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Avis de commission | Doc. 11731 | 01 octobre 2008

Les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Göran LINDBLAD, Suède, PPE/DC

Origine - Voir Doc. 11724 déposé par la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi). 2008 - Quatrième partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission des questions politiques décide de proposer les amendements suivants.

B. Amendements proposés par la commission des questions politiques

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Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 1, après «L’Assemblée parlementaire est fermement attachée», ajouter les mots «à la quête de la paix et».

Amendement B (au projet de résolution)

Après le paragraphe 29, ajouter un nouveau paragraphe comme suit:

«En vue de minimiser les risques de nouvelles flambées de violence impliquant ses Etats membres, l’Assemblée doit jouer un rôle en matière de prévention et de résolution des conflits, dans la mesure où la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit ne peuvent être respectés sans paix. Elle décide par conséquent de demander au Bureau d’étudier les mécanismes qui lui permettraient d’user de la diplomatie parlementaire dans le cadre des conflits gelés en Europe et d’autres situations susceptibles de porter atteinte à la paix et à la stabilité.»

Amendement C (au projet de recommandation)

Au paragraphe 3.2, après les mots «tant par la Géorgie que par la Russie, y compris», ajouter les mots

«le renforcement du suivi des engagements et obligations des deux pays, ainsi que l’a recommandé la présidence suédoise du Comité des Ministres,».

C. Exposé des motifs, par M. Lindblad

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1. Cette guerre: une raison de s’alarmer

1. Une guerre tous azimuts en Europe, plus de 600 victimes, 192 000 personnes déplacées et d’incalculables souffrances et destructions.
2. L’Europe doit s’inquiéter. Non seulement parce qu’elle n’a pas été capable d’empêcher cette guerre, mais aussi parce que le conflit est loin d’être terminé: les Géorgiens de souche en Ossétie du Sud sont victimes d’actes de violence et d’abus contre lesquels les forces russes manquent de les protéger; une partie du territoire géorgien, y compris hors de l’Ossétie du Sud, est soumise à une occupation militaire par les forces russes; l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont autoproclamé leur indépendance à l’égard de la Géorgie; la Fédération de Russie a donné sa bénédiction à ces déclarations et conclu des accords de coopération avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, y compris dans le domaine de la défense; la Conférence de Genève, prévue par le cessez-le-feu négocié par l’Union européenne pour discuter des mécanismes permettant de garantir la sécurité et la stabilité dans la région, sera une réunion purement technique, aucun accord n’ayant été trouvé quant au format de cette conférence.
3. Nous sommes très loin d’éteindre les cendres brûlantes de cette guerre. Il nous incombe à tous en Europe, y compris à l’Assemblée parlementaire, de travailler ardemment à l’instauration de conditions préalables à une paix durable.

