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Rapport | Doc. 12267 | 26 mai 2010

Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias

(Ancienne) Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Doris STUMP, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11714, Renvoi 3492 du 3 octobre 2008. 2010 - Troisième partie de session

Résumé

Lorsqu’elles ne sont pas sous-représentées ou invisibles, les femmes sont souvent représentées dans les médias dans des rôles traditionnellement conférés par la société, comme des sujets passifs et inférieurs, des mères ou des objets sexuels. Ces stéréotypes sexistes dans les médias perpétuent une représentation réductrice, figée, voire caricaturale de la femme et de l’homme, légitimisent le sexisme ordinaire et les pratiques discriminatoires, et constituent une entrave à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Soulignant le rôle positif que peuvent jouer les médias pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, l’Assemblée parlementaire devrait inviter les Etats membres à promouvoir les actions de formation, d’éducation et de sensibilisation, et à renforcer la visibilité des femmes dans les médias. Elle devrait inviter les parlements à renforcer leurs législations pour combattre les stéréotypes sexistes et sanctionner les délits sexistes. Les médias devraient favoriser une représentation plus équilibrée et non stéréotypée des femmes et des hommes dans les médias, et promouvoir l’intégration de la dimension genre dans leurs instances de régulation et d’autorégulation et leurs programmes de formation.

L’Assemblée devrait par ailleurs inviter le Comité des Ministres à élaborer un code européen de bonne conduite destiné aux Etats membres ainsi qu’un manuel sur les stratégies pour combattre les stéréotypes sexistes dans les médias, et à inclure la lutte contre les stéréotypes dans la future convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, en tant qu’outil de prévention de la violence fondée sur le genre. L’Assemblée pourrait enfin inviter le Comité des Ministres à élaborer un nouveau protocole à la Convention européenne des droits de l’homme inscrivant l’égalité entre femme et homme comme un droit fondamental de la personne humaine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 28 avril
2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire constate et déplore que les femmes soient victimes de stéréotypes sexistes dans les médias. D’une part, elles y sont sous-représentées, voire invisibles. D’autre part, la persistance de stéréotypes sexistes dans les médias – confinant les femmes et les hommes dans des rôles traditionnellement conférés par la société, et représentant souvent les femmes comme des sujets passifs et inférieurs, des mères ou des objets sexuels – constitue une entrave à l’égalité entre les femmes et les hommes.
2. La représentation des stéréotypes sexistes varie de l’humour aux clichés dans les médias traditionnels, jusqu’à l’incitation à la haine et à la violence fondées sur le genre sur internet. Les stéréotypes sexistes sont trop souvent banalisés et tolérés, au nom de la liberté d’expression. De plus, ces stéréotypes sont souvent subtilement véhiculés par les médias, qui reproduisent des attitudes et des opinions perçues comme la norme par des sociétés où l’égalité des sexes est loin d’être une réalité. De ce fait, trop souvent, les stéréotypes sexistes ne peuvent pas être attaqués en justice ou sanctionnés par les instances de régulation ou d’autorégulation, à l’exception des cas d’atteinte à la dignité humaine les plus graves.
3. L’impact des stéréotypes sexistes dans les médias sur la formation de l’opinion publique, en particulier celle des jeunes, est pourtant désastreux: ils perpétuent une représentation réductrice, figée, voire caricaturale de la femme et de l’homme, ils légitimisent le sexisme ordinaire et les pratiques discriminatoires et peuvent faciliter ou légitimer l’usage de la violence fondée sur le genre. En ce sens, les stéréotypes sexistes constituent un outil de discrimination.
4. Les médias, chaînon vital des démocraties, ont une responsabilité particulière dans ce domaine pour promouvoir le respect de la dignité humaine, la lutte contre toutes les formes de discrimination et l’égalité entre les femmes et les hommes. Le sexisme, tout comme le racisme et d’autres formes de discrimination, n’y ont pas leur place. L’Assemblée réaffirme son attachement au respect des principes de dignité humaine et de non-discrimination garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Elle souligne par ailleurs le rôle positif que peuvent jouer les médias pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, rappelant à cet égard la Recommandation no R (84) 17 du Comité des Ministres adressée aux Etats membres relative à l’égalité entre les femmes et les hommes dans les médias.
5. Par ailleurs, l’éducation et la formation sont absolument indispensables pour apprendre à reconnaître les stéréotypes, à en prendre conscience et à les dépasser. Une sensibilisation des enfants, dès leur plus jeune âge, à la lutte contre les discriminations et en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes est de ce fait cruciale.
6. L’Assemblée invite les Etats membres à renforcer les actions de formation et d’éducation et:
6.1. à promouvoir et lancer des campagnes de sensibilisation;
6.2. à inclure, dans les lois sur l’égalité entre les femmes et les hommes, des dispositions visant à lutter contre les stéréotypes sexistes;
6.3. à promouvoir la mise en place et/ou le fonctionnement efficace d’instances de régulation ou d’autorégulation des médias pour garantir le respect de la dignité humaine, contribuer à la lutte contre les discriminations, y compris la discrimination fondée sur le sexe, et promouvoir non seulement la diversité, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes;
6.4. à définir, en concertation avec les partenaires publics et privés de la branche professionnelle, des codes de bonne conduite qui bannissent les pratiques et images sexistes, favorisent la présence équilibrée des femmes et des hommes dans les médias et incluent la perspective de genre;
6.5. à mettre en place des quotas ou d’autres mesures positives dans les médias publics, assortis d’objectifs visant à améliorer la participation et la représentation des femmes;
6.6. à mettre en place des structures de suivi (monitorage) et/ou de renforcement des mécanismes d’autorégulation permettant de dénoncer les représentations stéréotypées et s’inspirant, lorsqu’ils s’avèrent efficaces, des mécanismes de dénonciation des publicités sexistes;
6.7. à promouvoir la mise en place d’un mécanisme européen de surveillance et d’échange de bonnes pratiques;
6.8. à mettre l’accent sur les programmes visant la jeunesse pour lutter contre les images stéréotypées des femmes et des hommes et les attitudes sexistes dans la société;
6.9. à promouvoir, dans les écoles, l’apprentissage de la lecture des médias, le décryptage des stéréotypes sexistes et l’apprentissage de l’égalité entre les femmes et les hommes, suivant la Recommandation CM/Rec(2007)13 du Comité des Ministres adressée aux Etats membres relative à l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’éducation et les Résolutions 1557 (2007) sur l’image des femmes dans la publicité et 1669 (2009) de l’Assemblée sur les droits des filles d’aujourd’hui: les droits des femmes de demain.
7. L’Assemblée invite par ailleurs les parlements nationaux:
7.1. à combattre les stéréotypes sexistes dans les médias par l’adoption de mesures juridiques visant à réprimer les propos ou injures sexistes, l’incitation à la haine ou à la violence fondée sur le genre et la diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe;
7.2. à donner aux individus victimes de discrimination fondée sur le sexe ainsi qu’aux organisations non gouvernementales actives dans la lutte contre les violences ou les discriminations fondées sur le sexe la possibilité de saisir la justice ou les instances de régulation ou d’autorégulation compétentes;
7.3. à permettre au ministère public de poursuivre d’office les délits sexistes les plus graves;
7.4. à encourager les parlementaires à adopter un langage non sexiste et à ne pas avoir recours aux stéréotypes sexistes dans le cadre de leurs activités parlementaires;
7.5. à inviter les parlementaires à exiger que les candidates et les élues aient le même accès aux médias que les candidats et élus masculins.
8. L’Assemblée invite les Etats membres à encourager des mesures visant à promouvoir la visibilité et l’importance des femmes dans les médias, parmi lesquelles:
8.1. l’analyse systématique, à la fois quantitative et qualitative, de la place et du rôle des femmes dans les médias;
8.2. la constitution de listes d’expertes et de consultantes pouvant être sollicitées par les médias;
8.3. la création de concours et de prix récompensant les médias qui favorisent une représentation et une participation équilibrée des femmes et des hommes;
8.4. la constitution de groupes de réflexion focalisés sur la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dont les travaux puissent être pris en compte par les instances chargées de la régulation des médias.
9. L’Assemblée invite les médias:
9.1. à sensibiliser et former les journalistes pour inclure la dimension de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le journalisme et dans les médias;
9.2. à promouvoir la dimension de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des instances de régulation et d’autorégulation et, le cas échéant, à mettre en œuvre les recommandations préconisées dans les codes de bonne conduite;
9.3. à favoriser une représentation plus équilibrée des femmes dans les médias, et une représentation non stéréotypée des femmes et des hommes, en contribuant ainsi à surmonter les entraves à l’égalité entre les femmes et les hommes.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 28 avril 2010.

