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Rapport | Doc. 12429 | 27 octobre 2010

L’avenir démographique de l’Europe et les migrations

Commission des migrations, des réfugiés et de la population

Rapporteuse : Mme Gultakin HAJIBAYLI, Azerbaïdjan, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11604, Renvoi 3459 du 23 juin 2008. 2010 - Commission permanente de novembre

Résumé

Le faible taux de fécondité, l’augmentation de la longévité et les politiques d’immigration restrictives vont modifier profondément les caractéristiques démographiques de l’Europe ces prochaines décennies. Ces changements poseront des défis majeurs, notamment pour la compétitivité de l’Europe sur le marché mondial et la viabilité de ses régimes actuels de sécurité sociale.

Si l’immigration peut compenser partiellement et temporairement la baisse de population, elle n’est pas un moyen adéquat à long terme pour remédier au «grisonnement» de la population européenne. Des changements touchant à l’âge de travailler et une meilleure utilisation de la main-d’œuvre interne sont les mesures les plus prometteuses pour compenser les effets de la faible natalité et du vieillissement.

Pour que les migrations contribuent à résoudre le problème du vieillissement de la population, les gouvernements européens devront faire mieux en attirant les migrations «souhaitées» et en répondant aux besoins réels du marché du travail à court terme et à long terme, tout en décourageant les migrations «non souhaitées» et la traite des êtres humains. L’intégration des migrants restera un défi de taille.

Les Etats membres sont par conséquent invités à adopter une série de mesures générales concernant la faible fécondité, le vieillissement de la population et la gestion des migrations et fondées sur une approche globale adaptée aux nouvelles réalités démographiques de l’Europe.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet de résolution
adopté à l’unanimité par la commission le 5 octobre 2010.

(open)
1. D’après les prévisions actuelles, la population mondiale devrait augmenter de plus de 40 % au cours des quarante prochaines années, sauf si le taux de fécondité diminue très fortement dans les pays en développement. Pendant la même période, la population des Etats membres du Conseil de l’Europe devrait baisser d’environ 6 %, ramenant la part de l’Europe dans la population mondiale à 7 %. En outre, les caractéristiques démographiques de l’Europe connaissent des changements très importants. Ces tendances entraîneront de nouveaux défis pour l’Europe en termes de compétitivité sur le marché mondial et de viabilité des systèmes de sécurité sociale tels qu’ils existent actuellement.
2. L’Assemblée parlementaire rappelle les deux débats qu’elle a tenus récemment sur la question des mesures politiques qui influent sur les tendances démographiques et sur les défis qu’elles obligent à relever sous l’angle de la cohésion sociale. Elle réaffirme son soutien aux recommandations adoptées à l’issue de ces débats (Recommandation 1683 (2004), Recommandation 1749 (2006) et Résolution 1502 (2006)).
3. L’Assemblée regrette qu’il ait été mis un terme au travail important qu’effectuait le Comité européen sur la population. Elle demeure convaincue que les questions de population et de migrations méritent une attention intergouvernementale continue de la part du Conseil de l’Europe.
4. La baisse de la population, le vieillissement de la population et les migrations sont des phénomènes étroitement liés qui doivent être examinés conjointement afin de déterminer l’évolution de la population ainsi que les besoins de productivité de l’Europe. La fécondité, le vieillissement et les migrations devraient être politiquement gérées de façon globale de manière à prendre en compte les nouvelles réalités démographiques.
5. La question essentielle aujourd’hui pour la gestion de la population européenne est de savoir comment parvenir à accroître à la fois le taux de fécondité et la participation des nationaux à la force de travail afin de stimuler la productivité de l’Europe et de maintenir l’efficacité des systèmes de protection sociale, en particulier les systèmes de retraite. L’Assemblée est d’avis que les décideurs européens, les entreprises et les citoyens devraient repenser conjointement l’organisation de l’ensemble de la vie en relation avec le travail, la parentalité et la retraite.
6. L’augmentation de l’immigration est aussi un moyen d’aider à atténuer à moyen terme les effets de la baisse de la population. L’immigration est aujourd’hui le principal facteur positif de croissance de la population dans plusieurs pays européens et l’on prévoit que les besoins en matière d’immigration augmenteront avec la reprise de l’économie. Néanmoins, l’Assemblée est convaincue que l’immigration ne constitue pas à elle seule un moyen adéquat – ni une option souhaitable des politiques publiques – pour compenser le «grisonnement» de la population et qu’elle ne saurait se substituer aux réformes économiques.
7. L’Assemblée estime que, bien que les migrations soient sources de diversité et de dynamisme pour les sociétés européennes, les mouvements migratoires futurs devront être mieux gérés. Ils devront en particulier répondre à des exigences spécifiques de l’économie, sur la base d’une évaluation réaliste des besoins du marché du travail et de procédures de mise en œuvre visant à assurer que les migrations continuent de répondre à ces exigences tout en respectant les besoins de développement des pays d’origine.
8. Les principaux défis qui s’opposent à la réalisation du potentiel de l’immigration sont liés aux migrations irrégulières et à l’intégration des migrants et de leurs descendants au sein des sociétés européennes. Ces deux questions ont des implications en termes de droits de l’homme et mettent en évidence le danger que représenterait pour les sociétés européennes le développement d’une nouvelle sous-classe. C’est pourquoi l’Assemblée considère les migrations ciblées et le développement des possibilités d’emploi légal comme des orientations souhaitables pour gérer les migrations à l’avenir.
9. L’Assemblée est d’avis que, bien que les migrations temporaires et circulaires soient sources d’avantages plus nombreux pour les pays d’origine car elles permettent de réduire l’impact de la fuite des cerveaux, de maximiser les envois de fonds et d’encourager les transferts de connaissances et de technologie, un grand nombre des besoins de main-d’œuvre des Etats membres du Conseil de l’Europe seront par nature des besoins de longue durée reposant sur des compétences propres à un type d’emploi particulier et dont l’acquisition demande un certain temps. Il est donc nécessaire d’aborder les questions démographiques et les questions qui se rapportent aux migrations à la fois dans une perspective à moyen et à long terme.
10. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle instamment les Etats membres à introduire conjointement dans leurs politiques, s’ils ne l’ont déjà fait, les mesures générales suivantes:
10.1. eu égard à l’augmentation du taux de natalité:
10.1.1. permettre aux individus et aux couples d’exercer leur droit à décider librement et de façon responsable du nombre de leurs enfants et de l’espacement des naissances;
10.1.2. créer les conditions nécessaires pour que les femmes puissent concilier plus facilement vie de famille et travail, par exemple en développant l’accès aux crèches, les horaires de travail flexibles, le télétravail et les congés paternels;
10.1.3. permettre aux jeunes de commencer à travailler et de fonder une famille plus facilement, par exemple grâce à la promotion d’un environnement mieux adapté à l’enfant et à la famille dans tous les domaines de la vie sociale, tout particulièrement dans les zones urbaines, notamment en ce qui concerne le logement, les crèches, le travail flexible ou à temps partiel, les politiques fiscales et les équipements de loisirs;
10.1.4. développer les mesures de santé publique visant à atténuer l’infécondité involontaire;
10.2. eu égard au vieillissement de la population et afin de renforcer la participation à la vie active:
10.2.1. faciliter l’emploi légal par des mesures comme la réduction des coûts de l’emploi, la libéralisation du code du travail et la suppression des coûts inutiles liés aux licenciements;
10.2.2. continuer à encourager l’emploi des femmes à l’aide de mesures incitatives permettant de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle;
10.2.3. introduire les changements législatifs nécessaires pour relever progressivement l’âge de la retraite;
10.2.4. promouvoir la vie active des personnes âgées en donnant la possibilité de travailler plus longtemps à celles qui sont encore en bonne santé et qui souhaitent travailler, et en prêtant plus attention au nombre d’années de travail effectif qu’à l’âge de la retraite;
10.2.5. élaborer des politiques diversifiées afin de permettre aux individus de travailler plus longtemps dans des conditions saines, y compris par la promotion des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie et de la reconversion professionnelle;
10.2.6. développer les formes atypiques d’emploi pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas travailler à plein-temps;
10.3. eu égard aux migrations:
10.3.1. mettre en place des mécanismes permettant d’identifier et de contrôler les lacunes de main-d’œuvre autochtone au niveau national et créer des voies d’immigration légales pour combler ces lacunes;
10.3.2. faire comprendre au public la nécessité de poursuivre, voire d’accroître l’immigration de main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée, en veillant à la mise en place de mesures appropriées pour la gestion des migrations et l’intégration des migrants; développer, en particulier, des stratégies pour attirer les migrants ayant le profil recherché;
10.3.3. dans les pays qui connaissent une perte nette de main-d’œuvre due à l’émigration, mettre à profit les sources de main-d’œuvre locales et chercher à retenir les talents en renforçant l’excellence académique, en introduisant des incitations salariales et en développant les possibilités de formation et de reconversion professionnelle;
10.3.4. développer les moyens officiels de recrutement des migrants afin de réduire les facteurs pouvant inciter les employeurs à les recruter sur le marché du travail informel et d’empêcher le trafic et l’exploitation de migrants; examiner la possibilité d’introduire des visas de recherche d’emploi comme moyen adapté de recrutement des migrants répondant à certains profils;
10.3.5. examiner les possibilités de réintégrer dans la légalité les migrants en situation irrégulière et les emplois illégaux. De tels dispositifs devraient être accessibles à tous les niveaux de qualification, présenter un caractère de longue durée et inclure des mesures visant à inciter les employeurs et les immigrants à respecter les règles en vigueur;
10.3.6. favoriser l’intégration réussie des migrants et de leurs familles, en particulier les migrants originaires de pays non européens, dans la société d’accueil européenne, notamment en prenant des mesures pour régler les questions d’éducation des immigrés et de leurs enfants, remédier aux problèmes liés au regroupement géographique et à l’isolement social et aider les immigrés de la deuxième génération à surmonter les difficultés à entrer sur le marché de l’emploi;
10.3.7. accorder une plus grande attention à l’équilibre du débat public sur l’immigration, en évitant tout discours justifiant ou renforçant même les comportements discriminatoires à l’égard des migrants.
11. L’Assemblée note que nombre de ces mesures figurent déjà sur l’agenda de l’Union européenne. Elle félicite cette dernière pour le Programme et le Plan d’action de Stockholm adoptés récemment qui reconnaissent le rôle de l’immigration pour aider l’Union à faire face aux enjeux démographiques et lui assurer de solides performances économiques à long terme. Etant donné que les politiques de l’Union européenne ont un impact important sur les pays candidats à l’adhésion et sur les Etats membres du Conseil de l’Europe qui n’appartiennent pas à l’Union européenne, l’Assemblée invite, en outre, l’Union européenne:
11.1. à chercher à mettre en place un dispositif réellement unifié d’admission des migrants en réexaminant l’idée d’introduire un système de «carte bleue» sur la base du modèle initial proposé en 2001;
11.2. à réaliser une étude approfondie des besoins de main-d’œuvre de l’Europe à court, moyen et long terme;
11.3. à poursuivre le développement de partenariats pour la mobilité avec les Etats membres du Conseil de l’Europe dans le cadre du Partenariat oriental;
11.4. à examiner de toute urgence les possibilités de régulariser la situation des millions de migrants en situation irrégulière employés dans les secteurs affectés par une pénurie de main-d’œuvre.
12. L’Assemblée appelle, en outre, les organisations internationales spécialisées à mener de nouvelles études intégrant des données détaillées sur les tendances démographiques et l’évolution des migrations en Europe. De telles données seraient utiles pour contrer certaines attitudes «populistes» ou xénophobes et aider les gouvernements à adopter une approche globale plus réaliste lors de l’élaboration des politiques nationales.

