Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 12231 | 06 mai 2010

L’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire: un moyen de préservation de la santé des femmes

(Ancienne) Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Ingrida CIRCENE, Lettonie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11836, Renvoi 3545 du 29 mai 2009. 2010 - Commission permanente de mai

Résumé

La commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes estime que l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire devrait être un élément essentiel des politiques de santé des Etats membres et que le Comité des Ministres devrait également promouvoir cette pratique dans le domaine de la santé. L’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire est une application de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le processus budgétaire. Cela implique une évaluation des budgets existants en incluant une perspective de genre à tous les niveaux du processus budgétaire, ainsi qu’une restructuration des revenus et des dépenses dans le but de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’Assemblée devrait donc recommander au Comité des Ministres de veiller à ce que les Etats membres appliquent la Recommandation CM/Rec(2008)1 sur la prise en compte dans les actions de santé des spécificités entre hommes et femmes, et en particulier les recommandations relatives à la prise en considération de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques et stratégies nationales relatives à la santé, notamment la collecte de données ventilées par sexe et le recours à des évaluations de l’impact différencié selon le sexe. Le Comité des Ministres devrait aussi encourager les Etats membres à aller plus loin et à appliquer le principe de l’intégration d’une perspective de genre dans les processus budgétaires aux politiques et stratégies nationales dans le domaine de la santé afin d’allouer les ressources budgétaires en la matière d’une manière juste et efficace pour les femmes comme pour les hommes.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 27 avril 2010.

(open)
1. L’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire est une application de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le processus budgétaire. Cela implique une évaluation des budgets existants en incluant une perspective de genre à tous les niveaux du processus budgétaire, ainsi qu’une restructuration des recettes et des dépenses dans le but de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. A cet égard, l’Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1739 (2006) sur les budgets prenant en compte l’égalité des sexes.
2. L’Assemblée se félicite de l’adoption par le Comité des Ministres de la Recommandation CM/Rec(2008)1 sur la prise en compte dans les actions de santé des spécificités entre hommes et femmes. Dans cette recommandation, le Comité des Ministres indique clairement que le genre (qui est une construction sociale) en opposition au sexe (qui est un attribut biologique) devrait être considéré comme un déterminant essentiel de la santé, en ce qu’un grand nombre de spécificités et d’inégalités dans la santé des femmes et des hommes découlent de certaines caractéristiques sociales, culturelles (y compris la religion) et politiques de la société.
3. Le Comité des Ministres a replacé la question dans le contexte de la protection des droits de la personne humaine et a recommandé aux Etats membres de faire du genre un domaine d’action prioritaire en matière de santé par l’élaboration de politiques et de stratégies qui répondent aux besoins spécifiques des hommes et des femmes en matière de santé et prennent en compte l’approche intégrée de l’égalité entre les genres. Malheureusement, l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire en tant que moyen de préserver la santé des femmes n’a pas été suffisamment prise en considération.
4. Des données de plus en plus nombreuses, tirées d’études menées dans tous les domaines de la recherche en matière de santé, montrent, en fait, que les facteurs de risque, les signes cliniques, les causes, les conséquences et le traitement des maladies peuvent varier selon qu’ils concernent des hommes ou des femmes. Il s’ensuit que la prévention, le traitement, la réadaptation, la délivrance de soins et la promotion sanitaire doivent être adaptés en fonction des besoins différents des hommes et des femmes. L’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire peut apporter une contribution majeure à la délivrance effective de soins de santé répondant à ces besoins.
5. Comme dans tous les domaines de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, il est crucial que les Etats membres recueillent des données ventilées par sexe en matière de santé et procèdent à des évaluations de l’impact différencié selon le sexe. Munis de ces deux outils, ils pourront alors passer concrètement à la phase d’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, c’est-à-dire allouer les ressources budgétaires en matière de santé d’une manière plus juste – et plus efficace – à l’égard des femmes et des hommes.
6. L’Assemblée estime que l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire devrait être un élément essentiel des politiques de santé des Etats membres et que le Comité des Ministres devrait promouvoir cette pratique dans le domaine de la santé aussi.
7. L’Assemblée recommande donc au Comité des Ministres:
7.1. de veiller à ce que les Etats membres appliquent la Recommandation CM/Rec(2008)1 sur la prise en compte dans les actions de santé des spécificités entre hommes et femmes et en particulier les recommandations relatives à la prise en considération de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques et stratégies nationales relatives à la santé, y compris la collecte de données ventilées par sexe et le recours à des évaluations de l’impact différencié selon le sexe;
7.2. d’encourager les Etats membres à aller plus loin et à appliquer le principe de l’intégration d’une perspective de genre dans les processus budgétaires aux politiques et stratégies nationales dans le domaine de la santé, afin d’allouer les ressources budgétaires en la matière d’une manière juste et efficace pour les femmes comme pour les hommes;
7.3. d’inviter les comités compétents à envisager de donner suite à la Recommandation CM/Rec(2008)1 sous la forme d’une recommandation sur l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire en matière de santé.