(open)
1. Rappelant sa Résolution … (2010) sur «Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias», l’Assemblée parlementaire déplore la persistance des stéréotypes sexistes dans les médias qui constituent de fait une entrave à l’égalité des femmes et des hommes.
2. L’Assemblée se félicite que le thème «Combattre les stéréotypes: le rôle de l’éducation et des médias» ait été discuté lors de la 7e Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui s’est tenue à Bakou (Azerbaïdjan) les 24-25 mai 2010. L’Assemblée considère que l’éducation et les médias jouent un rôle fondamental pour combattre les stéréotypes sexistes. Dans le même temps, l’Assemblée souligne que la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes ne se limite pas au respect du principe de non-discrimination mais doit impliquer des obligations positives des Etats pour garantir le droit à l’égalité entre les sexes.
3. Par conséquent, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
3.1. à élaborer, en coopération avec les comités directeurs compétents:
3.1.1. un code européen de bonne conduite, destiné aux Etats membres, pour combattre les stéréotypes sexistes dans les médias;
3.1.2. un manuel sur les stratégies pour combattre les stéréotypes de genre dans les médias, destiné aux médias, s’inspirant des bonnes pratiques existantes;
3.2. à inscrire, dans la future convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la lutte contre les stéréotypes de genre comme outil de prévention de la violence fondée sur le genre et de promotion de la réalisation effective de l’égalité entre les femmes et les hommes;
3.3. à sensibiliser ses organes subordonnés à l’utilisation d’un langage non sexiste, conformément à la Recommandation no R(90)4 du Comité des Ministres sur l’élimination du sexisme dans le langage.
4. Rappelant sa Recommandation 1798 (2007) sur le respect du principe d’égalité des sexes en droit civil, l’Assemblée réitère l’invitation faite au Comité des Ministres d’élaborer un nouveau protocole à la Convention européenne des droits de l’homme inscrivant l’égalité entre femme et homme comme un droit fondamental de la personne humaine.

C. Exposé des motifs, par Mme Doris Stump, rapporteuse

(open)

