1. Introduction
1. De nombreux pays, dont des Etats membres et observateurs
du Conseil de l’Europe, ont été récemment confrontés à des témoignages
de sévices sexuels, physiques et moraux commis sur des enfants dans
des établissements, y compris des centres d’accueil, des internats
ou des orphelinats, des écoles ou dans d’autres cadres institutionnels,
tels que des associations de jeunes. Au vu de l’actualité du problème,
la rapporteuse souhaite mettre l’accent sur les sévices portés aux
enfants dans les institutions, alors qu’elle reste bien consciente
du fait que la plupart des cas d’abus se déroulent dans un contexte
familial plus large (voir paragraphe 4 ci-dessous). Elle entend,
à travers son rapport, exhorter les Etats membres du Conseil de l’Europe
et toutes autres parties concernées à se pencher de façon urgente
sur cette question cruciale, à surmonter les obstacles qui subsistent
dans l’investigation des faits, à débattre ouvertement des causes
et conséquences des sévices sur les enfants, à apporter une pleine
protection et à rendre justice aux victimes et, aussi, à prévenir
de nouveaux cas. Son objectif n’est pas de dénoncer, de manière
exhaustive, tous les cas de sévices sur des enfants par une vaste
collecte de données, ni de pointer du doigt les institutions «coupables»
d’abus sur des enfants. L’objectif majeur de ce rapport est d’identifier
les caractéristiques et traits communs des institutions susceptibles
de favoriser les sévices sur les enfants qui leur sont confiés.
2. Les sévices sur les enfants dans le cadre institutionnel ne
sont pas un phénomène nouveau; des cas se sont produits dans un
passé plus ou moins reculé. Le présent rapport s’intéresse exclusivement
aux affaires qui ont été mises au jour récemment et qui remontent
(pour les plus anciennes) aux années 1950. La rapporteuse fonde,
dans la mesure du possible, son rapport sur des données et rapports
officiels, mais aussi – compte tenu du fait que beaucoup de rapports
sont en cours d’élaboration – sur des informations divulguées par
les médias sur des affaires d’abus récemment dévoilées. Etant consciente
toutefois de la nature délicate et complexe de la question, elle
s’efforcera d’éviter toute généralisation indue fondée sur des stéréotypes.
Pour adopter dès le début une approche équilibrée, la rapporteuse
avait proposé que des experts de toutes les sphères de la société
prennent part au débat. Dans le cadre de sa réunion du 22 juin 2010,
la commission des questions sociales, de la santé et de la famille
a donc tenu une audition à laquelle ont participé des représentants
d’organes gouvernementaux chargés des enquêtes sur les sévices sur
des enfants en établissement (Irlande et Allemagne), le Saint-Siège
et le secteur des organisations non gouvernementales. Leurs contributions
ont été d’une très grande aide pour la rédaction du présent rapport.
3. Il reviendra à chaque Etat membre de définir des plans d’action
nationaux et de décider de la manière d’associer les partenaires
concernés par les enquêtes et procédures nationales pertinentes.
Au niveau du Conseil de l’Europe, la Convention sur la protection
des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201),
qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2010, offre une excellente
base pour définir des normes communes pour ce type spécifique de
sévices sur les enfants. La Recommandation Rec(2005)5 du Comité des
Ministres relative aux droits des enfants vivant en institution
reconnaît aux enfants «le droit au respect de la dignité humaine
et à l’intégrité corporelle, en particulier à des conditions de
vie humaines et non dégradantes, et à une éducation sans violence,
y compris la protection contre les punitions corporelles et toute forme
d’abus». Dans sa Recommandation 1698 (2005) sur les droits des enfants
en institutions: un suivi de la Recommandation 1601 (2003), l’Assemblée
souligne que la problématique des enfants vivant en institution
est commune à l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe
et qu’aucun Etat membre ne peut se déclarer au-dessus de toute critique
en la matière.
4. Les sévices sur les enfants surviennent dans de nombreux cadres
et, de plus en plus, les enfants courent le risque d’être confrontés
à de nouvelles formes de violence et d’exploitation telles que la pornographie,
en particulier sur l’internet, et à la prostitution souvent perpétrée
par des touristes internationaux dans les pays pauvres. Cependant,
étant convaincue que, pour prendre des mesures adaptées à un problème, il
faut le circonscrire, la rapporteuse limite son rapport à la seule
question des sévices sur des enfants placés en établissement, question
qui semble avoir été négligée pendant de longues années, ou, du
moins, qui n’a pas suffisamment fait l’objet de débat public. Cela
s’explique sans doute entre autres par le fait que, statistiquement
parlant, la plupart des cas d’abus sur des enfants (sexuel, physique
et moral) se produisent au sein de la famille ou dans l’environnement
personnel élargi de l’enfant; en effet, dans la plupart des pays, environ
80 % des cas d’abus surviendraient dans ce cadre
.
Cependant, il est de plus en plus clair que, dans les décennies
passées, un grand nombre d’enfants ont été victimes de sévices,
de maltraitances ou ont été confrontés à des situations où des adultes
ont «franchi les limites» de leur intégrité, dans des établissements auxquels
les enfants, leur famille et la société en général avaient accordé
une confiance absolue.
5. La rapporteuse se félicite du fait que ce problème suscite
une attention de plus en plus grande, surtout grâce à la presse
européenne. Elle invite les Etats membres et autres parties prenantes
à examiner de près les trois questions majeures suivantes: 1. Comment
rendre pleinement justice aux victimes qui sont aujourd’hui des
adultes mais qui ont subi des sévices lorsqu’ils étaient enfants
ou adolescents et qui, pour diverses raisons, n’ont pu que récemment
dévoiler ce qui leur était arrivé et mettre en cause les auteurs
de ces sévices? 2. Comment traiter les affaires les plus récentes
de sévices sur les enfants, notamment en ce qui concerne les poursuites
pénales des auteurs, et apporter aide et assistance aux victimes?
3. Comment renforcer les mécanismes de contrôle interne et externe
existants pour identifier les cas d’abus potentiels et empêcher
que de nouveaux délits soient commis à l’avenir? Le présent rapport
tente d’apporter des réponses préliminaires à ces questions, sans
prétendre les traiter de manière exhaustive, pour apporter une contribution
utile aux débats en cours.
6. Dans ce rapport, la rapporteuse examine de près les situations
nationales en commençant par l’Irlande où un important rapport bien
documenté, présentant des recherches effectuées sur la question,
a été finalisé et rendu public en 2009. Ensuite, elle se réfère
aux affaires récemment dévoilées et aux débats auxquels elles ont
donné lieu en Allemagne, son propre pays, où elle est membre de
plusieurs tables rondes traitant des sévices sur des enfants et
des adolescents dans différents cadres. Elle présente aussi des
exemples spécifiques de cas survenus dans d’autres pays d’Europe
où des débats sont en cours. A cet égard, elle tient à remercier
ses collègues qui ont bien voulu fournir des informations nationales
spécifiques
. La rapporteuse fait observer que ses
réflexions se fondent en particulier sur les informations obtenues
sur l’Allemagne et d’autres pays d’Europe occidentale. Le rapport
n’examine pas la situation des enfants dans les pays d’Europe du
Sud et de l’Est où des cas de maltraitance d’enfants sont connus
depuis un certain temps, tels que ceux d’enfants négligés dans des
orphelinats. Toutefois, les recommandations qui sont faites ici
s’adressent à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et toute
discussion sur la question au niveau européen devra également couvrir
les pays d’Europe de l’Est et du Sud.
2. Expériences
nationales récentes et premières réponses
7. Il ne fait pas de doute que le problème des sévices
sur des enfants placés en établissement concerne l’ensemble des
Etats membres du Conseil de l’Europe, mais à des degrés différents
et avec des caractéristiques propres à chaque pays. Récemment, un
grand nombre de cas de sévices en institutions, notamment dans des
internats et des foyers de placement, ont été révélés dans certains
pays, suscitant l’attention des médias; les débats dans un pays
ont parfois stimulé la même dynamique dans d’autres. Même s’il existe
des similitudes entre les cas de sévices survenus dans les différents
pays, la rapporteuse est consciente du fait que les cadres national
et institutionnel respectifs ainsi que la période à laquelle les situations
d’abus sont survenues doivent être pris en compte pour juger des
incidences. Toutefois, elle essaiera d’extraire des exemples connus
aujourd’hui les caractéristiques générales des sévices sur les enfants en
établissement pour définir des lignes d’action appropriées dans
le cadre des futures stratégies de prévention. Il convient de rappeler
que son objectif n’est pas de pointer du doigt tel type d’établissement
plus qu’un autre, mais d’identifier les facteurs favorisant les
sévices sur les enfants et les adolescents dans les établissements,
et de déterminer les caractéristiques communes des différents établissements.
