Recueil des amendements écrits (Version finale)
- Doc. 13944
- Les sanctions prises à l’encontre de parlementaires
Index du compendium
Amendement 15Amendement 17Amendement 14Amendement 7Amendement 4Amendement 6Amendement 5Amendement 3Amendement 16Amendement 8Amendement 10Amendement 11Amendement 9Amendement 12Amendement 13Amendement 1Amendement 2
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Projet de résolution
1Au cours des dernières décennies, l’action internationale a pris une place croissante au sein des activités des parlements nationaux, avec la multiplication des organisations de coopération interparlementaire et des forums parlementaires internationaux, le développement des relations parlementaires internationales bilatérales et multilatérales – groupes d’amitié, réseaux interparlementaires spécialisés –, des groupes d’études ou des missions d’information. A ceci s’ajoute l’accroissement de la demande de coopération interparlementaire, notamment dans l’accompagnement du processus de transition démocratique dans de nombreux Etats.
2L’Assemblée parlementaire, institution emblématique de la coopération interparlementaire en Europe, rappelle sa Résolution 1773 (2010) «Promouvoir la diplomatie parlementaire» dans laquelle elle saluait le rôle positif de celle-ci dans la prévention des conflits, la réduction des tensions entre les pays, la facilitation du dialogue et la médiation.
3L’Assemblée est vivement préoccupée par le contexte politique actuel en Europe, où l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie et son intervention ayant entraîné un conflit militaire dans l’est de l’Ukraine ont généré un climat de méfiance mutuelle et relancé les considérations sécuritaires au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi que de l’Union européenne, sur fond de «guerre des sanctions». Les sanctions directes réciproques ainsi que les restrictions aux déplacements des parlementaires qui en ont découlé sont particulièrement préjudiciables à la diplomatie parlementaire.
4L’Assemblée juge en effet que les mesures restrictives dont les parlementaires sont la cible ne sont pas compatibles avec la nature même du parlementarisme, qui présuppose l’entretien de relations par le dialogue. Elle craint que, avec la banalisation des sanctions individuelles, qui induit un partage de responsabilité entre l’Etat et l’individu qui soutient les objectifs de l’Etat, on assiste à une dérive moralisatrice du droit international et du système de la responsabilité internationale, faisant des sanctions individuelles, en l’absence de toute responsabilité pénale, un complément aux sanctions classiques visant les Etats.
5Par ailleurs, l’Assemblée déplore l’existence de «listes noires» nationales, sur lesquelles figurent des parlementaires auxquels les Etats qui les ont établies peuvent opposer un refus de visa ou un refus d’entrée. Elle dénonce également les cas impliquant des membres de l’Assemblée qui sont sous la menace de poursuites, pénales ou administratives, du fait de la violation de lois nationales régissant l’entrée sur leur territoire, pour avoir exercé leur liberté de mouvement et de circulation. L’Assemblée rappelle que, pour légitime que soit l’affirmation par certains Etats de leur souveraineté ou de l’intégrité de leur territoire face aux menaces qu’ils considèrent comme réelles ou présumées, ceux-ci ne sauraient s’exonérer du respect du droit international et des droits fondamentaux, ni du principe de la prééminence du droit, lorsqu’ils adoptent, à cette fin, des mesures restrictives ou des mesures de rétorsion à l’encontre de personnes physiques.
6L’Assemblée considère que, bien que, en principe, le droit international confère aux Etats la pleine souveraineté sur leur territoire, l’interdiction d’entrée sur le territoire prise par un Etat membre à l’encontre de parlementaires constitue une ingérence dans l'exercice de leur droit à la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5). Rappelant sa Résolution 1894 (2012) sur l’inacceptabilité des restrictions à la liberté de circulation à titre de sanction pour prises de positions politiques, l’Assemblée réaffirme que la liberté de circulation, corollaire de la liberté d’expression, ne saurait faire l’objet de restrictions ou être utilisée pour sanctionner l’expression d’opinions politiques exprimées de manière pacifique. La liberté d’expression politique, qui fait l’objet d’une protection renforcée, ne saurait être restreinte sans raisons impérieuses.
7L’Assemblée se félicite du fait que depuis l’adoption de sa Résolution 1597 (2008) sur les listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne, les garanties entourant le mécanisme de sanctions ou de mesures restrictives tant au niveau des Nations Unies qu’au niveau de l’Union européenne, notamment la procédure de contestation ainsi que l’étendue et l’intensité du contrôle juridictionnel de ces mesures, ont été dûment améliorées. Elle se félicite à cet égard du contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice de l’Union européenne sur des décisions prévoyant des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil de l’Union européenne, et attend de la Cour de justice qu’elle clarifie par sa jurisprudence l’étendue et la portée des garanties lorsqu’elles concernent des personnes physiques.
