Recueil des amendements écrits (Version révisée)
- Doc. 14078
- Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie
Index du compendium
Amendement 16Amendement 17Amendement 5Amendement 18Amendement 19Amendement 20Amendement 6Sous-amendement 1 à l'amendement 6Amendement 21Amendement 7Sous-amendement 1 à l'amendement 7Amendement 8Amendement 22Amendement 9Amendement 23Amendement 24Amendement 10Sous-amendement 1 à l'amendement 10Amendement 11Sous-amendement 1 à l'amendement 11Amendement 25Amendement 26Amendement 12Amendement 13Amendement 1Amendement 2Sous-amendement 1 à l'amendement 2Amendement 3Amendement 27Amendement 28Amendement 40Amendement 29Amendement 14Amendement 30Amendement 31Amendement 32Amendement 33Amendement 34Amendement 35Amendement 4Amendement 36Amendement 15Amendement 37Amendement 38Amendement 39
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- Retiré
Projet de résolution
1La Turquie est engagée dans un dialogue postsuivi avec l’Assemblée parlementaire depuis 2004. Dans sa Résolution 1925 (2013), l’Assemblée encourage la Turquie, membre fondateur du Conseil de l’Europe et partenaire stratégique pour l’Europe, à poursuivre ses efforts pour mettre sa législation et ses pratiques en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et pour répondre aux exigences du dialogue postsuivi restées en suspens. Avec la guerre qui sévit en Syrie et dans les pays voisins et les attaques terroristes perpétrées sur son sol, la situation géopolitique de la Turquie reste délicate et complexe. La poursuite du conflit en Syrie a intensifié l’afflux massif de réfugiés sur son territoire. L’Assemblée salue une nouvelle fois l’effort remarquable fait par le pays depuis 2011 pour accueillir pas loin de 3 millions de réfugiés (dont 262 000 dans des camps), à qui il faut assurer l’accès à un hébergement, à l’éducation et aux services médicaux et sociaux. Depuis plus de cinq ans, la Turquie applique une «politique de la porte ouverte» à l’égard des Syriens qui fuient le climat de guerre dans leur pays et, conformément à ses obligations internationales, met en œuvre le principe de «non-refoulement». L’Assemblée salue les mesures adoptées par les autorités turques pour améliorer les conditions de vie des réfugiés syriens, en particulier celles qui leur permettent d’obtenir un permis de travail depuis le 15 janvier 2016. L’Assemblée se félicite aussi des efforts financiers exceptionnels consentis par l’Etat pour faire face à cette situation, même s’il subsiste des problèmes, et notamment le fait que 400 000 enfants syriens réfugiés soient privés de toute éducation.
2En août 2014, pour la première fois, le Président de la République a été élu au suffrage direct. Des élections législatives se sont tenues le 7 juin 2015, et des élections législatives anticipées ont été organisées le 1er novembre 2015. Alors que le Parti de la justice et du développement (AKP) a obtenu la majorité au parlement en novembre 2015, le Parti démocratique des peuples (HDP, parti politique pro-kurde) –précédemment entré au parlement par l’élection de candidat/es indépendant/es ayant par la suite formé un groupe politique – a fait son entrée au Parlement pour la première fois en tant que parti, et ce malgré le seuil électoral de 10 %, dont l’Assemblée a demandé à plusieurs reprises l’abaissement sensible.
3Pour la Turquie, l’intégration dans l’Union européenne reste un objectif stratégique. Dans le contexte de l’accord de 2016 entre l’Union européenne et la Turquie concernant la crise des migrants et de la mise en œuvre d’une feuille de route sur la libéralisation du régime des visas, l’Assemblée se félicite de la récente ratification du Protocole no 15 portant amendement à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 213), de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197), du Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (STE no 167) et de la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198). L’Assemblée note que l’intégration dans l’Union européenne reste un objectif stratégique pour la Turquie. Elle réaffirme par conséquent sa conviction que l’ouverture de chapitres additionnels, en particulier les chapitres 23 (appareil judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté et sécurité), permettrait de consolider le processus de réforme et de conforter l’action du Conseil de l’Europe auprès de la Turquie pour l’amener à harmoniser sa législation et sa pratique avec les normes du Conseil de l’Europe. Les relations entre la Turquie et l’Union européenne, qui devraient être renforcées, seront d’une grande importance non seulement pour la stabilité et la prospérité des deux parties, mais aussi pour la région toute entière.
