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Rapport | Doc. 12461 | 07 janvier 2011

La réconciliation et le dialogue politique entre les pays de l’ex-Yougoslavie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Pietro MARCENARO, Italie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11818, Renvoi 3534 du 29 mai 2009. 2011 - Première partie de session

Résumé

Les efforts récents de réconciliation entre les pays de l’ex-Yougoslavie et leur engagement pour l’établissement de nouvelles relations entre eux et pour l’amélioration de la coopération régionale témoignent d’une plus forte volonté de surmonter les séquelles du passé. Cependant, l’objectif d’une réconciliation complète entre ces paysdépend du succès de la résolution de plusieurs questions pendantes, qui nuisent encore aux efforts de stabilisation dans la région, notamment les personnes disparues, la poursuite des crimes de guerre, les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et les différends sur les frontières.

Il est nécessaire pour tous les gouvernements de la région de renouveler leurs efforts dans la perspective de leur pleine réconciliation et de leur intégration euro-atlantique: trouver une solution à l’impasse constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine, se résoudre à régler tous les différends sur les frontières non résolus par des mécanismes d’arbitrage contraignants, continuer à soutenir le retour et la réintégration des réfugiés, créer une Commission régionale visant à établir la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie (RECOM), renforcer le dialogue interparlementaire et favoriser le changement culturel figurent parmi les actions recommandées.

Le rapport souligne l’importance de renforcer le rôle des parlements nationaux des pays de l’ex-Yougoslavie dans les efforts visant à une réconciliation complète dans la région. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire est décidée à offrir une plate-forme pour ce dialogue, le cas échéant en coopération avec le Parlement européen.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 décembre
2010.

(open)
1. Les conflits qui ont ravagé le territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995 ont été les plus meurtriers qu’a connus l’Europe depuis la seconde guerre mondiale. Ils ont donné lieu à d’abominables crimes de guerre, y compris le génocide, la purification ethnique et le viol, utilisés comme instruments de guerre, et environ 140 000, personnes ont perdu la vie.
2. L’Assemblée parlementaire note que les conflits ont façonné un nouveau panorama politique et institutionnel et ont dessiné une nouvelle géographie humaine avec de profondes transformations démographiques: on compte plus de 300 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et plus de 120 000 réfugiés, qui ne peuvent ou ne veulent pas revenir sur les lieux où ils vivaient avant le déclenchement de la guerre. L’identification des personnes disparues et la mise au jour de charniers se poursuivent, mais près de 14 000 personnes n’ont toujours pas été retrouvées.
3. L’Assemblée soutient les efforts des pays de l’ex-Yougoslavie à se réconcilier et à établir une nouvelle relation entre eux et se félicite de leur engagement à l’égard de la coopération régionale, qui témoigne d’une plus forte volonté de surmonter les séquelles du passé. Elle note avec satisfaction plusieurs exemples positifs d’actions collectives de personnes et de dirigeants de la région en faveur du changement:
3.1. la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’est nettement améliorée au fil des ans et la grande majorité des personnes inculpées ont déjà été remises au TPIY; ce qu’il est convenu d’appeler le «processus Palić» a favorisé le dialogue interétatique et la coopération judiciaire en matière de poursuite des crimes de guerre;
3.2. les relations entre Zagreb et Belgrade se sont renforcées; les chefs d’Etat de tous les pays de l’ex-Yougoslavie ont assisté à une cérémonie commémorative à Srebrenica en juillet 2010 pour commémorer le 15e anniversaire du massacre;
3.3. la mise au jour de charniers et les systèmes d’identification par l’ADN ont permis de faire la lumière sur le sort d’un grand nombre de personnes disparues; en novembre 2010, les Présidents Tadićet Josipovićse sont prononcés pour l’ouverture de toutes les archives sans exception;
3.4. la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la Serbie se sont engagés à mettre en œuvre ce qu’il est convenu d’appeler la «Déclaration de Sarajevo» signée en 2005, par laquelle ces pays ont accepté de trouver une solution aux problèmes des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et des réfugiés, avec l’aide de la communauté internationale;
3.5. en mars 2010, plusieurs pays de l’ex-Yougoslavie ont lancé le «processus de Brdo» et sont convenus de s’entraider et s’investir sans relâche pour régler les différends bilatéraux en cours dans un esprit européen;
3.6. dans la «Déclaration d’Istanbul», signée en avril 2010, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie se sont engagées à surmonter leurs différences historiques et à construire un avenir commun fondé sur la tolérance et la compréhension et sont convenues que la politique régionale devrait reposer sur la garantie de la sécurité et le dialogue politique permanent;
3.7. des dispositions ont été prises dans l’ensemble de la région pour adopter des mesures contre les discriminations et des conseils des minorités nationales ont également été créés en Bosnie-Herzégovine et en Serbie pour représenter les droits et les intérêts des minorités.
3.8. plusieurs Etats commencent à accepter que des instances extérieures interviennent pour arbitrer les désaccords relatifs aux frontières, la Croatie et la Slovénie constituant un précédent positif;
4. L’Assemblée salue tout particulièrement l’initiative prise récemment par une coalition d’organisations non gouvernementales de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de Serbie de créer une commission régionale visant à établir la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie (RECOM) chargée de recueillir des informations sur tous les crimes perpétrés pendant les guerres afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble des victimes.
5. Malgré les progrès notables réalisés ces dernières années, l’Assemblée considère que la situation varie considérablement selon les pays et que l’efficacité des réformes politiques reste souvent en deçà des attentes.
6. En outre, l’Assemblée constate avec préoccupation que le discours public sur la guerre et ses séquelles varie d’un pays à l’autre et que cela peut être une source potentielle de haine et de conflit. Elle considère que, de la même façon que le conflit ethnique et la guerre civile ne sont pas naturels, mais sont des tragédies provoquées par l’homme, leur prévention et leur règlement ne vont pas se produire automatiquement non plus. Les dirigeants doivent être compétents, déterminés et visionnaires dans leurs engagements pour la paix.
7. L’Assemblée estime que des efforts renouvelés de la part de tous les gouvernements de la région sont nécessaires en vue de leur véritable réconciliation et intégration euro-atlantique. Elle invite donc les pays de l’ex-Yougoslavie concernés:
7.1. à faire en sorte que la question des personnes disparues reste une priorité, ouvrir leurs archives et fournir les fonds nécessaires aux initiatives de la société civile qui cherchent à établir des registres des victimes des conflits afin de surmonter les blessures du passé;
7.2. à garantir une pleine et entière coopération avec le TPIY pour les poursuites pour crime de guerre, accorder la priorité à trouver et arrêter les fugitifs qui courent toujours et garantir la protection totale des témoins;
7.3. à intensifier la coopération technique afin d’établir des statistiques claires correspondant au retour des réfugiés et à l’intégration locale et à continuer d’apporter leur assistance pour favoriser le retour et la réintégration des réfugiés dans leur lieu d’origine, ou le cas échéant, pour l’intégration dans leur lieu d’accueil, en coopération avec la communauté internationale, en privilégiant la promotion de l’accès aux droits de base, notamment le droit au logement, à l’éducation, à la santé, à l’emploi et aux services sociaux;
7.4. à se résoudre à régler tous les différends sur les frontières non résolus et, le cas échéant, s’engager à faire appel à un mécanisme d’arbitrage contraignant;
7.5. à mettre en place des mesures pour garantir une mise en œuvre efficace des lois antidiscriminatoires et la protection des minorités;
7.6. à soutenir les initiatives transfrontalières, populaires et de la société civile visant à réconcilier les citoyens de différents pays;
7.7. à soutenir la constitution d’une commission régionale pour la vérité et la réconciliation, avec la participation de tous les pays impliqués dans les conflits, en vue de parvenir à une compréhension mutuelle des événements du passé et de rendre hommage à l’ensemble des victimes.
8. En ce qui concerne la situation en Bosnie-Herzégovine, l’Assemblée regrette que, lors des élections législatives du 3 octobre 2010 des restrictions – fondées sur l’origine ethnique et le lieu de résidence – aux droits de suffrage actif et passif aient encore été appliquées, et que l’impasse constitutionnelle continue de faire obstacle à l’évolution du pays vers une démocratie à part entière qui pourrait être responsable de ses propres affaires. Elle réitère donc ses recommandations à la Bosnie-Herzégovine:
8.1. de prendre d’urgence des mesures pour respecter ses engagements en tant que membre du Conseil de l’Europe et engager des réformes d’envergure, y compris des réformes constitutionnelles et assurer une conformité totale avec la décision de décembre 2009 de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine, faisant plein usage des recommandations de la Commission de Venise;
8.2. d’œuvrer pour le renforcement du fonctionnement de ses institutions démocratiques étatiques afin de parvenir à un état totalement viable susceptible de gérer efficacement les défis de l’intégration euro-atlantique et de progresser vers la fermeture du Bureau du Haut représentant.
9. L’Assemblée souligne que la perspective d’une intégration dans l’Union européenne reste une motivation importante pour le succès du processus de réconciliation dans la région. Prenant note que les pays de l’ex-Yougoslavie sont dans des situations différentes face à ce processus et que les progrès faits par rapport à l’adhésion à l’Union européenne varient grandement, elle estime que l’Union européenne peut donner l’impulsion politique nécessaire et exercer son influence en faveur d’un dialogue, notamment par le biais du Service européen pour l’action extérieure, en coopération avec les autres acteurs pertinents présents dans la région. L’Assemblée encourage donc l’Union européenne:
9.1. à promouvoir un processus à l’échelle régionale, dissocié du processus d’adhésion et de préadhésion, afin d’aider les pays dans leurs efforts pour un règlement efficace des questions et problèmes qui persistent vers une normalisation totale de la région;
9.2. à coopérer étroitement avec le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Conseil de coopération régionale qui disposent des instruments juridiques et de l’expertise pour résoudre les questions non résolues.
10. L’Assemblée est convaincue que le dialogue interparlementaire devrait être encouragé au niveau régional et souligne l’importance de renforcer le rôle des parlements nationaux des Etats de l’ex-Yougoslavie dans les efforts visant à une réconciliation complète dans la région. Pour sa part, l’Assemblée est décidée à offrir une plate-forme pour ce dialogue, le cas échéant en coopération avec le Parlement européen.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 15 décembre
2010.