1. Introduction

1. Les médias constituent un chaînon vital de la démocratie. L’égalité entre les femmes et les hommes que défend le Conseil de l’Europe est une exigence démocratique. Pourtant, force est de constater qu’à la télévision, dans la presse écrite et les médias électroniques, les femmes sont sous-représentées ou victimes de sexisme: décrites ou perçues comme des personnes faibles, vulnérables, dépendantes, confinées dans leur rôle de mères, d’épouses ou d’objets sexuels, les femmes qui réussissent dans le monde professionnel sont en revanche présentées comme carriéristes, arrivistes, avec des qualités «masculines».
2. L’Assemblée parlementaire avait, dans sa Résolution 1557 (2007), dénoncé l’image des femmes dans la publicité 
			(3) 
			Doc. 11286 (rapporteuse: Mme Gülsün
Bilgehan, Turquie, Groupe socialiste).. Mais les femmes sont aussi absentes, ou représentées de manière stéréotypée dans les médias (radio, télévision, presse écrite et médias électroniques). Ces représentations figent les rôles attribués traditionnellement aux femmes et aux hommes et entravent l’égalité entre les femmes et les hommes. Aussi ai-je proposé, avec d’autres collègues, de travailler sur cette question et de réfléchir sur les moyens de combattre les représentations sexistes dans les médias 
			(4) 
			Voir Doc. 11714.. Ce rapport s’intéressera aux stéréotypes sexistes que l’on rencontre dans tous les médias (télévision, radio, internet) à l’exception de la publicité, qui a fait l’objet d’un rapport spécifique de l’Assemblée en 2005 
			(5) 
			Voir Résolution 1557 (2007), Recommandation
1799 (2007) et Doc. 11286 sur l’image des femmes dans la publicité (rapporteuse:
Mme Gülsün Bilgehan, Turquie, Groupe
socialiste)..
3. Les stéréotypes constituent «une opinion toute faite, réduisant les singularités, association stable d’éléments (images, idées, symboles, mots) formant une unité, une définition spéciale d’un objet dénommé à un moment donné» (définition du Petit Robert, 2006) qui nous aident à appréhender le monde. Dans le même temps, les stéréotypes évoquent aussi un cliché, une caricature, une généralisation, une image toute faite et figée faisant référence à un groupe de personnes, «image le plus souvent basée sur des renseignements faux, exagérés, incomplets ou extrapolés à partir d’un élément caractéristique souvent lié à une particularité physique ou mentale» 
			(6) 
			Voir les travaux de
Claudine Lienard, <a href='http://www.universitedesfemmes.be/041_publications-feministes.php?idpub=34&debut'>«Analyse
no 02/2006: Les stéréotypes sexistes, outils de discriminations
des femmes</a>», Université des femmes de Belgique.. Les stéréotypes sexistes ont une visée discriminatoire et cherchent à maintenir les femmes et les hommes dans des rôles traditionnels conférés par la société et, plus spécifiquement, dans une position inférieure pour ce qui concerne les femmes.
4. Lorsque l’on évoque la lutte contre les stéréotypes sexistes dans les médias, la liberté d’expression des journalistes est souvent mise en avant pour éviter toute action ou interaction avec les médias. Et pourtant l’atteinte à la dignité des personnes, y compris celle des femmes, par l’utilisation banalisée de stéréotypes sexistes n’est pas anodine. Elle peut, notamment dans les nouveaux médias comme internet, qui échappent aux mécanismes de régulation traditionnels, aller jusqu’à l’incitation à la haine ou à la violence à l’égard des femmes. La lutte contre les stéréotypes sexistes doit être considérée comme une composante de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes – qui constituent des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Le respect de la dignité de la personne humaine, et corollairement la lutte contre l’incitation à la haine ou à la violence (y compris fondée sur le genre) et la répression des pratiques discriminatoires (y compris envers les femmes), doit primer sur la liberté d’expression. De plus, l’égalité entre les femmes et les hommes constitue une composante essentielle de la liberté d’expression, comme le rappelait l’association Article 19 à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la femme en 2010 
			(7) 
			«<a href='http://www.article19.org/pdfs/press/international-women-s-day-article-19-affirms-the-rights-of-women-with-the-ri.pdf'>International
Women’s Day: Article 19 affirms the Rights of Women with the Right
to Free Expression</a>», Article 19, 8 mars 2010..
5. La commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes m’a nommée rapporteuse le 5 décembre 2008. J’ai proposé à la commission d’organiser une audition sur cette question, qui s’est tenue le 24 mars 2009 à Paris, avec la participation de Luise F. Pusch, linguiste et écrivain (Allemagne), Lavinia Mohr, secrétaire générale adjointe et directrice des programmes de l’Association mondiale pour la communication chrétienne (WACC) (Canada), Marie-Thérèse Casman, maître de conférences à l’université de Liège (Belgique), Brigitte Grésy, rapporteuse de la Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les médias (France), et Pamela Morinière, responsable des programmes sur l’égalité des genres de la Fédération internationale/européenne des journalistes 
			(8) 
			Voir
AS/Ega (2009) PV 2 add., disponible sur le site de l’Assemblée..
6. Les stéréotypes sexistes ont été dénoncés dans de nombreuses enceintes internationales 
			(9) 
			Citons
la Recommandation no R (84) 17 sur l’égalité
entre les femmes et les hommes dans les médias adressée dès 1984
par le Conseil de l’Europe à ses Etats membres, la Recommandation 1555 (2002) de l’Assemblée sur l’image des femmes dans les médias
en 2002 et plus récemment la Résolution du Parlement européen sur
l’impact du marketing et de la publicité sur l’égalité des genres
(3 septembre 2008).. Le Conseil de l’Europe a consacré la 8e réunion de son «Réseau informel sur l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes» au thème de «L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les médias» 
			(10) 
			Voir CDEG-GM (2008)
RAP 8.. Et l’un des ateliers de la prochaine conférence ministérielle européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes, qui se tiendra à Bakou (Azerbaïdjan) en mai 2010, est consacré au sujet «Combattre les stéréotypes: le rôle de l’éducation et des médias». Avec ce rapport, l’Assemblée entend contribuer aux travaux du Conseil de l’Europe et faire valoir le point de vue des parlementaires sur la question.

2. Des femmes invisibles, ou sous-représentées dans les médias

7. Lors de l’audition organisée par la commission, tous les intervenants ont mis en exergue la sous-représentation, voire l’invisibilité des femmes dans les médias.
7.1. En 1995, 2000 et 2005, l’Association mondiale pour la communication chrétienne a lancé le «Projet mondial de monitorage des médias» 
			(11) 
			L’Association
mondiale pour la communication chrétienne a lancé en novembre 2009
une nouvelle enquête, ce qui permettra de disposer de chiffres mis
à jour à l’échelle globale.. Ainsi, le 16 février 2005, durant une journée, des centaines de bénévoles dans 76 pays ont analysé près de 13 000 reportages diffusés à la télévision, à la radio et dans la presse écrite (dont 9 451 en Europe). Ces reportages portaient sur plus de 25 000 sujets (personnes interviewées ou dont il est question dans l’article ou le reportage). Ils émanaient de plus de 14 000 journalistes et présentateurs de radio et de télévision. Les résultats présentés par Mme Mohr sont édifiants:
  • seulement 21 % des sujets des nouvelles sont des femmes (contre 17 % en 1995). Sur l’ensemble des personnes figurant dans les reportages, on compte donc quatre hommes pour une femme;
  • dans les nouvelles relatives à la politique et au gouvernement, seulement 14 % des sujets sont des femmes;
  • dans les informations sur l’économie et les entreprises, elles ne sont que 20 %;
  • les femmes engagées en politique sont, proportionnellement, peu présentes dans les médias: au Portugal, les femmes représentent 25 % des députés et 2 % des personnalités politiques apparaissant dans les informations; en Italie, elles sont 12 % au parlement et 2 % dans les nouvelles. En Suède, 46 % des parlementaires sont des femmes, mais seulement 28 % des parlementaires qui apparaissent dans les médias sont des femmes;
  • dans la majorité écrasante des cas, les avis d’experts entendus dans les nouvelles sont émis par des hommes, qui dominent parmi les porte-parole (86 % d’hommes) et les experts (83 %);
  • enfin, l’égalité/l’inégalité est un non-sujet: dans le monde, 96 % des reportages n’attirent pas l’attention sur les questions d’égalité ou d’inégalité qui pourraient avoir un lien avec le thème dont ils traitent.
7.2. Ces tendances se retrouvent également dans le récent rapport de la Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les médias présenté en France en 2008: les femmes apparaissent dans 37 % des sujets traités à la télévision, contre 63 % pour les hommes; 17 % des photos dans la presse hebdomadaire mixte représentent des femmes, alors que 53 % des photos montrent des hommes 
			(12) 
			Rapport de la Commission
de réflexion sur l’image des femmes dans les médias de la France
(2008), présentée par Mme Grésy à Paris
le 24 mars 2009, AS/EGA (2009) PV 2 add..
7.3. Les pays qui ont une participation plus importante de femmes dans la vie publique ne sont pas épargnés par cette sous-représentation: selon une étude réalisée parmi des télévisions publiques d’Europe du Nord, seuls 32 % des participants sont des femmes. Les femmes sont le plus souvent représentées dans des rôles avec un statut social peu élevé: 47 % des «citoyens ordinaires» et 37 % des victimes étaient des femmes, alors que la majorité des personnalités politiques (72 %) et des experts (80 %) étaient des hommes 
			(13) 
			Etude «Qui parle à
la télévision» menée de 1997 à 2000 dans le cadre du projet «Changer
l’image des femmes et des hommes à la télévision» (Screening gender) associant les
compagnies publiques de télévision d’Europe du Nord Yleisradio Oy
(YLE), Sveriges Television (SVT), Norsk Rikskringkasting (NRK),
Nederlandse Omroep Stichting (NOS) et Zweites Deutsches Fernsehen
(ZDF) et Danmarks Radio (DR), voir <a href='http://yle.fi/gender/imart.html'>http://yle.fi/gender/imart.html</a>.
7.4. A l’échelle mondiale, des progrès ont certes été réalisés depuis dix ans: la représentation des femmes a en effet doublé dans les nouvelles «sérieuses», qui sont au centre de l’information, passant de 7 % à 14 % dans le domaine de la politique et du gouvernement, et de 10 à 20 % dans le domaine économique. Mais, à ce rythme, il faudrait cinquante ans pour que les femmes occupent une place centrale dans les informations sur la politique et le gouvernement et trente ans dans les nouvelles économiques 
			(14) 
			Mme Mohr,
AS/EGA (2009) PV 2 add..

