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Rapport | Doc. 12174 | 26 février 2010

La situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. József BERÉNYI, République slovaque

Résumé

Les Roms, estimés entre 10 et 12 millions de personnes, constituent la plus grande minorité d’Europe et sont présents dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Cette minorité souffre de profondes discriminations depuis des siècles et est, aujourd’hui encore, souvent rejetée par le reste de la population en raison de préjugés bien ancrés. Par ailleurs, en ces temps de crise économique, cette minorité – très vulnérable – se révèle une cible facile et sert de bouc émissaire.

Force est de constater que les efforts engagés pour améliorer la situation des Roms ont eu jusqu’à présent des résultats très limités. La situation dans laquelle se trouvent les Roms en terme d’accès à l’éducation, à l’emploi, aux services de santé, au logement ou en terme d’intégration sociale reste bien souvent déplorable, voire scandaleuse.

Il est grand temps d’évaluer soigneusement les raisons des échecs des efforts déjà engagés, ou des réussites de certains projets, notamment en recueillant – à bon escient – des statistiques à caractère ethnique. Des mesures déterminées, efficaces, coordonnées et durables doivent être prises sans attendre.

Les Roms sont également très largement sous-représentés dans les organes politiques. Des mesures positives devraient être prises pour remédier à cette situation et améliorer la participation et la représentation des Roms dans la vie publique et politique, y compris au sein de l’Assemblée parlementaire.

A. Projet de résolution

(open)
1. Les Roms constituent la plus grande minorité d’Europe et sont présents dans pratiquement tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Tous les Etats membres – sans exception – ont l’obligation morale et légale de faire des efforts concrets et soutenus pour améliorer la situation des Roms et veiller à ce que leurs droits fondamentaux soient pleinement respectés.
2. L’Assemblée parlementaire est choquée par les graves actes de violence commis récemment contre les Roms dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, qui reflètent l’aggravation d’une tendance à un antitsiganisme de la pire espèce qui s’affirme en Europe.
3. Des groupes extrémistes profitent de la crise financière pour capitaliser sur les peurs engendrées par l’assimilation des Roms à des criminels, en choisissant un bouc émissaire qui représente une cible facile, les Roms étant l’un des groupes les plus vulnérables.
4. Cette situation rappelle les heures les plus sombres de l’histoire européenne. Le Conseil de l’Europe a été créé précisément pour empêcher que celles-ci ne se répètent. La Cour européenne des droits de l’homme condamne régulièrement les Etats où les Roms souffrent de maltraitance ou de discrimination.
5. En plus de l’effroyable montée de la violence contre les Roms, l’Assemblée note que le processus d’intégration de cette population n’a pas atteint ses objectifs ces vingt dernières années.
6. La Recommandation 1557 (2002) de l’Assemblée sur la situation juridique des Roms en Europe indiquait déjà que les objectifs fixés par la Recommandation 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe n’avaient été atteints que de manière limitée. L’Assemblée relève aujourd’hui avec beaucoup d’inquiétude que la situation actuelle n’a pratiquement pas changé, sinon pour le pire. Ce bilan est honteux si l’on considère la quantité de papier – et d’argent – consacrée à améliorer la situation des Roms à tous les niveaux.
7. Les Roms sont encore régulièrement victimes de l’intolérance, de la discrimination et du rejet nourris par des préjugés profondément ancrés dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. La situation des Roms en matière d’éducation, d’emploi, de logement et de santé est loin d’être satisfaisante. L’Assemblée est convaincue qu’un accès effectif et stable à l’éducation et à un logement convenable est la première mesure décisive pour briser le cercle vicieux de la discrimination dans lequel sont enfermés la plupart des Roms.
8. L’Assemblée exhorte donc tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à assumer leurs responsabilités et à se saisir avec sérieux et persévérance du problème de la situation des Roms.
9. L’Assemblée note que de nombreux Etats membres ont déjà adopté des stratégies nationales pour améliorer la situation et l’intégration des Roms. C’est une mesure positive mais insuffisante. Ces plans d’action doivent bénéficier d’un financement adéquat et à long terme ainsi que d’une coordination efficace. Enfin, la mise en œuvre de ces plans d’action doit aussi être assurée aux niveaux local et régional.
10. L’Assemblée souligne que de nombreuses initiatives restent trop isolées et trop limitées et qu’elles n’apportent donc que des réponses partielles. L’Assemblée appelle les Etats membres à adopter des politiques nationales fondées sur une approche intégrée. Les ministères compétents et les autres acteurs doivent agir de manière concertée car les problèmes auxquels se heurtent les Roms sont inextricablement liés.
11. L’Assemblée note également que les résultats concrets d’un large éventail de mesures – y compris les plans d’action nationaux – ne peuvent être correctement évalués puisque de nombreux gouvernements refusent de collecter des statistiques ethniques. Dans ces circonstances, il semble impossible d’identifier les mesures abouties ou d’améliorer celles qui le sont moins.
12. Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) estiment que la collecte de données ethniques est un outil fort utile pour évaluer l’impact des politiques en faveur des minorités et pour surveiller la discrimination. Ces données devraient en outre être ventilées par sexe.
13. L’Assemblée note avec inquiétude que les Roms restent extrêmement sous-représentés dans les organes élus et que leur participation à la vie publique et politique est limitée. La représentation et la participation des Roms étant tout aussi importantes que les mesures officielles, l’Assemblée exhorte la communauté rom à profiter de toutes les occasions pour être aussi active que possible.
14. Enfin, l’Assemblée relève une nouvelle tendance au sein des Etats membres qui est de considérer que la question des Roms est de la responsabilité des organisations internationales et européennes. Tout en étant convaincue de l’importance du rôle des organisations internationales – et surtout du Conseil de l’Europe – dans ce domaine, l’Assemblée répète que la principale responsabilité incombe aux Etats membres, qui ne sauraient s’y dérober: en effet l’éducation, l’emploi, l’intégration sociale, les services de santé et le logement sont presque entièrement du ressort des Etats.
15. L’Assemblée demande donc instamment aux Etats membres:
15.1. d’aborder la question des Roms non seulement sous l’angle d’un groupe socialement défavorisé mais aussi sous celui d’une minorité nationale titulaire des droits consacrés dans la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) et la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme;
15.2. d’adopter des plans d’action et des stratégies suivis sur le plan national, élaborés selon une approche intégrée conforme à la Recommandation Rec(2008)5 du Comité des Ministres sur les politiques concernant les Roms et/ou les Gens du voyage en Europe;
15.3. de veiller à ce que chaque ministère et institution administrative décentralisée ou locale disposent effectivement des structures opérationnelles capables de mettre en œuvre ces plans et ces stratégies et à ce qu’ils agissent de manière concertée;
15.4. de mettre en place des moyens de supervision de la manière dont les collectivités locales mettent en œuvre les volets des plans d’action et des stratégies nationales qui relèvent de leur compétence et de les sanctionner si elles ne le font pas;
15.5. de renforcer la participation et la représentation politiques des Roms aux niveaux national et local, notamment en leur délivrant les documents d’identité nécessaires, en éliminant la discrimination institutionnelle et les obstacles juridiques et/ou en attribuant des sièges réservés aux représentants roms au parlement ainsi que dans les organes locaux et régionaux élus;
15.6. de procéder à la collecte de données statistiques fiables – y compris de données ethniques et ventilées par sexe – assortie de garanties rigoureuses nécessaires pour éviter tout abus, conformément aux recommandations de l’ECRI et aux avis du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et d’analyser ces données finement pour évaluer les résultats et améliorer l’efficacité des plans et programmes existants;
15.7. de promouvoir une image positive de la diversité et de lutter contre les stéréotypes et les préjugés, y compris ceux liés au genre, en utilisant par exemple la campagne Dosta! conçue par le Conseil de l’Europe, et de condamner fermement et de poursuivre effectivement les actes d’antitsiganisme.
16. S’agissant de l’éducation, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres:
16.1. de mettre pleinement en œuvre la Recommandation no R (2000) 4 du Comité des Ministres sur l’éducation des enfants roms/tsiganes en Europe et la Recommandation Rec(2009)4 sur l’éducation des Roms et des Gens du voyage en Europe;
16.2. de supprimer la ségrégation à l’école en assurant un accès effectif et sans ségrégation des Roms à l’enseignement général et de développer leur scolarisation dans l’enseignement préscolaire;
16.3. de former correctement les enseignants, d’augmenter le nombre d’enseignants roms et de recruter – le cas échéant – des médiateurs scolaires roms;
16.4. le cas échéant – et si une telle demande existe au sein de la minorité rom – l’assister institutionnellement et légalement pour créer des écoles minoritaires basées sur sa propre langue et sur son identité;
16.5. d’augmenter le nombre d’élèves et d’étudiants roms dans le secondaire et à l’université, le cas échéant en réservant des places aux Roms;
16.6. d’effectuer, en collaboration avec les organisations de la société civile, des études intégrant la dimension de genre sur la situation des enfants issus des groupes minoritaires dans le système scolaire, en recueillant des statistiques sur leur taux de fréquentation et de réussite, leur taux d’abandon; leurs résultats scolaires et leur progrès, comme le recommande la Recommandation de politique générale no 10 de l’ECRI pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire.
17. S’agissant du logement, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres:
17.1. de mettre pleinement en œuvre la Recommandation Rec(2005)4 du Comité des Ministres sur l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe et de prendre sérieusement en considération l’avis du Comité d’experts sur les Roms et les Gens du voyage (MG-s-ROM) sur les conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe, adopté en octobre 2009;
17.2. de mettre pleinement en œuvre la recommandation de 2009 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre du droit au logement et de veiller à ce que les conditions de vie des Roms répondent aux critères du logement convenable;
17.3. de condamner sans équivoque toutes les agressions sur les quartiers, campements et camps roms et de poursuivre ceux qui en sont les auteurs;
17.4. de prendre des mesures urgentes pour empêcher les expulsions forcées des campements et des quartiers roms et – en cas d’expulsion inévitable – d’offrir des possibilités de relogement et/ou une indemnisation adéquate pour l’expropriation.
18. S’agissant de l’emploi, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres:
18.1. de mettre pleinement en œuvre la Recommandation Rec(2001)17 du Comité des Ministres sur l’amélioration de la situation économique et de l’emploi des Roms/Tsiganes et des voyageurs en Europe;
18.2. de mettre au point des politiques en faveur de l’emploi de la population rom en adoptant des programmes d’emploi globaux au niveau national et de surveiller leur mise en œuvre au niveau local;
18.3. ce faisant, d’adapter des politiques de l’emploi aux besoins des populations roms et des marchés au niveau local;
18.4. de s’appuyer sur les bonnes pratiques existantes, comme la mise en place de médiateurs pour l’emploi des Roms, ou la mise sur pied de programmes de stages destinés spécialement aux Roms dans la fonction publique afin d’augmenter leur représentation dans l’administration nationale et locale.
19. S’agissant de la santé, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres:
19.1. de mettre pleinement en œuvre la Recommandation Rec(2006)10 du Comité des Ministres relative à un meilleur accès des Roms et des Gens du voyage aux soins de santé en Europe;
19.2. d’améliorer l’accès des Roms aux services de santé, notamment en s’appuyant sur les bonnes pratiques existantes telles que les campagnes d’immunisation des enfants roms, la formation des médiateurs de santé roms et la mise en place de cliniques mobiles;
19.3. d’interdire et de sanctionner la stérilisation forcée et d’accorder des indemnisations à toutes les victimes.
20. L’Assemblée exhorte aussi en particulier les autorités compétentes à prendre des mesures immédiates et à reloger d’urgence les habitants des camps contaminés au plomb de Mitrovicë/Mitrovica (Kosovo 
			(1) 
			Cette
référence au Kosovo doit s’entendre conformément à la Résolution
1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies.).
21. L’Assemblée soutient en outre le renforcement et le développement du Forum européen des Roms et des Gens du voyage (FERV) – organisme paneuropéen unique – afin d’asseoir la représentation et la coordination des Roms au niveau européen.
22. En outre, l’Assemblée encourage vivement les délégations nationales auprès de l’Assemblée à inclure des membres issus de la minorité rom s’ils sont représentés au sein de leur parlement.
23. Actuellement, les roms ne sont pas du tout représentés au sein de l’Assemblée. Elle décide donc de proposer un accord de coopération entre l’Assemblée et le FERV, en vertu duquel des représentants du FERV auraient des contacts réguliers avec les commissions compétentes de l’Assemblée et pourraient assister à leurs réunions.
24. Enfin, compte tenu de l’urgence qu’il y a à améliorer la situation des Roms dans des domaines très variés, l’Assemblée décide de revenir sur cette question de manière plus approfondie en temps utile.