4Les récents développements intervenus en Turquie concernant la liberté d’expression et la liberté des médias, l’érosion de l’Etat de droit et les violations alléguées des droits de l’homme liées aux opérations de sécurité antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie soulèvent toutefois de sérieuses questions quant au fonctionnement de ses institutions démocratiques. Ces constats sont corroborés par de récents rapports adoptés par plusieurs mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, et notamment la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) et le Commissaire aux droits de l’homme, qui font apparaître les mêmes préoccupations profondes auxquelles la Turquie devrait répondre sans plus attendre.
5La révélation d’affaires de corruption les 17 et 25 décembre 2013 dans lesquelles quatre ministres et le fils de M. Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre, étaient soupçonnés d’être impliqués, a été le point de départ de changements dans les processus politiques nationaux, dont l’adoption de législations restrictives (modifications apportées au Code pénal et au Code de procédure pénale en 2014 et loi sur la sécurité intérieure de mars 2015), un contrôle renforcé de l’exécutif sur le judiciaire (amendements à la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature en 2014), la création de tribunaux spéciaux («magistrature pénale de paix») en juin 2014 et l’adoption de la loi no 5651 relative à internet en mars 2015, qui renforce la capacité de l’autorité turque de régulation des télécommunications (TIB) à bloquer des sites web.
6L’Assemblée regrette que les pourparlers de paix pour résoudre la question kurde aient tourné court à l’été 2015, compromettant le processus d’élargissement des droits linguistiques et culturels de la communauté kurde lancé et promu dans la période qui a précédé, y compris par sa représentation politique au parlement après la tenue des élections législatives et des élections législatives anticipées de 2015. La rupture des pourparlers de paix en juillet 2015 s’est soldée par une montée de la violence, des attentats à la bombe par le PKK et des mesures de représailles par les forces de sécurité turques, dont des couvre-feux imposés depuis décembre 2015 dans plusieurs districts du sud-est de la Turquie pour la conduite d’opérations de sécurité.
7Dans ce contexte, l’Assemblée se déclare très préoccupée par la décision, adoptée le 20 mai 2016 par la Grande Assemblée nationale turque, de lever l’immunité d’un grand nombre de parlementaires en suspendant à titre provisoire l’article 83 (première phrase) de la Constitution, ce qui exclut l’examen au cas par cas des éléments de fond des affaires. Bien que les parlementaires de tous les groupes politiques soient concernés, l’Assemblée note avec inquiétude que cette décision touche de façon disproportionnée les partis d’opposition, en particulier le Parti démocratique des peuples, dont certains membres font l’objet de poursuites pour infractions liées au terrorisme en raison de leurs déclarations.
8L’Assemblée rappelle que l’immunité parlementaire doit avant tout permettre aux élus de travailler et de s’exprimer sans craindre d’être harcelés par le pouvoir exécutif, les tribunaux ou des opposants politiques. Elle est donc préoccupée par les conséquences politiques potentielles de cette décision, qui pourrait porter atteinte à la vie parlementaire et nuire à l’environnement politique sain dont la Turquie a besoin pour relever les défis actuels, notamment les menaces terroristes et le besoin urgent de résoudre le problème kurde par des moyens politiques et pacifiques. Dans un contexte marqué par des allégations de manque d’indépendance du système judiciaire, l’Assemblée exhorte les autorités turques à veiller à ce que les poursuites engagées contre des parlementaires soient conduites dans le respect des normes du Conseil de l’Europe en matière de procédures et de procès équitables, et de la liberté d’expression, que la Turquie s’est engagée à défendre.
9Ces dernières années, la Turquie a été confrontée à des attaques terroristes massives et répétées, perpétrées par «l’Etat islamique de l’Irak et du Levant» (EIIL/Daech), le «Parti des travailleurs du Kurdistan» (PKK) et le «Parti des Faucons de la liberté du Kurdistan» (TAK), affilié au PKK. Ces attaques ont fait des centaines de victimes à Ankara, Suruç, Istanbul, Bursa ou Diyarbakır. En outre, la ville frontalière de Kilis a été visée par des tirs d’obus venus du territoire syrien. L’Assemblée condamne catégoriquement ces attaques ainsi que tous les actes terroristes et les violences, qu’ils soient le fait du PKK, de Daech ou de toute autre organisation, qui ne sauraient en aucun cas être tolérés. L’Assemblée insiste sur le droit et le devoir de la Turquie de lutter contre le terrorisme et de résoudre les questions de sécurité afin de protéger ses citoyens. Elle rappelle toutefois que les opérations de sécurité doivent être conduites dans le respect du droit international, et conformément au principe de proportionnalité et de nécessité. Il convient de trouver le juste équilibre entre sécurité et liberté individuelle en Turquie.