B. Exposé des motifs, par Mme Hajibayli, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Après un siècle d’augmentation naturelle de la population, les perspectives démographiques qui s’annoncent pour l’Europe au XXIe siècle sont celles d’une baisse du taux de natalité et d’un vieillissement excessif de la population entraînant une diminution en termes absolus du nombre de travailleurs actifs et une augmentation du pourcentage des plus de 60 ans dans l’ensemble de la population.
2. Cette évolution devrait, à son tour, créer des difficultés aux niveaux du marché de l’emploi et des systèmes de sécurité sociale et de santé reposant sur des cotisations, du fait de la diminution du nombre de personnes aptes à travailler, et en conséquence du nombre de cotisants, et de l’augmentation concomitante du nombre de personnes ayant besoin des services et prestations que fournissent ces systèmes.
3. Devant ce tableau, certains affirment que les migrations sont le moyen de remédier au problème démographique, tant du point de vue de la taille globale de la population que du point de vue de la pyramide des âges.
4. La relation entre démographie et migrations est cependant plus complexe. Pour tenir compte de ce fait, le présent rapport examinera, dans un premier temps, la situation démographique générale en termes de naissances, de décès, de pyramide des âges et de croissance de la population, puis, dans un deuxième temps, l’impact que les migrations pourraient avoir sur l’évolution démographique en Europe.
5. Le rapporteur concentrera son attention sur un certain nombre de questions essentielles liées entre elles: quels sont les problèmes démographiques auxquels doit faire face l’Europe? Dans quelle mesure les migrations représentent-elles une solution à ces problèmes démographiques? L’Europe a-t-elle besoin de l’immigration pour répondre à ses besoins démographiques, aux besoins du développement économique et à ceux du marché de l’emploi? Quels sont les risques associés aux migrations? Quels sont les obstacles politiques en ce domaine et comment les surmonter?
6. Ce rapport repose principalement sur les exposés d’experts présentés au cours de deux auditions de la commission des migrations, des réfugiés et de la population tenues à Genève, le 25 novembre 2008 (Audition de Genève), et à Paris, le 31 mars 2010 (Audition de Paris). Il s’appuie également sur les travaux précédents de l’Assemblée parlementaire dans le domaine de la population et, en particulier, sur les recommandations incluses dans la Recommandation 1564 (2002) sur l’état de la population mondiale, la Recommandation 1683 (2004) sur les tendances en matière de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs publics, la Résolution 1502 (2006) et la Recommandation 1749 (2006) sur la cohésion sociale face aux défis démographiques et la Recommandation 1903 (2010) «Quinze ans après le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement».
7. Le rapporteur a connaissance des nombreux travaux pertinents menés pendant les trente dernières années par le Comité européen sur la population du Conseil de l’Europe pour identifier les politiques aptes à répondre aux défis démographiques auxquels doivent faire face les sociétés européennes, ainsi que le travail réalisé par le Comité européen sur les migrations afin d’élaborer des politiques de gestion des migrations et des politiques favorisant l’intégration positive des migrants. Elle est d’avis que, même si la responsabilité de définir des réponses adaptées à la baisse démographique et au vieillissement de la population revient principalement à chaque pays, et bien que l’Union européenne soit sans doute mieux placée pour agir sur les politiques nationales de l’immigration et de développement, le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer dans ce domaine. Elle regrette que la dissolution du Comité européen sur la population en 2006 et la proposition de suspendre les activités du Comité européen sur les migrations privent le Conseil de l’Europe de la possibilité de contribuer à la discussion dans ce domaine qui concerne non seulement l’Union européenne mais le continent européen tout entier, et de faire participer l’ensemble des 47 Etats membres – en tant que partenaires égaux – à la définition des approches pluridimensionnelles communes qui permettront de faire face aux défis démographiques futurs.

2. Principaux défis démographiques que doit relever l’Europe: sommes-nous d’ores et déjà en difficulté?

2.1. Taux de natalité

Depuis plusieurs décennies, le taux de natalité est en baisse dans la plupart des pays européens. De nombreux pays semblent devoir faire face à la perspective d’une poursuite de cette baisse. Cependant, il existe quelques exceptions notables qui pointent vers des orientations prometteuses pour le développement de politiques efficaces.

8. Le taux de natalité 
			(2) 
			Le taux de natalité
peut être mesuré de nombreuses façons. Dans un but de simplicité,
«taux de natalité» désigne ici ce que les spécialistes appellent
le «taux de fécondité total», c’est-à-dire le nombre d’enfants que
mettrait au monde une femme qui vivrait jusqu’à la fin de ses années
de procréation et qui aurait un nombre d’enfants correspondant aux
taux de fécondité par âge actuels. a très fortement diminué dans presque tous les pays du monde. En 1950, le taux mondial moyen était de cinq enfants par femme; il est aujourd’hui de 2,6. L’ONU prévoit que ce chiffre atteindra le seuil de renouvellement des générations 
			(3) 
			Le
«seuil de renouvellement des générations» désigne le nombre d’enfants
nécessaire pour que la population reste stable, c’est-à-dire pour
que la prochaine génération soit d’une taille équivalente à la génération
actuelle., qui est de 2,1, d’ici à 2050 
			(4) 
			ONU, Perspectives démographiques
mondiales, 2008..
9. L’Europe ne fait pas exception. En fait, l’Europe a été la première région du monde à connaître une baisse du taux de natalité, en commençant par la France à la fin du XVIIIe siècle. Le taux a continué à baisser depuis. Pendant les années 1970, il est tombé au-dessous du seuil de renouvellement des générations: aujourd’hui, en Europe, les femmes ont en moyenne 1,5 enfant 
			(5) 
			Témoignage de Vikat
A. (CENUE) à l’Audition de la commission des migrations, des réfugiés
et de la population (Paris, 31 mars 2010) – document AS/Mig/Inf
(2010) 06 (ci-après «Audition de Paris»)..
10. Cette moyenne dissimule cependant de fortes différences entre pays européens. En Europe du Sud (Italie, Grèce et Espagne), dans les pays germanophones d’Europe de l’Ouest (Suisse, Allemagne et Autriche) et en Europe orientale, les femmes ont 1,4 enfant ou moins. En Europe du Nord et dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, les femmes ont en moyenne plus de 1,8 enfant 
			(6) 
			ONU, op. cit..
11. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les pays d’Europe du Nord et de l’Ouest ont été parmi les premiers à connaître une baisse du taux de natalité dans les années 1960 et 1970. Dans certains de ces pays, le taux de natalité est descendu jusqu’à 1,3 enfant. Toutefois, à quelques exceptions près, il a recommencé à augmenter en dépassant 1,8 enfant; dans plusieurs pays (Islande, Norvège et France), il a presque rattrapé le seuil de renouvellement des générations 
			(7) 
			Myrskala M. et al.,
«Advances in development reverse fertility declines», Nature, volume
460, no 7256, p. 741-743, 2009; ONU, ibid.. En Europe du Sud et en Europe orientale, la baisse est intervenue plus tard, respectivement dans les années 1980 et 1990, et le taux de natalité ne montre toujours aucun signe de croissance.
12. Avant les années 1970-1980, les modes «traditionnels» d’organisation familiale, avec notamment un taux de natalité élevé, avaient réussi à se maintenir dans les pays où la participation des femmes au marché du travail était peu élevée (Europe du Sud). Par contre, dans les pays où les femmes étaient entrées en plus grand nombre sur le marché de l’emploi (France et Europe du Nord), le taux de natalité a rapidement diminué.
13. Depuis 1980 environ, ce modèle s’est inversé: les pays où la participation des femmes à la vie active est plus importante connaissent un taux de natalité plus élevé.
14. Il semble qu’il y ait une corrélation entre cet écart et les politiques publiques. De nombreux pays ont mis en place des politiques visant à accroître les naissances. Ces politiques prennent des formes diverses: certaines ont pour but de rendre financièrement plus avantageux pour les femmes de rester à la maison avec leurs enfants (par exemple sous forme de réductions d’impôts, comme dans plusieurs pays germanophones et en Estonie); d’autres visent à faciliter l’emploi hors de la maison des femmes qui ont des enfants (par exemple grâce au développement de crèches, comme en Europe du Nord et en France).
15. Jusqu’ici, malheureusement, aucun des programmes ou mesures mis en œuvre n’a encore permis d’accroître de façon significative le taux de fécondité sur une longue période. Néanmoins, malgré des investissements financiers à peu près équivalents dans ce domaine dans les pays germanophones, en Europe du Nord et en France, le taux de natalité semble augmenter plus rapidement dans les pays où les femmes ont la possibilité de rester sur le marché de l’emploi que dans les pays qui incitent les femmes à rester à la maison 
			(8) 
			Etude CEE-ONU par sexe
et par génération présentée dans l’exposé de M. Vikat; voir aussi
l’exposé de Gerda Neyer, INED, novembre 2008..
16. Un certain temps est évidemment nécessaire pour que les politiques fassent sentir leurs effets: dans la première moitié du siècle dernier, la France, par exemple, avait l’un des taux de natalité les plus bas du monde, malgré l’existence de toute une série de mesures détaillées visant à encourager les naissances et largement soutenues par l’ensemble des forces politiques. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que le taux de natalité a commencé à augmenter.
17. En Europe du Sud, notamment en Italie, un problème supplémentaire tient apparemment à la difficulté pour les jeunes d’entrer sur le marché du travail et de trouver un logement, ce qui rend aussi plus difficile pour eux de créer une famille 
			(9) 
			Ibid..
18. Un autre problème est lié au fait que, dans toute l’Europe, les femmes ont moins d’enfants qu’elles ne le souhaiteraient. D’après une estimation, les femmes européennes souhaitent en moyenne avoir 2,36 enfants et les hommes 2,21, alors que le chiffre réel est d’environ 1,5 
			(10) 
			Eurobaromètre
2006.. De nombreuses raisons ont été mises en avant pour expliquer cet écart, par exemple la santé, le soutien effectif du partenaire ou les considérations financières. Un problème de santé qui contribue à cet état de fait est la baisse de la capacité de procréation, qui est liée à son tour à l’âge de la maternité (la fécondité diminue avec l’âge) mais aussi à d’autres problèmes de santé comme les avortements à risques et les maladies sexuellement transmissibles non traitées. Un cas extrême à cet égard est celui de la Roumanie où les politiques pronatalistes appliquées par le régime Ceauşescu pendant la période 1966-1991 incluaient l’interdiction de l’avortement et la restriction de l’accès aux moyens contraceptifs. Le résultat était que les femmes avaient en moyenne cinq avortements illégaux dans des conditions peu sûres avant d’atteindre l’âge de 40 ans; environ 20 % d’entre elles devenaient stériles à la suite de ces avortements 
			(11) 
			Kirkorian
A. I., «Abortion in Romania: the consequences of pronatalist policy
during the Ceauşescu era» (2004), à l’adresse suivante: Human Biology
at the University of Virginia : Voir le site <a href='http://www.virginia.edu/humanbiology/new_site_files/class_2004_papers_pdf/Iasmine 5 page.pdf'>www.virginia.edu/humanbiology/new_site_files/class_2004_papers_pdf/Iasmine%205%20page.pdf</a>.. L’accès aux moyens contraceptifs s’est développé en Europe orientale depuis 1990 et, de ce fait, le taux d’avortement a baissé. Néanmoins, le financement accordé aux moyens contraceptifs par l’Etat reste faible, et le taux d’avortement élevé 
			(12) 
			UNFPA, «Review of existing
reproductive health commodity security systems, budgeting and national
capacities, and progress achieved with family planning service provision
in the Eastern Europe and Central Asia Region», 2009.. La fréquence des maladies sexuellement transmissibles a aussi augmenté dans une grande partie de l’Europe orientale et, encore une fois, ce fait a des incidences sur la stérilité secondaire 
			(13) 
			Botev N., «Is Europe
trapped in/by low fertily?», UNFPA, Entre Nous, volume 63, 2006,
p. 4-5..
19. Néanmoins, les données actuelles montrent que l’écart entre le nombre de naissances souhaitées et le nombre de naissances réelles est moins élevé dans les pays aux taux de natalité les plus faibles (l’Autriche, par exemple); autrement dit, dans ces pays, la norme souhaitée de peu ou pas d’enfants semble avoir été assimilée par l’opinion publique 
			(14) 
			Ibid..
20. Par conséquent, si l’objectif est d’accroître le taux de natalité, les données disponibles à ce jour semblent indiquer que les mesures les plus efficaces sont celles qui permettent aux femmes de concilier plus facilement la vie de famille et le travail. Lorsque les femmes doivent choisir entre avoir des enfants ou travailler, elles choisissent généralement le travail. Il apparaît aussi probable que les mesures qui permettent aux jeunes de commencer à travailler tout en fondant une famille favorisent l’augmentation du taux de natalité. D’autre part, certaines données montrent que l’absence de certaines mesures de santé publique peut contribuer à l’infécondité involontaire.