2. Chacun porte sa part de responsabilité

4. Après le déclenchement des hostilités en Géorgie en août de cette année, notre Assemblée a décidé qu’il était nécessaire de clarifier les faits et d’identifier les responsabilités des diverses parties. Le Bureau de l’Assemblée a ainsi constitué une délégation qui s’est rendue à Moscou, Tbilissi et en Ossétie du Sud la semaine passée, à laquelle j’ai participé. Dans un même temps, les Parlements géorgien et russe prenaient la décision d’ouvrir des enquêtes, alors que la Géorgie déposait plainte contre la Fédération de Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour internationale de justice et le Tribunal pénal international.
5. L’établissement des faits, par des commissions d’enquête ou les tribunaux, a sans nul doute son importance. Mais les politiques peuvent également fournir une interprétation des faits et juger des responsabilités:
  • responsabilité pour le déclenchement de la guerre, qui est l’aspect le plus difficile à définir. Bien sûr, si des preuves venaient retracer la séquence exacte des événements de la nuit du 7 au 8 août, il serait possible de confondre l’agresseur. Mais il serait injuste d’attribuer à ce dernier l’entière responsabilité de cette guerre car cette nuit fut le point culminant d’un processus engagé bien avant;
  • responsabilité pour la façon dont cette guerre a été menée, et elle incombe, comme l’a décrit la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), aux deux pays car l’ampleur de leurs actions militaires, les cibles et le type d’armes utilisées étaient disproportionnés au vu de l’objectif que les parties prétendaient poursuivre;
  • et également responsabilité pour l’instauration des conditions d’un règlement pacifique, durable et légitime du conflit, qui suppose de respecter les termes du cessez-le-feu, de protéger les civils contre les actes de violence et les violations des droits de l’homme dans les zones soumises au contrôle de facto d’un pays, et de s’abstenir de tout acte reconnaissant la mutilation de l’intégrité territoriale de la Géorgie en dehors d’un processus de négociation pacifique. Cette responsabilité incombe pour l’essentiel à la Russie.
6. En plus des deux parties directement impliquées dans le conflit, le Conseil de l’Europe devrait lui aussi accepter d’endosser sa part de responsabilité: soit nous avons sous-estimé le risque d’un conflit ouvert, auquel cas nous sommes à blâmer pour notre manque de clairvoyance; soit nous avons vu le conflit arriver mais n’avons pas eu le courage ou les moyens d’exercer davantage de pression sur les pays concernés, qui sont nos propres membres. Dans les deux hypothèses, notre Organisation a maintenant le devoir de contribuer à l’instauration des conditions d’un règlement pacifique, durable et légitime du conflit.

2.1. La période qui a précédé la guerre

7. Dans les mois qui ont précédé le déclenchement des hostilités, plusieurs signes ont laissé entrevoir une détérioration de la situation:
  • des actes répétés de provocation, ou perçus comme tels, des deux côtés;
  • des échauffourées et des échanges de tirs continus entre les forces géorgiennes et les milices d’Ossétie du Sud;
  • le piétinement des négociations pour le règlement des conflits, que chacune des parties attribue au désintérêt de l’autre partie;
  • l’annonce faite par les autorités russes en avril 2008 selon laquelle elles allaient établir des relations officielles avec les autorités de facto séparatistes à Tskhinvali et Soukhoumi;
  • le renforcement du dispositif militaire russe dans la région, en termes d’effectifs et de matériel.
8. De plus, la recherche d’une solution pacifique a été profondément entravée par deux obstacles fondamentaux:
  • le mécanisme de maintien de la paix établi par l’Accord de Sotchi de 1992 était irréalisable. Aux termes de cet accord, les troupes géorgiennes, russes et sud-ossètes se sont vu confier des tâches de maintien de la paix 
			(1) 
			Selon la formulation
de cet accord, il devait y avoir des troupes de la Communauté d’Etats
indépendants (CEI), de la Géorgie et de l’Ossétie du Nord. Cependant,
la CEI était représentée par la Russie alors que les troupes nord-ossètes étaient
composées de milices sud-ossètes.. Il était prévisible que, en cas de tensions extrêmes, ces troupes auraient tôt fait d’abandonner leurs uniformes de défenseurs de la paix pour se faire la guerre;
  • de même, il n’était pas difficile de prévoir que l’octroi unilatéral de la citoyenneté russe à la majorité de la population d’Ossétie du Sud pourrait être utilisé par la Russie pour légitimer le recours à la force afin de protéger ses citoyens.

2.2. La guerre

9. Les deux protagonistes, la Russie et la Géorgie, s’accusent mutuellement d’avoir agi selon un plan prémédité. L’Assemblée n’est pas en mesure de prouver la véracité de ces affirmations. Néanmoins, en comparant les versions des deux protagonistes concernant la séquence des événements de la nuit du 7 août, l’élément clé qui reste à déterminer est de savoir si:
  • la 58e armée russe a été envoyée en Ossétie du Sud en réponse au bombardement massif et aveugle de Tskhinvali par l’artillerie géorgienne – comme le prétendent les autorités russes; ou
  • si le bombardement de Tskhinvali a été décidé en réaction à l’arrivée massive en Ossétie du Sud de contingents militaires russes – comme l’affirment les autorités géorgiennes.
10. A ce jour, aucune preuve objective et indépendante, telle que des photos-satellite, n’est venue étayer l’une ou l’autre des versions.

