1. Lors de la 15e Conférence
des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques,
qui se tiendra à Copenhague en décembre 2009, les Etats sont censés
convenir d’un nouvel accord mondial contraignant sur les mesures
à adopter pour lutter contre les changements climatiques. Cet accord
remplacera le Protocole de Kyoto, qui viendra à expiration en 2012.
2. En 1990, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC) écrivait déjà que les effets les plus lourds du
changement climatique concerneraient peut-être les migrations humaines
.
Dans son rapport de 2007, le groupe étayait cette prévision, en
indiquant que les changements climatiques augmenteraient le risque
de survenue d’urgences humanitaires, sous l’effet – entre autres –
d’une intensité plus forte des risques naturels
. Or cette question n’a
été que très récemment prise en compte dans les négociations et
les accords portant sur les changements climatiques. La communauté
internationale s’est principalement concentrée sur les aspects scientifiques
des changements climatiques, soucieuse de comprendre les processus
en jeu et d’atténuer l’impact de l’activité humaine. Il en est de
même du rapport préparé par M. Prescott pour la commission de l’environnement,
de l’agriculture et des questions territoriales.
3. Pourtant, le réchauffement climatique et la dégradation de
l’environnement qui en résulte pèseront probablement lourdement
sur la situation humanitaire et les droits de l’homme, ainsi qu’en
termes de sécurité, qui devraient être au cœur des préoccupations
du Conseil de l’Europe. Dans ce contexte, votre rapporteur rappelle
la
Recommandation 1823
(2008) – sur le réchauffement climatique et les catastrophes
écologiques – et la
Résolution
1655 (2009) – sur les migrations et déplacements induits par les
facteurs environnementaux: un défi pour le XXIe siècle
–, récemment adoptées par l’Assemblée. Cette dernière affirmait
que les mouvements de personnes contraintes de fuir des catastrophes
naturelles et d’autres problèmes environnementaux causés par le
réchauffement climatique figureront parmi les principaux défis que
les pays devront affronter dans les décennies à venir. La résolution
appelait à une meilleure coordination au plan international afin
de travailler à élaborer un plan d’action commun qui engloberait
la réduction des risques, la réponse humanitaire, l’adaptation et
le développement. L’instrument prônait également une meilleure identification
des lacunes existantes en matière de protection normative et opérationnelle
des personnes contraintes de se déplacer en raison de la dégradation
de l’environnement.
4. Votre rapporteur constate avec satisfaction que le processus
actuel de négociation en vue de l’accord post-Kyoto accomplit des
progrès modestes mais incontestables dans ce sens. Tandis que les
engagements du Protocole de Kyoto pour la période 1997-2012 étaient
surtout centrés sur l’atténuation des changements climatiques, le
nouveau projet de texte de négociation pour Copenhague traite des
conséquences qui ne peuvent plus être évitées, et de la nécessité
de l’adaptation aux changements climatiques
. Plusieurs organismes
d’aide de l’ONU et extérieurs à l’ONU ont insisté pour qu’un lien
soit établi entre les effets du changement climatique et la mobilité
humaine dans les objectifs convenus, et que cette mobilité figure
parmi les activités d’adaptation
. Il faut noter avec satisfaction
que le dernier projet de texte de négociation
fait référence
aux migrations (nationales et internationales) dans le cadre des
mesures d’adaptation. La communauté humanitaire demande que les
déplacements soient explicitement cités aux côtés des migrations, arguant
que la majorité des flux induits par les changements dans les conditions
climatiques et par la dégradation de l’environnement se produiront
à l’intérieur des frontières, et que les personnes contraintes de se
déplacer dans leur propre pays doivent bénéficier d’un dispositif
de protection spécifique.
5. Outre un paragraphe qui reconnaît la migration comme un moyen
d’adaptation, le projet d’accord évoque la gestion des risques et
la réduction des risques de catastrophe. Une autre partie du texte
suggère également que la priorité soit donnée aux besoins des personnes
(plutôt qu’aux Etats) les plus vulnérables. Votre rapporteur estime
que le premier pas est franchi dans la bonne direction; toutefois,
étant donné les possibilités offertes par l’accord de Copenhague,
les objectifs devraient être revus à la hausse.
