Introduction
1. Je tiens à remercier M. Zernovski, rapporteur de
la commission des migrations, des réfugiés et de la population,
pour son rapport précis et bien documenté, qui brosse un tableau
complet des complexités juridiques des demandes d’asile liées au
genre. Ce rapport fournit une explication détaillée des problèmes
qui peuvent entraver la bonne évaluation de ce type de demandes,
et notamment:
- la compréhension
insuffisante de la persécution liée au genre par les autorités chargées
de traiter des demandes d’asile;
- la persistance, en Europe, de procédures de demandes d’asile
qui ne tiennent pas compte des questions liées au genre.
2. Dans le présent avis, j’aimerais m’attarder sur certains aspects
spécifiques des demandes d’asile liées au genre que M. Zernovski
a abordés.
Manque de statistiques ventilées par sexe
3. Longtemps, le besoin de statistiques détaillées sur
les demandes d’asile et les décisions correspondantes a été considéré
comme une priorité, qui a fait l’objet de recommandations de diverses organisations,
dont le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
et l’Assemblée parlementaire
.
4. Toutefois, les Etats membres du Conseil de l’Europe ne publient
pas tous des statistiques ventilées par sexe sur les demandes d’asile,
ce qui est notamment le cas de pays accueillant de nombreux réfugiés,
comme l’Italie et les Pays-Bas. Le nombre de pays publiant des statistiques
ventilées par sexe sur l’aboutissement des demandes d’asile est
encore plus faible
.
5. Je pense, tout comme la commission des migrations, des réfugiés
et de la population, qu’il faut demander aux Etats membres du Conseil
de l’Europe de publier des statistiques ventilées par sexe (paragraphe
13.4 du projet de résolution): si l’on ne dispose pas de ces chiffres,
il est impossible de mesurer les progrès accomplis pour répondre
aux besoins des victimes de la persécution liée au genre; de plus,
la publication ou non par un Etat de statistiques ventilées par
sexe est un signe préliminaire de sa sensibilité aux problèmes spécifiques
des hommes et des femmes dans le contexte de l’asile.
6. L’on dispose de peu d’informations quantitatives sur les demandes
d’asile liées au genre, mais les informations qualitatives sont
virtuellement inexistantes: il n’existe pas de statistiques officielles,
systématiques et accessibles sur l’application de garanties spéciales
pendant la procédure (telles que la mise à disposition d’interprètes
et d’agents chargés des entretiens du même sexe, etc.), sur le type
de persécution à l’origine de la demande, sur le motif de rejet
ou d’admission de la demande, etc.
Les demandes d’asile liées au genre
devraient être examinées à la lumière de la Convention de Genève
de 1951, au lieu d’être automatiquement réorientées vers la protection
complémentaire
7. Même si les données sont insuffisantes, il est manifeste
que, dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, les demandes
d’asile liées au genre sont traitées comme des demandes de protection complémentaire
plutôt que d’asile.
8. C’est notamment le cas dans les pays qui accordent des formes
complémentaires de protection aux victimes de violations des droits
de la personne humaine, notamment en vertu de l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) ou
d’autres instruments internationaux en matière de droits de la personne
humaine.
9. Ainsi, d’après les Lignes directrices suédoises pour la prise
en compte du genre, qui s’adressent à tous les décideurs concernés
par les demandes d’asile, le «genre» n’est pas une catégorie assimilable
à un «certain groupe social» au sens de la Convention de Genève
de 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après: la «Convention
de Genève de 1951»), et les demandeurs d’asile qui présentent des
demandes bien motivées liées au genre peuvent uniquement obtenir
une protection complémentaire.
10. Je considère que cette exclusion automatique du statut de
réfugié constitue une discrimination fondée sur le sexe dans le
cadre de la procédure d’asile et qu’elle devrait cesser: la persécution
fondée sur le genre constitue incontestablement une violation des
droits de la personne humaine, mais cette violation peut être infligée
à certaines personnes en leur qualité de membre d’un groupe social
(femmes, jeunes filles, jeunes hommes et garçons, homosexuels ou
transsexuels); de plus, ces violations des droits de la personne
humaine peuvent être infligées pour divers motifs, y compris ceux
qui figurent dans la définition des réfugiés
.
11. Il conviendrait donc que les Etats membres du Conseil de l’Europe
examinent en premier lieu les demandes d’asile liées au genre à
la lumière de la Convention de Genève de 1951; en revanche, si ces demandes
sont rejetées sur le fond, elles devraient être examinées sous l’angle
de la protection complémentaire.
