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Rapport | Doc. 11785 | 23 décembre 2008

Migrations et déplacements environnementaux: un défi pour le XXIe siècle

(Ancienne) Commission des migrations, des réfugiés et de la population

Rapporteure : Mme Tina ACKETOFT, Suède

Résumé

Les impacts des changements climatiques sur l’environnement et la mobilité humaine deviennent de plus en plus préoccupants: le nombre de catastrophes naturelles a doublé au cours des vingt dernières années. Chaque année, 30 millions de personnes dans le monde sont obligées de se déplacer en raison de la très nette dégradation des conditions climatiques, des catastrophes naturelles et de la diminution des ressources naturelles. Ce chiffre devrait monter en flèche d’ici le milieu du siècle. En outre, la protection internationale et les cadres opérationnels sont insuffisants, forçant plusieurs catégories de personnes à fuir ou à rechercher une vie plus sûre, sans protection nationale ou internationale efficace.

Le rapport préconise l’élaboration de définitions inclusives de la migration induite par des facteurs environnementaux et des personnes déplacées/migrants environnementaux, en tenant compte de la grande diversité de la mobilité humaine induite par des facteurs environnementaux, de la longueur des déplacements et des possibilités de retour. Les nouveaux concepts ne devraient pas susciter de craintes, mais ils ne devraient pas non plus limiter l’applicabilité des normes de protection universellement reconnues qui sont prévues par le droit international et les cadres normatifs internationaux.

Le rapport recommande d’enquêter plus avant sur les lacunes existantes du droit et des mécanismes de protection, en vue de l’élaboration éventuelle d’un cadre spécifique pour la protection des migrants environnementaux, soit dans une convention internationale distincte, soit au sein de traités multilatéraux déjà existants.

L’Europe doit jouer un rôle de pionnier dans ce domaine. Le Conseil de l’Europe devrait participer à cette action en élaborant sa propre convention-cadre pour la reconnaissance du statut et des droits des migrants environnementaux, et adopter un Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un environnement sain et sûr. Dans l’intervalle, les Etats membres sont encouragés à interpréter et à appliquer d’une manière inclusive l’obligation de non-refoulement découlant des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et à octroyer une protection complémentaire ou temporaire aux migrants environnementaux.

L’Assemblée parlementaire encourage en outre la mise en place d’une structure de coordination efficace qui rassemblerait les diverses agences et parties prenantes internationales, et dont l’action serait axée sur la réduction des risques, la réponse humanitaire, l’adaptation et le développement.

A. Projet de résolution

(open)
1. La migration est l’une des plus anciennes stratégies pour faire face à la dégradation des conditions environnementales. L’augmentation de l’intensité et de l’échelle géographique des changements environnementaux provoquée ou exacerbée par le changement climatique et par l’activité humaine a toutefois conduit de nombreux experts des milieux universitaires et de la communauté internationale à qualifier les migrations induites par des causes environnementales de phénomène d’un genre nouveau et de nouveau défi pour le XXIe siècle.
2. L’Assemblée parlementaire considère que les catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement seront des facteurs de plus en plus déterminants de mobilité humaine; ils auront des incidences humanitaires et sur la sécurité des personnes qu’il importe d’analyser sans plus tarder.
3. Elle note avec préoccupation les prévisions drastiques prévoyant des flux migratoires ingérables provoqués par les problèmes écologiques. A ce jour, plus de 30 millions de personnes sont déjà déplacées à travers le monde en raison de l’accroissement de la désertification, de la sécheresse, de la montée du niveau des mers et d’épisodes climatiques extrêmes – et ce chiffre est en forte hausse. Il est inquiétant d’observer que le nombre des personnes concernées est déjà supérieur à celui des personnes contraintes de quitter leur foyer à cause de conflits armés et de persécutions.
4. Les personnes les plus menacées sont celles qui vivent dans les pays les moins développés dont la capacité d’adaptation aux effets du changement climatique est très faible, dans des zones côtières basses et dans des zones extrêmement surpeuplées. L’Europe n’est pas à l’abri des conséquences du changement climatique ni des migrations induites par des facteurs environnementaux.
5. Les migrations pour raisons environnementales découlent rarement d’une seule cause. Les liens de cause à effet sont de plus en plus complexes et multifactoriels. Un nombre croissant de personnes fuient pour de multiples causes d’injustice, d’exclusion, de dégradation de l’environnement, de rivalité pour des ressources rares et de difficultés économiques dues aux dysfonctionnements de l’Etat. Certaines partent volontairement, d’autres parce qu’elles n’ont pas d’autre choix; d’autres encore peuvent prendre la décision de partir avant que la situation ne leur laisse pas d'autre choix. Les divers effets et l’ensemble complexe de facteurs influents brouillent les notions traditionnelles de migration et de déplacement, créant ainsi la confusion parmi les communautés universitaires et internationales pour savoir s’il faut parler de migration ou de déplacement dans le cas de personnes qui fuient des catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement.
6. L’environnement interagit doublement avec les migrations: des changements environnementaux graduels ou soudains à la suite d’une catastrophe peuvent entraîner des déplacements de population à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières; à l’inverse, les migrations environnementales massives ont une incidence sur l’environnement dans les zones d’origine, de transit et de destination, notamment lorsque d’importantes concentrations de population sont contraintes d’aller chercher refuge dans des régions fragiles sur le plan écologique. L’Assemblée estime qu’il est urgent de mieux faire comprendre l’effet direct des migrations sur l’environnement des zones concernées.
7. En outre, les migrations peuvent entraîner une diversification positive et proactive, et former une stratégie de développement adoptée par des foyers, des individus, parfois même par des communautés entières, pour améliorer leur qualité de vie et diminuer les risques et la vulnérabilité. Les migrations massives peuvent néanmoins avoir des impacts négatifs, dont notamment l’intensification de la crise humanitaire et l’urbanisation rapide, qui s’accompagne de l’extension des quartiers de taudis et de la stagnation du développement.
8. Il est fondamental de noter que la migration environnementale et induite par le changement climatique est un processus mondial et non local. Par conséquent, en plus des pouvoirs locaux et nationaux, la communauté internationale a pour responsabilité d’intervenir en amont. Elle doit prendre des mesures appropriées de prévention, d’adaptation et de réduction des risques pour limiter la vulnérabilité des pays «sensibles» aux impacts des catastrophes environnementales et pour gérer l’évolution des processus environnementaux.
9. Causés par un manque de ressources associé à une mauvaise gestion publique et à une piètre gouvernance, les flux migratoires de grande ampleur peuvent conduire à des situations instables et conflictuelles. De telles situations peuvent à leur tour provoquer des déplacements de populations et, plus généralement, nuire à la stabilité politique mondiale et à la sécurité humaine. L'Assemblée estime que pour éviter des scénarios aussi négatifs, l'Europe doit être en première ligne pour faire face au problème commun et de plus en plus important des migrations et des déplacements environnementaux.
10. Les groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées et les populations indigènes des pays pauvres le sont à plusieurs titres et exigent une attention spéciale. L’Assemblée observe notamment qu’en raison des rôles et des activités traditionnellement assignés aux femmes dans de nombreuses sociétés, les femmes sont plus vulnérables que les hommes aux effets du changement climatique. Elle souligne l’importance de reconnaître les impacts du changement climatique liés au sexe dès les premiers stades de l'élaboration des politiques.
11. On s’attend à ce que la majorité des mouvements migratoires provoqués par le changement climatique et la dégradation de l'environnement se produisent à l'intérieur des pays et que, parallèlement, les mouvements transfrontaliers seront plus fréquents. L’Assemblée maintient que toutes les personnes affectées ont besoin d'une protection appropriée en matière de droits fondamentaux, sociaux et économiques, qu’elles quittent leur pays ou non. De plus, cette protection devrait prévoir le soutien effectif de la communauté internationale, si le soutien national est insuffisant ou inexistant.
12. L'Assemblée s'inquiète de l'absence de consensus au sein de la communauté internationale en matière de terminologie juridique internationale applicable à la mobilité humaine liée à la dégradation et aux catastrophes écologiques. La variété de termes interchangeables employés de nos jours entrave les progrès nécessaires sur la reconnaissance et sur la protection juridique des migrants environnementaux.
13. Ce qui pose problème, c’est que la notion de «migration» terme qui n’a pas non plus de définition universelle est interprétée de multiples façons. Les organisations humanitaires plaident en faveur du maintien d’une distinction entre la migration transfrontalière et les déplacements internes, entre les mouvements volontaires et forcés, par crainte d’une éventuelle confusion entre les catégories existantes qu'elles sont chargées de protéger. Elles soutiennent que la définition de «personnes déplacées à l'intérieur d'un pays», telle qu'énoncée dans les Principes directeurs de 1998 des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays, inclut déjà les personnes ou groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints de fuir ou de quitter leur foyer ou lieu de résidence habituel à la suite de catastrophes naturelles ou causées par l'homme ou pour les éviter.
14. De leur côté, diverses agences qui se concentrent sur des questions plus larges de population et de développement préfèrent parler de migration environnementale comme concept global, qui inclut toutes les personnes qui ont été poussées à migrer principalement pour des raisons environnementales. Elles maintiennent que la migration inclut tant les mouvements de population internationaux et nationaux, volontaires et forcés, que tous les mouvements intermédiaires.
15. L'Assemblée salue les efforts récemment déployés par l’informel Comité permanent inter-agences des Nations Unies en vue d'établir une terminologie et des notions communes. De son point de vue, il est nécessaire de couvrir l’ensemble des catégories de mobilité humaine pour des raisons écologiques, quelles que soient la durée ou les possibilités de retour, tout en faisant respecter les normes de protection universelles prescrites par les cadres normatifs et le droit international.
16. L’Assemblée note que tandis qu'il existe une vaste gamme d'instruments juridiques internationaux, nationaux et régionaux bien établis, les conventions et les normes en matière de protection des droits des personnes contraintes au déplacement par la guerre et les persécutions et dans une certaine mesure par les catastrophes naturelles ou les conflits relatifs aux ressources, le cadre de protection existant comporte toujours une multitude de lacunes. Les personnes que l’on estime contraintes de migrer à cause d’une dégradation progressive de l’environnement pâtissent particulièrement des vides juridiques en matière de protection normative et opérationnelle, au niveau national et international. Qui plus est, pour les habitants des petits états insulaires qui risquent d'être submergés, les mesures de protection font cruellement défaut dans les traités existants sur l’apatridie.
17. L'Assemblée estime que ces lacunes devraient faire l'objet d'une analyse approfondie et met l'accent sur la nécessité de reconnaître les instruments de protection existants (par exemple, pour les personnes déplacées pour des raisons environnementales conformément aux Principes directeurs). Elle constate, par ailleurs, qu'aucun cadre juridique ni politique n'est défini pour couvrir l'ensemble des catégories de migrations environnementales au sens large du terme. Elle en appelle donc aux organisations internationales actives dans ce domaine pour qu'elles envisagent l’élaboration d’un cadre spécifique pour la reconnaissance et la protection des migrants environnementaux, dans une convention séparée et/ou comme composante de traités environnementaux multilatéraux.
18. L'Assemblée encourage également les agences respectives des Nations Unies à envisager d'étendre les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays à cause d'une dégradation progressive de l'environnement et à établir en parallèle une synthèse similaire, sous forme de principes, de la législation internationale existante sur les déplacements à l’étranger.
19. Dans ce contexte, notamment en référence à sa Recommandation 1631 (2003) sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Europe, l'Assemblée fait part de son soutien constant à l'action humanitaire et aux cadres normatifs développés depuis une dizaine d'années pour protéger les personnes auxquelles s’appliquent les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays. Dix ans après l'adoption de l’unique texte de référence pour assister et protéger ces personnes, il semble opportun de se demander si le moment est venu d'améliorer son impact non seulement en s'assurant que ses principes sont prévus par les législations nationales mais aussi en élaborant un instrument contraignant, comme le fait actuellement l’Union africaine.
20. L'Assemblée s’inquiète toujours du fait que pas une seule organisation internationale ne se focalise explicitement sur ces problèmes ni sur la protection des personnes ayant dû ou devant quitter leur lieu de résidence habituel principalement ou exclusivement pour des raisons environnementales. Elle reconnaît le rôle moteur que doivent jouer les Nations Unies et d'autres organismes compétents, en particulier le Haut-Commissariat pour les réfugiés (par exemple dans le dispositif de protection humanitaire), dans l’assistance humanitaire et la protection des personnes qui fuient des catastrophes écologiques.
21. En plus de l'action humanitaire, l'Assemblée encourage la mise en place d'une structure de coordination effective qui rassemblerait les divers organismes internationaux et acteurs concernés. A cette fin, elle invite à la création d'une commission de coordination pour les migrations environnementales chargée de coordonner les travaux des organisations internationales sur les différents aspects du problème des migrations environnementales, notamment la réduction des risques, l'aide humanitaire, l'adaptation et le développement.
22. L'Assemblée regrette que les migrations et les déplacements provoqués par des catastrophes naturelles ne soient pas intégrés dans les statistiques relatives aux catastrophes. En l'absence d'une organisation globale responsable de la collecte ou de la compilation des statistiques sur les déplacements non liés à des conflits, elle exhorte la communauté humanitaire internationale et tous les pays victimes de catastrophes naturelles à inclure – dans la mesure du possible – les migrants déplacés à l'intérieur et à l'extérieur des frontières dans les statistiques relatives aux catastrophes.
23. Les politiques d’adaptation axées sur la protection de la santé et des moyens de subsistance des populations des pays en voie de développement sont essentielles pour faire face aux conséquences inévitables du changement climatique. Il importe d’accélérer et de soutenir ces politiques par le biais de l’aide internationale au développement.
24. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres:
24.1. à favoriser l’adoption d’une définition claire et concrète, qui couvre toutes les formes de mouvement, volontaires ou forcés, et inclut l'ensemble des catégories de mobilité humaine pour des raisons environnementales, applicable par les institutions nationales et par les organisations humanitaires chargées d’aider et d’apporter une protection effective aux personnes concernées;
24.2. à prendre des mesures appropriées pour réduire la vulnérabilité des pays en voie de développement aux effets des catastrophes environnementales et poursuivre l’évolution des processus écologiques;
24.3. à entreprendre une étude d’ensemble, y compris la collecte de données brutes, et à élaborer des politiques pour évaluer l’interaction complexe entre changements environnementaux, migrations, déplacements et conflits;
24.4. à contribuer, par une participation active aux travaux des organisations internationales concernées, à l’examen des vides juridiques et d'autres mécanismes de protection en vue de l’élaboration éventuelle d’une nouvelle convention internationale garantissant la protection des personnes déplacées en raison d’une dégradation environnementale et de catastrophes naturelles ou causées par l’homme, lorsque leur retour est impossible;
24.5. à anticiper les travaux au niveau international par l’élaboration d’une législation nationale qui reconnaîtrait les migrants environnementaux et leurs besoins en matière de protection non seulement par le principe de non-refoulement en fonction des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi par une protection subsidiaire, par exemple, par l’octroi d’un statut de résidence temporaire pour des motifs humanitaires ou d’un statut permanent en cas d’impossibilité de retour;
24.6. à promouvoir une recherche pluridisciplinaire dans des domaines tels que la science du climat, la géographie, les migrations, le développement, les catastrophes, l’environnement, la cohésion sociale et la santé afin d’améliorer la compréhension et la reconnaissance des liens qui existent entre déplacements de populations et facteurs environnementaux;
24.7. à intégrer une perspective de genre dans l’élaboration des politiques nationales et internationales et des cadres de protection sur les migrations environnementales.
25. L’Assemblée demande en outre à l’Union européenne de tenir compte des points ci-dessus lors de l'élaboration de sa stratégie globale en matière d’immigration. Cette stratégie est nécessaire aux niveaux paneuropéen, régional, national et local. Elle devrait améliorer l’anticipation et la gestion des risques et la politique d’intervention lors de catastrophes, offrir une protection adéquate aux victimes de perturbations climatiques et environnementales et fournir des instruments d’indemnisation et de réinstallation. Elle devrait aussi favoriser la prise de conscience et la sensibilisation des populations et des autorités concernées.
26. L’Assemblée demande également à l’Union européenne de mettre en place un système approprié de financement, au niveau européen, en vue de soutenir des stratégies d’adaptation, des projets de développement et de gestion des migrations ainsi qu’une réaction humanitaire renforcée.
27. L‘Assemblée est convaincue que le moment est venu de faire face à la dangereuse dégradation de l’environnement, notamment aux changements climatiques. L’action doit être prompte et coordonnée: les responsables politiques, la communauté scientifique, la société civile et d’autres acteurs – aux niveaux national et international – doivent chercher des solutions communes pour les personnes contraintes d'émigrer ou qui risquent de l’être, à la recherche d'une existence sûre et durable.