2.3. Le lendemain de la guerre

11. Le comportement des deux parties après la conclusion du cessez-le-feu est également important dans la détermination des responsabilités:
  • les troupes russes n’ont pas respecté leur engagement d’un retrait immédiat sur les lignes qu’elles occupaient avant le début des hostilités. Selon l’accord de mise en œuvre du cessez-le-feu négocié par l’Union européenne, leur retrait devrait désormais intervenir d’ici au 10 octobre. Cependant, les autorités russes se déclarent elles-mêmes prêtes à ne retirer leurs troupes que de la zone dite «tampon» après l’arrivée des observateurs de l’Union européenne, arguant du fait que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud étant désormais des Etats indépendants, le déploiement d’observateurs sur leur territoire relève de leur décision souveraine. De même, le retrait ou le déploiement de troupes est une question à part, relevant d’accords bilatéraux;
  • dans ce contexte, la reconnaissance par la Russie des deux régions séparatistes en tant qu’Etats indépendants constitue un défi pour les valeurs et les normes européennes et complique encore davantage un retour à la situation quo ante;
  • les troupes russes toujours présentes de facto dans la zone dite «tampon» et en Ossétie du Sud ont failli à leur responsabilité de protéger la population contre les violences, les violations des droits de l’homme et le nettoyage ethnique.

3. Le Kosovo comme précédent: prédiction ou annonce?

3.1. La reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud

12. La reconnaissance par la Russie de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en tant qu’Etats souverains et indépendants est contraire au droit international et politiquement inacceptable de la part d’un Etat membre du Conseil de l’Europe.
13. Compte tenu de la gravité de la décision, je ne peux qu’être déconcerté devant le vote à l’unanimité par les deux chambres du Parlement russe de résolutions demandant au Président Medvedev de reconnaître l’indépendance des deux régions séparatistes. Je considère un tel soutien unanime comme un signe de l’incapacité des représentants élus de la Russie d’interagir avec l’exécutif de manière démocratique et de remettre en cause la position de leur gouvernement en matière de politique étrangère.
14. La rapidité avec laquelle cette reconnaissance a été annoncée m’amène à penser que le scénario avait été écrit au préalable. En effet, au cours des mois précédents, des responsables russes de haut rang avaient fait de nombreuses déclarations indiquant que la proclamation et la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo forceraient la Russie à revoir sa position concernant l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, dont la majorité de la population a la citoyenneté russe 
			(2) 
			Déclaration
du ministre des Affaires étrangères Lavrov, le 15 février 2008..
15. La prédiction selon laquelle l’indépendance du Kosovo serait utilisée comme un précédent est finalement devenue réalité. Je ne peux m’empêcher de me demander si, plutôt qu’une prédiction, ce n’était pas l’annonce que la Russie s’estimait libre d’invoquer le Kosovo comme précédent: deux mois seulement après la déclaration d’indépendance par l’Assemblée du Kosovo, Moscou annonçait la levée de l’embargo contre les autorités de facto dans les régions séparatistes géorgiennes et l’établissement de relations officielles.
16. A Moscou, j’ai eu l’occasion d’entendre des arguments en faveur de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud:
  • ces régions ont historiquement joui du statut d’Etat et aucune des deux ne faisait partie de la Géorgie au temps de l’Union soviétique;
  • la population de ces régions souhaite et est prête à l’indépendance; par ailleurs, des institutions en état de fonctionner sont en place;
  • après le génocide perpétré par les Géorgiens contre les populations de ces territoires, il est inconcevable qu’elles soient à nouveau placées sous la souveraineté de la Géorgie.
17. Avec tout le respect dû aux victimes sud-ossètes et abkhazes de cette guerre, je pense que qualifier l’attaque géorgienne contre Tskhinvali de tentative de génocide est une exagération délibérée, employée pour justifier l’intervention militaire disproportionnée de la Russie, pro-mouvoir des objectifs politiques et manipuler l’opinion publique. Dans le même temps, toute comparaison avec le Kosovo n’a aucun sens:
  • le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance à la suite de plus de deux ans de négociations assidues, après qu’un envoyé des Nations Unies ait recommandé l’indépendance comme seule solution possible et après le blocage du Conseil de sécurité des Nations Unies en raison du refus russe d’accepter la solution préconisée par l’envoyé;
  • l’indépendance du Kosovo doit être examinée dans le contexte de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie;
  • le Kosovo a déclaré son indépendance après neuf ans d’administration internationale au cours desquels la souveraineté de la Serbie sur ce territoire n’était que purement formelle;
  • les Albanais du Kosovo ont été victimes d’un nettoyage ethnique de la part de la Serbie, ce qui rendait pour eux inconcevable tout retour à la souveraineté serbe.
18. A la lumière de quelques remarques que j’ai entendues à Moscou concernant le fait que des Ossètes du Sud disposaient de la citoyenneté russe, qu’ils avaient le sentiment de ne former qu’un seul et même peuple avec les Ossètes du Nord, qu’ils vivaient dans le même Etat au temps de l’Union soviétique, et qu’il règne une compréhension parfaite entre eux et les Russes, étant tous slaves, je n’exclus pas la possibilité que le scénario se poursuive avec l’intégration complète de la république indépendante autoproclamée d’Ossétie du Sud dans la Fédération de Russie et sa fusion avec l’Ossétie du Nord.