1. Conséquences du réchauffement climatique sur la
vie humaine, les moyens de subsistance et la mobilité
6. La migration est connue comme l’une des plus anciennes
stratégies pour faire face à la dégradation des conditions environnementales,
mais l’activité humaine ayant contribué à provoquer un réchauffement climatique
et une dégradation de l’environnement à grande échelle, il convient
de prendre des mesures d’urgence.
7. Les catastrophes naturelles et la dégradation progressive
de l’environnement – inondations, tempêtes, sécheresses, élévation
du niveau de la mer et désertification – touchent un nombre de plus
en plus élevé de personnes chaque année, avec des effets néfastes
sur les vies humaines et sur les moyens de subsistance de nombreuses
communautés. Aujourd’hui, selon les estimations, neuf catastrophes
sur dix sont liées au climat, ce qui ne signifie pas nécessairement
qu’elles sont causées par le réchauffement climatique mais qu’elles
sont la conséquence de conditions météorologiques défavorables.
Durant la dernière décennie, le nombre total de personnes touchées
par ces catastrophes a brutalement grimpé, et désormais chaque année une
moyenne de 211 millions de personnes sont directement atteintes,
soit cinq fois le nombre de victimes attribuables à un conflit dans
le même temps
.
8. Selon les estimations, 50 à 200 millions de personnes devront
se déplacer d’ici le milieu du siècle en raison de la dégradation
des conditions environnementales, à l’intérieur ou à l’extérieur
des frontières, à titre permanent ou provisoire. Aujourd’hui déjà,
certaines estimations évaluent à plus de 30 millions le nombre de personnes
dans le monde qui sont déplacées en raison de la désertification,
d’inondations, de l’élévation du niveau de la mer et de conditions
météorologiques extrêmes, ce qui dépasse le nombre de déplacés qui
fuient les conflits armés et les persécutions. Le Conseil norvégien
pour les réfugiés a récemment fait savoir que 20 millions de personnes
avaient peut-être été déplacées durant la seule année 2008 en raison
de catastrophes naturelles brutales liées au climat.
9. Tandis que la migration constitue déjà une forme d’adaptation
pour certains, les millions de personnes qui se déplaceront probablement
pour fuir des sécheresses prolongées, des inondations ou des tempêtes
à répétition seront particulièrement vulnérables et requerront une
assistance et une protection solides. Comme le souligne la Résolution 1655
(2009) de l’Assemblée, les mouvements de population liés à l’environnement ne
découlent quasiment jamais d’une seule cause; les divers effets
et l’ensemble complexe de facteurs influents brouillent les notions
traditionnelles de migration et de déplacement.
10. Les spécialistes et les responsables politiques reconnaissent
de plus en plus que l’explosion du nombre de déplacés tant à l’intérieur
que vers l’extérieur de leur pays pour des raisons environnementales
ébranlera sous peu la sécurité humaine, la paix et le développement
socio-économique à l’échelle internationale.
11. Les dégradations de l’environnement n’ont pas toujours les
mêmes répercussions sur la vie des populations. Comme chacun sait,
la charge de subvenir aux besoins de ces migrants et déplacés pèsera
sur les pays les plus pauvres, qui sont fortement dépendants de
l’agriculture et n’ont pas les ressources et les moyens nécessaires
pour enrayer la crise environnementale. Les plus menacés sont les
groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes
âgées, les personnes handicapées et les populations autochtones
dans les pays les moins avancés, dont les capacités d’adaptation
aux effets des dégradations environnementales sont très faibles,
ainsi que ceux qui résident dans des zones côtières basses et dans
des zones extrêmement surpeuplées.
12. L’élévation du niveau de la mer posera également un nouveau
défi aux petits Etats insulaires de faible altitude. D’après certaines
prévisions, plusieurs d’entre eux, dont Tuvalu ou Kiribati, pourraient
disparaître entièrement, posant ainsi de difficiles questions d’apatridie.
