1. Introduction
1. Comme énoncé dans la proposition de recommandation
,
en 2007, l’Assemblée parlementaire a clairement déclaré que la responsabilité
individuelle pour les crimes de guerre commis dans le cadre des conflits
s’étant déroulés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie était «un
élément indispensable du processus de réconciliation pour les victimes,
les communautés et les pays concernés»
.
Pour que justice soit faite, l’Assemblée a déclaré qu’il convenait
de combattre l’impunité «avec détermination». Dans le cadre de la Stratégie
d’achèvement de ses travaux
, le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY) concentre désormais son action sur un nombre
réduit de personnes et de crimes
, et renvoie les autres affaires
devant les juridictions nationales
compétentes. Ainsi, depuis 2005, c’est aux Etats situés sur le territoire
de l’ex-Yougoslavie («les Etats concernés») qu’incombe au premier
chef l’obligation de veiller à ce que les responsables présumés
de crimes de guerre répondent de leurs actes et de lutter contre
l’impunité de ces crimes.
2. La proposition de recommandation réitère l’observation de
l’Assemblée selon laquelle l’efficacité des poursuites dépend de
la coopération entre les Etats concernés; ceux-ci sont donc invités,
une nouvelle fois, à lever tous les obstacles juridiques s’opposant
au bon déroulement de la justice. A cet égard, la
Résolution 1564 (2007) mentionne
tout particulièrement l’interdiction d’extrader des nationaux
, qui englobe la question
de l’«usage abusif de l’acquisition de la double nationalité»
, et le transfert de dossiers
de poursuites judiciaires vers un autre pays
. Comme l’ont souligné le procureur du
TPIY
et la Commission
européenne
, il
reste certains obstacles à la coopération
, ce qui nuit
à l’efficacité de la Stratégie d’achèvement des travaux du TPIY
. Le procureur du
TPIY a appelé les Etats concernés à «rapidement régler ces questions
cruciales»
et
la Commission européenne a recommandé la prise de mesures en vue
de la passation d’accords d’extradition englobant les affaires liées
à des crimes de guerre
.
3. Pour faire suite aux recommandations énoncées ci-dessus, une
coopération entre les procureurs de plusieurs Etats concernés a
été instaurée, ce qui a permis d’engager des poursuites à l’encontre
de personnes accusées de crime de guerre dans des Etats qui refusent
d’extrader leurs ressortissants. Cette coopération, qui se traduit
essentiellement par le transfert d’informations et de preuves, ainsi
que par la reconnaissance des décisions prises par des juridictions
étrangères, contribue à la lutte contre l’impunité.
4. Sans préjudice de la responsabilité fondamentale qui incombe
aux Etats concernés, la proposition de recommandation dispose que
l’obligation de combattre l’impunité incombe également aux Etats
membres et observateurs du Conseil de l’Europe parce que des «personnes
inculpées de crimes de guerre ont quitté la région et ont trouvé
refuge ailleurs dans le monde». En effet, l’Assemblée a noté avec
préoccupation que, dans plusieurs cas où des chefs d’accusation
visaient certaines de ces personnes, leurs Etats de résidence actuelle n’ont
fait preuve de détermination ni pour les extrader, ni pour entamer
des poursuites judiciaires internes à leur encontre.
5. Le présent rapport examine plusieurs points relatifs à la
nature et à la portée de l’obligation faite aux Etats membres et
observateurs d’aider les Etats concernés à veiller à l’obligation
de rendre des comptes en matière de crimes de guerre.
6. Premièrement, il présente les données fournies par plusieurs
des Etats concernés sur leurs demandes d’extradition. Pour donner
un aperçu complet de la situation, le rapporteur s’est également
appuyé sur des sources publiques d’information. Ainsi, les Etats
concernés ont adressé aux Etats membres des demandes d’extradition
visant des personnes qui résident sur leur territoire ou qui sont
de passage ou séjournent dans le pays, ce qui englobe les personnes
qui effectuent des voyages d’affaires ou des missions diplomatiques,
en qualité de représentants de l’un des autres Etats concernés.
7. Deuxièmement, le rapport passe en revue les normes applicables
aux demandes d’extradition telles que définies dans le droit des
traités du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire dans la Convention
européenne d’extradition (STE no 24) (ci-après «la convention»)
et ses trois protocoles (STE no 86, STE no 98 et STCE no 209), ainsi
que les réserves émises par les Etats membres sur les dispositions
de ces instruments. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
et deux Etats non membres
ont ratifié la convention.
Trente-sept Etats membres
et
un Etat non membre
ont ratifié le protocole additionnel,
et 40 Etats membres
et
un Etat non membre
ont ratifié le 2e protocole additionnel.
Parmi les cinq Etats
bénéficiant
du statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe
, aucun n’a ratifié la
convention, ni ses protocoles. Il convient de souligner qu’un organe
spécialisé au sein du Conseil de l’Europe travaille actuellement
à la modernisation de la convention. Pour ce faire, il s’appuie
sur le rapport de 2002 intitulé «Nouveau départ», qui traite de
l’évolution de la coopération internationale en matière pénale
et tient
compte des recommandations énoncées dans un rapport d’experts adopté
par le Comité européen pour les problèmes criminels en 2006
.
8. La règle générale de l’obligation d’extrader énoncée dans
la convention fait l’objet d’importantes réserves et conditions
telles que spécifiées dans la convention et ses protocoles. En outre,
les Etats membres ont émis de nombreuses réserves
qui précisent la façon dont ils
examineront les demandes d’extradition, ces réserves étant essentiellement
liées à l’application d’autres normes et obligations relatives,
notamment, à des questions humanitaires et de droits de l’homme.
L’examen de ces différents documents révèle une tension entre les
approches adoptées par les Etats membres concernant les principes
applicables à l’extradition et l’importance accordée à divers facteurs.
Ainsi, tandis que les approches qui visent avant tout la lutte contre l’impunité
sont généralement favorables à l’extradition, celles qui sont davantage
axées sur les questions humanitaires et les droits de l’homme de
l’accusé tendent à la limiter
. Par conséquent, la convention et
ses protocoles peuvent être interprétés de différentes manières
par les Etats membres. Pour examiner une décision rendue sur une
demande d’extradition donnée, il peut être nécessaire de considérer
l’état de ratification des protocoles par le pays concerné, les
éventuelles réserves émises et la législation nationale. Pour les
demandes adressées à des Etats qui ne sont pas parties à la convention,
il peut être nécessaire de considérer le droit national ainsi que
tout éventuel traité bilatéral traitant de la question de l’extradition.
9. Les deux protocoles additionnels prévoient l’intervention
du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) pour le règlement
amiable de toute difficulté à laquelle l’exécution du protocole
donnerait lieu
.
La convention elle-même ne contient pas de disposition à ce sujet
étant donné que le CDPC n’existait pas encore lorsqu’elle a été
élaborée
.
10. Troisièmement, le rapport examine l’impact du droit international
des traités sur la question de l’extradition et, plus précisément,
sur l’immunité personnelle que confèrent les législations étrangères
aux diplomates et autres représentants de l’Etat. Il note également
les recommandations émises par le Secrétaire Général à cet égard.
Celles-ci portent sur la mise en place, par le Conseil de l’Europe,
d’activités normatives visant à établir des exceptions à l’immunité
accordée au niveau national en cas de violations graves des droits de
l’homme, en envisageant la possibilité de lever cette immunité.
11. Quatrièmement, il examine la question des poursuites par des
Etats tiers, y compris par le biais du mécanisme prévu par la convention,
qui doit être déclenché par l’Etat requérant, lorsque l’extradition
est refusée pour des raisons liées à la nationalité de l’individu
réclamé. Toutefois, les Etats concernés n’ont fourni aucune information
sur le nombre de fois où ils avaient demandé à ce qu’un Etat requis
refusant l’extradition exerce des poursuites – ni même sur le fait
qu’ils avaient ou non déjà eu recours à cette possibilité. Cette section
se penche de manière plus approfondie sur la façon dont les comités
d’experts du Conseil de l’Europe pourraient favoriser un recours
plein et entier au principe aut dedere
aut judicare.