2.2. Espérance de vie et santé

A quelques exceptions près, l’espérance de vie augmente dans toute l’Europe. Cependant, l’espérance de vie en bonne santé et les besoins en soins varient fortement selon les pays.

21. Au niveau mondial, l’espérance de vie moyenne est passée de 47 ans environ en 1950 à 68 ans environ aujourd’hui. L’espérance de vie mondiale continue à s’allonger – de 4 à 5 mois par an – et, dans ses prévisions, les Nations Unies ont cessé de se référer à une limite supérieure de la longévité 
			(15) 
			Témoignage de Vikat
A. (UNECE) à l’Audition de Paris, op. cit..
22. Ici encore, l’Europe ne fait pas exception. L’Europe a été la première région du monde à connaître des progrès réguliers de l’espérance de vie, et cela dès la fin du XVIIIe siècle, en particulier en Europe du Nord et en France 
			(16) 
			Vallin J., «Europe’s
demographic transition», p. 41-66, in Graziella Caselli et al.,
Demography analysis and synthesis, volume 3, Elsevier Academic Press,
2006.. L’espérance de vie y est actuellement en moyenne de 77 ans environ 
			(17) 
			ONU,
Perspectives démographiques mondiales, 2008..
23. L’Europe orientale est la seule région d’Europe qui a fait récemment exception à cette évolution globalement positive. Entre 1990 et 2000, quelques pays d’Europe orientale ont connu une chute brutale de l’espérance de vie. Toutefois, cette tendance inquiétante semble aujourd’hui s’être inversée et l’Europe orientale a presque retrouvé le niveau d’espérance de vie qu’elle connaissait dans les années 1960 
			(18) 
			Témoignage
de Vikat A. (UNECE) à l’Audition de Paris, op. cit..
24. Selon les prévisions démographiques d’EUROSTAT, l’espérance de vie devrait continuer à augmenter d’environ six ans pour les hommes et de cinq ans pour les femmes (Union européenne à 25) entre 2004 et 2050. Ces progrès résulteront pour l’essentiel de la baisse de la mortalité aux âges les plus élevés et contribueront donc à accroître le pourcentage de personnes âgées et très âgées dans l’ensemble de la population. Ils dépendront toutefois de l’abandon de certaines pratiques nuisibles à la santé comme le tabagisme, une alimentation non équilibrée, le manque d’exercice physique et la consommation excessive d’alcool 
			(19) 
			Commission
européenne, «Europe’s demographic future: facts and figures on challenges
and opportunités», 2007..
25. La question qui se pose est la suivante: les progrès de l’espérance de vie s’accompagnent-ils inévitablement d’un report de l’invalidité physique ou bien les individus vivent-ils plus longtemps dans l’état de fragilité propre à la vieillesse? Si l’on passe des données sur l’espérance de vie à celles qui portent sur l’espérance de vie en bonne santé, on observe de fortes différences entre pays en ce qui concerne le nombre d’années vécues sans maladie ou handicap grave, avec des écarts de 14,5 années pour les hommes et 13,7 années pour les femmes. Les données en la matière ne sont pas conclusives mais les enquêtes semblent indiquer que les processus de vieillissement évoluent et que les individus vivent plus longtemps sans invalidité grave 
			(20) 
			Christensen K., «Ageing
populations: the challenges ahead», Lancet, no 374, 2009, p. 1196-1208. . Ce fait pourrait avoir, à son tour, de fortes incidences sur le coût des soins de santé pour les personnes âgées 
			(21) 
			OMS, «Active ageing:
a policy framework», 2002..

2.3. Baisse et vieillissement de la population: ces phénomènes sont-ils bien réels?

La population née en Europe commence à diminuer, même si l’ensemble de la population européenne continue à augmenter à cause des migrations. Alors que la baisse de population n’affectera que quelques pays européens, le vieillissement est appelé à devenir un phénomène universel.

26. La population mondiale continue à augmenter et cette augmentation est d’environ 80 millions d’individus par an. D’après les prévisions moyennes des Nations Unies, la population mondiale passera de 6,9 milliards aujourd’hui à 9,1 milliards en 2050 
			(22) 
			ONU, Perspectives démographiques
mondiales, 2008..
27. Comme toutes prévisions, ces prévisions des Nations Unies reposent sur un certain nombre de présupposés. Le présupposé principal est que l’utilisation du contrôle des naissances va continuer à augmenter rapidement, contribuant ainsi à la baisse du taux de natalité, qui passera de 2,6 aujourd’hui à 2,1 – le seuil de renouvellement des générations – en 2050. Si l’on présuppose par contre que l’utilisation du contrôle des naissances et le taux de natalité se maintiendront aux niveaux actuels, la population mondiale atteindra 11 milliards en 2050 
			(23) 
			Ibid..
28. En Europe, comme indiqué plus haut, les femmes ont depuis les années 1970 un nombre d’enfants inférieur au seuil de renouvellement des générations et n’ont aujourd’hui que 1,5 enfant. Du fait de l’«impulsion» donnée par les générations antérieures et de l’immigration, il existe toujours un léger «excédent des naissances» à l’intérieur de l’Union européenne mais on prévoit que cet excédent disparaîtra d’ici à 2015 
			(24) 
			EUROSTAT, Data in focus,
47/2009, et Population projections 2008-2060.. Dans l’Union européenne à 27, le «déficit de naissances» de la population née en Europe atteindra en tout 68 millions pendant les décennies qui nous séparent de 2050 
			(25) 
			Ibid..
29. Nombre des nouveaux Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent aussi une baisse de population, non seulement du fait d’un taux de fécondité peu élevé mais aussi à cause de l’émigration vers l’Europe de l’Ouest et, dans une moindre mesure, l’Amérique du Nord.
30. Globalement, on prévoit que la population totale des Etats membres du Conseil de l’Europe (Andorre, Liechtenstein, San Marino et Monaco non compris) passera de 808 millions en 2005 à 763 millions en 2050, soit une diminution de 6 % sur quarante-cinq ans.
31. En ce qui concerne la pyramide des âges, comme indiqué plus haut, le monde a connu globalement une «transition démographique» caractérisée par le passage de taux de naissance et de mortalité élevés à des taux de naissance et de mortalité plus faibles. Cette évolution débouche sur une période prévisible mais limitée pendant laquelle la population passe d’une première phase marquée par une proportion élevée d’enfants de moins de 15 ans à une seconde phase pendant laquelle c’est la proportion d’adultes en âge de travailler (15 à 59 ans) qui est élevée, avant de parvenir à une troisième phase caractérisée par une forte proportion d’individus âgés de 60 ans et plus. La deuxième phase, marquée par une proportion élevée de personnes en âge de travailler et une proportion peu élevée de personnes dépendantes (enfants et personnes âgées), est souvent qualifiée de «dividende démographique» ou de «fenêtre d’opportunité démographique».
32. Jusqu’à très récemment, l’Union européenne se trouvait encore dans la deuxième phase favorable de l’évolution de la pyramide des âges, avec les avantages qui en découlent pour la croissance économique. Le nombre de personnes âgées de 15 à 64 ans a en fait atteint aujourd’hui son point culminant (331 millions). Cependant, même si l’on anticipe une baisse de la population totale, le nombre total des salariés devrait augmenter, du fait d’une plus grande participation à la vie active 
			(26) 
			Commission
européenne, op. cit..
33. Globalement, le pourcentage des personnes âgées de 60 ans et plus devrait passer d’environ 11 % aujourd’hui à environ 22 % d’ici à 2050 et la part des «plus âgées des personnes âgées» – 80 ans et plus – devrait presque quadrupler pendant la même période, faisant du groupe des personnes de plus de 80 ans le groupe d’âge augmentant le plus rapidement, non seulement en Europe mais dans le monde entier.
34. Dans l’Union européenne, la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans est déjà de 22 % et devrait, selon les prévisions, atteindre 34 % d’ici à 2050 
			(27) 
			ONU,
Perspectives démographiques mondiales, 2008.. Autrement dit, ce pourcentage est plus élevé mais augmente moins rapidement que dans le monde entier. En ce qui concerne la population en âge de travailler, immigrants non compris, on compte aujourd’hui 4,2 individus en âge de travailler pour chaque personne de plus de 65 ans et ce nombre diminuera pour atteindre 2,1 en 2050 
			(28) 
			Témoignage de Vikat
A. (UNECE) à l’Audition de Paris, op. cit..
35. La baisse de la population née en Europe et le vieillissement de la population européenne sont donc des problèmes bien réels, même s’ils ne se manifestent pas de façon uniforme dans l’ensemble de la région. Ces deux évolutions auront des incidences significatives sur le marché de l’emploi, la croissance économique et la cohésion sociale. On notera à cet égard que la proportion de gouvernements européens qui jugent la croissance démographique trop lente a augmenté pendant la période 1996-2009 et est passée de 30 % à 50 % 
			(29) 
			ONU, Perspectives démographiques
mondiales, 2009. .
36. Une autre question se pose: les changements démographiques, en particulier le vieillissement, sont-ils inévitables? La réponse, ici aussi, est oui, à ce stade de l’évolution démographique ils sont inévitables 
			(30) 
			Kupiszewski
M., Bijak J. et Nowok B. (Central European Forum for Migration Research),
«Impact of future demographic trends in Europe», Conseil de l’Europe,
Direction générale III – Cohésion sociale, document DG3/CAHP10(2005)6
final.. La raison en est que, d’ici à 2030, les générations du «baby-boom» et du «baby-bust» auront atteint respectivement l’âge de la retraite et l’âge de travailler.
37. On peut encore se demander: ces changements auront-ils des conséquences préjudiciables aux sociétés? La réponse est ici plus mitigée: cela dépendra. Les conséquences sont en effet très difficiles à prédire car elles dépendront dans une large mesure des mesures adoptées par les gouvernements et de l’aptitude des sociétés à accepter les changements nécessaires 
			(31) 
			Ibid..