B. Projet de recommandation

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, souligne que la situation des Roms est un problème général qui touche tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle estime que cette question est suffisamment grave pour que le Conseil de l’Europe développe ses activités dans ce domaine en renforçant la visibilité de ses activités existantes en évitant ainsi que ces acquis soient dilués ou mal interprétés.
2. Le Conseil de l’Europe, pionnier de la défense de la protection des Roms, doit retrouver un élan dans son engagement de longue date à assurer une meilleure protection et une meilleure intégration sociale des Roms.
3. Tout en saluant le fait qu’un débat thématique ait eu lieu pendant la présidence espagnole (novembre 2008-mai 2009), l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
3.1. à maintenir la question de la situation des Roms en Europe au rang de ses priorités;
3.2. à attribuer un poste structurel et un bureau au coordinateur des activités relatives aux Roms/Gens du voyage du Conseil de l’Europe, afin de lui permettre de jouer son rôle de conseiller du Secrétaire Général et de coordonner efficacement les activités de l’Organisation;
3.3. à désigner un coordinateur thématique au Comité des Ministres, sur l’exemple réussi du coordinateur thématique pour les enfants;
3.4. à renforcer sa coopération à cet égard avec d’autres organisations internationales, en particulier dans le cadre du Groupe de contact informel des organisations intergouvernementales et des institutions sur les Roms, les Sintés et les Gens du voyage;
3.5. à redoubler d’efforts en vue d’une ratification rapide, par les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait, de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148) et du Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme.

C. Exposé des motifs, par M. József Berényi, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 14 mai 2007, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme m’a chargé, en tant que rapporteur, de préparer un rapport sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe (Doc. 11206). Ce rapport a été élaboré minutieusement suivant diverses étapes complémentaires. Deux auditions sur le sujet ont été organisées devant la sous-commission des droits des minorités: l’une lors de sa réunion de Bratislava, le 22 novembre 2007 
			(2) 
			Le procès-verbal de l’audition a été déclassifié
par la sous-commission; voir AS/Jur/Min (2007) PV 02. Ont participé
à cette audition: M. Dušan Čaplovič, Vice-Premier ministre de la
République slovaque pour la Société de la connaissance, des Affaires
européennes, des Droits de l’homme et des Minorités; M. Henry Scicluna,
coordinateur du Conseil de l’Europe pour les activités concernant
les Roms et les Gens du voyage; Mme Savelina
Danova-Roussinova, coordinatrice en chef de la recherche et de la
politique au Centre européen des droits des Roms (CERD); M. Andrey
Ivanov, conseiller en chef au développement humain du PNUD Bratislava,
et Mme Slavomira Macakova, directrice
exécutive de l’ETP Slovaquie, Centre du développement durable, ainsi
que Mme Botocova, plénipotentiaire (du
Gouvernement de la République slovaque) pour les communautés roms., et l’autre le 26 juin 2008 
			(3) 
			 Avec la participation
de M. Michaël Guet, chef de la Division des Roms et des Gens du
voyage du Conseil de l’Europe; M. Rudko Kawczynski, président du
Forum européen des Roms et des Gens du voyage; M. Régis Brillat, secrétaire
exécutif du Comité européen des Droits sociaux du Conseil de l’Europe;
Mme Sonia Parayre, du secrétariat de la
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et M. Thomas
Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.. Une autre audition a eu lieu devant la commission plénière le 18 mai 2009 à Targu Mures, qui portait plus précisément sur la situation des Roms en Roumanie 
			(4) 
			 Avec la participation d’un
certain nombre d’experts (représentants des ONGet
des autorités roumaines). Voir la liste intégrale des experts dans
le carnet de bord de la réunion, Carnet de bord AS/Jur no2009/04.
Le procès-verbal de l’audition figure à l’adresse internet suivante: 
			(4) 
			<a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2009/20090626_fjdoc29 2009.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2009/20090626_fjdoc29%202009.pdf</a>.. En outre, le rapporteur a effectué des visites d’information au Danemark (28-29 mai 2008) et en République tchèque (17-18 mars 2009).
2. Malgré les nombreux efforts déployés au niveau international, y compris de manière très dynamique au Conseil de l’Europe, la situation des Roms est un problème global qui touche tous les Etats membres de l’Organisation.
3. Dans ma note introductive initiale, j’ai déjà décrit en détail les activités du Conseil de l’Europe en la matière et souligné le rôle pionnier qu’il joue pour améliorer la situation des Roms. Depuis, ce document a été déclassifié par la commission et figure sur le site web de l’Assemblée 
			(5) 
			 <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080903_fjdoc29_2008rev.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080903_fjdoc29_2008rev.pdf</a>.. Considérant que les informations qu’il contient font partie intégrante du rapport, nous ne les répéterons pas (sauf pour mettre l’accent sur certaines recommandations). Dans cette seconde partie de mon travail, nous examinerons les aspects spécifiques de la situation actuelle des Roms en Europe. En outre, la commission des migrations, des réfugiés et de la population et la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes étant toutes deux saisies pour avis, nous n’aborderons pas les questions qui relèvent de leurs compétences respectives.

2. Définitions et chiffres

4. Les termes «Roms» et «Gens du voyage» sont définis comme suit dans l’annexe à la Recommandation CM/Rec(2008)5 du Comité des Ministres sur les politiques concernant les Roms et/ou les Gens du voyage en Europe: «l’expression “Roms et Gens du voyage” (…) désigne les Roms, les Sintés, les Kalés, les Gens du voyage et les groupes de populations apparentés en Europe, et vise à englober la grande diversité des groupes concernés, y compris les personnes qui s’identifient comme “tsiganes”» 
			(6) 
			 Le texte original
utilise le terme «Gypsies», mais l’équivalent en français est «Tsiganes». . Dans le présent rapport, le terme «Roms» englobe les Roms et les Gens du voyage au sens qui leur est donné dans la définition ci-dessus.
5. On estime que la population rom compte entre 10 ou 12 millions de personnes dans toute l’Europe. Dans certains Etats membres, le pourcentage de la population rom avoisine même les 10 %. Les Roms, qui sont la plus importante minorité en Europe, sont présents dans quasiment tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
6. De plus, il est important de noter que les Roms sont en Europe la plus importante minorité sans territoire compact et qu’ils ne bénéficient pas, comme les autres minorités nationales, de l’assistance d’un Etat-parent. Dans certains pays, la minorité rom n’est pas reconnue en tant que telle alors qu’elle y est implantée depuis plusieurs siècles 
			(7) 
			 Comme c’est, par exemple,
le cas au Danemark, en Italie ou aux Pays-Bas..

3. Un signal d’alarme

7. Je me suis demandé comment décrire au mieux la gravité de la situation dans mon rapport. J’ai décidé de laisser les faits parler d’eux-mêmes et de relater des événements et circonstances scandaleux dont les Roms ont été victimes récemment dans un grand nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe. Ces événements – lors desquels un certain nombre de droits fondamentaux des Roms ont été violés – sont plus éloquents qu’une longue analyse.
8. Rappelons que les faits choquants que nous exposons ci-après ne sont que quelques-uns des exemples d’une tendance à un antitsiganisme délétère qui se généralise en Europe.
9. Il ressort clairement de ces exemples que le processus d’intégration des Roms n’a pas atteint ses objectifs ces vingt dernières années. Leur intégration n’est pas suffisante pour leur éviter de devenir une cible facile pour les responsables politiques extrémistes et populistes.