12. Le rapport souligne également le fait que, au-delà de la convention
et des protocoles susmentionnés, il existe de nombreux autres accords
internationaux et conventions dans ce domaine. Or, ceux-ci ne sont
pas suffisamment respectés ni mis en œuvre. Ainsi, malgré les nombreuses
recommandations de l’Assemblée appelant les Etats membres à ratifier
la Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité
et des crimes de guerre (STE no 82)
, seuls cinq d’entre
eux ont ratifié cet instrument
. La convention des
Nations Unies sur cette même question a été ratifiée par un peu
moins de la moitié des Etats membres du Conseil de l’Europe
(dont
tous les Etats concernés). La coopération avec la Cour internationale de
justice (CIJ) est également très importante, mais, depuis son adoption
en 1998, le Statut de Rome de la CIJ n’a été ratifié que par 108
Etats. Malheureusement, huit Etats membres et deux Etats observateurs
du Conseil de l’Europe ne l’ont pas encore ratifié.
13. Enfin, le rapport prévoit des recommandations pour de possibles
activités de suivi étant donné qu’il est probable que le nombre
de demandes d’extradition adressées par des Etats concernés à d’autres
Etats concernés ainsi qu’à des pays tiers concernant des personnes
soupçonnées de crimes de guerre augmentera au cours des prochaines
années.
2. Informations
sur les demandes d’extradition pour crimes de guerre
14. Les Etats concernés ont fourni des informations sur
leurs demandes d’extradition pour des personnes soupçonnées de crimes
de guerre
.
La Bosnie-Herzégovine, «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et la Serbie ont apporté des données chiffrées ainsi que d’autres
types d’informations à cet égard
.
La Croatie a fourni des données chiffrées sur les suspects localisés
dans des pays tiers, les personnes faisant l’objet d’une enquête,
les personnes accusées et les personnes condamnées; elle a en outre
examiné quatre demandes d’extradition spécifiques, dont trois sont
citées dans la proposition de recommandation
.
Les informations fournies par les Etats concernés ne font pas mention
de toutes les demandes d’extradition citées dans les sources publiques,
notamment les médias et les rapports des organisations internationales.
Elles ne contiennent aucun renseignement sur le nombre de mandats
d’arrêt internationaux en vigueur à l’encontre de personnes soupçonnées
de crimes de guerre; il est donc difficile d’estimer l’impact à
long terme de cette question dans les pays tiers. Néanmoins, si
l’on se fonde sur les informations fournies par la Croatie, on peut s’attendre
à ce que de nombreuses personnes soupçonnées de tels faits soient
réclamées dans des Etats tiers
.
1. Nombre total de demandes d’extradition ou de mandats d’arrêt
internationaux délivrés pour des personnes localisées dans différents
Etats:
- Bosnie-Herzégovine:
23 demandes d’extradition;
- Serbie: 4 demandes d’extradition;
- Croatie: 70 personnes «localisées»;
- «l’ex-République yougoslave de Macédoine»: 1 demande d’extradition.
2. Demandes d’extradition adressées à d’autres Etats de l’ex-Yougoslavie:
- Bosnie-Herzégovine → 13: Serbie
(6); Croatie (5); Monténégro (1); Slovénie (1);
- Serbie → 1: «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
(1);
- Croatie → 29 personnes «localisées» – Serbie (15); Bosnie-Herzégovine
(13); Monténégro (1)
3. Demandes d’extradition adressées à des Etats tiers (parmi
les Etats cités, seule l’Australie n’est pas membre/observateur
du Conseil de l’Europe):
- Bosnie-Herzégovine
→ 10; Pays-Bas (2); Allemagne (1); Norvège (1); Italie (1); Etats-Unis
(4); Australie (1);
- Serbie → 3:Norvège
(1); Autriche (1); Italie (1);
- Croatie → 41 personnes «localisées»: Royaume-Uni (4);
Fédération de Russie (3); Autriche (1); Grèce (1); Pays-Bas (1);
Norvège (1); Etats-Unis (12); Canada (4); Australie (14);
- «l’ex-République yougoslave de Macédoine» → Allemagne
(1).
15. Malheureusement, tous les Etats de l’ex-Yougoslavie
n’ont pas encore transmis au rapporteur les données les concernant.
16. A ce jour, seules cinq personnes situées en Serbie et trois
aux Etats-Unis
ont
été extradées vers la Bosnie-Herzégovine, une personne a été extradée
de la Norvège vers la Serbie, et une de l’Allemagne vers «l’ex-République
yougoslave de Macédoine».
17. D’après les informations publiques, au moins 40 à 50 personnes
soupçonnées de crimes de guerre auraient été arrêtées dans des Etats
tiers entre 2002 et 2009 à la suite de demandes d’extradition émises
par la Croatie
.
Au moins 21 demandes ont été acceptées, les suspects ayant notamment
été remis par la Grèce (2), l’Italie (1), le Royaume-Uni (2)
,
la Serbie (2), l’Allemagne (4), les Etats-Unis (1), la Bulgarie
(1), l’Autriche (2), la Bosnie-Herzégovine (2), la Suisse (2), la
Slovénie (1) et la Hongrie (1). La Norvège a consenti à l’extradition
d’un suspect, mais elle a remis l’individu concerné à la Serbie
après avoir estimé que les charges qui pesaient parallèlement sur
lui dans ce pays concernaient des crimes plus graves. L’Australie
et les Pays-Bas ont tous deux extradé une personne accusée de meurtres
liés à la guerre, dont l’une avec consentement.
18. Seule la Bosnie-Herzégovine a fourni des informations sur
les suites de l’extradition
. Ce pays a également mentionné
plusieurs demandes d’extradition qui ont été rejetées pour des raisons
procédurales. Ainsi, l’Australie a considéré que la Bosnie-Herzégovine
n’était pas un «pays d’extradition» aux termes de sa législation
nationale – situation qui a évolué par la suite
. De la même manière,
les Etats-Unis ont refusé d’extrader un individu considéré par la
Bosnie-Herzégovine comme un «suspect», et non comme un «accusé». Dans
les deux cas, il semblerait que la Bosnie-Herzégovine ait pu renouveler
sa demande.
19. Le motif le plus souvent invoqué pour le refus de l’extradition
est la nationalité du suspect(voir
section 3.6). Ainsi, 40 % des demandes d’extradition présentées
par la Bosnie-Herzégovine ont été rejetées pour cette raison. Toutefois,
la Bosnie-Herzégovine n’a pas précisé à quel moment la nationalité
de l’autre pays avait été obtenue; elle n’a pas non plus indiqué
si elle avait eu recours à l’option prévue par la convention de
demander à la Partie requise d’engager elle-même des poursuites
judiciaires (voir section 6).
20. Parmi les demandes d’extradition présentées par la Croatie,
au moins 14 ont été rejetées, dont cinq par la Bosnie-Herzégovine
(quatre en raison de la nationalité du suspect et une au motif que
des poursuites étaient en cours pour les mêmes faits – poursuites
au terme desquelles il a été conclu que les charges n’étaient pas fondées).
Plusieurs Etats ont refusé d’extrader les suspects pour des raisons
liées à l’équité des procès, notamment l’Italie (1)
et l’Autriche (1).
Il semblerait que trois autres demandes d’extradition aient été
refusées pour les mêmes motifs (deux par l’Autriche et une par la
Norvège) (voir section 4.2). Le Canada a rejeté une demande d’extradition
après que ses services nationaux d’immigration ont refusé d’accéder
à la demande du gouvernement
d’annuler la reconnaissance du
statut de réfugié. Les Etats-Unis ont rejeté une demande en raison
de l’expiration du délai de prescription tel que défini par la législation
applicable et un traité bilatéral (voir section 3.4). La Bulgarie
a rejeté une demande en invoquant le principe de l’immunité diplomatique
(voir section 4), et la Fédération de Russie a fait de même en se
fondant sur le fait que la convention interdit l’extradition lorsqu’il
y a des raisons de croire que la demande est présentée aux fins
de poursuivre un individu pour des raisons discriminatoires
(voir
section 3.2). En outre, la Croatie a retiré un mandat d’arrêt international
en vertu duquel un suspect avait été arrêté en Bosnie-Herzégovine
en raison de l’expiration du délai de prescription relatif à l’exécution
de la peine (voir section 3.4).