2.1. Expérience nationale
dans le passé: le cas de l’Irlande
8. A la suite des enquêtes qui ont eu lieu dans le cadre
du «Rapport Ferns» présenté en 2005
et du «Rapport
Murphy» présenté à la fin de 2009
, les résultats de l’enquête la
plus complète sur la question, entreprise dans le cadre du «Rapport
Ryan», ont été présentés en mai 2009 après pratiquement dix années de
travail de la «Commission d’enquête sur la maltraitance des enfants»
mise en
place par l’Etat. Ce rapport s’appuie en partie sur d’anciens dossiers
de l’Eglise relatifs à des cas de sévices non dévoilés et en partie
sur les témoignages anonymes d’anciens élèves de 216 établissements
de type divers, pour la plupart dirigés par l’Eglise, qui avaient
été créés pour s’occuper d’enfants négligés ou abandonnés ou encore
d’orphelins (établissements d’enseignement surveillés, hôpitaux,
orphelinats, centres d’accueil d’enfants, écoles professionnelles).
Selon le rapport, quelque 30 000 enfants ont été confiés à ce type
d’établissement pendant les six décennies (de 1936 à 2009) qui ont
fait l’objet de l’étude.
9. Le comité confidentiel mis en place pour enquêter sur la question
a entendu les témoignages de 1 090 hommes et femmes qui ont indiqué
avoir subi de façon systématique des maltraitances physiques, sexuelles, morales
et avoir été négligés par des adultes, aussi bien des religieux
que des laïcs, essentiellement entre 1936 et 1970. Près de la moitié
de l’ensemble des témoins du comité confidentiel a fait état de
sévices d’ordre sexuel ainsi que d’abus sexuels sans contact (voyeurisme)
dans le cadre d’agressions isolées et aussi systématiques commises
sur de longues périodes. Dans les écoles et les établissements,
les sévices étaient perpétrés sur des enfants par le personnel religieux
et laïc, les corésidents et autres, y compris des professionnels
aussi bien internes qu’externes à l’établissement. Ce sont surtout
les jeunes garçons qui étaient victimes de sévices répétés car les
abus sexuels étaient un problème endémique dans les établissements
de garçons, mais pas dans les établissements de filles. Plus de
90 % des témoins ont indiqué qu’ils avaient subi des sévices physiques
lorsqu’ils étaient à l’école ou dans des établissements de placement.
Il y aurait aussi eu des cas de harcèlement moral (solitude, absence
d’affection, perte de l’identité, privation de contacts avec la
famille, humiliation, critiques constantes, dévaluation de la personne,
provocation de peurs et menace d’être maltraité). Il s’est avéré
que les enfants avec des difficultés d’apprentissage, des handicaps
physiques et sensoriels, et les enfants sans contacts familiaux
étaient particulièrement vulnérables dans les cadres institutionnels.
Des témoins ont indiqué que les sévices dont ils ont été victimes
dans leur enfance ont eu un impact persistant sur leur vie. Le Rapport
Ryan mentionne les noms des écoles et établissements concernés, mais
ne dévoile pas les noms des auteurs présumés de ces sévices, à moins
qu’ils aient déjà été reconnus coupables.
10. A part la situation des enfants eux-mêmes telle que décrite
par les nombreuses victimes, le Rapport Ryan passe en revue le traitement
accordé par les pouvoirs publics aux cas de sévices à des périodes données.
Le rapport conclut que, souvent, aucune suite n’était donnée aux
plaintes et que, dans certains cas, des mesures ont été prises pour
éviter le scandale et la publicité. Apparemment, la sécurité des
enfants n’a jamais été une priorité au cours de la période sous
examen. Le ministère de l’Enseignement en charge de l’inspection
de la plupart des établissements concernés a fait l’objet de critiques
sévères dans le rapport qui a d’ailleurs mentionné que l’agence
gouvernementale avait fait preuve de «déférence et de soumission»
envers les ordres religieux qui dirigeaient les établissements.
Son système de contrôle «était défectueux et inefficace»
.
Même les plaintes déposées par des parents et d’autres personnes
auprès du ministère n’ont pas fait l’objet d’enquêtes adéquates.
Les institutions elles-mêmes étaient caractérisées par une certaine
«culture du silence» et les abus sexuels étaient rarement portés
à l’attention du ministère de l’Education par les autorités religieuses.
Lorsqu’ils étaient mis devant des preuves d’abus sexuels, la réponse
dans beaucoup de cas consistait à transférer les auteurs d’abus
dans un autre établissement où ils pouvaient généralement récidiver
à leur guise.
11. En plus des principales caractéristiques des situations de
maltraitance, le Rapport Ryan donne une liste précise de facteurs
qui favorisent ces types de situation, tels que le placement obligatoire
des enfants (qui ne pouvaient pas simplement quitter l’établissement)
ou l’absence de mécanismes de contrôle efficaces. En outre, les
investissements consentis et les ressources financières mises à
disposition par les congrégations religieuses semblent avoir beaucoup
contribué à perpétuer le système de prise en charge institutionnelle
des enfants. Le rapport explique aussi qu’en règle générale le mode
opératoire des auteurs de sévices, qui incitaient des enfants à
se livrer à des actes sexuels, consistait à reporter la responsabilité
sur les enfants qu’ils avaient abusés et à les culpabiliser en laissant
entendre qu’ils étaient «complices» de l’acte. Ainsi, dans de nombreux
cas, les enfants et les auteurs d’abus ont conjointement couvert
ces actes. Les victimes de sexe féminin en particulier, certes moins
nombreuses, ont indiqué qu’elles avaient été accusées d’être responsables de
l’abus sexuel qu’elles avaient subi, à la fois par les auteurs et
les personnes à qui elles l’avaient révélé. Mme Marian Shanley,
une des sept commissaires qui ont participé à la préparation du
Rapport Ryan, a indiqué qu’une leçon fondamentale à transmettre
aux enfants et aux adolescents par le système éducatif est celle
qu’ils ne doivent jamais accepter de subir des sévices ou de se
sentir coupables lorsqu’ils surviennent
.
12. La rapporteuse est consciente du fait que l’exemple irlandais
est très spécifique, surtout en raison du rôle prépondérant joué
par l’Eglise catholique dans le secteur de la prise en charge des
enfants dans ce pays. L’on ne peut certainement pas comparer la
situation irlandaise avec celle des autres pays et nul ne doit présumer
que l’ampleur des sévices perpétrés sur des enfants dans des institutions
catholiques d’autres pays a une commune mesure avec l’expérience
de l’Irlande. Cependant, l’exemple irlandais est utile pour tirer
des enseignements, en particulier sur les lacunes structurelles
des établissements qui ont favorisé les sévices sur des enfants
et pour élucider la manière dont les cas de maltraitance ont été
abordés et examinés une fois qu’ils sont survenus. A cette fin,
le Rapport Ryan s’achève par une liste complète de recommandations
dont les Etats membres pourraient s’inspirer pour traiter la question
et sur lesquelles la rapporteuse s’appuiera aussi pour formuler
ses propres recommandations (voir chapitre 4 ci-dessous).
2.2. Cas de sévices
sur des enfants récemment dévoilés
13. En Allemagne, de nombreux cas de sévices systématiques
sur des enfants, qui se seraient notamment produits au cours des
années 1970 et 1980, ont été dévoilés à la fin de janvier 2010 au
sein du Canisius Kolleg, un lycée privé de jésuites à Berlin. Ces
révélations ont été suivies d’allégations de maltraitances perpétrées dans
d’autres écoles catholiques ou dans des établissements laïcs. Les
cas présumés qui ont été largement couverts par la presse sont ceux
de l’abbaye bénédictine d’Ettal (Bavière), du lycée privé Odenwaldschule (Hesse)
et de certaines chorales renommées de garçons en Allemagne (Regensburger
Domspatzen, Limburger Domsingknaben). Des cas de maltraitances physiques
seraient survenus dans une institution du nom de Educon appartenant
à la Fondation Graf-Recke-Stiftung à Düsseldorf, où des enfants
autistes auraient été abusés et maltraités pendant plusieurs années.