3.1. Violence raciste/discours de haine raciale

10. Toute l’Europe connaît une montée de l’extrémisme, fortement alimenté par la crise économique. Comme le commissaire de l’Union européenne à l’égalité des chances, Vladimir Spidla, l’a si bien dit, «il semble que les Roms sont devenus la cible d’une violence raciste organisée alimentée par le populisme politique, le discours de haine et la médiatisation. Dans certains cas, les Roms sont les boucs émissaires des grands problèmes sociaux» 
			(8) 
			 ERIO,
E-News, 9 mars 2009..
11. Les extrémistes accusent les forces politiques de leur pays de ne pas protéger les citoyens contre la «criminalité tsigane». Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe (par exemple en Hongrie et en République tchèque), plusieurs manifestations provocatrices ont été organisées par des groupes/partis nationalistes radicaux dans des quartiers habités par des Roms.
12. Pendant sa visite à Litvinov (République tchèque), le rapporteur a appris qu’une telle manifestation avait été organisée le 17 novembre 2008 par le Parti des travailleurs tchèques (DS). Un groupe de 500 néonazis voulait défiler dans Janov (quartier habité principalement par des Roms, et que le rapporteur a visité). La police a réussi à les arrêter mais les combats de rue ont duré des heures. La police aurait découvert des douzaines d’armes dans les voitures des extrémistes. Au cours des mois qui ont suivi, plusieurs marches analogues ont eu lieu en République tchèque. Dans son rapport publié en septembre 2008, l’ECRI note que «des slogans contre les Roms ont été utilisés dans le cadre de campagnes électorales, notamment au niveau local, et la tenue de propos incendiaires contre les Roms semble parfois avoir été récompensée par des nominations à des postes plus élevés» 
			(9) 
			 CRI(2009)30, adopté le
2 avril 2009, publié le 15 septembre 2009.. Pendant sa visite, les autorités ont confirmé au rapporteur que l’on constatait un changement qualitatif dans la mouvance extrémiste: son professionnalisme accru (approche de la population, actions bien organisées sur le plan des médias). Le Gouvernement tchèque tente de répondre à cette évolution très dangereuse d’une manière organisée, notamment par le biais d’une campagne médiatique. Une plate-forme antiextrémiste – placée sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur et de la Police mais aussi d’autres organismes compétents – a été mise en place pour assurer une réponse coordonnée. Comme un représentant des autorités l’a dit au rapporteur, il est aussi nécessaire de mettre au point un outil pour prévenir l’infiltration systématique et globale des extrémistes dans la police, dans l’armée et dans les administrations pénitentiaires.
13. Outre les défilés anti-Roms, le nombre d’agressions brutales contre les Roms augmente aussi dans un certain nombre d’Etats membres.
14. En Bulgarie, en août 2007, un groupe d’environ 12 skinheads a agressé six Roms qui rentraient chez eux à Fakulteta, quartier majoritairement rom de Sofia. Quatre personnes ont été blessées dont l’une a dû être hospitalisée. Les victimes ont été interrogées par la Fondation Romani Baht, organisation de défense des droits des Roms, qui a déclaré que les victimes avaient demandé de l’aide par téléphone à la police du district mais que celle-ci avait refusé d’envoyer une patrouille.
15. En Croatie, des discours de haine raciale auraient été publiés en ligne après l’annonce que le gagnant du show télévisé populaire Big Brother choisi par les spectateurs était un Rom musulman. Ces propos extrêmement violents auraient été publiés en ligne sur un forum de suprématistes blancs 
			(10) 
			 Voir
l’article du 14 février 2006 par l’Association Dzeno basée à Prague
(Dzeno)..
16. Au cours du premier semestre de 2009, de violentes agressions racistes au cocktail Molotov ont visé des Roms en République tchèque. En avril, des cocktails Molotov ont été lancés dans la maison familiale de Robert Kudrik dans le village de Vitkov. L’incendie a complètement détruit la maison et gravement blessé les parents. Leur fille de 2 ans, Natálka, a été gravement brûlée à 80 % et est tombée dans le coma. Après cette agression, la police a arrêté quatre hommes, auteurs présumés du crime, les a inculpés de tentative de meurtre et les a placés en détention. En mai 2009, des incendiaires ont jeté deux cocktails Molotov dans la maison d’une autre famille rom dans le village de Zdiby, près de Prague. La télévision tchèque n’a fait état d’aucun blessé; la famille a réussi à éteindre le feu à temps. Les autorités pensent que les motifs de cet incendie étaient de nature raciste. En 2008, des Roms ont été blessés à l’occasion de plusieurs agressions.
17. Pendant la visite du rapporteur, les autorités ont insisté sur le fait que le ministère de l’Intérieur avait accompli beaucoup au cours des dernières années, par exemple grâce à des projets pilotes comme le recrutement d’assistants de police roms à Ostrava (et dans cinq autres villes du pays). La police est désormais tenue d’enquêter sur la nature éventuellement raciste de chaque crime. A Litvinov, les autorités ont signalé au rapporteur qu’il y avait depuis longtemps des Roms policiers dans la ville.
18. En France, au cours du second semestre de 2009, un campement rom a été investi par des fonctionnaires qui ont apposé des tampons sur la main ou sur le bras des personnes pour «mieux les identifier».
19. Le 24 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a conclu, dans l’affaire de Andreas Kalamiotis c. Grèce, que le Gouvernement grec avait violé l’article 2, paragraphe 3 (droit à une réparation effective), ainsi que l’article 7 (interdiction de la torture) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’affaire concernait l’absence d’une enquête effective sur des allégations de brutalités policières à l’encontre d’un Rom, Andreas Kalamiotis, le 14 juin 2001.
20. En février 2009, le Premier ministre de Hongrie a mis en garde sur la banalisation des agressions verbales à l’égard des Roms, des Juifs et des gays, devenues un «phénomène quotidien» 
			(11) 
			ERIO,
E-News, 9 mars 2009.. Selon les médias, depuis le début de 2008, au moins 15 incidents ont eu lieu en Hongrie: bombes incendiaires contre des habitations roms, deux logements de Roms attaqués à la grenade à main. A cette même époque, au moins six personnes d’origine rom ont été assassinées et d’autres grièvement blessées pendant ces incidents et d’autres. Dans la plupart des cas, la police a confirmé que les meurtres étaient motivés par le racisme 
			(12) 
			 Voir «Une sélection de cas
de violence contre les Roms en Hongrie 2008-2009», Human Rights
First, août 2009, <a href='http://www.humanrightsfirst.org/pdf/FD-080609-cases-violence-against-roma-hungary-08-09.pdf'>www.humanrightsfirst.org/pdf/FD-080609-cases-violence-against-roma-hungary-08-09.pdf</a>.
Plus généralement, le Centre européen des droits des Roms a enregistré
44 agressions contre les Roms et/ou leurs biens en Hongrie entre
janvier 2008 et septembre 2009..
21. Le 23 février 2009, un cocktail Molotov a été lancé sur la maison de la famille Csorba. Alors que M. Csorba tentait d’échapper à l’incendie, portant son fils Robi et tenant par la main sa fille de 10 ans, son fils et lui ont été abattus. Le 22 avril 2009, un Rom âgé de 54 ans, Kóka Jenő, a été abattu devant sa maison à Tiszalök. Le 3 août 2009, la violence a atteint un niveau record avec l’agression du domicile d’une femme rom de 45 ans, Maria Balogh. Celle-ci a été abattue et sa fille de 13 ans, Ketrin, grièvement blessée. L’enquête de police a établi un lien entre ces agressions.
22. Le 11 mai 2008, le journal italien La Repubblica a cité M. Roberto Maroni, ministre de l’Intérieur italien disant que «tous les campements roms doivent être démantelés sur-le-champ et les habitants soit expulsés soit incarcérés». Cette rhétorique contre l’insécurité a conduit à des abus évidents en Italie. Les autorités ont, entre autres, relevé les empreintes digitales de Roms, photographié des enfants roms, expulsé brutalement des Roms de leurs camps et laissé impunis de nombreux incendies criminels des cabanes où ils habitaient.
23. Le 12 mai 2008, trois jeunes Italiens ont mis le feu à l’entrée d’un campement rom à Ponticelli (Naples) après avoir répandu de l’essence autour du camp. Un certain nombre de cabanes isolées ont aussi été incendiées. Le 13 mai, un groupe d’environ 300 à 400 personnes de la population locale a attaqué l’un des plus grands campements roms du district qui abrite 48 familles roms. Cette nuit-là, un autre campement à Ponticelli a été évacué; ses habitants ont été relogés temporairement dans une école. Le 14 mai, deux groupes de cabanes ont été brûlés sous les acclamations de la population locale 
			(13) 
			 Pour
de plus amples informations sur ces agressions,
voir «Incident Report on the Violent attacks against Roma in the Ponticelli
district of Naples, Italy», par la FRA, disponible
sur: <a href='http://fra.europa.eu/fraWebsite/attachments/Incid-Report-Italy-08_en.pdf'>http://fra.europa.eu/fraWebsite/attachments/Incid-Report-Italy-08_en.pdf</a>. .
24. Parmi les autres faits rapportés, citons les incidents suivants: le 20 juin 2008, un missionnaire rom de l’Eglise pentecôtiste a été brutalement agressé par quatre policiers pour avoir relaté à la télévision l’agression subie par sa fille de 12 ans deux jours auparavant; le 29 juin, un jeune Rom a été roué de coups et chassé de la ville de Pesaro et un autre menacé de mort à Fano; un cocktail Molotov a été lancé sur un campement rom à la Magliana, près de Rome, le 23 juillet; un petit camp rom à Pise a été réduit en cendres le 26 juillet et ses habitants ont perdu tous leurs biens; le 28 juillet, un cocktail Molotov a été lancé sur un campement rom de 20 véhicules où vivaient des Sintés italiens en Toscane; le 19 août, un petit camp à Mestre a été incendié et le 2 septembre un campement proche de Padoue habité par des Sintés italiens a été réduit en cendres et deux jeunes personnes brûlées vives.
25. Pour de plus amples informations, le rapporteur renvoie aux rapports très complets du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui s’est rendu en Italie plusieurs fois après ces événements inquiétants 
			(14) 
			 Voir <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH(2008)18&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CommDH&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679'>CommDH(2008)18</a> et <a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?Index=no&command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1202950&SecMode=1&DocId=1390074&Usage=2'>CommDH(2009)16</a>.. D’autres incidents graves ont eu lieu en grand nombre depuis 2004 
			(15) 
			 Pour
de plus amples informations, lire l’article très complet de Scicluna,
H., «The life and death of Roma and Sinti in Italy: a modern tragedy», Roma Rights, 2, 2008..
26. En 2008, certaines communes de Roumanie, comme Brasov, ont construit des murs pour séparer les Roms de la communauté non rom. Un mur de ce genre a récemment été érigé dans le district de Beja au Portugal.
27. Le 10 septembre 2007, des hommes masqués ont fait irruption dans l’habitation d’une famille rom, les Lyalikov, à Ordzhonikidze, en Ingouchie (Fédération de Russie), et abattu le père et les deux fils adultes. La police a déclaré aux médias que le crime était motivé par la «haine ethnique». En outre, le 10 novembre 2005, dans la ville d’Iskitim (région de Novosibirsk en Russie), deux maisons de Roms ont brûlé dans des incendies apparemment criminels. Une femme rom a été grièvement blessée et son enfant de 7 ans est mort trois jours plus tard des suites de l’incendie.
28. Le Comité des Nations Unies contre la torture, saisi d’une affaire de violences et d’injures racistes à l’encontre d’un Rom, a rendu, le 8 mai 2009, une décision concluant que la Serbie avait violé plusieurs dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. M. Osmani a été battu et injurié par ce que l’on pense être des policiers en civil, en présence de policiers en uniforme pendant une expulsion forcée et une opération de démolition du campement «Antena» à Novi Beograd, qui abrite quelque 107 Roms. Pendant l’incident, le fils de M. Osmani, âgé de 4 ans, a également été frappé.
29. A Košice, en République slovaque, six enfants roms (âgés de 11 à 16 ans) ont été victimes de sévices infligés par la police, en avril 2009. Ils ont été contraints par des policiers à se déshabiller, à se gifler et s’embrasser les uns les autres. Les scènes ont été filmées par les policiers.
30. Dans son rapport publié en septembre 2009, l’ECRI «note avec inquiétude qu’il y a eu des cas d’antitsiganisme ces dernières années en Suisse, notamment au travers de propos tenus par des figures politiques aux niveaux local et national et repris dans les médias» 
			(16) 
			 CRI(2009)32,
adopté le 2 avril 2009, publié le 15 septembre 2009..
31. Dans les régions de Chernigiv et d’Odessa en Ukraine, des affiches ont été placardées dans les rues, demandant à la population d’appeler immédiatement la police pour signaler les Roms.
32. En juin 2009, la diaspora rom de South Belfast (Royaume-Uni) a été victime de violentes agressions racistes. Plus de 100 personnes ont été chassées de chez elles à la suite de ces incidents où des gangs ont brisé des fenêtres des logements et s’en sont pris aux voitures.