12. Cette question est loin de constituer un débat purement technique
car les droits dérivés du statut de réfugié ont une portée bien
plus grande et la protection correspondante est plus durable que
dans le cadre d’autres statuts. Je pense que cette idée mérite d’être
énoncée plus clairement dans le projet de résolution (voir l’amendement
D).
L’accumulation d’actes discriminatoires
peut constituer une persécution
13. Afghanistan, Irak, Somalie, République démocratique
du Congo, Myanmar, Colombie, Soudan
: tels sont, dans
l’ordre, les principaux pays d’origine des réfugiés aujourd’hui
dans le monde. Ce sont aussi les pays où les femmes subissent, dans
leur vie quotidienne, des discriminations graves, massives et endémiques
dans la jouissance de leurs droits fondamentaux, sans que l’Etat
n’ait la possibilité ou la volonté de veiller à leur protection
ou à ce qu’elles obtiennent réparation.
14. Malheureusement, seul un petit nombre d’Etats membres du Conseil
de l’Europe tels que la Suède et le Royaume-Uni reconnaissent explicitement
que la discrimination peut constituer une persécution, tandis que la
vaste majorité des pays d’Europe adoptent une position plus restrictive.
15. J’estime pour ma part que, pour être en phase avec les valeurs
qu’ils ont adoptées en devenant membres de l’Organisation, les Etats
membres du Conseil de l’Europe devraient être à l’avant-garde en matière
de défense de l’universalité des droits de la personne humaine et
s’opposer à toute forme de relativisme culturel ou religieux. Pour
ce faire, ils doivent accepter que:
- les discriminations cumulées fondées sur le sexe constituent
de graves violations des droits de la personne humaine, justifiant
l’octroi d’une forme de protection internationale;
- dans certains cas, les discriminations cumulées fondées
sur le genre sont suffisamment graves pour être qualifiées de persécution
au sens de la Convention de Genève de 1951;
- de même, l’absence de protection accordée par un Etat
à certaines personnes pour des motifs de genre peut constituer une
forme de persécution.
16. J’appuie également mon avis sur les principes directeurs du
HCR relatif à la persécution liée au genre
, qui déclarent:
«14. Alors qu’il est généralement admis que la “simple”
discrimination ne saurait normalement être considérée comme une
persécution en soi, un mode de discrimination ou de traitement moins
favorable pourrait, sur la base de motifs cumulés, constituer une
persécution et justifier une protection internationale. On pourrait
ainsi qualifier de persécution des mesures discriminatoires clairement préjudiciables
pour la personne concernée, par exemple des restrictions graves
au droit de gagner sa vie, de pratiquer sa religion ou d’accéder
aux établissements d’enseignement existants.
15. L’analyse des formes de discrimination par un Etat
qui négligerait de protéger des individus contre certains types
de préjudice est également importante en ce qui concerne les demandes
liées au genre. Si un Etat, dans ses politiques ou sa pratique,
n’accorde pas certains droits ou une certaine protection en réponse
à des sévices graves, la discrimination dans l’octroi d’une protection
(de la part de l’Etat), menant à un préjudice grave infligé en toute
impunité, pourrait constituer une persécution. Des cas particuliers
de violence familiale ou de maltraitance fondée sur une différence
d’orientation sexuelle, par exemple, pourraient être analysés dans
ce contexte.»
17. J’aimerais donc proposer un amendement au projet de résolution
visant à encourager les Etats membres du Conseil de l’Europe à adopter
une position plus progressiste sur la question des discriminations cumulées
(voir l’amendement F).
Impossibilité de réinstallation
interne
18. Dans son projet de résolution, la commission des
migrations, des réfugiés et de la population recommande aux Etats
membres du Conseil de l’Europe «de restreindre le recours à la possibilité
de refuge intérieur (internal flight
alternative) pour les demandeurs d’asile qui invoquent
des motifs liés au genre, et de tenir dûment compte de l’existence
d’une protection de l’Etat dans la région de transfert et de la
sécurité du trajet» (paragraphe 10.5).
19. Toutefois, étant donné les formes que prend la discrimination
fondée sur le genre et les conditions culturelles qui règnent dans
la plupart des pays d’origine, je pense que les Etats membres du
Conseil de l’Europe devraient également prendre en compte les possibilités
pratiques, pour les femmes et les autres victimes de violences liées
au genre, de commencer une nouvelle vie et de subvenir à leurs besoins
dans une région différente du pays (voir l’amendement C).