2. Réponses aux schémas des mouvements de population
induits par les facteurs environnementaux
13. L’aspect fondamental du lien entre le réchauffement
climatique et les migrations est qu’il s’agit d’un processus mondial,
et qu’il incombe donc à la communauté internationale tout entière
d’engager des initiatives de prévention. Elle doit prendre des mesures
appropriées de prévention, d’adaptation et de réduction des risques
pour limiter la vulnérabilité des pays «sensibles» aux impacts des
catastrophes environnementales et gérer l’évolution des phénomènes
environnementaux.
14. Toute approche de ces questions environnementales qui ne tiendrait
pas compte des autres variables et processus ne permettra pas de
résoudre le problème
. Il est
indispensable d’associer la réduction des émissions à d’autres stratégies
afin de réduire les migrations induites par les facteurs environnementaux
et de renforcer la sécurité internationale.
15. Votre rapporteur souhaite insister sur deux composantes centrales
de l’action mondiale, qui doivent impérativement être intégrées
dans toute négociation internationale à venir sur l’atténuation
des effets du réchauffement climatique. La première concerne le
renforcement des capacités d’adaptation et des mesures de réduction
des risques, et la seconde l’amélioration des dispositifs de protection
et d’assistance en faveur des personnes contraintes de se déplacer
en raison de catastrophes naturelles et d’autres phénomènes environnementaux.
16. En particulier aux premiers stades de dégradation de l’environnement,
la migration peut constituer un mécanisme d’adaptation efficace
, permettant par exemple de diversifier
les sources de revenus. Dans d’autres cas, lorsque des personnes
quittent leur lieu de résidence habituel de leur propre initiative
ou sont évacuées ou transférées, la migration peut traduire une
adaptation manquée, tout en constituant la seule option de survie.
Ces derniers cas doivent être gérés par les instances nationales,
en collaboration avec la communauté internationale, pour garantir
l’assistance et la protection appropriées des personnes concernées. Ces
considérations doivent être prises en compte dans les politiques
nationales
, mais aussi dans les politiques
internationales.
17. Aux plans national et international, les politiques d’adaptation
mondiales devraient être cohérentes avec l’atténuation et d’autres
domaines stratégiques associés tels que le développement, l’action
humanitaire, la migration et la santé. Les organismes internationaux
de développement et d’aide humanitaire recommandent que les interventions
et les stratégies d’adaptation prennent en compte la mobilité humaine,
la santé et les incidences démographiques, ainsi que les conséquences
sociales et économiques. Il serait souhaitable qu’elles étudient
les conséquences humanitaires des dégradations environnementales
résultant du réchauffement climatique, notamment les migrations,
les déplacements et la nécessité de s’y préparer et d’y faire face.
Enfin, ces stratégies devraient éventuellement donner la priorité
aux besoins particuliers des populations les plus vulnérables, voire
celles les plus touchées par les dégradations de l’environnement,
dont les déplacés et ceux exposés à un risque de déplacement
.
18. Du point de vue du Conseil de l’Europe, la protection des
personnes contraintes de se déplacer en raison de facteurs climatiques
ou environnementaux est d’une importance cruciale.
19. La majorité des personnes déplacées en raison de catastrophes
naturelles ou des effets de conditions météorologiques défavorables
restent à l’intérieur de leur pays d’origine. La protection des
personnes déplacées dans leur propre pays du fait de catastrophes
brutales ou de la dégradation de l’environnement relève du cadre
normatif des Principes directeurs des Nations Unies relatifs au
déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays; ces
principes décrivent les droits spécifiques que les droits de l’homme
et le droit humanitaire internationaux leur confèrent directement
ou indirectement.