3.2. Davantage de conséquences sur les pays étrangers proches de la Russie?

19. Au cours des réunions tenues à Moscou, il a été à plusieurs reprises rapporté à notre délégation que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud étaient des cas uniques et que la Russie ne connaissait pas d’autres situations similaires. Ces cas seront-ils utilisés comme des précédents?
20. Le premier danger manifeste est que la déclaration d’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud incite d’autres régions, telle que le Nagorno-Karabakh, à faire de même. Un tel geste entraînera probablement un conflit armé entre les deux Etats concernés. Parallèlement, le risque potentiel de propagation d’un tel conflit aux pays voisins, dont l’un est membre de l’OTAN, ne doit pas être sous-estimé.
21. Deuxièmement, même si les responsables russes de Moscou nous ont assuré n’avoir aucun intérêt à toute modification des frontières en Europe, les voisins géographiquement les plus proches de la Russie sont inquiets: en Crimée, où la grande majorité de la population est composée de Russes d’origine, le processus de «passeportisation» a déjà commencé. Il est en cours depuis un certain temps dans la région séparatiste de Transnistrie, ainsi que dans les Etats baltes, où les Russes représentent une minorité assez importante qui, selon Moscou, est victime de graves discriminations.
22. A n’en pas douter, l’une des conséquences de la récente guerre entre la Russie et la Géorgie est que tous les anciens membres de l’URSS ont reçu un avertissement fort les enjoignant à respecter la Russie et ses intérêts stratégiques. Cette attitude rappelle la politique des pays étrangers proches – que la Russie s’est engagée à abandonner en devenant membre du Conseil de l’Europe – et la doctrine de la souveraineté limitée pour les pays appartenant à la sphère d’influence – ou d’intérêt – d’une puissance mondiale.
23. Il est inévitable pour une puissance mondiale d’avoir des intérêts stratégiques; le problème vient de la manière dont ils sont poursuivis. Les membres du Conseil de l’Europe devraient coopérer les uns avec les autres dans un esprit constructif et amical mais, comme l’a dit le président de l’Assemblée de Géorgie lors de la réunion avec notre délégation, comment est-ce possible d’entretenir des relations amicales de bon voisinage avec un pays grand et fort qui remet en cause la souveraineté, l’intégrité territoriale et la liberté de choix d’un autre?