Violences généralisées dans le
contexte des conflits armés
20. Dans son rapport, M. Zernovski évoque la violence
faite aux femmes en tant qu’arme de guerre (paragraphes 28 et 29).
Malheureusement, les demandes de protection internationale des femmes
victimes de violences sexuelles dans les conflits armés sont souvent
rejetées dans le cadre de la Convention de Genève de 1951 au motif
que les violences sont généralisées (et n’ont donc pas spécifiquement
visé le demandeur) et/ou parce que la demande ne repose pas sur
l’un des critères prévus par la convention.
21. Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. J’estime que
les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient reconnaître la
nature politique des violences sexuelles systématiques perpétrées
dans le cadre des conflits armés, parce qu’elles ciblent spécifiquement
les femmes envisagées comme les mères des générations futures et
visent à laisser des cicatrices durables chez les femmes et dans
toute la communauté.
22. Les femmes et les fillettes qui ont fui leur pays d’origine
pour demander une protection en Europe après avoir vécu une telle
expérience méritent que leur dossier fasse l’objet, tout d’abord,
d’un examen à la lumière de la Convention de Genève de 1951, quitte
à envisager une protection complémentaire si le cas est rejeté.
23. Je pense que cet aspect mérite également d’être mentionné
dans le projet de résolution (voir l’amendement E).
Le viol comme une forme de torture
24. Dans son rapport, M. Zernovski a bien développé la
question de la violence spécifique fondée sur le genre, qui est
à l’origine d’une grande partie des demandes d’asile liées au genre.
Je n’entends pas répéter l’analyse qu’il a déjà réalisée, mais je
tiens à rappeler que, dans sa jurisprudence, la Cour européenne
des droits de l’homme a estimé que le viol peut être une forme de
torture
et
qu’il existe, en tout état de cause, une obligation positive pour
les autorités de veiller à ce qu’un tel acte fasse l’objet d’une
enquête et de poursuites
.
25. Je pense que le projet de résolution devrait clairement établir
que les victimes de viols et autres violences sexuelles devraient
bénéficier de tout l’éventail des garanties de procédure (comme
l’exemption des procédures accélérées, conformément aux recommandations
antérieures de l’Assemblée)
et
de l’assistance sociale et psychologique que les Etats membres du
Conseil de l’Europe devraient proposer aux victimes de la torture
(voir l’amendement H).
Violence domestique
26. J’aimerais recommander une mention spécifique des
violences domestiques dans le contexte des demandes d’asile liées
au genre. Dans certains cas de figure – notamment quand leur pays
d’origine ne peut ou ne souhaite pas les protéger – les victimes
de violences domestiques devraient avoir accès aux procédures d’asile
et obtenir soit le statut de réfugié, soit une protection complémentaire.
Il me semble aussi très important que la pertinence des violences
domestiques dans le cadre des procédures d’asile soit explicitement
prise en compte dans les négociations du Comité ad hoc pour prévenir
et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(CAHVIO), et qu’elle figure dans le texte de la future convention
du Conseil de l’Europe pour prévenir et combattre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique
.
C’est pourquoi j’aimerais proposer un amendement au projet de résolution
(voir l’amendement G) et au projet de recommandation (voir l’amendement
I) de la commission des migrations, des réfugiés et de la population.
Conclusions
27. Les politiques et la pratique en matière de traitement
des demandes d’asile liées au genre diffèrent d’un Etat membre du
Conseil de l’Europe à l’autre: certains pays ne tiennent absolument
pas compte du genre alors que d’autres, comme le Royaume-Uni, publient
des statistiques ventilées par sexe sur les demandes d’asile et les
décisions correspondantes, ont formulé, à l’intention des décideurs
et des agents chargés des entretiens, des lignes directrices sur
les questions de genre, considèrent les femmes comme un «groupe
social» au sens de la Convention de Genève de 1951 et reconnaissent
les violences sexuelles comme une forme de persécution.
28. Le projet de résolution adopté par la commission des migrations,
des réfugiés et de la population a plusieurs mérites:
- il demande aux Etats membres
du Conseil de l’Europe de reconnaître la spécificité des demandes d’asile
liées au genre;
- il vise à harmoniser l’approche mise en place pour traiter
les demandes d’asile liées au genre dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe;
- il propose une harmonisation de haut niveau.
29. J’encourage les membres de l’Assemblée à soutenir le projet
de résolution et le projet de recommandation parce qu’ils apportent
une précieuse contribution aux efforts pour faire reconnaître que
les droits de la femme méritent le statut de droits fondamentaux
de la personne humaine et doivent être pleinement protégés.