3. Des femmes représentées en tant que mères, objet sexuel – ou réduites à leur apparence physique

8. Lorsque les femmes sont présentes, les médias renvoient souvent une image distordue de la réalité.
8.1. Mme Paseka, universitaire, a mis en exergue les messages contradictoires que suscitent les articles représentant des femmes et les photos illustrant le contenu de l’article. L’illustration de Nataša Mičic, devenue présidente du Parlement de la Serbie en 2001, est étonnante: alors qu’elle accède à des fonctions politiques de premier ordre, elle est présentée sur les photos comme la «Nicole Kidman de la Serbie», dans des postures lascives et suggestives 
			(15) 
			Mme Paseka,
AS/EGA (2009) PV 2 add..
8.2. Ainsi, alors que les femmes françaises mesurent en moyenne 1,63 mètre pour 63 kg et ont 41 ans en moyenne, 85,75 % des femmes dans la presse féminine sont jeunes, 92,75 % sont minces et 92,65 % sont blanches 
			(16) 
			Mme Grésy,
AS/EGA (2009) PV 2 add.. Dans la presse féminine, 50 % des femmes sont blondes – alors qu’elles ne représentent que 10 % des femmes dans la société 
			(17) 
			Rapport de la Commission
de réflexion sur l’image des femmes dans les médias de la France
(2008), p. 63.. La représentation des corps des femmes peut avoir un impact dramatique sur les jeunes filles, confrontées aux désordres alimentaires comme l’anorexie pour se conformer à ce qui est présenté dans les médias comme la norme.
8.3. L’étude menée par l’université de Liège à la demande de la Direction de l’égalité des chances de la communauté francophone de Belgique démontre que les hommes sont présentés comme compétiteurs ou idiots, rationnels, dotés d’un sens de l’humour, musclés, leur corps est mis en valeur, ils sont souvent placés spatialement au-dessus de la femme. Les femmes de leur côté axent leur discours sur l’apparence ou l’état physique, elles sont présentées comme émotives, centrées sur la famille, représentées dans des positions couchées, des postures passives, lascives, et un corps morcelé (qui renvoie à une image fétichisée de la femme) ou un corps mis en valeur de façon à évoquer la sexualité 
			(18) 
			Mme Casmans,
AS/EGA (2009) PV 2 add..
8.4. En matière de violence à l’égard des femmes, l’utilisation d’un langage atténué, ou euphémique, aboutit aussi à distordre la réalité et banaliser ce qui relève de la violation des droits de la personne humaine. Ainsi, dans son essai «Wie mann aus seiner Mördergrube ein Herz macht: Strategien männlicher Imagepolitik» (Comment éviter de parler franchement: les stratégies de la politique de l’image masculine) de 1989, Luise Pusch a analysé le langage qu’emploient les journaux pour parler de la violence à l’égard des femmes et a identifié trois niveaux de solutions au problème du traitement de ce phénomène «délicat»: l’ignorer, le nier ou le camoufler, à l’aide de trois techniques, consistant à: 1. supprimer l’auteur en utilisant une construction passive (exemple: «des enfants victimes d’abus sexuels»), 2. créer la confusion par la fusion: la victime et l’auteur sont amalgamés et ne peuvent plus être différenciés (exemples: on parlera de «violence des jeunes» au lieu de «violence des jeunes hommes» de «violence familiale» ou «violence domestique»); et, 3. par la banalisation et la distorsion allant jusqu’à l’affirmation du contraire par le recours à la méthode du spinning, une technique affinée constamment par les spécialistes en communication (spin doctors). Pour Mme Pusch, le terme «sexe» utilisé dans les articles allemands sur le viol et les agressions sexuelles a ainsi une connotation excitante de «plaisir» qui reflète l’expérience et la perspective des hommes, alors qu’elle nie et oblitère l’expérience de la victime et masque ou banalise la nature violente et souvent brutale des crimes.
9. Pour conclure ce constat, je note que les femmes sont soit peu représentées, ou représentées de manière caricaturale et stéréotypée (l’accent étant mis sur leurs qualités physiques, «féminines», «maternelles», voire sexuelles), soit elles sont quasi invisibles – et je voudrais particulièrement souligner cet aspect qui, précisément, nous échappe peut-être le plus. Car comme l’expliquait Mme Mohr, «les femmes et leurs préoccupations, leurs opinions, leurs expériences, leurs actions, leurs connaissances et leurs compétences sont pratiquement absents du paysage médiatique. Leur invisibilité laisse entendre qu’elles ne sont pas importantes. C’est peut-être la forme la plus insidieuse et en même temps la plus grave de stéréotypes sexistes diffusés par les médias d’information» 
			(19) 
			Mme Mohr,
AS/EGA (2009) PV 2 add..