14. A la suite de ces révélations, généralement basées sur des
allégations d’anciens élèves, les institutions concernées se sont
vivement intéressées à la question. L’abbaye d’Ettal, par exemple,
a immédiatement désigné un enquêteur spécial qui a présenté un rapport
provisoire en mars 2010. Les investigations menées ont révélé que
près de 100 élèves inscrits dans l’abbaye ont été systématiquement
victimes de maltraitance sexuelle, physique et morale pendant des
décennies. L’enquêteur a en outre déclaré que les «crimes commis (…)
n’auraient pas été possibles sans la solidarité malveillante d’autres
membres de l’abbaye» et que «dans des conditions normales, chaque
auteur aurait été condamné à des peines d’emprisonnement de plusieurs années
(si les cas avaient fait l’objet de poursuites avant la fin du délai
de prescription)»
.
15. La table ronde sur les enfants placés en établissement (Runder
Tisch Heimerziehung) a commencé ses travaux au début de 2009, après
avoir été instituée par le parlement allemand (Bundestag) dans le
but d’enquêter sur les maltraitances d’enfants, aussi bien des filles
que des garçons, placés dans des institutions publiques ou religieuses
dans les années 1950 et 1960. Les premières investigations de cette
table ronde ont révélé que, parmi les 700 000 à 800 000 enfants
vivant dans des foyers, beaucoup avaient été victimes de violences,
de harcèlement moral et parfois de sévices sexuels, et qu’en grandissant
ils ont été contraints de travailler durement sans rémunération
dans des exploitations agricoles, des blanchisseries, des ateliers
de couture ou même dans des usines. L’ampleur du problème a été
révélée par les déclarations de nombreuses victimes. Cette situation
montre que l’Allemagne n’est pas confrontée à quelques cas isolés
de maltraitance ou qu’il ne s’agit pas d’un problème lié à la vision
de l’éducation de l’époque, mais d’un problème général de maltraitance
systématique d’enfants dans un contexte où des enfants et des adolescents
«étaient livrés à des systèmes rigides, violents, où ils étaient
physiquement et psychologiquement enfermés et d’où ils ne pouvaient pas
s’échapper ou (…) qui ne leur laissaient pas la possibilité de se
plaindre à une instance quelconque». Dans sa déclaration intermédiaire,
la présidente de cette table ronde, Mme Antje Vollmer, ancienne
vice-présidente du Bundestag, a également déclaré qu’il y avait
une «chaîne des responsabilités» et qu’aucune des personnes concernées
à cette époque ne peut être absoute aujourd’hui
.
16. Déjà en 2000, lorsque la table ronde a débuté ses travaux,
les représentants des Eglises catholique et protestante ont exprimé
leurs regrets pour les événements produits et ont manifesté leur
ferme volonté de contribuer aux investigations
. En même temps
que la multiplication des révélations de cas (18 des 27 diocèses
catholiques allemands avaient fait l’objet d’allégations à la date
d’avril 2010
), les réactions face aux révélations
des délits se sont renforcées en 2010: l’Eglise catholique allemande
a récemment annoncé son intention de réviser ses directives en matière
de traitement des cas d’abus sexuels, et son plus haut représentant,
Robert Zollitsch, archevêque de Fribourg-en Brisgau et président
de la Conférence épiscopale allemande, a présenté ses excuses aux
victimes au nom de l’Eglise allemande pour le tort qui leur a été causé
.
17. Tout récemment, en avril 2010, le Gouvernement allemand a
mis sur pied une nouvelle table ronde pour enquêter plus spécifiquement
sur la question des abus sexuels (Runder Tisch Sexueller Missbrauch).
Dans le même temps, le gouvernement a désigné le Dr Christine Bergmann,
ancienne ministre allemande des Affaires familiales (1998-2002)
et membre de la table ronde précitée, représentante spéciale pour
les cas d’abus sexuels sur les enfants (Unabhängige
Beauftragte zur Aufarbeitung des sexuellen Kindesmissbrauchs).
Le Dr Bergmann a apporté une contribution importante à l’audition
d’experts organisée par la commission des questions sociales, de
la santé et de la famille, le 22 juin 2010, en rappelant, entre
autres, que la question de la maltraitance des enfants placés en
institution n’est pas un sujet nouveau en Allemagne non plus. Cependant,
selon son expérience personnelle, le problème ne peut pas être résolu
par la seule application de nouvelles règles, car les mesures législatives
ne sont pas automatiquement suivies des actions requises aux différents
niveaux. Dans le cadre de sa fonction de représentante spéciale,
elle est censée être une interlocutrice neutre des enfants victimes
de tous types d’abus sexuels, et contribuer à la formulation de recommandations
sur la base des recherches effectuées par son secrétariat.
18. Le cas de l’Allemagne montre clairement que le problème n’est
pas spécifique aux établissements de l’Eglise catholique, mais qu’il
touche également beaucoup d’autres institutions, y compris les établissements laïcs
.
Il a été également révélé récemment que des cas se seraient produits
dans l’Eglise protestante en Allemagne. Par ailleurs, un professeur
de judo en Bavière a récemment été condamné à une peine d’emprisonnement
de six ans et neuf mois pour avoir abusé d’enfants et de jeunes
dans 211 affaires
. Tout récemment,
en juillet 2010, trois adolescents allemands âgés de 13 à 16 ans
ont admis avoir abusé sexuellement d’enfants plus jeunes dans un
camp de vacances sur l’île néerlandaise d’Ameland. Les investigations
sont en cours et le procureur présume que les auteurs pourraient
même être au nombre de 13. Les 39 adultes en charge du groupe des
170 enfants sont suspectés de n’avoir pas apporté l’assistance nécessaire
aux enfants concernés ou à ceux qui se sentaient menacés, bien que
certains aient sollicité leur aide au cours du séjour; l’enquête
en cours tente de déterminer si ces adultes étaient suffisamment
qualifiés pour leur travail ou s’ils n’ont pas été assez consciencieux
. Enfin, en ce qui concerne la
situation particulière de l’Allemagne, le pays doit aussi élucider
les cas de maltraitance d’enfants qui se sont produits dans des institutions
de placement dans l’ancienne République démocratique allemande,
cas dénoncés par un certain nombre de victimes qui pourraient être
parmi ceux qui réclament des formes de compensation
.
19. Toutes les institutions doivent se demander quelles suites
sont données aux cas qui ont été révélés et si des procédures judiciaires
sont engagées contre les auteurs, car cela n’a pas toujours été
le cas dans le passé. D’ailleurs, en Allemagne, des voix se sont
élevées pour dénoncer le fait que le problème de maltraitance des
enfants placés en établissement et au sein de certaines institutions
concernés par des cas d’abus était connu depuis des années. Certains
se sont même demandés si les cas d’abus passés n’avaient pas été
occultés parce qu’ils concernaient essentiellement des enfants issus
de classes sociales défavorisées, et si la question suscitait une
plus grande attention politique aujourd’hui parce que le phénomène
touchait maintenant des écoles privilégiées et des enfants de familles
aisées
.
20. A part l’Allemagne, d’autres pays européens s’intéressent
aussi aujourd’hui à la question des sévices sur des enfants placés
en institution. En Autriche, par exemple, des cas d’abus sexuel
dans des institutions catholiques remontant aux années 1970 et 1980
ont été dévoilés en mars 2010. Les situations respectives font l’objet
d’enquêtes poussées pour déterminer les actions juridiques à prendre
pour rendre pleinement justice aux victimes qui sont aujourd’hui
des adultes
. L’approche actuelle
de la question adoptée par le Gouvernement autrichien comprend une
table ronde de 30 experts qui se sont réunis au printemps 2010 pour mener
des investigations préliminaires. Dans le cadre du débat national,
cette table ronde a été généralement bien accueillie, mais elle
a été immédiatement critiquée par certains experts qui ont déclaré
que la table ronde ne s’intéressait qu’à la question de la prévention
de cas futurs et pas aux traumatismes subis par les victimes de
sévices passés. Selon la Fédération nationale de psychothérapie,
quelque 700 cas présumés de traumatisme ont été enregistrés. La
fédération a souligné l’importance de mettre en place un organe indépendant
auquel les victimes peuvent s’adresser, qui pourra les accompagner
avec l’aide d’experts pour éviter un «nouveau traumatisme». Certains
experts ont demandé que des ressources suffisantes soient mises à
disposition pour prendre des mesures en faveur des victimes des
décennies passées
.
