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Avis de commission | Doc. 11961 | 22 juin 2009

Energie nucléaire et développement durable

(Ancienne) Commission des questions économiques et du développement

Rapporteure : Mme Anna LILLIEHÖÖK, Suède

Origine - Voir Doc. 11914 présenté par la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales. 2009 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions économiques et du développement salue le rapport de M. Bill Etherington sur l’énergie nucléaire et le développement durable, et partage les principales conclusions et suggestions contenues dans le projet de résolution présenté par la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales.
2. Tout en reconnaissant les nombreuses qualités de l’énergie nucléaire, la commission des questions économiques et du développement souligne que la préservation de l’environnement et le développement durable doivent demeurer à tout prix les priorités de toutes formes d’approvisionnement. A ce titre, elle appelle de ses vœux à prendre en compte la question fondamentale de la gestion des déchets nucléaires et à engager une véritable coopération internationale sur ce sujet afin d’assurer une sécurité environnementale totale.
3. Si l’énergie nucléaire représente aujourd’hui une forme d’approvisionnement énergétique parmi d’autres, la commission appelle les gouvernements des différents Etats membres à poursuivre leurs recherches pour développer d’autres formes d’énergies, en particulier parmi les énergies renouvelables.

B. Exposé des motifs

(open)

1. Introduction

1. Les crises pétrolière et financière ont souligné la nécessité d’anticiper les grands défis de nos sociétés et notamment celui de l’approvisionnement énergétique. Cette nécessité oblige les gouvernements européens à agir avec plus d’efficience. Dans une perspective de reprise économique et de demande énergétique accrue, il apparaît donc que l’énergie nucléaire représente une solution économique parmi d’autres.
2. Les budgets des différents Etats du Conseil de l’Europe ont intégré de nombreuses dépenses liées aux divers plans de relance et de sauvetage pour faire face aux effets de la crise. D’autres dépenses seront également consacrées aux mesures économiques et sociales pour faire face à la montée du chômage, au redressement de l’activité industrielle et à la progression des inégalités dont les premiers signes sont aujourd’hui perceptibles en Europe.
3. Il apparaît donc vital que les gouvernements, qui ont à l’esprit l’approvisionnement énergétique de leur pays, investissent à long terme des ressources financières dans un système qui leur assure une indépendance et une rentabilité économique dans le domaine de l’énergie tout en alliant ces mesures avec le respect de l’environnement et la promotion du développement durable.
4. Une énergie nucléaire bien contrôlée est aujourd’hui en mesure de fournir toutes ces garanties économiques sans pour autant fournir toutes les garanties nécessaires en termes écologiques.

2. Les avantages de l’uranium

5. L’option de l’énergie nucléaire de la même manière que les autres types d’énergies renvoie à la rentabilité économique de son combustible. On a vu que les énergies fossiles (pétrole et gaz) étaient extrêmement dépendantes des prix internationaux qui ont connu une envolée au troisième trimestre 2008 (le prix du baril de pétrole dépassant les 140 dollars en juillet 2008). Et cette dépendance a créé pour certains Etats membres du Conseil de l’Europe, une forme de dépendance économique et politique, comme l’a prouvé la «guerre du gaz» entre la Fédération de Russie et l’Ukraine.
6. L’uranium, combustible nécessaire aux centrales nucléaires, présente, à ce titre, l’avantage d’être disponible en quantité suffisante. Selon certaines estimations 
			(1) 
			Ressources,
production, demande de l’uranium: un bilan de quarante ans, développement
de l’énergie nucléaire, OCDE, 2007., les réserves d’uranium sont estimées à 5,3 millions de tonnes, situées principalement en Australie (23 %), au Kazakhstan (16 %), au Canada (11 %) et aux Etats-Unis (10 %). Il est consommé environ 64 000 tonnes d’uranium par an, entraînant de ce fait une disponibilité pour quatre-vingt-cinq ans, disponibilité qui peut être multipliée par 100 selon les experts avec les réacteurs de quatrième génération utilisant aussi bien de l’uranium 235 que de l’uranium 238.
7. De plus, à l’inverse du rapport de prix très sensible entre hausse du baril de pétrole et hausse du prix de l’essence, le prix de l’électricité pour le consommateur est extrêmement peu dépendant du prix de l’uranium. Du point de vue économique, l’énergie nucléaire offre une diversification et une meilleure sécurité dans la mesure où les coûts restent bas et stables après l’investissement initial et sont moins sujets aux fluctuations à court terme d’approvisionnement en matières premières, représentant à peine 7 % du prix du kilowatt, ce rapport est lié aux nombreuses transformations chimiques et physiques subies par l’uranium dans sa transformation en électricité. Cependant, les techniques d’extraction de ce combustible restent très polluantes.
8. Enfin, sur le marché des prix, l’uranium est une matière première qui n’apparaît pas, comme le gaz, comme une «arme» économique car de nombreux pays producteurs d’uranium tel que le Niger ou la Namibie n’ont pas de programme nucléaire. En tout, près de 70 % de la production vendue sur le marché international est le fait de pays n’ayant pas de programme nucléaire. Afin de garantir cette liberté d’accès au marché de l’uranium, une coopération internationale devrait s’organiser.
9. Cette relative sécurité du marché des prix de l’uranium n’empêche pas les grands fournisseurs de combustibles fossiles de se positionner sur le marché du nucléaire pour y jouir d’une position importante, voire dominante. La Fédération de Russie, qui a investi, en décembre 2008, 22 milliards d’euros dans son programme électronucléaire, et qui détient 8 % des ressources d’uranium, s’est lancée via Rosatom, la holding russe de l’énergie nucléaire, dans une politique de développement et de contrôle du nucléaire vis-à-vis de l’Europe. Ainsi, selon le quotidien russe Izvestia, «l’uranium russe est utilisé dans les centrales allemandes, britanniques, suisses, néerlandaises, finlandaises. Rosatom détient 40 % du marché des services d’enrichissement de l’uranium naturel. Une centrale sur six dans le monde fonctionne au combustible russe».
10. A ce propos, la commission des questions économiques et du développement rappelait en janvier 2007 que «pour garantir une sécurité énergétique actuellement et à long terme, il conviendra de rechercher des solutions à long terme sous la forme de projets énergétiques durables et de politiques de l’énergie cohérentes, ce qui suppose avant toute chose l’émergence progressive d’un marché unique de l’énergie en Europe, basé sur une réglementation saine, une coopération efficiente, des investissements suffisants et des réseaux solides» 
			(2) 
			Avis de la commission
des questions économiques et du développement, «Danger de l’utilisation
de l’approvisionnement énergétique comme instrument de pression
politique» (rapporteur: Mme Jelleke Veenendaal,
Pays-Bas, ADLE), Doc.
11132..