B. Projet de recommandation

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2008) sur les «Migrations et déplacements environnementaux: un défi pour le XXIe siècle», l’Assemblée parlementaire attire l’attention sur les nombreuses activités menées par le Conseil de l’Europe en rapport avec l’environnement et les migrations.
2. Elle salue les travaux antérieurs du Comité des Ministres concernant l’élaboration de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE n° 093) et la promotion des Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays, qui ont conduit à l’adoption de la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Ces recommandations sont dans le droit-fil des Principes directeurs des Nations Unies de 1998, qui concernent également «les personnes déplacées de leur foyer ou lieu de résidence habituel en raison de catastrophes d’origine naturelle ou provoquées par l’homme».
3. L'Assemblée rappelle que le Conseil de l’Europe a le devoir de promouvoir la protection universelle des droits fondamentaux de tous les groupes vulnérables et d’améliorer, autant que nécessaire, la législation à cette fin. Elle encourage les Etats membres à assumer également un rôle de pionnier en matière d’élaboration de normes dans le domaine de la protection des victimes de déplacements induits par des facteurs essentiellement ou exclusivement environnementaux.
4. L’Assemblée s’inquiète des diverses lacunes dans le droit international en matière de droits de l’homme et de réfugiés, qui laisse sans protection juridique appropriée diverses catégories de personnes forcées de fuir des catastrophes écologiques à l’intérieur de leur pays ou à l'étranger, y compris en Europe.
5. Elle s’inquiète tout autant qu’en Europe, les individus ne disposent pas d'un recours juridique particulier contre les changements climatiques et la dégradation de l’environnement causés par l’homme, qui affectent leur santé et leur sécurité.
6. Par conséquent, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
6.1. à lancer un dialogue entre ses Etats membres pour faire prendre conscience de l’existence et de l’ampleur des problèmes liés aux migrations environnementales et à encourager une action concertée. Cette action devrait avoir pour objet soit d’améliorer le cadre de protection international existant, soit de le compléter par de nouveaux instruments contraignants, et d’établir l’ordre de priorité des enjeux de la prévention, de l’adaptation et du développement comme composantes de l’intervention internationale;
6.2. à mettre en place, en coopération avec d’autres institutions européennes, un groupe de travail chargé de réaliser une étude juridique approfondie sur les lacunes du droit international en vigueur et sur les dispositions normatives en vue de l’éventuelle élaboration d’une convention-cadre européenne relative à la reconnaissance du statut des migrants écologiques, si jugée nécessaire;
6.3. à envisager d’ajouter à la Convention européenne des droits de l’homme un protocole additionnel sur le droit à un environnement sain et sûr;
6.4. à continuer d’inciter les Etats membres à incorporer les Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays et les treize principes de la Recommandation Rec(2006) 6 du Comité des Ministres dans leur législation nationale;
6.5. à encourager ses partenaires des Nations Unies ainsi que ses autres partenaires pertinents à rechercher des moyens d’élargir les Principes directeurs de sorte qu’ils incluent les personnes déplacées à cause d’une dégradation progressive de l’environnement et à envisager d’élaborer des Principes directeurs similaires pour couvrir les droits des personnes forcées de traverser les frontières pour des raisons environnementales («déplacements externes»);
6.6. à apporter son expertise sur les questions juridiques, environnementales et de migration au groupe de travail du Comité permanent inter-agences des Nations Unies ou à tout autre organe de coopération internationale créé pour établir des normes de protection des migrants écologiques;
6.7. à encourager le dialogue entre les centres de recherche sur l’environnement, les migrations et la démographie dans les Etats membres du Conseil de l’Europe afin d’élargir et d’approfondir la compréhension des causes premières des migrations écologiques;
6.8. à donner un degré de priorité élevé aux activités de la Banque de développement du Conseil de l’Europe qui contribuent à protéger et à améliorer l’environnement. Il convient de soutenir en particulier les projets qui proposent des réponses appropriées aux besoins urgents et à une action durable de prévention de la dégradation de l’environnement dans une perspective de long terme.

C. Exposé des motifs par Mme Acketoft, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le changement climatique, la dégradation de l’environnement et les mouvements migratoires font partie des thèmes qui dominent actuellement la scène politique, sur le plan national et international. Les relations d’interdépendance entre ces phénomènes, ainsi que les conséquences qu’ils pourraient avoir si nous n’intervenons pas rapidement, commencent à attirer l’attention du public et celle de la communauté scientifique. Lorsqu’il faut agir, cependant, la volonté politique en faveur du développement durable, de la protection et du respect de l’environnement et des droits de l’homme – et plus encore en faveur d’une prise en compte de leur interaction – cèdent souvent le pas à d’étroits intérêts géopolitiques.
2. Selon les estimations, les catastrophes climatiques tueraient 60 000 personnes par an 
			(1) 
			«UN
agencies highlight climate change’s impact on human security, health»,
UN News service, 5 juin 2007. et 30 millions de personnes dans le monde seraient actuellement déplacées en raison de catastrophes naturelles, de graves détériorations de l'environnement ou d'un appauvrissement des ressources naturelles. On s’attend à une forte augmentation de ces chiffres d’ici le milieu du siècle. S’il n’existe pas de données mondiales officielles sur le nombre de personnes qui se déplaceront pour des raisons environnementales, le Rapport Stern prévoit qu’en 2050, 150-200 millions de personnes seront déplacées à titre permanent à cause des effets du changement climatique 
			(2) 
			Stern, N., «The Economics
of Climate Change – The Stern Review», Cambridge University Press,
Cambridge, 2006, p. 77.. Paradoxalement, la communauté internationale se désintéresse presque totalement de ce problème, qui pourrait s'avérer l'un des plus grands défis démographiques et humanitaires mondiaux du XXIe siècle.
3. Le déplacement de populations au gré des modifications de leur environnement est loin d’être un phénomène nouveau 
			(3) 
			D'après les données
archéologiques, les formes d'habitat humain se sont régulièrement
adaptées à des modifications du climat. Le besoin de regrouper la
population sur un territoire restreint, afin de tirer le meilleur
parti des maigres ressources disponibles, a été reconnu comme l’un
des principaux moteurs du développement des premières civilisations
d’Egypte et de Mésopotamie. De plus en plus de preuves ADN montrent
que tout au long de l’histoire de l’humanité, la migration a aussi
été une stratégie pour faire face au changement climatique. 
			(3) 
			https://www3.nationalgeographic.com/geneographic/index.html dans l'histoire de l'humanité. Cependant, le rôle joué par l’activité humaine dans ces modifications, leurs effets sur le climat lui-même et sur les écosystèmes dont ces activités dépendent, les proportions qu’elles peuvent prendre, l’urgence et la rapidité des problèmes posés par les liens entre environnement et migration ne sont plus les mêmes aujourd’hui.
4. Dès 1990, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) relevait que l’impact le plus marquant du changement climatique serait peut-être le déplacement de populations. Les rapports successifs du GIEC, aux côtés d'autres publications sur les conséquences du changement climatique, ont généralement reconnu que les migrations dues à l'environnement, soudaines ou progressives, allaient énormément augmenter dans les dix années à venir, représentant un risque majeur pour la sécurité des personnes, la paix et le développement économique et social à l’échelon international 
			(4) 
			Brown, O., «Migration
and Climate Change, International Organization for Migration», IOM
Migration Research Series, N° 31, Genève, 2008, p. 9.. En décembre 2004, le tsunami en Asie a déplacé à lui seul plus de 2 millions de personnes, dont beaucoup vivent encore aujourd’hui dans des camps. L'ouragan Katrina, en août 2005, en a déplacé 1,5 million dont environ 300 000 ne rentreront probablement jamais chez elles. Les récentes catastrophes en Birmanie et en Chine ont entraîné, selon les estimations, le déplacement temporaire de 7 millions de personnes 
			(5) 
			Warner,
K. et al., Human security, climate change, and environmentally induced
migration, United Nations University, Institute for Environment
and Human Security, Bonn, 28 juin 2008.. Aujourd’hui, les problèmes environnementaux entraînent en fait davantage de départs que les guerres.
5. Malgré le nombre impressionnant de personnes déjà touchées et le risque de voir ce nombre encore augmenter, il n’existe pas de consensus international sur la définition du phénomène des migrations liées à l’environnement. Les appellations varient sans cesse: «migrants écologiques», «écoréfugiés», «migrants climatiques», «exilés de l’environnement», «migrants environnementaux», etc. Aucune organisation ne se concentre explicitement sur les problèmes des personnes chassées de leur lieu de vie par la dégradation de l’environnement. Il n’existe pas non plus de politique admise par tous; et les cadres juridiques et normatifs font défaut, laissant sans protection plusieurs catégories de personnes en quête d’une existence sûre et durable. Il est d’autant plus difficile, d’une part, d’évaluer le nombre de personnes qui émigrent pour des raisons environnementales, d’autre part, de leur assurer une protection juridique. Nombre de migrants environnementaux sont donc victimes des failles de la législation et de la politique internationale sur l’immigration et sur les réfugiés. En l’absence de mécanismes juridiques appropriés visant à les protéger, ils sont souvent qualifiés de migrants économiques ou en situation irrégulière.
6. Le présent rapport a pour objectif de contribuer au débat global sur les changements écologiques et sur les migrations. Il entend aider les responsables politiques au niveau paneuropéen et au niveau national en Europe à comprendre la nature du défi et l’urgence de s’intéresser aux rapports complexes entre le changement climatique, la dégradation de l’environnement, la sécurité humaine et les diverses formes de mobilité humaine. Il éclaire sur la situation actuelle de l’élaboration de politiques universelles et sur les façons dont les organisations qui se préoccupent de la mobilité humaine sous ses nombreuses formes font face au changement environnemental. De plus, il étudie les cadres juridiques et normatifs internationaux en faveur des victimes de la dégradation de l’environnement et les lacunes qui entravent la protection à grande échelle de ceux qui décident ou sont contraints de se déplacer soit à l’intérieur de leur pays, soit à l'étranger. Enfin, la rapporteuse propose plusieurs solutions de court et de long terme que le Conseil de l’Europe pourrait adopter dans le cadre de ses propres compétences pour combler les lacunes existantes.
7. Les informations présentées dans ce rapport puisent dans les travaux menés sur le sujet par diverses organisations internationales humanitaires et de développement ainsi que dans les débats de l’audition organisée le 20 mai 2008 à Paris par la commission des migrations, des réfugiés et de la population. La rapporteuse exprime une gratitude toute spéciale pour les nombreux commentaires et suggestions qu’elle a reçus entre autres du Représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour les droits de l'homme des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR).
8. Enfin, en l’absence de consensus international sur la terminologie, la rapporteuse privilégie l’expression récente «migrations environnementales» qui, selon elle, reflète ce phénomène mondial dans son acception la plus large, de même que l’approche des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Ce terme englobe tous les mouvements de personnes ayant pour facteur décisif un phénomène environnemental. Il reflète également la conviction de la rapporteuse que le statut et les droits de tous les migrants environnementaux devraient être dûment définis en droit international.