21. L’exemple de la Belgique montre que les autorités publiques
et religieuses devraient collaborer étroitement pour mener des investigations
sur la question. Dans ce pays, les forces de l’ordre ont récemment perquisitionné
les archives de l’Eglise catholique nationale et ont confisqué 475
dossiers de cas d’abus compilés par la commission d’enquête établie
par l’Eglise catholique romaine de Belgique
.
La police a aussi perquisitionné le domicile et le bureau du cardinal
Gotfried Daneels qui a démissionné de sa fonction de primat de Belgique
en janvier 2010; en juin 2010, des membres et du personnel de la
Conférence des évêques belges ont été placés en garde à vue
.
La polémique suscitée par ces incidents pose la question de l’efficacité
de ce type de procédures pour l’objectif global visé, à savoir révéler
la vérité et rendre justice aux victimes qui ont souffert et ont
été longtemps traumatisées à cause de ces sévices. D’après les informations
les plus récentes, la justice belge a ordonné la restitution des
dossiers saisis le 24 juin dernier, répondant ainsi aux protestations de
l’archevêché
.
Malgré ces turbulences, la «Commission pour le traitement des plaintes
pour abus sexuels dans une relation pastorale» (janvier-juin 2010),
mandatée pour enquêter sur la nature et l’envergure des sévices
portés aux enfants dans le cadre de l’Eglise, a été en mesure de
présenter son rapport final le 10 septembre 2010
.
22. Récemment en Italie aussi, la question a été abordée avec
plus de transparence par les institutions publiques et religieuses.
Le chef de la Conférence des évêques italiens, le cardinal Angelo
Bagnasco, a ainsi reconnu qu’il était «possible» qu’en Italie des
évêques aient couvert des abus; son adjoint a déclaré que dans la
décennie passée, 100 prêtres italiens ont été jugés par l’Eglise
pour des abus d’ordre sexuel sur des mineurs. Le procureur interne
du Vatican, Mgr Charles J. Scicluna, chargé du suivi des cas d’abus
pour le compte de la Congrégation du Vatican pour la doctrine de
la foi, a déclaré qu’il était préoccupé par «une certaine culture
du silence» en Italie. Il a, dans le même temps, résumé la situation
juridique en Italie: la dénonciation des abus sexuels n’étant pas
obligatoire en vertu du droit italien, les évêques ne sont pas tenus de
notifier les cas d’abus aux autorités civiles. Par conséquent, l’Eglise
catholique en Italie n’oblige pas les évêques à dénoncer leurs prêtres,
mais elle les encourage à contacter les victimes pour les convaincre
de dénoncer elles-mêmes les prêtres qui les ont abusées
.
23. Au mois de mars 2010, plus de 200 victimes présumées d’abus
lorsqu’elles étaient enfants dans des établissements de l’Eglise
catholique aux Pays-Bas avaient déposé des plaintes auprès d’autorités compétentes
et d’organisations de soutien. Selon l’organisation d’aide proche
de l’Eglise «Hulp & Recht» (aide et justice), plus de 1 100
références à des cas de sévices sexuels ont été recensées
.
Les premiers cas découverts se sont déroulés dans les années 1950
et 1960, souvent dans des écoles qui ont fermé dans les années 1970,
ce qui fait que de nombreux délits auront dépassé le délai de prescription.
Après les prêtres, des nonnes ont été pour la première fois accusées
d’avoir abusé sexuellement d’enfants. Les investigations actuellement
en cours auraient été encouragées et favorisées par le débat initié
juste avant par l’Allemagne
. L’Eglise catholique
a répondu aux affirmations en mettant en place une commission d’enquête
indépendante sous la direction de l’ancien ministre et ancien maire
de La Haye, Wim Deetman
. En avril 2010, les ministres sortants
André Rouvoet (Jeunesse et Famille) et Ernst Hirsch Ballin (Justice)
ont annoncé qu’une enquête serait menée pour savoir si des sévices
ont été commis sur des enfants dans certaines institutions publiques pendant
la seconde moitié du XXe siècle
.
24. Lors de la finalisation du présent rapport, un tribunal au
Portugal a délivré son jugement dans un procès majeur concernant
des sévices portés à des enfants: six hommes portugais ont été condamnés
après avoir été jugés coupables d’abus sexuel (ou de fournir à d’autres
la possibilité de commettre de tels abus) dans le cadre d’un foyer
d’enfants géré par l’Etat, la Casa Pia. Les condamnés – comprenant
un ancien présentateur de télévision, un ancien ambassadeur, un
ancien gouverneur de la Casa Pia, deux médecins, un avocat et un conducteur
de la Casa Pia – avaient apparemment abusé de 32 victimes mineures
depuis le milieu des années 1970 par le biais d’un réseau de pédophiles
choisissant ses victimes parmi les 4 000 enfants nécessiteux de la
Casa Pia, les délits n’ayant été seulement découverts qu’en 2002.
Pendant le long procès judiciaire, plus de 800 victimes ont été
entendues par le tribunal, ce qui a suscité de fortes critiques
du système juridique portugais reproché d’être très formel et de
permettre à la défense d’essayer de retarder la procédure
.
25. En Suède, un rapport récemment publié par le médiateur pour
les enfants indique que le phénomène est relativement répandu dans
toute l’Europe
.
Le récent rapport intitulé «I’m sorry» (Je suis désolé) analyse des
situations de quatre centres de détention pour jeunes délinquants,
eux-mêmes auteurs d’agressions sexuelles ou souffrant de problèmes
psychologiques. Il fait état en particulier de cas de maltraitance
survenus dans ces centres dans les années 1940 et 1950, et établit
une comparaison entre l’approche plutôt répressive en Suède (y compris
des méthodes telles que l’isolement et les fouilles corporelles)
et l’approche norvégienne axée sur l’amélioration de la vie des
jeunes au cours de leur détention, en vue de proposer des amendements à
la législation suédoise sur la détention des mineurs.
2.3. Réponses des différentes
autorités et institutions
26. La rapporteuse salue le fait que presque toutes les
parties prenantes concernées aient immédiatement réagi aux cas des
sévices révélés en prenant des mesures préliminaires pour réviser
les systèmes de protection existants, comme le montrent les exemples
nationaux décrits ci-dessus. Suivant l’approche adoptée en Irlande
dans la décennie passée, dans plusieurs Etats membres où des cas
d’abus venaient d’être révélés, les pouvoirs publics et/ou les institutions
concernées (Eglise catholique, institutions privées, etc.) ont lancé
des investigations. Plusieurs pays s’efforcent actuellement de déterminer
les mesures législatives, administratives et politiques adéquates
pour renforcer la protection des enfants contre des maltraitances
futures. Plusieurs réactions ont été observées à différents niveaux
de l’Eglise catholique car un grand nombre de cas d’abus récemment
dévoilés concernait des institutions catholiques et de nombreuses
allégations ont été faites à propos de tentatives des institutions
de l’Eglise pour couvrir les abus commis par des membres du clergé.
Le pape Benoît XVI a personnellement accordé une attention particulière
à la question dans sa récente «Lettre aux catholiques d’Irlande»
du 19 mars 2010 dans laquelle il fait état de «la honte et du remords
de l’Eglise catholique»
.
27. Dans les récents débats, les représentants de l’Eglise et
les experts sur les questions d’Eglise n’ont eu de cesse de souligner
que la question de l’abus sur des enfants placés dans des établissements
ne touche pas les établissements catholiques uniquement et que le
célibat des prêtres catholiques n’est pas un facteur majeur de ce
problème. Selon Mgr Charles J. Scicluna, le «promoteur de justice»
de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui est chargé d’enquêter
sur les
delicta graviora (y
compris les abus sur des mineurs par un membre du clergé), les affaires
de prêtres accusés de pédophilie peuvent se répartir comme suit:
«près de 60 % des cas concernent essentiellement l’attirance sexuelle
pour des adolescents du même sexe, 30 % concernent des relations
hétérosexuelles et les 10 % restants sont des cas de pédophilie au
vrai sens du terme»
.