3. Le coût des installations

11. Outre le prix du combustible, les perspectives économiques du marché des centrales nucléaires amènent également à considérer le paramètre des installations nucléaires lorsqu’il s’agit de procéder à des investissements à long terme en matière énergétique.
12. Parmi les Etats du Conseil de l’Europe, la Russie, la Finlande, le Royaume-Uni, l’Albanie, la Croatie, l’Italie, l’Ukraine, la Bulgarie et la France ont décidé de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Pour ce dernier pays, la France, qui produit 76,9 % de son électricité de manière nucléaire, le défi est de taille. Outre la prochaine construction de l’EPR (European Pressurized Reactor), le marché des installations nucléaires est une question économique fondamentale. Plus gros détenteur de centrales nucléaires, la France est également une grande exportatrice de matériel nucléaire grâce à l’entreprise Areva. Or, la concurrence est de plus en plus difficile avec le rapprochement récent entre l’entreprise russe Rosatom et son homologue allemande Siemens. Ces rapprochements illustrent en tout cas la volonté de certains Etats d’investir de manière efficiente dans une source d’énergie rentable à long terme, dans un futur où les besoins énergétiques seront plus importants.
13. La construction de nouvelles installations représente cependant un coût important (environ 4 milliards d’euros pour un EPR) sans compter la durée des travaux de construction que l’on estime entre cinq à sept ans pour chaque centrale nucléaire et les divers travaux préparatoires qui bien souvent ont augmenté les charges financières. C’est le pari qu’a fait l’Italie qui prévoit de construire entre quatre et cinq réacteurs de 1 800 mégawatts chacun dans les cinq prochaines années. Plusieurs Etats, et notamment ceux dont le parc nucléaire est vieillissant, envisagent quant à eux d’investir dans un allongement de la durée de vie des réacteurs, de 30 à 40 ans, qui ne coûterait que 400 millions d’euros (soit dix fois moins que la construction d’une centrale). Pour le consommateur, cet investissement ne représenterait que 1,2 centime d’euro contre 2,8 centimes pour une centrale neuve.
14. L’allongement de la durée de vie des réacteurs amène inévitablement à la question fondamentale de la sécurité, impératif absolu aussi bien pour l’homme que pour son environnement naturel. Le rapport de M. Etherington 
			(3) 
			Commission
de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales,
«L’énergie nucléaire et le développement durable» (rapporteur: M.
Bill Etherington, Royaume-Uni, SOC), Doc. 11914. a montré combien l’énergie nucléaire était profitable au développement durable en raison de sa production minime de gaz à effet de serre. La sécurité est aujourd’hui communément admise comme étant la préoccupation première et il convient d’être le plus vigilant possible comme dans la construction de la future centrale nucléaire albano-croate sur les bords du lac Skadar en Albanie. Ainsi les investissements dans les centrales nucléaires comprendront des budgets spécifiquement liés à la sécurité pour rendre cette dernière encore plus fiable. Une directive en préparation de la Commission européenne devrait traiter de cette préoccupation majeure.
15. Enfin, le système de gestion des déchets représente l’un des défis majeurs de l’énergie nucléaire. Souvent décrié, celui-ci fait également l’objet d’attentions toutes particulières pour les Etats qui ont décidé d’investir dans le nucléaire. L’investissement financier et les recettes doivent bien évidemment se concentrer sur cette question si importante aussi bien pour la sécurité que pour le développement durable. Ainsi, des ressources financières devront être allouées pour couvrir les frais à long terme occasionnés par la gestion des déchets. Il serait fort souhaitable que s’organise une véritable concertation internationale sur la question centrale des déchets.