2. Nature du problème

2.1. Principales causes et principaux effets de la migration environnementale

9. Les causes de la détérioration ou de la dévastation de l’environnement qui contraignent des personnes à quitter leur habitat naturel sont nombreuses et variées. Il peut s’agir d’événements liés ou non au réchauffement planétaire, ayant des effets ponctuels ou cycliques ou uniquement sensibles sur le long terme.
10. Deux grands facteurs de migration peuvent être distingués parmi les effets du changement climatique:
  • les processus naturels à long terme (montée du niveau de la mer, salinisation des terres agricoles, désertification, érosion des sols, pénurie d’eau);
  • les événements climatiques et atmosphériques extrêmes de courte durée (inondations, ouragans, tempêtes, etc.).
11. Chaque année, sur l'ensemble de la planète, 60 000 km² de terres cultivées disparaissent en raison de la désertification et 1 % des terres irriguées en raison de l'exploitation et de la salinisation de l'eau 
			(6) 
			Myers,
N., «Environmental Exodus: An Emergent Crisis in the Global Arena»,
Climate Institute, 1995.. La Fédération internationale de la Croix-Rouge et les sociétés du Croissant-Rouge estiment que depuis 1996, le nombre de personnes touchées par des catastrophes naturelles s’élève en moyenne à environ 210 millions par an.
12. Le nombre de catastrophes écologiques, de même que leur ampleur, a nettement augmenté: d’environ 200, il est passé à plus de 400 ces vingt dernières années. 9 catastrophes sur 10 sont aujourd’hui liées au climat 
			(7) 
			Holmes,
J., «The Need for collaboration, Foreword, Forced Migration Review»,
31 octobre 2008, p. 4.. Elles sont souvent d’origine humaine: déforestation ou salinisation des terres agricoles ou, plus généralement, conséquences de la déforestation, de la dégradation de l’environnement ou simplement des pressions démographiques.
13. Des projets tels que des barrages, des canaux d’irrigation et des constructions urbaines obligent d’importants segments de la population à déménager. Par exemple, on estime à 33 millions le nombre de personnes déplacées à la suite de constructions de barrages en Inde. Les contaminations toxiques (Bhopal, 1984) et les catastrophes nucléaires (Tchernobyl, 1986) ont aussi contribué à ces déplacements massifs.
14. Les facteurs non climatiques (mauvaise gestion de l'Etat et mauvaise politique gouvernementale, croissance démographique, surexploitation des ressources naturelles, capacité d'une société à se remettre d'une catastrophe naturelle) contribuent aussi à rendre plus ou moins vulnérables les personnes concernées. Les Etats défaillants et les régimes répressifs qui prennent leur propre population en otage, comme la Corée du Nord, la Birmanie, le Zimbabwe ou la Somalie, sont aussi de ceux qui génèrent le plus de migration environnementale.
15. La politique commerciale du monde occidental – subventions aux exportations agricoles et restriction des importations – contribue elle aussi aux migrations écologiques, puisqu'elle nuit à la subsistance des petits agriculteurs vivant dans des régions marginalisées. L’industrie agroalimentaire européenne et américaine et ses pratiques, telle l’application de brevets aux semences génétiquement modifiées, détruisent également les systèmes de subsistance locaux sans offrir de contrepartie durable 
			(8) 
			Scheske,
G. (UNHCR Strasbourg), intervention lors de l'audition de la commission
des migrations, des réfugiés et de la population de l'APCE sur le
problème des réfugiés écologiques, Paris, 20 mai 2008..
16. Les effets mentionnés ci-dessus se produisent souvent ensemble, et l'un peut en entraîner un autre. La lutte contre le changement climatique et sa prévention doivent tenir compte de la coïncidence de différentes causes.
17. La décision de partir est très complexe et dépend de nombreux facteurs, si bien qu’il est difficile d’isoler, en théorie comme dans la pratique, les facteurs environnementaux – notamment liés au changement climatique – des autres causes possibles de migration. Néanmoins, les mouvements de populations répondant à des modifications de l'environnement peuvent être classés selon des critères de durée et de causalité. Récemment, le Groupe de travail informel sur les migrations, les déplacements et le changement climatique du Comité permanent inter-agences des Nations Unies (CPIA) 
			(9) 
			Le Comité permanent
interorganisations est un forum unique de coordination, de développement
politique et de décision, qui associe les acteurs essentiels du
domaine humanitaire issus ou non des agences Nations Unies. Ce comité a
été créé en juin 1992 en réponse à la Résolution 46/182 de l’Assemblée
générale des Nations Unies sur le renforcement de l’aide humanitaire.
Il regroupe parmi ses membres: la FAO, l’OCHA, le PNUD, l’UNFPA,
l’UN Habitat, le HCR, l’UNICEF, la PAM et l’OMS. Ses invités permanents
incluent: le CICR, l’ICVA, l’IFRC, InterAction, l’OIM, l’OHCHR, le
RSG pour les droits de l’homme des personnes déplacées, le SCHR
et la Banque mondiale. <a href='http://www.humanitarianinfo.org/iasc'>www.humanitarianinfo.org/iasc</a>. a proposé une classification en quatre catégories des impacts du changement climatique 
			(10) 
			CPIA, “Climate Change,
Migration and Displacement: Who will be affected ?”, document de
travail présenté par le groupe de travail informel au Comité permanent
interorganisations sur les migrations / les déplacements et le changement climatique,
pp. 2-3:
  • catastrophes hydrométéorologiques (inondations, ouragans/typhons/cyclones, éboulements de terrain, etc.);
  • dégradation de l’environnement et escalade progressive des risques de catastrophes (réduction de la disponibilité de l’eau, désertification, inondations à répétition, salinisation des zones côtières, etc.);
  • perte importante définitive de territoires due à l’élévation du niveau de la mer (par exemple «submersion» de petite états insulaires);
  • conflits armés déclenchés par la raréfaction des ressources naturelles (eau, nourriture) en raison du changement climatique.
18. Les effets du changement climatique ne sont pas ressentis de façon uniforme par les différentes populations. Il est bien connu que le fardeau des migrations climatiques pèsera avant tout sur les pays les plus pauvres, qui dépendent fortement de l’agriculture et n’ont pas de possibilités suffisantes de prévenir les crises environnementales.
19. A l’heure actuelle, la grande majorité des migrants environnementaux vient des zones rurales des pays les moins développés. Cette tendance devrait évoluer légèrement dans les années à venir, puisque les zones côtières densément peuplées sont de plus en plus touchées par la montée du niveau de la mer et par des tempêtes toujours plus fréquentes; et que les zones montagneuses subissent de fortes pluies, qui provoquent inondations et glissements de terrain 
			(11) 
			Morton, A., Boncour,
P. et Laczko, «Human security policy challenges, Forced Migration
Review», 31 octobre 2008, p. 6..
20. Les migrants environnementaux emménagent pour la plupart dans les centres urbains de leur pays d’origine et, dans une moindre proportion, vers des pays voisins. Les migrations de longue distance vers des pays développés, qui contribuent à la «fuite des cerveaux» des migrants qualifiés, sont plus rares. Les pays les moins développés sont les plus touchés par ce phénomène 
			(12) 
			Idem..
21. L’éventuelle disparition de petits Etats insulaires en développement (Tuvalu, Kiribati) soulève des questions délicates en matière d’apatridie. Parmi les autres zones particulièrement vulnérables, citons la ceinture du Sahel, la baie du Bengale, les terres arides d’Amérique centrale et du Sud et les régions arides d’Asie centrale. Aujourd’hui déjà, dans la seule Afrique subsaharienne, plus de dix millions de personnes ont été obligées d’émigrer par manque d’eau et de nourriture. Plus de 90 % de l’ensemble des décès causés par des catastrophes naturelles ont lieu dans le monde en développement, notamment en Afrique subsaharienne, sur le sous-continent indien, en Chine, au Mexique et en Amérique centrale.
22. Cela étant, l'Europe n'est pas non plus à l'abri du changement climatique et des migrations environnementales. Elle ressent déjà de plus en plus fortement la pression des victimes de la détérioration des conditions climatiques en Afrique du Nord. En outre, les risques d’inondations et les pertes économiques afférentes augmenteront probablement en Europe dans les décennies à venir. Entre 1998 et 2002, l'Europe a connu une centaine d'inondations destructrices qui ont touché 1,5 % de sa population, fait 700 morts et un demi-million de déplacés et occasionné le remboursement de pertes économiques pour un total de 25 milliards d'euros 
			(13) 
			Vag, A., «Flooding
in Eastern Europe», présentation de la conférence «Migrations climatiques»,
Parlement européen, Bruxelles, 11 juin 2008.. A long terme, la montée du niveau de la mer entraînera un déplacement considérable des populations côtières, les Pays-Bas et le Danemark étant les pays les plus menacés.

2.2. Conséquences de la migration environnementale

23. Les conséquences de la migration environnementale ne sont pas toutes négatives. Il peut sembler légitime que des populations quittent une région victime de dégradations écologiques et non viable sur le plan agricole. De plus, la migration peut potentiellement aider à ralentir le processus de dégradation de l’environnement et permettre à ceux qui restent dans les régions touchées d’adapter leur façon de vivre, de modifier leurs pratiques agricoles ou, par exemple, de passer à des activités non agricoles. L’argent envoyé par les membres de la famille ayant émigré, s’il est consacré à la pérennisation des moyens de subsistance locaux, peut aider à atténuer les dégradations de l’environnement dues à l’activité humaine. Les migrations temporaires ou circulaires peuvent aussi apporter ou renforcer des savoir-faire permettant d'atténuer l'impact négatif de l'activité humaine sur les environnements vulnérables et d'améliorer la protection de l'environnement sur les territoires d'origine 
			(14) 
			Document
d’information établi par la présidence grecque du Réseau de la sécurité
humaine pour la conférence «Climate Change, Environmental Degradation
and Migration: Assessing Vulnerabilities and Harnessing Opportunities», 19
février 2008..
24. Cependant, les grandes conséquences de la migration environnementale sont presque exclusivement négatives: intensification des crises humanitaires, urbanisation rapide accompagnée de l’extension des quartiers de taudis et stagnation du développement. En l’absence de mesures efficaces pour remédier à ces problèmes, l’avenir de nombreux pays en développement s’annonce très difficile à cause de la dégradation généralisée des sols, de l’insécurité alimentaire, de l’appauvrissement des mégapoles et de l’incapacité à les gérer, et de la migration à grande échelle 
			(15) 
			Morton,
A., Boncour, P. and Laczko, «Human security policy challenges, Forced
Migration Review», 31 octobre 2008, p. 6..
25. Il est donc essentiel que la communauté internationale intervienne en amont des problèmes. Des mesures appropriées (prévention, adaptation, atténuation) doivent être prises pour rendre les pays moins vulnérables aux effets des catastrophes naturelles et pour gérer l’évolution des processus environnementaux. A cet égard, une politique de retours encadrés peut réduire l'impact écologique des conflits ou des catastrophes qui ont fait fuir les populations et même, si elle s'accompagne de mesures saines de reconstruction et de réhabilitation, avoir un effet nettement bénéfique sur l'environnement 
			(16) 
			Idem..