4. L’impact des stéréotypes sexistes: une entrave à l’égalité entre les femmes et les hommes

10. La sous-représentation des femmes dans les médias et les représentations stéréotypées confinent les femmes dans un rôle passif et secondaire. Consciemment ou non, les médias perpétuent un modèle de société fondée sur l’inégalité entre les femmes et les hommes.
10.1. Cette vision de la société est confortée par l’utilisation du langage qui, marqué par le recours au «masculin générique» (pour désigner des fonctions, des professions, et qui se veut une norme transcendant le genre humain pour qualifier un groupe composé d’hommes et de femmes) n’est pas neutre. Mme Pusch a consacré de nombreux travaux au sexisme dans le langage et montré «que le "masculin générique" n’est nullement neutre mais qu’il évoque surtout des images masculines dans l’esprit des gens et ne permet pas à l’idée de femme d’émerger d’emblée» 
			(20) 
			Voir
la présentation de LuisePusch du 24 mars
2009, document AS/EGA (2009) Inf 9..
10.2. Cette représentation sexiste a une influence évidente sur la formation de l’identité des filles et des jeunes femmes – ainsi que des hommes. Elle influe leurs choix de vie et de carrière. Les femmes sont ainsi amenées à se diriger vers des métiers réputés «féminins» qui offrent des possibilités de carrière limitées alors que les hommes sont orientés vers la recherche, les sciences, les métiers techniques qui offrent de meilleures possibilités de carrière. Petit à petit émerge le «sexisme ordinaire», fait de stéréotypes et de représentations collectives qui, pour Brigitte Grésy, «se traduisent par des mots, des gestes, des comportements ou des actes qui excluent, marginalisent ou infériorisent les femmes» 
			(21) 
			Voir le site <a href='http://www.sexismeordinaire.com/'>www.sexismeordinaire.com</a> Brigitte Grésy, «Petit traité contre le sexisme ordinaire»,
2009..
10.3. Pour les femmes migrantes, confrontées à la double discrimination en raison de leur sexe et de leur origine, l’impact des stéréotypes sexistes est encore plus marquant et compromet leurs possibilités d’autonomisation et d’émancipation au sein de leur communauté d’origine, mais aussi dans la société d’accueil.
10.4. Plus grave encore, ce sexisme ordinaire pratiqué à outrance et de manière répétée conduit aussi à banaliser la femme-objet, les atteintes à la dignité humaine au nom du divertissement 
			(22) 
			Voir à ce propos le
documentaire de Lorella Zanardo sur «le corps des femmes» (<a href='http://www.ilcorpodelledonne.net/?page_id=89'>www.ilcorpodelledonne.net</a>) sur l’utilisation manipulatoire du corps des femmes
à la télévision, à l’élimination des visages adultes de la télévision,
au recours à la chirurgie esthétique et aux conséquences sociales
de ces tendances. qui peuvent conduire à banaliser la violence (psychologique, physique) exercée contre les femmes. Comme l’a souligné l’Assemblée dans sa Recommandation 1882 (2009), «les contenus représentant des femmes et des jeunes filles comme des objets ou limitant leur représentation à des stéréotypes de genre avilissants peuvent conduire dans certains cas à pratiquer une violence sexiste dans le monde virtuel et dans le monde réel, y compris la (cyber)intimidation, le harcèlement et le viol, voire à commettre des massacres dans des établissements scolaires» 
			(23) 
			Recommandation 1882 (2009), paragraphe 5, et Doc.
11924 sur la promotion d’internet et des services de médias
en ligne adaptés aux mineurs (rapporteur: M. Kozma, Hongrie, Groupe
socialiste).. Je me réjouis que le Comité ad hoc sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a reconnu que la lutte contre les stéréotypes de genre est un instrument de promotion et de réalisation pratique de l’égalité entre les femmes et les hommes dans lequel devraient s’inscrire toutes les mesures visant à prévenir la violence à l’égard des femmes 
			(24) 
			Voir
rapport intérimaire du CAHVIO du 27 mai 2009, CAHVIO (2009) 4 FIN.,
p. 8..
10.5. Enfin, les contraintes économiques parachèvent ce modèle: même si le nombre de journalistes femmes est en augmentation, cela ne suffit pas à changer la situation: en Russie par exemple, alors que 80 % des journalistes sont des femmes, la plupart des patrons de presse sont des hommes et imposent une vision sexuée de la réalité. Les femmes continuent à être représentées comme des femmes au foyer. Les sujets sur l’égalité des femmes et des hommes sont censurés 
			(25) 
			Mme Morinière,
AS/EGA (2009) PV 2 add., se référant au séminaire «Stop au sexisme
dans les médias» organisé à Moscou en 2008.

5. Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias: pistes d’action

11. En premier lieu, il faut donc favoriser la prise de conscience et mettre en lumière l’invisibilité ou la sous-représentation des femmes dans les médias. Cela s’obtiendra par un effort de décryptage des médias et la mise en place d’indicateurs qui permettent de formuler des recommandations et de suivre les progrès réalisés. Cette prise de conscience peut être stimulée par l’existence de groupes de réflexion et d’action (think tanks) qui peuvent se révéler particulièrement efficaces pour influencer les décideurs politiques et les acteurs économiques 
			(26) 
			Ainsi les think tanks néolibéraux ont-ils
grandement favorisé l’élection de Georges Bush aux Etats-Unis, comme
cela a été relevé par Mme Pusch, voir
AS/EGA (2009) PV 2 add..
12. Les Etats membres peuvent également jouer un rôle pour inciter les acteurs concernés (pouvoirs publics, instances de contrôle et de régulation, pouvoir économique, associations et ONG) à promouvoir non seulement la diversité, un sujet porteur actuellement, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes.