28. La rapporteuse aimerait rappeler que la société doit surtout
s’intéresser à la question des mineurs victimes de sévices dans
des établissements (y compris les enfants et les adolescents) et
réaliser que dans des systèmes institutionnels clos, où les enfants
sont tenus de respecter l’autorité de leurs enseignants, directeurs
des études et des personnes qui prennent soin d’eux, etc., il est
très difficile de différencier les relations sexuelles entre adultes
et mineurs, basées sur un consentement mutuel, et celles qui ne
le sont pas. C’est pourquoi aucune relation sexuelle (aussi bien
de nature hétérosexuelle qu’homosexuelle) entre adultes et mineurs
ne doit être autorisée dans les établissements. Une des premières
mesures à prendre au niveau national pour traiter cette question
sera certainement d’adopter une terminologie commune et d’avoir
une même compréhension eu égard à cette question
.
La rapporteuse fait observer que l’on tend à exagérer le nombre
de pédophiles présumés travaillant dans la sphère de l’Eglise catholique
et à suspecter avec trop de facilité les personnes ayant souscrit
au principe religieux du célibat, comme les prêtres catholiques,
de déviances sexuelles, voire de comportements sexuels répréhensibles.
Néanmoins, elle aimerait rappeler que, dans tout contexte institutionnel,
les hommes ayant des préférences pédophiles sont bien connus pour
choisir des professions qui leur permettent le plus de contacts
possibles avec les enfants
.
29. Au niveau national mais aussi local, lorsque des prêtres ayant
commis des abus sur des enfants ont été simplement transférés dans
d’autres diocèses ou à d’autres fonctions où ils pouvaient récidiver
à leur guise, l’Eglise catholique est soupçonnée de couvrir et de
protéger les membres de son clergé
.
Mgr Charles J. Scicluna, le «promoteur de justice» de la Congrégation
de la doctrine de la foi a indirectement confirmé l’idée qui prévaut
sur l’Eglise catholique quant au traitement des maltraitances d’enfants
en constatant récemment que des procédures pénales ou administratives
n’ont été initiées dans les diocèses en question que dans 20 % de
cas de prêtres suspectés de pédophilie. Dans 60 % de cas, seules
des mesures disciplinaires ont été prises compte tenu de l’âge avancé
des prêtres accusés; ces mesures consistaient à leur interdire de
célébrer la messe en public ou à les obliger à prendre leur retraite.
Dans 20 % des cas considérés comme les plus graves, où les preuves
étaient irréfutables, le pape a lui-même pris la responsabilité
de révoquer des prêtres de leurs statuts et fonctions
.
La rapporteuse rappelle que même si les institutions catholiques
jouissent de la compréhension de la société à cause de leurs fonctions
particulières et leur rôle important, les institutions de l’Eglise
doivent pour leur part respecter et appliquer rigoureusement la
même législation nationale que toutes les autres organisations publiques
et privées.
30. Les représentants et les experts de l’Eglise ont déclaré à
plusieurs reprises que les cas qui n’ont pas été traités dans la
transparence absolue par le passé doivent être considérés comme
une mauvaise interprétation des règles en vigueur de l’Eglise. Selon
les experts et les représentants de l’Eglise, l’on ne peut invoquer
le droit canon pour justifier que des évêques aient mal géré ou
couvert des actes; il s’agit simplement d’une mauvaise application
du droit canon
et
les «normes relatives aux abus sexuels n’ont jamais été entendues comme
une interdiction de leur dénonciation à la justice civile»
.
Cependant, le Saint-Siège a récemment révisé ses règles en matière
d’abus sexuels commis par des membres du clergé afin d’harmoniser
les procédures de l’Eglise catholique en la matière. Selon le Révérend
Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, les révisions apportées
montrent la détermination de l’Eglise de s’attaquer avec «rigueur
et transparence» aux abus commis par des membres du clergé. Parmi
les nouvelles mesures prises, le délai de prescription pour les
abus commis sur des enfants a été étendu de dix à vingt ans; par
ailleurs, une disposition particulière permet aujourd’hui d’accélérer
les procédures pour traiter plus efficacement les situations urgentes,
par exemple en donnant au pape l’autorité de révoquer un prêtre
sans procès formel du Vatican
. La
révision des règles de l’Eglise catholique semble être un pas dans
la bonne direction. Toutefois, certains experts estiment que les
nouvelles règles ne comportent pas de changements majeurs dans la
position de l’Eglise, et que celles-ci ne font que codifier des
pratiques qui ont été adoptées ces dernières années
. En outre,
dans le cadre des nouvelles règles, par exemple, les évêques ne
sont pas tenus responsables des abus commis par les prêtres dont
ils ont la charge et ne sont pas obligés de signaler les abus sexuels
aux autorités civiles, même si des «directives» édictées au début
de cette année les encouragent à le faire si la loi du pays l’exige
.
31. En plus des parties prenantes publiques et privées déjà mentionnées,
différentes ONG nationales et internationales s’intéressent de près
aux abus sur les enfants en général, et en particulier aux abus
en institutions. Entre autres, une fédération européenne de 26 associations
nationales de 21 pays, «Victim Support Europe», qui a récemment
contribué au débat en cours, effectue un travail majeur sur cette question
.
La fédération estime qu’il est nécessaire de renforcer davantage
encore la protection et l’assistance aux victimes en prenant différentes
mesures, y compris la reconnaissance de la victime et de sa souffrance,
la mise à disposition de services de soutien appropriés par les
organes publics ou par l’intermédiaire de réseaux d’ONG qui devront
être mobilisées, la poursuite rigoureuse des auteurs ainsi que la mise
à disposition de compensations adéquates.
32. Les victimes d’abus sexuels qui ont été récemment mis au jour,
ainsi que celles de cas révélés des années après leur survenance,
ont besoin d’être écoutées et soutenues en fonction de leurs besoins spécifiques.
Pour le premier groupe, il est essentiel qu’un terme soit mis aux
abus et que les victimes soient assistées pendant les procédures
judiciaires pertinentes. Pour le deuxième, il s’agit de reconnaître
et de traiter l’abus comme un événement traumatisant qui aura eu
un impact majeur sur le développement personnel des personnes concernées.
Même en tant qu’adultes, les victimes doivent gérer des problèmes
personnels de crainte ou d’incapacité à avoir des contacts physiques
et à vivre des relations stables. Au moment où elles dévoilent plusieurs
années après les abus subis, les victimes vivent «un nouveau traumatisme»,
ce qui peut avoir des conséquences familiales; d’où l’importance
majeure de prendre en considération l’environnement social direct
dans le cadre de la protection des victimes.
33. Les principales recommandations faites par les organisations
d’aide aux victimes en ce qui concerne les mesures à prendre par
les pouvoirs publics ont trait, entre autres, aux aspects suivants:
formulation de lignes directrices claires destinées aux institutions
(y compris obligation de signaler les cas d’abus aux autorités compétentes),
instauration de mécanismes de contrôle efficaces, développement
de services de soutien complets (y compris la possibilité de parler
de l’abus et de recevoir une aide psychologique et une assistance juridique),
renforcement de la stratégie de prévention et poursuite des recherches
sur les besoins spécifiques des victimes.
34. La rapporteuse est convaincue que toutes les parties concernées
devront déployer des efforts supplémentaires soutenus pour rendre
pleinement justice aux personnes victimes d’abus passés, soutenir
les enfants qui ont récemment vécu du harcèlement moral et leur
apporter une assistance dans les procédures judiciaires, et protéger
aussi les enfants des abus qu’ils pourraient subir dans le cadre
institutionnel. Pour une action concertée en faveur des enfants
placés en institution, les différents partenaires intervenant dans
les processus d’enquête et de vérification devraient s’accorder
sur la définition du terme «abus sur les enfants», les facteurs
favorisant ce type de délits et la manière la plus transparente
de traiter la question dans les sociétés démocratiques. La rapporteuse
est également convaincue que le secteur des ONG, déjà très actif dans
le domaine des services d’assistance aux victimes, doit être considéré
comme un partenaire majeur. Les pouvoirs publics devraient donc
prendre des mesures pour le renforcer et le soutenir en mettant
à sa disposition des ressources. Aussi, les ONG qui, grâce à leur
structure décentralisée et à leur travail de terrain, et qui, par
ailleurs, sont généralement perçues comme des interlocuteurs de
confiance puisqu’elles sont proches des victimes, pourront-elles
jouer un rôle encore plus utile.