2.4. Doit-on anticiper un «problème démographique»?

On peut prévoir un «problème démographique» requérant des solutions démographiques; cependant, si l’on examine les choses sous l’angle de la productivité, il existe de nombreux moyens de résoudre ce problème.

38. Comme indiqué dans l’introduction de ce rapport, la préoccupation qui s’exprime généralement est qu’avec le vieillissement de la population, la force de travail va diminuer et devra soutenir un nombre plus important de retraités, qui non seulement toucheront des pensions de retraite mais seront aussi dans un état de santé plus fragile du fait de leur âge et nécessiteront par conséquent des soins coûteux. Autrement dit, la population consommera plus qu’elle ne produit 
			(32) 
			Klein
Solomon M. (OIM), «Migrations en Europe: menace, opportunité ou
défi pour gérer l’inévitable?», témoignage – Audition de la commission
des migrations, des réfugiés et de la population (Genève, 25 novembre
2009) – document AS/Mig/Inf (2009) 01 (ci-après «Audition de Genève»).. La question est donc de savoir si l’Europe sera capable de maintenir le système intergénérationnel d’assistance sociale édifié au siècle dernier et si elle sera en mesure de faire face à la concurrence sur le marché mondial lorsque sa population commencera à diminuer.
39. Pour répondre à ces questions, il importe tout d’abord de noter qu’«en âge de travailler» ne veut pas dire nécessairement «qui travaille». L’«âge de travailler» désigne généralement les personnes âgées de 15 à 59 ans (parfois de 15 à 64 ans). Si le problème principal est effectivement de savoir si l’Europe consomme plus qu’elle ne produit, de nombreux facteurs autres que l’âge démographique sont importants, notamment l’âge officiel et l’âge réel de la retraite, l’âge réel où les individus commencent à travailler (15 ans ou plus), la proportion de chômeurs et de personnes travaillant à temps partiel, la proportion de femmes participant au marché de l’emploi, ainsi que la productivité de ceux qui travaillent.
40. Parmi ces facteurs, le plus élastique est sans doute l’âge de la retraite. En Europe, l’âge officiel de la retraite est fixé dans beaucoup de pays à 65 ans mais l’âge réel de la retraite est moins élevé et varie selon les pays. Il se situe dans la plupart des pays entre 59 et 63 ans pour les hommes, la Suède et la Roumanie affichant les âges les plus élevés de l’Union européenne, respectivement 64 et 65 ans 
			(33) 
			Témoignage
de Vikat A. (UNECE) à l’Audition de Paris, op. cit.. Dans de nombreux pays, l’âge réel et l’âge officiel de la retraite ont baissé, depuis les années 1960, bien que l’espérance de vie ait augmenté de sept ans pendant la même période.
41. Cependant, l’âge de la retraite n’est peut-être pas aussi élastique d’un point de vue politique: il existe en effet une forte opposition politique à l’extension de l’âge de la retraite. Néanmoins, certaines catégories de personnes souhaiteraient pouvoir continuer à travailler au-delà de l’âge obligatoire de la retraite, comme le montre l’exemple des scientifiques français qui partent pour les Etats-Unis parce qu’ils ne peuvent travailler après 65 ans en France 
			(34) 
			Intervention
de M. Blondin, parlementaire (France), à l’Audition de Paris, op.
cit..
42. La comparaison avec le système contributif de retraites financé par l’Etat introduit pour la première fois par Bismarck en 1889, en fixant l’âge de la retraite à 65 ans à une époque où l’espérance de vie moyenne n’était que de 45 ans environ, est à cet égard instructive 
			(35) 
			Holborn H., A History
of Modern Germany 1840-1945, Princeton University Press, 1969, p.
291-293.. Le système bismarckien de sécurité sociale était bien adapté à une population jeune et en augmentation, avec une espérance de vie nettement inférieure à l’âge de la retraite. Dans une population vieillissante et qui diminue, avec une espérance de vie supérieure à l’âge de la retraite, un tel système pourrait devenir dysfonctionnel et être acculé à la faillite.
43. Toute modification de l’âge de la retraite aura des conséquences très importantes pour une population vieillissante. Par exemple, la part de la population «en âge de travailler» est actuellement d’environ 40 % dans l’Union européenne, si l’on présuppose que 20 ans est l’âge d’entrée sur le marché du travail et 60 ans l’âge réel moyen de la retraite. Pour maintenir cette proportion constante pendant les prochaines décennies, il faudra faire passer l’âge de la retraite de 60 à 65 ans d’ici à 2025, puis à 70 ans d’ici à 2050 
			(36) 
			Holzmann R., Banque
mondiale, Conférence de St-Gallen sur le vieillissement, 2008.. Cependant, l’objectif démographique visant à maintenir la population active à un niveau constant est loin d’être universellement accepté par les Européens 
			(37) 
			Avramov
D. et Cliquets R., Integrated policies on gender relations, ageing
and migration in Europe: lessons from the network for integrated
european population studies (NIEPS), Anvers, 2005, p. 215..
44. Certains facteurs comme l’âge auquel les individus commencent à travailler et le fait de savoir s’ils sont sans emploi ou employés à temps partiel doivent aussi être pris en compte. Par exemple, la proportion de travailleurs employés à temps partiel varie énormément selon les pays (45 % des salariés aux Pays-Bas, moins de 5 % en Bulgarie) 
			(38) 
			Témoignage
de M. Latten J. à l’Audition de Paris, op. cit. . Il importe aussi de savoir si des mesures spécifiques ont été mises en place à l’intention des travailleurs plus âgés, par exemple sous forme d’emplois résorbés progressivement afin de permettre à ces travailleurs de rester sur le marché du travail, et si les femmes travaillent. Au Royaume-Uni, par exemple, cinq millions de personnes en âge de travailler ne travaillent pas mais deux millions seulement sont comptabilisées comme «demandeurs d’emploi», ce chiffre incluant des familles où les membres de générations successives ne travaillent pas 
			(39) 
			Exposé de
M. Henderson, parlementaire (Royaume-Uni), à l’Audition de Paris,
op. cit..
45. Autrement dit, la mesure du «taux d’emploi total», à savoir la proportion de personnes qui travaillent exprimée en pourcentage du groupe d’âge correspondant, est importante et cet indicateur varie fortement dans l’ensemble de la région européenne: de 46 % en Turquie à 79 % en Suisse pour le groupe d’âge de 15 à 64 ans, par exemple 
			(40) 
			Romans
F. et al., «Population and social conditions», EUROSTAT 27/2008.
Taux d’emploi total = nombre de personnes occupant un emploi exprimé
en pourcentage du groupe d’âge correspondant. .
46. Enfin se pose la question de la productivité de ceux qui travaillent, y compris l’éventail des qualifications de la force de travail, qui sera abordée brièvement plus loin en relation avec les questions de migration. Un critère général est lié en particulier au niveau éducatif: en 2005, le taux d’emploi total des personnes ayant un niveau d’études élevé était de 82,5 % dans l’Union européenne, contre 68,7 % pour les personnes ayant un niveau d’études moyen et 46,5 % pour les personnes ayant un niveau d’études peu élevé 
			(41) 
			Commission européenne
(2007), Europe’s demographic future: facts and figures on challenges
and opportunities..
47. Il importe en outre de prendre en compte les questions de santé pendant la participation à la vie active mais aussi après le départ à la retraite, notamment pour déterminer si la population concernée mène une vie autonome, est en situation de fragilité ou reçoit des soins de longue durée. La promotion de la santé des populations et la recherche d’alternatives aux soins de longue durée, qui sont extrêmement coûteux, seront l’une et l’autre très importantes pour assurer le maintien des dispositifs d’assistance sociale en évitant des conséquences qui seraient fatales pour le système de santé.
48. Le rapporteur conclut par conséquent qu’il importe d’envisager les enjeux démographiques en termes de productivité et pas uniquement sous l’angle de la pyramide des âges ou du taux de natalité. Le temps est venu également de repenser entièrement la définition du vieillissement et de la vieillesse ainsi que l’idée que nous nous faisons des personnes âgées 
			(42) 
			Voir
le rapport de la commission des questions sociales, de la santé
et de la famille «Pour une longévité positive: valoriser l’emploi
et le travail des seniors» (Doc. 12431, rapporteur: M. Denis Jacquat,
France, PPE/DC). .

3. Dans quelle mesure les migrations représentent-elles une solution aux enjeux démographiques: l’Europe a-t-elle besoin de l’immigration pour poursuivre son développement économique?

3.1. Quelle est la situation des migrations en Europe aujourd’hui?

La question des migrations est extrêmement complexe et les tendances démographiques dans ce domaine évoluent rapidement.