(open)
1. Se référant à sa Résolution …(2011) sur la réconciliation et le dialogue politique entre les pays de l’ex-Yougoslavie, l’Assemblée parlementaire est d’avis que l’objectif d’une réconciliation complète entre ces pays est étroitement lié à la résolution de plusieurs questions pendantes qui nuisent encore aux efforts de stabilisation dans la région, notamment les personnes disparues, la poursuite des crimes de guerre, les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et les différends sur les frontières.
2. L’Assemblée estime également qu’il est essentiel de promouvoir et d’encourager un discours public sur la guerre qui soit dégagé de toute rhétorique nationaliste, notamment dans l’éducation destinée aux jeunes générations.
3. Dans cette perspective, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
3.1. de prier instamment tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à continuer de fournir une assistance financière afin de transformer les plans d’action existants tournés vers la recherche d’une solution durable pour les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, en actions concrètes;
3.2. d’apporter toute l’aide et le soutien nécessaires à l’action des écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe, notamment à Belgrade, Pristina et Sarajevo, pour engager les élites politiques et autres dans le dialogue et intensifier les efforts dans la région en vue de favoriser la coopération sur toutes les questions non résolues et de renforcer le caractère pluriethnique de ces milieux;
3.3. d’encourager le changement culturel en soutenant l’action des acteurs locaux, chercheurs et ONG visant à développer une vision plus pluraliste et partagée des événements passés et récents, notamment en examinant la possibilité d’organiser une table ronde avec des historiens reconnus de la région autour de quelques dates clés de l’histoire;
3.4. de continuer de soutenir les travaux pertinents du Conseil de l’Europe dans les régions de conflit et de postconflit sur la révision et la conception de manuels d’apprentissage, l’organisation de séminaires pour enseignants et l’identification de sources, et d’envisager d’élargir ces activités à d’autres domaines;
3.5. d’encourager les Gouvernements de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de Serbie à soutenir activement l’établissement d’une commission régionale pour la vérité et la réconciliation;
3.6. d’assurer l’exécution complète et rapide du jugement de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine.

C. Exposé des motifs, par M. Marcenaro, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Plus de quinze années ont passé depuis la fin des conflits qui ont ravagé le territoire de l’ex-Yougoslavie 
			(3) 
			Le
rapporteur utilise le terme d’«ex-Yougoslavie» pour décrire le territoire
connu sous le nom de République fédérale socialiste de Yougoslavie
(RFSY) jusqu’au 25 juin 1991. . Le présent rapport a pour objet d’examiner les relations bilatérales entre les Etats issus de l’ex-Yougoslavie et de réfléchir à ce que le Conseil de l’Europe pourrait apporter au processus de réconciliation et au dialogue politique dans la région. Il m’est apparu dès le départ que nous ne devions pas être des protagonistes et que la réconciliation ne peut pas être imposée. Il s’agit au contraire d’accompagner et de faciliter les initiatives émanant des citoyens, des gouvernements et des ONG des Etats de l’ex-Yougoslavie. J’ai l’intention de mettre l’accent sur les mesures positives prises au niveau politique pour surmonter les séquelles du passé et favoriser la réconciliation entre les pays voisins.
2. Par défaut, tous les Etats issus de la République fédérale socialiste de Yougoslavie (RFSY) seront plus ou moins évoqués dans le présent exposé des motifs, mais, en réalité, l’accent sera essentiellement mis sur les relations entre la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie et, dans une certaine mesure, le Monténégro.
3. Je n’ai pas souhaité aborder ici la question du Kosovo 
			(4) 
			Toute
référence au Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse de
son territoire, de ses institutions ou de sa population, doit être
entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo. en détail. L’Assemblée parlementaire l’a évoquée dans d’autres documents et je renvoie le lecteur à l’excellent rapport de M. Björn von Sydow sur la situation du Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe 
			(5) 
			Doc. 12281.. Le Conseil de l’Europe applique une politique de neutralité quant au statut du Kosovo et, dans sa Résolution 1739 (2010) sur la situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe, l’Assemblée a souligné que l’attention de l’Organisation devait essentiellement se porter non pas sur le statut mais sur les normes. Cela étant, la question du statut du Kosovo a un impact sur les relations entre les Etats de l’ex-Yougoslavie et sera prise en compte de ce point de vue, c’est-à-dire en tant qu’élément de stabilité de la région tout entière. Par ailleurs, si le présent rapport porte uniquement sur les conséquences des guerres survenues entre 1991 et 1995, le conflit survenu ultérieurement au Kosovo a une incidence sur certaines données statistiques qui y figurent.
4. Une description des différentes étapes de l’élaboration du présent rapport pourrait s’avérer utile. J’ai été désigné rapporteur le 22 juin 2009. La commission des questions politiques a été invitée par la délégation serbe auprès de l’Assemblée à tenir sa réunion de commission au Parlement serbe les 6 et 7 septembre 2010. Le 6 septembre, elle a eu un échange de vues avec des ministres du gouvernement et le président du parlement. L’après-midi, la sous-commission sur la prévention des conflits par le dialogue et la réconciliation a organisé une audition sur la «Consolidation de la paix dans les pays de l’ex-Yougoslavie», lors de laquelle j’ai pu présenter une note introductive sur le sujet. Plusieurs ONG ont ensuite exposé leur point de vue, ainsi que M. Dorić, qui présentera à l’Assemblée un rapport intitulé «L’obligation des Etats membres du Conseil de l’Europe de coopérer pour réprimer les crimes de guerre» 
			(6) 
			Doc. 12454. lors de la partie de session de janvier 2011. J’ai profité de cette occasion pour me rendre à Belgrade les 7 et 8 septembre 2010, où j’ai rencontré des ministres du gouvernement, des parlementaires et des représentants du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et de plusieurs ONG.
5. Je me suis ensuite rendu à Zagreb les 28 et 29 octobre 2010 et en Bosnie-Herzégovine les 22 et 23 novembre, où je me suis entretenu avec des parlementaires, des représentants de l’Etat, des représentants du bureau du procureur général et de la Cour d’Etat, le médiateur, plusieurs membres d’ONG, des représentants d’organisations internationales et des représentants des médias. J’ai aussi rencontré les délégations croate et serbe auprès de l’Assemblée lors de la partie de session de juin 2010 et la délégation slovène lors de la partie de session d’octobre 2010 à Strasbourg. Enfin, je me suis rendu à Bruxelles les 29 et 30 novembre 2010 afin de discuter de mon rapport avec des acteurs clés de l’Union européenne et de participer à une audition sur «Les droits de l’homme dans les Balkans occidentaux» organisée par la Sous-Commission droits de l’homme du Parlement européen. Les discussions que j’ai eues avec mes collègues et interlocuteurs m’ont été d’une très grande utilité pour le présent rapport.

2. Surmonter les séquelles de la guerre

6. Les conflits qui ont ravagé le territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995 ont été les plus meurtriers qu’a connus l’Europe depuis la seconde guerre mondiale. Ils ont donné lieu à d’abominables crimes de guerre, y compris le génocide, la purification ethnique et le viol utilisés comme instruments de guerre. Ils ont provoqué des déplacements de population massifs dans la région et au-delà. Selon les estimations, les conflits ont coûté la vie à environ 140 000 personnes, dont un quart ont été portées disparues 
			(7) 
			Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) et Commission internationale
sur les personnes disparues (CIPD) – estimations 2010.. Quinze ans après la fin de la guerre, on compte encore 340 808 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et plus de 120 000 réfugiés, qui ne peuvent ou ne veulent pas revenir sur les lieux où ils vivaient avant le déclenchement de la guerre. L’identification des personnes disparues et la mise au jour de charniers se poursuivent; près de 14 000 personnes n’ont toujours pas été retrouvées.
7. Il ne faut pas oublier qu’en ex-Yougoslavie la transition postconflit a également coïncidé avec une transition postcommuniste et qu’elle a consisté en une véritable construction étatique, au sens strict du terme. Les fondements sur lesquels reposent la démocratie, l’Etat de droit, le dialogue politique et les droits de l’homme n’étaient pas encore vraiment posés et les pays issus de la dissolution de l’ex-Yougoslavie étaient notamment confrontés à la tâche d’améliorer leur gouvernance démocratique tout en recréant un climat de confiance mutuelle et de stabilité dans la région.
8. Lorsque mes collègues et moi-même avons déposé, le 22 janvier 2009, la proposition de résolution qui a conduit à la rédaction de ce rapport, les relations entre les Etats de l’ex-Yougoslavie semblaient fragiles et les profondes blessures causées par les conflits paraissaient ne jamais pouvoir se refermer. Vu de l’extérieur, en effet, si l’intégration des Etats de l’ex-Yougoslavie au sein de l’Union européenne semblait progresser et le dialogue avec Bruxelles s’améliorer, leurs relations bilatérales étaient au point mort, voire se dégradaient. Les ambassadeurs des pays voisins étaient soit rappelés, soit expulsés, et nous étions particulièrement préoccupés par les déclarations publiques et les discours véhéments des politiciens nationalistes qui tendaient à renforcer les anciennes divisions.
9. Cependant, j’ai été encouragé par ce que j’ai vu lors de mes visites dans la région. J’ai trouvé que, depuis que la commission s’était engagée dans ce projet, les gouvernements concernés avaient fait de nombreux pas en avant, qui témoignaient d’une plus forte volonté de surmonter les blessures du passé. Les exemples de personnes qui travaillaient ensemble pour faire évoluer la situation étaient très nombreux. Ainsi, les relations entre Zagreb et Belgrade se sont renforcées, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie se sont engagées à surmonter leurs différences historiques lors de la promulgation de la Déclaration d’Istanbul et les Etats commencent à accepter que des instances extérieures interviennent pour arbitrer les désaccords relatifs aux frontières. Des progrès considérables ont été accomplis dans la région et cette évolution positive devrait être reconnue et encouragée par la communauté internationale.
10. Cependant, cela ne doit pas nous empêcher d’examiner les problèmes qui subsistent dans la région, notamment l’impasse constitutionnelle, qui continue de faire obstacle à l’évolution de la Bosnie-Herzégovine vers une démocratie à part entière, et la question des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) qui restent le témoignage le plus visible des conflits.