21. Enfin, il convient de souligner que, même dans les cas où
il est fait droit aux demandes d’extradition, le processus dure
parfois entre cinq et dix ans, voire plus longtemps. C’est là naturellement
un facteur très important à prendre en compte pour l’organisation
des procès, qui ont donc lieu de très nombreuses années après les
faits.
3. Exceptions et conditions
à l’extradition prévues par la convention
22. Tout en énonçant l’obligation d’extrader
,
la convention (complétée par ses trois protocoles) prévoit des exceptions
à cette règle générale, ainsi que des conditions à remplir avant
de pouvoir autoriser l’extradition. Certaines des exceptions à la
convention ont force obligatoire dès lors qu’il est conclu que les
conditions nécessaires à leur application sont remplies. C’est notamment
le cas de la non-extradition pour des infractions politiques, des
poursuites ou des peines discriminatoires. Certaines de ces exceptions
s’appliquent en amont de la décision définitive (l’effet
ne bis in idem et l’immunité liée
à la prescription). En outre, le 2e protocole additionnel énonce
des conditions devant être remplies par la Partie requérante avant
l’extradition dans le cas des jugements par défaut.
23. La convention prévoit d’autres exceptions qui sont facultatives,
laissées à la discrétion de la Partie requise, telle que la non-extradition
de ses citoyens pour les infractions commises sur son territoire,
lorsque l’Etat requis mène des poursuites pour les mêmes infractions
ou qu’il a décidé de ne pas engager de poursuites ou de mettre fin
aux poursuites qu’il a exercées pour le ou les mêmes faits.
24. Selon la règle générale, lorsque l’extradition est accordée,
les poursuites dans l’Etat requérant ne portent que sur les infractions
à raison desquelles la personne a été extradée, conformément à la
règle de la spécialité
.
3.1. Interdiction d’extrader
pour des infractions politiques, mais maintien des obligations imposées
par le droit humanitaire
25. La convention interdit l’extradition si l’infraction
en raison de laquelle elle est demandée est considérée par la Partie
requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe
à une telle infraction
. Reconnaissant
que l’interdiction d’extrader pour des infractions politiques n’affecte
pas les obligations que les Parties assument aux termes d’autres
conventions internationales
, la convention
facilite l’extradition lorsque les infractions commises impliquent
des violations des Conventions de Genève et de la Convention sur
la répression du génocide
.
L’un des Etats membres a explicitement déclaré que les crimes contre
l’humanité, les violations des Conventions de Genève et d’autres
infractions internationales ne constituaient pas des infractions
politiques
.
26. La convention dispose explicitement que «l’attentat à la vie
d’un chef d’Etat ou d’un membre de sa famille» n’est pas considéré
comme infraction politique
. Dix Etats
membres se sont réservé la possibilité de déterminer en fonction
des circonstances relatives à chaque affaire si les attentats à
la vie d’un chef d’Etat constituaient de telles infractions
; un Etat membre s’est
réservé la possibilité, dans de tels cas, de n’autoriser l’extradition
que vers des Etats parties à une autre convention du Conseil de
l’Europe
,
tandis qu’un autre Etat membre a spécifié d’autres crimes qu’il
estime ne pas constituer des infractions politiques
.
27. Le protocole additionnel exclut explicitement de la définition
des infractions politiques les crimes contre l’humanité, les violations
des Conventions de Genève et d’autres violations des lois de la
guerre
. Lors de l’élaboration
de ce protocole, certains Etats ont objecté qu’il n’était pas approprié
d’établir à l’avance que certaines infractions ne pourraient jamais
être considérées comme des «infractions politiques» et qu’il conviendrait
de laisser les Etats requis décider de cette question à la lumière
des faits, au cas par cas
.
Aussi, en vertu du protocole additionnel, les Etats membres ont
la possibilité de ne pas accepter cette disposition lors de la ratification.
Quarante pour cent des Etats membres n’ont pas ratifié le protocole
additionnel
ou ont eu recours à la possibilité
de ne pas accepter cette disposition spécifique lors de la ratification
.
28. Parmi les Etats concernés, aucun n’a déclaré avoir eu de demande
d’extradition rejetée au motif que l’Etat requis avait considéré
que les accusations de crime de guerre en raison desquelles une
personne était recherchée constituaient des infractions politiques.
La Croatie a néanmoins cité deux exemples dans lesquels elle considère
que la décision de rejeter la demande d’extradition «est d’ordre
politique»
.
3.2. Interdiction d’extrader
en cas de risques de poursuites ou de peines discriminatoires
29. La convention interdit l’extradition si l’Etat requis
«a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition
motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins
de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de
race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques, ou que
la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou
l’autre de ces raisons»
. Elle ne définit que deux catégories
d’infractions pénales: les infractions politiques et les infractions
de droit commun. Bien que les crimes de guerre et les crimes contre
l’humanité ne constituent pas des infractions «de droit commun»
au sens habituel du terme, ils sont généralement considérés comme
tels aux fins de la convention, tel qu’explicité par le protocole
additionnel; les demandes d’extradition motivées par de tels faits
peuvent donc être rejetées par la Partie requise si celle-ci estime
que la personne réclamée risque de faire l’objet d’un traitement discriminatoire
de la part de la Partie requérante. La Fédération de Russie aurait
invoqué cette disposition pour justifier au moins une demande d’extradition
émanant de la Croatie
, décision
que la Croatie a qualifiée de «politique»
.
30. L’application d’une norme connexe par l’Australie (qui n’est
ni un Etat membre du Conseil de l’Europe, ni un pays observateur
auprès de l’Organisation) pour motiver le rejet d’une demande d’extradition
relative à un citoyen australien d’origine serbe pour des crimes
de guerre apporte un éclairage sur les types de facteurs que les
Etats concernés considèrent comme susceptibles d’entraîner un traitement
discriminatoire de la part de l’Etat requérant après l’extradition
.
3.3. Considérations
préalables aux jugements définitifs pour les mêmes faits – effet
«ne bis in idem»
31. La convention telle que complétée par son protocole
additionnel établit une distinction entre les jugements finaux rendus
par l’Etat requérant et ceux rendus par un Etat tiers aux fins de
déterminer l’impact de l’effet ne bis
in idem («pas deux fois pour la même chose»).
32. La convention interdit l’extradition si l’Etat requis a déjà
rendu une décision définitive (pouvant se traduire par l’acquittement,
la grâce ou la condamnation)
concernant
la même personne et les mêmes faits
. Aux
fins de la convention, sont considérés comme «définitifs» les jugements
rendus une fois que toutes les voies de recours ont été épuisées
.
Les jugements par défaut
ne
sont pas considérés comme des jugements définitifs
(voir aussi la section
3.5). Par ailleurs, l’extradition est discrétionnaire si la Partie
requise a décidé soit de ne pas engager de poursuites, soit de mettre
fin à ces poursuites. Toutefois, si de nouveaux faits sont révélés
par la suite, la Partie requise est tenue de procéder à l’extradition
– à moins qu’elle ne décide d’engager elle-même des poursuites
.
33. En règle générale, le Protocole additionnel interdit l’extradition
lorsqu’un Etat tiers, partie à la convention, a déjà rendu une décision
définitive pour les mêmes infractions – si cette décision remplit
un certain nombre de conditions supplémentaires
.
Toutefois, même si ces conditions sont remplies, l’extradition n’est
pas obligatoire si les infractions ont été commises sur le territoire
de l’Etat requérant
. En outre, aux termes
du protocole additionnel, les décisions prises par des Etats tiers,
parties à la convention, qui interdisent les poursuites ou qui y
mettent fin, n’empêchent pas l’extradition
. Toutefois, les «règles
minimales» du protocole additionnel sur l’impact des jugements rendus
par des Etats tiers peuvent être remplacées par des dispositions
nationales plus larges concernant l’effet
ne
bis in idem attaché aux décisions judiciaires prononcées
à l’étranger
. Dans le même esprit,
plusieurs Etats membres ont fait usage de la possibilité prévue
par la convention d’interdire l’extradition, ou de limiter la nature
discrétionnaire de la décision d’extrader ou non, lorsque des jugements
définitifs ont été rendus pour les mêmes infractions par un Etat
tiers
, certains Etats
précisant à cet égard qu’en cas de condamnation, la personne réclamée
doit avoir subi sa peine ou en avoir été dispensée
. Plus de 20 % des Etats membres n’ont
pas ratifié le protocole additionnel
.