B. Exposé des motifs, par Mme Circene, rapporteuse

(open)

1. Introduction

1. Le Conseil de l’Europe est déjà à l’origine d’importants travaux en faveur de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire. En mars 2006, l’Assemblée parlementaire a adopté la Recommandation 1739 (2006) sur les budgets prenant en compte l’égalité des sexes, sur la base d’un rapport de notre collègue Mme Anna Čurdová (Doc. 10764). Ce rapport comprenait un document d’expert préparé par Mme Elizabeth Villagómez sur le rôle des parlements dans la promotion et l’application des budgets prenant en compte l’égalité des sexes.
2. En tant qu’outils concrets dans le cadre de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, les budgets de ce type ont aussi été le point de mire de plusieurs réunions intergouvernementales, dont la plus récente est la conférence sur le thème «Les budgets publics: élément essentiel d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes», organisée à Athènes en mai 2009 par notre comité «frère», le Comité directeur pour l’égalité entre les femmes et des hommes (CDEG) 
			(2) 
			A laquelle
j’ai eu l’honneur de participer en tant que présidente et intervenante.. Cette conférence a été l’occasion de lancer un manuel intitulé Mise en œuvre pratique de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, qui contient des propositions concrètes à l’intention des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux sur l’utilisation des budgets prenant en compte la perspective de genre comme outil pratique 
			(3) 
			Des copies de ce manuel
sont disponibles au Secrétariat du Conseil de l’Europe..
3. En septembre 2005, le Réseau informel du Conseil de l’Europe sur l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes a étudié l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire. En septembre 2006, le réseau a axé ses travaux sur ce type d’approche dans le domaine de la santé. La Recommandation CM/Rec(2008)1 du Comité des Ministres sur la prise en compte dans les actions de santé des spécificités entre hommes et femmes portait également sur le sujet. Il me semble pourtant que le lien entre ces deux sujets n’a pas été établi, raison pour laquelle j’ai présenté une proposition de résolution sur l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire: un moyen de préservation de la santé des femmes en février 2009 (Doc. 11836).
4. Dans le présent rapport, j’exposerai brièvement les principes de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, puis j’expliquerai comment l’application de ces principes au domaine de la santé peut contribuer à sauver la vie de nombreuses femmes – donc à rendre nos sociétés plus cohésives et prospères.