3.2. Discrimination dans le domaine de l’éducation

33. Tout le monde s’accorde à dire que l’accès à l’éducation est fondamental. Pourtant, les enfants roms restent exclus d’une éducation de qualité dans de nombreux Etats membres. Soit ils sont victimes de ségrégation et mis dans des classes réservées aux Roms, abusivement considérés comme inadaptés aux classes normales (et casés dans des écoles pour enfants handicapés) soit – pire – ils ne peuvent tout simplement pas être scolarisés. La langue et l’isolement géographique sont également autant d’obstacles auxquels se heurtent les Roms pour accéder à l’éducation.
34. Tant que les Roms auront un accès limité en termes de scolarisation, leurs perspectives d’emploi futures resteront limitées. En conséquence, il sera extrêmement difficile d’améliorer la participation de cette communauté à la vie économique et politique, et donc sa situation globale.
35. L’accès à une éducation de qualité est un facteur fondamental pour aider à améliorer substantiellement la situation des Roms en Europe. L’absence d’une éducation correcte rend difficile l’accès à un bon emploi. Il incombe aux autorités de briser ce cercle vicieux, en proche coopération avec la minorité rom dans toute l’Europe.
36. Le rapporteur salue dans ce contexte les efforts notables déployés par plusieurs Etats pour scolariser les enfants roms ou pour éliminer la ségrégation à l’école (dont plusieurs bons exemples sont donnés ci-dessous). Dans de nombreux Etats membres, la ségrégation des enfants roms à l’école reste toutefois une réalité.
37. En République tchèque, la ségrégation des Roms dans l’enseignement primaire reste très inquiétante. Les élèves roms sont souvent placés dans des écoles spéciales «(…) conçues pour des enfants et des élèves âgés de 3 à 19 ans atteints de handicaps mentaux et/ou physiques, souffrant de déficiences auditives, visuelles et/ou de parole, et de troubles du développement» 
			(17) 
			 Bureau
statistique tchèque, Statistical Yearbook
of the Czech Republic 2004, 2005, disponible à l’adresse
internet suivante: <a href='http://www.czso.cz/eng/redakce.nsf/i/home'>www.czso.cz/eng/redakce.nsf/i/home</a> (consulté
le 12 octobre 2005).. La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la République tchèque dans l’affaire D.H. et autres c. République tchèque, en concluant à une violation de l’article 14 combinée avec l’article 2 du Protocole no 1 (droit à l’éducation) parce que les requérants avaient été placés dans des écoles spéciales à cause de leur origine rom 
			(18) 
			 D.H. et autres c. République tchèque [Grande
chambre], Requête no 57325/00, 13 novembre
2007.. Cet arrêt est d’autant plus important que la pratique des écoles spéciales, qui est condamnée depuis plusieurs années maintenant, est très répandue. Pendant la visite du rapporteur en République tchèque, les autorités ont mis en avant le rôle des assistants pédagogiques considéré comme très positif. A la suite du «rapport Gabal» (établi par un consultant indépendant) et du jugement de la Cour, le rôle et la nécessité des écoles préparatoires ont été réévalués. Le ministre de l’Education est favorable à une discrimination positive et à une action affirmative pour améliorer l’accès des Roms à l’éducation. Toutefois, les autorités n’ont pu, faute de données ethniques, dire au rapporteur si les mesures prises jusqu’à présent avaient porté leurs fruits. C’est la raison pour laquelle le ministère de l’Education a commandé, en complément, d’autres études sur l’éducation des Roms et leurs possibilités d’être scolarisés dans des établissements ordinaires. Il est évident que les enfants d’origine rom devraient avoir accès aux structures préscolaires et c’est l’angle d’attaque adopté par le ministère de l’Education qui souhaite renforcer les mesures pour les enfants «socialement vulnérables» de 0 à 4 ans. Par ailleurs, les autorités ont insisté sur leur volonté d’aborder la question du point de vue des enseignants. Les enseignants ne connaissent pas suffisamment les conditions de vie des enfants «socialement vulnérables» (dont les Roms). C’est pourquoi le ministère de l’Education a l’intention de promouvoir une meilleure préparation des enseignants pendant leurs études universitaires. Le rôle positif des assistants pédagogiques d’origine rom a été mis en avant.
38. Il est particulièrement inquiétant que la persistance de classes réservées aux Roms, même dans les établissements scolaires ordinaires, ait été confirmée au rapporteur. Autre problème: jusqu’à présent, la législation ne permet qu’aux écoles spéciales de recevoir un soutien financier pour les enfants «socialement vulnérables». Le vice-ministre de l’Education a assuré au rapporteur que les autorités souhaitaient modifier la loi pour permettre aux écoles ordinaires de recevoir ce type de soutien financier.
39. S’agissant des «écoles spéciales», les représentants des ONG estiment que la réforme de 2004 (la nouvelle loi sur l’école de 2004 – loi no 561/2004) n’a été qu’une simple opération cosmétique: les établissements scolaires ont changé de nom mais sont restés les mêmes 
			(19) 
			 Pour de plus
amples détails, voir <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Czech_Republic/CZE-CbC-IV-2009-030-FRE.pdf'>CRI(2009)30</a>,
paragraphe 73 et suivants.. Toutefois, une mesure importante a été prise: il est maintenant possible de passer des écoles primaires «spéciales» aux écoles secondaires générales (même si cela restera probablement très difficile dans la pratique).
40. En Bulgarie également, le taux de scolarisation des enfants roms est largement inférieur à celui des enfants issus du reste de la population. En outre, les écoles où la ségrégation est appliquée (qui accueillent principalement des enfants roms) disposent de moins bonnes infrastructures que les écoles générales, et de moins de ressources et de matériel 
			(20) 
			 International Journal for Equity in Health, 2009,
8, p. 24, voir <a href='http://www.equityhealthj.com/'>www.equityhealthj.com</a>.. Selon le recensement de 2001, 18,1 % des Roms étaient alors analphabètes.
41. Au Danemark, la pratique des classes réservées aux Roms dans la ville de Helsingor (où réside la plus grande communauté rom du pays: environ 200 familles) a été jugée illégale en 2004, en vertu de la loi sur les établissements scolaires publics. Si ces classes sont fermées depuis 2005, les représentants des ONG signalent que la ségrégation persiste dans les faits. A Helsingor, les autorités locales ont décidé de réduire les allocations financières en cas d’absentéisme scolaire. A la suite d’une décision du conseil municipal, qui a jugé cette pratique illégale, la loi a été modifiée pour légaliser la pratique à condition de respecter des critères très stricts. Les enseignants sont formés pour pouvoir enseigner le danois en deuxième langue. Avec l’aide de «dames du matin» (consultantes du conseil municipal qui sont chargées d’aller chercher chez eux les enfants qui ne viennent pas à l’école), les autorités locales espèrent faire augmenter la fréquentation scolaire des enfants roms. Elles ont signalé au rapporteur qu’aucune initiative n’avait été prise à ce jour pour sauvegarder la langue romani.
42. L’ECRI, dans son Troisième Rapport sur la France, s’inquiète de ce que certains enfants roms n’ont pu s’inscrire dans des écoles de ce pays 
			(21) 
			 ECRI, Troisième Rapport sur la France,
CRI(2005)3, paragraphe 95.. Qui plus est, le Commissaire aux droits de l’homme, dans son mémoire de novembre 2008 consécutif à sa visite en France, a signalé que malgré l’obligation de scolarité et une demande de plus en plus insistante des Gens du voyage français d’envoyer leurs enfants à l’école, certaines communes continuent de refuser d’admettre ces enfants dans les écoles primaires, en prétextant de la brièveté de la période de scolarité due au mode de vie itinérant, d’une procédure d’expulsion en cours ou du manque de place dans les écoles. En février 2007, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a rendu une décision concernant un maire qui avait refusé l’accès à l’école à 14 enfants Gens du voyage français 
			(22) 
			 CommDH(2008)34,
Mémoire de Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, après sa visite en France du 21 au 23 mai
2008, paragraphe 142..
43. Dans son rapport sur la Grèce, publié en septembre 2009, l’ECRI «note avec préoccupation que les Roms continuent d’être défavorisés en matière d’éducation. Certaines écoles refusent toujours d’inscrire des enfants roms» 
			(23) 
			 <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Greece/GRC-CbC-IV-2009-031-FRE.pdf'>CRI(2009)31</a>,
adopté le 2 avril 2009, publié le 15 septembre 2009..
44. Pendant l’audition devant la commission, à Targu Mures, des représentants des ONG ont fait part de certains progrès accomplis dans le domaine de l’éducation en Roumanie, principalement grâce aux 400 médiateurs scolaires (eux-mêmes Roms) et aux inspecteurs roms. Des places sont aussi réservées aux Roms dans les écoles secondaires et à l’université. Un nouveau programme appelé «L’école maternelle pour tous», qui devrait toucher 8 000 enfants qui ne fréquentent actuellement pas l’école maternelle, pour les préparer à entrer directement à l’école primaire, devait commencer en août 2009. Les questions de discrimination dans l’éducation et de ségrégation scolaire seraient régulièrement à l’ordre du jour du ministère de l’Education. Le ministère a adopté un arrêté pour interdire la ségrégation scolaire et des méthodes visant à la prévenir dans la pratique.
45. Selon Amnesty International, les enfants roms en Slovaquie sont recensés comme élèves de «milieux socialement défavorisés» et, à ce titre, perçus comme ayant des besoins pédagogiques spéciaux à l’instar des élèves handicapés. La politique du Gouvernement slovaque concernant la minorité rom comprend un objectif de différenciation des enfants roms des élèves handicapés; toutefois, cette distinction importante est toujours absente de la loi sur l’éducation de 2008. Faute de définition claire, le placement scolaire des enfants roms reste ouvert à la discrimination 
			(24) 
			 «Roma
Children Still Lost Out», Amnesty International, juin 2009, disponible
à l’adresse internet suivante: <a href='http://amnesty.org/en/library/asset/EUR72/004/2009/en/1015c34e-304f-473d-9a1e-9d2a1548c4da/eur720042009en.pdf'>http://amnesty.org/en/library/asset/EUR72/004/2009/en/1015c34e-304f-473d-9a1e-9d2a1548c4da/eur720042009en.pdf</a>. .
46. En Espagne, on a signalé des incidents où des parents non roms se sont opposés avec véhémence à l’intégration d’enfants roms dans les écoles.