3. Sévices sur les
enfants placés en établissement: un problème structurel concernant
différents types d’établissements
35. D’une manière générale, le risque de sévices sur
des enfants semble plus élevé dans les systèmes «en vase clos»,
à savoir les familles fusionnelles, les internats et les orphelinats,
quelle que soit l’institution en charge de leur gestion; en effet,
le pouvoir et la proximité génèrent le même type de comportements
qui peuvent augmenter les risques d’abus. Même si, globalement,
dans les institutions les relations se caractérisent par un certain
degré de dépendance, les récents témoignages dans les pays ont montré
que cette dépendance est plus forte dans certaines institutions
que dans d’autres, sans doute parce qu’il est plus «facile» de quitter
certaines (par exemple les associations sportives) que d’autres
(par exemple les écoles)
. En
complément de ces facteurs structurels, les enfants et les adolescents
généralement ont un grand désir de faire partie d’un groupe et d’être
reconnu par celui-ci, et vont souvent «l’idéaliser». Si un membre
du groupe commet un délit, le «monde idéal» est détruit et les enfants
vont craindre d’être exclus, ce qui les amène eux-mêmes souvent
à renier, à cacher ou à justifier ce qui s’est passé. La «pression
du groupe» peut donc faciliter l’émergence de sévices portés aux
enfants ou parfois être un obstacle à leur découverte
.
36. Les récents débats dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
et au niveau européen, qui ont associé des décideurs politiques
et des experts, ont montré que d’autres facteurs peuvent favoriser
l’abus de la confiance des enfants dans le cadre institutionnel.
Dans le passé, la structure hiérarchisée de certains établissements
d’enseignement a permis à ses représentants de prendre des dispositions
internes pour traiter eux-mêmes les cas d’abus d’enfants dans le
but de couvrir les événements embarrassants. Aujourd’hui, grâce à
une sensibilisation accrue au problème des sévices sur les enfants
et dans la mesure où les hauts représentants des établissements
concernés sont disposés à aborder ouvertement la question, on peut espérer
convaincre ces derniers d’apporter leur aide pour inciter ces institutions
à adopter des mécanismes plus transparents.
37. Les structures à la fois hiérarchisées et autonomes de certaines
institutions religieuses en particulier semblent favoriser les situations
d’abus en échappant dans une certaine mesure aux mécanismes de contrôle publics.
De plus, la confiance particulière que les familles accordent aux
personnels éducatifs des établissements religieux leur donne plus
de latitude pour abuser de la confiance des familles ou approcher leurs
victimes. Les récents débats ont cependant montré que la maltraitance
d’enfants en institution n’est pas le problème avant tout de l’Eglise,
mais c’est aussi un problème pour les institutions religieuses qui
y sont liées. Ce problème est lié à la structure et aux particularités
des différentes institutions et à leur mode de fonctionnement. Par
conséquent, toutes les parties concernées d’une manière ou d’une
autre par la prise en charge de l’éducation des enfants en institution
doivent se pencher ensemble sur la question.
38. En outre, les psychologues estiment qu’on devrait s’intéresser
davantage à la relation particulière qui lie un auteur d’abus et
sa victime; en effet, les enfants ont généralement des relations
sociales et émotionnelles étroites avec l’auteur (père, frère, enseignant,
prêtre ou formateur). Dans les situations d’abus, la personne qui fait
du tort (négatif) à des enfants leur témoigne en même temps de l’affection
(positive); les enfants sont donc émotionnellement perturbés par
cette situation qui les conduit à garder le silence. Par conséquent,
les experts rappellent régulièrement que les enfants qui sont élevés
dans des foyers sans amour ni protection peuvent être plus sensibles
à l’attention et à l’affection que leur témoignent des personnes
de contact qu’ils rencontrent hors de la famille et courent un plus
grand risque d’être abusés dans leur confiance
. Cette situation
entraîne parfois des cas particulièrement épineux d’enfants que
les autorités publiques retirent de leur famille où ils ont parfois
subi des abus pour les placer en institution en vue de les protéger,
mais où ils sont à nouveau victimes d’abus.
39. Certains experts estiment aussi que les stratégies de prévention
en matière d’abus sur les enfants ne s’intéressent pas toujours
suffisamment aux délinquants potentiels et à la possibilité d’influencer
leur comportement en trouvant par exemple des moyens pour les empêcher
de passer du fantasme à l’acte. Les experts en psychologie distinguent
trois catégories de délinquants pédophiles: (1) les délinquants
sexuels pédophiles qui sont caractérisés par une perversion et une
orientation permanentes vers des pratiques pédophiles, qui ont une
grande énergie criminelle et démontrent un comportement dangereux
sur le long terme; (2) les délinquants ayant un potentiel général
de violence ou de traitement sadique envers autrui; et (3) des délinquants
dont la personnalité est restée infantile et qui ne sont pas capables
d’établir des relations hétéro- ou homosexuelles matures
.
En règle générale, la formation reçue par le personnel médical (médecins
spécialisés, psychologues, etc.) en matière de diagnostic et de
traitement de la pédophilie est insuffisante. La rapporteuse propose
que cet aspect soit également pris en compte dans les stratégies
et les plans d’action nationaux qui seront développés et mis en
œuvre. Toutefois, estime-t-elle, en ces temps de rareté de ressources
publiques à tous les niveaux, le travail en faveur des délinquants
(potentiels) ne doit pas être favorisé aux dépens de l’aide dont
les victimes (potentielles) ont besoin.
40. Enfin, la rapporteuse voudrait souligner que des cas d’abus
sur des enfants ont également été rapportés dans des institutions
qui n’ont pas encore été mentionnées, mais qui ne devront pas être
occultées dans le cadre de l’action nationale: il s’agit d’organisations
d’aide internationale ou d’unités militaires en mission à l’étranger
dont des membres ont abusé d’enfants à l’extérieur. La rapporteuse
estime donc que toute action visant à combattre les sévices sur
des enfants placés en institution doit se fonder sur une compréhension globale
des «institutions». Par ailleurs, la question doit être perçue comme
un problème structurel spécifique à pratiquement toutes les institutions
présentant certains traits. Dans le but de prévenir efficacement
les abus sur des enfants dans le futur, toutes les institutions
et tous les systèmes (potentiellement) concernés doivent faire l’objet
d’un examen approfondi. Par ailleurs, il convient de promouvoir
une perception équilibrée des institutions qui abandonne toute idée
naïve d’une prise en charge d’enfants leur offrant une vie paradisiaque, mais
qui cesse de suspecter systématiquement toutes les institutions
qui ont été récemment concernées par des cas d’abus sur des enfants.
4. Recommandations
pour l’action future
41. Lorsqu’on analyse tous les cas d’abus d’enfants en
institution survenus dans différents Etats membres au cours des
décennies passées et dans un passé récent, et les réactions des
différents acteurs publics concernés, il est évident que la question
doit être abordée à différents niveaux et qu’une approche collective est
nécessaire. Tout d’abord, les recommandations de l’Assemblée parlementaire
doivent nécessairement être transmises aux Etats membres; ensuite,
les autorités nationales doivent convaincre le maximum de partenaires
de s’attaquer au problème à sa racine, à savoir la nature même de
la prise en charge institutionnelle des enfants et les relations
humaines qui règnent dans les cadres institutionnels respectifs.
En tant que membre de deux tables rondes sur la question des sévices
faits aux enfants en Allemagne, la rapporteuse voudrait proposer
la liste suivante, non limitative, de mesures que les pouvoirs publics
et d’autres partenaires des Etats membres devraient prendre en considération
dans le cadre de leur action future
.