3.4. Interdiction d’extrader
lorsque la prescription est acquise
34. Les crimes de guerre commis sur le territoire de
l’ex-Yougoslavie ont été perpétrés il y a dix à vingt ans. Le TPIY
a conclu ses enquêtes il y a cinq ans. La convention interdit l’extradition
si la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après
la législation soit de la Partie requérante, soit de la Partie requise
. L’un des
Etats membres s’est réservé le droit de refuser l’extradition si,
en raison de la nature de l’infraction et «du temps écoulé depuis
l’infraction alléguée, ou depuis [que la personne en cause] s’est
soustraite à la justice, selon le cas, il serait injuste ou oppressif,
dans les circonstances, de l’extrader»
.
35. Malgré les nombreuses recommandations de l’Assemblée appelant
les Etats membres (et en particulier les Etats concernés) à ratifier
la Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre
l’humanité et des crimes de guerre (STE no 82)
,
seuls six d’entre eux ont ratifié l’instrument
.
Un peu moins de la moitié des Etats membres du Conseil de l’Europe
(dont les Etats concernés) a ratifié la convention des Nations Unies sur
la même question
.
36. D’après les informations disponibles dans les sources publiques,
certaines charges et verdicts ont dû être abandonnés en raison de
l’expiration du délai de prescription
.
Malheureusement, ces exemples laissent penser que, le temps passant,
d’autres demandes d’extradition pourraient être refusées pour des
motifs similaires dans certaines circonstances.
3.5. Nécessité de garantir
une nouvelle procédure de jugement pour les extraditions fondées
sur des jugements par défaut
37. A la suite de condamnations prononcées dans le cadre
de jugements par défaut, la Croatie a adressé des demandes d’extradition
à plusieurs Etats membres. En vertu du 2e protocole additionnel,
dans le cas de jugements rendus par défaut, la Partie requise est
autorisée à conditionner l’extradition à la réception «d’assurances
jugées suffisantes pour garantir à la personne dont l’extradition
est demandée le droit à une nouvelle procédure de jugement qui sauvegarde
les droits de la défense»
. La Partie requérante
doit garantir «non seulement l’existence d’une voie de recours sous
la forme d’une nouvelle procédure de jugement, mais également les
effets de ce recours»
.
Environ 20 % des Etats membres n’ont soit pas ratifié le 2e protocole additionnel
,
soit pas accepté cette disposition
. En outre, plusieurs d’entre eux
ont émis des réserves concernant spécifiquement la question des
jugements par défaut
(voir
section 4.2).
38. Plusieurs décisions rendues par les Etats membres reposaient
sur des jugements par défaut
,
,
.
3.6. Autorisation accordée
aux Etats de ne pas extrader leurs ressortissants
39. La convention permet aux Parties contractantes de
s’opposer à l’extradition de leurs ressortissants
,
et ce même lorsque cette dernière est autorisée en vertu du droit
national. Ainsi, les Etats membres peuvent refuser l’extradition
sur la base de la nationalité sans avoir à formuler de réserve ou
de déclaration particulière à la convention
. De nombreux Etats ont néanmoins
souhaité effectuer ce type de démarche afin de souligner leur refus
d’extrader leurs ressortissants, de se réserver le droit de refuser
l’extradition ou d’émettre des conditions à celle-ci
. Plusieurs Etats se déclarent plus
ouverts à l’extradition de ceux de leurs ressortissants qui sont
également ressortissants de l’Etat requérant dans lequel ils résident
de façon permanente
ou
sur la base de la réciprocité, qui s’accompagne de certaines conditions
supplémentaires
. Plusieurs Etats qui refusent l’extradition
de leurs ressortissants aux fins de l’exécution de peines pénales
autorisent l’extradition à condition, entre autres, qu’à l’issue
des poursuites pénales, le citoyen concerné soit retransféré vers
la Partie requise s’il a été condamné à une peine privative de liberté
.
La Croatie a récemment changé sa Constitution lui permettant d’extrader
ses citoyens aux autres Etats sur la base d’accords internationaux.
40. Comme mentionné plus haut, dans sa
Résolution 1564 (2007), l’Assemblée
appelle les Etats concernés à «lever immédiatement l’interdiction
d’extradition de leurs nationaux inculpés de crimes de guerre».
41. Un comité d’experts du Conseil de l’Europe a reconnu que la
possibilité d’extrader ses ressortissants «requiert à la fois un
degré élevé de confiance entre les Etats concernés et la rationalisation
des procédures dans un souci de sécurité et de prévisibilité»
,
tout en soulignant que l’interdiction d’extrader entraîne «le danger
de créer des impunités, même lorsque ce n’est pas intentionnel»
(voir section 6).
3.6.1. Définition des
«ressortissants»
42. Faisant usage de l’option prévue par la convention
, la plupart des Etats ont effectué
des déclarations visant à préciser leur définition du terme «ressortissant».
Ainsi, certains d’entre eux ne définissent comme ressortissants
au sens de la convention que les individus qui sont considérés comme
ressortissants (ou qui pourraient l’être) au sens de la législation
nationale
;
quelques Etats incluent dans cette définition les personnes ayant
deux ou plusieurs nationalités (l’une d’entre elles étant celle
du pays)
. D’autres Etats parties à
la convention donnent une définition plus large du terme, celle-ci
englobant les ressortissants de pays tiers spécifiques, notamment
dans les cas où l’extradition est demandée par un Etat autre que
ceux spécifiés, les non-citoyens résidant de façon permanente dans
le pays, les étrangers suffisamment intégrés – à condition qu’ils
puissent être poursuivis au plan national pour le fait pour lequel
l’extradition est demandée et à condition que ces étrangers ne perdent
pas leur droit de résidence en cas de condamnation, certains non-citoyens spécifiques
qui ne sont pas citoyens dans un autre pays, et les personnes bénéficiant
de l’asile politique
.
3.6.2. Moment de la détermination
de la qualité de ressortissant
43. La règle générale énoncée dans la convention est
que «la qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la
décision sur l’extradition»
. Toutefois, la convention
dispose également que si cette qualité n’est reconnue qu’entre l’époque
de la décision et la date envisagée pour la remise, la Partie requise
peut refuser l’extradition sur la base de la nationalité. Par conséquent,
la convention permet l’obtention de la nationalité au cours du processus
d’extradition aux fins et/ou à l’effet d’éviter l’extradition. Bien
que les termes de la convention soient explicites, certains Etats
ont estimé nécessaire de préciser la période d’appréciation de la
qualité de ressortissant. Ainsi, il peut s’agir du moment de la
commission des faits
, de la réception de la
demande d’extradition
, de la décision sur l’extradition
,
ou de la remise
.
L’un des Etats parties à la convention a indiqué que la date à laquelle
l’infraction a été commise ne serait pas prise en considération
pour établir la nationalité de l’individu réclamé
.
44. Notant que des personnes accusées de crimes de guerre demandaient
à obtenir la nationalité de l’un des Etats de l’ex-Yougoslavie afin
d’éviter l’extradition vers un autre de ces pays, l’Assemblée avait
invité les Etats concernés à «soumettre l’acquisition de la nationalité
à un examen attentif et à ne pas l’accorder à une personne inculpée
de crime de guerre dans un autre pays»
,
.
L’obtention récente de la citoyenneté dans d’autres Etats parties
pourrait également motiver le rejet d’une demande d’extradition,
comme dans un cas cité dans la proposition de recommandation
. La convention prévoit alors
un mécanisme en vertu duquel l’Etat qui refuse l’extradition sur
la base de la nationalité engage lui-même les poursuites (voir section
6).
3.7. Autorisation de
ne pas extrader en cas de poursuites en cours pour les mêmes infractions ou
de concours de requêtes
45. La convention permet aux Parties requises de refuser
d’extrader un individu réclamé si cet individu fait l’objet de sa
part de poursuites pour le ou les faits en raison desquels l’extradition
est demandée
.