5.1. Formation, sensibilisation, éducation

13. La sensibilisation du grand public est indispensable, mais c’est avant tout dès le plus jeune âge et dans les écoles qu’il faut instaurer une éducation aux médias pour former la jeunesse au décryptage des images et des messages 
			(27) 
			On rappellera à cet
égard les travaux de l’Assemblée sur «Les droits des filles d’aujourd’hui:
les droits des femmes de demain» (rapporteuse: Mme Ingrid
Circene, Lettonie, PPE/DC), Résolution
1669 (2009), Recommandation
1872 (2009) et Doc. 11910. Le psychanalyste Serge Tisseron, participant à l’audition
sur «L’image des femmes dans les médias», avait également plaidé
pour la mise en place d’une éducation à l’image, voir AS/EGA (2006)
PV 5 add.: les études ont montré que le volume, les conditions et le contenu de la consommation télévisuelle des jeunes, l’estime de soi des jeunes, la valorisation des qualités de «l’autre», mais aussi le capital culturel des parents ou les représentations sexuées 
			(28) 
			Présentation
de Mme Casmans, AS/EGA (2009) PV 2 add. sont autant de facteurs qui rendent les jeunes réceptifs aux messages stéréotypés. A cet égard, le Parlement européen a mis en exergue l’impact des stéréotypes sexistes sur les enfants qui constituent «un groupe particulièrement exposé, dès lors qu’ils font confiance non seulement aux symboles de l’autorité mais aussi aux héros des contes, des émissions télévisées, des livres illustrés, y compris des manuels scolaires, des jeux télévisés, des publicités pour jouets, etc.» 
			(29) 
			Voir le
«considérant» Q de la Résolution du Parlement européen du 3 septembre
2008 sur l’impact du marketing et de la publicité sur l’égalité
des genres (2008/2038(INI)), rapporteuse: Mme Eva-Britt
Svensson (SE, GUE/NGL) au nom de la commission des droits de la
femme et de l’égalité des genres..
13.1. Les efforts consentis par les écoles de journalisme ou les fédérations professionnelles doivent être soutenus et renforcés. La formation des journalistes pour une sensibilisation accrue aux questions de genre est en effet indispensable. Plusieurs outils ont été développés:
13.1.1. Le kit «portraying politics» développé par la Fédération européenne/internationale des journalistes (FIJ) permet de sensibiliser les journalistes sur la place de la femme en politique, en abordant les thématiques de l’invisibilité des femmes dans l’information, le positionnement des femmes sur les sujets dits «soft», le thème de la conciliation de leur vie privée et professionnelle, la gestion des émotions en politique ou le rôle du journaliste et les choix qu’il opère pour retenir des images, des lieux, des musiques.
13.1.2. Le kit «screening gender» disponible auprès de l’Union européenne de radiotélévision 
			(30) 
			Voir
le site <a href='http://www.yle.fi/gender'>http://www.yle.fi/gender</a> met l’accent sur les bonnes et mauvaises pratiques en matière de télévision.
13.1.3. Il faut saluer l’adoption, en novembre 2008 par la FIJ, d’une résolution sur la violence à l’égard des femmes qui est un sujet peu couvert, ou mal couvert, par les médias. L’accent a été mis sur la manière adéquate d’utiliser des termes appropriés et précis (ne pas confondre traite et prostitution par exemple), de donner des informations sur le contexte, de parler des agresseurs, d’interviewer les femmes agressées (et de préserver leur anonymat), d’utiliser des sources fiables et de donner des numéros d’appels d’urgence 
			(31) 
			Mme Morinière,
AS/EGA (2009) PV 2 add..
13.1.4. Enfin, signalons la publication en juillet 2009 du guide Rétablir l’équilibre – Egalité des genres dans le journalisme 
			(32) 
			Ce
guide est disponible en français, anglais et espagnol, <a href='http://portal.unesco.org/ci/en/files/28397/12435929015gender_booklet_fr.pdf/gender_booklet_fr.pdf'>http://portal.unesco.org/ci/en/files/28397/12435929015gender_booklet_fr.pdf/gender_booklet_fr.pdf</a> coproduit par l’UNESCO, la Fédération internationale des journalistes et la Confédération des syndicats et des employés suédois (LO-CTO). Ce guide est un outil pratique qui traite de la situation des femmes journalistes dans les médias, des stéréotypes, des femmes journalistes dans les associations et les syndicats, et rappelle les actions de la FIJ en matière de harcèlement moral et d’égalité des genres.
13.2. D’autres mesures incitatives peuvent être mises en place, comme l’attribution de prix visant à récompenser des bonnes pratiques journalistiques (comme cela est pratiqué par le magazine féministe allemand Emma). Ces prix permettent d’attirer l’attention des journalistes sur la nécessité d’inclure une perspective de genre dans les sujets traités.
13.3. Parce qu’elles sont sous-représentées sur les plateaux de télévision, parce qu’elles se sentent mises en minorité lorsqu’elles sont en sous-nombre, les rares femmes invitées hésitent à répondre favorablement aux sollicitations. Les études montrent que les membres d’un groupe sous-représenté se sentent à l’aise lorsqu’ils constituent au moins 30 % du panel 
			(33) 
			Mme Grésy,
AS/EGA (2009) PV 2 add.. Lors de l’audition organisée à Paris, plusieurs mécanismes ont été évoqués pour faciliter l’identification et l’invitation d’expertes femmes dans les débats ou les journaux médiatisés, notamment la mise en place de listes d’expertes et de consultantes, suivant l’exemple de la Belgique 
			(34) 
			Mme Morinière,
AS/EGA (2009) PV 2 add..