4. L’investissement à long terme

16. Outre les avantages liés à l’uranium et le coût des installations, l’énergie nucléaire offre également des perspectives économiques en terme d’investissement à long terme dans les domaines de la recherche ou de la formation nucléaire.
17. Investir dans la recherche nucléaire n’aboutit pas uniquement à la production d’énergie et d’électricité. Bien peu de gens savent que cette recherche a des applications bénéfiques dans de nombreux domaines qui touchent à la vie quotidienne des citoyens telle que la santé (matériels médicaux à base de radio-isotopes, recherches contre le cancer), le social et bien entendu l’environnement avec une réduction des gaz à effets de serre. Certes, il convient surtout de contrôler avec fermeté le commerce qui pourrait être fait de cette technologie dans le domaine militaire et aboutir à la production d’armes nucléaires.
18. Certaines universités en Belgique ou en Allemagne ont créé des cycles de formation sur la recherche nucléaire. Enfin, de nombreuses politiques de financement de la recherche nucléaire, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, ont été adoptées en Espagne, en Hongrie, en Allemagne ou au Royaume-Uni qui a investi plus de 10 millions de livres (en 2000). Toutes ces initiatives permettent de disposer d’une solide expertise dans ce domaine.
19. Concernant la formation aux métiers du nucléaire, elle représente un formidable défi économique. La plupart des spécialistes en conviennent: il y a pénurie de professionnels ou d’ingénieurs dans le domaine de l’énergie nucléaire. La formation a certes un coût mais elle constitue surtout la maîtrise d’une expérience, d’un savoir-faire pour un pays. Certains pays, devenus peu concurrentiels dans certains secteurs économiques où ils ne peuvent rivaliser avec le coût extrêmement faible de la main-d’œuvre asiatique ou indienne, vont, grâce à l’énergie nucléaire, dont le poids économique va s’accentuer durant les prochaines années, exporter leurs compétences. Pour un Etat, c’est également la valorisation économique d’un savoir-faire national, reconnu internationalement. C’est le choix qu’a fait par exemple la France avec son entreprise Areva qui fabrique le réacteur EPR et qui concurrence fortement ses homologues américains et japonais.
20. De plus, la construction de centrales nucléaires entraîne la création de milliers d’emplois en ces temps de crise économique qui voit le chômage augmenter dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe. Et même sans parler de créations d’emploi, l’énergie nucléaire permet également d’obtenir une électricité à un prix stable, condition essentielle à la croissance économique, à la prospérité industrielle et à la sécurité de l’emploi pour les salariés de ces mêmes industries.

5. Conclusion

21. Aucune politique énergétique n’est idéale car chacune présente des défauts, soit dans le respect de l’environnement ou en terme de développement durable, soit dans la sécurité absolue des installations. L’énergie nucléaire, malgré ses incontestables qualités, doit toujours être améliorée et progresser notamment dans l’extraction de l’uranium et dans la gestion des déchets.
22. Cette forme d’énergie apparaît cependant comme l’une des plus efficientes et des plus économiques des sources d’énergie dans une Europe qui augmentera dans les prochaines années, sa consommation d’électricité notamment. C’est aussi un pont lancé vers la recherche et le développement de nos sociétés. Mais ce pont doit aussi être franchi vers l’acquisition et le développement d’autres sources d’énergies, encore plus respectueuses de l’environnement et du développement durable telles que les énergies renouvelables et douces.

Commission saisie pour rapport: commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales.

Commission pour avis: commission des questions économiques et du développement.

Renvoi en commission: Renvoi 3333 du 16 avril 2007.

Projet d’avis approuvé à l’unanimité par la commission des questions économiques et du développement le 19 juin 2009.

Secrétariat de la commission: M. Newman, M. de Buyer, M. Chahbazian et M. Pfaadt.