2.3. Groupes vulnérables

26. Dans une même communauté, les migrations environnementales touchent les individus de façon différente, en fonction de leur sexe, de leur l’âge et de leur statut socio-économique. Les groupes les plus vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées et les populations indigènes sont les plus touchés compte tenu de leurs faibles capacités d’adaptation.
27. Face à la dégradation progressive de l’environnement, les personnes en mesure de se déplacer – celles qui ont de l’argent, des réseaux sociaux et d’autres possibilités de subsistance – migrent généralement à titre individuel. Il arrive que les pauvres vulnérables, les personnes qui n’ont pas la capacité de se déplacer, qui sont très jeunes et âgées restent dans leur pays d’origine dans un premier temps et soient contraintes de déménager par la suite.
28. De la même façon, les petits exploitants agricoles d’Afrique et d’Asie, ainsi que les populations indigènes de tous les continents et la population rom en Europe – c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable, aux installations sanitaires, aux soins de santé et à la sécurité sociale – subiront plus tôt et de façon disproportionnée les conséquences du changement climatique 
			(17) 
			«Changements climatiques,
migrations et droits de l'homme»: allocution de Mme Kyung-wha Kang,
adjointe au Bureau des droits de l'homme du Haut-Commissariat aux
droits de l'homme des Nations Unies, conférence sur les changements
climatiques et les migrations, Genève, 19 février 2008..
29. La structure démographique hommes-femmes joue aussi un rôle important dans les schémas de migration environnementale. Les femmes sont susceptibles de souffrir davantage que les hommes du changement climatique. Les rôles qui leur sont traditionnellement dévolus dans de nombreux pays, comme la collecte de l'eau, dépendent largement des conditions atmosphériques et climatiques. Dans de nombreuses régions du monde, notamment les plus pauvres, les femmes sont surreprésentées dans l’agriculture, secteur qui sera le plus durement frappé par le changement climatique.
30. Par ailleurs, les recherches mettent en évidence des effets complexes sur les femmes et sur les rapports hommes-femmes lorsque des familles rurales, en réaction à des contraintes environnementales, envoient l'un de leurs membres gagner un salaire en ville pour dépendre moins directement des ressources naturelles liées au climat. Les femmes qui ne partent pas, devenues de fait les chefs de famille, peuvent gagner en autonomie et acquérir des pouvoirs de décision plus importants. L'émigration masculine peut aussi améliorer la situation économique de la famille, dans la mesure où elle lui permet de recevoir des ressources supplémentaires. Dans le même temps, elle peut exacerber la pauvreté des femmes vivant en milieu rural. Cependant, confrontées à des catastrophes environnementales et à l’appauvrissement des ressources, les femmes peuvent chercher à émigrer elles aussi, le plus souvent vers des centres urbains. Les migrantes isolées, tout en ayant autant de mal que leurs homologues masculins à accéder à un emploi, à un logement abordable et aux prestations sociales, risquent de se heurter à davantage d'obstacles en raison de la discrimination à leur encontre 
			(18) 
			Brown,
O., «Migration and Climate Change», Organisation internationale
pour les migrations, Migration Research Series,
N° 31, Genève, 2008, pp. 34-35..
31. Il est difficile de prévoir la façon dont les sociétés d’origine et d’accueil s’adapteront au changement climatique et aux migrations environnementales, et les conséquences possibles sur les dynamiques de genre. Toutefois, il est essentiel d’admettre que l’évolution du climat se répercutera différemment sur les hommes et sur les femmes et d’intégrer dès le départ les considérations de sexe dans le débat sur les migrations dues au changement climatique 
			(19) 
			Idem..

2.4. Un processus à double sens: impact du changement climatique sur les migrations et des migrations sur l'environnement

32. Les migrations écologiques sont un processus à double sens: d'une part, les modifications progressives de l'environnement et les catastrophes naturelles peuvent entraîner des déplacements de populations, internes ou transfrontaliers; d'autre part, les migrations peuvent avoir des conséquences directes sur les conditions environnementales dans les zones d'origine et de destination, en particulier si de fortes concentrations de personnes (parfois accompagnées de troupeaux de bétail) sont contraintes de chercher refuge dans des territoires aux écosystèmes fragiles.
33. L'afflux de migrants écologiques dans des zones urbaines aux infrastructures et à la capacité d'absorption limitées peut avoir des effets négatifs sur l'environnement. Un tiers de la population urbaine mondiale – environ un milliard de personnes – vit déjà dans des taudis, chiffre qui devrait passer à 1,7 milliard d’ici à 2030. Dans ces zones urbaines, les nouveaux arrivants s’installent souvent dans des logements sans garantie de pouvoir y rester, où les services de base sont insuffisants et où plane sans cesse la menace d’une expulsion, ce qui aggrave et perpétue le cercle vicieux des abus et de la misère. Dans les villes, les vagues de nouveaux arrivants viendront donc gonfler les rangs des habitants pauvres vivant dans des abris précaires, exposés aux crues, aux glissements de terrains et aux conditions climatiques extrêmes avec les déplacements de populations qu’ils entraînent.
34. Indépendamment du fait qu'ils sont souvent une question de survie, les déplacements soudains causés par des conflits ou par des catastrophes environnementales peuvent alimenter de nouvelles détériorations de l'environnement et poser des problèmes de sécurité aux pays de destination.

2.5. Migrations environnementales et sécurité des personnes

35. La mauvaise gestion des ressources par les migrants écologiques dans les zones de destination peut accroître la probabilité de conflits. La diminution des ressources disponibles, dont les eaux de pêche, l’eau douce et les terres cultivables, peut engendrer des rivalités et aggraver les conflits sur les droits d’exploitation des biens. Dans les pays constitués d’un patchwork de populations différentes sur le plan ethnique, linguistique, religieux ou idéologique, des sentiments de frustration, de désespoir et d’hostilité peuvent facilement dégénérer en violences. Puisque les migrations environnementales seront probablement avant tout intérieures, il s'agira le plus souvent de conflits civils plutôt qu'internationaux. Il n'est toutefois pas impossible que les migrations liées au climat débouchent sur des conflits entre Etats 
			(20) 
			Biermann,
F. and Boas, I., «Preparing for a Warmer World: Towards a Global
Governance System to Protect Climate Refugees», Global Governance
Working Paper N° 33 – novembre 2007, p. 21, 
			(20) 
			http://www.glogov.org/images/doc/WP33.pdf.
36. Il est donc regrettable que les liens entre détérioration de l'environnement, migrations et risque d'augmentation des conflits ne soient pas pleinement pris en compte. Les effets de ces liens sont difficiles à évaluer, car ils interagissent avec d’autres facteurs sociaux, économiques et politiques qui rendent l’homme plus ou moins vulnérable aux modifications de l’environnement et à leurs diverses conséquences, entre autres sur les migrations 
			(21) 
			Document d'information
préparé par la présidence grecque du Réseau de la sécurité humaine
et l’OIM pour la conférence du 19 février 2008 sur les changements
climatiques et les migrations..
37. L'Afrique, où vit 10 % de la population mondiale, héberge 25 % de ses réfugiés. Les parties du continent les plus touchées par la crise environnementale sont aussi, ce qui n'est pas un hasard, les principaux théâtres de conflits, de famines récurrentes et de vastes mouvements de réfugiés.
38. La crise du Darfour, au Soudan, illustre de façon frappante le lien entre guerre et crise environnementale. Au cours des vingt dernières années, la région du Darfour a subi deux fortes sécheresses qui ont porté un sérieux coup à son agriculture. Les nombreuses tribus vivant au Soudan se disputaient constamment l'accès aux ressources naturelles. En 2003, lorsque le conflit a éclaté, le Soudan avait subi une terrible détérioration écologique: forte baisse des précipitations, désertification des sols. Ces conditions climatiques avaient forcé des milliers de personnes à partir vers le Sud en quête d’eau et de nourriture. Les tensions entre agriculteurs et éleveurs suscitées par la disparition des pâturages et l’évaporation des points d’eau ont relancé la guerre entre le Nord et le Sud du Soudan 
			(22) 
			António Guterres, Haut
Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a confirmé cela
dans un article récent: «Quand les janjawids attaquent des villages
au Darfour, il y a une dimension politique, mais il y a aussi une
compétition accrue pour l’accès à l’eau entre bergers et fermiers»
– Affaires étrangères, septembre / octobre 2008, p. 99..
39. Le conflit armé au Darfour a encore accentué la dégradation de l'environnement dans une région dont les ressources naturelles étaient déjà limitées. Provoquant un afflux massif de réfugiés vers le pays voisin, le Tchad, la guerre du Darfour a suscité d’importants problèmes environnementaux qui ont créé une catastrophe humanitaire sans précédent.
40. Si les crises comparables à celle du Darfour se multipliaient, le monde pourrait affronter un risque de conflit généralisé: les déplacements massifs de populations, sources d'instabilité dans les pays de destination et de transit, alimenteraient une politique du ressentiment entre les principaux responsables du changement climatique (à savoir les pays occidentaux industrialisés) et ses principales victimes. Les mesures d’atténuation du changement climatique (ou l’échec de ces mesures) auront donc un impact décisif sur le niveau des tensions politiques nationales et internationales. Selon un récent rapport du Haut Représentant et de la Commission européenne pour le Conseil européen: «Il faut voir dans les changements climatiques un multiplicateur de menace qui renforce les tendances, les tensions et l’instabilité existantes» 
			(23) 
			Haut
représentant et Commission européenne au Conseil européen, «Changement
climatique et sécurité internationale», S113/08, 14 mars 2008, p.
2..
41. Dans une étude récente (2007), le Conseil consultatif allemand sur les changements écologiques mondiaux affirme que «si l'augmentation des températures mondiales se poursuit, les migrations pourraient devenir l'un des principaux sujets de conflits politiques sur le plan international» 
			(24) 
			«Climate Change as
a Security Risk», Conseil consultatif allemand sur le changement
climatique (WBGU), Earthscan, London & Sterling, VA, 2008, <a href='http://www.wbgu.de/wbgu_jg2007_engl.pdf'>http://www.wbgu.de/wbgu_jg2007_engl.pdf</a>. De même, le Centre «Développement, concepts et doctrine» du ministère britannique de la Défense estime qu'«une brusque modification du climat» pourrait entraîner «un effondrement de la société, des déplacements massifs de populations, une lutte accrue autour de ressources beaucoup plus rares et un conflit généralisé» 
			(25) 
			Extrait de Biermann,
F. et Boas, I., «Preparing for a Warmer World: Towards a Global
Governance System to Protect Climate Refugees», Global Governance
Working Paper N° 33 – novembre 2007, p. 21, 
			(25) 
			http://www.glogov.org/images/doc/WP33.pdf.

3. Protection, assistance, adaptation et développement: différentes approches institutionnelles

42. Dans le cadre du débat actuel sur le changement climatique, la dégradation de l’environnement et les migrations qui en résultent, on relève différentes tendances et approches institutionnelles en matière de terminologie, de typologie et de mécanismes de protection contre les futurs problèmes évoqués plus haut.
43. Pour un grand nombre d’experts et de responsables politiques, les personnes contraintes de migrer en raison de changements écologiques sont des «réfugiés»: ils plaident donc en faveur de l’élargissement de la définition de «réfugié» de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, afin d’inclure ces personnes. D’autres appellent à l’adoption de nouveaux instruments pour leur apporter une protection similaire à celle prévue pour les réfugiés. Les opposants à cette mesure soutiennent que les notions et cadres juridiques/normatif existants suffisent et mettent en garde contre le risque de nuire aux régimes actuels de protection internationale. Pour d’autres encore, toute notion concernant les «réfugiés environnementaux» et la nécessité d’une protection similaire à celle des réfugiés est au mieux exagérée, au pire politiquement motivée et dangereuse, et susceptible de servir les intérêts de ceux – gouvernements – qui souhaitent employer la seule catégorie de «migrants économiques» pour échapper à leur obligation d’apporter une protection aux réfugiés.
44. Le débat actuel rappelle la plupart des vives discussions d’il y a une vingtaine d’années sur l’existence, la définition et le besoin de protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Tout comme aujourd’hui, certains s’opposaient alors farouchement à la «création» d’une telle catégorie de personnes, qui risquait, selon eux, de servir d’excuse aux gouvernements pour garder les personnes concernées dans leur propre pays 
			(26) 
			Stavropoulou, M., «Drowned
in definitions ?», Forced Migration Review,
31 octobre 2008, p. 11.. Par la suite, le succès et l’adoption des Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays ont toutefois montré qu’il est judicieux de soulever certaines questions et d’y mettre un nom.
45. A cette fin, la rapporteuse accueille favorablement le débat qui s’est tenu dernièrement au sein du groupe de travail informel du Comité permanent interorganisations dans le domaine humanitaire des Nations Unies, et la création récente de l’Alliance sur le changement climatique, l’environnement et les migrations (CCEMA) 
			(27) 
			L’Alliance sur le changement
climatique, l’environnement et les migrations (Climate Change, Environment
and Migration Alliance – CCEMA) a été créée en avril 2008 à Munich
(Allemagne), par l’Université des Nations Unies (UNU), l’organisation
internationale pour les migrations (OIM), le Programme des Nations
Unies pour l’environnement (PNUE) et la Fondation Munich Re (FMR).
La CCMA est un partenariat d’acteurs au niveau mondial, qui rassemble
des organisations internationales de premier plan, des groupes d’Etats
parties intéressés, des représentants du secteur privé, des communautés
scientifiques et professionnelles, et de la société civile. Elle
a pour principal objectif d’intégrer les questions d’environnement
et de changement climatique dans les politiques et pratiques de
gestion des migrations et d’inscrire les questions de migration
dans le débat mondial sur l’environnement et le changement climatique., dans le but de s’entendre sur une compréhension commune des grands problèmes et de proposer une typologie et une terminologie appropriées pour les migrations et déplacements induits par des facteurs écologiques.
46. La rapporteuse estime que le Conseil de l’Europe devrait contribuer à ce débat:
  • en s’efforçant de trouver la meilleure solution possible pour la protection des droits de tous les individus
    • qui subissent toute forme de dégradation écologique et des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme;
    • qui choisissent ou sont forcés de quitter leur lieu de résidence habituel;
    • qui se déplacent à l’intérieur du pays ou à l'étranger;
    • qui sont ou non en mesure de retourner dans leur lieu d’origine;
  • en faisant en sorte d’assurer les besoins de protection à toutes les étapes du déplacement, c’est-à-dire dans les zones d’origine, de transit et de destination et durant tout le temps nécessaire;
  • en soutenant les dispositions existantes de la législation en matière de droits de l’homme et le cadre normatif au niveau international, et en proposant de nouveaux textes de loi pour combler les vides juridiques identifiés;
  • en encourageant, en plus d’une aide humanitaire fort nécessaire, l’intégration dans l’action internationale de l’adaptation aux changements climatiques/à la dégradation de l’environnement (et à la réduction des risques), l’atténuation des conséquences et le développement.