49. L’interaction entre changements démographiques et migrations – à l’intérieur de chaque pays et au niveau international 
			(43) 
			Le présent document
porte uniquement sur les migrations internationales. – présente un caractère très complexe et qui n’apparaît pas à court terme. Cependant, tant que subsisteront d’énormes disparités entre continents et régions, les migrations internationales seront inévitables.
50. Globalement, dans le monde, 3 % d’individus vivent dans un pays autre que leur pays de naissance 
			(44) 
			L’établissement de
statistiques sur les migrations pose généralement problème car il
existe de nombreuses méthodes de mesure différentes. La mesure la
plus couramment utilisée est celle des «personnes vivant hors de
leur pays de naissance»., autrement dit une personne sur 33 est un migrant international. Le phénomène n’est pas nouveau: les migrations sont aussi vieilles que l’humanité et la proportion de personnes nées dans un pays autre que leur pays de résidence était peut-être encore plus élevée au XIXe siècle qu’aujourd’hui. Ce qui est nouveau est le fait que les migrations touchent pratiquement tous les pays, que les flux migratoires deviennent plus complexes et dynamiques et qu’un nouveau type d’identité transnationale semble en train d’émerger.
51. La situation en Europe est aussi nouvelle. Pendant les deux derniers siècles, la population européenne augmentait et beaucoup d'Européens finissaient par migrer. Après une période de migrations peu importantes entre les deux guerres mondiales, les années 1960 et 1970 ont vu se produire sous l’effet de la croissance économique une augmentation des migrations en provenance de l’Europe du Sud. Cette période a été suivie pendant les années 1980 par un mouvement très important de réunification familiale, toujours principalement à l’intérieur de l’Europe. A partir des années 1990, on a observé des flux migratoires plus importants de réfugiés et de demandeurs d’asile à partir de l’Europe orientale vers l’Europe de l’Ouest, et depuis certaines régions extérieures à l’Europe vers la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(45) 
			Témoignage de Latten
J. à l’Audition de Paris, op. cit..
52. Aujourd’hui, 70 millions de personnes vivent légalement en Europe dans un pays autre que leur pays de naissance; ces personnes représentent généralement 7 à 12 % de la population de leur pays de résidence 
			(46) 
			Témoignage
de Vikat A. (CENUE) à l’Audition de Paris, op. cit.. Exception faite de quelques Etats membres du Conseil de l’Europe qui connaissent une perte nette de population due à l’émigration (Albanie, Arménie, Géorgie, Lituanie et Moldova), l’Europe, qui était auparavant principalement une région d’émigration, est devenue principalement une région d’immigration. Elle vient même aujourd’hui en tête des pays de destination des migrations internationales, ayant dépassé les pays de destination traditionnels d’Amérique du Nord ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La zone de l’Union européenne accueille conjointement 41 % des migrants internationaux, contre 38 % pour les Etats-Unis 
			(47) 
			Témoignage de Darwane
S. à l’Audition de Paris, op. cit.. Le «rêve américain» est devenu le «rêve européen».
53. Pour la première fois, les immigrants originaires de pays non occidentaux et de religion musulmane constituent une proportion importante des migrants.
54. Cependant, tous les pays d’Europe ne sont pas affectés de la même façon par cette évolution, et les pressions qui en résultent ne sont pas identiques pour tous les Etats membres 
			(48) 
			D’importantes différences
subsistent entre pays quant au type, à la fluidité et à l’ampleur
des migrations. Par exemple, alors qu’un tiers environ des personnes
vivant au Luxembourg sont des non-nationaux, ce chiffre tombe à
3 % environ en Finlande. Les chiffres nets de l’immigration dissimulent
souvent une mobilité bien plus grande: le chiffre net de l’immigration
en Allemagne, par exemple, est inférieur à 100 000 par an mais un
examen plus attentif des chiffres montre que plus de 700 000 personnes
entrent dans le pays chaque année et plus de 600 000 en sortent.. Le profil, le nombre et la situation des personnes qui arrivent aux frontières sont très variables et les tendances en ce domaine changent constamment. Il en va de même en ce qui concerne les pressions migratoires, la demande de main-d’œuvre, les niveaux de chômage, la pénurie de logements, les tensions sociales et l’opinion publique des différents pays européens. Par exemple, les pays d’Europe du Nord et de l’Ouest, cible principale des flux migratoires de la seconde moitié du XXe siècle, voient aujourd’hui diminuer les migrations internationales, qui se dirigent de plus en plus vers les pays d’Europe orientale et d’Europe du Sud 
			(49) 
			On
notera que les deux tiers de l’apport net d’immigrants recensé dans
l’Union européenne (qui a culminé à près de 2 millions de personnes
en 2003-2004) concernent l’Italie et l’Espagne, où un nombre important
de migrants en situation irrégulière ont été régularisés et sont
donc soudain apparus dans les statistiques sur l’immigration.. En outre, la situation de l’immigration en Europe est fortement influencée par l’existence de l’Union européenne, avec ses frontières de plus en plus imperméables qui contraignent par exemple de nombreux demandeurs d’asile à chercher à obtenir la protection de pays qu’ils avaient seulement l’intention de traverser.
55. Alors qu’auparavant la plupart des migrants étaient originaires de pays avec lesquels existaient des accords postcoloniaux, la diversité des migrants augmente rapidement dans un monde de plus en plus interconnecté. Cette diversité accrue modifie la composition ethnique, religieuse et culturelle de l’Europe 
			(50) 
			Collett
E., «Europe: a new continent of immigration», in Rethinking immigration
and integration: a new centre-left agenda, Policiy Network, London,
2007, p. 25-26..
56. Les flux migratoires se sont complexifiés en termes de mouvement et de statut légal. L’installation permanente dans le pays d’accueil est remplacée par des déplacements temporaires plus flexibles et l’on voit se développer une nouvelle génération de migrants globe-trotters. Grâce aux moyens de communication et de transport moins chers et plus rapides, il est beaucoup plus facile pour les migrants de maintenir des liens avec leur pays d’origine; les migrations «de retour» et les migrations «circulaires» sont de plus en plus fréquentes. De plus, avec la création d’une aire de libre circulation à l’intérieur de l’Europe, tant les ressortissants que les non-ressortissants de l’Union européenne ont un logement dans plus d’un pays. Les migrants ont aussi parfois plus d’une identité nationale (et citoyenneté dans certains cas), ce qui n’est pas sans incidences sur la conception traditionnelle de l’intégration axée sur l’appartenance et la participation à la vie d’une seule société 
			(51) 
			Ibid..
57. Les migrations se sont aussi féminisées: la moitié environ des migrants sont aujourd’hui des femmes.
58. Les migrations irrégulières représentent un enjeu particulièrement difficile à résoudre pour l’ensemble de l’Europe. Bien qu’ils répondent souvent à des besoins réels du marché de l’emploi en occupant des emplois pour lesquels les candidats manquent parmi les résidents en situation légale ou les ressortissants nationaux, les migrants en situation irrégulière demeurent «invisibles» dans les statistiques démographiques. Diverses sources estiment que le nombre de travailleurs en situation irrégulière se situe entre 4 et 8 millions aujourd’hui dans l’Union européenne 
			(52) 
			Le
rapport de la Commission européenne «New tools for an integrated
European border management strategy» (MEMO/08/85, 13 février 2008)
évalue leur nombre autour de 8 millions. D’autres sources proposent
des estimations moins hautes: l’OIM, par exemple, évalue à 4,5 millions
le nombre de migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne
et la Commission mondiale sur les migrations internationales à 2
ou 3 millions. . Parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe qui n’appartiennent pas à l’Union européenne, la Russie compte aussi plusieurs millions de migrants en situation irrégulière, principalement des ressortissants des pays de la CEI. L’absence de données sur le nombre, le taux d’emploi, la durée de séjour et la situation de famille, par exemple, des migrants en situation irrégulière dans les Etats membres du Conseil de l’Europe fait qu’il est impossible d’évaluer leur impact et leur contribution aux sociétés européennes d’un point de vue démographique et économique ou en termes de cohésion sociale.

3.2. Les migrations peuvent-elles aider à résoudre les enjeux démographiques liés à la baisse de la population et à l’évolution de la pyramide des âges en Europe?

L’immigration, bien qu’elle puisse avoir un impact important à court terme sur la taille de la population, ne ralentit en fait qu’assez peu le processus de vieillissement de la population. En termes de croissance économique et de productivité, l’immigration ne représente qu’une petite partie de la solution et requiert en outre l’adoption de politiques claires, détaillées et bien ciblées.

59. De nombreux pays développés s’appuient sur les migrations internationales pour compenser la diminution et le vieillissement de leur population. Selon l’OIM, même en se maintenant à leur niveau actuel, les migrations internationales contribueront trois fois plus à la croissance démographique des pays développés que l’augmentation naturelle de la population pendant la période 2000-2010. Par conséquent, sans l’immigration, la population de ces pays diminuerait encore plus.
60. S’agissant de la baisse de la population, comme indiqué plus haut, on prévoit que le déficit des naissances parmi les autochtones dans l’Union européenne atteindra 68 millions d’ici à 2050. D’après une étude commanditée pour le World Migration Report 2010 de l’OIM, un apport net de 100 millions de migrants d’ici à 2050 serait nécessaire rien que dans l’Union européenne pour «compenser les pertes [démographiques]» sur le marché de l’emploi 
			(53) 
			Münz et Collett, IOM
world migration report 2010.. Comme ce chiffre ne tient pas compte de l’émigration à partir de l’Union européenne et des migrants qui décident de rentrer dans leur pays, le nombre total de migrants nécessaire à cette fin serait en fait beaucoup plus élevé 
			(54) 
			Ibid..
61. Il vaut la peine de noter à cet égard que, contrairement à l’Europe, dans aucun des pays d’immigration traditionnels comme l’Australie, le Canada, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande on n’anticipe une baisse de la population dans les cinquante années à venir. L’afflux continu et régulier de migrants est demeuré généralement dans ces pays bien supérieur au nombre de migrants nécessaire pour empêcher une baisse de la population totale. Même si l’on prévoit dans ces pays un taux de fécondité inférieur au seuil de renouvellement des générations pendant les prochaines décennies, les futurs apports d’immigrants prévus permettront de compenser la baisse de la croissance démographique 
			(55) 
			Voir
le site de l’OIM..
62. Par conséquent, l’immigration peut effectivement jouer un rôle important pour accroître la taille de la population dans une perspective à court terme.
63. Cependant, du point de vue de la pyramide des âges, les démographes ont montré depuis longtemps que l’immigration de remplacement n’est pas une solution au vieillissement démographique car l’âge des migrants est seulement de trois ans plus jeune en moyenne que celui de la population autochtone des pays européens et, tout comme les individus qui composent cette population, les migrants vieillissent aussi d’une année sur l’autre. En outre, le taux de fécondité initialement plus élevé des immigrants s’établit rapidement à un niveau semblable à celui de la population autochtone. Les autochtones et les immigrants auraient donc besoin de toujours plus d’immigrants pour compenser la part de la population qui vieillit et la remplacer.
64. Seul un nombre énorme de migrants permettrait de ralentir ou de neutraliser le processus de vieillissement, ce qui entraînerait un accroissement phénoménal de la taille de la population. De plus, une immigration massive ne permettrait pas nécessairement d’obtenir les migrants dotés des qualifications requises pour répondre aux besoins ou aux opportunités économiques des pays européens. Etant donné que le chômage est déjà aujourd’hui fortement concentré parmi les couches de la population dont le niveau d’éducation et de formation est le plus bas, en particulier parmi les migrants moins qualifiés de la première et de la seconde génération, l’immigration massive renforcerait inévitablement le problème 
			(56) 
			«Les tendances en matière
de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs
publics» (rapporteur: M. Christian Brunhart, Liechtenstein, PPE/DC),
Doc. 10182 de l’Assemblée, p. 27-28..
65. L’immigration massive ne constitue donc pas une solution miracle du point de vue de l’action publique pour compenser la baisse ou le vieillissement de la population. Si elle peut aider à ralentir la diminution de certains groupes d’âge et de l’ensemble de la population, elle pose aussi de nombreux problèmes de société.
66. Le rapport publié par l’ONU en 2008 sur les migrations de remplacement ainsi que les enquêtes indiquent qu’une forte augmentation du nombre d’immigrants se heurterait probablement à des obstacles sociaux. L’accueil de nombreux immigrants appartenant à des groupes culturellement éloignés nécessiterait de déployer des efforts importants pour assurer leur intégration sociale, culturelle et identitaire et pourrait provoquer des dissensions sociales et politiques, en particulier parmi les catégories moins bien placées pour concourir sur le marché de l’emploi 
			(57) 
			Avramov D. et Cliquets
R., op. cit., p. 215..
67. On peut en conclure par conséquent que, même s’il est indéniable qu’elle peut avoir un impact démographique, l’immigration représente principalement une solution au regard de critères et d’objectifs non démographiques 
			(58) 
			«Les
tendances en matière de population en Europe et leur sensibilité
aux mesures des pouvoirs publics», op. cit., p. 27-28 , notamment sous l’angle de la productivité et de la croissance économique d’un pays.
68. Les politiques de l’immigration doivent donc reposer sur des objectifs clairement définis et être précédées par une analyse de leur impact démographique, socio-économique et politique à long terme.

3.3. Coûts et avantages des migrations sous l’angle démographique et sous celui de la croissance économique

Les coûts et avantages des migrations pour l’Europe doivent être évalués de manière détaillée et dans une perspective à long terme, en prenant en compte non seulement la demande de main-d’œuvre à court terme et les bénéfices immédiats qui peuvent en résulter, mais aussi le coût total de développement pour les pays d’origine et les pays hôtes ainsi que la question de l’intégration dans les sociétés d’accueil.