3.3. Conséquences en Fédération de Russie?

24. La Russie pourrait également avoir sous-estimé les conséquences de la reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud à l’intérieur des frontières de la Fédération de Russie: les séparatistes tchétchènes invoqueront-ils ces précédents pour conférer plus de poids à leurs revendications? N’y a-t-il pas des risques de nouvelles tourmentes au Daghestan et en Ingouchie? Quels arguments invoquerait alors la Russie? Appellera-t-elle toujours à la préservation de l’intégrité territoriale des Etats souverains?

4. Intérêts stratégiques: défense et énergie

4.1. Défense

25. La Russie a toujours clairement affiché son mécontentement devant l’extension de l’OTAN et les liens étroits noués par les Etats-Unis avec certains de ses voisins, notamment la Géorgie, mais aussi les pays d’Asie centrale qui ont accepté d’accueillir des bases militaires américaines ou de mettre leurs bases à leur disposition 
			(3) 
			Le
Kirghizistan accueille une base militaire américaine à Manas alors
qu’en Ouzbékistan les Américains utilisent la base militaire de
Ternez.. De même, elle s’est plainte à plusieurs reprises des dépenses élevées de la Géorgie en matière d’armement et d’équipements militaires, et du rôle joué par les Nations Unies dans la formation et la modernisation de l’armée géorgienne.
26. La récente guerre a présenté des avantages stratégiques immédiats pour la Russie en matière de défense, notamment:
  • elle garantit la présence de bases militaires en Abkhazie et en Ossétie du Sud et le démantèlement des capacités militaires géorgiennes;
  • de plus, en dépit de l’établissement de la commission OTAN-Géorgie immédiatement après le conflit, la guerre peut avoir semé le doute chez certains membres de l’OTAN quant à la pertinence d’un élargissement de l’OTAN à des Etats comme la Géorgie et l’Ukraine, par peur d’être entraînés dans un conflit armé dû au comportement inconscient de certains responsables politiques. La guerre a pu de ce fait amener certains pays d’Europe à reconsidérer leur souhait d’adhérer à l’OTAN.
27. D’un autre côté, la guerre a également eu pour effet de catalyser les positions des pays européens qui souhaitent que l’Occident s’oppose à la politique impérialiste et révisionniste de la Russie en Europe orientale, par exemple les pays Baltes et la Pologne 
			(4) 
			Déclaration conjointe
des quatre présidents, 9 août 2008.. Ce n’est pas sans rapport que la Pologne et les Etats-Unis ont signé le 14 août un accord sur le déploiement d’un bouclier antimissile sur le territoire polonais. Quelques jours plus tard, au milieu des déclarations de responsables militaires russes selon lesquelles la flotte balte basée à Kaliningrad allait être équipée d’ogives nucléaires, la Russie a testé un missile furtif capable de pénétrer le bouclier américain. Cette attitude d’affrontement de la part de la Russie est inexplicable, puisque le bouclier antimissile n’est pas dirigé contre elle, mais contre d’autres pays non européens, comme l’Iran. D’autre part, cette démonstration de force ne peut que conduire à une course aux armements et, ultérieurement, convaincre même davantage de pays européens que c’est peut-être contre la Russie qu’ils devraient se protéger.