46. La convention aborde également la question connexe de savoir
comment une Partie requise doit procéder lorsque l’extradition est
demandée concurremment par plusieurs Etats pour la même personne
. Dans
un tel contexte, la Partie requise statue compte tenu de toutes
les circonstances, et notamment de la gravité relative et du lieu
des infractions, des dates respectives des demandes, de la nationalité
de l’individu réclamé et de la possibilité d’une extradition ultérieure
à un autre Etat. La délégation de la Serbie a fait état d’exemples
de demandes concurrentes relatives à des poursuites engagées dans
plusieurs Etats concernés. Plus précisément, les deux cas de refus
d’extradition rapportés concernaient des affaires dans lesquelles l’extradition
avait été demandée par un autre Etat, non spécifié, et avait été
accordée. Ainsi, la Norvège a fait droit à deux demandes concurrentes
d’extradition émanant de la Croatie et de la Serbie, la procédure
ayant abouti à la remise de l’individu réclamé à la Serbie
.
47. Comme noté précédemment, le procureur du TPIY a récemment
fait observer que «les enquêtes menées parallèlement posent toujours
problème. En effet, faute de législation relative à l’entraide judiciaire,
il arrive que des éléments de preuve soient détenus dans un pays
alors que le suspect se trouve dans un autre»
. Par conséquent, il est probable que les
Etats membres du Conseil de l’Europe recevront un nombre croissant
de demandes concurrentes d’extradition de la part des Etats concernés.
4. Exceptions et conditions
supplémentaires imposées par les réserves
48. Comme autorisé par la convention
,
les Parties contractantes ont formulé de nombreuses réserves qui
précisent la façon dont sont examinées les demandes d’extradition.
Ces réserves portent essentiellement sur l’obligation d’extrader
énoncée à l’article 1 ou sur la convention dans son ensemble, bien
que certaines d’entre elles concernent d’autres dispositions spécifiques.
Le plus souvent, elles traitent d’aspects humanitaires relatifs
au statut de la personne réclamée et de questions de droits de l’homme
relatives aux institutions et poursuites dans la Partie requérante.
Ainsi, l’un des Etats parties à la convention se réserve le droit
de refuser l’extradition s’il existe des raisons suffisantes de
supposer que celle-ci affecterait sa souveraineté ou sa sécurité
intérieure
.
4.1. Interdiction d’extrader
pour des raisons humanitaires
49. De nombreux Etats parties à la convention se sont
réservé le droit de refuser l’extradition si celle-ci est susceptible
d’entraîner des conséquences d’une gravité exceptionnelle (c’est-à-dire
des difficultés particulières) pour la personne réclamée
,
notamment en raison de son âge (qu’il soit jeune ou âgé), de son état
de santé, de ses motivations personnelles ou d’autres conditions
ou circonstances (personnelles ou autres), notamment celles qui
rendraient l’extradition déraisonnable sur le plan humanitaire,
ou incompatible avec des obligations de cet ordre. Plusieurs Etats
ont précisé que ces préoccupations seraient cependant prises en
compte selon la nature de l’infraction et les intérêts de la Partie
requérante. Au cours de l’élaboration de la convention, il a été
proposé d’introduire une disposition prévoyant explicitement le
refus d’extrader pour des raisons d’ordre humanitaire; toutefois,
cette proposition a été rejetée au profit d’une autre proposition permettant
aux Etats de formuler des réserves sur ce point
. Les réserves émises
par les Etats parties reprennent, dans une large mesure, les termes
de la proposition rejetée. Au moins un Etat s’est réservé le droit de
refuser d’extrader les personnes bénéficiant de l’asile politique
et,
à cette même fin, un autre Etat a décidé d’inclure ces réfugiés
dans la définition des ressortissants nationaux
.
4.2. Interdiction d’extrader
pour des raisons liées aux droits de l’homme
50. Aux fins de l’examen des demandes d’extradition qui
leur sont adressées, un certain nombre d’Etats se réservent le droit
d’évaluer, à la lumière des garanties relatives aux droits de l’homme,
non seulement les instances et procédures judiciaires de la Partie
requérante, mais aussi la qualité des preuves ou des charges retenues
contre l’individu réclamé. L’un des Etats parties à la convention
a déclaré qu’il donnerait effet à la convention «à travers le prisme
des obligations en matière de droits de l’homme qu’il a contractées
auprès du Conseil de l’Europe»
.
4.2.1. Type de tribunal
51. Près de la moitié des Etats parties ont explicitement
déclaré qu’ils n’autorisent l’extradition qu’à condition que les
poursuites soient conduites – et les décisions, rendues – par une
juridiction pénale «ordinaire». Ainsi, ces Etats interdisent (ou
se réservent le droit de refuser) l’extradition si le procès est
conduit par un tribunal «spécial», «extraordinaire» ou «provisoire»
(c’est-à-dire un tribunal autorisé à titre provisoire ou exceptionnel à
juger de telles infractions), ou par un tribunal d’exception
,
en particulier si celui-ci est institué pour un cas particulier,
aux fins de soumettre l’individu réclamé à une procédure simplifiée,
ou si l’extradition est demandée pour l’exécution d’une peine ou
d’une mesure de sûreté infligée par un tel tribunal
.
Certains Etats se réservent le droit de conditionner l’extradition
à la réception d’assurances jugées suffisantes que l’individu réclamé
ne sera soumis qu’à un tribunal «ordinaire» dans l’Etats requérant
. L’un des Etats parties
ayant posé de telles conditions se réserve en outre le droit de
refuser l’extradition s’il existe des raisons de supposer que, lors
des procédures, les garanties minimales permettant d’assurer l’équité
du procès ne seront pas respectées
.
Dans les Etats concernés, tous les procès relatifs à des crimes
de guerre sont menés par des tribunaux reconnus compétents par la
loi pour connaître des affaires pénales; toutefois, le type et la
spécificité des tribunaux varient selon les pays. Par conséquent,
cette réserve, bien qu’émise par de nombreux Etats, ne devrait pas
constituer un obstacle à l’extradition.
4.2.2. Traitement réservé
aux personnes accusées (peine de mort, peines d’emprisonnement à perpétuité
et conditions de détention)
52. Quelques Etats parties à la convention se réservent
le droit de refuser l’extradition s’il existe des «raisons suffisantes
de supposer» que, dans le cas d’une extradition, la personne réclamée
a subi ou risquerait de subir «des tortures, ou un traitement ou
une peine inhumain ou dégradant»
, ou de faire l’objet
de poursuites pour certaines raisons inacceptables telles que celles
spécifiées dans les exceptions à l’extradition énoncées à l’article
3.2 de la convention
.
Au moins un des Etats parties se réserve le droit de refuser l’extradition
s’il est prouvé que, dans les cas où l’individu réclamé est condamné
à une peine privative de liberté, ce dernier accomplira sa peine
dans des conditions inhumaines
.
Cette décision est également conforme à la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, en vertu de laquelle il est interdit de
procéder à l’extradition d’un individu vers un pays dans lequel
celui-ci courrait véritablement le risque de subir des traitements
tels que ceux définis à l’article 3 de la Convention européenne
des droits de l’homme (CEDH)
.
53. Quelques Etats ont précisé qu’ils refuseraient toute extradition
au titre d’une infraction passible d’une peine de réclusion à perpétuité
ou de la peine de mort
.
Toutefois, les crimes de guerre ne sont passibles de ces types de
peines dans aucun des Etats concernés.
4.2.3. Requêtes et pièces
à l’appui des demandes d’extradition
54. La convention énonce la procédure à suivre pour formuler
une demande d’extradition; elle précise également les pièces à fournir
à cet égard
.
Si les informations fournies se révèlent insuffisantes pour permettre
à la Partie requise de prendre une décision, celle-ci doit demander
le complément d’information nécessaire et peut fixer un délai pour
l’obtention de ces données
. Le refus, par les Pays-Bas,
d’extrader une personne réclamée vers la Bosnie-Herzégovine en raison
d’une erreur sur l’identité de la personne souligne combien il importe
de disposer d’informations pertinentes pour pouvoir identifier la
personne réclamée.