3.3.1. Pour les pays d’origine et les migrants

69. Du point de vue des pays d’origine et des migrants eux-mêmes, tout d’abord, si les facteurs économiques sont importants, il existe aussi des facteurs d’incitation démographiques. Malgré les diverses politiques mises en œuvre dans les pays les moins développés pour améliorer le contrôle des naissances, nombre de ces pays ont un excédent de population qui dépasse les capacités du marché de l’emploi local. Encourager et faciliter les migrations du travail apparaît donc dans ces pays comme une réponse adaptée des pouvoirs publics à l’excédent de la force de travail. Un certain nombre d’Etats soutiennent activement le travail à l’étranger en tant que stratégie visant à améliorer la croissance économique et conduire au plein-emploi 
			(59) 
			Voir le site de l’OIM..
70. Le départ de ceux qui décident d’aller travailler à l’étranger est motivé à la fois par l’obtention de salaires plus élevés et la possibilité d’envoyer des fonds dans leur pays d’origine. En effet, les salaires des migrants qualifiés sont souvent plusieurs fois supérieurs à ce qu’ils pourraient gagner dans leur pays d’origine 
			(60) 
			Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD), Rapport sur le développement
humain 2008..
71. Le montant des envois de fonds des travailleurs émigrés vers les pays en développement était évalué à 300 milliards en 2009. Malgré la crise économique actuelle, les envois de fonds déclarés représentent plus de deux fois le montant de l’aide officielle au développement (119,8 milliards en 2008 pour les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE) 
			(61) 
			Voir le site <a href='http://www.oecd.org/'>www.OECD.org</a>. et sont 10 fois supérieurs au montant net des transferts de capitaux privés vers les pays en développement 
			(62) 
			Kapur D. et McHale
J., «Migration’s new payoff», Foreign Policy, volume 139, novembre-décembre 2003,
p. 49-57.. Les envois de fonds des travailleurs émigrés représentent 34 % du PIB de la Moldova, 18 % du PIB de la Bosnie et Herzégovine et 14 % du PIB de la Serbie et de l’Albanie. Ces envois sont devenus un facteur essentiel de l’économie mondiale (certains auteurs qualifient même d’«euphorie» l’attention dont ils bénéficient depuis peu). Ils contribuent à abaisser le taux de pauvreté dans les pays d’origine les plus pauvres et permettent aux familles qui les reçoivent d’augmenter leurs dépenses de santé et d’éducation et d’investir dans des activités commerciales 
			(63) 
			Témoignage de M. Klein
Solomon M. (OIM), «Migrations en Europe: menace, opportunité ou
défi pour gérer l’inévitable?», à l’Audition de Genève, op. cit.. Pour de nombreuses familles, envoyer certains de leurs membres travailler à l’étranger représente simplement une forme d’«étalement des risques».
72. Néanmoins, des données de plus en plus nombreuses montrent qu’à eux seuls les envois de fonds n’ont pas nécessairement des effets positifs, sauf lorsque le pays concerné crée les conditions permettant d’investir ces fonds dans un but de développement, par exemple sous forme de biens de consommation, pour l’alimentation, la santé et l’éducation des familles, ou bien sous forme d’activités économiques mettant à profit l’amélioration des infrastructures. Autrement dit, pour qu’ils aient des retombées positives en termes de développement, les envois de fonds doivent être associés à des projets de développement dans le pays concerné 
			(64) 
			Haas H., «Remittances,
migration and social development: a conceptual review of the literature,
Social policy and development programme», Paper no 34, octobre 2007,
United Nations Research Institute for Social Development..
73. L’émigration peut avoir de nombreux autres avantages pour les migrants eux-mêmes, selon que la décision d’émigrer est volontaire ou non. La possibilité d’émigrer peut inciter les individus à améliorer leurs compétences professionnelles dans le pays d’origine de telle façon que, même avec un taux d’émigration élevé, il subsiste un nombre accru de diplômés hautement qualifiés dans la force de travail locale. D’autre part, lorsque les migrants parviennent à améliorer leurs compétences dans le pays d’accueil, les liens qu’ils maintiennent avec leur pays d’origine leur permettent aussi de transférer ces compétences dans le pays d’origine en cas de retour durable ou de courte durée.
74. Certains facteurs géographiques favorisent aussi les migrations vers le continent européen: en effet, malgré la baisse du taux de natalité en Afrique du Nord par exemple (qui est passé de plus de six à moins de trois enfants), du fait de taux auparavant élevés, il existe dans cette région un excédent important de jeunes à la recherche d’un emploi et il leur est plus facile de traverser la Méditerranée que l’Atlantique.
75. Les droits de l’homme jouent aussi parfois un rôle d’incitation: certains migrants quittent leur pays d’origine comme demandeurs d’asile ou migrants économiques pour des motifs liés aux droits de l’homme.
76. Sur le versant des coûts, la fuite des cerveaux demeure un sujet d’inquiétude grave pour les pays qui connaissent une émigration à grande échelle de travailleurs qualifiés. La perte de nationaux qualifiés pose un défi particulier aux économies émergentes.