4.2. Energie

28. La Géorgie joue un rôle clé en tant que pays de transit dans l’acheminement du pétrole de la Caspienne vers les marchés mondiaux, en contournant la Russie. De plus, le gaz d’Azerbaïdjan et d’Asie centrale transite vers l’Europe par l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum, et par chemin de fer, pour être expédié par mer depuis des ports géorgiens tels que Poti. La Géorgie importe également du gaz d’Azerbaïdjan par le pipeline Bakou-Soupsa et importe du gaz de Russie qui transite par l’Arménie.
29. Au déclenchement des hostilités, l’oléoduc BTC a été fermé en raison d’un incident sans rapport. Le fonctionnement des autres pipelines a, par la suite, aussi été arrêté par mesure de précaution, alors que les exportations par mer étaient sérieusement compromises par le bombardement du port de Poti et le blocus naval imposé par la marine russe. Après l’arrêt officiel des hostilités, la voie de chemin de fer de l’Azerbaïdjan a également été fermée à la suite d’une explosion qui s’est produite aux alentours.
30. L’énergie est un facteur clé de la récente guerre, ne serait-ce que par quatre aspects:
  • en tant qu’un des principaux fournisseurs mondiaux, la dépendance européenne renforce la confiance de la Russie en ses relations internationales. A diverses occasions, la Russie a montré qu’elle savait fermer le robinet, ce qui est un moyen de pression énorme;
  • en raison de l’évidente volatilité de la situation en matière de sécurité dans la région, les clients et les investisseurs ont tendance à être plus circonspects à l’égard de la Géorgie en tant que pays de transit fiable, ce qui affecte négativement l’économie géorgienne et renforce la dépendance à l’égard des voies de transport russes;
  • la dépendance énergétique à l’égard de la Russie est un élément qui divise les Etats européens quant à leur politique étrangère envers ce pays. Il ne nous a pas échappé au cours de cette crise que les pays les plus dépendants ont tendance à se montrer moins critiques que les autres et qu’ils sont moins enclins à convenir de l’application de sanctions. Cette division met à mal l’unité d’une position européenne commune et l’affaiblit;
  • la fermeture simultanée de toutes les voies de transit géorgiennes a incité un autre pays de la région, l’Azerbaïdjan, à ne pas prendre ouvertement position.

5. Une nouvelle guerre froide?

31. Il est fréquent d’entendre des commentaires laissant entendre que l’Occident et la Russie sont engagés dans une confrontation sur la scène mondiale et qu’une nouvelle guerre froide a commencé. Je me dois de dire que je ne partage pas cette interprétation; en fait je suis d’avis qu’il y a danger.
32. Nous devons faire attention à ne pas succomber aux stéréotypes de la guerre froide ou à la mentalité de l’époque, notamment aux accusations mutuelles, entre Washington et Moscou, de vouloir changer l’équilibre géopolitique et stratégique, l’Europe étant prise entre deux feux. Le risque de ce type de discours est une nouvelle émergence d’une profonde ligne de démarcation en Europe. C’est contraire à l’essence même du Conseil de l’Europe et nous devons tout faire pour y faire obstacle.
33. D’un autre côté, je conviens qu’il est nécessaire d’examiner les implications géopolitiques plus larges de cette guerre et ses conséquences pour le maintien de la paix. Certains pays européens, menés par la France – détenteur actuel de la présidence de l’Union européenne – ont engagé une réflexion sur l’avenir des relations transatlantiques, en vue de promouvoir une vision européenne unique. Dans ce processus de réflexion, il sera important de prendre en compte les inquiétudes de la Russie quant à l’actuel cadre de la sécurité européenne et de discuter de sa proposition d’un nouveau traité collectif de sécurité européenne.