3. Nationalisme, origine ethnique et Etats civiques

11. Les conflits dans l’ex-Yougoslavie se sont caractérisés par des violences interethniques et par des transferts de population massifs entre les nouveaux Etats issus de l’ex-Yougoslavie, de nombreuses personnes ayant été déplacées de force ou ayant fui vers des Etats voisins où elles pensaient être mieux protégées.
12. A la fin des conflits, la solution défendue par la communauté internationale était le concept d’Etats civiques: les citoyens et les responsables publics devaient prêter allégeance aux institutions publiques nouvellement formées plutôt qu’au groupe ethnique auquel ils étaient censés appartenir.C’était en principe sur cette base positive que l’on pensait engager le processus de consolidation de la paix dans la région. Cependant, dans la pratique, les minorités ont souvent fait l’objet de discriminations ou n’ont pu participer à la vie publique comme elles auraient dû pouvoir le faire, ce qui a entravé la réconciliation dans la région. C’est particulièrement le cas en Bosnie-Herzégovine, où l’architecture constitutionnelle complexe dans laquelle elle s’est retrouvée après l’Accord de paix de Dayton en 1995 a facilité la tenue d’élections selon des considérations ethniques.En outre, les minorités et tous ceux qui n’appartiennent pas aux «trois peuples constituants» (les Bosniaques, les Croates et les Serbes) ne peuvent se présenter aux élections à la Chambre des peuples ou à la présidence, ce qui a récemment été jugé contraire à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) 
			(8) 
			Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine,
Requêtes nos 27996/06 et 34836/06, arrêt du 22 décembre 2009..
13. Des mesures ont toutefois été prises dans l’ensemble de la région pour lutter contre les discriminations. Tous les Etats sont parties à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) et au Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177), qui interdit notamment la discrimination fondée sur la race, la couleur, la langue, l’origine nationale ou sociale et l’appartenance à une minorité nationale. La Croatie, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie et la Bosnie-Herzégovine ont ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148). «L’ex-République yougoslave de Macédoine» l’a signée mais ne l’a pas encore ratifiée.
14. Des lois antidiscriminatoires ont été adoptées en Croatie (2008), en Bosnie-Herzégovine (2009), en Serbie (2009), dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» (2010) et au Monténégro (2010). Des conseils des minorités nationales ont également été créés en Bosnie-Herzégovine et en Serbie pour représenter les droits et les intérêts des minorités. L’adoption de ces lois constitue une évolution positive car elles contribuent à faire en sorte que les minorités soient représentées et que leur voix soit entendue. Dans des pays autrefois déchirés par les violences interethniques, il s’agit-là d’un progrès essentiel.

4. Principales questions entravant la réconciliation et le dialogue politique

4.1. Les personnes disparues 
			(9) 
			Informations
et chiffres fournis au rapporteur par le bureau de la CIPD de Sarajevo.

15. A la suite des conflits armés des années 1990 dans les Balkans occidentaux, on estime à 40 000 le nombre de personnes portées disparues. Aujourd’hui, la lumière a été faite sur le sort de quelque 26 000 personnes et 14 000 environ sont toujours portées disparues dans la région. Alors que les gouvernements de la région ont tous accompli des progrès considérables en la matière, ceux réalisés en Bosnie-Herzégovine méritent une mention particulière étant donné que, à ce jour, la lumière a été faite sur le sort des deux tiers des personnes disparues.
16. Il a été dit que la région des Balkans occidentaux a aussi mis à profit le système d’identification par l’ADN de la Commission internationale des personnes disparues (CIPD). Sur le nombre de personnes disparues mentionnées ci-dessus, la CIPD a apporté son aide à la Serbie, à la Bosnie et au Kosovo et, dans une moindre mesure, à la Croatie en se servant de l’ADN pour procéder à des identifications précises de personnes disparues. Les quelque 14 000 personnes toujours portées disparues seront plus difficiles à retrouver. La CIPD estime que le processus se trouve dans une impasse virtuelle en Croatie et au Kosovo, tant pour des raisons techniques que politiques.

4.1.1. Bosnie-Herzégovine

17. En Bosnie-Herzégovine, le processus tend à présent à ralentir, la lumière ayant été faite sur le sort de la majorité des personnes disparues. Il sera particulièrement difficile de chercher et de retrouver les personnes disparues lors du conflit en Bosnie-Herzégovine pour tous les cas autres que Srebrenica. Pour ce qui concerne Srebrenica proprement dit, on estime à 1 600 le nombre de personnes toujours portées disparues; toutefois, en raison de l’existence de centaines de sites secondaires de charniers, il faudra peut‑être des années pour retrouver les restes des personnes déjà identifiées et enterrées. La création de fichiers centraux par l’Institut des personnes disparues (IPD) de Bosnie-Herzégovine sera d’un grand secours pour la CIPD pour tenter de comprendre comment traiter au plan stratégique les cas des personnes toujours portées disparues en Bosnie-Herzégovine.
18. La CIPD a apporté son aide à la Bosnie-Herzégovine en créant, en 2005, l’Institut des personnes disparues (IPD). Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a également aidé les autorités bosniaques à renforcer la capacité de l’IPD au niveau de l’Etat; il a publié une liste de noms de personnes toujours portées disparues sur son site web.
19. L’IPD est une institution indépendante chargée de soutenir, d’accélérer et de coordonner le processus de recherche des personnes disparues en Bosnie-Herzégovine dans le respect des principes universels des droits de l’homme et indépendamment des origines religieuses ou nationales de ces personnes. Toutefois, depuis sa création, l’IPD est constamment soumis à des pressions politiques dans son travail, en raison de la détérioration de la situation politique du pays et de la tendance des institutions de l’Etat à déléguer leurs compétences aux entités. Ainsi, immédiatement après que l’IPD fut devenu opérationnel en 2008, le gouvernement de l’entité de la Republika Sprska a tenté de revenir à un dispositif de recherche, centré sur l’entité, en se dotant de sa propre équipe opérationnelle de recherche de personnes disparues, appartenant en l’occurrence à un seul groupe.
20. L’IPD affirme que, depuis deux ans, la manipulation politique de la question des personnes disparues est plus grave qu’elle ne l’a jamais été au cours de la décennie précédente. Assurer la pérennité et la poursuite d’un processus non discriminatoire dans la recherche de personnes disparues constitue un défi tout particulier dans ce pays où l’on assiste à une résurgence du nationalisme agressif. La réussite de structures au niveau de l’Etat, comme l’IPD, et l’adoption d’une loi sur les personnes disparues, qui transcendent les visées nationalistes et abordent les problèmes sous un angle universel, sont les seuls moyens de rendre aux proches des personnes disparues l’espoir durable de trouver des réponses.

4.1.2. Croatie

21. D’après le Gouvernement de la Croatie, près de 2 000 personnes sont toujours portées disparues. Désireuse de soutenir la Croatie dans son programme d’analyses ADN à petite échelle, la CIPD a lancé un projet conjoint d’identification par l’ADN en collaboration avec le ministère croate de la Famille, des Vétérans et de la Solidarité intergénérationnelle et son Bureau des personnes détenues et des personnes disparues. Le projet a été lancé officiellement en novembre 2004, après la signature d’un accord définissant les conditions de la coopération dans les affaires intéressant à la fois la Croatie et la Bosnie-Herzégovine.
22. Conformément aux conclusions de la 11e Conférence régionale sur les personnes disparues de la CIPD, qui s’est tenue début 2010, un accord a été conclu entre les représentants du Gouvernement croate et la CIPD pour élargir le Projet conjoint d’identification.
23. Le Bureau croate des personnes détenues et des personnes disparues diffuse régulièrement des rapports sur ses activités auprès des associations des familles de personnes disparues de Croatie et de Serbie. Ces familles sont également informées des conclusions des réunions communes dudit bureau et de la Commission serbe sur les personnes disparues, ainsi que des réunions trilatérales auxquelles participent des représentants de l’IPD de Bosnie-Herzégovine.

4.1.3. Serbie

24. La coopération entre la Serbie et la CIPD pour régler la question des personnes portées disparues est restée positive depuis 2001. En conséquence, plus de 1 400 dépouilles ont été retrouvées sur le territoire de la Serbie depuis 2001. En 2010, la Commission serbe et l’IPD en Bosnie-Herzégovine ont travaillé ensemble sur le site du lac Perućac, ce qui a permis ainsi de retrouver les restes de près de 97 personnes sur les deux rives bosniaque et serbe du lac.
25. A ce jour, cinq réunions sur la coopération entre la Bosnie-Herzégovine, la Serbie et la Croatie se sont tenues sous les auspices de la CIPD et du CICR. Ces réunions ont abouti à une amélioration de la coopération et de l’échange d’informations entre ces trois pays, ainsi qu’à une augmentation du nombre d’identifications par l’ADN grâce à l’échange en question.

4.1.4. Développements récents

26. J’ai été heureux d’apprendre que, lors d’une réunion tenue à Vukovar le 4 novembre 2010, le Président serbe Tadić et le Président croate Josipović ont déclaré vouloir faire la lumière sur le sort des personnes disparues pendant les conflits des années 1990 et sont convenus que beaucoup restait à faire pour réconcilier les deux Etats. Le 10 mars 2010, lors de la présentation de la deuxième édition de l’ouvrage du CICR concernant les personnes disparues sur le territoire de la République de Croatie, Jadranka Kosor, Premier ministre croate, invoquant l’appel «Nemojmo ih zaboraviti!» («Ne les oublions pas!»), a promis au nom de son gouvernement de redoubler d’efforts pour mener à terme la recherche des personnes disparues. Je me félicite aussi des récentes déclarations des Présidents Tadić et Josipović, qui se sont entretenus à Zagreb le 24 novembre 2010 et ont déclaré que la question des personnes disparues était leur priorité. A cette fin, les deux présidents ont préconisé l’ouverture des archives.

4.2. Les réfugiés et les personnes déplacées à long terme

27. Les guerres de l’ex-Yougoslavie ont entraîné des mouvements de population massifs. Entre 1991 et 1995, plus de 2 millions d’habitants de Bosnie-Herzégovine et de Croatie ont été déplacés, tant à l’intérieur qu’en dehors de la région. Depuis la fin des conflits en 1995, bon nombre d’entre eux ont décidé de s’installer de manière permanente sur les lieux de leur exil, et les autres sont retournés dans leurs foyers et communautés.
28. Cependant, une solution doit encore être trouvée pour le presque demi-million de réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays restant (PDI). La plupart d’entre eux ne disposent pas de logements adéquats, vivent dans la pauvreté et sont sans emploi. Leur intégration dans leur nouveau cadre de vie n’a d’ailleurs pas toujours été facilitée par les autorités. Beaucoup continuent de vivre dans des centres collectifs dans des conditions épouvantables. Quinze ans après la fin des conflits, le problème est particulièrement préoccupant en Serbie, qui continue d’accueillir 82 603 réfugiés, dont la grande majorité a fui la Croatie (61 186). D’après le Gouvernement serbe, 204 753 PDI sont venues s’ajouter à ce chiffre depuis le conflit du Kosovo. De même, la Bosnie-Herzégovine doit encore résoudre le problème posé par la présence de 113 465 PDI sur son territoire 
			(10) 
			Ce
chiffre a été fourni au rapporteur par le Bureau du HCR à Belgrade
selon des estimations établies le 30 juin 2010. .