55. Plusieurs Etats parties à la convention ont émis des réserves
sur les dispositions définissant cette procédure et ont souhaité
préciser la nature des preuves qui leurs sont nécessaires avant
d’accorder l’extradition, telles que des preuves (
prima facie ou autres) établissant
que l’individu réclamé a commis l’infraction en raison de laquelle
l’extradition est demandée (ou une présomption suffisante)
, ou, lorsque des circonstances
particulières semblent indiquer que l’individu réclamé est coupable,
une présomption suffisante à cet égard
.
Plusieurs Etats parties se sont réservé le droit d’évaluer «si la
sentence ou le mandat d’arrêt sont manifestement mal fondés»
. D’autres Etats ont
émis des réserves similaires à l’obligation générale d’extrader:
ils ont en effet précisé qu’ils n’accorderaient l’extradition qu’à
condition qu’il soit établi devant un tribunal national que les
preuves présentées sont suffisantes pour justifier un procès dans
l’Etat requis
.
4.2.4. Qualité des charges
ou attitude de la Partie requérante
56. Plusieurs Etats se réservent le droit de refuser
l’extradition s’il s’avère que celle-ci serait «injuste ou oppressive»
en raison du caractère insignifiant de l’infraction
ou
du fait que les accusations à l’encontre de la personne réclamée
ne sont pas formulées «de bonne foi et dans l’intérêt de la justice»
.
4.2.5. Normes relatives
à l’équité des procès
57. Certains Etats se réservent le droit de refuser l’extradition
s’ils estiment soit que les normes minimales visant à garantir l’équité
des procès risquent de ne pas être respectées lors d’une future
procédure, soit que celles-ci n’ont pas été respectées lors d’une
procédure antérieure. Aussi, ces Etats sont susceptibles de refuser
l’extradition si le tribunal/la procédure ne respecte pas les garanties
minimales à cet égard, en particulier les droits de la défense et
«les conditions internationalement reconnues comme essentielles
pour la protection des droits de l’homme», y compris celles qui
doivent être accordées aux prévenus par les Etats au titre de la
Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles, ainsi
que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
. Au moins
un Etat se réserve le droit de refuser l’extradition s’il estime que
«la condamnation résulte d’une erreur manifeste»
,
et plusieurs Etats ont exprimé des préoccupations spécifiques sur
l’extradition à des fins d’application d’une peine prononcée dans
le cadre d’un jugement par défaut
,
notamment lorsque toutes les voies de recours ont été épuisées et
que l’extradition pourrait exposer la personne réclamée à une peine
sans que cette personne ait pu exercer les droits spécifiques de
défense prévus par la CEDH
(voir section 3.5).
D’après des sources d’information publiques, plusieurs demandes d’extradition
ont été rejetées pour des raisons liées à l’équité du procès (l’une
d’entre elles étant mentionnée dans la proposition de recommandation)
(voir sections 2 et 3.5).
5. Immunité personnelle
conférée par les législations étrangères
58. Les diplomates, les personnes chargées de missions
spéciales et certains hauts représentants gouvernementaux jouissent
d’une immunité de juridiction pénale dans les Etats tiers, même
lorsqu’ils sont soupçonnés ou accusés de crimes de guerre. Certains
types de représentants bénéficient de cette immunité au titre des
traités internationaux auxquels leurs Etats sont parties, tels que
la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques
et la
Convention sur les missions spéciales
.
L’immunité dont jouissent les représentants des Etats non parties
à ces traités découle du droit international coutumier
. Ce type d’immunité
personnelle constitue une défense procédurale exhaustive contre
l’exercice de la législation pénale; il couvre les actes à caractère
public ou privé commis par un nombre limité de catégories spécifiées de
représentants pendant ou avant l’exercice de leurs fonctions, prend
fin au terme de leur mandat et s’applique uniquement entre les Etats
accréditants, les Etats accréditaires et les Etats tiers par lesquels
les représentants transitent
.
59. Comme énoncé dans la Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques, le but des privilèges et immunités diplomatiques
est de permettre aux personnes concernées «d’assurer l’accomplissement
efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants
des Etats», ces immunités ne pouvant être levées que par les Etats
accréditaires
.
La Cour internationale de justice (CIJ) a noté que la Convention de
Vienne sur les relations diplomatiques «reflète le droit international
coutumier» pour ce qui est du but des immunités, à savoir «assurer
l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques
en tant que représentants des Etats»
.
Elle est arrivée à la conclusion que si un haut représentant jouissant
d’immunité est arrêté dans un autre Etat à la suite d’une quelconque
inculpation, il se trouve «à l’évidence» empêché de s’acquitter
des tâches inhérentes à ses fonctions. Afin de déterminer l’étendue
de l’immunité à l’étranger, la Cour a examiné, dans un premier temps,
la nature des fonctions exercées par le haut représentant concerné.
60. Au vu de l’inviolabilité de l’immunité personnelle, les Etats
tiers n’ont que très peu d’options si l’Etat accréditaire ne renonce
pas à l’immunité. Si les allégations de crime de guerre sont connues
avant l’arrivée de la personne concernée dans le pays, les Etats
tiers peuvent demander à ce que cette dernière n’entre pas sur leur
territoire. Si la personne se trouve déjà sur le territoire, tout
Etat de réception peut déclarer l’individu en question
persona non grata et demander à
ce qu’il quitte immédiatement le pays
.
61. Toutefois, la CIJ a souligné que «l’
immunité de
juridiction (…) ne signifie pas qu’[un haut représentant] bénéficie
d’une
impunité au titre des
crimes qu’il aurait pu commettre», attirant l’attention sur le fait qu’«immunité
de juridiction pénale et responsabilité pénale individuelle sont
des concepts nettement distincts. Alors que l’immunité de juridiction
revêt un caractère procédural, la responsabilité pénale touche au
fond du droit. L’immunité de juridiction peut certes faire obstacle
aux poursuites pendant un certain temps ou a l’égard de certaines
infractions; elle ne saurait exonérer la personne qui en bénéficie
de toute responsabilité pénale»
.
Par conséquent, dans certaines circonstances, la responsabilité
des hauts représentants gouvernementaux peut être engagée. «En premier
lieu, en vertu du droit international, [ces personnes] ne bénéficient
d’aucune immunité de juridiction pénale dans leur propre pays et
peuvent par la suite être traduit[e]s devant les juridictions de
ce pays conformément aux règles fixées en droit interne. En deuxième
lieu, [elles] ne bénéficient plus de l’immunité de juridiction à
l’étranger si l’Etat qu’[elles] représentent ou ont représenté décide
de lever cette immunité. En troisième lieu, dès lors qu’un [haut
représentant gouvernemental] a cessé d’occuper [ses fonctions],
il ne bénéficie plus de la totalité des immunités de juridiction
que lui accordait le droit international dans les autres Etats.
A condition d’être compétent selon le droit international, un tribunal
d’un Etat peut juger un [ancien haut représentant] d’un autre Etat
au titre d’actes accomplis avant ou après la période pendant laquelle
il a occupé ces fonctions, ainsi qu’au titre d’actes qui, bien qu’accomplis
durant cette période, l’ont été à titre privé»
.
62. Pour donner suite à la conclusion de la CIJ selon laquelle
«immunité n’est pas synonyme d’impunité», le Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe a émis des recommandations en vue de la mise
en place, par l’Organisation, d’activités normatives visant à «définir
clairement les exceptions à l’immunité des Etats en cas de violations
graves des droits de l’homme»
. L’objectif serait l’«adoption
d’un instrument juridique du Conseil de l’Europe sur l’immunité
des Etats et les violations graves des droits de l’homme, portant essentiellement
sur les possibilités de levée de l’immunité. Cet instrument définirait
une procédure d’obtention de la levée d’immunité dans certains cas
de violations graves des droits de l’homme»
. Pour déterminer le type d’affaires
dans lesquelles il serait envisagé de lever l’immunité, le Secrétaire
Général a noté que l’on pourrait s’appuyer sur les normes internationales
en matière pénale et/ou de droits de l’homme.