10Les autorités turques tentent de maintenir un équilibre entre la liberté et la sécurité dans le cadre des opérations anti-terroristes menées dans le sud-est du pays, afin de protéger le droit à la vie des citoyens, qui est le premier droit fondamental, ainsi que de garantir la sécurité publique. Les opérations de sécurité se sont considérablement intensifiées dans le sud-est de la Turquie depuis août 2015. L’Assemblée est vivement préoccupée par les conséquences, sur le plan humain, des couvre-feux de longue durée imposés 24 heures sur 24 dans 22 districts, dont Sur, Silvan (province de Diyarbakır), Nusaybin, Dargeait (province de Mardin), le centre de Sirnak, Cizre, Silopi, Idil (province de Sirnak) et Yüksekova (province de Hakkari). Ces couvre-feux, qui affectent 1,6 million de personnes, ont eu pour conséquence le déplacement de 355 000 personnes et des restrictions d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation et aux soins de santé, y compris les soins médicaux d’urgence, avec une issue fatale pour beaucoup d’habitants. La Fondation des droits de l’homme de Turquie a rapporté la mort d’au moins 338 civils au 20 avril 2016. Selon le ministère de l’Intérieur, entre le 20 juillet 2015 et le13 mai 2016, ces opérations avaient causé la mort de 458 agents des services de sécurité et 3 321 d’entre eux ont été blessés.
11Le fondement légal de ces couvre-feux longs et répétés et leur compatibilité avec les normes du Conseil de l’Europe ont été mis en doute. L’Assemblée attend de la Turquie qu’elle modifie son cadre juridique conformément à l’avis de la Commission de Venise sur la question qui sera adopté en juin 2016.
12Malgré les efforts déployés par les autorités turques pour assurer aux personnes déplacées l’accès à la nourriture et à un hébergement, à des emplois temporaires par l’intermédiaire des agences de placement de l’Etat et à des prestations sociales, y compris une compensation pour la perte de revenus, l’avenir de ces personnes déplacées reste incertain. Il semble que de grandes parties des zones soumises à des couvre-feux aient été détruites pendant et suite aux couvre-feux, et durant les opérations de déminage mises en œuvre par la suite pour éliminer les engins explosifs enterrés. Cette situation est particulièrement regrettable dans le quartier historique de Sur, qui a été inscrit au patrimoine culturel mondial de l’Unesco en 2015.
13Il y a eu des allégations d’atteintes graves aux droits de l’homme, notamment à Cizre, qui exigent que soient conduites des enquêtes appropriées et effectives, et que des éléments de preuve soient collectés avant que les zones ne soient nettoyées. L’Assemblée considère que l’accès à l’information, favorisé par la présence accrue des médias et une couverture médiatique impartiale et fiable de la situation dans le sud-est de la Turquie, mais aussi la transparence des procédures et la poursuite des auteurs de crimes ou de violations des droits de l’homme pourraient contribuer à la restauration de la confiance. L’Assemblée note que la Turquie est l’un des 116 pays qui propose une invitation ouverte aux procédures spéciales des Nations Unies depuis 2001. Elle se félicite des récentes visites du Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires en mars 2016 et de M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dans le sud-est du pays en avril 2016 ainsi que de la visite annoncée de représentants du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Elle invite la Turquie à envisager la constitution d’une équipe d’enquête formée d’experts indépendants et de personnalités bénéficiant de la confiance de tous les groupes de la société turque, qui serait chargée d’observer la situation en matière de droits de l’homme dans les districts touchés et de publier des rapports crédibles. L’Assemblée encourage par ailleurs la Turquie à renforcer les organismes nationaux indépendants de défense des droits de l’homme de manière à raffermir la confiance des citoyens dans ces mécanismes, et à intensifier leur utilisation.
14L’Assemblée note que des enquêtes administratives ont été ouvertes contre 63 agents des services de sécurité en raison de leur comportement répréhensible au cours des opérations menées dans le sud-est de la Turquie. Elle attend des autorités turques qu’elles mènent des enquêtes effectives sur toutes les accusations de mauvais comportement de la part des membres des services de sécurité pendant ces opérations.