Tableau 1 Réfugiés et PDI à la suite des conflits de l’ex-Yougoslavie 
			(11) 
			Ce
tableau a été établi à partir des statistiques fournies au rapporteur
par le HCR (septembre 2010).

Etat

Réfugiés

PDI

Total

Bosnie-Herzégovine

7 064

113 465

120 529

Croatie

986

2 199

3 185

Monténégro

16 451 
			(12) 
			Le Gouvernement du Monténégro
considère les 10 996 réfugiés du Kosovo comme des PDI.

0

16 451

Serbie

82 603

204 753 
			(13) 
			Chiffre fourni par le
Gouvernement serbe au HCR.

287 356

Kosovo

233

19 399

19 632

«L’ex-République yougoslave de Macédoine»

1 564

621

2 185

Total

108 901

340 437

449 338

29. Le HCR prête son assistance aux personnes qui souhaitent retourner chez elles. Cependant, de nombreux obstacles s’opposent au retour de ces personnes, notamment les faibles perspectives économiques, le manque d’information, les entraves juridiques au recouvrement de leurs biens, sans parler de l’hostilité de la population locale.

4.2.1. Bosnie-Herzégovine

30. A la fin du conflit, afin d’atténuer le problème du logement des réfugiés et des PDI, la communauté internationale a aidé la Bosnie-Herzégovine à récupérer les logements qu’elle possédait avant-guerre, dans le cadre du Plan de mise en œuvre de la législation sur la propriété 
			(14) 
			Voir «PLIP Inter-Agency Framework
Document» (2000) et «New Strategic Direction» (2002).. Ce plan a été largement complété en 2003 et, depuis lors, près de 200 000 logements, répartis à peu près à parts égales entre logements sociaux et logements privés, ont été rendus à leurs occupants d’avant-guerre. Ce dispositif a facilité le retour dans leur foyer d’environ 1 million de personnes, soit près de la moitié de la population déplacée par le conflit 
			(15) 
			Voir
«Résolution des problèmes de propriété des réfugiés et des personnes
déplacées», Doc. 12106 de
l’Assemblée – commission des migrations, des réfugiés et de la population,
p. 16.. Malgré cela, il reste actuellement 113 465 personnes déplacées en Bosnie-Herzégovine.
31. S’agissant du problème des réfugiés croates en Bosnie-Herzégovine, leur nombre se situait, selon les estimations, entre 40 000 et 45 000 au plus fort du conflit. Beaucoup ont décidé de retourner en Croatie et seulement 6 951 d’entre eux sont restés en Bosnie-Herzégovine. Les rapatriements volontaires se poursuivent bien que les candidats soient peu nombreux (975 retours en 2006, 466 en 2007, 425 en 2008 et 620 en 2009). Parmi ceux qui ne sont pas partis, la plupart ont l’intention de rester en Bosnie-Herzégovine et le HCR vient en aide aux plus démunis.Un nombre notable de PDI et de rapatriés demeure dans une situation précaire (vivant dans des conditions inadaptées) et ont besoin d’une aide permanente. On compte environ 7 500 PDI qui vivent toujours dans des centres collectifs et se trouvent dans une situation extrêmement vulnérable. Le 28 novembre 2010, Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, s’est rendu dans le centre collectif pour personnes déplacées de Lukavica, près de Sarajevo, et il est gravement préoccupé par les mauvaises conditions de vie qui y règnent. Il a déclaré ceci: «Il est inacceptable que, quinze ans après la fin de la guerre, plus de 7 000 personnes, pour beaucoup âgées et en mauvaise santé, continuent d’occuper des logements qui ne seraient pas considérés comme humains dans l’Europe actuelle. Les normes relatives aux droits de l’homme de la Charte sociale européenne sont totalement applicables à ces personnes.»
32. Cependant, les besoins dépassent de loin les ressources disponibles. Il convient de redonner un nouveau souffle à la coopération intergouvernementale dans la région et de redoubler d’efforts pour permettre à quelque 7 000 réfugiés de trouver des solutions durables. Clore le chapitre du déplacement prolongé en Bosnie-Herzégovine s’avère crucial pour la stabilité du pays et de la région tout entière, et pour aider le pays à avancer sur la voie de l’intégration européenne.

4.2.2. Croatie

33. Environ 550 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur de la Croatie à partir de 1991-1992. Dans le même temps, 400 000 réfugiés de Bosnie-Herzégovine ont fui en Croatie. On estime que 120 000 d’entre eux, essentiellement d’origine croate, ont demandé la nationalité croate. Récemment, le Gouvernement croate a pris des mesures pour aider les réfugiés non croates à acquérir la nationalité et, depuis mars 2009, des réfugiés non croates venus de Bosnie-Herzégovine ont pu obtenir un statut légal et entamer le processus de naturalisation dans des conditions préférentielles, pourvu qu’ils aient résidé en Croatie pendant plus de cinq ans. Tous les réfugiés ont droit à une aide au logement et ont accès au marché du travail.
34. Le nombre de réfugiés et de PDI est nettement inférieur aujourd’hui à ce qu’il était dans les années 1990. J’ai été informé que des solutions allaient être mises en place pour loger les 986 réfugiés et les 2 199 PDI restants sur le territoire.
35. Le plus grand problème rencontré par la Croatie est de loin celui des personnes souhaitant revenir de Serbie. Les autorités croates ont enregistré plus de 132 400 rapatriés appartenant à la minorité serbe.
36. Des retards importants ont été constatés dans la restitution des biens immobiliers des personnes revenues de Serbie qui vivaient avant la guerre dans des logements privés, retards qui ont été jugés contraires à la Convention européenne des droits de l’homme 
			(16) 
			Kunić c. Croatie, Requête no 22344/02,
arrêt du 11 janvier 2007, Radanović c.
Croatie, Requête no 9056/02, arrêt du 21 décembre 2006.. Cependant, le processus de restitution des biens privés est aujourd’hui globalement achevé et quelque 20 000 biens immobiliers ont été récupérés, principalement par des Serbes. Dans le même temps, le Gouvernement croate a dégagé des ressources pour la reconstruction de 146 000 maisons ou appartements.
37. Cela étant, aucune solution juridique n’a été proposée aux quelque 30 000 familles serbes qui ont dû fuir des logements sociaux et qui, de ce fait, ont été privées de leurs droits d’occupation/de propriété. Environ 6 400 familles sont toujours en attente d’une réponse à leur demande. Le 8 novembre 2010, la décision du Comité européen des Droits sociaux sur le bien-fondé de la réclamation adressée par le Centre sur les droits au logement et les expulsions (COHRE) contre la Croatie (réclamation no 52/2008) a été rendue publique. Le comité a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 16 de la Charte sociale européenne (droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique) à la lumière de la clause de non-discrimination du préambule en raison de l’absence de mise en œuvre efficace et en temps utile des programmes de relogement des familles déplacées désireuses de rentrer en Croatie, ce qui avait constitué un sérieux obstacle au retour.
38. Lors de ma visite à Zagreb, des représentants de l’Etat m’ont informé d’une loi adoptée en septembre 2010, qui offre la possibilité aux anciens titulaires de droits d’occupation/de propriété d’acquérir les appartements qui leur ont été alloués dans le cadre du Programme d’attribution de logements lorsqu’ils sont situés en dehors des «zones d’intérêt prioritaire pour l’Etat» 
			(17) 
			La République
de Croatie considère certaines parties de son territoire comme des
zones d’intérêt prioritaire pour l’Etat; la population et les entreprises
qui y sont implantées ont le droit de bénéficier de mesures incitatives.
Sont notamment concernées les zones sous-développées à la suite
du conflit ainsi que les zones défavorisées sur le plan économique
structurel.. Cependant, la crise économique a interrompu l’ensemble des programmes. Si les rapatriés ne considèrent plus la situation en matière de sécurité comme une source de préoccupation majeure, la situation sociale et économique dans les zones touchées par la guerre demeure problématique 
			(18) 
			HCR, note d’information,
«Refugee protection and humanitarian work in Croatia: an overview
of UNHCR’s operations in the past 19 years», septembre 2010..
39. Selon les données fournies par le HCR (septembre 2010), les 80 000 réfugiés croates encore enregistrés dans les pays voisins rappellent que la fermeture du dossier des réfugiés demeure un enjeu humanitaire et politique important dans la région.

4.2.3. Serbie

40. Selon le HCR, à la fin des conflits, la Serbie accueillait quelque 520 000 réfugiés, dont 44 % avaient fui la Bosnie-Herzégovine et 56 % avaient fui la Croatie. Parmi ceux-ci, 145 000 seraient retournés en Bosnie-Herzégovine et en Croatie et entre 250 000 et 370 000 auraient été naturalisés par la Serbie. Il resterait 82 603 réfugiés sur le territoire, dont 72 % seraient originaires de Croatie. Selon les études menées par le HCR et le commissaire serbe pour les réfugiés, certains jugent important de conserver leur statut de réfugié pour pouvoir bénéficier de l’assistance à la reconstruction de logements dans leur pays d’origine et des programmes d’aide au logementproposés en Serbie. Cependant, on estime que seulement 5 % des réfugiés restants envisagent de retourner dans leur pays d’origine.
41. Les réfugiés comptent parmi les personnes les plus vulnérables de Serbie. Bon nombre d’entre eux sont toujours hébergés dans les 42 centres collectifs répartis sur l’ensemble du territoire serbe. Le taux de chômage des réfugiés est beaucoup plus élevé que celui de la population générale. Lors de ma visite à Belgrade, j’ai été informé de la manière dont les partis nationalistes extrémistes cherchaient à exploiter la situation tragique des réfugiés.