4.1. Action législative
42. Au niveau européen, le paragraphe 18 de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels prévoit expressément que chaque Partie contractante
prend les mesures législatives ou autres pour ériger en infraction
pénale les comportements intentionnels d’abus sexuels commis sur
des enfants par des personnes «en abusant d’une position reconnue
de confiance, d’autorité ou d’influence sur l’enfant». La rapporteuse
estime qu’il faut exhorter tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe à réviser leurs législations respectives et à prendre immédiatement
des mesures pour renforcer leurs dispositions législatives, en cas
de nécessité.
43. Même si les Etats membres doivent légiférer pour prévenir,
poursuivre et sanctionner tous les types d’abus sur des enfants
(physiques et moraux ainsi que sexuels), il importe aussi de les
inviter à signer et à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe
sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels,
s’ils ne l’ont pas encore fait, et à la mettre en œuvre par des
plans d’action nationaux engagés.
44. La période et le cadre couverts par ce rapport ne permettent
pas de procéder à une analyse exhaustive de la législation pertinente
des Etats membres du Conseil de l’Europe. Cependant, les quelques
exemples présentés ci-dessus soulèvent tous une question fondamentale,
à savoir: est-ce que la législation nationale fait obligation à
toutes les institutions publiques et privées, aux ONG, au personnel
médical que les victimes peuvent approcher, de signaler les cas
d’abus sexuels aux autorités civiles et notamment à la justice pénale? C’est,
semble-t-il, le cas dans certains pays membres du Conseil de l’Europe
mais pas dans tous. Même lorsque la législation le prévoit, la question
de savoir si la règle est rigoureusement appliquée ou non reste ouverte.
45. Pour rendre pleinement justice aux victimes et apporter une
protection maximale aux victimes potentielles, les Etats membres
du Conseil de l’Europe devraient adopter des réglementations prévoyant
les poursuites ex officio pour
les cas de maltraitance sur des mineurs (enfants et adolescents).
Cette mesure revêt une importance particulière pour les adolescents
d’un âge avancé qui ne sont pas toujours, en particulier dans le
cadre des institutions de placement et d’enseignement, en mesure
de refuser les avances d’ordre sexuel qui leur sont faites. Il ne
faut donc pas présumer que des adolescents ont eu des rapports sexuels
consensuels uniquement parce qu’ils sont considérés comme ayant
atteint «la maturité sexuelle».
46. Une approche que les experts ne recommandent pas en général
pour l’instant est celle des plaintes formelles contre un auteur
présumé, étape obligatoire en cas d’abus sur des enfants. Même si
cette mesure permet de démarrer immédiatement des procédures judiciaires,
elle n’est pas considérée comme étant toujours dans le meilleur
intérêt de l’enfant. En effet, certains enfants et adolescents risquent
d’être stigmatisés pour avoir porté plainte contre des personnes
ayant de l’autorité dans des institutions et de se trouver dans une
situation difficile s’ils sont obligés de continuer à y séjourner
après avoir dénoncé un abus.
47. Un autre aspect législatif sur lequel les Etats membres doivent
se pencher est celui de la prescription pour tous les cas d’abus
sur des enfants; cette question est actuellement examinée dans la
plupart des pays où des cas d’abus en institution ont été récemment
dévoilés et publiquement débattus. En Allemagne, le ministère fédéral
de la Justice
,
ainsi que plusieurs ministres des Länder allemands envisagent actuellement de
prendre des mesures juridiques profondes sur cette question telle
que la prolongation de la durée du délai de prescription en matière
civile et pénale. Certains experts juridiques sont d’accord pour
que le délai de prescription en matière de compensation (droit civil)
soit porté à trente ans. Dans le même temps, les experts examinent
la possibilité de prolonger la période de prescription pour les
poursuites pénales, période qui s’étale actuellement de cinq à dix
ans en fonction de la gravité de l’abus et de la peine maximale
possible correspondante
. Dans tous les cas, les
périodes de prescription ne devraient prendre effet que lorsque
la victime a atteint l’âge de la majorité.
48. D’une manière générale, la rapporteuse voudrait recommander
aux Etats membres d’introduire des systèmes de «graduation des peines»
pour les abus sur des enfants en fonction de la gravité du délit,
et de prévoir des sanctions spécifiques pour chaque type d’abus
sur des enfants (sexuel, physique et moral). Des mesures législatives
pourraient être prises à différents niveaux pour renforcer les droits
et la protection des enfants, par exemple en définissant les droits
et devoirs du personnel éducatif, en définissant et en révisant les
conditions minimales pour accorder la licence aux établissements
de prise en charge d’enfants ainsi que les conditions à remplir
par les personnes chargées de les diriger ou en rendant obligatoires
les certificats d’habilitation de la police pour l’ensemble du personnel
éducatif. Certaines pratiques appliquées aux enfants «récalcitrants»
ainsi que certaines méthodes de punition dans les centres de détention
de jeunes devraient être interdites par la loi et le respect des
réglementations pertinentes devrait être étroitement contrôlé. Enfin, un
aspect à ne pas négliger est le soutien et l’assistance aux enfants
dans les procédures judiciaires. Sans entrer dans le détail de cette
question, la rapporteuse souhaite faire référence aux lignes directrices
sur une justice adaptée aux enfants que les organes intergouvernementaux
du Conseil de l’Europe sont en train d’élaborer et dont l’adoption
par le Comité des Ministres est prévue avant la fin de 2010. La
rapporteuse rappelle que de nombreux Etats membres, y compris l’Allemagne,
ont déjà une vaste expérience en matière de procédures judiciaires
adaptées aux enfants; à cet égard, elle donne l’assurance de la
volonté de son pays de partager son expérience dans ce domaine.
4.2. Action administrative
49. C’est au niveau des institutions elles-mêmes qu’il
faut identifier les lacunes existantes et prendre ensuite les mesures
correctrices. Il importe d’analyser en profondeur, pour bien les
comprendre, les facteurs favorisant l’abus sur les enfants, tels
qu’ils sont présentés de façon générale ci-dessus. Sur la base des
connaissances qui seront acquises, les institutions devront développer
des directives internes en vue de renforcer le respect des droits
de l’enfant, prévenir les abus sur les enfants et traiter les cas
qui surviennent. Chaque catégorie d’institution, au niveau hiérarchique
qu’elle jugera approprié, pourra élaborer ces directives, tandis
que les pouvoirs publics des Etats membres pourront jouer un rôle
de coordinateur à cet égard. Par ailleurs, chaque institution doit
veiller à ce que les enfants et les adolescents concernés soient
informés des directives et de leurs droits et qu’ils puissent trouver
des interlocuteurs chaque fois que leurs droits sont violés. Des recommandations
substantielles et complètes «concernant la prévention d’abus sexuel
ainsi que le comportement approprié en cas d’abus» viennent d’être
éditées par l’association Caritas allemande (Deutscher Caritasverband)
en vue de cas d’abus se déroulant dans ses propres institutions
accueillant des enfants, des jeunes et des personnes handicapées.
Ce document a été pris en considération dans la préparation du présent
rapport et des recommandations proposées. La rapporteuse apprécie
particulièrement que l’association Caritas allemande mette l’accent
de ses lignes directrices sur la prévention et l’identification de
risques à un stade très préliminaire, et qu’elle place le bien-être
de l’enfant au cœur du problème
.
50. Les mécanismes d’inspection en vigueur des établissements
d’enseignement et de prise en charge d’enfants, en particulier ceux
des pouvoirs publics, devraient être renforcés. Ces mécanismes devraient
être clairs et faciles à comprendre par tous les professionnels
concernés. Il faut aussi prévoir des interlocuteurs pour recueillir
les cas avérés ou présumés d’abus, même s’il s’agit de traiter,
dans un premier temps, une situation particulière sans la dévoiler
entièrement. En outre, le personnel des établissements d’enseignement et
de prise en charge d’enfants devrait être tenu de suivre des programmes
d’enseignement spécifiques et de formation continue qui devront
être développés, en vue de les aider à identifier les abus potentiels
et à réagir de manière appropriée aux cas d’abus. Les mêmes obligations
de formation devraient s’appliquer mutatis mutandis aux
forces de police, aux procureurs et aux juges intervenant dans le
domaine des abus sur des enfants.