5.2. Le cadre juridique – Des dispositifs à renforcer?

14. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDEF/CEDAW) – à laquelle tous les Etats membres du Conseil de l’Europe sont parties – appelle, dans son article 5, à l’adoption de mesures appropriées «afin de modifier les schémas sociaux et culturels de conduite des hommes et des femmes afin de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques culturelles et autres qui sont fondées sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou sur des rôles stéréotypés de femmes et d’hommes».
15. Il faut noter que l’Espagne a ancré la lutte contre les stéréotypes sexistes dans sa législation: la loi organique pour l’égalité effective entre les femmes et les hommes de 2007 consacre un titre aux moyens de communication. Elle souligne la responsabilité des médias publics dans la transmission d’une image égalitaire, plurielle et non stéréotypée des femmes et des hommes dans la société, et la promotion du principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Elle invite la RTVE et l’agence EFE à refléter de manière adéquate la présence des femmes dans les différents secteurs de la vie sociale, d’utiliser un langage non sexiste, d’adopter des codes de conduite visant à promouvoir l’égalité et de collaborer avec les campagnes institutionnelles visant à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes et l’éradication de la violence à l’égard des femmes. Les médias privés sont invités à éviter toute forme de discrimination et la publicité comportant une conduite discriminatoire au sens de la loi sera considérée comme illicite 
			(35) 
			Voir
la <a href='http://www.boe.es/boe/dias/2007/03/23/pdfs/A12611-12645.pdf'>loi
organique 3/2007 de l’Espagne</a> pour l’égalité effective entre les femmes et les hommes,
titre III..
16. Une attention particulière doit être portée aux nouveaux médias électroniques, qui échappent souvent à tout mécanisme de régulation. Ces médias, d’une part, représentent un champ nouveau d’expression pour les femmes qui se sont emparées de l’espace virtuel 
			(36) 
			En France, près de
49 % des femmes ont une messagerie instantanée, 44 % participent
à des forums de discussion, 43 % rédigent des mails et elles sont
des contributrices majeures de sites communautaires tels que Myspace
ou Facebook (Rapport de la Commission
de réflexion sur l’image des femmes dans les médias de la France,
2008, p. 43)., y voient la possibilité de développer un journalisme différent 
			(37) 
			Voir
par exemple le site <a href='http://www.lesnouvellesnews.fr/'>www.lesnouvellesnews.fr</a> qui entend donner la parole «autant aux femmes qu’aux
hommes».. Cependant, il faut craindre que la concentration et le contrôle des médias accentuent les contraintes professionnelles et renforcent la commercialisation et la sexualisation du contenu du journalisme 
			(38) 
			Women and journalism de Deborah
Chambers, Linda Steiner, Carole Fleming, Routledge, Londres, 2004,
p. 240.. La resexualisation et l’hypersexualisation des femmes et des jeunes filles (qui font de leur attractivité sexuelle une définition de leur personne) que l’on peut observer aujourd’hui dans les médias, en particulier sur internet, laissent penser que le sexisme y devient hélas encore plus présent 
			(39) 
			Voir les travaux du
professeur Rosalind Gill, professeur d’analyse culturelle et sociale
au King’s College, Londres..
17. L’adoption de codes de bonne conduite ou de codes éthiques impliquant tous les acteurs du secteur des médias peut contribuer à la sensibilisation des professionnels à l’impact des stéréotypes sexistes dans la société, en particulier auprès des jeunes, et doit inclure une dimension genre. Quelques exemples peuvent être cités:
17.1. En Allemagne, le Code de la presse précise (chapitre 12) que personne ne peut être discriminé en raison de son sexe, d’un handicap ou de son appartenance à un groupe ethnique, religieux, social ou national. Les plaintes peuvent être adressées au Conseil de la presse (Presserat) 
			(40) 
			Voir le site <a href='http://www.presserat.info/'>www.presserat.info</a> voir CDEG-GM (2008) 1 rév..
17.2. Le Conseil de l’audiovisuel de Malte a édité des «orientations sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la représentation des femmes et des hommes dans les médias de télévision et de radiodiffusion» 
			(41) 
			Voir le site <a href='http://www.ba-malta.org/codes-guidellines-policies'>www.ba-malta.org/codes-guidellines-policies</a> cité dans CDEG-GM (2008)1 rév. visant à aider les producteurs à «développer une image positive des femmes et les hommes et à éliminer la discrimination systématique». Ces recommandations détaillées sont un exemple particulièrement intéressant.
17.3. En France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs de sanction, veille à ce que les programmes de radio et de télévision ne contiennent «aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons (…) de sexe» et «au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à la disposition du public» 
			(42) 
			Cité par Gisèle Gautier
dans le <a href='http://www.halde.fr/IMG/alexandrie/3001.PDF'>Rapport
d’activité</a> fait pour l’année 2006-2007 au
nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes, et compte rendu des travaux de cette
délégation sur le thème «Femmes
et hommes dans les médias»,
présenté le 11 juillet 2007 (ibid.), p.
66: «Sur le fondement de l’interdiction des propos et comportements
discriminatoires, le CSA est intervenu pour remettre en cause le
principe même de certaines émissions de téléréalité, qu’il a jugées
non conformes aux obligations déontologiques d’une chaîne de télévision,
en raison de l’image qu’elles donnaient de la femme. (…) ou pour
mettre fin aux propos et comportements violents envers les femmes
dans d’autres émissions de téléréalité, ainsi qu’à des propos sexistes
ou discriminations sexistes dans diverses émissions. Sur le fondement
de l’interdiction des propos et comportements portant atteinte à
la dignité humaine, le conseil est intervenu à propos de séquences
prétendument humoristiques mettant en scène une violence exercée
à l’égard des femmes, comme une séquence mettant en scène un viol
collectif d’une mère sous les yeux de son enfant, ou une séquence
dans laquelle une femme était rabaissée au rang de cheval. Il est
également intervenu à l’encontre de propos très violents tenus à
l’égard des femmes; en 2001, il a notamment adressé des mises en
demeure à deux stations de radio, à la suite de commentaires obscènes
formulés par certains de leurs animateurs au sujet des participantes
à l’émission de téléréalité “Loft story”.».
18. La directive «Télévision sans frontière» révisée de l’Union européenne autorise les Etats de l’Union européenne, dans le domaine des services de médias audiovisuels à la demande, à prendre des mesures dérogatoires lorsqu’elles s’avèrent nécessaires pour «l’ordre public, en particulier la prévention et les enquêtes et poursuites en matière d’infractions pénales, notamment (…) la lutte contre l’incitation à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine». De plus, «les Etats membres veillent, par des mesures appropriées, à ce que les services de médias audiovisuels fournis par les fournisseurs relevant de leur compétence ne contiennent aucune incitation à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité» et à ce que les communications commerciales audiovisuelles fournies par les fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence «ne comportent pas de discrimination fondée sur le sexe, l’origine raciale ou ethnique, la nationalité, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, ni ne promeuvent une telle discrimination» 
			(43) 
			Directive 2007/65/CE du Parlement européen et du conseil du 11 décembre
2007 modifiant la Directive
89/552/CEE du conseil visant à la coordination de certaines
dispositions législatives, réglementaires et administratives des
Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion
télévisuelle..
19. La lutte contre les stéréotypes sexistes doit être renforcée par un dispositif juridique qui en réprime effectivement les formes les plus graves. A titre d’exemple, la loi française du 29 juillet 1881 (telle que modifiée en 2004 
			(44) 
			Modifiée par la loi
no 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant
création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations
et pour l’égalité (HALDE).) sur la liberté de la presse réprime les propos sexistes tenus par voie de presse, de publicité, de communication au public par voie électronique, ou par tout autre moyen de publication, de la même façon qu’elle réprimait déjà, par exemple, les propos racistes 
			(45) 
			Sont ainsi punies la
provocation par l’un de ces moyens à la haine ou à la violence à
l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de
leur sexe (article 24); la diffamation commise par les mêmes moyens
envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur
sexe (article 32); l’injure commise dans les mêmes conditions envers
une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe (article
33).. Pour l’ensemble de ces délits, est désormais prévue la possibilité pour les associations ayant pour objet «de combattre les violences ou les discriminations fondées sur le sexe ou d’assister les victimes de ces discriminations» d’exercer les droits reconnus à la partie civile, sous réserve de l’accord des victimes (article 48-5). La loi prévoit en outre la possibilité pour le ministère public de poursuivre d’office, notamment en cas de diffamation ou d’injure sexiste (article 48) 
			(46) 
			Gisèle Gautier, ibid., p. 65..
20. Il faut se féliciter que ce type de loi permette de renforcer l’arsenal juridique pour que les atteintes à la dignité et à l’intégrité des femmes (qui sanctionnent ainsi les insultes sexistes, la diffusion d’images dégradantes ou l’incitation à la haine sexiste). Je considère aussi que l’éducation et les médias jouent un rôle fondamental pour combattre les stéréotypes sexistes. Cependant, compte tenu de la nature subtile des stéréotypes sexistes, qui perpétuent des attitudes et des opinions jugées comme «la norme», les dispositions juridiques visant à sanctionner la discrimination ne sont pas toujours opérantes. Il incomberait aussi aux Etats membres, en vertu de leurs obligations positives, d’agir pour garantir le droit à l’égalité entre les sexes opposable devant une juridiction. Cette avancée devrait aussi se traduire dans le système de la protection des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, raison pour laquelle, dans sa Recommandation 1798 (2007) sur le respect du principe d’égalité des sexes en droit civil, l’Assemblée a invité le Comité des Ministres à élaborer un nouveau protocole à la Convention européenne des droits de l’homme inscrivant l’égalité entre femme et homme comme un droit fondamental de la personne humaine. Car je partage pleinement les propos de Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui, à l’occasion du 100e anniversaire de la célébration de la Journée internationale de la femme, déclarait le 8 mars 2010: «Nous devons passer la vitesse supérieure, grâce à de nouvelles politiques et à de nouvelles stratégies. En dépit de nos nobles idéaux, il manque aux démocraties européennes un pilier, et ce pilier est une véritable égalité entre les sexes.» 
			(47) 
			Voir le site <a href='http://www.coe.int/'>www.coe.int</a>