4.2.4. La recherche d’une solution

42. Le 31 janvier 2005, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, et ce qui était alors la Serbie-Monténégro ont signé la «Déclaration de Sarajevo», par laquelle ils sont convenus de trouver une solution au problème des PDI et des réfugiés d’ici à la fin 2006 
			(19) 
			Déclaration,
Conférence ministérielle régionale sur le retour des réfugiés (Sarajevo,
janvier 2005).. Des «feuilles de route» ont été établies pour chacun des Etats parties, mais peu de mesures ont été prises par la suite pour trouver une solution durable. La Conférence internationale consacrée à la recherche de solutions durables pour les réfugiés et les personnes déplacées s’est tenue à Belgrade le 25 mars 2010 et des ministres de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, du Monténégro et de Serbie y ont participé. Une réunion de suivi a ensuite été organisée le 16 septembre 2010 à Podgorica, lors de laquelle des propositions concrètes ont été formulées. Une conférence internationale de donateurs aura lieu en décembre 2010 afin d’examiner la possibilité de créer un fonds multidonateurs chargé de contribuer au financement des processus de retour ou d’intégration locale des réfugiés et des PDI, à la fermeture des centres collectifs et à la fourniture d’une assistance aux plus nécessiteux. L’Union européenne, le HCR et l’OSCE siégeront ensemble pour soutenir ce projet.
43. Les réfugiés et les PDI constituent le témoignage le plus visible des horreurs et des graves injustices perpétrées pendant les conflits. J’ai été informé par plusieurs interlocuteurs que les partis extrémistes exploitaient souvent les difficultés de ces derniers, notamment en Serbie, pour servir leurs propres intérêts. Une réconciliation complète ne sera possible dans la région que lorsque les nombreux problèmes découlant des déplacements de population auront été résolus.
44. J’estime qu’il est grand temps qu’une solution soit trouvée pour les quelque 450 000 réfugiés et PDI restants. J’encourage les gouvernements des Etats concernés à consacrer leur énergie à mettre en œuvre les plans d’action élaborés à la suite de la reprise de la Déclaration de Sarajevo. J’exhorte par ailleurs la communauté internationale à fournir l’assistance financière nécessaire à la réalisation concrète des plans et à faire en sorte qu’après tant d’années de souffrances, les victimes de la guerre puissent enfin s’établir quelque part. Une solution doit être trouvée pour les réfugiés et les PDI non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi pour assurer la stabilité dans la région.

4.3. Les «personnes radiées» de Slovénie: un problème résolu

45. Après la dissolution de la RFSY, 171 132 citoyens des anciennes républiques yougoslaves vivant en Slovénie ont acquis la nationalité de ce nouvel Etat. Cependant, près de 26 000 personnes, principalement des ressortissants des anciennes républiques yougoslaves, ont été radiées du registre des résidents permanents de Slovénie en 1992, en application d’une loi adoptée à la suite de la dissolution de la Yougoslavie. Ces personnes n’avaient pas demandé la nationalité slovène dans les délais impartis ou, dans un nombre limité de cas, n’avaient pas obtenu la nationalité à la suite de leur demande 
			(20) 
			Kurić et autres c. Slovénie, Requête
no 26828/06, arrêt du 13 juillet 2010.. Beaucoup sont parties et un petit nombre a été expulsé, principalement des officiers de l’Armée nationale yougoslave ou des membres de leur famille. Les personnes qui sont restées ont connu des difficultés pour accéder à un logement, à un travail, aux soins de santé, aux services de base et à la sécurité sociale.
46. Le Gouvernement slovène a tenté de remédier à cette anomalie en 1999 en adoptant la loi régissant le statut juridique des ressortissants de l’ancienne RFSY résidant en République de Slovénie.Cependant, la loi ne donnait que trois mois aux ressortissants étrangers pour se faire enregistrer et, à la suite d’une réclamation déposée par le médiateur, elle a été annulée en 2003 par la Cour constitutionnelle pour anticonstitutionnalité 
			(21) 
			Décision
no U-I-246/02-28 du 3 avril 2003.. Un arrêt rendu en juillet 2010 par la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le traitement par la Slovénie des «personnes radiées» était une violation de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(22) 
			Kurić et autres c. Slovénie, Requête
no 26828/06, arrêt du 13 juillet 2010.. La Cour a conclu que la Slovénie devait adopter une loi pour réglementer la situation de plusieurs milliers de personnes dont on a estimé qu’elles relevaient de la catégorie des «personnes radiées» et leur délivrer rétroactivement un permis de résidence permanente.
47. L’Assemblée nationale slovène a adopté la loi modifiant la loi régissant le statut juridique des ressortissants de l’ancienne RFSY résidant en République de Slovénie le 8 mars 2010. Entrée en vigueur le 24 juillet 2010, cette nouvelle loi prévoit, sous certaines conditions, la restauration de l’ancien statut de résident et l’enregistrement, avec effet rétroactif, en tant que résidents permanents de tous les ressortissants de l’ex-Yougoslavie dont les noms ont été effacés du registre de la population en 1992. Des titres de séjour permanents seront également délivrés aux «personnes radiées» qui ne vivent pas en Slovénie s’il est établi que pendant la procédure, elles étaient absentes pour des raisons fondées n’invalidant pas la condition de résidence effective telle que définie par la loi 
			(23) 
			Rapport
du Groupe de travail sur l’examen périodique universel: Slovénie,
23 mars 2010, document des Nations Unies no A/HRC/14/15/Add.1 et
autres informations fournies par la délégation slovène à l’Assemblée
parlementaire le 2 novembre 2010. .

4.4. Les négociations sur les frontières territoriales

48. Du fait de l’histoire complexe de l’ex-Yougoslavie, plusieurs processus de négociation sont en cours entre les différents Etats au sujet des frontières territoriales, question qui est inextricablement liée à celle des droits des minorités. En effet, les Etats sont récemment convenus de résoudre leurs conflits sur les frontières. Ainsi, un accord d’arbitrage pour la résolution du conflit sur les frontières a été conclu à Stockholm le 4 novembre 2009 entre le Gouvernement de la Slovénie et le Gouvernement de la Croatie. Les deux parlements ont ratifié l’accord et les lettres de ratification ont été échangées le 25 novembre 2010.
49. De même, la Croatie et le Monténégro ont également accepté de saisir la Cour internationale de justice pour régler leurs différends sur les frontières et coopèrent actuellement dans le cadre de l’élaboration de leurs observations. Il existe également des différends sur les frontières entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, entre la Croatie et la Serbie et entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, qui doivent être réglés pour faciliter et offrir un cadre solide à la réconciliation dans la région.
50. L’expérience passée a montré que le processus de préadhésion à l’Union européenne n’a pas été à même d’apporter des solutions à ces problèmes; en effet, l’acquis communautaire ne comprend aucune compétence en matière de différends sur les frontières ou de droits des minorités. Cependant, les répercussions potentielles de l’absence de frontières clairement définies sur la politique régionale et les perspectives d’élargissement sont considérables.
51. Je partage donc le point de vue de certains commentateurs 
			(24) 
			European
Policy Centre, A bridge over troubled
borders: Europeanising the Balkans, novembre 2010. – que j’ai aussi rencontrés à Bruxelles, lors de ma visite du 29 novembre 2010 – selon lequel l’Union européenne pourrait promouvoir un processus à l’échelle régionale, dissocié du processus d’adhésion, afin de créer un contexte plus propice au dialogue, en tirant parti de l’influence de la haute représentante Catherine Ashton pour persuader Belgrade et Pristina d’accepter de participer à des négociations bilatérales.
52. L’Union européenne devrait solliciter les organisations pertinentes présentes en ex-Yougoslavie, à commencer par le Conseil de l’Europe, l’OSCE et le Conseil de coopération régionale (CCR), et établir une coordination avec d’autres acteurs internationaux afin de résoudre les questions complexes liées à la persistance des problèmes concernant les frontières. Le Conseil de l’Europe, en particulier, s’est fait le chantre de normes et de principes extrêmement élaborés en matière de démocratie et de protection des minorités. Les droits des minorités doivent être intégrés et les problèmes en la matière résolus en trouvant des solutions créatives et démocratiques concernant les institutions et les administrations, en particulier dans les zones frontalières et multiethniques.

4.5. L’impasse constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine

53. La Bosnie-Herzégovine est au cœur de la question de la réconciliation et les divisions ethniques y sont encore fortes. Les élections législatives tenues dans le pays le 3 octobre 2010 ont toutefois témoigné d’un certain progrès. La campagne électorale s’est déroulée dans un climat pacifique et le vote et le comptage des voix le jour du scrutin se sont effectués dans le calme et de manière organisée. Cependant, la commission ad hoc du bureau dont je faisais partie a conclu qu’une fois encore, des restrictions – fondées sur l’origine ethnique et le lieu de résidence – aux droits de suffrage actif et passif tels qu’imposés par les Accords de Dayton avaient été appliquées. En tant que tel, le cadre juridique actuel demeurait contraire à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, à l’article 3 du Protocole no 1 et à l’article 1 du Protocole no 12.
54. Depuis que la Bosnie-Herzégovine a adhéré au Conseil de l’Europe en 2002, l’Assemblée a maintes fois appelé à la mise en œuvre d’une réforme constitutionnelle pour améliorer le fonctionnement des institutions démocratiques de l’Etat, se mettre en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme et accélérer les réformes nécessaires pour assurer le respect des engagements et obligations non encore honorés.
55. Dans sa Résolution 1701 (2010) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Bosnie-Herzégovine, adoptée en janvier 2010, l’Assemblée a exhorté les principaux acteurs de la scène politique à s’associer à un dialogue digne de ce nom et constructif sur des propositions concrètes d’amendements à la Constitution, afin d’adopter un ensemble complet de réformes, éliminant notamment la discrimination constitutionnelle envers les prétendus «autres» et les membres des peuples constituants ne résidant pas dans l’entité où leur groupe ethnique est largement représenté, avant la convocation des élections législatives d’octobre 2010. Elle a renouvelé ce message dans sa Résolution 1725 (2010) sur le besoin urgent d’une réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine, adoptée en avril 2010.
56. Les élections ont mis en lumière la difficulté à former un gouvernement capable d’engager des réformes politiques et économiques. Je déplore vivement que la réforme constitutionnelle n’ait pas été mise en place à temps pour être appliquée aux élections d’octobre. Cela étant, le Conseil de l’Europe a été invité par les autorités de Bosnie-Herzégovine à participer aux réunions du groupe de travail chargé de préparer la réforme constitutionnelle, compte tenu de l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur le sujet.
57. Comme indiqué par le Comité des Ministres en septembre 2010, les forces politiques du pays devraient travailler de manière constructive pour arriver à un consensus visant à remédier de toute urgence à cette situation très sérieuse et permettant de faire avancer la réforme constitutionnelle le plus rapidement possible 
			(25) 
			Voir
la réponse du Comité des Ministres à la Recommandation 1914 (2010) de l’Assemblée
sur le besoin urgent d’une réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine
(Doc. 12368)., et visant à éviter que le pays ne s’enfonce dans un conflit latent et gelé.
58. Je pense qu’il est nécessaire de trouver un nouvel équilibre entre la vie multiculturelle, la «démocratie ethnique» et l’égalité des droits des trois grandes communautés – les grandes lignes de l’Accord de paix de Dayton – et les principes généraux de démocratie et d’égalité des citoyens, qui sont incompatibles avec une base ethnique. Cela requiert prudence, patience, sagesse, courage et détermination.
59. La situation politique et la dynamique interne en Bosnie-Herzégovine ont une influence considérable sur les relations et le dialogue politique dans l’ensemble de la région. Le pays doit sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve et œuvrer pour mettre en place une administration fonctionnelle. Les hommes politiques serbes de Bosnie, croates de Bosnie et bosniaques souffriront tous politiquement si la Bosnie-Herzégovine reste à la traîne par rapport au reste de la région.
60. La communauté internationale et l’Union européenne en particulier doivent accompagner ce processus de changement progressif par des mesures visant à renforcer un Etat décentralisé efficace avec des institutions démocratiques qui fonctionnent sur l’ensemble du territoire.