3.3. Discrimination dans le domaine du logement

47. En octobre 2009, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a conclu qu’«il est clair (…) qu’un grand nombre de Roms et de Gens du voyage dans l’Union européenne ne bénéficient pas de l’égalité de traitement dans ce domaine et vivent dans des conditions médiocres bien inférieures aux critères minimums de logement convenable» 
			(25) 
			 FRA, «Housing conditions of Roma and
Travellers in the European Union», rapport comparatif, octobre 2009.. Dans son rapport de situation 2008, l’OSCE note que «les conditions déplorables de logement et de vie d’un grand nombre de Roms et de Sintés restent un problème urgent» et s’inquiète de l’augmentation du nombre d’expulsions forcées et d’opérations de démantèlement des campements 
			(26) 
			 Voir Rapport de situation 2008 «Mise
en œuvre du plan d’action pour l’amélioration de la situation des
Roms et des Sintis dans l’espace de l’OSCE», OSCE/BIDDH.. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe partage ces opinions et, tout en rappelant que les Roms sont parmi les personnes qui se heurtent aux plus grandes difficultés à cet égard, il a publié une recommandation sur les droits au logement 
			(27) 
			 <a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?Index=no&command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1269019&SecMode=1&DocId=1422636&Usage=2'>CommDH(2009)5</a>,
30 juin 2009.. Dans ce contexte, il souligne que les droits au logement sont d’une importance fondamentale pour la jouissance effective de la plupart des droits fondamentaux et qu’ils doivent être mis en œuvre en parfaite conformité avec le principe de non-discrimination. Dans son rapport susmentionné, l’Agence des droits fondamentaux va jusqu’à considérer que la ségrégation en matière de logement est parfois «le résultat d’une politique délibérée du gouvernement».
48. Dans le domaine du logement, l’absence de sécurité de bail (combinée aux expulsions forcées), l’absence de sites d’accueil permanents ou transitoires, le racisme et la discrimination sont les problèmes les plus aigus auxquels sont confrontés les Roms.
49. Pendant sa visite en République tchèque, le rapporteur a visité le «dortoir» des «inadaptables» (on peut s’interroger sur la justesse de ce terme…) U Bileho sloupu, à Litvinov. Le rapporteur a constaté que le dortoir – des sortes de baraquements très sommairement équipés (probablement l’un parmi les nombreux que compte le pays) n’était pas en bon état. Des problèmes réguliers de chauffage et d’électricité ont été signalés (et confirmés par les autorités); le rapporteur a été très surpris du montant du loyer, 3 600 couronnes par adulte (environ 140 euros) et 300 couronnes par enfant. Ce prix semble très élevé comparé au salaire moyen en République tchèque, compte tenu des ressources évidemment très limitées de ses habitants et, surtout, vu l’état des lieux. Le rapporteur a été informé par le gouvernement que 60 projets avaient été montés pour lutter contre l’exclusion sociale des Roms, dont un prévoit, par exemple, la réhabilitation du logement pour les Roms à Prěrov. Une chose plus que nécessaire!
50. Le rapporteur s’inquiète aussi beaucoup d’une pratique qui lui a été signalée par les autorités locales pendant sa visite à Litvinov. Selon celles-ci, l’augmentation considérable du nombre des habitants roms dans la ville était due à la pratique de l’agence publique pour l’immobilier de Prague qui consistait à payer les dettes des familles roms pour obtenir d’elles, en contrepartie, qu’elles acceptent de quitter leurs appartements à Prague et de s’installer dans des villes plus petites comme Litvinov, et spécialement Janov. Apparemment, cela permettrait à cette agence d’avoir de nouveaux accès aux appartements dans certains quartiers de Prague en vue de les réhabiliter pour obtenir des loyers plus élevés.
51. Dans son Troisième Rapport sur la France, l’ECRI a noté des allégations d’expulsions collectives forcées de familles roms de leur campement sans possibilité de relogement. L’ECRI a aussi fait part de son inquiétude, car ces expulsions auraient été violentes et suivies de la destruction immédiate des biens et des effets personnels qui étaient restés à l’intérieur 
			(28) 
			 ECRI, Troisième Rapport sur la France,
CRI(2005)3, paragraphe 96.. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a aussi noté que les expulsions étaient un problème particulièrement aigu – plongeant les familles dans un climat de peur – surtout quand elles ne font pas l’objet de négociations préalables et que les habitants ne reçoivent aucun préavis. Le Commissaire aux droits de l’homme a relevé aussi que la plupart des groupes roms en France vivaient dans des bidonvilles sordides, souvent sans accès à l’eau ou à l’électricité. Les ordures ne sont collectées que de manière sporadique et les conditions d’hygiène sont souvent déplorables. Certains camps n’ont même pas de toilettes 
			(29) 
			 CommDH(2008)34,
Mémoire de Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, après sa visite en France du 21 au 23 mai
2008, paragraphe 158.. Cependant, le rapporteur se félicite que la loi française oblige les autorités locales à mettre des sites équipés à la disposition des Roms.
52. Dans une lettre adressée le 19 décembre 2007 à M. Prokopis Pavlopoulo, ministre de l’Intérieur de Grèce, de l’Administration publique et de la Décentralisation, M. Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a fait état de son inquiétude à propos de la situation de la commune athénienne de Votanikos où un grand nombre de Roms sont menacés d’expulsion imminente. De plus, tout en encourageant les autorités grecques à poursuivre la mise en œuvre du système de prêts au logement pour les Roms, l’ECRI se dit préoccupée par les conditions de vie de certains Roms «qui ne répondent pas aux normes découlant du droit international, ce qui est inadmissible», dans les campements d’Aspropyrgos et de Spata près d’Athènes 
			(30) 
			 <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Greece/GRC-CbC-IV-2009-031-FRE.pdf'>CRI(2009)31</a>,
adopté le 2 avril 2009, publié le 15 septembre 2009..
53. Amnesty International signale qu’en Italie, en mars 2009, les Roms vivant sous la bretelle de contournement de Bacula au nord de Milan ont été expulsés sous la contrainte par les autorités locales. Selon les journaux locaux, 70 des 150 Roms qui y vivaient ont été dispersés sans possibilité de relogement. Des descentes de police illégales ont lieu fréquemment 
			(31) 
			 Voir
le site <a href='http://www.amnesty.org/en/news-and-updates/news/roma-forcibly-evicted-milan-settlement-20090331.'>www.amnesty.org/en/news-and-updates/news/roma-forcibly-evicted-milan-settlement-20090331.</a> dans les habitations et campements roms et plusieurs exemples d’expulsion/démolition de masse très médiatisés de campements roms ont été signalés au cours du premier semestre de 2008 
			(32) 
			 Page 22, Security a la Italiana, disponible
sur <a href='http://www.errc.org/db/03/4D/m0000034D.pdf'>www.errc.org/db/03/4D/m0000034D.pdf</a>. .
54. Les conditions de logement déplorables sont courantes au Monténégro où un grand nombre de Roms vivent dans des camps de fortune ou non officiels d’où sont souvent absents les équipements et services rudimentaires. L’expulsion des campements illégaux ou parfois des résidences légales reste un problème grave 
			(33) 
			 CommDH(2008)25, Rapport du Commissaire
aux droits de l’homme sur sa visite au Monténégro (2-6 juin 2008), paragraphe
108..
55. En Serbie, environ 250 Roms, y compris des enfants en bas âge, des personnes âgées et des infirmes, ont été expulsés d’un campement provisoire à Novi Beograd le 3 avril 2009. Les bulldozers accompagnés de policiers sont arrivés pour nettoyer le site très tôt le matin avant même que l’avis officiel d’expulsion n’ait été présenté à la population. Au moins 50 habitations de fortune ont été détruites sous le regard impuissant de leurs anciens occupants. Des possibilités temporaires de relogement dans des conteneurs ont été mises à disposition dans un autre quartier de Belgrade mais la population locale a tenté de les incendier pour empêcher les Roms de s’y installer 
			(34) 
			 Voir le site <a href='http://www.amnesty.org/en/for-media/press-releases/serbia-roma-evictions-endanger-people%E2%80%99s-lives-20090408'>www.amnesty.org/en/for-media/press-releases/serbia-roma-evictions-endanger-people%E2%80%99s-lives-20090408</a>..
56. Selon l’ECRI, au Royaume-Uni, les Roms qui achètent des terrains ont beaucoup de mal à obtenir des permis de construire. Compte tenu des difficultés qu’elle rencontre pour accéder à un logement répondant à ses besoins, une partie importante de la population rom non sédentarisée vit dans des campements non autorisés, souvent situés dans des endroits inadaptés, sans accès aux services et équipements rudimentaires 
			(35) 
			 ECRI, Troisième Rapport sur le Royaume-Uni,
CRI(2005)27, paragraphe 122..