15L’adoption par le gouvernement d’un décret d’urgence sur l’expropriation le 21 mars 2016 concernant Sur (Diyarbakır) a provoqué des inquiétudes parmi les personnes déplacées. Le manque d’informations sur les procédures judiciaires, les futurs projets de construction urbaine et le droit des personnes déplacées à retourner vivre dans leur quartier soulève de nombreuses questions. L’absence d’informations transparentes tend à nourrir les craintes et l’insécurité des personnes concernées. L’Assemblée attend de la Turquie qu’elle prenne dûment en compte les besoins de la population locale et qu’elle garantisse une juste compensation pour les pertes endurées par les civils en cas de procédures d’expropriation – qu’il faudrait mettre en œuvre dans le respect des normes du Conseil de l’Europe et compte tenu des droits de propriété et de leurs garanties en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme.
16L’Assemblée est aussi vivement préoccupée par le risque que les tensions et les conflits se propagent à d’autres régions de la Turquie. Elle exhorte le PKK à cesser ses attaques terroristes et à déposer les armes. L’Assemblée exhorte aussi toutes les parties impliquées à recourir à des moyens politiques pour enrayer l’escalade de la violence. Le Parlement turc, qui pourrait s’ériger en tribune politique pour une résolution pacifique des conflits, devrait envisager de mettre en place des mécanismes permettant de relancer le processus de paix, dont une commission parlementaire multipartite jointe, ou une commission «vérité et réconciliation», qui impulserait un nouvel élan au processus et permettrait de guérir les traumatismes du passé. Toutes les forces politiques concernées doivent pouvoir réfléchir à des solutions politiques au sein du parlement. Un système approprié d’inviolabilité parlementaire – ne couvrant pas les propos incitant à la haine, à la violence ou encore à la destruction des droits ou libertés démocratiques – est par conséquent nécessaire pour garantir que les questions d’intérêt public puissent être débattues avec les représentants élus sans la crainte d’une ingérence de l’exécutif ou du judiciaire.
17 L’Assemblée est également préoccupée par le manque de dialogue politique dans la région, et les arrestations et destitutions de maires élus démocratiquement dans le sud-est de la Turquie, pour avoir «aidé et encouragé une organisation terroriste». L’Assemblée appelle les responsables politiques à s’abstenir de tout acte ou toute déclaration qui pourraient être perçus comme une manière d’attiser les tensions.
18La préparation annoncée d’une législation habilitant les gouverneurs à nommer de nouveaux maires soulève aussi des questions concernant le respect des dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122), que la Turquie a ratifiée en 1992. L’Assemblée réitère l’appel lancé à la Turquie, conformément aux exigences du dialogue postsuivi, de poursuivre la décentralisation, dans le plein respect de l’intégrité territoriale du pays, et de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148) et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157), qui pourraient, de plus, aider à restaurer la confiance entre les communautés.
19Concernant la liberté d’expression et la liberté des médias, l’Assemblée partage les préoccupations du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe quant à «l’ampleur du recours à une notion extrêmement large du terrorisme pour punir des déclarations non violentes et la criminalisation du moindre message qui semble simplement coïncider avec des intérêts perçus comme étant ceux d’une organisation terroriste». L’Assemblée exhorte la Turquie à se conformer pleinement à ses obligations en vertu de tous les traités relatifs aux droits de l’homme qu’elle a ratifiés. Elle reste préoccupée par l’interprétation extensive de la loi antiterroriste, en contradiction avec les normes du Conseil de l’Europe, qui fait que des défenseurs des droits de l’homme et des avocats sont incriminés et poursuivis. L’Assemblée renouvelle par conséquent l’appel lancé à la Turquie en 2013 de réexaminer les définitions juridiques des infractions relatives au terrorisme et à l’appartenance à une organisation criminelle, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
20Rappelant sa Résolution 2035 (2015) sur la protection de la sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée s’inquiète des événements intervenus récemment dans le domaine de la liberté d’expression et de la liberté des médias, qu’il convient de comprendre à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 10 de la Convention. Elle s’inquiète notamment de ce que les transferts de la propriété de sociétés de médias servant des intérêts commerciaux aient eu pour objectif, et pour résultat, l’exercice d’une influence politique significative sur les médias.
21L’Assemblée considère que l’application abusive de l’article 299 (offense au Président de la République) – dans quelque 2 000 affaires en deux ans impliquant des journalistes et des universitaires, mais aussi des citoyens ordinaires – conduit à une restriction excessive de la liberté d’expression, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 10 de la Convention. Elle rappelle à ce propos que les affaires de diffamation peuvent être examinées dans le cadre de procédures civiles ou au titre des dispositions générales de l’article 125 du Code pénal sur «l’injure».