5. Accepter le passé et se tourner vers l’avenir

5.1. Etablir les responsabilités individuelles: enquêter sur les crimes de guerre et en poursuivre les auteurs

61. La justice et l’établissement des responsabilités pour les crimes de guerre commis lors des conflits survenus sur le territoire de l’ex-Yougoslavie sont des conditions préalables essentielles à toute réconciliation régionale. Les poursuites à l’encontre des responsables des crimes les plus graves ont été initialement engagées par le TPIY, institué par le Conseil de sécurité des Nations Unies en 1993 pour traduire en justice les auteurs de violations graves du droit humanitaire international. Depuis sa création, il a mis 161 personnes en examen et obtenu la condamnation de plus de 64 criminels de guerre 
			(26) 
			Site web du TPIY consulté le
5 novembre 2010.. Ce faisant, il a permis de recueillir des informations historiques concernant les crimes commis pendant les années 1990.
62. Lorsque le TPIY a été créé, les juridictions nationales n’étaient soit pas disposées, soit incapables d’assumer ce processus, et les autorités nationales ne se montraient pas toujours coopératives avec le tribunal. Cependant, la coopération s’est nettement améliorée au fil des ans et la grande majorité des personnes inculpées ont aujourd’hui été remises au TPIY. Notamment, l’arrestation et la remise au TPIY par les autorités serbes en 2008 de Radovan Karadžić, qui dirigeait la Republika Srpska pendant la guerre, montrent que les principaux acteurs s’efforcent de surmonter les séquelles du passé. A ce jour, deux inculpés, Ratko Mladić et Goran Hadžić, sont toujours en liberté.
63. Le TPIY devrait avoir achevé la plupart de ses procès et procédures de recours d’ici fin 2013. Le tribunal n’a jamais eu compétence exclusive pour juger les responsables des crimes commis: il la partage avec les juridictions nationales des pays concernés. C’est pourquoi, avant de fermer ses portes, le TPIY aide les juridictions nationales à développer leurs capacités pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre. En règle générale, il m’est apparu que les autorités étaient disposées à continuer les poursuites au niveau national 
			(27) 
			Je
me suis entretenu le 7 septembre 2010 avec Vladimir Vukčević, procureur
serbe chargé des crimes de guerre, le 29 octobre 2010 avec Mladen
Bajić, procureur général de la République de Croatie, et le 22 novembre
2010 avec Mezdida Kreso, présidente de la Cour d’Etat de Bosnie-Herzégovine..
64. En effet, de telles poursuites sont importantes. L’Assemblée a souligné dans sa Résolution 1564 (2007) sur les poursuites engagées pour les crimes relevant de la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie que «la justice est un élément indispensable du processus de réconciliation pour les victimes, les communautés et les pays concernés, et qu’il est essentiel de lutter avec détermination contre l’inacceptable impunité» 
			(28) 
			Voir
également le Doc. 11281 de
l’Assemblée (rapporteur: M. Tony Lloyd, Royaume-Uni, SOC).. Le processus de poursuites nationales a entraîné des avancées importantes. Par exemple, en avril 2009, une enquête dans le cadre de l’affaire Bukovica au Monténégro a été achevée et sept officiers ont été mis en examen pour avoir expulsé des civils bosniaques en 1992. Le Gouvernement monténégrin a accepté un règlement à l’amiable, qui consistait à dédommager les survivants et les victimes de ces expulsions 
			(29) 
			Voir
Commission européenne, Monténégro 2009, Rapport de suivi, Com (2009)
533, p. 18..
65. Le processus de jugement des crimes commis pendant la guerre par les juridictions nationales a également obligé les Etats concernés à coopérer entre eux. Par exemple, ce qu’il est convenu d’appeler le «processus Palić» a favorisé le dialogue interétatique et la coopération judiciaire dans le domaine de la poursuite des crimes de guerre, en réunissant des acteurs de l’administration publique et judiciaire de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, du Monténégro et de Serbie.
66. Cela étant, le processus n’a pas été mené sans difficultés, ce qui a parfois suscité l’inquiétude de l’Assemblée 
			(30) 
			Voir Doc. 11281.. Le rapport de M. Jean-Charles Gardetto sur la protection des témoins, pierre angulaire de la justice et la réconciliation dans les Balkans 
			(31) 
			Voir Doc. 12440., attire l’attention sur les difficultés causées par la protection insuffisante des témoins dans la région. Il fait observer que les dépositions des témoins ont été indispensables pour permettre au TPIY et aux juridictions nationales de mener à bien leur mission. Les témoins ont apporté une contribution essentielle à la justice et à la réconciliation dans la région. En effet, leurs témoignages constituent non seulement une base pour les jugements des tribunaux, mais révèlent aussi aux habitants de la région et d’ailleurs la vérité sur les crimes commis. Cependant, bien que, récemment, la protection des témoins ait été fortement améliorée, beaucoup décident de ne pas témoigner en raison des menaces et des intimidations qui pèsent sur eux et qui les font craindre pour leur sécurité. Ainsi, tant que la protection et le soutien nécessaires aux témoins ne seront pas assurés, les poursuites ne pourront pas être menées à bien, la justice ne pourra pas être rendue et la réconciliation ne pourra pas être pleine et entière.
67. M. Miljenko Dorić, dans son rapport sur l’obligation des Etats membres du Conseil de l’Europe de coopérer pour réprimer les crimes de guerre 
			(32) 
			Voir Doc. 12454., explique comment certaines procédures judiciaires menées par les juridictions nationales n’ont pu être menées à bien du fait de l’émigration de plus de 100 inculpés hors du territoire de l’ex-Yougoslavie dans l’espoir d’échapper à la justice. Certaines demandes d’extradition ont été acceptées, tandis que d’autres ont été rejetées. Les Etats d’accueil ont une obligation d’extrader les personnes soupçonnées de crimes de guerre ou d’enquêter sur les crimes qu’ils ont commis. Pour M. Dorić, il s’agit d’éviter qu’à mesure que la zone d’impunité disparaît dans les Balkans, elle ne soit pas remplacée par une autre zone d’impunité ailleurs dans le monde.
68. J’exhorte les membres de l’Assemblée à soutenir les projets de résolution et de recommandation déposés par MM. Gardetto et Dorić. Les Etats de l’ex-Yougoslavie devraient bénéficier de toute l’assistance nécessaire pour traduire en justice les auteurs de crimes commis pendant la guerre.

5.2. Tentatives pour déterminer les responsabilités des Etats: requêtes devant la Cour internationale de justice

69. Dans le cadre des requêtes déposées devant la Cour internationale de justice (CIJ), des tentatives ont été entreprises pour établir la responsabilité des Etats dans les crimes commis en ex-Yougoslavie. En février 2007, la CIJ a rendu un arrêt dans le cadre de la requête présentée par la Bosnie-Herzégovine contre ce qui était alors la Serbie-Monténégro pour violations de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide 
			(33) 
			Application de la Convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-Monténégro), arrêt du 26 février 2007.. La cour a considéré qu’un génocide avait bien été commis à Srebrenica, mais que la Serbie n’en était pas responsable. Elle a néanmoins conclu que la Serbie avait violé ses obligations au titre de la convention pour ne pas avoir empêché les actes commis et pour ne pas avoir traduit les auteurs en justice.
70. La Croatie a également déposé une requête devant la CIJ contre la Serbie pour violations de la convention contre le génocide. En janvier 2010, la Serbie a présenté ses observations écrites sur l’affaire et déposé une demande reconventionnelle contre la Croatie pour crimes de génocide contre la Serbie. L’affaire est pendante, mais des discussions sont en cours entre les Gouvernements serbe et croate en vue de parvenir à un règlement à l’amiable (voir aussi ci-après).