3.4. Discrimination en matière d’accès à l’emploi

57. L’absence d’instruction et de qualifications figure parmi les raisons qui expliquent le taux de chômage beaucoup plus élevé chez les Roms que dans le reste de la population. Dans ce domaine, le rapporteur exhorte les Etats membres à mettre pleinement en œuvre la Recommandation Rec(2001)17 du Comité des Ministres sur l’amélioration de la situation économique et de l’emploi des Roms/Tsiganes et des Gens du voyage en Europe.
58. L’ECRI constate la discrimination généralisée contre les Roms dans le secteur de l’emploi au Danemark, en relevant que nombre d’entre eux sont relégués à des emplois subalternes 
			(36) 
			 ECRI, Troisième Rapport sur le Danemark,
adopté le 16 décembre 2005, rendu public le 16 mai 2006 (CRI(2006)18).. A Helsingor, deux travailleurs sociaux ont été chargés par le service de l’emploi de travailler spécifiquement avec les Roms. Les Roms leur étaient toujours adressés quel que soit le but de leur requête. Cette mesure – ostensiblement destinée à fournir de meilleures réponses aux besoins des Roms – n’était pas facultative: les Roms avaient l’obligation de ne s’adresser qu’à ces deux personnes. Cette mesure a donc été considérée comme discriminatoire.
59. En Lettonie, le 25 mai 2006, le tribunal de la cité de Jelgava a conclu à un acte de discrimination en matière d’accès à l’emploi dans une affaire civile dont il a été saisi par le Bureau national letton des droits de l’homme (LNHRO) au nom d’une femme rom. A la fin de 2005, cette femme rom s’était rendue au LNHRO après s’être portée candidate pour un emploi de vendeuse à la société Palso. Envoyée pour l’entretien par le bureau de placement de Lettonie, elle se plaignait de ce que la personne qui avait procédé à l’entretien lui aurait dit qu’elle ne convenait pas au poste à cause de son accent en letton, sans même considérer ses qualifications. Cette femme rom pensait que la réaction de cette personne était due à son appartenance ethnique; c’est pourquoi, faute d’accord à l’amiable avec Palso, le LHNRO a intenté une action au civil, en demandant une réparation pour dommages moraux. Dans sa décision du 25 mai, le tribunal de la ville de Jelgava a ordonné à Palso de verser 1 000 lats lettons (environ 1 420 euros) de dommages et intérêts à cette femme rom.
60. Selon l’ECRI, au Royaume-Uni, les Roms sont victimes de discrimination concernant le recrutement et de harcèlement sur le lieu de travail. Les Roms sont aussi défavorisés sur le marché du travail, faute d’avoir une adresse permanente, notamment en ce qui concerne la création d’entreprises privées 
			(37) 
			 ECRI, Troisième Rapport sur le Royaume-Uni,
CRI(2005)27, paragraphe 126..
61. Ces dernières années, de bonnes pratiques ont été mises en place. Citons, entre autres, la création et la formation de «médiateurs pour l’emploi des Roms» en Bulgarie et des «foires de l’emploi» visant à favoriser l’accès des Roms au marché du travail en Roumanie. Des initiatives spéciales pour l’emploi en Irlande pour les Gens du voyage, lancées par l’Autorité nationale de la formation et de l’emploi (FAS) en 2005-2006, ainsi que la création de «groupes interorganismes sur les Gens du voyage», chargés de la promotion de la coordination locale des organismes compétents et des représentants des Gens du voyage; la résolution adoptée en 2008 par le Gouvernement de la République tchèque pour promouvoir l’Agence de l’intégration sociale des Roms et le projet Dobra – qui aurait permis la diminution du chômage des Roms dans la ville de Janov (de 900 à 500) – sont des exemples de bonnes pratiques qui méritent d’être relevés. On a fait remarquer que l’une des idées maîtresses de l’Agence pour l’intégration sociale des Roms est de s’appuyer sur des partenariats locaux, qui sont les mieux placés pour évaluer les besoins et mettre en œuvre le programme au niveau local. Le rapporteur note également avec intérêt la création, pour l’instant dans cinq bureaux de l’emploi en République tchèque, et de «certificats de non-discrimination» pour les employeurs qui soumettent leurs règlements et procédures à un audit. Le «Programme de stages pour les Gens du voyage» dans la fonction publique en Irlande est aussi une initiative particulièrement intéressante.
62. Pour être couronnés de succès, les projets et mesures visant à intégrer les Roms sur le marché du travail doivent prendre en compte les besoins et les difficultés de la population rom – causées non seulement par le chômage, souvent de longue durée, qui les touche, mais aussi par les problèmes de diversité culturelle et leur mode de vie – ainsi que les spécificités du marché local de l’emploi dans les zones où ils vivent.

3.5. Discrimination dans le domaine de la santé

63. Comme le note l’OSCE dans son rapport de situation 2008, «l’espérance de vie moyenne des Roms est inférieure d’environ dix ans à celle de la majorité de la population». Cela illustre l’évidente inégalité entre les Roms et le reste de la population en matière d’accès aux services de santé préventive et de soins. Là aussi, la question de l’accès à la santé est liée à d’autres problèmes auxquels les Roms sont confrontés (manque d’instruction, pauvreté, exclusion sociale…). En outre, les Roms qui vivent dans des zones de ségrégation et des ghettos (qui manquent pour la plupart des équipements de base comme l’eau courante, l’électricité et les sanitaires) ont encore plus de mal à accéder aux services de santé que ceux qui vivent dans des villes au sein de la population majoritaire. Une étude récente montre que l’isolement géographique et les barrières linguistiques jouent aussi un rôle important dans les difficultés des Roms à accéder aux services de santé et à comprendre les réformes de santé 
			(38) 
			 Rachel,
B., Blackburn, C.M., Spencer, N.J. et Rechel, B., «Access to health
care for Roma children in Central and Eastern Europe: findings from
a qualitative study in Bulgaria», International
Journal for Equity in Health, 8, 30 juin 2009, p. 24.. Selon cette étude, c’est la pauvreté qui est l’obstacle le plus important à l’accès des Roms aux services de santé (à cause du coût des transports publics pour se rendre au centre sanitaire le plus proche et du prix prohibitif des médicaments).
64. Le Comité européen des Droits sociaux a conclu en 2008 à une violation par la Bulgarie de la Charte sociale européenne pour ne pas avoir fourni une assistance médicale adéquate (article 13.1). Dans sa décision dans CERD c. Bulgarie, le comité a jugé que la Bulgarie n’avait pas protégé en particulier la santé de sa population rom. Il «considère qu’il existe suffisamment de preuves démontrant que les communautés roms ne vivent pas dans un environnement sain. Cette situation est due en partie à l’échec des politiques de prévention menées par l’Etat – en témoignent, par exemple, l’absence de mesures de protection garantissant une eau propre dans les quartiers roms, ainsi que l’insuffisance des dispositions prises pour y faire respecter les normes de santé publique en matière de logement». Des exemples spécifiques de discrimination présentés au comité, dont le refus d’envoyer des ambulances dans les quartiers roms, la ségrégation des femmes roms dans les services de maternité ou l’emploi d’un langage injurieux par les médecins, ont été acceptés comme étant de nature à renforcer «la conclusion générale du comité selon laquelle les Roms ne bénéficient pas en Bulgarie d’une réponse appropriée à leurs besoins en matière de santé» 
			(39) 
			 CERD c. Bulgarie, Comité européen
des Droits sociaux, 3 décembre 2008, Réclamation
no 46/2007, paragraphes 47
et 50, Décision disponible sur <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/CC46Merits_fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/CC46Merits_fr.pdf</a>..
65. Toutefois, la Bulgarie a adopté une stratégie de santé pour les minorités ethniques et l’on observe certains progrès tangibles, comme les mesures de vaccination des enfants roms ainsi que les dispositions pour les soins spéciaux aux enfants et aux mères. En outre, entre 2003 et 2007, jusqu’à 113 médiateurs de santé roms ont été formés et habilités, et des cliniques mobiles ont été mises en place.
66. L’intolérable contamination au plomb à Mitrovicë/Mitrovica (Kosovo) est considérée comme l’«une des plus grandes crises médicales de la région» 
			(40) 
			 Voir
Rapport de la mission de l’OSCE au Kosovo, février 2009, 
			(40) 
			<a href='http://www.osce.org/documents/mik/2009/02/36378_en.pdf'>www.osce.org/documents/mik/2009/02/36378_en.pdf</a>.. Les Roms vivant dans cette zone sont exposés à la contamination au plomb depuis 1999. Cette situation exige des mesures immédiates des autorités pour reloger les habitants du camp afin d’empêcher que leur état de santé déjà critique ne se dégrade encore plus.
67. La question de la stérilisation forcée – qui a été signalée au rapporteur pendant sa visite en République tchèque – soulève de grandes inquiétudes et sera traitée en détail dans l’avis de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes.

4. Mesures prises (ou non prises) par les gouvernements

4.1. Plans d’action et stratégies politiques

68. De nombreux gouvernements ont pris progressivement conscience de la nécessité d’élaborer et d’adopter des stratégies nationales pour améliorer la situation des Roms. Cette prise de conscience marque un changement positif qui doit être salué. J’évoquerai plus particulièrement les trois cas étudiés de plus près dans le cadre de la préparation du présent rapport: le Danemark, la République tchèque et la Roumanie.
69. En République tchèque, le gouvernement a adopté un projet très complet, «La décennie pour l’intégration des Roms 2005-2015 – Plan d’action national». Toutefois, à la grande surprise du rapporteur, ses interlocuteurs des différents ministères semblaient mal connaître ce document et personne n’a pu même ne serait-ce que mentionner un quelconque résultat concret et positif fondé sur ce plan.
70. Au Danemark, un Plan d’action de lutte contre la discrimination est en place depuis 2003 (un plan actualisé sera élaboré prochainement). Les autorités ont toutefois reconnu que des ressources supplémentaires étaient nécessaires pour vraiment coordonner l’action et les initiatives prises dans les différents ministères.
71. En Roumanie, les mesures et les initiatives prises pour améliorer la situation des Roms s’inscrivent dans le cadre de la Stratégie décennale du gouvernement pour l’amélioration de la situation des Roms (adoptée en 2001 et modifiée en 2006). Pendant l’audition devant la commission à Targu Mures, personne ne s’est plaint de la stratégie en tant que telle (qui a même été considérée par les intervenants comme étant – «sur le papier» – la meilleure possible). En revanche, beaucoup ont déploré une mise en œuvre insuffisante. Les intervenants s’accordaient à dire qu’il restait encore à mesurer l’impact de cette stratégie tout en soulignant les difficultés d’une telle opération. Des représentants des Roms et d’ONG, tout en saluant la création d’une Agence nationale pour les Roms, se sont plaints de la pénurie chronique de fonds et de personnel. De même, conformément aux informations recueillies pendant cette audition, un Plan décennal pour l’éducation, le logement et l’emploi des Roms est en instance devant le parlement depuis 2007 et la mise en œuvre des décrets existants serait contrariée par l’incapacité des inspecteurs du travail de transmettre des données sur la ségrégation.
72. Il convient de noter que, si des programmes-cadres sont en place, il reste encore beaucoup à faire sur le plan financier et institutionnel pour assurer la mise en œuvre des plans et politiques au niveau national. De même, comme en fait état le rapport de situation de l’OSCE 2008, «trop souvent (…), le processus de mise en œuvre souffre d’une absence de volonté politique au niveau national et de la non-application des politiques au niveau local».
73. Pendant sa visite en République tchèque, le rapporteur a entendu des représentants des Roms et des ONG se plaindre du manque de continuité et de stratégie de certains projets. Les projets conçus au cas par cas n’ont guère de chance d’atteindre leur but et l’absence de continuité en matière de financement – souvent à la source de plusieurs mois d’interruption dans le paiement des subventions – obère leur réussite.
74. De nombreuses initiatives restent trop isolées et trop limitées (à la fois dans le temps et géographiquement) – n’offrant donc que des réponses partielles – pour être efficaces. Les politiques nationales qui prévoient une approche intégrée ont une meilleure chance d’avoir un impact effectif et durable.
75. En conséquence, il importe de veiller à ce que chaque ministère et institution administrative décentralisée ou locale dispose effectivement de structures opérationnelles capables d’élaborer, de mettre en œuvre et de suivre les mesures d’intégration sociale donnant une reconnaissance suffisante aux problèmes des Roms. Il est fondamental que les ministères compétents agissent dans la concertation, les problèmes auxquels se heurtent les Roms dans les différents domaines indiqués ci-dessus étant inextricablement liés les uns aux autres.