3.3.2. Pour les pays d’accueil

77. Du point de vue des pays d’accueil, les migrations sont avant tout une réponse à divers besoins et objectifs sociétaux comme le besoin d’attirer certaines qualifications spécifiques (immigration «sélective» par opposition à immigration «indistincte»), d’offrir un lieu sûr aux demandeurs d’asile et aux réfugiés et de permettre la réunification familiale. En cas de demande de main-d’œuvre spécifique, les immigrants peuvent jouer un rôle significatif dans le développement d’un pays ou d’une région. Ils contribuent souvent pour une part importante à rajeunir la population, renforcer la force de travail, soutenir le système de sécurité sociale ou redynamiser des régions ou des quartiers déprimés, par exemple.
78. L’enjeu global pour l’Europe aujourd’hui est de parvenir à combler les lacunes de la force de travail et, en particulier, d’attirer et d’employer les migrants dotés de compétences recherchées dans les pays européens, sans priver pour autant les pays d’origine de la main-d’œuvre dont ils ont besoin.
79. En 2005, par exemple, l’Union européenne estimait que 5 millions d’emplois nouveaux seraient en tout nécessaires pendant la période 2007-2008 et que 3 millions d’emplois étaient encore non pourvus à l’intérieur de l’Union européenne 
			(65) 
			«The EU’s labour-shortage
“time bomb”», <a href='http://www.euractiv.com/'>www.EurActiv.com</a>,
2010.. Les chiffres sont sans doute différents aujourd’hui à cause de la crise financière et il se peut aussi que certains des emplois en question soient en fait occupés par des migrants en situation irrégulière. Néanmoins, ces données donnent une idée de l’ampleur du problème.
80. Bien que 41 % des flux migratoires mondiaux se dirigent vers les pays européens, l’Europe a du mal à attirer les migrants hautement qualifiés: 5 % des migrants africains les plus qualifiés et au niveau d’études le plus élevé se rendent en Europe contre 90 % en Amérique du Nord, alors que 80 % des migrants les moins qualifiés émigrent vers l’Europe 
			(66) 
			Témoignage
de Gammeltoft-Hansen Th. à l’Audition de Paris, op. cit..
81. A cet égard, l’Europe devra s’efforcer d’attirer de l’extérieur une main-d’œuvre qualifiée, même si le besoin de travailleurs non qualifiés étrangers est appelé à demeurer lui aussi très élevé.
82. Les professions recherchées incluent des travailleurs hautement qualifiés comme les ingénieurs. En Allemagne, par exemple, on estime que la pénurie d’ingénieurs sur le marché du travail coûte au PIB 3,5 milliards d’euros tous les ans 
			(67) 
			Koppel
O. (2007), «Ingenieurmangel in Deutschland – Ausmaß und gesamtwirtschaftliche
Konsequenzen», Institut der deutschen Wirtschaft und Verein Deutscher
Ingenieure e.V, p. 20. . Dans le cas des spécialistes des technologies de l’information, qui génèrent 5 % du PIB de l’Union européenne, on prévoit un manque de 300 000 travailleurs en 2010.
83. Le secteur de la santé constitue un domaine particulier – et fortement visible – de préoccupation, aussi bien pour les travailleurs très qualifiés que pour les peu qualifiés. La donnée statistique fréquemment citée selon laquelle les médecins malawiens sont plus nombreux à Manchester qu’au Malawi, si on la replace dans le contexte décrit par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui estime qu’il manque 4 millions de travailleurs de la santé au niveau mondial, est tout à fait parlante. Il est notable également que les migrants jouent déjà un rôle important dans la fourniture de soins aux personnes âgées 
			(68) 
			Témoignage
de Klein Solomon M. (OIM), «Migrations en Europe: menace, opportunité
ou défi pour gérer l’inévitable?», à l’Audition de Genève, op. cit..
84. L’Espagne, souvent appelée le «marchand de légumes de l’Europe», s’appuie très fortement sur les travailleurs migrants temporaires peu qualifiés. Dans toute l’Europe, en fait, l’agro-industrie repose sur le travail de migrants souvent saisonniers et parfois irréguliers. Il existe aussi une forte demande de travailleurs dans des secteurs comme celui des services, en particulier l’hôtellerie et la restauration, et de la construction. Reconnaissant ces besoins, l’Italie a ajusté son quota en 2008, qui est passé de 170 000 à 520 000 migrants réguliers par an, pour la plupart peu qualifiés et travaillant dans le secteur de la construction, de l’aide ménagère privée et de l’agriculture. Ces secteurs, cependant, ont été particulièrement touchés par les licenciements depuis le début de la crise économique 
			(69) 
			«Decreto del presidente
del Consiglio dei ministri sulla programmazione transitoria dei
flusd’ingresso dei lavoratori extracomunitari non stagionali nel
territorio dello State per l’anno 2007», Gazzetta Ufficiale, 30
novembre 2007. .
85. Le rapporteur regrette que l’Union européenne, créée spécifiquement afin de favoriser la coopération économique, ait été jusqu’ici incapable de définir une politique commune en matière de migrations économiques. Bien que les questions d’immigration figurent en bonne place sur l’agenda politique de l’Union européenne et malgré les efforts déployés depuis 2001 pour tenter de mettre en place un système de «carte bleue» (conçu en partie sur le modèle de la «carte verte» des Etats-Unis, afin de faire concurrence à ce pays), le projet de carte bleue n’a pas encore atteint l’ampleur et les effets majeurs escomptés. Après quatre ans de préparatifs, des mesures de transition moins ambitieuses ont été introduites en 2005 pour couvrir l’admission des étudiants, des stagiaires non rémunérés, des travailleurs bénévoles et des chercheurs. La politique actuelle est parfois critiquée pour ses lourdeurs administratives et jugée trop spécifique, à courte vue ou inapte à répondre aux espoirs de la catégorie de personnes qu’elle visait tout particulièrement à attirer, à savoir les travailleurs hautement qualifiés qui choisissent un pays dans la perspective d’une carrière de longue durée.
86. Le domaine dans lequel l’échec des politiques européennes est le plus flagrant est celui des migrations irrégulières, dont l’augmentation pendant les dernières années s’explique sans doute par l’imperméabilité croissante des frontières, l’absence de possibilités de migration légale et l’incapacité des Etats européens à combattre les réseaux criminels qui profitent du trafic de migrants, de la traite des êtres humains et de l’exploitation des migrants. Les Etats ont le droit souverain de décider qui peut entrer et résider sur leur territoire. Les approches adoptées en la matière varient d’un pays à l’autre: en Suède, par exemple, toute personne qui obtient un contrat de travail reçoit un permis de séjour d’une durée correspondant à celle de ce contrat et le problème est donc réduit au minimum. L’Espagne a décidé de régulariser un grand nombre de migrants qui étaient auparavant en situation irrégulière, tandis que, dans un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, la tendance est à la criminalisation et à l’expulsion des migrants en situation irrégulière. Il n’est pas réaliste, cependant, de penser que les Etats pourraient contraindre au départ la totalité des 10 à 15 millions peut-être de migrants en situation irrégulière présents en Europe, ou que ces migrants rentreront volontairement dans leur pays d’origine. Il est donc urgent, d’une part, que les pays d’origine, de transit et de destination se concertent pour prendre des mesures visant à empêcher la poursuite des migrations irrégulières et à lutter contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, et, d’autre part, que les pays d’accueil examinent les options existantes pour régulariser la situation des migrants qui sont déjà en Europe et/ou garantir à ces personnes au moins certains droits minimaux.
87. Le coût le plus élevé des migrations pour les sociétés européennes est sans doute le manque de succès dans l’intégration des migrants, aussi bien en termes d’intégration économique qu’en termes d’intégration sociale.
88. D’après l’OCDE, les progrès de l’intégration des immigrants arrivés pendant les trente dernières années laissent à désirer, de même que ceux des enfants d’immigrants, y compris lorsque ceux-ci sont nés et ont été éduqués dans le pays d’accueil. Ce fait peut être attribué en partie au niveau éducatif en moyenne peu élevé des immigrants dans beaucoup de pays, qui a des incidences défavorables quelle qu’en soit la cause, mais aussi à la transmission intergénérationnelle des désavantages sociaux, phénomène qui s’observe dans toutes les sociétés. Le regroupement géographique et l’isolement social ne font que renforcer le problème. Bien que les enfants d’immigrés aient néanmoins réalisé des progrès importants par rapport au niveau éducatif qui était celui de leurs parents, leur niveau d’études est toujours en moyenne à la traîne de celui des enfants d’autochtones 
			(70) 
			OCDE, Special Focus:
managing labour migration beyond the crisis, SOPEMI 2009, Perspectives
des migrations internationales, p. 202-203..
89. Le taux de chômage des migrants dans l’Union européenne à 27 est en moyenne supérieur de 4,4 points de pourcentage à celui des autochtones et la situation en ce domaine a été gravement exacerbée par la crise économique actuelle. Les femmes immigrées sont particulièrement touchées par le chômage: leur taux de chômage est supérieur de 2,7 points de pourcentage à celui des hommes immigrés. C’est pourquoi un apport net de 100 millions d’immigrants serait nécessaire pour compenser le déficit de 68 millions de naissances: ce chiffre présuppose en effet que près d’un tiers des migrants ne seraient pas en mesure de travailler.
90. En outre, certaines données semblent indiquer que les migrants hautement qualifiés ont du mal à utiliser efficacement leur capital humain, pour diverses raisons comme la non-reconnaissance de leurs qualifications 
			(71) 
			Employment in Europe,
2008., qui les empêche d’accéder aux secteurs ayant besoin de main-d’œuvre.
91. Le manque de respect des droits fondamentaux des migrants, en particulier des migrants en situation irrégulière, est un problème à la fois pour la sécurité des travailleurs et pour leur capacité à contribuer au développement économique de la société hôte. Les problèmes sont particulièrement aigus dans le cas des migrants introduits clandestinement dans un pays par des organisations criminelles et qui forment une sous-classe invisible vivant parfois dans des conditions désespérées, hors d’atteinte de la protection des droits de l’homme ou des autres cadres juridiques ou sociaux du pays d’accueil.
92. Un autre enjeu concerne les attitudes à l’égard des migrants. Le multiculturalisme semble à bien des égards dysfonctionnel d’un point de vue social et très coûteux 
			(72) 
			«Les tendances en matière
de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs
publics», op. cit., p. 27.. Partout en Europe, les migrants sont tenus de s’adapter au pays d’accueil dans pratiquement tous les domaines importants de la vie sociale comme la langue, la législation, les valeurs et les normes, sauf en ce qui concerne les convictions et comportements ayant un caractère purement privé et qui ne sont pas contraires à la loi. Si la diversité est effectivement tolérée sous certaines formes, vestimentaires ou culinaires par exemple, les étrangers sont rarement bien accueillis par la population autochtone et le racisme, l’ethnocentrisme et la xénophobie sont prompts à se manifester en cas de concurrence économique, sociale ou autre entre les groupes. Les immigrants appartenant à des cultures plus éloignées bénéficient rarement d’une aide adéquate, en particulier d’une aide destinée à leur bonne intégration dans le pays d’accueil. Même là où d’énormes efforts ont été déployés, les résultats sont restés inégaux.
93. Les Pays-Bas offrent un exemple de ce type de situation: dans ce pays, en effet, la ségrégation se renforce entre les communautés locales, y compris là où les écoles accueillent des élèves d’origines diverses. Les données d’enquête semblent indiquer que la première génération est mieux intégrée que la suivante 
			(73) 
			Témoignage de Latten
J. à l’Audition de Paris, op. cit. 66, Eurobaromètre 2006..
94. Les mariages mixtes sont aussi un élément qui montre le niveau peu élevé de l’intégration. Le fait que, en Europe de l’Ouest, les enfants de migrants (notamment de migrants originaires de régions ou pays de religion musulmane comme la Turquie, l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud-Est) se marient le plus souvent à l’intérieur de leur groupe d’origine, souvent avec une personne originaire du pays où sont nés leurs parents par exemple, constitue un obstacle grave sur la voie de l’intégration. Toutefois, le lien entre intégration structurelle et intégration identitaire n’est pas toujours aussi direct. Au Royaume-Uni, par exemple, les Indiens obtiennent de très bons résultats à l’école et sur le marché de l’emploi, meilleurs même à certains égards que ceux des Anglais autochtones, mais ils épousent pour la plupart une personne appartenant à leur groupe ethnique. Cependant, les femmes indiennes d’un niveau de qualification élevé montrent une plus forte propension aux mariages mixtes et l’analyse économique des pratiques actuelles de mariage mixte révèle que les migrants qui contractent un mariage de ce type ont des revenus nettement plus élevés que les migrants qui font un mariage endogame, même si l’on tient compte de la dotation en capital humain 
			(74) 
			Lucassen
L. et Laarman Ch. (université de Leiden), «Immigration, intermarriage
and the changing face of Europe in the post war period», The History
of the Family, volume 14, 2009, no 1. Voir le site : <a href='http://www.law.buffalo.edu/baldycenter/pdfs/lucassenoct08.pdf'>www.law.buffalo.edu/baldycenter/pdfs/lucassenoct08.pdf</a>..
95. Au niveau institutionnel, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont tous deux initié de nombreuses activités visant à faciliter l’intégration. Cependant, en pratique, les mesures en faveur de l’intégration sont souvent introduites à l’échelon local, régional ou national plutôt qu’à l’échelon paneuropéen; les politiques d’intégration locales devraient donc bénéficier de la priorité la plus forte. Ces politiques devraient privilégier l’introduction de mesures visant à la fois à intégrer les personnes concernées dans la communauté locale et à prévenir leur exclusion sociale.
96. Les populations autochtones manifestent publiquement un fort scepticisme à l’égard des migrations et des migrants; la question est d’ailleurs devenue une question politique très sensible. Selon une enquête de l’Eurobaromètre 2006, bien que se déclarant conscient des enjeux liés au vieillissement de la population, le public n’est pas favorable en premier lieu à l’option de l’immigration. Dans cette enquête, l’augmentation de l’immigration en provenance des pays extérieurs à l’Union européenne vient en cinquième place dans les réponses (5 % des personnes interrogées se déclarent favorables à cette solution), derrière d’autres mesures comme l’incitation des femmes qui ne travaillent pas à entrer sur le marché du travail (17 %), le développement de l’emploi à plein-temps au lieu de l’emploi à temps partiel (16 %), l’augmentation du taux de natalité (15 %) et le relèvement de l’âge de la retraite (6 %) 
			(75) 
			Eurobaromètre EU-25
2006..
97. Une autre enquête indique qu’en moyenne quatre citoyens de l’Union européenne sur dix considèrent que les immigrants apportent une contribution importante à leur pays, tandis qu’une majorité de citoyens (52 %) ne sont pas d’accord avec cette affirmation. On note, cependant, de fortes différences d’un pays à l’autre. Alors que 79 % des Suédois ont une opinion positive de la contribution des immigrants à la société, seuls 12 % des Slovaques sont de cet avis 
			(76) 
			Commission
européenne, op. cit.. Cela s’explique sans doute par le fait que de nombreuses sociétés européennes n’ont encore que peu ou aucune expérience de l’accueil systématique d’immigrants permanents.
98. Enfin, un obstacle majeur au développement de politiques de l’immigration cohérentes est le désaccord profond entre gouvernements européens sur les avantages et les coûts de l’immigration. Il n’existe pas de point de vue conséquent sur les moyens de gérer les flux migratoires et de faciliter l’intégration économique, sociale et culturelle des migrants. Malgré les efforts qui ont été et sont actuellement déployés tant au niveau du Conseil de l’Europe qu’à celui de l’Union européenne, comme le montrent l’élaboration par le Conseil de l’Europe en 2005 d’une stratégie de gestion des migrations ou le récent Programme de Stockholm de l’Union européenne, ces efforts n’ont pas abouti aux effets recherchés.