2. Principes de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire

5. Même si les principes des budgets prenant en compte le genre sont de plus en plus connus, je tiens à reprendre brièvement plusieurs paragraphes du rapport de Mme Čurdová de 2006, qui en expliquent les points essentiels de façon très juste et concise 
			(4) 
			«Budgets
prenant en compte l’égalité des sexes», rapport de la commission
sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes (Doc. 10764), p. 3-4..
«2.1. Définition
Le Comité directeur du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CDEG) définit l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire comme “une application de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le processus budgétaire. Cela implique une évaluation des budgets existants avec une perspective de genre à tous les niveaux du processus budgétaire ainsi qu’une restructuration des revenus et des dépenses dans le but de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes”.
La perspective du genre repose sur l’application du principe de l’approche intégrée (ou “gender mainstreaming”) dans la procédure budgétaire. L’application de cette méthode suppose que les priorités et les besoins des femmes soient pris en compte sur la même base que pour les hommes et que l’impact sur le genre des politiques budgétaires soit évalué, en intégrant la perspective de genre à tous les niveaux de la procédure budgétaire et en restructurant recettes et dépenses dans l’objectif final de parvenir à l’égalité entre femmes et hommes.
2.2. Principes
Les budgets publics ne sont pas neutres car ils servent à mettre en place des politiques spécifiques qui auront des incidences sur la société et l’économie. A travers le budget public, le pouvoir politique définit en effet le modèle de développement social et économique, décide des priorités d’intervention et des critères de redistribution à l’intérieur de la société en fonction des besoins des citoyens. Ces politiques ont donc des effets différents, tant au niveau des recettes que des dépenses, sur les hommes et les femmes.
La perspective du genre ne vise pas à établir des budgets distincts pour les femmes, mais entend mieux appréhender la réalité sociale. En renforçant la collecte et l’analyse des données différenciées par sexe, en améliorant la possibilité de déterminer la réelle valeur ajoutée des ressources allouées aux femmes et aux hommes, la perspective de genre permet une distribution plus équitable des charges et des avantages financiers pour les citoyens en favorisant une utilisation plus efficace des fonds publics.
2.3. Objectifs
La perspective du genre repose sur trois objectifs essentiels. Elle vise, dans un premier temps, à mettre en place des politiques budgétaires équitables encourageant la réduction des inégalités, l’égalité des chances, en prenant mieux en compte les besoins différents de la femme et de l’homme dans l’économie et la société.
Son second objectif est de favoriser une utilisation plus efficace des dépenses publiques par rapport aux objectifs prévus, en termes de distribution de ressources et de services destinés aux hommes et aux femmes. Elle vise ainsi à renforcer la qualité et l’efficacité des services publics, conformément aux besoins différents des citoyens et des citoyennes.
Son troisième objectif est de garantir aux citoyens une meilleure compréhension des recettes et dépenses publiques et, par conséquent, d’assurer une plus grande transparence des politiques publiques mises en œuvre par les autorités nationales, régionales et locales.»

3. Approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de la santé

6. Dans sa Recommandation CM/Rec(2008)1 sur la prise en compte dans les actions de santé des spécificités entre hommes et femmes, le Comité des Ministres a indiqué clairement que le genre (qui est une construction sociale) en opposition au sexe (qui est un attribut biologique) devrait être considéré comme un déterminant essentiel de la santé, en ce qu’un grand nombre de spécificités et d’inégalités dans la santé des hommes et des femmes découlent de certaines caractéristiques sociales, culturelles (y compris la religion) et politiques de la société. Le Comité des Ministres a noté que les inégalités entre les femmes et les hommes peuvent se traduire par des problèmes d’accès aux services de santé, y compris à l’information, et que l’absence de ressources pour sensibiliser les soignants aux spécificités des hommes et des femmes peut poser des obstacles structurels à la qualité des soins de santé. C’est pour cela que le Comité des Ministres a incité au renforcement de l’intégration d’une perspective de genre dans le domaine de la santé, puisque la reconnaissance des différences et des inégalités améliorerait l’efficience et l’efficacité des politiques et services de santé pour les femmes et pour les hommes.
7. Le Comité des Ministres a replacé la question dans le contexte de la protection des droits de la personne humaine et a recommandé aux Etats membres de faire du genre un domaine d’action prioritaire en matière de santé par l’élaboration de politiques et de stratégies qui répondent aux besoins spécifiques des hommes et des femmes et prennent en compte l’approche intégrée de l’égalité entre les genres. Le Comité des Ministres a recommandé de promouvoir l’égalité de façon équitable dans tous les secteurs et à tous les niveaux du système de santé, y compris dans les actions portant sur les soins, la promotion de la santé et la prévention des maladies, et a encouragé le développement et la diffusion des connaissances prenant en compte le genre qui permet des interventions scientifiquement fondées grâce à la collecte systématique de données appropriées ventilées par sexe, la promotion de travaux de recherche pertinents et l’analyse de genre, ainsi que la mise en place des cadres de suivi et d’évaluation des progrès réalisés en matière d’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques de santé.
8. Je suis consciente du fait que cette recommandation est encore très récente et qu’il est donc prématuré de s’attendre à ce que tous ses points soient déjà mis en œuvre. Toutefois, il me semble que l’un des outils les plus utiles de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, à savoir dans le processus budgétaire, fait défaut à ce texte.