4.2. La responsabilité s’efface derrière l’absence de statistiques ethniques et de mécanismes d’évaluation fiables

76. Malheureusement, si un certain nombre d’Etats ont introduit des plans nationaux pour l’intégration des Roms, ceux-ci semblent être dans de nombreux cas illusoires. Pendant mes visites d’information au Danemark et en République tchèque, j’ai systématiquement demandé si ces plans nationaux avaient débouché sur des résultats positifs et concrets. A cette question, j’ai reçu une seule réponse: «peut-être, mais nous ne pouvons évaluer les résultats parce que nous ne sommes pas autorisés à recueillir des statistiques fondées sur l’appartenance ethnique».
77. C’est aussi, par exemple, le cas en Allemagne où les autorités évoquent régulièrement la décision de la Cour constitutionnelle fédérale interdisant la collecte de données ethniques pour expliquer l’absence de toute donnée officielle sur la situation des minorités sintés et roms 
			(41) 
			 Voir, par exemple, le rapport soumis
par le Gouvernement allemand au comité consultatif chargé d’évaluer
la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales, 1999.. En France, le caractère unitaire proclamé de la République ne laisse pas de place à la notion de «minorité», et, en conséquence, aucune collecte de données ethniques n’est autorisée 
			(42) 
			 Voir, d’une façon générale, Programme
de suivi de l’adhésion à l’Union européenne, Protection
des minorités – vol.: La situation des musulmans en France, Open Society Institute, Budapest,
2002, disponible sur: <a href='http://www.eumap.org/reports'>www.eumap.org/reports</a>.. Au Danemark, le rapporteur a aussi été informé qu’à cause d’un principe ancien, aucune donnée ou statistique spécifique fondée sur l’appartenance ethnique n’est collectée. Ce ne sont que trois exemples qui illustrent la tendance dans de nombreux Etats du Conseil de l’Europe. Mais le rapporteur est convaincu que de nombreux gouvernements collectent en fait des renseignements de cette nature même s’ils ne sont pas rendus publics.
78. Ces données, fondées sur des statistiques ethniques, sont d’une importance extrême pour évaluer les résultats des politiques nationales et locales visant à une meilleure intégration des Roms. Comme le souligne le rapport de situation de l’OSCE 2008, «faute de pouvoir disposer de données statistiques soigneusement analysées sur le temps, il est difficile de voir si des changements ont eu lieu ou de montrer si les problèmes sont plus aigus et où les ressources seraient donc prioritairement nécessaires».
79. Pour permettre aux gouvernements d’évaluer la situation concernant les Roms, j’estime qu’il est nécessaire et pertinent de rouvrir le débat sur la collecte et l’utilisation de statistiques ethniques. Dans ce contexte, il convient de noter la position du Comité consultatif sur la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et celle de l’ECRI.
80. Le comité consultatif déclare ceci: «Des données et des statistiques complètes sont essentielles pour évaluer l’impact des mesures de recrutement, de promotion et autres pratiques similaires concernant la participation des minorités aux services publics. Elles sont indispensables pour concevoir les mesures législatives et politiques appropriées visant à combler les lacunes identifiées. La collecte d’informations sur la situation des minorités nationales devrait être entreprise conformément aux normes internationales sur la protection des données et au droit de toute personne appartenant à une minorité nationale de choisir librement d’être traitée ou ne pas être traitée comme telle. Les représentants des minorités nationales concernées devraient, dans la mesure du possible, être impliqués dans l’ensemble du processus de collecte de données, et les méthodes employées à cette fin devraient être définies en étroite coopération avec eux.» 
			(43) 
			 ACFC/31DOC(2008)001,
Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des
minorités nationales, Commentaire sur la participation effective
des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle,
sociale et économique ainsi qu’aux affaires publiques (2008), paragraphe
127.
81. En outre, l’ECRI est «d’avis que la collecte de données ethniques est un bon moyen d’élaborer des politiques judicieuses de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, et de promouvoir l’égalité des chances. Ces données peuvent fournir des informations générales sur la situation des groupes minoritaires, qui formeront ensuite la base des politiques sociales et contribueront ultérieurement à évaluer leur avancement. La collecte de données ethniques aide au suivi des phénomènes discriminatoires ainsi qu’à celui de l’application des politiques de lutte contre les discriminations mises en place par les gouvernements. Elle sert également à évaluer l’efficacité de ces politiques, de manière à procéder à tout changement et ajustement nécessaires» 
			(44) 
			 Simon,
Patrick, Statistiques «ethniques» et protection des données dans
les pays du Conseil de l’Europe – Rapport d’étude (2007), avant-propos
et <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Archives/ECRIs_work/Annual_Reports/Rapport annuel 2007.pdf'>CRI(2008)26</a>;
voir également «Etude sur le recueil des données ethniques – Risque
ou opportunité?», ERIO..
82. On constate donc que la collecte et l’utilisation de statistiques ethniques bénéficient d’un grand soutien. Néanmoins, cette position n’est pas universelle. Les inquiétudes sur les abus qui ont instrumentalisé les statistiques ethniques dans l’Histoire, et la catégorisation souvent simpliste des gens que ces statistiques induisent prospèrent dans certains pays. Il faut aussi être conscient que de nombreux Roms sont eux-mêmes réticents à s’identifier comme tels dans les recensements ou les enquêtes, à cause de la longue histoire de discrimination dont ils ont été victimes à cause précisément de leur origine ethnique. Ces préoccupations doivent être dûment prises en compte.
83. Il n’en reste pas moins que je suis résolument en faveur de la collecte de statistiques ethniques comme étant la seule méthode pour renforcer l’efficacité des programmes mis en place par les autorités. Vera Egenberger 
			(45) 
			 Directrice exécutive
du Centre européen des droits des Roms (CERD), voir son article
«Demystifying the collection of ethnic data and the child protection
system», Journal trimestriel Roma Rights
du CERD, 4, 2007. l’a très justement fait remarquer: «Comment cibler correctement les politiques lorsque les gouvernements ne connaissent même pas la taille des communautés roms dans leur pays? Quelle peut être l’utilité des stratégies pédagogiques lorsque les autorités scolaires ne savent pas combien d’étudiants d’origine rom finissent l’école primaire et dans quelles circonstances ils quittent l’école précocement? Comment les programmes d’intégration des Roms sur le marché du travail peuvent-ils réussir si les employeurs ne connaissent pas la composition ethnique de leur main-d’œuvre?» Ces questions s’appliquent à tous les chapitres des différents plans d’action nationaux en faveur d’une meilleure intégration des Roms.
84. Si la collecte des données ethniques doit – et est déjà – accompagnée de garanties strictes pour éviter tout abus, elle est autorisée par le droit international. Des données à caractère personnel sensibles ne peuvent être collectées qu’avec le consentement explicite (librement donné et éclairé) de la personne concernée 
			(46) 
			 EU
Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative
à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement
des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces
données (24 octobre 1995); texte également pertinent
à cet égard: Convention pour la protection des personnes
à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel(STE no 108)..

4.3. «L’excuse» de la responsabilité de l’Europe (sinon de l’Union européenne)

85. De plus en plus, les responsables et les représentants des autorités nationales renvoient la responsabilité des problèmes auxquels se heurte la communauté rom au niveau européen.
86. S’il est vrai que la minorité rom est probablement la seule présente sur le territoire de tous les Etats membres, elle n’en relève pas pour autant de la seule responsabilité des organisations internationales.
87. Pendant l’audition devant la commission à Targu Mures, certains membres – considérant que la solution est à trouver au niveau européen – ont défendu la création d’une agence européenne pour les Roms. D’autres, au contraire, ont considéré que cela reviendrait à échapper à leur responsabilité nationale concernant le bien-être de leurs propres ressortissants.
88. Le rapporteur est convaincu que, si un nombre important de mesures sont à juste titre déjà prises (et financées) au niveau européen (Conseil de l’Europe, OSCE, Union européenne), la principale responsabilité incombe aux Etats membres. Le rapporteur n’est donc pas en faveur de la création d’une agence européenne pour les Roms mais d’une meilleure coordination entre les acteurs (roms et non roms) aux niveaux national et local. Au niveau européen, le rôle du Forum européen des Roms et des Gens du voyage (FERV) peut et devrait être encore développé 
			(47) 
			 Voir le site <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080903_fjdoc29_2008rev.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080903_fjdoc29_2008rev.pdf</a>..