3.1. Difficultés terminologiques: réfugiés? Déplacés? Migrants?

47. Certes, on peut affirmer que la terminologie importe peu aux personnes en fuite ou en quête d’une vie ou d’un abri plus sûrs. De plus, la migration humaine ayant rarement une seule cause, toute tentative de classification ou de typologie n’en est que plus complexe; et l’adoption de nouvelles étiquettes et catégories comporte toujours le risque d’exclure certaines personnes et de creuser les fossés. Malgré cela, du point de vue de la protection juridique et de l’élaboration politique, sans au moins une définition concrète ou descriptive, il est impossible d’atteindre les niveaux envisagés de protection.
48. Le fait de définir les personnes déplacées en raison de l’impact des changements écologiques par le terme de «réfugiés», «déplacés» ou «migrants» a des conséquences importantes sur les obligations de la communauté internationale en vertu du droit international; d’où l’intérêt marqué des différents groupes institutionnels à défendre leurs mandats respectifs en les traduisant dans la terminologie en question.
49. Deux groupes dominent le débat actuel sur la terminologie – d’un côté, les organismes humanitaires internationaux; de l’autre, les organisations de gestion du développement/des migrations – guidés par leurs préoccupations institutionnelles respectives. Les organisations humanitaires craignent la dilution ou le chevauchement éventuel de concepts naissants avec les catégories existantes qu’elles sont chargées de protéger; tandis que les organisations de développement se soucient de parvenir à une approche aussi vaste et complète que possible. Chacun de ces groupes est soutenu par un nombre considérable de spécialistes, de chercheurs, de groupes de la société civile et d’autres acteurs. Qui plus est, des chercheurs dans ce domaine proposent encore diverses autres solutions.

3.1.1. Ecoréfugiés / réfugiés climatiques

50. Le terme «réfugié climatique» est apparu avant que les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ne soient reconnues comme un groupe ayant des droits de protection et d’assistance. Avec la prise de conscience accrue du public sur les questions de changement climatique et de réchauffement planétaire, les termes «réfugié climatique» et «écoréfugié» reviennent couramment dans le discours public. Les militants utilisent ce terme pour insister sur l’urgence du problème. En effet, confrontées aux conséquences du changement climatique, les personnes concernées chercheraient refuge; alors que le terme «migrant environnemental» ferait passer l’attrait du lieu de destination avant l’inhospitalité du lieu de départ et aurait une connotation négative, en particulier depuis les attentats de septembre 2001.
51. Dans cette logique, plusieurs tentatives ont été faites pour promouvoir la création d'une nouvelle catégorie de réfugiés contraints de se déplacer pour des raisons écologiques, dont les définitions les plus connues ont été proposées par El Hinnawi en 1985 
			(28) 
			El-Hinnawi définit
ainsi les écoréfugiés: «personnes forcées
de quitter leur lieu de vie, temporairement ou définitivement, à
cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle et/ou
humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté
leurs conditions de vie». Par rupture environnementale,
l’auteur entend toute modification physique, chimique et/ou biologique
de l’écosystème (ou des moyens de ressource) l’empêchant de façon temporaire
ou définitive d’assurer la survie de l’être humain., Myers en 1993 
			(29) 
			Myers
définit les écoréfugiés comme «des personnes
qui ne peuvent plus compter sur des moyens de subsistance sûrs en
raison de la sécheresse, de l’érosion, de la désertification ou
d’autres problèmes environnementaux. Dans leur désespoir, elles
ne voient pas d’autre solution que de chercher refuge ailleurs,
aussi risqué que cela puisse être. Toutes ne s’expatrient pas ;
beaucoup sont déplacées à l’intérieur de leur pays. Cependant, elles
ont toutes abandonné leur lieu de vie d’origine de façon semi-définitive
ou même définitive, compte tenu de leurs faibles perspectives de
retour». et par Crisp en 2006 
			(30) 
			Quant à Crisp (UNHCR),
il définit les écoréfugiés comme «des
personnes déplacées ou qui se sentent contraintes de quitter leur
lieu habituel de résidence parce que leurs vies, leurs moyens de
subsistance et leur bien-être sont exposés à de graves risques,
en raison de processus et d’événements environnementaux, écologiques
ou climatiques défavorables».. Cependant, les études sur le sujet contestent souvent la justesse du terme «écoréfugié», également rejeté par les grands organismes internationaux consacrés aux questions de migration et de protection. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et, plus récemment, le groupe de travail informel du Comité permanent interorganisations des Nations Unies se sont prononcés contre l’usage de ce terme, pour de nombreuses raisons.
52. Tout d'abord, ils jugent le terme impropre au regard du droit international. La Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 (connus sous le nom de Convention de Genève sur les réfugiés) fixent plusieurs critères définissant le statut de réfugié. Seule une personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques est considérée comme «réfugiée» et bénéficie des droits correspondants. Dans le contexte des réfugiés environnementaux, la peur de la persécution est difficile à définir.
53. Deuxièmement, le terme de réfugié sous-entend le passage d’une frontière, alors que jusqu’ici la plupart des migrations environnementales se sont produites à l’intérieur de pays. L’étendue du problème risque fort d’être sous-estimée si la définition se limite aux migrations transfrontalières.
54. Troisièmement, le concept de réfugié appelle généralement un droit universel de retour lorsque les persécutions à l’origine de la fuite ont cessé. Certaines modifications de l’environnement, comme par exemple la «disparition» de petits Etats insulaires à faible altitude, en raison de la montée du niveau de la mer, peuvent rendre ce retour impossible.
55. Quatrièmement, l'UNHCR craint que l'élargissement de la définition du concept de réfugié n'aboutisse à une érosion du régime international actuel de protection des réfugiés. A ses yeux, une telle redéfinition pourrait entraîner une renégociation de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, ce qui risquerait dans le contexte politique actuel d’abaisser leur niveau de protection des réfugiés selon la définition actuelle.
56. Enfin, les responsabilités morales et éventuellement légales sont différentes. Alors que les réfugiés politiques et réfugiés de guerre sont victimes de leur pays d’origine ou d’un conflit régionalisé, sans que leur pays d’accueil soit directement responsable de leurs souffrances, il en va différemment pour les modifications du climat en matière de responsabilité morale. Etant donné que presque tous les réfugiés climatiques viendront probablement des pays qui ont le moins contribué au changement climatique et sont le moins capables de financer et d'appliquer des programmes d'adaptation, beaucoup de pays développés d'Europe et d'Amérique du Nord craignent qu'accepter le terme de réfugié ne les oblige à offrir la même protection qu'aux réfugiés politiques - précédent qu'aucun pays n'a encore voulu créer. Par ailleurs, les institutions internationales actuellement en charge des réfugiés, soit principalement l’UNHCR, sont déjà trop sollicitées et incapables de faire face à leur «stock» actuel de réfugiés. L'UNHCR, dont la mission a déjà été élargie aux personnes déplacées, s'oppose à toute nouvelle extension de son mandat 
			(31) 
			Brown, O., «Migration
and Climate Change», Organisation internationale pour les migrations, OIM Migration Research Series, N°
31, Genève, 2008, p. 14..
57. En revanche, les partisans des termes «écoréfugiés / réfugiés climatiques» soutiennent que puisque la Convention de 1951 ne contient pas de définition arrêtée de «persécution», une évolution est possible. Malgré cela, un consensus de plus en plus important ressort parmi les acteurs internationaux contre la modification de la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés. Lors d’un congrès international sur le sujet, qui a eu lieu en octobre 2008 
			(32) 
			Conférence internationale
sur l’environnement, les migrations forcées et la vulnérabilité
sociale, Bonn (Allemagne), 9 au 11 octobre 2008., personne n’a plus proposé d’élargir la définition actuelle de «réfugiés» dans le cadre de cette convention 
			(33) 
			Wijnberg, H, «Environmental
Refugees, where to go?», «13th International Metropolis Conference
Workshop: Environment and Forced Migration: Policy Relevant Research
Approach», 28 octobre, Bonn (Allemagne)..
58. Toutefois, la notion d’«écoréfugié / réfugié climatique» peut être éventuellement acceptée dans deux cas: les instruments régionaux et l’élargissement de traités sur l’environnement.
59. Tout d’abord, la définition de «réfugié» proposée par certains instruments régionaux a été élargie pour couvrir d’autres personnes ayant fui de graves menaces pour leur existence et leur liberté. Par exemple, la Convention de 1969 de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique énonce que ceux-ci peuvent aussi être des personnes obligées de fuir en raison d’événements troublant gravement l'ordre public – que l’on pourrait raisonnablement interpréter comme englobant les situations dues à des catastrophes environnementales, en particulier celles qui bouleversent effectivement l’ordre public 
			(34) 
			Scheske, G. (UNHCR
Strasbourg), intervention lors de l'audition de la commission des
migrations, des réfugiés et de la population de l'APCE sur le problème
des réfugiés écologiques, Paris, 20 mai 2008.. La Convention de 1994 des Etats arabes relative aux réfugiés accepte «les catastrophes naturelles ou les incidents dévastateurs» comme causes valables.
60. Ensuite, Biermann et Boas, soutenus par Global Governance – projet regroupant onze instituts de recherche européens 
			(35) 
			Biermann, F. and Boas,
I., «Preparing for a Warmer World: Towards a Global Governance System
to Protect Climate Refugees», Global Governance Working Paper N°33
– novembre 2007, p. 21, 
			(35) 
			http://www.glogov.org/images/doc/WP33.pdf – plaident pour l'extension de la notion de réfugié à l'aide d'un statut spécifiquement conçu pour les réfugiés climatiques, qui leur offrirait la même protection qu'aux autres réfugiés tout en restant indépendant de la Convention de Genève de 1951. Ce système indépendant s’appuierait sur cinq grands principes: réinstallation planifiée, primauté du relogement sur l’asile temporaire, reconnaissance des droits collectifs des populations locales, soutien international aux politiques nationales et répartition des efforts entre les pays.

3.1.2. Déplacement environnemental

61. La plupart des migrants environnementaux sont (seront) différents des réfugiés pour une raison importante: ils se déplacent à l’intérieur de leur pays. Par conséquent, la majorité des organismes humanitaires préfèrent parler de «déplacement» au sujet de la mobilité humaine induite par des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme et considèrent que ces personnes relèvent de la catégorie des déplacés internes, protégés par les Principes directeurs de 1998 des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et les Lignes directrices de 2006 sur la protection des droits de l’homme en cas de catastrophes naturelles.
62. En effet, selon la définition contenue dans les Principes directeurs, «les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays» sont «des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d'un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l'homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme ou pour en éviter les effets, et qui n'ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d'un Etat» 
			(36) 
			Les Principes directeurs
sont consultables à l’adresse suivante: <a href='http://www.brookings.edu/fp/projects/idp/resources/GPFrench.pdf'>http://www.brookings.edu/fp/projects/idp/resources/GPFrench.pdf</a>.
63. En incluant les catastrophes, on reconnaît que les besoins de protection des personnes déplacées à cause de catastrophes écologiques exigent aussi l’attention internationale.
64. Cependant, le terme «déplacement/déplacé environnemental» tel qu’il s’applique actuellement a deux grands inconvénients. D’une part, il ne concerne que les mouvements internes, laissant sans protection similaire les personnes qui fuient les mêmes catastrophes mais traversent les frontières. D’autre part, la définition de déplacé à l’intérieur du pays (DIP) ne renvoie qu’aux «catastrophes naturelles et provoquées par l’homme», impliquant des effets soudains comparables aux situations de conflits ou de violence généralisée. On ne sait pas clairement si les personnes qui se déplacent à cause d’une dégradation progressive de l’environnement sont couvertes par les Principes directeurs, même s’il est prévu que ce dernier phénomène entraîne à l’avenir davantage de mouvements de population que lesdites catastrophes.
65. Selon la rapporteuse, il est possible de dissiper les inquiétudes des personnes qui ne sont pas faveur d’une notion fondée sur le déplacement par l’ajout de catégories distinctes de déplacés et en incluant les victimes de la dégradation progressive de l’environnement et des mouvements transfrontaliers dans la définition descriptive et non exhaustive des Principes directeurs.