6. Conclusions

21. Améliorer la visibilité et la représentation des femmes dans les médias est une exigence démocratique. A cet effet, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir des mesures énergiques pour combattre les stéréotypes sexistes manifestes, mais aussi la sous-représentation des femmes qui constitue une manifestation cachée et subtile du stéréotype de la femme invisible, passive, confinée dans un rôle traditionnel de mère ou réduite à l’état d’objet. Cette représentation des femmes dans les médias est en décalage avec l’évolution de la société, la place que les femmes occupent réellement dans la société ou leurs aspirations.
22. A l’heure où les femmes investissent le champ politique, les médias semblent être à la traîne. Comme l’a souligné l’experte Susan Balducci (université d’Exeter) lors de la conférence du Parlement européen du 2 mars 2010 consacrée aux femmes et aux élections européennes, les femmes représentaient 35 % des candidats aux élections européennes de 2009 et 34 % des élu(e)s. Néanmoins, elles n’ont bénéficié que de 19 % de la couverture médiatique, ce qui peut expliquer le manque d’intérêt des femmes pour la politique européenne, et l’image moins positive qu’elles ont de l’Union européenne que leurs homologues masculins 
			(48) 
			Voir
le dossier «<a href='http://www.europarl.europa.eu/news/public/story_page/014-69679-060-03-10-902-20100226STO69651-2010-01-03-2010/default_fr.htm'>Femmes
et Union européenne: comment éviter la rupture?</a>», <a href='http://www.europarl.europa.eu/'>www.europarl.europa.eu</a>. Alors que les électeurs et les électrices sont prêt(e)s à voter pour des femmes, la scène médiatique leur reste toujours peu accessible.
23. Comme le souligne Claudine Lienard, langage, médias, publicité mais aussi, sous une apparence plus légère, humour sont producteurs et transmetteurs de stéréotypes sexistes qui renforcent la caricaturisation des rôles féminin et masculin 
			(49) 
			Claudine
Lienard, op. cit.. Les stéréotypes sexistes (explicites ou implicites) véhiculés par les médias ont un impact sur l’attribution des rôles et fonctions, les orientations scolaires et professionnelles, l’aménagement et l’animation et l’espace, l’offre d’objets et de services ou encore la participation citoyenne. Les stéréotypes sexistes sont ainsi des «outils de discriminations sexistes». Prendre conscience de ces stéréotypes, les repérer et les décoder dans le choix des mots, des thèmes, des images – mais aussi de l’invisibilité des femmes qui induit une discrimination «en creux» 
			(50) 
			Voir,
à cet égard, le <a href='http://www.halde.fr/IMG/alexandrie/3891.PDF'>guide</a> méthodologique de l’UNESCO sur «Comment promouvoir l’égalité
des sexes par les manuels scolaires» (2008), disponible sur le site
de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité (HALDE) de la France, <a href='http://www.halde.fr/'>www.halde.fr</a> – permettra de transformer les stéréotypes sexistes et les utiliser comme outils de lutte contre les discriminations hommes/femmes 
			(51) 
			Claudine
Lienard, «<a href='http://www.asblcefa.be/cefa/images/pdf/claudinelienard.pdf?bb6a5e0fe2534cf315f285528dbc363d=f6f691c0d10ba978fa99c1374f3eea3a'>Les
stéréotypes sexistes, outils de discrimination des femmes</a>», université des femmes de Belgique, 26 mai 2009. Voir
aussi <a href='http://www.universitedesfemmes.be/041_publications-feministes.php?idpub=34&debut'>«Analyse
no 02/2006: les stéréotypes sexistes, outils de discriminations
des femmes</a>», op. cit.. Pour ce faire, l’Assemblée pourrait recommander les pistes suivantes:
  • reconnaître que les stéréotypes sexistes qui confinent les femmes dans des rôles traditionnels, ou l’invisibilité des femmes dans les médias, qui constitue une discrimination «en creux», représentent une entrave à la promotion et à la réalisation effective de l’égalité entre les femmes et les hommes;
  • déconstruire les stéréotypes implique un effort de formation et d’éducation, dès le plus jeune âge, pour repérer et décrypter les images stéréotypées et pour inclure l’égalité entre les femmes et les hommes dans les cursus scolaires;
  • lutter contre les stéréotypes sexistes qui produisent de la discrimination fondée sur le genre par un arsenal juridique approprié;
  • impliquer les acteurs du paysage médiatique pour inclure, dans les mécanismes de coordination, de régulation ou d’autorégulation, une perspective de genre, une sensibilisation à l’identification et à l’élimination des stéréotypes sexistes dans les médias et un «monitorage» des médias;
  • inclure des quotas et des mesures positives pour garantir une meilleure participation des femmes, à la fois d’un point de vue quantitatif et qualitatif, dans les médias publics.