4. Vers l’avenir: comment créer une situation à coup sûr gagnante? Pour quelles politiques opter?

99. Le ralentissement économique actuel a fortement modifié le tableau des migrations internationales du travail, au moins à court terme. Néanmoins, la crise sera sans effet sur la réalité et sur la tendance des changements démographiques qui affectent actuellement la plupart des pays européens et qui auront de fortes incidences sur l’économie et la société de ces pays. Les enjeux liés en particulier au vieillissement demeurent et se feront sentir de nouveau lors de la reprise économique 
			(77) 
			OCDE,
op. cit., p. 202..
100. Comme l’avait déjà souligné l’Assemblée en 2004 
			(78) 
			«Les tendances en matière
de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs
publics», op. cit., p. 38., la baisse prévue de la population et la poursuite du vieillissement démographique doivent faire l’objet de politiques démographiques globales et conçues dans une perspective à long terme. Ces politiques devront en partie répondre au nouveau régime démographique de l’Europe mais aussi inclure des mesures à long terme visant à agir sur les tendances en cours. L’ensemble des phénomènes démographiques essentiels – fécondité, longévité et migration – devront être pris en compte.
101. La mobilisation des sources intérieures de main-d’œuvre est certainement le moyen le plus sûr de compenser les effets de la baisse du taux de natalité et du vieillissement démographique. En termes d’action publique, les deux priorités principales devraient être l’accroissement de la fécondité et l’augmentation de la participation à la vie active, de façon à réagir directement à la rapidité des changements démographiques 
			(79) 
			Kupiszewski
M., Bijak J. et Nowok B., op. cit., p. 6.. L’immigration n’est pas et ne peut pas être un moyen adéquat de compenser le «grisonnement» de la population.
102. Le vieillissement démographique sera source de problèmes en ce qui concerne le maintien des systèmes de sécurité sociale et, en particulier, des systèmes de retraite. Il est donc nécessaire d’introduire des politiques réactives qui soient en mesure d’adapter les organismes et processus sociaux à la pyramide des âges qui commence à apparaître, et de modifier les politiques afin de remobiliser les seniors les plus jeunes et de les réintégrer à la force de travail et à la vie sociale en général.
103. Pour renforcer la participation à la vie active, l’Europe doit renoncer à la tendance actuelle au niveau paneuropéen à faire commencer la retraite avant même l’âge de 60 ans. Certains pays ont déjà introduit les changements législatifs nécessaires pour relever l’âge de la retraite. Des incitations devraient aussi être mises en place afin de faciliter l’emploi légal, notamment en abaissant le coût de l’emploi et en libéralisant le code du travail, de façon à permettre aux chômeurs de trouver rapidement un emploi. La suppression des coûts inutiles liés aux licenciements serait un moyen d’inciter de nombreux employeurs et travailleurs de l’économie souterraine à se déclarer et à cotiser aux systèmes de sécurité sociale. Il faudrait aussi continuer à encourager l’emploi des femmes par des mesures incitatives permettant de mieux combiner vie familiale et vie professionnelle. Enfin, le développement de formes atypiques d’emploi répondant aux besoins de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas travailler à plein-temps est nécessaire 
			(80) 
			Ibid., p. 39..
104. S’agissant de la baisse de la population, l’action des pouvoirs publics devra prendre pour cibles les comportements reproductifs. Ramener le taux de fécondité au niveau ou à proximité du seuil de renouvellement des générations nécessitera de traiter les causes fondamentales de la baisse de la fécondité et exigera des changements très importants en termes de valeurs, de relations entre les sexes, de processus économiques, de politiques financières, de planification de l’environnement et d’organisation temporelle de l’ensemble de la vie en relation avec le travail, la parentalité et la retraite 
			(81) 
			«Les tendances en matière
de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs
publics», op. cit., p. 38..
105. La baisse de la population pourra aussi être compensée en partie et de façon temporaire par l’immigration, qui soulève cependant de nombreux problèmes sociétaux. Aujourd’hui déjà, dans la quasi-totalité des pays européens, il est difficile de convaincre le public de la nécessité de poursuivre l’immigration, à la fois à cause des migrations irrégulières et en raison des problèmes d’intégration. La question demeure politiquement sensible et peut facilement être exploitée à des fins électorales. Avec la reprise économique, les flux migratoires internationaux augmenteront certainement et cela posera un défi particulier exigeant la mise en place de politiques pour mieux gérer les mouvements migratoires, mais aussi pour assurer aux immigrants et à leurs enfants des résultats meilleurs qu’auparavant dans le domaine de l’éducation et de l’emploi.
106. Même si les migrations ne constituent que l’un des fils de l’écheveau démographique à démêler à l’aide de mesures adéquates, il est évident que l’Europe a besoin de migrants pour compenser la pénurie de main-d’œuvre qui existe dans certains secteurs et stimuler la productivité économique et la croissance. Il est donc nécessaire que les gouvernements européens définissent aux niveaux international, régional et national une approche globale leur permettant de jauger les implications des politiques dans ce domaine, en évaluant leur impact dans tous les secteurs potentiellement affectés par l’immigration. Cela concernera non seulement les politiques économiques et de l’emploi mais aussi les politiques sociales, en particulier celles qui se rapportent à l’intégration et à l’inclusion sociale, et les droits de l’homme. D’autre part, la dynamique démographique devra être prise en compte lors de l’élaboration des politiques de l’immigration.
107. Les données disponibles à ce jour montrent que les politiques les plus efficaces et les plus durables sont celles qui restent stables dans le temps, c’est-à-dire qui sont approuvées par toutes les forces politiques, bénéficient du soutien de l’opinion publique (notamment parce qu’elles respectent les droits de l’homme) et sont réalistes d’un point de vue financier 
			(82) 
			Botev, «Low fertility:
the future of Europe?», UNFPA, Entre Nous, 2006, volume 63, p. 4-5..
108. Pour être durables, les futures politiques de gestion des migrations en Europe devront satisfaire à un certain nombre de critères. Elles devront en particulier:
  • encourager et attirer les migrations «souhaitées» sur la base des besoins du marché du travail européen;
  • dissuader les migrations «non souhaitées», notamment les migrations irrégulières et la traite des êtres humains;
  • prendre en compte les besoins migratoires à court et à long terme;
  • respecter les normes établies en matière de protection et de droits fondamentaux;
  • favoriser l’intégration des populations immigrées;
  • tenir compte des besoins de développement des pays d’origine des migrants.
109. Premièrement, l’immigration doit être sélective et numériquement adaptée aux besoins du marché de l’emploi et aux capacités d’accueil des pays hôtes. Les sociétés modernes complexes ne peuvent s’adapter, sans connaître ou subir des dissensions ou des troubles sociaux graves, à une immigration indistincte ou massive. L’immigration doit présenter un caractère durable pour le pays d’accueil et contribuer au bien-être, à la sécurité, à la stabilité et à la cohésion de la société.
110. Pour être efficace, une politique des migrations du travail doit impliquer une participation accrue des employeurs à l’identification et à la sélection des immigrants. Une saine gestion des migrations nécessite par conséquent la mise en place de mesures pour inciter les employeurs et les immigrants à respecter les règles, et aussi de sauvegardes afin de protéger les immigrants et les travailleurs nationaux de l’exploitation 
			(83) 
			Discours
de M. Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE, lors de la conférence
organisée pour le lancement des Perspectives des migrations internationales,
Paris, 30 juin 2009..
111. Deuxièmement, l’Europe doit faire face aux défis posés par les migrations irrégulières. Les pays européens ne peuvent évidemment absorber la totalité des pressions migratoires prévisibles ou actuelles. Bien qu’elle se soit améliorée dans une certaine mesure, la gestion du contrôle des frontières doit être rendue plus efficace tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne. D’autre part, des politiques favorisant les voies d’immigration légales devraient être adoptées. Les mesures de restriction ont peu de chances d’être efficaces à 100 % et elles auront probablement un coût à la fois d’un point de vue pratique et du point de vue des droits de l’homme. Des solutions durables devront aussi être trouvées pour les millions de migrants en situation irrégulière qui résident actuellement dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
112. Troisièmement, les migrations doivent être envisagées dans une perspective à la fois à court terme et à long terme. Elles doivent répondre aux besoins changeants à court terme (saisonniers dans certains cas) et aux besoins structurels à long terme. Les besoins de main-d’œuvre futurs seront en grande partie des besoins à long terme. Il est donc illusoire de penser que ces besoins pourront être satisfaits uniquement à l’aide de l’immigration temporaire. L’immigration de travailleurs hautement qualifiés doit être développée afin de compléter l’afflux de travailleurs peu qualifiés, pour lesquels il y aura sans doute aussi une forte demande. La procédure d’admission des chercheurs de pays tiers, adoptée par la Commission européenne en 2005, est un premier pas en ce sens. De tels dispositifs ne devraient pas entraîner de coût pour les pays en développement sous forme de fuite des cerveaux mais bénéficier réellement à toutes les parties. Un assortiment mieux adapté de migrants hautement qualifiés et peu qualifiés pourrait aussi influer de manière positive sur l’idée que le public se fait de l’immigration et l’aider à surmonter ses réticences à l’égard de la poursuite de l’immigration.
113. Quatrièmement, d’importantes préoccupations subsistent en matière de droits de l’homme, pour des raisons à la fois pratiques et à caractère «culturel». L’absence de respect des droits de l’homme s’oppose en pratique à l’applicabilité des mesures d’immigration, tout particulièrement dans les situations de migration irrégulière. Les mesures fondées sur les droits de l’homme ont plus de chances d’être acceptables à long terme, tant pour les migrants que pour la population autochtone. L’argument des droits sera plus facilement accepté si l’on peut montrer qu’il favorise une situation où tout le monde est gagnant, les migrants eux-mêmes mais aussi les pays d’origine et de destination.
114. Cinquièmement, l’immigration ne peut réussir que si les migrants et leurs descendants bénéficient de chances égales de s’intégrer avec succès à l’économie et à la société du pays d’accueil. L’amélioration de l’intégration des migrants constitue par conséquent une priorité pour l’action publique, sans laquelle il n’est pas possible d’imaginer une gestion réussie des migrations dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Les échecs passés et présents exigent une révision générale des politiques et stratégies dans ce domaine, en particulier celles qui concernent les migrants appartenant à des groupes d’origine plus lointaine. La mise en place de nouvelles stratégies actives et pluridimensionnelles d’intégration locale est nécessaire pour éviter le développement de sociétés ethniquement stratifiées. Si les individus décident d’émigrer, c’est pour améliorer leurs conditions de vie et la qualité de leur vie. L’échec de l’intégration, en particulier des migrants de la deuxième et de la troisième génération, peut aboutir à la constitution de ghettos ainsi qu’à la diminution des chances de mobilité sociale ou de participation véritable à tous les aspects de la vie sociale du pays d’accueil.
115. L’intégration des migrants exige aussi que les nationaux acceptent l’identité culturelle et les valeurs des immigrés, dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la loi et n’entrent pas en conflit avec les valeurs européennes fondamentales concernant le développement individuel, l’accès à l’éducation, l’égalité entre les sexes, la dignité humaine, la démocratie et la place de l’individu dans la société en général. Le racisme, l’ethnocentrisme et la xénophobie sous toutes leurs formes, tant parmi les nationaux que parmi les immigrants, doivent être combattus.
116. Obtenir l’assentiment des populations autochtones est particulièrement important: le débat public sur les moyens, les buts et les objectifs des politiques de l’immigration doit se dérouler dans la clarté, de manière constructive et transparente, en évitant toute politisation. Les gouvernements devraient déclarer honnêtement les objectifs qu’ils cherchent à atteindre par leurs politiques d’immigration, comment ils prévoient d’atteindre ces objectifs et de quelle façon ils prévoient de maximiser les avantages et de minimiser les incidences négatives de l’immigration. Ils devraient aussi combattre les mythes et les idées erronées à ce sujet 
			(84) 
			Organisation
internationale pour les migrations, «Comparative study of the laws
in the 27 EU member states for legal immigration»; exposé de l’OIM,
27 mars 2008. . Des questions comme la reconnaissance des qualifications des migrants, la lutte contre les préjugés et les pratiques discriminatoires ainsi que la lutte contre le chômage des femmes immigrées devront également être résolues pour permettre à l’immigration de compenser les lacunes démographiques et celles du marché de l’emploi.
117. Sixièmement, le seul moyen de réduire adéquatement les pressions migratoires des pays en développement est de stimuler le développement économique et social et de soutenir le développement des droits de l’homme dans ces pays. L’Europe pourrait y contribuer en intensifiant fortement ses activités de coopération pour le développement avec les pays d’origine des migrants. Des mesures économiques et culturelles pourraient être requises dans ce contexte afin de compenser les effets de la fuite des cerveaux.
118. Enfin, l’approche démographique des migrations présentée dans ce rapport exige des changements institutionnels majeurs dans toute l’Europe, notamment en ce qui concerne la conception de la citoyenneté, la transparence des procédures, l’accès aux services et organismes publics et l’accès aux éléments constitutifs du bien-être économique.
119. On attribue fréquemment à Auguste Comte, démographe et sociologue français, l’idée selon laquelle «la démographie, c’est le destin». Ce rapport soutient que, si la démographie est bien entendu importante pour les sociétés, l’attention exclusive aux chiffres ne saurait suffire: c’est aux parlementaires qu’il revient de forger notre destin.