3.1.3. Migrations induites par des facteurs écologiques

66. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a proposé une définition de travail des «migrations environnementales/migrants environnementaux», qui englobe les personnes déplacées en raison de catastrophes naturelles ou humaines et celles qui choisissent de se déplacer à cause de la détérioration de leur environnement.
67. Selon cette définition, les migrants environnementaux sont «des personnes ou des groupes de personnes qui, pour des raisons liées à des changements soudains ou progressifs de l’environnement, ayant un impact négatif sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont obligées ou décident de quitter leur lieu de résidence à titre temporaire ou permanent et de se déplacer soit à l’intérieur d’un pays, soit à l’étranger.»
68. Cette définition englobe toutes les personnes dont la migration est essentiellement motivée par un facteur écologique et tient compte du fait que les déplacements dus à l’environnement peuvent être internes ou internationaux de courte ou de longue durée et provoqués par des modifications soudaines ou progressives, sans ignorer les facteurs politiques, économiques et sociaux qui entrent en jeu 
			(37) 
			Document de travail:
migration et environnement, OIM, 2008, MC/INF/288.
69. Plusieurs organisations humanitaires internationales, dont l’UNHCR, s’y sont opposées au motif qu’elle est trop vaste pour être d’un quelconque usage et qu’elle recouvre potentiellement des termes existants bien définis tels que «réfugié» et «personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays» 
			(38) 
			Commentaire de l’UNHCR
sur le précédent projet de ce rapport, compilé par M. J. Riera..
70. De même, dans une lettre adressée à la rapporteuse le 30 octobre 2008, M. Walter Kälin, Représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, a attiré l’attention sur le fait que «la terminologie juridique international réserve le terme "migrant" aux personnes qui vont à l’étranger». Il soutient que «cette interprétation est énoncée explicitement dans la Convention des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, mais aussi implicitement dans la définition de "travailleur migrant" de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant» (STE n° 093); et que la notion de déplacement interne «aurait aussi l’avantage psychologique de ne pas laisser entendre que les personnes déplacées dans leur propre pays devraient être assimilés d’une manière ou d’une autre à des "migrants" qui, en tant qu’étrangers, ne bénéficient pas des mêmes droits que la population locale».
71. Si la rapporteuse comprend totalement les craintes de l’UNHCR et de M. Kälin, elle tient aussi compte des inquiétudes de ceux qui déplorent l’absence d’une définition de «migrant» acceptée par tous, et du fait que ceux qui conservent le terme «migration» ont défini dans leur mandat des catégories de «migration internationale» et de «migration interne».
72. Les difficultés terminologiques et les lacunes existantes ont été discutées par le Groupe de travail informel sur les migrations, les déplacements et le changement climatique du Comité permanent inter-agences des Nations Unies. Il a été proposé, dans le cadre de ces discussions de distinguer «migrations / migrants environnementaux», qui renvoient à un mouvement volontaire, et «déplacements / déplacés environnementaux», à un mouvement forcé. Toutefois, aucun accord n’a été trouvé.
73. Deux grandes questions sont donc posées autour de la définition de «migrant environnemental»:
  • ne doit-elle concerner que les mouvements transfrontaliers ou inclure également les mouvements internes ?
  • doit-elle se limiter aux seuls mouvements volontaires ou inclure les mouvements volontaires et forcés – et tous les types de mouvement entre ces deux cas de figure ?
74. Pour ce qui concerne la première question, le débat dépasse le champ des migrations environnementales puisqu’il concerne la définition (ou l’absence de) de «migration» en général. L’OIM fait observer que la migration est par définition un mouvement de population, qui peut se produire à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Au sujet de la «migration internationale», le mandat de l’OIM (comme la plupart des instruments internationaux) indique que ce qui se produit dans un pays ne relève généralement pas de la coopération internationale: il est de la responsabilité du pays concerné de s’en occuper. La référence même à la «migration internationale» laisse entendre qu’il peut y avoir d’autres types de migration et que la notion de migration peut être plus vaste. Les termes «migration interne», «migration de zone rurale à urbaine» et «migration de zone rurale à rurale» sont couramment employés, en particulier par UN-HABITAT, UNFPA, CENUE 
			(39) 
			La
CENUE définit les «migrants internes»
comme «des personnes qui résident habituellement
dans une zone géographique donnée et résidaient précédemment dans
une autre zone géographique du pays. Sur le plan opérationnel, la
zone géographique est définie comme étant la plus petite division
administrative. On entend donc par migrants internes les personnes
qui résident habituellement dans une division administrative au
moment du recensement et résidaient précédemment dans une autre
division administrative du pays, qui était classée dans la catégorie
des plus petites divisions administratives. Pour fournir des informations
pertinentes sur les migrants internes, une classification détaillée doit
établir une distinction entre les déplacements locaux, intrarégionaux
et interrégionaux. Les déplacements à l’intérieur des plus petites
divisions administratives doivent être considérés comme relevant
de la mobilité résidentielle et non des migrations internes […]
Les immigrés internationaux, qui, indépendamment de leur pays de
naissance ou de nationalité, ont, à un moment de leur vie, résidé
habituellement dans un autre pays, peuvent également être considérés
comme des migrants internes si, outre leur déplacement international,
ils se sont également déplacés dans le pays et résidaient ailleurs
dans le pays un an avant le recensement.» CENUE, Recommandations
de la Conférence des statisticiens européens pour les recensements
de la population et des logements 2010 (2006), paragraphes 371 et
372. et par les milieux universitaires. 
75. Sous cet angle, il semble difficile de limiter le terme «migrant» à la catégorie des migrants internationaux. Alors que ces derniers sont souvent considérés comme des étrangers sur le territoire de l’Etat d’accueil, ce n’est pas nécessairement le cas des migrants internes ou qui retournent chez eux. En ne tenant compte des migrants que par le prisme de la nationalité, on risque de négliger l’élément fondamental de la migration: son caractère dynamique.
76. La deuxième question controversée est aussi étroitement liée à l’intérêt que portent les différents acteurs à leurs mandats. Plusieurs agences humanitaires qui se concentrent sur un seul aspect des mouvements humains (les mouvements forcés) préfèrent généralement séparer les notions de mouvements forcés et volontaires. De leur côté, les organismes de développement et ceux qui travaillent sur des questions plus vastes de la population soutiennent que la migration environnementale couvre toutes les formes de mouvement, volontaire comme forcé. Ils s’accordent à dire qu’il existe des cas manifestes de migration environnementale forcée; toutefois, en pratique, il est difficile de déterminer dans la plupart des cas si les mouvements ont été forcés ou non. Par conséquent, une classification nette des mouvements induits par des facteurs écologiques volontaires ou forcés pourrait conduire à une situation où la majorité des personnes concernées se situeront quelque part entre ces deux «catégories». Pour s’assurer que personne n’est exclu, la définition de «migrant environnemental» couvre la vaste gamme de mobilité humaine causée par des facteurs écologiques.
77. Autre point important: s’il est prévu que la majorité des migrants environnementaux ne dépassera pas les frontières de son pays, en revanche, il n’est pas sûr que les futurs migrants seront forcés (ou déplacés). Il est tout aussi difficile de distinguer la nature forcée ou volontaire, qu’il s’agisse de mouvements à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières. La migration environnementale interne (y compris volontaire) est très importante par exemple pour le débat sur l’urbanisation. Par conséquent, le discours sur les mouvements internes liés à des facteurs environnementaux ne devrait pas se limiter aux déplacés internes.
78. Cela étant, de son point de vue institutionnel, la rapporteuse reconnaît l’avantage de la définition de l’OIM ou de toute autre vaste définition. En effet, cette définition de travail n’exclut personne et est suffisamment souple et solide pour permettre des discussions distinctes sur les changements de l’environnement et sur la mobilité humaine, tout en étant pragmatique et en laissant une marge d’action immédiate. Les termes «volontaire» et «forcé» peuvent être utilisés comme des sous-catégories de migration; cependant, toute nouvelle segmentation de mouvement (de migration) «volontaire» et (de migration) «forcée» est artificielle et ne ferait que créer un besoin de catégorisation supplémentaire des migrants et des déplacés «semi-volontaires» et «semi-forcés».

3.2. Applicabilité des cadres de protection existants

79. Un grand nombre de pactes, normes et instruments juridiques internationaux, nationaux et régionaux bien établis protègent les droits des personnes contraintes de se déplacer à cause de conflits, de persécutions, de catastrophes naturelles et de projets de développement. Malheureusement, il n’existe pas de cadre similaire pour protéger les droits des personnes contraintes de se déplacer à cause de changements écologiques. Plusieurs instruments juridiques et normatifs peuvent néanmoins s’appliquer dans le cas de la migration environnementale.
80. Premièrement, dans le contexte des mouvements transfrontaliers, la législation internationale des droits de l’homme s’applique d’une manière générale. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 protège la liberté de mouvement et d’autres droits sociaux, culturels et économiques, qu’il est possible de faire valoir en vertu du droit international fondamental et humanitaire mais qui peuvent être menacés lorsque les personnes sont forcées de migrer par une dégradation écologique.
81. Dans les cas d’importantes dégradations environnementales et catastrophes soudaines, le principe fondamental de non-refoulement peut s’appliquer. En cas de risque de mauvais traitement, les personnes concernées sont protégés contre un retour éventuel. Ce principe est expressément établi par les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et par sa jurisprudence, par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et par l’article 3 de la Convention contre la torture. La protection contre le non-refoulement est pertinente en cas de migration forcée par des modifications écologiques, notamment en cas de fuite de situations conflictuelles liées à l’environnement (par exemple, un conflit provoqué par la rareté des ressources) 
			(40) 
			Kolmannskog, V.O.,
«Future floods of refugees: a comment on climate change, conflict
and forced migration», Conseil norvégien pour les réfugiés, 2008,
p. 28..
82. Même si ce cas est trop restreint pour étendre la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 aux «écoréfugiés», il est néanmoins possible de qualifier ces derniers de réfugiés au sens juridique en cas de «persécution environnementale» 
			(41) 
			La «persécution environnementale»
a été définie comme survenant «lorsque les gouvernements provoquent délibérément
la dégradation de l’environnement et que cette dégradation nuit
aux personnes en les forçant à migrer», Cooper, J., «Environmental
Refugees: Meeting the Requirements of the Refugee Definition», 6
N.Y.U. 4nv-l. L.J. 483 1997-1998, cité dans Kolmannskog, V.O., «Future
floods of refugees: a comment on climate change, conflict and forced migration»,
Conseil norvégien pour les réfugiés, 2008, p. 27., c’est-à-dire si leurs gouvernements détruisent intentionnellement leur environnement, leur font subir une discrimination en matière d’assistance et/ou utilisent les conséquences des catastrophes d’une façon comparable à de la persécution, pour une ou plusieurs des raisons énoncées par la Convention de 1951 relative aux réfugiés. La dégradation de l’environnement ou les catastrophes ne peuvent être considérées comme un motif de persécution, mais comme une forme de persécution 
			(42) 
			Kolmannskog,
V.O., «Future floods of refugees: a comment on climate change, conflict
and forced migration», Conseil norvégien pour les réfugiés, 2008,
p. 31..
83. Diverses normes et instruments «subsidiaires» prévoient d’autres formes de protection directe ou indirecte des droits de l’homme pour les groupes de migrants, par exemple, le Pacte de 1966 Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale de 1996 sur les droits civils et politiques, et d’autres conventions internationales concernant des groupes sociaux particuliers, telles que la Convention internationale de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles, la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant, la Convention de 1981 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention de l’OIT de 1991 sur les droits des peuples autochtones 
			(43) 
			Zetter,
R., «Legal and normative frameworks, Forced Migration Review», 31
octobre 2008, p. 63..
84. Par ailleurs, la protection des citoyens des petits Etats insulaires (qui seront submergés avec la montée du niveau de la mer) menacés d’apatridie pose une question délicate, qui relève du champ de la Convention des Nations Unies de 1954 relative au statut des apatrides, de la Convention des Nations Unies de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie et du mandat de protection du HCR pour les apatrides 
			(44) 
			Idem..
85. Deuxièmement, une grande partie des migrants environnementaux est généralement déplacée à l’intérieur d’un pays. Les déplacements causés par des catastrophes sont reconnus dans les Principes directeurs de 1998 des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et des Lignes directrices de 2006 du Comité permanent interorganisations sur la protection des droits de l’homme en cas de catastrophes naturelles.
86. Les Principes directeurs proposent un cadre normatif unique pour l’élaboration de stratégies d’assistance et de protection. Ils sont devenus un outil pratique permettant d’identifier les droits et les garanties pertinentes pour la protection et l’assistance des déplacés internes à toutes les étapes du déplacement, quelle qu’en soit la cause. Il s’agit d’une synthèse des éléments pertinents de la législation des droits de l’homme et, par analogie, des réfugiés ainsi que du droit humanitaire international. Les Principes devraient sans doute être considérés comme contraignants sur le plan juridique, dans la mesure où ils reprennent les dispositions du droit international existant. Cette démarche est considérée comme novatrice dans le développement de normes internationales 
			(45) 
			Kolmannskog, V.O.,
«Future floods of refugees: a comment on climate change, conflict
and forced migration», Conseil norvégien pour les réfugiés, 2008,
p. 29..
87. Troisièmement, comme indiqué précédemment, les instruments régionaux tels que la Convention de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique 
			(46) 
			La
Convention de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des
réfugiés en Afrique étend la définition à toute personne obligée
de quitter son pays non seulement pour fuir des persécutions, mais
aussi «du fait d'une agression extérieure, d'une occupation, d'une
domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre
public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine
ou du pays dont elle a la nationalité»., la Déclaration de Carthagène de 1984 sur les réfugiés et la Convention de 1994 des Etats arabes sur les réfugiés prévoient une certaine protection pour les victimes de catastrophes environnementales, en particulier si ces dernières viennent à troubler fortement l’ordre public.
88. En Europe, la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ses protocoles additionnels et sa jurisprudence, composent le mécanisme de protection le plus important pour les migrants environnementaux, qu'ils se déplacent dans les Etats membres du Conseil de l’Europe ainsi que pour les migrants environnementaux d’autres régions du monde qui entrent en Europe. Bien qu’à ce jour la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’ait pas traité directement la protection des migrants environnementaux, dans deux arrêts récents (Öneryildiz c. Turquie 
			(47) 
			CrEDH,
Öneryilds c. Turquie, requête 48939/99, arrêt du 30 novembre 2004: 
			(47) 
			<a href='http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=708579&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649'>http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=708579&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649</a> et Budayeva c. Russie 
			(48) 
			CrEDH,
Budayeva et autres c. Russie, requêtes 15339/02, 21166/02, 20058/02
et 15343/02, arrêt du 20 mars 2008: 
			(48) 
			<a href='http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=830135&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649'>http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=830135&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649</a>), la Cour a clairement indiqué que les Etats devenaient responsables de l’incapacité à protéger la vie en cas de pertes humaines dues au non respect de leur devoir de prendre des mesures préventives en cas d’annonce d’une catastrophe, alors qu’ils avaient à disposition des moyens efficaces pour limiter les risques.
89. Bien qu’ils ne soient pas reconnus explicitement, dans certains cas, les migrants environnementaux pourraient probablement bénéficier d’une protection provisoire en vertu de la Directive de 2001 du Conseil de l’Union européenne sur la protection temporaire 
			(49) 
			Directive 2001/55/3CE
du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour
l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes
déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre
les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces
personnes et supporter les conséquences de cet accueil. et de celle de 2004 sur les conditions à remplir 
			(50) 
			Directive 2004/83/CE
du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives
aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers
ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou
les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection
internationale, et relatives au contenu de ces statuts, sous réserve de l’approbation majoritaire du Conseil qu’une catastrophe naturelle exige le recours à ces mécanismes.
90. Quatrièmement, au niveau national, seules la Suède et la Finlande accordent pour l’heure une protection subsidiaire au motif de catastrophes naturelles. La loi suédoise relative aux réfugiés (chapitre 4 article 2) inclut toute personne «incapable de retourner dans son pays d’origine à cause d’une catastrophe écologique» dans la catégorie «autres personnes ayant besoin d’une protection». De même, l’article 88 de la loi finlandaise relative aux étrangers accorde une protection aux personnes incapables de retourner dans leur pays «en raison d’un conflit armé ou d’une catastrophe écologique» et leur délivre des permis de résidence.