8L’Assemblée considère que, dès lors qu’une sanction touche une personne physique, elle doit répondre aux exigences de sécurité juridique et s’accompagner des garanties procédurales appropriées. Toutefois, s’agissant de parlementaires, même si un contrôle juridictionnel sur les mesures d’interdiction ou de restriction opposées par les Etats tiers joue un rôle important dans la protection contre l’arbitraire, des garanties supplémentaires doivent leur être fournies, afin de pallier les effets préjudiciables que la restriction de déplacement peut avoir pour l’accomplissement de leurs missions. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l'Europe à garantir aux parlementaires étrangers visés par des mesures restrictives, telles que l’inscription sur une liste d’interdiction d’entrée ou de visa, une procédure transparente d’inscription et de recours.
9Dans ce contexte, l’Assemblée invite les Etats membres ayant adopté des mesures restrictives ou susceptibles de le faire:
9.1à identifier de manière exhaustive les dispositions régissant les mesures restrictives, les listes d’interdiction du territoire ou les régimes spécifiques de circulation pouvant restreindre la liberté de circulation de parlementaires étrangers;
9.2à s’assurer qu’il existe un lien étroit entre une mesure restrictive imposée à un parlementaire étranger et le but visé. En particulier, les motifs de sécurité nationale ne doivent pas être utilisés pour restreindre l’accès d’un parlementaire qui exprime certaines positions politiques de manière pacifique;
9.3à informer les parlementaires étrangers qui ont fait l'objet de mesures d’interdiction ou de restriction de leur existence, ainsi que des raisons qui les ont motivées;
9.4à garantir que les parlementaires étrangers puissent soumettre, dans un bref délai, leurs observations auprès de l’organe qui a imposé ou menace d’imposer une restriction;
9.5à suspendre l’exécution d’une mesure d’interdiction ou de restriction tant que la procédure de contestation dirigée contre celle-ci n’a pas abouti.
10L’Assemblée est vivement préoccupée par les restrictions ou interdictions de déplacement que certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont opposées à des membres de l’Assemblée dans l’exercice de leur mandat, en particulier dans le cadre de missions d’observation des élections, ou de missions de rapporteurs dûment missionnés par elle, qu’il s’agisse du refus de délivrer un visa ou de menaces d’arrestation ou de poursuites en application d’une législation nationale. L’Assemblée condamne sans réserve ces restrictions qui constituent une violation flagrante de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe (STE no 2) et son Protocole additionnel (STE no 10) et un manquement à l’engagement de coopération avec l’Assemblée.
11Elle rappelle que, en vertu du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) et de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe et son Protocole, auxquels tous sont parties, les Etats membres du Conseil de l'Europe se sont engagés à reconnaître et à garantir le libre déplacement et l’immunité des membres de l’Assemblée et leur protection contre toutes mesures de détention et poursuites judiciaires, prohibant ainsi à la fois l’interdiction d’entrée ou de visas ou les poursuites pour le non-respect des régimes d’entrée ou de circulation, comme par exemple la législation sur les territoires occupés.
12L’Assemblée rappelle fermement que, en vertu des principes du droit international, aucun Etat ne peut se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités qu’il a contractés, en invoquant les dispositions de son droit interne, quelle qu’en soit la nature, y compris sa propre constitution. Elle réaffirme dès lors qu’aucun Etat membre du Conseil de l'Europe ne saurait déroger aux obligations auxquelles il a souscrit au titre de l’Accord général sur les privilèges et immunités et son Protocole, en se prévalant de dispositions de son droit interne pour en justifier la non-exécution.
13Par conséquent, l’Assemblée demande formellement aux Etats membres de respecter leur engagement:
13.1de garantir le libre déplacement des membres de l’Assemblée. Dès lors qu’un Etat membre accueille une réunion, une mission ou une manifestation officielle organisée par l’Assemblée, celui-ci doit faciliter la participation des membres de l’Assemblée, et délivrer les visas nécessaires à l’entrée sur son territoire;
13.2de garantir l’immunité des membres de l’Assemblée contre toute poursuite judiciaire ou mesure d’arrestation ou de détention, hors le cas de flagrant délit.
14Réaffirmant avec vigueur la position qu’elle a prise dans la Résolution 2078 (2015) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée, la Résolution 2063 (2015) sur l’examen de l'annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie, et la Résolution 2034 (2015) sur la contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie, l’Assemblée condamne la violation par la Fédération de Russie de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et demande aux autorités la remise en liberté immédiate de Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée.
15L’Assemblée considère qu’il est désormais capital que les parlements nationaux instaurent une bonne gouvernance dans le domaine de leurs activités internationales, s’ils souhaitent continuer à œuvrer de manière légitime par la diplomatie parlementaire. Elle invite les parlements nationaux des Etats membres:
15.1à élaborer des lignes directrices visant la conduite des relations interparlementaires multilatérales ou bilatérales, et énonçant les objectifs, les instruments et les modalités de la coopération interparlementaire, ainsi que le cadre institutionnel et juridique, les aspects procéduraux ou organisationnels, ou encore les principes généraux de déontologie, les règles applicables à la conduite des missions des parlementaires hors du cadre national et, le cas échéant, les droits spécifiques attachés aux parlementaires en mission;
15.2à prévoir des formations appropriées pour les parlementaires et le personnel concerné du secrétariat portant sur la préparation et la conduite des missions parlementaires à l’étranger;
15.3à appuyer les initiatives visant à promouvoir au niveau international la reconnaissance d’un statut international des parlementaires et des droits et obligations susceptibles d’y être attachés, indispensable au développement de la diplomatie parlementaire.