51. Il importe tout d’abord de mettre à la disposition des enfants
et des adolescents des organes indépendants et entièrement neutres
auxquels ils peuvent s’adresser chaque fois qu’ils craignent d’être abusés
par une personne responsable de leur éducation ou de leur garde,
chaque fois qu’ils sont victimes d’abus ou témoins d’abus infligés
à d’autres enfants. Les services de conseils et d’assistance devraient
être exhaustifs en ce sens qu’ils devraient couvrir toute la gamme
des problèmes potentiels et l’ensemble du territoire national, et
prendre en considération les besoins particuliers. Il devrait être
par exemple possible de développer des services spécifiques ciblant
différents groupes, tels que les filles et les garçons, les personnes atteintes
de handicaps ou d’origine religieuse différente. Ces organes pourraient
être mis en place par les pouvoirs publics, à condition que les
ressources nécessaires soient disponibles sur le long terme. Des
services indépendants et confidentiels pour les abus sur les enfants
pourraient également être développés en collaboration avec les ONG
nationales qui, très souvent, apportent déjà une aide précieuse
en ce qui concerne les abus d’enfants en toutes circonstances. Il
est possible de mobiliser leurs structures, connaissances et ressources
en faisant d’elles des partenaires officiels des stratégies nationales
pour la protection des victimes et la prévention des abus sur les
enfants. D’une manière générale, tous les systèmes et toutes les
structures d’assistance devraient être reliés les uns aux autres
pour connaître leurs activités respectives (professionnels de la
santé et hôpitaux, enseignants et tous les niveaux d’établissements
d’enseignement, de la maternelle au lycée, les forces de l’ordre,
les services de la jeunesse, l’administration sanitaire, etc.).
4.3. Action politique
52. Un large éventail d’actions politiques pourraient
être engagées pour soutenir la mise en œuvre des mesures législatives
et des mesures destinées aux établissements en tant que tels, et
aux organes et organisations connexes. Les Etats membres devraient
dans un premier temps mener des enquêtes et entreprendre des procédures
au niveau national pour traiter la question des délits passés, y
compris procéder à des recherches approfondies sur la question et
examiner la manière d’indemniser d’une façon ou d’une autre les
personnes qui ont été victimes d’abus pour les souffrances qui leur
ont été infligées. Le principal objectif de cet «examen du passé»
serait de rendre pleinement justice aux personnes qui sont disposées
à dévoiler ce qui leur est arrivé, mais aussi de tirer des leçons
du passé pour définir les actions futures à prendre par une meilleure
compréhension des causes des abus sur les enfants en établissement.
53. Les enfants sont les membres les plus vulnérables de la société.
Ils ont leurs droits propres qui sont garantis, entre autres, par
des instruments internationaux comme la Convention des Nations Unies
relative aux droits de l’enfant (CNUDE). Protéger les enfants de
tous types d’abus est donc une question centrale relevant du respect
des droits de l’homme. Le fait d’étudier les cas passés et d’écouter
les victimes permettra de sensibiliser le public au fait que si,
à première vue, la question des abus sur les enfants en institution
peut apparaître comme un problème de société, en fait, elle concerne
chacun d’entre nous. Ecouter les victimes et reconnaître qu’on leur
a causé du «tort» est déjà un premier pas vers une compensation
à leur égard. Après avoir été contraints de vivre en silence leur
traumatisme pendant des années, le fait de pouvoir enfin en parler ouvertement
apporte un grand soulagement, même si le fait de parler des abus
fait généralement revivre le traumatisme. Les victimes d’abus passés
qui dévoilent leur cas devraient donc recevoir une assistance thérapeutique
à laquelle elles doivent pouvoir accéder sans obstacles bureaucratiques
pour traiter leur traumatisme.
54. Le principal objectif de l’action politique à entreprendre
devrait être de développer des stratégies de prévention exhaustives
impliquant toutes les parties concernées, c’est-à-dire les pouvoirs
publics, les organisations privées et religieuses, les ONG, mais
aussi les familles et les enfants eux-mêmes. Les actions éventuelles
pourraient démarrer avec l’élaboration d’outils pratiques (plans
d’action nationaux, directives et codes de conduite) suivie de campagnes
de sensibilisation à l’importance d’un environnement familial attentif et
affectueux, de programmes pour aider les enfants à se prendre en
charge, de services d’assistance complets pour les enfants, de stratégies
de participation des enfants et des jeunes, mais aussi de mesures pour
s’attaquer aux délinquants potentiels qui peuvent, dans certains
cas, être identifiés et traités avant qu’ils commettent des délits.
5. Conclusions
55. En conclusion, la rapporteuse aimerait souligner
que le problème des abus sur des enfants dans le cadre institutionnel
n’est pas imputable aux seuls établissements ou à certains types
d’établissements uniquement. C’est un problème qui touche toutes
les sphères de la société, qui sont étroitement reliées en cas d’abus
commis sur des enfants: en effet, un abus sur un enfant commis dans
une école est un problème qui doit aussi être traité avec la famille
et dans le cadre familial. La question concerne en outre tous les
types d’institutions où des adultes s’occupent d’enfants dans des
systèmes plus ou moins clos et surveillés. La prévalence des abus
sur des enfants dans certains types d’institutions semble être liée,
entre autres, à la place que ces institutions occupent dans un pays.
Ainsi, si les institutions catholiques sont particulièrement concernées
dans certains pays, c’est sans doute en partie parce que l’Eglise
catholique y a la charge d’un grand nombre d’établissements d’enseignement.
56. La rapporteuse estime que les recommandations de l’Assemblée
parlementaire ne devraient pas s’ingérer directement dans l’organisation
interne de toute Eglise ou d’autres administrations privées. Elle
est néanmoins convaincue que l’Eglise, en tant qu’institution centrale
faisant partie intégrante des sociétés européennes et principale
partie prenante dans de nombreux problèmes et développements dans
la société, ne devrait pas être exempte de critiques constructives,
pas plus que d’autres organisations. Malgré leur histoire qui remonte
loin dans le passé, leurs traditions et leur grand degré d’autonomie,
les institutions catholiques, qui sont des partenaires actifs des
sociétés modernes, doivent respecter les mêmes règles de transparence et
de prééminence du droit que les autres établissements privés ou
publics. Elles ne sont pas et ne devraient pas être au-dessus de
la loi
. Les
sociétés européennes et leurs citoyens ont confiance en l’Eglise
et en ses institutions. Si cette confiance vient d’être ébranlée
par des comportements répréhensibles de certains de ses représentants,
l’Eglise se doit de remettre en question et de réviser son mode
de fonctionnement et ses mécanismes internes qui ont pu favoriser
ou encourager les abus de confiance dans le passé.
57. Sur la base des recommandations préliminaires et très générales
formulées ci-dessus (chapitre 4), l’Assemblée devrait inviter les
Etats membres à lancer et à coordonner des processus nationaux visant
à prendre des mesures législatives, administratives et politiques
en faveur de la situation des enfants placés en établissement et
à prévenir les abus futurs. D’autres parties prenantes et partenaires
dans les pays devraient être invités à contribuer aux bilans pertinents
et à s’interroger sur leurs propres actions. La commissaire Marian Shanley
a dit lors de l’audition tenue à Strasbourg le 22 juin 2010 que
«les pays qui s’attaquent à la question seront le moteur de ce combat.
Le problème peut être résolu et le débat actuel est sain parce qu’il
relève d’une approche proactive». En reprenant ces mots, la rapporteuse
veut encourager les Etats membres à examiner de la manière la plus
constructive possible la question des sévices sur les enfants placés
en institution.
58. L’Assemblée et sa commission des questions sociales, de la
santé et de la famille, ainsi que sa sous-commission sur les enfants
continueront de promouvoir la lutte contre les abus commis sur les
enfants placés en institution dans le cadre de la campagne du Conseil
de l’Europe visant à mettre un terme à la violence contre les enfants,
campagne dont le lancement est prévu les 29 et 30 novembre 2010
à Rome. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ainsi que
les autres parties concernées dans les pays devraient être invités à
contribuer à cette campagne par des actions nationales spécifiques
pour donner la plus grande visibilité possible aux droits des enfants,
et à utiliser les moyens dont ils disposent pour protéger les enfants
des abus en toutes circonstances.