5.3. Le discours public sur la guerre

71. Bien que les arrêts du TPIY et de la CIJ aient, dans une certaine mesure, révélé la vérité historique, il n’est pas rare que des responsables politiques utilisent une rhétorique nationaliste, particulièrement en période électorale, ce qui a pour effet de déformer la vérité sur ce qui s’est passé pendant la guerre. Comme me l’a indiqué l’un de mes interlocuteurs, il appartient aux responsables politiques de la région de remplacer les discours incitant à la haine et à la discrimination par des discours invitant au rapprochement et à la réconciliation.
72. Par ailleurs, plusieurs déclarations publiques encourageantes ont été formulées récemment, ce qui témoigne d’une attitude plus conciliante dans la région. En mars 2010, le Parlement serbe a adopté une résolution condamnant le massacre de 8 000 musulmans bosniaques à Srebrenica en 1995 et reconnaissant que la Serbie aurait dû faire davantage pour l’éviter. En outre, les chefs d’Etat de tous les pays de l’ex-Yougoslavie, y compris le Président serbe Tadić, ont assisté à une cérémonie commémorative à Srebrenica en juillet 2010 pour commémorer le 15e anniversaire du massacre.
73. En avril 2010, Ivo Josipović, Président de la Croatie, s’est adressé aux deux chambres du Parlement de Bosnie-Herzégovine. Dans son allocution, il a souligné la nécessité de promouvoir la coopération régionale, présenté ses condoléances aux victimes de la guerre et exprimé ses regrets pour le rôle joué par la Croatie dans le conflit.
74. Le 4 novembre 2010, le Président Tadić s’est rendu à Vukovar (Croatie), la ville la plus ravagée par la guerre, et a déposé une gerbe à Ovcara, une ferme où des membres de groupes paramilitaires et de l’Armée du peuple yougoslave (JNA) ont abattu plus de 200 prisonniers croates en 1991. Avec son homologue croate, le Président Josipović, il a également visité le village de Paulin Dvor, près d’Osijek, où des civils serbes, essentiellement des femmes et des personnes âgées, ont été tués pendant la guerre. A cette occasion, le Président Tadić a déclaré: «Le Président de la Croatie et moi-même avons le devoir et l’obligation de transformer l’ensemble du processus dont la dimension tragique s’est révélée dans les années 1990 en un processus de réconciliation et de meilleure compréhension. Pour que cela soit possible, il importe d’établir la vérité sur les événements survenus pendant les années 1990, afin qu’aucun coupable ne demeure impuni, qu’aucun innocent ne soit injustement condamné et que toutes les incertitudes concernant les personnes recherchées à ce jour soient levées.» Le 15 novembre 2010, Milorad Dodik, Président de la Republika Srpska, en Bosnie-Herzégovine, s’adressant aux députés de l’Assemblée nationale, a également déploré «chaque vie innocente perdue des deux côtés» durant la guerre en Bosnie-Herzégovine.
75. Certains des représentants d’ONG que j’ai rencontrés à Sarajevo appellent les dirigeants à présenter des excuses pour le tort causé et, en outre, à des actions concrètes qui donnent suite à ces déclarations et gestes et les confirment. Ils demandent des enquêtes approfondies et la divulgation des faits sur ce qui s’est passé récemment et plaident en faveur de l’ouverture des archives. Ils affirment qu’il est nécessaire de recueillir des informations sur tous les crimes perpétrés afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble des victimes et de s’assurer que de tels actes ne seront plus commis à l’avenir.

5.4. L’enseignement de l’histoire de la guerre

76. En dépit de nombreux signes positifs, plusieurs interlocuteurs rencontrés pendant mes visites en Serbie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine ont reconnu que le discours public sur la guerre demeurait cloisonné, chaque pays ayant sa propre vérité et sa propre interprétation du conflit. Je suis convaincu que cela peut être une source de haine et de conflit futur. Comme indiqué par le philosophe Raimon Panikkar, une paix durable nécessite plus qu’un désarmement nucléaire, militaire ou économique. La paix ne peut être obtenue que par un désarmement culturel, ce qui exige d’abandonner toute recherche d’absolution au profit d’une véritable réconciliation fondée sur le dialogue interculturel permanent 
			(34) 
			Raimon Panikkar, Cultural disarmament, Westminster
John Knox Press, 1995. .
77. Par conséquent, il est selon moi essentiel de promouvoir et d’encourager un discours public sur la guerre qui soit dégagé de toute rhétorique nationaliste, notamment dans l’enseignement destiné aux jeunes générations. Plusieurs ONG de la région ainsi que de nombreux collègues parlementaires, notamment mon collègue croate M. Gvozden Flego, président de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, partagent mon avis. Comme l’a souligné l’Assemblée dans sa Recommandation 1880 (2009) sur l’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de postconflit 
			(35) 
			Voir Doc. 11919., l’enseignement de l’histoire peut être un instrument pour soutenir la paix et la réconciliation ainsi que la tolérance et la compréhension. Une approche aux perspectives multiples, plutôt qu’une interprétation unique des événements, encouragera les élèves à respecter la diversité et la différence culturelles. Plus précisément, l’Assemblée a invité les Etats membres à financer de manière suffisante et continue les travaux de recherche sur l’histoire, en particulier ceux des commissions multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine, et recommandé au Comité des Ministres de continuer de soutenir les travaux du Conseil de l’Europe, dans les zones de conflit et de postconflit, sur la révision et la conception des manuels scolaires et des manuels pour enseignants, sur l’organisation de séminaires d’enseignants et l’identification des documents sources. Je souscris pleinement à ces recommandations et ne peux qu’encourager l’ensemble des gouvernements européens, notamment les gouvernements des pays de l’ex-Yougoslavie, à les mettre pleinement en œuvre.
78. Bien que l’Assemblée ait aussi évoqué la possibilité d’élaborer des manuels communs, les obstacles sont nombreux et les blessures encore ouvertes. D’après ce que j’ai également ressenti au cours des conversations que j’ai eues avec mes interlocuteurs dans la région, la guerre est encore récente et il faudra du temps pour parvenir à une compréhension et à une interprétation communes des événements. En effet, pour favoriser une amélioration des relations interethniques et une réconciliation durables, l’enseignement de l’histoire doit se fonder sur des études approfondies et refléter les points de vue des différents groupes nationaux et ethniques résidant dans la région 
			(36) 
			Voir aussi Résolution du Parlement européen
du 24 avril 2009 sur la consolidation de la stabilité et de la prospérité dans
les Balkans occidentaux (2010/C 184 E/21)..
79. Lors de mes recherches, j’ai eu connaissance de plusieurs projets intéressants de coopération et d’échanges entre universités et historiens de la région, qui méritent d’être mentionnés. Par exemple, le Centre pour la démocratie et la réconciliation en Europe du Sud-Est a développé un «projet d’histoire commune» visant à encourager le débat, à célébrer la diversité et à reconnaître les souffrances et les réalisations partagées par une approche participative de l’enseignement de l’histoire. Il s’agit de permettre aux élèves et aux enseignants de développer la compréhension et les compétences nécessaires à l’établissement d’une paix durable et d’un avenir démocratique. A long terme, ce projet a pour but de rompre avec l’enseignement ethnocentrique de l’histoire en évitant les stéréotypes, en identifiant les attitudes vectrices de conflits, en proposant d’autres méthodes d’enseignement et en diffusant l’idée selon laquelle un même événement peut faire l’objet d’interprétations multiples.
80. J’ai également eu le plaisir d’apprendre que le Conseil de l’Europe a organisé avec les autorités slovènes, dans le cadre de l’Alliance des civilisations des Nations Unies, une conférence intitulée «Réforme des méthodes et de la pédagogie de l’enseignement de l’histoire en Europe du Sud-Est» en décembre 2010. Réunir des enseignants et des formateurs d’enseignants pour mener une réflexion commune peut être opportun, même dans des situations très difficiles. Il vaut mieux mettre l’accent sur ce qui unit, plutôt que sur ce qui divise, et sur l’histoire sociale et culturelle plutôt que sur l’histoire politique 
			(37) 
			Des lignes directrices pour l’élaboration
et l’évaluation de manuels d’histoire destinés aux établissements
primaires et secondaires de Bosnie-Herzégovine ont également été
publiées en 2005. . Un exemple pour lequel une telle approche a eu un impact en Bosnie-Herzégovine s’incarne dans les «Guidelines for writing and evaluation of history and geography textbooks for primary and secondary schools in Bosnia and Herzegovina» (lignes directrices pour la rédaction et l’évaluation des manuels d’histoire et de géographie pour les classes primaires et secondaires en Bosnie-Herzégovine) développées par le biais d’un processus de consultation minutieux, à la fois auprès d’experts et de politiciens, avec le support des missions du Conseil de l’Europe et de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine, qui ont été publiées en 2005.
81. J’estime que le Conseil de l’Europe devrait soutenir les activités menées par les acteurs locaux pour développer une vision plus pluraliste des événements passés et présents. Il pourrait aussi organiser des conférences et des tables rondes avec des historiens reconnus de la région autour de quelques dates clés de l’histoire. Enfin, un recueil d’articles pourrait être constitué pour compléter la documentation existante.
82. Concernant le système éducatif et les relations interethniques, j’ai été informé, au cours de ma visite en Bosnie-Herzégovine, les 22 et 23 novembre 2010, que le nombre d’écoles divisées (en vertu du système de «deux écoles sous un même toit») avait baissé. La séparation des enfants selon des critères ethniques au sein d’un même établissement ou l’enseignement de programmes différents selon le groupe ethnique continuent néanmoins de poser problème. Lors de ses discussions avec les autorités de l’Etat et des Entités en novembre 2010, le commissaire Hammarberg a noté qu’il importait de mettre fin à la ségrégation scolaire et déclaré que «la politique de séparation des enfants bosniaques et croates dans les écoles ne sert qu’à renforcer les préjugés et l’intolérance et à perpétuer l’isolement ethnique. Les mesures destinées à unifier le système éducatif n’ont que trop tardé. Les systèmes éducatifs divisés et fondés sur l’ethnie ne sont pas compatibles avec les normes du Conseil de l’Europe et constituent un obstacle au retour durable des personnes déplacées après la guerre de 1992-1995». J’encourage vivement toutes les autorités publiques de Bosnie-Herzégovine à mettre fin à cette pratique sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine et à élaborer un programme unique pour tous les enfants du pays.