63. Des demandes d’extradition adressées par la Serbie et la Croatie
à des Etats tiers dans lesquels des personnes soupçonnées de crimes
de guerre séjournaient ont été refusées en vertu de l’immunité personnelle dont
ces individus bénéficiaient. Ainsi, en 2009, la Bulgarie a rejeté
la demande de la Serbie concernant Agim Ceku, ancien Premier ministre
du Kosovo
,
qui avait été invité à séjourner dans le pays – tout comme l’avaient
fait d’autres pays quelques années auparavant
. De la même manière, en 2005, la Bulgarie
a refusé la demande d’extradition émise par la Croatie concernant
Cedomir Brankovic, qui séjournait dans le pays en tant que membre
d’une délégation militaire serbe
.
Le rapporteur n’a pu obtenir aucune information sur l’engagement
ou non de poursuites pénales par l’Etat d’origine.
6. Engagement de poursuites
par des Etats tiers qui refusent l’extradition
64. La proposition de recommandation reprend les termes
de la
Recommandation
1427 (1999), qui, aux fins spécifiques du respect du
droit humanitaire international, appelle les Etats membres du Conseil
de l’Europe à introduire le principe
aut
dedere aut judicare (extrader ou poursuivre) dans leurs
législations pénales respectives
.
Dans sa réponse, qui date de 2001, le Comité des Ministres a déclaré
que l’introduction de ce principe dans les législations pénales
nationales était un «point complexe» qui faisait l’objet d’examen
de la part du CDPC «dans le cadre de son actuelle réflexion concernant
un nouveau départ de la coopération judiciaire en matière pénale
en Europe»
. En 2002, le rapport intitulé «Nouveau
départ» examinait le principe
aut dedere
aut judicare en tant que moyen de concilier souveraineté
et justice transnationale, en donnant l’exemple de plusieurs pays
qui sont parvenus à un équilibre à cet égard
.
A la fin de l’année 2005, un groupe d’experts du Conseil de l’Europe
a conclu dans son Rapport final d’activité que ce principe «n’en
reste pas moins une alternative valable à l’extradition»
. Par conséquent, «à titre de solution
provisoire pour favoriser un système de justice transnationale efficace
et d’outil concret contre l’impunité, il convient d’appliquer pleinement
le principe
aut dedere aut judicare,
en prenant toujours en considération son caractère complémentaire
avec celui de la justice initiale»
. Toutefois, aucun de ces
deux rapports ne contient d’informations sur la mesure dans laquelle
les Etats membres du Conseil de l’Europe et les observateurs auprès
de l’Organisation ont intégré cette solution dans leur juridiction
nationale.
65. Lorsque l’extradition est refusée pour des raisons liées à
la nationalité, la convention prévoit un mécanisme devant être mis
en œuvre par l’Etat dont la requête a été rejetée afin d’éviter
que la personne concernée reste impunie. Plus précisément, l’Etat
requérant a la possibilité de demander à l’Etat requis d’engager
des poursuites
. S’il émet une telle demande,
l’Etat requis a l’obligation de «soumettre l’affaire aux autorités
judiciaires» afin que celles-ci déterminent «s’il y a lieu de poursuivre»
. Pendant la phase d’élaboration
de la convention, il avait été proposé d’imposer l’obligation d’engager
des poursuites pénales à tout Etat requis dès lors que ce dernier
refuserait une demande d’extradition pour des raisons liées à la nationalité.
Mais cette proposition a été rejetée et il a été décidé de laisser
cette question à la discrétion de la Partie requérante. Plusieurs
Etats parties à la convention ont reconnu, par le biais de déclarations,
l’obligation (et l’intention) de poursuivre ceux de leurs ressortissants
pour lesquels des demandes d’extradition ont été rejetées, au moins
pour certaines infractions commises à l’étranger, et ce dès lors
que certaines conditions précises sont remplies
. Les Etats concernés n’ont pas
fourni d’informations sur la mesure dans laquelle ils ont fait usage
de cette possibilité lorsqu’ils ont été confrontés à de tels cas.
66. Dans certaines affaires, il a pu être remédié à l’impunité
grâce à une coopération pragmatique entre les procureurs nationaux
des Etats concernés pour le transfert d’informations et de preuves.
67. En effet, outre les accords d’entraide judiciaire précédemment
mis en place entre les procureurs nationaux/publics des Etats de
l’ex-Yougoslavie, le bureau du procureur national suprême du Monténégro,
le bureau du procureur national de Croatie et le bureau du procureur
spécial de Serbie pour les crimes de guerre ont récemment signé
des accords bilatéraux spéciaux d’entraide judiciaire en matière
de poursuites dans les crimes de guerre. La Croatie a également
proposé de signer un accord de ce type avec la Bosnie-Herzégovine.
68. Dans le cadre de cette coopération, le procureur croate a
déclaré que son bureau avait préparé et transmis des informations
et des preuves concernant 24 affaires de crimes de guerre au bureau
du procureur spécial de Serbie pour les crimes de guerre, ainsi
que des informations et des preuves concernant une affaire de ce
type au bureau du procureur national suprême du Monténégro. Au total,
dans le cadre des affaires susmentionnées, 49 personnes étaient
soupçonnées de crimes de guerre, mais elles n’ont pas pu être extradées
vers la Croatie pour des questions de nationalité. Toutefois, à
la suite de ces échanges de preuves et à la conduite de recherches,
cinq de ces personnes sont désormais en attente de jugement au Monténégro, et
13 le sont en Serbie. Une personne a déjà été condamnée en Serbie,
et d’autres affaires sont actuellement en cours d’investigation.
69. Certains des Etats concernés ont également réexaminé la question
de la reconnaissance des décisions rendues à l’étranger. Ainsi,
en février 2010, les ministres de la Justice de la Bosnie-Herzégovine
et de la Croatie ont signé à Sarajevo un accord bilatéral reconnaissant
les décisions étrangères, ce qui permet ainsi de prévenir l’utilisation
abusive des nationalités multiples afin d’échapper à la condamnation
pour crime (y compris les crimes de guerre). En outre, le ministre
croate a déclaré que la Croatie avait entrepris d’amender sa Constitution
et que le pays entendait signer très rapidement par la suite un
nouvel accord avec la Bosnie-Herzégovine en vue de permettre l’extradition
entre ces deux pays de leurs ressortissants respectifs. La Constitution
a été amendée en juin 2010.
70. Dans les cas où le refus d’extrader serait motivé par des
raisons autres que la nationalité ou la territorialité, l’engagement
de poursuites par un Etat tiers reposerait sur l’exercice de la
juridiction universelle relative aux personnes et aux infractions
concernées, celle-ci n’ayant pas ou ayant peu de liens avec les
Etats – si ce n’est la présence de l’individu réclamé.
7. Recommandations
71. Dans sa
Résolution
1564 (2007), l’Assemblée a souligné le caractère inacceptable
de l’impunité des responsables de crimes de guerre; elle a également
appelé à ce que toutes les mesures soient prises pour s’assurer
que les auteurs de telles infractions qui sont toujours en fuite
n’échappent pas à la justice. C’est aux Etats concernés qu’il incombe
en premier lieu de veiller à la réalisation de cet objectif. Toutefois,
il est évident que ceux-ci ne peuvent pas combattre pleinement et
efficacement l’impunité lorsque les auteurs de ces infractions se
trouvent hors de leur portée, à l’étranger. Par conséquent, la coopération
entre tous les Etats est fondamentale pour lutter contre l’impunité
des responsables de crimes de guerre.
72. L’importance d’une telle coopération a également été soulignée
dans la Résolution 827 (1993) du Conseil de sécurité des Nations
Unies établissant le TPIY, dont le paragraphe 4 est libellé comme
suit: «Le Conseil de sécurité décide que tous les Etats apporteront
leur pleine coopération au tribunal international et à ses organes,
conformément à la présente et au Statut du tribunal international,
et que tous les Etats prendront toute mesure nécessaire en vertu
de leur droit interne pour mettre en application les dispositions
de la présente résolution et du Statut, y compris l’obligation des
Etats de se conformer aux demandes d’assistance ou aux ordonnances
émanant d’une chambre de première instance en application de l’article
29 du Statut.»
73. Pour garantir l’efficacité des poursuites pour crimes de guerre,
il conviendrait d’adopter une approche identique pour la coopération
avec les Etats concernés lorsque les procès se déroulent devant
leurs juridictions nationales, notamment aux termes de la
Résolution 1564 (paragraphe
15) de l’Assemblée, qui confirme expressément que le moment est
venu pour les juridictions nationales des Etats concernés d’assurer
le relais du TPIY et de poursuivre les responsables présumés de
crimes de guerre n’ayant pas encore été traduits en justice.