22L’Assemblée est profondément préoccupée par les poursuites engagées à l’encontre de journalistes d’investigation suite à leurs enquêtes sur des questions d’intérêt général. Le journalisme d’investigation, national comme étranger, devrait pouvoir s’exercer sur tous les sujets, dans toutes les régions. L’Assemblée est consternée par les peines de prison sévères prononcées à l’encontre de ces journalistes. Elle attend des institutions judiciaires qu’elles prennent à l’avenir leurs décisions à la lumière de la jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, et des autorités qu’elles harmonisent la législation et son interprétation par les juridictions internes avec les normes du Conseil de l’Europe en la matière. A cet égard, l’Assemblée salue le rôle important joué par la Cour constitutionnelle de la Turquie s’agissant de garantir la liberté d’expression et la liberté des médias, ainsi que par les requêtes individuelles devant la Cour constitutionnelle, qui restent un moyen efficace de protéger les droits énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme.
23L’Assemblée reste préoccupée par le grand nombre de sites web bloqués (110 000) et de demandes de fermeture de comptes Twitter. Le blocage de sites web semble être une mesure extrêmement disproportionnée qui fait obstacle au droit du public de recevoir et de se voir fournir des informations sur internet, et qui a des incidences négatives sur le pluralisme des médias et la liberté d’expression. Elle exhorte la Turquie à renforcer son cadre juridique conformément à la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment à réexaminer la loi no 5651 relative à internet conformément aux recommandations de la Commission de Venise (à adopter en juin 2016) concernant la réglementation des publications sur internet et la lutte contre les crimes commis au moyen de ces publications.
24L’Assemblée rappelle que les journalistes et d’autres acteurs des médias apportent une contribution essentielle au débat public et aux processus de formation de l’opinion qui sont nécessaires dans une société démocratique. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation positive de garantir la liberté d’expression, la protection des journalistes et l’accès à l’information, et d’instaurer les conditions permettant aux journalistes de jouer le rôle de «chiens de garde» publics ou sociaux et d’informer le public sur des questions d’intérêt général et public. Trop de mesures actuellement prises par les autorités, et notamment des enquêtes et des poursuites, mais aussi l’interprétation du Code pénal par les juridictions internes, ont un effet dissuasif. Les attaques à l’encontre de journalistes et d’organes de presse, la saisie de médias (qui porte atteinte aux droits de propriété), les pressions exercées sur les journalistes et la sanction de journalistes qui ne font que leur métier conduisent à l’autocensure. L’Assemblée exhorte par conséquent la Turquie à maintenir un environnement favorable à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention et à mettre en œuvre la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et des autres acteurs des médias.
25L’Assemblée considère qu’améliorer encore le cadre juridique pourrait aider le pays à venir à bout des restrictions à la liberté d’expression. A la lumière de l’avis de mars 2016 de la Commission de Venise, l’Assemblée invite la Turquie:
25.1à abroger l’article 299 du Code pénal (offense au Président de la République);
25.2à abroger l’article 301 (dénigrement de la nation turque, de l’Etat de la République turque, des organes et des institutions de l’Etat) ou à le modifier, afin d’expliciter et de préciser toutes les notions qui y figurent et de satisfaire au principe de prévisibilité, et d’assurer que cette disposition ne s’applique qu’aux discours incitant à la violence ou à la haine et que son interprétation par les tribunaux internes soit conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
25.3à limiter l’application de l’article 216 et à recourir à des sanctions pénales – proportionnées – dans les cas uniquement d’incitation ouverte à la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, et non pour réprimer les critiques sévères à l’égard des politiques gouvernementales. En outre, cette disposition devrait s’appliquer uniquement aux cas extrêmes d’injure à caractère religieux troublant intentionnellement et gravement l’ordre public, ou appelant à la violence publique, et non en cas de simple blasphème;
25.4à garantir une interprétation stricte de l’article 314 (appartenance à une organisation armée), afin de limiter son application aux cas qui n’impliquent pas l’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, conformément aux critères établis dans la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle les actes attribués à un défendeur doivent, dans «leur continuité, leur diversité et leur intensité», montrer le «lien organique» que le défendeur entretient avec une organisation armée ou prouver que celui-ci a agi sciemment et délibérément au sein de la «structure hiérarchique» de l’organisation.