4. Bienfaits potentiels de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire de santé: cas du cancer

9. La prévalence des maladies oncologiques est en augmentation dans le monde entier. Ce qu’il y a d’alarmant, c’est que parmi les cas observés, bon nombre sont dus à des tumeurs malignes situées à des endroits faciles d’accès lors des examens (cancers de l’utérus, du sein, de la cavité buccale, etc.) et que l’on qualifie de tumeurs dépistables à l’œil nu. Le taux de mortalité lié à ces maladies est 3,5 fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes.
10. Selon l’enquête Eurobaromètre sur la santé dans l’Union européenne («Health in the European Union») dirigée par la Commission européenne en 2006, 29 % des personnes interrogées seraient atteintes d’une longue maladie ou auraient des problèmes de santé. Chaque année, 275 000 femmes développent un cancer du sein et 88 000 en décèdent. Ce cancer est la principale cause de mortalité chez les femmes âgées de 35 à 59 ans. Dans l’Union européenne, des femmes de plus en plus jeunes développent des tumeurs logées dans les glandes mammaires. 35 % des femmes atteintes d’un cancer du sein ont moins de 55 ans, et 12 % n’ont même pas 45 ans.
11. Si l’on compare les taux de mortalité normalisés liés à des tumeurs au sein chez les femmes de moins de 64 ans dans l’Union européenne et dans les Etats baltes, on s’aperçoit que le taux de mortalité est plus élevé dans ces derniers. Les taux pourraient être inférieurs si les diagnostics étaient suffisamment opportuns et appropriés. Il est donc impératif d’élaborer des stratégies nationales de prévention et de diagnostic précoce des maladies chroniques non infectieuses.
12. Le cancer de l’utérus est la deuxième maladie oncologique la plus répandue chez les femmes de moins de 45 ans. Il touche le plus souvent des femmes âgées de 35 à 64 ans. Si plusieurs facteurs contribuent à l’apparition du cancer de l’utérus, sa principale cause est l’infection par le papillomavirus humain (HPV), qui multiplie par 20 à 175 le risque de développer ce cancer. Les programmes de dépistage sont essentiels pour identifier la maladie à temps.
13. En comparant les indicateurs des Etats membres de l’Union européenne, on constate que le taux de mortalité est plus élevé dans les pays de l’ancien bloc communiste – situation que l’on peut attribuer à un retard de diagnostic et de traitement. Pour les tumeurs malignes, les facteurs de risques contrôlables sont la consommation de tabac et d’alcool, un style de vie sédentaire, une surcharge pondérale, une alimentation déséquilibrée, des infections chroniques et un diagnostic tardif. Ces éléments témoignent de l’importance d’informer et de sensibiliser pour préserver la santé de tous.
14. L’insuffisance d’accès aux services de santé explique en partie le manque de données sur les maladies oncologiques. On peut attribuer cela à la distance entre le lieu de résidence et celui où se trouvent les services de santé (couverture sanitaire), au niveau de qualification du personnel médical, au système de ticket modérateur, aux files d’attente et au défaut d’information. L’accessibilité des soins de santé a fait l’objet de l’enquête de l’Union européenne sur les revenus et les conditions de vie (EU SILC), qui confirme l’importance de ces facteurs.
15. La santé étant considérée comme un droit de la personne humaine, le principe d’égalité entre les femmes et les hommes devrait aussi s’y appliquer.
16. L’indicateur de décès prématurés, ou d’années potentielles de vie perdues (APVP), fait partie de ceux utilisés pour mesurer l’état de santé de la société. Il permet d’évaluer les pertes socio-économiques essuyées par l’Etat et de caractériser la mortalité prématurée et les causes de décès qui pourraient être évitées grâce aux mesures de prévention. Ce type de données facilite donc l’établissement de priorités en matière de santé publique. Les années potentielles de vie perdues donnent une estimation du nombre moyen d’années qu’une personne aurait vécu si elle n’était pas décédée dans un accident ni à la suite d’une maladie; il s’agit d’un indicateur factuel qui informe sur la santé de la société.
17. Le nombre d’années potentielles de vie perdues à cause d’événements externes ou de maladies cardio-vasculaires graves est cinq fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Il ressort de l’analyse des budgets de santé des Etats membres du Conseil de l’Europe que les services d’urgence sont souvent prioritaires, ce qui peut facilement se comprendre puisqu’ils s’emploient à sauver des vies dans des situations extrêmes, qui impliquent la plupart du temps des maladies cardio-vasculaires et des causes externes (accidents de la route, suicides, homicides, noyades, forte consommation d’alcool, etc.).
18. Le cancer du sein étant la première cause de décès et d’années de vies perdues chez les femmes, il apparaît donc que les budgets sont plutôt favorables à l’amélioration de la qualité de vie des hommes. L’étude de la répartition des budgets de santé sous l’angle de l’égalité hommes-femmes nécessite d’identifier le lien entre macroéconomie et utilisation effective des fonds dépensés. Nous savons tous que «l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire» n’exige pas deux budgets séparés.