74. Si la Convention européenne d’extradition permet l’extradition
en cas de violation des dispositions des Conventions de Genève et
de la législation humanitaire internationale, elle ne traite pas
spécifiquement des obligations relatives à l’extradition dans les
affaires relatives à des crimes de guerre. A cet égard, étant donné que
des discussions sont en cours en vue de mettre la convention à jour,
il serait bon que l’Assemblée obtienne des informations sur l’état
d’avancement et le contenu de ces discussions ayant trait au thème
du présent rapport. Il conviendrait également que l’Assemblée recommande
au Comité des Ministres d’informer les organes pertinents du Conseil
de l’Europe, notamment le Comité d’experts sur le fonctionnement
des Conventions européennes sur la coopération dans le domaine pénal,
de certains points de préoccupation spécifiques relatifs à l’extradition
des personnes soupçonnées de crimes de guerre. L’Assemblée pourrait notamment
recommander au Comité des Ministres de demander que les organes
pertinents du Conseil de l’Europe obtiennent et diffusent des informations
sur la mesure dans laquelle les Etats membres ont consacré le principe aut dedere aut judicare et transposé
en droit interne la juridiction universelle relative aux crimes
de guerre et aux crimes contre l’humanité.
75. Il serait également utile de se pencher sur les raisons pour
lesquelles les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe
n’ont pas signé et/ou ratifié les conventions citées dans l’introduction
du présent rapport. En effet, peu d’Etats ont ratifié la Convention
européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité
et des crimes de guerre, malgré la recommandation à cet égard adressée
à plusieurs reprises par l’Assemblée aux Etats membres. Il en va
de même concernant la ratification de la convention des Nations Unies
sur cette même question, ainsi que pour le Statut de Rome de la
Cour pénale internationale.
76. L’Assemblée a clairement déclaré que l’interdiction d’extradition
des nationaux dans tous les Etats concernés était un obstacle sérieux
au cours de la justice. Le présent rapport confirme néanmoins que
cette restriction est une pratique courante dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe.
77. Dans la mesure où la nationalité est le motif de rejet de
demande d’extradition le plus fréquemment invoqué, il conviendrait
d’inviter instamment tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
à soumettre l’acquisition de la nationalité à un examen attentif
et à ne pas l’accorder à une personne inculpée de crime de guerre
dans un autre pays. Par ailleurs, même lorsque l’extradition est
accordée, le processus lui-même est parfois extrêmement long (il
dure parfois plus de dix ans); or, plus le temps passe, plus il
est difficile d’organiser un procès.
78. Pour donner suite à la
Résolution
1564 (2007), il serait utile d’obtenir des informations
sur le statut de la réforme des législations nationales concernant
l’interdiction de procéder à l’extradition de ressortissants entre
les Etats concernés, notamment en ce qui concerne «l’utilisation
abusive de l’acquisition de la double nationalité» et le transfert
de dossiers de poursuites judiciaires vers un autre pays, qui ont
été définis comme des obstacles juridiques qu’il conviendrait de
lever.
79. Dans leurs discussions sur la Stratégie d’achèvement des travaux
du TPIY, le Conseil de sécurité des Nations Unies et le TPIY n’ont
pas pris note du rôle direct des Etats tiers dans les poursuites
pénales relatives aux crimes de guerre perpétrés dans les pays de
l’ex-Yougoslavie. Le rapporteur est d’avis que l’Assemblée pourrait
souligner ce point dans sa résolution et le soumettre à l’attention
des représentants du TPIY et du Conseil de sécurité des Nations
Unies compétents en la matière en vue de permettre à ces instances d’exposer
toute éventuelle réflexion à ce sujet dans de futurs rapports ou
d’effectuer des déclarations sur ce thème.
80. Le droit des traités du Conseil de l’Europe relatif à l’entraide
judiciaire en matière pénale, constitué, notamment, de la convention
et de ses protocoles, fait partie de l’acquis de
l’Union européenne. Le rapporteur propose que, le cas échéant, l’Assemblée
envisage de mener des initiatives conjointes avec le Parlement européen
en vue de renforcer la coopération entre les Etats membres de l’Union
européenne et les Etats concernés. Il s’agit là d’une question de
plus en plus importante dans la mesure où les Etats concernés ne
sont plus des refuges pour les responsables présumés de crimes de
guerre (voir section 6); ainsi, il s’agit désormais d’éviter que
la «zone d’impunité» que constituaient les Etats concernés ne soit
pas remplacée par une autre «zone d’impunité» ailleurs dans le monde.
81. A ce jour, les Etats concernés n’ont fourni que des informations
limitées quant à leurs demandes d’extradition, notamment celles
qui concernent les crimes de guerre perpétrés au Kosovo au cours
des années 1990. Toutefois, les besoins actuels concernant l’étendue
de la coopération sont vraisemblablement plus importants que ce
que reflète le présent rapport, et il est probable qu’à l’avenir,
les besoins de coopération avec les Etats membres et observateurs
du Conseil de l’Europe augmenteront. Pour mieux apprécier la situation,
il conviendrait d’obtenir davantage d’informations et d’assurer
un suivi sur ce point.
82. Le rapporteur estime que cette question mériterait d’être
examinée plus avant par les Etats concernés, ainsi que par l’Assemblée.
Par conséquent, il propose que l’Assemblée reste saisie de cette
question (et entend élaborer une nouvelle proposition de résolution
à cette fin) et qu’elle poursuive ses travaux en tentant notamment
d’obtenir des Etats membres et observateurs, d’ici à la fin de 2011,
des informations complémentaires en particulier sur les questions
liées aux normes du Conseil de l’Europe et des Nations Unies précédemment
mentionnées, en gardant à l’esprit les indications suivantes:
- il serait utile de compléter
les informations actuellement disponibles sur les demandes d’extradition relatives
à des crimes de guerre émises par les Etats concernés. La collecte
de ce type d’informations s’en trouverait facilitée si, d’une part,
ces Etats établissaient une distinction entre les informations spécifiques
aux crimes de guerre ou aux crimes liés à la guerre et les informations
spécifiques aux autres types de demandes, et si, d’autre part, ils
harmonisaient les informations sur cette question au sein des différentes
instances dans les Etats concernés, et entre celles-ci ;
- pour avoir une idée plus précise de l’ampleur que pourraient
prendre les demandes d’extradition à l’avenir, il conviendrait de
s’informer sur le nombre de mandats d’arrêts internationaux déjà
délivrés par chacun des Etats concernés à l’encontre de personnes
accusées de crimes de guerre (ou condamnées pour ce type d’infraction),
ou sur le nombre de mandats qui pourraient être délivrés à l’avenir.
Au total, le nombre de mandats délivrés s’élèvera probablement à
plusieurs milliers (mandats en vigueur et futurs mandats confondus) ;
- il conviendrait également de demander à tous les Etats
membres/observateurs du Conseil de l’Europe ayant reçu des mandats
d’arrêt internationaux relatifs à des crimes de guerre de fournir
des informations sur la mesure dans laquelle il a été tenu compte
de ce mandat, en gardant à l’esprit la recommandation faite par
l’Assemblée d’accorder une attention particulière à la lutte contre
l’impunité relative aux crimes de guerre ;
- il serait utile de demander aux Etats concernés des renseignements
sur la mesure dans laquelle ils ont eu recours à la possibilité
offerte par la convention de demander que les Etats qui refusent
l’extradition pour des raisons liées à la nationalité engagent eux-mêmes
des poursuites, ou la mesure dans laquelle ils ont utilisé les mécanismes
de résolution des litiges prévus par les protocoles ;
- il conviendrait d’inviter les Etats non membres et observateurs
du Conseil de l’Europe à prendre toutes les mesures nécessaires
en vue de lutter contre l’impunité relative aux crimes de guerre,
conformément aux initiatives de l’Assemblée et des Nations Unies,
ce qui englobe notamment la mise en œuvre des dispositions de la
Résolution (1993) du Conseil de sécurité établissant le TPIY et
le respect du Statut de ce dernier.