26L’Assemblée encourage les autorités turques à examiner ces propositions au sein du groupe de travail sur la liberté d’expression créé en 2016 par le ministère de la Justice et le Conseil de l’Europe, dans le cadre du plan d’action de la Turquie pour prévenir les violations de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle s’attend à ce que les amendements nécessaires à la législation soient préparés et adoptés en consultation avec le Conseil de l’Europe.
27L’Assemblée exhorte la Turquie à poursuivre sa coopération avec le Conseil de l’Europe et à mettre en œuvre les recommandations du GRECO dans le cadre de sa stratégie de réforme de la justice qui vise le développement d’un système de justice plus fiable, la mise en place de services judiciaires indépendants et impartiaux et la tenue de procès dans des délais raisonnables. Elle se félicite de l’adoption le 30 avril 2016 d’un plan d’action (2016-2019) sur l’amélioration de la transparence et l’intensification de la lutte contre la corruption pour traiter ces questions, qui est une première étape.
28Concernant le respect de la prééminence du droit, l’Assemblée est vivement préoccupée par les propos tenus récemment par le Président de la République et des ministres qui ont affirmé ne pas respecter une décision de la Cour constitutionnelle concluant à l’illégalité de la détention de journalistes d’investigation qui se basait sur la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l’homme. L’Assemblée exhorte les autorités turques à s’abstenir de toute ingérence indue dans la justice et de toute remise en cause de la prééminence du droit. Elle se félicite toutefois de ce que l’ensemble des décisions de la Cour constitutionnelle résultant de requêtes individuelles aient été appliquées.
29L’indépendance du système judiciaire est garantie par la Constitution. Depuis le référendum constitutionnel de 2010, plusieurs paquets judiciaires ont été mis en œuvre. Ils prévoyaient l’implication plus forte des procureurs et des juges élus dans le Conseil supérieur de la magistrature, ce qui constituait une évolution positive. Toutefois, les développements récents et les amendements à la loi relative au Conseil supérieur de la magistrature, en 2014, soulèvent la question de l’indépendance du judiciaire et de l’ingérence indue de l’exécutif dans la justice.
30Le GRECO a noté dans son rapport de mars 2016 que la nomination des membres élus du Conseil supérieur de la magistrature en 2014, le recours à des procédures disciplinaires, notamment le limogeage d’un certain nombre de membres de l’appareil judiciaire, ainsi que l’influence potentielle de l’exécutif sur cet organe, ont alimenté encore davantage le débat sur le rôle et l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature et érodé sérieusement la confiance des citoyens dans leurs institutions judiciaires. L’Assemblée partage ces préoccupations et invite la Turquie:
30.1à mettre en œuvre les recommandations du GRECO, notamment pour renforcer l’inamovibilité des juges et garantir que l’évaluation de la performance des juges et des procureurs, ainsi que les procédures disciplinaires à leur encontre, soient libres de toute influence indue;
30.2à réviser à nouveau la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature pour réduire l’influence du pouvoir exécutif en son sein.
31L’Assemblée note aussi qu’en 2014 la lutte contre le terrorisme a été étendue au Mouvement Gülen (soi-disant «structure parallèle d’Etat»), ancien allié du parti AKP. La purge destinée à éliminer les prétendus partisans gülenistes des institutions de l’Etat pose la question des garanties procédurales. Cette entreprise, et notamment le grand nombre de mutations, arrestations et détentions de juges et de procureurs, a eu une incidence en particulier sur le système judiciaire et pourrait avoir un effet dissuasif sur ses membres.
32L’Assemblée conclut que l’évolution récente de la situation concernant la liberté des médias et la liberté d’expression, l’érosion de l’Etat de droit et les violations alléguées des droits de l’homme liées aux opérations de sécurité antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie menacent le fonctionnement des institutions démocratiques de ce pays et compromettent le respect de ses obligations vis-à-vis du Conseil de l’Europe. L’Assemblée continuera de suivre de près les questions soulevées dans ce rapport, en particulier la situation des droits de l’homme dans le sud-est de la Turquie, sur la base des informations fournies par sa commission de suivi. L’Assemblée rappelle que les autorités turques sont invitées à répondre aux exigences restées en suspens dans le cadre du dialogue postsuivi avec l’Assemblée parlementaire. Elle réitère la disponibilité du Conseil de l’Europe, en particulier de la Commission de Venise, à soutenir les efforts déployés par les autorités turques en ce sens.