3.3. Lacunes des cadres de protection existants

91. Le Groupe de travail informel sur les migrations, les déplacements et le changement climatique du Comité permanent inter-agences des Nations Unies (CPIA) a récemment identifié trois grands vides potentiels, sur le plan juridique et opérationnel 
			(51) 
			CPIA, «Climate Change,
Migration and Displacement: Who will be affected ?», document de
travail présenté par le groupe de travail informel au Comité permanent
interorganisations sur les migrations / les déplacements et le changement climatique.:
  • la législation internationale des droits de l’homme protège les personnes qui traversent les frontières après avoir subi des catastrophes (et après que leurs zones d’habitation sont déclarées interdites), mais ne leur donne pas droit à l’admission ni au séjour dans un autre pays. Ces personnes ne sont pas automatiquement protégées par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, à moins de remplir les critères établis. Dans certains cas, elles peuvent avoir besoin d’une protection et d’une assistance provisoires en attendant leur retour;
  • on note l’absence de critères pour distinguer [la migration] volontaire des mouvements [des déplacements] forcés dans les situations de catastrophes;
  • dans le cas où un Etat perdrait l’intégralité de son territoire – l’un des éléments constitutifs de l’Etat –, on ne sait pas clairement si son statut serait toujours reconnu par la communauté internationale. Il n’est pas à exclure que sa population serait alors considérée comme apatride. Il importe de conclure des accords spéciaux pour permettre à celle-ci de se déplacer dans les autres pays et pour éviter qu’elle ne soit apatride.
92. S’agissant du premier point, les migrants environnementaux qui traversent les frontières ne sont pas considérés comme des réfugiés ayant droit à une protection nationale dans le cadre international existant; ils ne sont pas non plus nécessairement considérés comme travailleurs migrants. S’ils bénéficient de l’applicabilité des normes des droits de l’homme, en revanche, leur statut demeure peu clair. Dans le même temps,les Etats n'ont cependant pas d'obligations spécifiques à l'égard des migrants écologiques et à ce jour, aucun texte juridique international n'oblige quiconque à fournir une aide internationale aux personnes déplacées pour raisons environnementales lorsque leur pays n'est pas en mesure de les protéger.
93. S’agissant du deuxième point, la migration environnementale couvre toutes les formes de mouvement, volontaire et forcé. Dans le cadre normatif humanitaire / relatif aux déplacés internes, couverts par les Principes directeurs, il manque un cadre de protection d’un segment entier de migrants qui traversent les frontières, en raison d’une dégradation progressive de l’environnement. Nombre de ces migrants sont confrontés à des difficultés et ont des besoins similaires à ceux des personnes déplacés à cause de conflits. Toutefois, la protection et l’assistance dépendent largement du fait que les organisations internationales les incluent ou non dans leurs mandats (on parle dans ce cas de «vides opérationnels» 
			(52) 
			Kolmannskog, V.O.,
«Future floods of refugees: a comment on climate change, conflict
and forced migration», Conseil Norwegian Refugee Council, 2008,
p. 32.).
94. S’agissant du troisième point, les droits des populations touchées et la charge de leur protection soulèvent plusieurs questions délicates. Dans le cas de la disparition de petits Etats insulaires, mais aussi de conséquences du changement climatique, ces populations risquent de ne jamais pouvoir retourner chez elles car leurs habitats d’origine ont été submergés ou détruits 
			(53) 
			Koser, K., «Gaps in
IDP protection, Forced Migration Review», 31 octobre 2008, op. 17.. Il importe de s’interroger pour savoir qui accueillera ces personnes contraintes d'émigrer quand elles ne pourront plus vivre dans leur propre pays. Il sera nécessaire d’adopter de nouvelles approches pour trouver des solutions durables.
95. Par ailleurs, notons également que la législation relative à l’environnement est lacunaire: ni la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ni son Protocole de Kyoto ne contiennent de dispositions sur une assistance ou une protection spéciale pour les victimes directes des effets du changement climatique.
96. La rapporteuse partage l’avis du groupe de travail du Comité permanent interorganisations sur la nécessité de recherches et d’analyses approfondies sur l’ampleur, la nature et les schémas de mouvements de population liés au climat, et sur les groupes qui ne veulent ou ne peuvent se déplacer. Par ailleurs, il convient d’étudier plus avant la législation existante et les possibilités de protection pour savoir comment combler au mieux les lacunes potentielles et celles déjà identifiées en matière de protection. De plus, il faut s’interroger davantage sur la mesure dans laquelle les déplacés environnementaux font l’objet de violations des droits fondamentaux au même titre que les réfugiés et les déplacés internes.
97. Enfin, les cadres actuels de protection pâtissent d’une mise en œuvre très insuffisante, qui s’explique dans la plupart des cas par des capacités limitées et dans d’autres cas, par l’absence de volonté politique. Il est indispensable de trouver comment remédier à ce gros problème de mise en œuvre 
			(54) 
			Idem..

3.4. Nécessité d’une nouvelle législation?

98. Les diverses lacunes identifiées montrent la nécessité d’établir de nouveaux cadres de protection. Deux domaines exigent impérativement des mesures juridiques complémentaires:
  • l’apatridie potentielle dans le cas des «Etats qui disparaissent»;
  • la nécessité d’interdire l’expulsion des populations de pays touchés par une catastrophe naturelle, victimes d’une grave dégradation environnementale et qui ne garantissent pas une existence sûre d’un point de vue écologique; les populations qui ne sont pas «réfugiées» selon les termes de la Convention de 1951 ne devraient pas être renvoyées chez elles, pour des raisons humanitaires. Par exemple, il serait judicieux d’accorder une protection humanitaire ou un autre statut de protection.
99. Reste à voir si la communauté internationale est prête à accomplir davantage. En effet, il faut beaucoup de temps pour s’entendre sur les termes d’une convention, de même qu’il n’est pas évident de parvenir à un consensus sur une convention qui porte, finalement, sur la souveraineté de l’Etat. Par ailleurs, même les conventions contraignantes ont parfois peu d’impact compte tenu de l’insuffisance de mécanismes de mise en œuvre; alors que les Principes directeurs, qui ne sont pas contraignants, sont de plus en plus fréquemment intégrés dans les législations et politiques nationales.
100. D’un autre côté, les effets cumulés du changement climatique et des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, de la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, et de la crise financière mondiale sur les Etats et les régions les plus vulnérables incitent à l’adoption de nouveaux instruments de protection juridique. Dans un récent document de politique 
			(55) 
			UNHCR, «Climate change,
natural disasters and human displacement: a UNHCR perspective»,
23 octobre 2008, l’UNHCR indique que «des outils complémentaires, normes ou accords seront nécessaires pour que les principes élémentaires des instruments internationaux des droits de l’homme soient traduits dans des formes tangibles de protection et dans un soutien aux populations concernées».
101. Divers mécanismes de protection contraignants ou non contraignants pourraient être envisagés au vu de l’augmentation des processus migratoires induits par des facteurs climatiques et écologiques.
102. Pour combler les lacunes, il conviendrait notamment d’élaborer et d’adopter une convention internationale totalement nouvelle et distincte, qui pourrait se fonder sur la législation relative à l’environnement, aux droits de l’homme et aux réfugiés. Les faiblesses du volet du droit international sur l’environnement concernent son application et les difficultés à établir les responsabilités, qui rendent difficile la protection basée sur la responsabilité 
			(56) 
			Kolmannskog, V.O.,
«Future floods of refugees: a comment on climate change, conflict
and forced migration», Conseil norvégien pour les réfugiés, 2008,
p. 31..
103. Une autre solution consisterait à élargir la définition descriptive des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays aux catastrophes écologiques progressives, tout en créant en parallèle une synthèse similaire du droit international existant sur le déplacement externe, sous forme de principes.
104. En outre, il peut être judicieux de revoir l’idée de l’élaboration concertée d’une convention contraignante sur les déplacements internes (et éventuellement externes). A cet égard, l’adoption prévue au printemps 2009 du nouveau projet de Protocole de l’Organisation de l’Unité africaine pour la protection et l’assistance des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays en Afrique, premier instrument au monde juridiquement contraignant pour la protection de ces personnes, ouvre de nouvelles perspectives. En plus d’être contraignante pour ses signataires, la convention de l’OUA augmentera le champ de protection des Principes directeurs (par exemple, en incluant les personnes déplacées à cause de l’absence de développement) et donnera à l’OUA le droit d’intervenir dans les Etats membres pour protéger les personnes déplacées 
			(57) 
			Koser,
K., «Gaps in IDP protection», Forced
Migration Review, 31 octobre 2008, op. 17..
105. Une autre solution juridiquement contraignante a été proposée par Biermann et Boas, opposés à l’idée d’une convention internationale indépendante qui exigerait un processus de négociation bien trop lent pour répondre à l’urgence de la situation actuelle. Ils proposent un autre type d'instrument juridique nouveau adapté aux besoins des réfugiés climatiques (un Protocole à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques relatif à la reconnaissance, à la protection et au relogement des réfugiés climatiques), un mécanisme de financement séparé (le Fonds pour la protection et le relogement des réfugiés climatiques) et un réseau d'«agences de mise en œuvre» placées sous l'autorité de la conférence des Parties au nouveau Protocole 
			(58) 
			Pour
en savoir plus sur la question, voir: Biermann, F. et Boas, I., Preparing for a Warmer World: Towards a Global Governance
System to Protect Climate Refugees, Global Governance
Working Paper N°33 – novembre 2007, p. 21, http://www.glogov.org/images/doc/WP33.pdf. Selon les deux chercheurs, ce nouvel instrument demanderait quelques ajustements terminologiques au sein du système du HCR des Nations Unies mais ne poserait pas de problème pratique ni juridique, puisqu’il ne toucherait pas à la définition de la Convention de Genève. Le Protocole pourrait également, en théorie, être intégré à un protocole d’adaptation plus large, à condition que ses principes fondamentaux soient conservés, ainsi que les financements nécessaires.
106. Inutile de dire que dans tous les cas proposés, des recherches plus poussées seront indispensables avant de prendre des mesures concrètes. La communauté internationale doit encore tenir un débat approfondi sur le type d’instruments nécessaires pour relever les nouveaux défis. Toutes ces possibilités devraient avoir le même fondement: les individus manifestement contraints de se déplacer en raison d’une dégradation de l’environnement, même associée à d’autres facteurs socioéconomiques, doivent être suffisamment protégés par un mécanisme international leur accordant certains droits.