6. Ce que le Conseil de l’Europe devrait faire

34. Il incombe également à la communauté internationale, y compris au Conseil de l’Europe, de garantir que les conséquences de la guerre soient, dans la mesure du possible, réparées et qu’il n’y en aura pas d’autres par la suite.
35. Le Conseil de l’Europe devrait de ce fait tirer certaines leçons de son incapacité à empêcher que les tensions entre ses Etats membres ne dégénèrent en guerre. Ce faisant, il devrait réfléchir de manière critique sur ses activités et moyens de faire pression, compte tenu du fait qu’il est composé de pays ayant des intérêts stratégiques différents et parfois opposés, dont l’un est une puissance mondiale.
36. A mon sens, le Conseil de l’Europe devrait:
  • faire preuve de fermeté quant à ses principes et ses valeurs tout en préservant le dialogue avec toutes les parties impliquées dans la guerre;
  • établir une procédure de monitoring renforcée du Comité des Ministres concernant les engagements et obligations de la Russie et de la Géorgie, ainsi que l’a proposé la présidence suédoise du Comité des Ministres;
  • intensifier la coopération avec les pays concernés en vue de renforcer la mise en œuvre de la démocratie, le respect des droits de l’homme et de la primauté du droit;
  • se donner les moyens d’agir vite et avec souplesse afin de prévenir les tensions entre ses Etats membres et éviter toute escalade au-delà d’un seuil critique. A titre d’exemple, l’APCE pourrait mettre en place une commission ad hoc de parlementaires issus de diverses commissions de l’APCE et forts de spécialisations différentes, qui serait chargée de la diplomatie parlementaire, de la promotion de la mise en œuvre des résolutions précédentes de l’APCE, ou de la médiation entre les parties. En un mot, le Conseil de l’Europe et son Assemblée devraient jouer un rôle en matière de prévention des conflits;
  • naturellement, intervenir dans la prévention des conflits suppose de faire preuve d’un certain courage politique pour régler les conflits gelés et d’autres situations de conflit affectant les intérêts nationaux étroits de certains Etats membres, y compris de «vieilles démocraties»;
  • envisager un nouveau système de sanctions, permettant à l’Organisation de faire pression sans exclure du dialogue le pays sanctionné.

7. Conclusions du rapporteur

Je partage les principaux avis exprimés par les rapporteurs de la commission de suivi. Néanmoins, je souhaiterais ajouter les considérations suivantes:

  • la Géorgie et la Russie portent toutes deux une part de responsabilité dans le conflit et dans ses perspectives de solution;
  • parallèlement, cette part de responsabilité n’est pas égale, elle pèse plus lourdement sur les épaules de la Russie, eu égard notamment à sa ligne de conduite après l’arrêt des hostilités;
  • la Russie devrait revenir sur sa reconnaissance de l’indépendance des deux régions séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud;
  • l’intégrité territoriale de la Géorgie ne saurait être remise en cause, elle ne peut faire l’objet d’aucune négociation et doit être préservée en refusant de faire quoi que ce soit qui pourrait laisser penser à un consentement de la sécession de certaines parties du territoire géorgien;
  • dans sa politique étrangère, la Russie devrait éviter de céder à la tentation de considérer que ses pays voisins disposent d’une souveraineté limitée: chaque Etat doit avoir la liberté de choisir ses alliances et la conduite de sa politique étrangère;
  • la Russie devrait immédiatement mettre un terme à sa politique d’octroi de passeports aux citoyens d’autres Etats membres qui ne l’ont pas demandé;
  • la Russie devrait s’abstenir d’utiliser la citoyenneté et l’énergie comme moyens de promouvoir ses objectifs politiques;
  • envisager un nouveau système de sanctions, permettant à l’Organisation de faire pression sans exclure du dialogue la partie sanctionnée.
  • le Conseil de l’Europe devrait admettre sa responsabilité de ne pas avoir été en mesure de prévenir la guerre;
  • l’Assemblée devrait:
    • maintenir le dialogue avec toutes les parties impliquées dans la guerre;
    • développer un rôle actif en matière de prévention et de résolution des conflits et, à cette fin, mettre en place des mécanismes de diplomatie parlementaire;
    • aborder systématiquement la question des conflits gelés en Europe;

Commission chargée du rapport: commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi).

Commission saisie pour avis: commission des questions politiques.

Renvoi en commission: Renvoi no 3489 du 29 septembre 2008.

Avis approuvé par la commission le 1er octobre 2008.

Voir Résolution 1633 et Recommandation 1846 (35e séance, 2 octobre 2008).