19. Pour optimiser l’utilisation du budget consacré à la santé, il est absolument nécessaire d’élaborer une stratégie nationale fondée sur l’analyse des données et les ressources financières du budget.
20. Pour ce qui est d’améliorer la santé des femmes et la prévention des éventuelles causes de décès les concernant, un programme spécial est indispensable pour celles en âge de procréer. L’objectif est que les femmes soient en bonne santé – sans avoir besoin de l’assistance du budget public pour un traitement médical ni de prestations d’invalidité – et que, de ce fait, elles participent activement à la génération du produit intérieur brut et au paiement de l’impôt.
21. Dans l’optique de l’égalité entre les femmes et les hommes, il est essentiel d’associer les femmes à la prise de décisions tout au long du processus d’élaboration du budget, dont le résultat est essentiel pour tous les décideurs – pour les députés, les membres du gouvernement et les employeurs dans le but de consolider la macroéconomie, et pour la société dans son ensemble dans le contexte démographique.
22. L’élaboration de programmes axés sur des objectifs spécifiques pour la prévention du cancer du sein et du cancer de l’utérus, qui sont les premières causes de mortalité oncologique chez les femmes, est un exemple frappant de l’intégration d’une perspective de genre dans les processus budgétaires. Plusieurs conditions sont indispensables à l’efficacité des contributions budgétaires: un objectif formulé de façon concise et un résultat prévu pouvant être démontré à l’appui de statistiques. Pour partir sur un fondement scientifique, il est nécessaire de procéder à un examen précis des données selon une méthode éprouvée, pour une durée suffisante, et de s’appuyer sur des données factuelles pour l’analyse de projets pilotes. Ce cadre est essentiel à la planification d’une utilisation efficace du budget sur le long terme.
23. Dans le but d’appliquer ce cadre aux maladies oncologiques létales et les plus graves qui touchent les femmes – cancer du sein et cancer de l’utérus –, la Commission européenne a adopté des principes directeurs sur le dépistage de ces pathologies. Sur la base desdits principes, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient concevoir des notions et stratégies afin de s’assurer que des programmes de dépistage sont proposés au groupe cible de femmes, c’est-à-dire aux femmes en âge de procréer. Il convient de noter que le dépistage est efficace uniquement au titre de politique coordonnée de santé et non de démarche décentralisée.
24. Ces programmes prévoient le diagnostic du cancer de l’utérus par un frottis tous les trois ans pour les femmes de 25 à 70 ans, une mammographie tous les deux ans pour les femmes de 50 à 69 ans et, à partir de 50 ans, un test de saignement occulte fécal. La prévalence des cancers de l’utérus étant en augmentation, la vaccination contre le HPV – cause la plus courante du cancer de l’utérus – est désormais proposée à grande échelle.
25. Selon les données du bulletin épidémiologique européen (Eurosurveillance 2008), la Slovénie, la Belgique, la France, le Canada, les Etats-Unis, les Pays-Bas, le Danemark, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Australie, l’Irlande, la Norvège et la Suisse ont évalué la rentabilité des vaccins contre le HPV avant de les inclure dans leurs programmes d’immunisation. D’autres pays n’ont pas mené de recherches sur l’efficacité de la vaccination par rapport à son coût compte tenu d’un manque de ressources financières et du fait qu’ils jugent suffisant de se fier aux études de même nature réalisées par les autres pays.
26. D’après les recherches d’Eurosurveillance, les principaux facteurs qui incitent au lancement de la vaccination contre le HPV en Europe sont le rapport coût/bénéfices favorable et l’influence épidémiologique escomptée sur les lésions précancéreuses et le cancer de l’utérus. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (European Centre for Disease Prevention and Control – ECDC) estime que la vaccination contre le HPV est une stratégie économique. Selon plusieurs études, les premiers effets positifs de cette vaccination se feront sentir au bout d’environ deux ans.
27. D’ici cinq à dix ans, il pourrait être possible de réduire de 30 % un risque élevé d’infection par le HPV, de 40 % à 50 % les changements pathologiques grâce au frottis de dépistage et de 50 % à 60 % la néoplasie cervicale intra-épithéliale explicite. La vaccination des jeunes filles dès l’âge de 12 ans permettrait de faire baisser la prévalence du cancer de l’utérus d’environ 66 % et le nombre de décès d’environ 67 %. Au total, environ 1 889 années de vie pour 100 000 femmes pourraient être sauvées. Si l’on tient compte du salaire moyen, les conséquences économiques dans les Etats membres seront certes différentes; toutefois, rappelons que cette stratégie est sans aucun doute rentable sur le long terme.