3.5. v. Les «gardiens» des migrants environnementaux

107. Pour l’heure, il n’existe pas de consensus au sein de la communauté internationale pour savoir qui sera effectivement chargé de résoudre les questions de protection et d’assistance, de fixation de normes, d’adaptation et de développement. Néanmoins, la pertinence de la structure actuelle d’action humanitaire fait l’objet d’interrogations, de même que la nécessité de nouvelles institutions, coalitions et partenariats. Il semblerait normal que ces questions amènent à une réflexion collective.
108. S’agissant de la dimension humanitaire, il est indiscutable que les agences des Nations Unies ont un rôle de premier plan à jouer. Dans le cadre de la réforme humanitaire, les Nations Unies entendent renforcer la protection des déplacés internes par une approche «sectorielle» 
			(59) 
			L’approche
«sectorielle» («cluster approach») a été conçue par les Nations
Unies dans le cadre de leur réforme humanitaire visant à améliorer
la répartition des responsabilités de protection et d’assistance
des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays entre les agences
des Nations Unies à différents niveaux (siège, régional, national
et opérationnel). Elle remplace la précédente approche «collaborative»,
critiquée pour son inefficacité. Selon l’approche sectorielle, des agences
individuelles sont désignées «responsables de secteurs», chargées
de coordonner les opérations dans des domaines spécifiques pour
combler les lacunes qui ont été identifiées. Au niveau mondial,
elle a pour but de développer les capacités dans onze grands domaines
«lacunaires», en renforçant les capacités de réaction, en assurant
un accès permanent à une expertise technique bien formée, en améliorant
les réserve matérielles et en consolidant l’engagement de tous les
partenaires humanitaires concernés. Source:
Wikipedia., qui permettrait de mieux répartir les tâches, de combler les lacunes et de renforcer la protection des déplacés internes dans une multitude de cas urgents. Consolider l’approche sectorielle peut être un moyen de perfectionner les mécanismes institutionnels face aux migrations environnementales.
109. Il n’existe toutefois aucun organisme chargé de la protection et de l’assistance de ces personnes, même si le HCR des Nations Unies joue maintenant un rôle spécial de «leader sectoriel» pour la protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la suite d’un conflit et rend compte de son action en tant que responsable de secteur. Le défi demeure considérable et il faut aller plus loin puisque le HCR n’a pas encore la capacité d’apporter une réponse plus prévisible, responsable et efficace dans le contexte des catastrophes naturelles 
			(60) 
			Holmes,
J., «The relevance of the Guiding Principles when addressing internal
displacement caused by natural disasters and climate change», exposé
principal à la conférence «Ten Years of Guiding Principles on Internal Displacement»,
Oslo, 16 octobre 2008..
110. En matière de fixation de normes, notamment «de décisions sur la protection des populations contraintes de se déplacer à cause des conséquences de la dégradation et des bouleversements écologiques» 
			(61) 
			Position de l’OCHA
position sur le changement climatique, les migrations et les déplacements,
29 octobre 2008., le Comité informel permanent inter-organisations est indéniablement l’organe le plus compétent. A ce titre, son rôle et son statut méritent d’être renforcés et élargis.
111. La rapporteuse estime néanmoins que la réponse internationale au problème des migrations environnementales devrait aller au-delà de l’action humanitaire. Elle salue donc également la création récente de l’Alliance sur le changement climatique, l’environnement et les migrations, qui a pour objet de servir de point de convergence et de lieu d’échange politique et scientifique. Elle ne doute pas des avantages à long terme de la mise en place d’une structure de coordination efficace regroupant diverses organisations internationales et parties prenantes, y compris les structures de coordination existantes. Une commission de coordination pour les migrations environnementales pourrait d’ailleurs être créée pour coordonner les travaux des organisations internationales sur les différents aspects du problème de la mobilité environnementale, notamment la réduction des risques, l'aide humanitaire, l'adaptation et le développement.

4. Politiques préconisées en Europe

112. Les pays industrialisés, dont la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe, ont de plus fortes capacités d'adaptation, si bien que les migrations dues au climat y sont moins probables ou y représenteront un problème moins grave. Actuellement – et dans un avenir proche –, la plupart des migrants environnementaux et des personnes déplacées n’arrivent ou ne peuvent arriver aux frontières européennes.
113. Mais il est évident qu'il est beaucoup moins coûteux de prévenir que de guérir et que la plus grande part des responsabilités incombera au monde industrialisé et riche en ressources / capitaux, qui est reconnu comme le premier responsable du changement climatique et dispose des moyens et des technologies nécessaires pour réagir. Les pays européens auront donc un rôle prépondérant à jouer. Avec les Etats-Unis, ils auront la grande responsabilité d’intensifier les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre les Objectifs du Millénaire, mais aussi de prendre des mesures renforcées de limitation des risques de catastrophes, notamment de prévention, d’analyse de la vulnérabilité, d’alerte précoce et de capacité de faire face.
114. Afin de prévenir une éventuelle augmentation des risques posés par les migrations environnementales, il convient d'élaborer des stratégies ciblant d'une part leurs causes, d'autre part la gestion des migrations qui s'avéreront inévitables. Une meilleure coopération internationale est nécessaire pour renforcer la capacité d’adaptation des populations menacées par les effets du changement climatique.
115. Au niveau européen, la bonne gestion des migrations environnementales passera obligatoirement par l'élaboration d'une stratégie complète en matière de politique d'immigration, associée à la promotion de politiques économiques et commerciales plus ouvertes vis-à-vis des pays du tiers-monde. Cette stratégie devrait anticiper les flux migratoires, offrir une protection adéquate aux victimes de bouleversements climatiques, prévoir des mécanismes de réparation des dommages subis par ces personnes déplacées (au niveau social, économique et culturel) et encourager la sensibilisation des populations et des autorités à ces problèmes.
116. Un système de financement approprié devrait être mis en place au niveau européen pour indemniser les personnes déplacées et soutenir des projets de développement et de gestion des migrations.
117. La politique relative à la migration devrait être mieux intégrée dans les programmes nationaux de développement et de coopération au développement. Cette forme de coopération peut aider les groupes vulnérables qui vivent dans une pauvreté absolue à limiter les impacts de la dégradation de l’environnement et du changement climatique, et à réduire leur vulnérabilité aux effets de tels phénomènes. Toutefois, les stratégies futures de développement devront se soucier davantage de la durabilité des projets de développement, compte tenu des impacts climatiques prévisibles au niveau local. Par exemple, le développement agricole des régions très menacées par la sécheresse devrait être réévalué.
118. Concernant le statut et la protection juridiques des migrants environnementaux, les pays européens pourraient soutenir l'idée d'une nouvelle convention internationale assurant une protection aux personnes déplacées par la dégradation de l'environnement et le changement climatique, ainsi que celle d'une intégration de ces dispositions à d'autres instruments juridiques internationaux existants.
119. Puisque ces processus connaîtront certainement une lente progression, il importe que l’Europe joue un rôle pionner en fixant des normes dans le domaine de la protection juridique des victimes de déplacements écologiques et en élaborant ses propres dispositions pour protéger et aider les migrants environnementaux par le biais de programmes de protection régionale. En l’occurrence, les instruments existants de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe sont un bon point de référence.
120. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, il faut continuer d’encourager les Etats membres à intégrer les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres dans la législation nationale. Il convient d’étudier également la législation et la jurisprudence nationales finlandaises et suédoises, qui accordent une protection subsidiaire en cas de catastrophes naturelles, pour voir si elles pourraient servir d’exemples de bonne pratique aux mécanismes de protection nationale.
121. S’agissant de l’amélioration des mécanismes de protection des droits de l’homme pour des problèmes posés par le changement climatique et la dégradation de l’environnement, il serait judicieux d’ajouter à la Convention européenne des droits de l’homme un protocole séparé sur le droit à un environnement sain et sûr.
122. De plus, une étude juridique d’ensemble sur les lacunes du droit et des dispositions normatives internationales existantes pourrait être réalisée en vue de l’élaboration éventuelle d’une Convention-cadre européenne relative au statut et aux droits des migrants environnementaux.
123. Un groupe de travail sur la protection et le relogement des populations chassées par des perturbations environnementales devrait être mis en place par le Conseil de l'Europe, en coopération avec les institutions de l'Union européenne.
124. Enfin, une large coopération devrait s'instaurer sur de multiples sujets de recherche, dont la météorologie, la géographie, les migrations, le développement, la cohésion sociale et la santé, afin de mieux comprendre et reconnaître les liens entre les forces environnementales et les mouvements de populations. Il importe en outre de considérer favorablement les initiatives pluridisciplinaires d’ONG pour sensibiliser le public et les activités visant à intégrer des solutions à la migration environnementale dans l’aide au développement.

Commission chargée du rapport: commission des migrations, des réfugiés et de la population

Renvoi en commission: Doc. 11084, renvoi n° 3297 du 22 janvier 2007, modifié par renvoi n° 3317 du 16 mars 2007

Projet de recommandation et projet de résolutionadoptés à l’unanimité par la commission le 11 décembre 2008

Membres de la commission: Mme Corien W.A. Jonker (présidente), M. Doug Henderson (1er vice-président), M. Pedro Agramunt (2ème vice-président), M. Alessandro Rossi (3ème vice-président), Mme Tina Acketoft, M. Francis Agius, M. Ioannis Banias, Ms Donka Banović, M. Márton Braun, M. André Bugnon, M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik, M. Vannino Chiti, M. Christopher Chope (remplaçant: M. Bill Etherington), M. Boriss Cilevičs, Mme Minodora Cliveti, M. Telmo Correia, Mme Claire Curtis-Thomas, M. Ivica Dačić, M. Taulant Dedja, M. Nikolaos Dendias, M. Arcadio DíazTejera, M. Mitko Dimitrov, M. Karl Donabauer, M. Tuur Elzinga, M. Valeriy Fedorov, M. Oleksandr Feldman, Mme Doris Fiala, M. Bernard Fournier, M. Paul Giacobbi, Mme Gunn Karin Gjul, Mme Angelika Graf, M. John Greenway (remplaçant: M. Humfrey Malins), M. Tony Gregory, M. Andrzej Grzyb, M. Michael Hagberg, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Davit Harutyunyan (remplaçante: Mme Hermine Naghdalyan), M. Jürgen Herrmann, M. Bernd Heynemann, M. Jean Huss, M. Ilie Ilaşcu, M. Tadeusz Iwiński, M. Mustafa Jemiliev, M. Tomáš Jirsa, M. Reijo Kallio, M. Hakki Keskin, M. Guiorgui Kandelaki (remplaçant: M. David Darchiashvili), M. Egidijus Klumbys, M. Ruslan Kondratov, M. Dimitrij Kovačič, M. Andros Kyprianou, M. Geert Lambert, M. Younal Loutfi (remplaçante: Mme Aneliya Atanasova), M. Andrija Mandić, M. Jean-Pierre Masseret (remplaçant: M. Denis Jacquat), M. Slavko Matić, Mme Ana Catarina Mendonça, M. Gebhard Negele, M. Hryhoriy Omelchenko, M. Morten Østergaard, M. Alexey Ostrovsky, M. Grigore Petrenco, M. Cezar Florin Preda, M. Milorad Pupovac, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps, M. Gonzalo Robles Orozco (remplaçant: M. Gabino Puche), M. Giacomo Santini, Mme Michaela Sburny, M. Samad Seyidov, M. Steingrímur J. Sigfússon, Mme Miet Smet, M. Giacomo Stucchi, M. Vilmos Szabó, M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, M. Michał Wojtczak, M. Marco Zacchera, M. Yury Zelenskiy, M. Andrej Zernovski, M. Jiří Zlatuška

N.B.: Les noms des membres ayant pris part à la réunion sont imprimés en caractères gras.

Secrétariat de la commission:M. Lervik, M. Neville, Mme Odrats, M. Ekström