5. La nécessité impérative de renforcer la représentation et la participation des Roms à la vie publique et politique

89. Dans son rapport de situation 2008, l’OSCE note que des progrès visibles ont été accomplis dans ce domaine, «de nombreux Etats créant des structures administratives pour représenter les Roms dans les administrations locales et nationales». Toutefois, les Roms restent de loin sous-représentés dans les organes élus (et souvent non représentés du tout). Seuls quelques rares Roms ont été élus membres des parlements nationaux dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, même s’ils représentent de 7 à 10 % de toute la population dans certains d’entre eux.
90. Selon les estimations, seule une dizaine de membres des parlements nationaux 
			(48) 
			 Les Roms seraient actuellement
représentés dans les parlements de la Bulgarie, de la Croatie, de
la Hongrie, de la Roumanie, de la Serbie, de «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» et du Kosovo. et environ 20 maires sont roms. Ces chiffres – englobant tous les Etats membres du Conseil de l’Europe – sont extrêmement bas et reflètent la nécessité de renforcer la participation et la représentation politiques des Roms. Dans ce contexte, le rapporteur attire l’attention sur la décision Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine 
			(49) 
			Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine, Requêtes
nos 27996/06 et 34836/06, 22 décembre
2009. dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a statué que les dispositions de la Constitution de Bosnie-Herzégovine interdisant à un Rom et à un Juif de briguer un mandat à la Chambre des peuples de l’Assemblée parlementaire et à la présidence de l’Etat violent la Convention européenne des droits de l’homme.
91. Au niveau européen, il y a actuellement un membre du Parlement européen d’origine rom. Aucun n’est présent à l’Assemblée parlementaire 
			(50) 
			 Le
seul parlementaire rom de l’Assemblée parlementaire était Juan
de Dios Ramírez-Heredia, un député socialiste espagnol,
de 1983 à 1986. Il était également le
premier membre d’origine rom (Kalé) du Parlement européen entre 1994
et 1999. ni au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. C’est bien évidemment un bilan négatif et un mauvais exemple. Certes, notre composition reflète celle de nos parlements nationaux mais nous devons réfléchir aux moyens et aux méthodes de renforcer la représentation et la participation des Roms au sein de nos propres structures. Ce serait un signal très fort.
92. L’article 15 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales demande aux Etats parties de créer les conditions nécessaires pour une «participation effective» dans tous les domaines de la vie, en particulier dans ceux qui touchent la minorité. Le comité consultatif de la convention-cadre a préparé un commentaire sur l’article 15 de la convention où il explique comment l’exercice de ce droit devrait être réalisé 
			(51) 
			 Voir
également à ce sujet les «Recommandations de Lund sur la participation
effective des minorités nationales à la vie publique», Foundation
on Inter-Ethnic Relations, 1999.. L’article I.2.4 sur l’égalité des minorités nationales du Code de bonnes pratiques en matière électorale, adopté par la Commission de Venise, dit entre autres que «le découpage des circonscriptions ou les règles sur le quorum ne doivent pas conduire à rendre plus difficile la présence de personnes appartenant à des minorités dans l’organe élu» et que «les mesures prises de façon à assurer une représentation minimale des minorités, soit en leur garantissant des sièges réservés, soit en prévoyant des exceptions aux règles normales d’attribution des sièges, par exemple en supprimant le quorum pour les partis de minorités nationales, ne sont pas contraires au principe d’égalité» 
			(52) 
			 Code de
bonne conduite en matière électorale, CDL-AD(2002)23rev, adopté
par la Commission de Venise les 18 et 19 octobre 2002..
93. Plusieurs obstacles juridiques et pratiques limitant la participation et la représentation politiques des Roms ont été recensés. Citons l’absence de volonté de certaines communautés roms de constituer des partis politiques (ou leur petite taille) bien que la législation l’autorise; le flou entourant le statut légal de nombreux Roms (absence de documents d’identité ou de preuve de résidence); pauvreté/isolement; analphabétisme/manque d’instruction; méfiance à l’égard des institutions de l’Etat et des partis politiques; préjugés des non-Roms; discrimination institutionnelle et obstacles juridiques (comme le grand nombre de signatures requises pour enregistrer un parti politique).
94. Au niveau national, un effort radical doit être fait pour donner des documents d’identité aux membres de la population rom, spécialement aux réfugiés et aux personnes déplacées. Tant qu’ils ne disposeront pas de ces documents, ils ne pourront participer aux processus électoraux.
95. Plusieurs Etats ont mis en place des mécanismes de consultation, comme les conseils de minorités, où la minorité rom est représentée; certains ont créé des conseils roms (comme entre autres en Finlande et en Serbie). La République tchèque a institué des commissions interministérielles pour les affaires roms. A Helsingor (Danemark), un conseil d’intégration visant à la coordination de tout le processus d’intégration a été mis en place au niveau local. Les Roms (et d’autres minorités) peuvent élire leurs représentants. Mais, malgré les efforts déployés par les autorités locales pour encourager la création d’une association représentant les Roms, cette initiative a échoué.
96. En Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Croatie, dans la République tchèque, en Grèce, en Hongrie, en Roumanie, en Serbie, dans la République slovaque, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» ainsi qu’au Kosovo, il existe un ou plusieurs partis politiques «ethniques» ou défendant spécifiquement les intérêts des Roms. L’existence de ces partis n’empêche certes pas des Roms de participer aux partis politiques classiques. Des éléments montrent qu’ils le font; mais les candidats roms inscrits sur les listes des partis classiques ne sont généralement pas placés en position éligible sur la liste.
97. Il y a indéniablement des améliorations, mais un point fondamental demeure: il est évident que le niveau d’instruction des Roms doit être amélioré pour leur permettre de participer plus activement et plus efficacement à la vie politique et publique. La représentation et la participation des Roms sont tout aussi importantes que les mesures officielles prises pour améliorer leur situation.

6. Conclusions

98. En Italie, des campements roms ont été incendiés; en Hongrie, des Roms ont été tués dans des agressions à leur domicile; en Slovaquie, des enfants roms ont été sadiquement maltraités et humiliés par des membres des forces de sécurité; en Serbie, des familles roms entières ont perdu leur domicile à la suite d’expulsions sommaires; en République tchèque, des membres d’une famille rom ont été gravement blessés dans l’incendie de leur maison après le jet de cocktails Molotov, etc.
99. Exploitant la crise financière, des groupes extrémistes capitalisent les craintes découlant de l’équation faite entre Roms et criminels, en choisissant un bouc émissaire qui est une cible facile, les Roms étant parmi les groupes les plus vulnérables.
100. Les opinions incendiaires exprimées par ces extrémistes dans plusieurs Etats membres ont débouché sur des manifestations agressives d’hostilité, constituant une véritable menace pour les membres de la communauté rom. On ne saurait tolérer que des actes criminels commis par certains individus soient utilisés pour discréditer toute la communauté rom.
101. La position excessivement passive des autorités et le consentement tacite d’une partie de la population lorsqu’elle est confrontée à cette situation intolérable nous rappellent les heures les plus noires de l’histoire européenne. Le Conseil de l’Europe est né d’un désir catégorique de prévenir la répétition de cette époque sinistre. Depuis, la Cour européenne des droits de l’homme condamne régulièrement les Etats où les Roms souffrent d’abus et de discrimination.
102. Les Etats membres doivent assumer leurs responsabilités et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éteindre au plus vite cette dangereuse flambée d’antitsiganisme.
103. Jusqu’à présent, de nombreuses mesures ont été prises à différents niveaux pour améliorer la situation des Roms. Néanmoins, ces mesures restent tout simplement sur le papier puisque, à ce stade, les résultats des mesures positives sont encore flous faute d’indicateurs de leur efficacité. Trop de théorie sans évaluation concrète fait perdre le sens de la réalité.
104. Un accès effectif et durable à l’éducation et à un logement convenable est la première mesure nécessaire à prendre pour briser le cercle vicieux de la discrimination dans lequel sont enfermés la plupart des Roms.
105. En outre, la représentation des Roms dans les institutions de l’Etat ainsi que leur participation active et coordonnée dans les processus décisionnels sont aussi des éléments fondamentaux dans la défense et dans la mise en œuvre de leurs droits pour l’intégration réussie de leur communauté. Nous devrions tous exhorter la communauté rom à être la plus active possible.
106. Réserver des sièges dans les parlements est une mesure utile. Les actions positives forment une partie de la réponse en vue d’éliminer la discrimination. Il existe des exemples positifs où les autorités locales jouent un rôle actif mais ils sont beaucoup trop rares. Les pouvoirs locaux et régionaux ont un rôle fondamental à jouer.
107. La situation actuelle des Roms en Europe est très inquiétante, surtout à cause de l’immense fossé entre la situation des Roms et celle de la plupart des autres minorités. Il est toujours difficile de sortir de la pauvreté mais cela l’est d’autant plus lorsque l’on est victime de la discrimination.
108. Les Etats membres, le Conseil de l’Europe et les Roms eux-mêmes ont encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la situation de cette minorité ne s’améliore durablement. Le projet de résolution et le projet de recommandation sont tirés à la fois du présent exposé des motifs et de la note introductive du 3 septembre 2008 
			(53) 
			 Voir
le site <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080903_fjdoc29_2008rev.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080903_fjdoc29_2008rev.pdf</a>..

***

Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Renvoi en commission:Doc. 11206, Renvoi 3340 du 20 avril 2007

Projet de résolution et projet de recommandation adoptés par la commission le 26 janvier 2010, respectivement avec cinq voix contre et deux abstentions, et à l’unanimité

Membres de la commission: M. Christos Pourgourides (Président), M. Christopher Chope, M. Christoph Strässer, M. Serhiy Holovaty (Vice-Présidents), Mme Marieluise Beck, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, M. Petru Călian, M. Erol Aslan Cebeci, Mme Ingrida Circene, Mme Ann Clwyd (remplaçant: M. John Prescott), M. Agustín Conde Bajén, M. Telmo Correia, M. Joe Costello, M. Arcadio Díaz Tejera, Mme Lydie Err, M. Renato Farina, M. Valeriy Fedorov, M. Joseph Fenech Adami, Mme Mirjana Ferić-Vac, M. György Frunda, M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, Mme Svetlana Goryacheva, M. Neven Gosović, Mme Carina Hägg, M. Holger Haibach (remplaçante: Mme Anette Hübinger), Mme Gultakin Hajibayli, M. Johannes Hübner, M. Michel Hunault, M. Rafael Huseynov, M. Shpetim Idrizi, M. Aliosman Imamov, M. Željko Ivanji, Mme Kateřina Jacques, M. Mogens Jensen, M. András Kelemen, Mme Kateřina Konečná, M. Franz Eduard Kühnel, Mme Darja Lavtižar-Bebler, M. Pietro Marcenaro, Mme Milica Marković, M. Dick Marty, Mme Ermira Mehmeti Devaja, Mme Chiora Taktakishvili (remplaçant: M. Akaki Minashvili), M. Philippe Monfils, M. Felix Müri, M. Philippe Nachbar (remplaçant: M. Yves Pozzo di Borgo), M. Adrian Năstase, Mme Anna Ntalara, Mme Steinunn Valdís Óskarsdóttir, M. Valery Parfenov, M. Peter Pelegrini (remplaçant: M. József Berényi), Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Valeriy Pysarenko, M. Janusz Rachoń, Mme Mailis Reps (remplaçant: M. Aleksei Lotman), Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. Paul Rowen, M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, Mme Marina Schuster, M. Yanaki Stoilov, M. Fiorenzo Stolfi, Lord John Tomlinson, M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, M. Viktor Tykhonov (remplaçant: M. Ivan Popescu), M. Øyvind Vaksdal, M. Giuseppe Valentino, M. Hugo Vandenberghe, M. Egidijus Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis, M. Luigi Vitali, M. Klaas de Vries, Mme Nataša Vučković, M. Dmitry Vyatkin, M. Marek Wikiński, Mme Renate Wohlwend, M. Jordi Xuclà i Costa

N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: M. Drzemczewski, M. Schirmer, Mme Szklanna, Mme Heurtin