5. Conclusions

28. Le budget public étant un instrument de politique macroéconomique, il importe de trouver le bon mécanisme et la bonne méthodologie pour la mise en place d’une stratégie budgétaire intégrant la perspective de genre. Ce type de démarche permet de faire des économies considérables et d’améliorer nettement la qualité de vie des femmes ainsi que de leurs proches.
29. Depuis la 4e Conférence mondiale sur les femmes, qui s’est tenue à Pékin en 1995, les principes de base de l’égalité entre les femmes et les hommes ont été adoptés et appliqués par plus de 40 pays dans le monde entier. Les gouvernements – en particulier les ministères des Finances – jouent le premier rôle dans l’établissement des budgets, en coopération avec d’autres ministères. Les ministères de la Santé, qui secondent les ministères des Finances pour la planification des dépenses sanitaires, se chargent de formuler des stratégies et des politiques nationales. Ils jouent également un rôle clé pour veiller à ce que les principes des budgets fondés sur une perspective de genre soient bien compris par les fonctionnaires à tous les niveaux de la fonction publique.
30. Au moment de l’élaboration de plans basés sur la recherche et du calcul de l’efficience de ces derniers, il est essentiel de garder à l’esprit la nécessité de parvenir à un «résultat mesurable» et d’évaluer sa pertinence pour une stratégie donnée. En règle générale, au moment d’établir le budget, les fonctionnaires manifestent un intérêt de pure forme pour la «neutralité de genre» alors qu’en pratique le budget tend à être discriminatoire vis-à-vis des intérêts des femmes. C’est pourquoi dans les questions de genre, la «neutralité» diffère de l’«égalité» ou de la «sensibilisation». Le gouvernement a le devoir de protéger les plus faibles et de prévenir toute forme de discrimination, notamment en associant les ONG à ses travaux. Au Royaume-Uni, le Women’s Budget Group est un bon exemple de ce type de coopération: l’ONG analyse régulièrement le budget public et fait activement pression sur le parlement pour qu’il accroisse le budget affecté aux soins de santé proposés aux femmes.
31. La Task force sur les financements innovants des systèmes de santé, coprésidée par Gordon Brown, Premier ministre britannique, et Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, a finalisé son rapport à sa 3e réunion, qui s’est tenue à Paris le 29 mai 2009. Tous les membres de la task force se sont accordés sur le rapport final et ont fixé un ensemble de recommandations incluant une série de possibilités de financement novatrices auxquelles les pays et d’autres parties prenantes peuvent adhérer. La Recommandation no 6 sur «Le renforcement des capacités des gouvernements à garantir une meilleure performance et un meilleur investissement des ONG privées, à vocation religieuse, communautaires et d’autres acteurs non gouvernementaux dans le secteur de la santé» est l’une des recommandations majeures de ce rapport.
32. L’Organisation mondiale de la santé, l’ONU et la Banque mondiale insistent également sur l’importance d’intégrer une perspective de genre dans les processus budgétaires et sur le fait qu’en investissant pour la santé des femmes, les gouvernements favorisent nettement le développement social. En 1994, la Déclaration de Vienne sur l’initiative «Investir dans la santé des femmes» dans les pays d’Europe centrale et orientale a reconnu comme prioritaire la mise en place du dépistage du cancer du sein et du cancer de l’utérus.
33. Les ministères concernés tout autant que l’ensemble des services sociaux devraient faire l’objet d’un audit du respect des principes d’égalité des sexes, qui inclurait des questions telles que l’accessibilité des services spécialisés, la sécurité, le système scolaire, l’alimentation et les activités sportives. Il est nécessaire d’incorporer ces principes dans la législation nationale et que la loi définisse des méthodes d’audit ainsi qu’un système de compilation, d’analyse et de suivi des données. La Belgique, l’Autriche et l’Espagne se sont lancées dans la rationalisation de leur législation nationale à cet égard.
34. En 2001, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) et le Conseil nordique des ministres ont tenu une conférence en Belgique sur le thème «Renforcement de la gouvernance économique et financière: vers des budgets répondant aux besoins spécifiques des hommes et des femmes». En mars 2005, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a approuvé le Plan pour l’égalité entre les femmes et les hommes («Order APV/526/2005») qui porte sur des systèmes d’information et de statistiques, et énonce des politiques fiscales et budgétaires répondant aux besoins des femmes et des hommes.
35. Conformément à la stratégie de prévention du cancer du sein et de l’utérus, et afin de réduire le taux de mortalité lié à ces maladies, il est indispensable que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe procèdent à une analyse des données répondant à une méthodologie uniforme et aux principes directeurs de l’OMS. Les Etats devraient développer et mettre en œuvre des stratégies nationales qui prévoient un dépistage organisé des tumeurs, étant donné que le diagnostic précoce du cancer renforce l’efficacité du traitement et améliore la qualité de vie des personnes concernées.
36. Il est impératif de sensibiliser le public au moyen de campagnes d’éducation à la santé dans les écoles et de promotion d’une vie saine. De plus, il importe de faire prendre conscience de l’intérêt de l’auto-examen. Les campagnes d’information et d’éducation, au même titre que les mesures de promotion de la santé, sont d’une importance capitale. La qualité des services et leur accessibilité devraient être la pierre angulaire de ces stratégies. Il est essentiel de faire figurer les programmes nationaux de lutte contre le cancer parmi les priorités des budgets publics de santé.

