaît également la nécessité d’une coopération transatlantique dans la lutte contre le terrorisme et d’autres formes de criminalité organisée. Mais elle estime que cette coopération doit reposer sur une confiance mutuelle, fondée sur le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Cette confiance a été gravement altérée par les pratiques de surveillance massive révélées par les fichiers Snowden.
13Afin de rétablir la confiance parmi les partenaires transatlantiques, parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe et entre les citoyens et leurs propres gouvernements, un cadre juridique doit être mis en place aux échelons national et international pour garantir la protection des droits de l’homme, et surtout assurer l’exercice du droit au respect de la vie privée. A côté d’un contrôle judiciaire et parlementaire renforcé, l’extension de mesures de protection crédibles aux donneurs d’alerte qui dévoilent ces violations représente un moyen efficace de renforcer ce cadre juridique et technique.
14La réticence des autorités américaines compétentes et de leurs homologues européens à apporter leur concours à l’éclaircissement des faits, et notamment leur refus d’assister aux auditions organisées par l’Assemblée et le Parlement européen, ainsi que le traitement sans ménagement réservé au donneur d’alerte Edward Snowden, ne contribue pas à rétablir la confiance mutuelle et la confiance des citoyens.
15L’Assemblée se félicite des initiatives prises par le Congrès américain pour revoir la législation en vigueur, afin de limiter le plus possible les abus, ainsi que de la décision du Bundestag allemand de constituer une commission d’enquête sur les répercussions de l’affaire de la NSA en Allemagne. Elle appelle la commission du Bundestag à exercer son mandat, qui consiste à amener l’exécutif à répondre de ses actes et à rechercher la vérité sans tenir compte de considérations de politique partisane, et encourage les autres parlements à ouvrir des enquêtes similaires.
16L’Assemblée se félicite de l’enquête approfondie menée par le Parlement européen, qui a conduit à l’adoption, le 12 mars 2014, d’une résolution très complète sur l’affaire de la NSA et ses répercussions sur les relations euro-atlantiques. L’Assemblée souscrit pleinement, en particulier:
16.1à l’invitation, adressée par le Parlement européen au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, à utiliser les pouvoirs que lui confère l’article 52 de la Convention européenne des droits de l’homme, pour demander aux Etats Parties d’expliquer de quelle manière ils mettent en œuvre les dispositions pertinentes de la Convention;
16.2à l’appel lancé par le Parlement européen pour promouvoir l’utilisation généralisée du cryptage et résister à toute tentative de fragilisation du cryptage et des autres normes de sécurité d’internet, non seulement pour protéger la vie privée, mais également pour écarter les menaces que font peser sur la sécurité nationale les Etats voyous, les terroristes, les cyberterroristes et les criminels de droit commun.
17L’Assemblée invite par conséquent instamment les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe:
17.1à veiller à ce que le droit interne autorise la collecte et l’analyse des données à caractère personnel (métadonnées comprises) uniquement avec le consentement de l’intéressé ou à la suite d’une décision de justice rendue sur la base de motifs raisonnables de soupçonner la cible de prendre part à des activités criminelles; il importe d’incriminer la collecte et le traitement illégaux des données de la même manière que la violation du secret de la correspondance classique; la création de «trappes» ou toute autre technique visant à fragiliser ou à contourner les mesures de sécurité, ou à exploiter les failles existantes, devrait être rigoureusement interdite; l’ensemble des institutions et entreprises qui détiennent des données à caractère personnel devraient être tenus d’appliquer les mesures de sécurité les plus efficaces disponibles;
17.2à veiller, pour faire respecter ce cadre juridique, à ce que leurs services de renseignement soient soumis à des mécanismes de contrôle judiciaire et/ou parlementaire appropriés. Les mécanismes de contrôle nationaux doivent disposer d’un accès suffisant aux informations et aux connaissances expertes, ainsi qu’avoir le pouvoir d’examiner toute coopération internationale sans être tenus de respecter le principe de la maîtrise de l’information par son auteur, de manière réciproque;
17.3à accorder une protection crédible et efficace aux donneurs d’alerte qui révèlent des activités de surveillance illégales, y compris en leur donnant asile lorsqu’ils sont menacés de poursuites injustes dans leur pays d’origine;
17.4à convenir d’un «code du renseignement» multilatéral, destiné à leurs services de renseignement, qui définisse les principes qui régissent la coopération aux fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Ce code devrait prévoir un engagement mutuel à appliquer à la surveillance de leurs ressortissants et résidents réciproques les mêmes dispositions qui s’appliquent à leurs propres ressortissants et résidents, ainsi qu’à échanger les données obtenues par des mesures de surveillance légales uniquement dans le but pour lequel elles ont été collectées. Le recours aux mesures de surveillance à des fins politiques, économiques ou diplomatiques entre les Etats participants devrait être interdit. L’adhésion à ce code devrait être ouverte à tous les Etats qui mettent en œuvre à l’échelon national un cadre juridique correspondant aux dispositions énoncées aux paragraphes 16.1 à 16.3;
17.5à promouvoir la mise au point de nouveaux systèmes de protection des données faciles à utiliser (automatiques), qui soient capables de parer à la surveillance massive et à toute autre menace pour la sécurité d’internet, y compris celle que représentent les acteurs non étatiques;
17.6à s’abstenir d’exporter vers les régimes autoritaires une technologie de pointe en matière de surveillance.
18L’Assemblée invite également les organes compétents de l’Union européenne à utiliser tous les instruments dont ils disposent pour promouvoir le respect de la vie privée de tous les Européens dans leurs relations avec leurs homologues des Etats-Unis, notamment lorsqu’ils négocient ou mettent en œuvre le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), la décision sur la Sphère de sécurité, le Programme de surveillance du financement du terrorisme (TFTP) et l’accord sur les données des dossiers passagers (PNR).
Projet de recommandation
1L’Assemblée renvoie à sa Résolution … (2015) sur les opérations de surveillance massive et invite le Comité des Ministres à faire usage des instruments dont il dispose pour défendre le droit fondamental au respect de la vie privée dans l’ensemble des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe.
2L’Assemblée invite notamment le Comité des Ministres à envisager:
2.1d’adresser une recommandation aux Etats membres en vue de garantir la protection de la vie privée à l’ère du numérique et la sécurité d’internet à la lumière des menaces que représentent les techniques de surveillance massive qui ont fait l’objet de récentes révélations (voir Résolution … (2015), paragraphes 16.1 à 16.3);
2.2de prendre une initiative visant à la négociation d’un «Code du renseignement», destiné aux services de renseignement de tous les Etats participants, qui définisse les principes qui régissent la coopération aux fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée (voir Résolution … (2015), paragraphe 16.4);
2.3de renforcer la coopération avec les organes compétents de l’Union européenne qui prennent part aux négociations sur les questions commerciales et la protection des données avec les Etats-Unis et d’autres pays tiers, afin qu’ils fassent pression pour que les principes énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme soient respectés, dans l’intérêt de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.