16L’Assemblée invite en outre les Etats membres:
16.1à signer et ratifier la Convention sur les missions spéciales des Nations Unies de 1969;
16.2à examiner sans attendre la question des droits et obligations des parlementaires nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe, en déplacement sur leur territoire, afin de leur reconnaître des garanties suffisantes leur permettant d’exercer librement et efficacement leurs fonctions en dehors du cadre national, y compris leur liberté de mouvement et liberté d’expression, ainsi que l’inviolabilité de leur personne;
16.3dans ce cadre, à examiner la possibilité de garantir aux parlementaires nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe, lorsqu’ils se trouvent sur leurs territoires en mission pour le compte de leur parlement, les immunités reconnues aux parlementaires de leur pays.
17Dans ce contexte global de l’internationalisation des activités parlementaires nationales, et alors que pèse désormais une responsabilité accrue des parlementaires du fait de leurs actions et décisions, avec la mise en cause éventuelle de leur responsabilité individuelle en droit international, l’absence de statut et de protection spécifique des parlementaires en droit international entretient la précarité des droits et privilèges des parlementaires hors du cadre national, et milite en faveur de la prise en compte de la spécificité de l’action parlementaire dans le contexte international et du renforcement de la protection de ceux qui l’exercent, notamment vis-à-vis des Etats tiers. En conséquence, l’Assemblée invite:
17.1l’Union interparlementaire (UIP) à développer et à promouvoir un corps de règles applicables aux parlementaires qui se rendent à l’étranger dans l’exercice de leur mandat, afin d’encadrer au niveau international la coopération interparlementaire;
17.2la Commission du droit international des Nations Unies à promouvoir, dans ses travaux en cours, un cadre juridique international global afin qu’un parlementaire visé par des mesures restrictives bénéficie d’un véritable statut à cet égard, compte tenu de l’hétérogénéité des garanties octroyées aux personnes ciblées par des sanctions, qui sont actuellement fonction du régime juridique de l’organisation internationale ou de l’Etat qui les a prises.
Projet de recommandation
1L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2016) sur les sanctions prises à l’encontre de parlementaires et, notamment, à la situation actuelle marquée par un nombre croissant de restrictions aux déplacements des parlementaires nationaux d’un Etat membre du Conseil de l’Europe vers un autre Etat membre.
2L’Assemblée attire l’attention du Comité des Ministres sur les défaillances continues de certains Etats membres d’assumer leurs engagements internationaux, librement consentis, en entravant les activités de l’Assemblée par des obstacles mis à l’exercice des mandats de ses membres.
3Par ailleurs, l’internationalisation croissante des activités parlementaires met en évidence l’inadéquation du cadre juridique international dans lequel s’exercent les missions des parlementaires nationaux hors des frontières nationales. S’il est incontestable que la diplomatie est par essence une fonction régalienne, il n’en est pas moins vrai que les parlements ont progressivement investi son domaine, rendant nécessaire de reconnaître et de protéger ces missions sur le plan international. Aussi les parlementaires nationaux devraient-ils disposer de garanties suffisantes vis-à-vis des Etats tiers quand ils se rendent à l’étranger en déplacement dans le cadre de leur mandat et bénéficier d’un cadre fixe et standardisé de droits et privilèges, afin de répondre aux exigences de sécurité juridique.
4Par conséquent, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres:
4.1à exiger des Etats membres qu’ils respectent leurs engagements souscrits en vertu du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1), de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe (STE no 2) et de son Protocole (STE no 10), et qu’ils garantissent pleinement l’immunité des membres de l’Assemblée parlementaire et le libre déplacement de ceux-ci sur leur territoire;
4.2à exhorter les Etats membres à garantir, par le biais de déclarations unilatérales:
4.2.1aux membres des délégations bénéficiant auprès de l’Assemblée parlementaire du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie, lorsqu’ils participent aux sessions de l’Assemblée et réunions de ses commissions, et d’une manière générale aux activités organisées par elles, les privilèges et immunités reconnus aux membres de l’Assemblée parlementaire au titre de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et de son Protocole;
4.2.2aux élus nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe qui voyagent à destination ou transitent par leurs territoires, les immunités reconnues aux membres du parlement de leur propre pays ;
4.3à lancer, préalablement à tous travaux normatifs éventuels, et en considération des travaux en cours de la commission du droit international des Nations Unies, une étude de faisabilité sur l’opportunité de créer un statut international des parlementaires et des droits et obligations susceptibles d’y être attachés, dont il pourrait charger le Comité des conseillers juridiques sur le droit international public (CAHDI) du Conseil de l’Europe.