6. Recommandations

37. Comme nous l’avons vu précédemment, des données de plus en plus nombreuses, tirées d’études menées dans tous les domaines de la recherche en matière de santé, montrent, en fait, que les facteurs de risque, les signes cliniques, les causes, les conséquences et le traitement des maladies peuvent varier selon qu’ils concernent des hommes ou des femmes. Il s’ensuit que la prévention, le traitement, la réadaptation, la délivrance de soins et la promotion sanitaire doivent être adaptés en fonction des besoins différents des hommes et des femmes. L’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire peut apporter une contribution majeure à la délivrance effective de soins de santé répondant à ces besoins.
38. Comme dans tous les domaines de l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, il est crucial que les Etats membres recueillent des données ventilées par sexe en matière de santé et procèdent à des évaluations de l’impact différencié selon le sexe. Munis de ces deux outils, ils pourront alors passer avec succès à la phase d’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, c’est-à-dire allouer les ressources budgétaires en matière de santé d’une manière plus juste – et plus efficace – à l’égard des femmes et des hommes.
39. J’estime que l’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire devrait être un élément essentiel des politiques de santé des Etats membres et que le Comité des Ministres devrait promouvoir cette pratique dans le domaine de la santé aussi.
40. L’Assemblée devrait donc recommander au Comité des Ministres:
  • de veiller à ce que les Etats membres appliquent la Recommandation CM/Rec(2008)1 sur la prise en compte dans les actions de santé des spécificités entre hommes et femmes, et en particulier les recommandations relatives à la prise en considération de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques et stratégies nationales relatives à la santé, y compris la collecte de données ventilées par sexe et le recours à des évaluations de l’impact différencié selon le sexe;
  • d’encourager les Etats membres à aller plus loin et à appliquer le principe de l’intégration d’une perspective de genre dans les processus budgétaires aux politiques et stratégies nationales dans le domaine de la santé afin d’allouer les ressources budgétaires en la matière d’une manière juste et efficace pour les femmes comme pour les hommes;
  • d’inviter les comités compétents à envisager de donner suite à la Recommandation CM/Rec(2008)1 sous la forme d’une recommandation sur l’intégration d’une perspective de genre dans les processus budgétaires en matière de santé.