20. D’autres déplacements peuvent inclure le franchissement de
frontières d’Etats qui sont reconnues au plan international. Contrairement
à ce qui se passe pour les déplacements internes, il existe un vide
juridique majeur concernant ceux qu’une catastrophe brutale ou qu’une
dégradation progressive de l’environnement contraint de franchir
une frontière internationale. Ils peuvent uniquement prétendre au
statut de réfugié si leur gouvernement a sciemment refusé ou empêché
qu’une assistance leur soit portée afin de les punir ou de les marginaliser
pour l’une des cinq raisons spécifiées dans la Convention de 1951
relative au statut des réfugiés. En conséquence, ils n’ont droit
à aucune protection au titre du droit relatif aux réfugiés, car
les facteurs environnementaux qui entraînent le franchissement de
frontières internationales ne constituent pas en eux-mêmes des raisons
susceptibles d’accorder le statut de réfugié au titre de cette convention.
21. En outre, les mouvements transfrontaliers dus aux catastrophes
naturelles et aux dégradations de l’environnement posent des problèmes
spécifiques quant aux responsabilités de l’Etat d’origine et des
Etats hôtes. Le statut juridique et les droits de ces déplacés manquent
de clarté. Dans ces conditions, les Etats devraient envisager l’amélioration
des mécanismes de protection spécifiques pour les personnes qui
n’ont pas le statut de réfugié, mais dont le retour n’est pas réalisable
ou envisageable compte tenu des circonstances liées au lieu d’origine
et/ou à la situation personnelle, et notamment de vulnérabilités
particulières
.
22. Le principe fondamental du
non-refoulement, largement
employé dans les instruments relatifs aux droits de l’homme et dans
le droit coutumier international, stipule qu’aucune personne, quels
que soient son statut ou sa conduite, ne peut être renvoyée dans
un pays où sa vie ou son intégrité sont menacées
. Dans un certain sens,
lorsque le retour est impossible ou que l’on ne peut pas raisonnablement
l’exiger de l’individu, l’Etat étranger a lui aussi obligation,
au moins provisoirement, d’admettre la personne sur son sol. Toutefois, le
principe de
non-refoulement présente
une lacune certaine, car il ne fournit aucune indication pratique
quant à la façon de réglementer l’entrée et le statut spécifique
des déplacés dans le pays d’admission
. Il serait donc souhaitable
que les déplacés ayant franchi des frontières internes bénéficient
d’une protection subsidiaire, temporaire ou permanente si le retour
est impossible, comme le suggère la Résolution 1655 (2009) de l’Assemblée.
3. Conclusions et recommandations
23. Votre rapporteur constate avec satisfaction que les
conséquences du réchauffement mondial sur la mobilité ainsi que
les conséquences humanitaires sont de plus en plus reconnues, et
que ces notions ont été introduites dans le projet actuel de la
CCNUCC. Il juge souhaitable que la version finale du projet de résolution sur
les défis posés par le changement climatique préparé par la commission
de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales
tienne compte de cette évolution durant le processus de négociation.
24. Votre rapporteur tient à souligner que si la reconnaissance
est importante, le véritable défi consiste à élaborer des engagements
cohérents impliquant des politiques et une action mondiales dans
des domaines tels que:
- la prévention
des déplacements induits par les facteurs environnementaux, axée
sur l’atténuation, l’adaptation, la réduction des risques de catastrophe
et de la vulnérabilité, la sensibilisation du public, les alertes
précoces et l’amélioration des dispositifs de préparation, tout
en préservant le choix de migrer des individus;
- le renforcement des mesures d’assistance et de protection
internationales concernant les populations déplacées en raison des
effets négatifs du réchauffement climatique et des dégradations
de l’environnement, et la recherche de solutions durables en leur
faveur;
- le comblement des lacunes eu égard aux normes relatives
aux droits de l’homme et à leur exécution dans la protection des
migrants environnementaux ayant franchi des frontières internationales
en raison de catastrophes naturelles et de dégradations environnementales.
25. Les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe
devraient être incités à défendre ces questions dans le cadre des
négociations CCNUCC en cours. Le nouvel accord constituera la pierre
angulaire de toutes les grandes initiatives liées aux changements
environnementaux dans les années à venir. Il est donc de la plus
haute importance que les conséquences humanitaires, notamment celles
liées aux migrations et aux déplacements, et que les engagements
pour l’action soient inclus dans ce document.