5.5. La proposition d’instituer une commission «vérité»

83. Les commissions «vérité et réconciliation» ont montré qu’elles pouvaient fortement contribuer à la consolidation de la paix dans le monde et dans les régions qui sortent de conflits. L’Assemblée a reconnu, dans sa Résolution 1613 (2008) – Exploiter l’expérience acquise dans le cadre des «commissions vérité» que «surmonter les épreuves du passé, établir la vérité et promouvoir la réconciliation dans les sociétés en transition déchirées par la guerre ou au lendemain des conflits sont des conditions essentielles si l’on veut garantir une paix durable et un avenir stable qui permettent l’instauration de la démocratie, et le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit».
84. Je partage les conclusions formulées par M. Andreas Gross, dans le document «Exploiter l’expérience acquise dans le cadre des commissions vérité» 
			(38) 
			Doc. 11459., selon lesquelles «l’expérience internationale démontre que les commissions vérité peuvent être un instrument efficace pour faire face aux violations passées des droits de l’homme, identifier leurs racines et leurs causes et promouvoir des réformes nécessaires visant à éviter que de tels abus se reproduisent. En permettant aux victimes d’être entendues, les commissions vérité peuvent faciliter leur réinsertion dans la vie civile et favoriser ainsi la réconciliation. Elles peuvent également jouer un rôle utile en complément de la justice pénale, mais ne peuvent et ne sauraient être considérées comme une alternative à cette dernière».
85. Plusieurs tentatives de créer de telles commissions dans différentes régions des Balkans ont échoué. En mars 2001, dans l’espoir de surmonter les blessures du passé dans les Balkans, les autorités de ce qui était alors la République fédérale de Yougoslavie ont institué une commission vérité et réconciliation. Malheureusement, à cette époque, les autorités n’étaient pas véritablement prêtes à affronter raisonnablement le passé. Pour beaucoup, la commission a échoué en raison de son manque de crédibilité, dû au fait qu’elle avait été constituée sans consultations préalables suffisantes et sans le soutien nécessaire de la société civile.
86. Seule une commission, la Commission de Srebrenica, instituée par la Republika Srpska, en Bosnie-Herzégovine, a réussi à établir des faits incontestables. Dans son rapport final publié en 2004, les autorités reconnaissaient pour la première fois publiquement que leurs forces de sécurité avaient tué plus de 7 000 musulmans bosniaques à Srebrenica. Bien que ces conclusions soient capitales, elles ne représentent qu’une partie des événements survenus pendant le conflit en ex-Yougoslavie.
87. Une coalition d’environ 950 ONG de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de Serbie a proposé la création d’une commission régionale visant à établir la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie (RECOM 
			(39) 
			La
commission des questions politiques a procédé à un échange de vues
avec deux organisatrices de l’initiative RECOM, Natasa Kandić, directrice
du Centre de droit humanitaire de Belgrade, et Vesna Terselić, directrice
du Centre Documenta (Centre for Dealing with the Past) de Zagreb
lors de l’audition sur la «Consolidation de la paix dans les pays de
l’ex-Yougoslavie» organisée le 6 septembre 2010 à Belgrade par la
sous-commission sur la prévention des conflits par le dialogue et
la réconciliation. J’ai par ailleurs rencontré M. Mirsad Tokaca,
directeur du Centre de recherche et de documentation, et Mme Fadila
Memisević, présidente de la Société pour les personnes menacées,
à Sarajevo, le 22 novembre 2010. ). Elle aurait pour objet de rassembler les éléments établis par le TPIY et par les juridictions nationales chargées de poursuivre les auteurs de crimes de guerre. Cependant, cette initiative n’est en soit pas suffisante pour recenser l’ensemble des faits survenus pendant les conflits armés de l’ex-Yougoslavie. Selon les promoteurs de l’initiative RECOM, seule une instance entièrement consacrée aux victimes de crimes de guerre serait susceptible d’enquêter et de révéler la vérité sur tous les faits survenus dans un passé récent. Pour ces derniers, il serait nécessaire de recueillir des informations sur tous les crimes perpétrés afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble des victimes et de s’assurer que de tels actes ne seront plus commis à l’avenir.
88. De nombreuses victimes vivent toujours dans la pauvreté sans espoir d’améliorer leur existence. Les organisateurs de l’initiative RECOM estiment qu’il y a très peu d’empathie et de solidarité envers les victimes de la part des autres groupes ethniques et que le dialogue sociétal sur le passé est quasiment inexistant. C’est pourquoi ils envisagent la commission RECOM comme un lieu de discussion où les victimes pourront faire entendre leur voix. Cette instance pourrait notamment aider à mettre au jour les charniers restants et à mettre un nom sur l’ensemble des victimes dans le cadre du processus de réconciliation. Les organisateurs estiment que l’approche régionale constitue la meilleure stratégie pour faire face à l’héritage du passé.
89. Cependant, je me dois d’insister sur la prudence manifestée par certains de mes interlocuteurs de la région. Bien que reconnaissant le rôle important joué par les ONG dans les années 1990, ils considèrent qu’il incombe désormais aux institutions et aux organes compétents de s’occuper des crimes et des atrocités du passé. Par ailleurs, nombre d’entre eux ont observé une amélioration des relations dans la région et ne souhaitent pas remuer le passé au risque de voir ces bonnes relations se dégrader. La plupart des acteurs institutionnels que j’ai rencontrés m’ont semblé plus disposés à se tourner vers le présent et l’avenir que vers le passé. En Bosnie-Herzégovine, plusieurs ONG se sont réunies quelques jours avant mon arrivée à Sarajevo afin de réfléchir sur cette initiative; elles n’ont cependant pas pu s’accorder sur les pays qui devraient être autorisés à siéger autour de la table.
90. J’ai été informé à plusieurs occasions que seule une pression internationale permettrait d’instituer une telle commission. Les membres du Parlement européen ont exprimé leur soutien à l’initiative RECOM lors d’une réunion de la sous-commission des droits de l’homme tenue le 16 septembre 2010. Selon moi, l’Assemblée parlementaire pourrait également encourager la création de cette commission.
91. Cela étant, les organisateurs de RECOM ont tenu à préciser que pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, l’initiative devait venir de la région et être volontairement acceptée. Les statuts de la commission visant à établir la vérité sur les crimes de guerre devraient être déposés les 5 et 6 février 2011 à Sarajevo. Les organisateurs espèrent ensuite recueillir 1 million de signatures auprès des habitants de la région pour soutenir la création de la commission, qu’ils présenteront ensuite aux gouvernements concernés.
92. La proposition a obtenu l’appui d’Ivo Josipović, Président croate, le 31 août 2010, et de Boris Tadić, Président serbe, le 1er septembre 2010. Les organisateurs sont fermement convaincus que l’établissement de la commission devrait se faire en dehors du processus d’intégration européenne: il s’agit d’un processus en soi et sa création pourrait provoquer une évolution des mentalités.
93. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a établi à juste titre le TPIY pour les pays de l’ex-Yougoslavie en 1993. Du fait de la rigueur avec laquelle il a mené ses activités, ses jugements et les faits qu’il a établis ne peuvent être niés. Il s’agit néanmoins d’un organe externe siégeant en dehors de la région. L’avantage d’une commission régionale vérité et réconciliation bénéficiant de l’appui des responsables politiques et de la population générale serait de ramener la justice dans son contexte local et éventuellement de faciliter le débat sur les événements survenus pendant la guerre.
94. Les conclusions de la commission pourraient ainsi être utilisées pour contribuer à l’élaboration d’un manuel d’histoire régionale. Qui plus est, une commission régionale bénéficiant d’un soutien politique pourrait faire contrepoids à la rhétorique nationaliste qui continue d’être utilisée par certains responsables politiques de la région. Néanmoins, pour qu’une telle commission remplisse pleinement sa mission, il est capital, à mes yeux, que l’ensemble des pays et des régions puissent y participer, et ce quel que soit leur statut.

6. Le contexte plus vaste

6.1. Le processus d’intégration à l’Union européenne

95. Maintenir la perspective d’une intégration à l’Union européenne pour les pays des Balkans occidentaux pourrait être la meilleure incitation à réussir le processus de réconciliation dans l’ex-Yougoslavie.
96. Les Etats de l’ex-Yougoslavie sont dans des situations différentes à l’égard du processus d’intégration. La Slovénie est membre de l’Union européenne depuis 2004, tandis que la Croatie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine» sont candidats à l’adhésion respectivement depuis 2004 et 2005. La Bosnie-Herzégovine et la Serbie sont des candidats potentiels à l’adhésion. Le 25 octobre 2010, le Conseil européen a décidé de soumettre la demande d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne à l’avis de la Commission européenne. Ce faisant, il a fixé des conditions précises concernant la coopération de la Serbie avec le TPIY. Le 24 novembre 2010, Stefan Fuele, commissaire européen à l’élargissement, a remis le questionnaire sur la candidature de la Serbie à l’adhésion à l’Union européenne au Premier ministre serbe Mirko Cvetković, qui a accepté d’y répondre avant la fin janvier 2011. La Commission européenne a recommandé d’ajouter le Monténégro à la liste des pays candidats, dans son avis publié le 9 novembre 2010.
97. Actuellement, les perspectives d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne sont entravées par l’impasse constitutionnelle et par le flou entourant les aspirations européennes de ses dirigeants politiques.
98. D’après le dernier rapport de suivi publié par la Commission européenne le 9 novembre 2010, la Bosnie-Herzégovine a peu progressé dans ses efforts pour satisfaire aux critères politiques. Le pays a progressé dans le domaine de l’Etat de droit, notamment dans des secteurs tels que la gestion des frontières et la politique migratoire, grâce à des réformes visant satisfaire les exigences liées à la libéralisation du régime des visas. Des mesures importantes ont également été prises pour promouvoir la réconciliation et la coopération régionales, notamment en ce qui concerne le retour des réfugiés. Néanmoins, la mise en œuvre globale des réformes a été insuffisante et le climat politique intérieur au cours de la période préélectorale a été dominé par la rhétorique nationaliste. D’après la Commission européenne, l’absence de vision commune de la part des décideurs politiques quant à la direction du pays continue d’entraver les réformes essentielles et la réalisation de nouveaux progrès sur la voie de l’adhésion à l’Union européenne. Pour ce qui est des obligations internationales, il est essentiel que le pays progresse dans le respect des exigences liées à la fermeture du bureau du haut représentant.
99. Les questions relatives aux frontières ont retardé la candidature de la Croatie, mais comme indiqué ci-dessus, la situation semble sur le point d’être réglée et les négociations d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne pourraient être achevées d’ici à la fin 2011. Cependant, bien que d’importants progrès aient été accomplis 
			(40) 
			Depuis
le début des négociations, 34 chapitres (sur 35) ont été ouverts
à la négociation et 25 ont été provisoirement clôturés. Voir Conseil
de l’Union européenne, «Twelfth meeting of the Accession Conference
at Deputy level with Croatia», Bruxelles, 5 novembre 2010., des réformes plus concrètes sont nécessaires, notamment en ce qui concerne le chapitre 23 des négociations d’adhésion de la Croatie (intitulé «Justice et droits fondamentaux») sur la lutte contre la corruption et la pleine coopération avec le TPIY.
100. En 2008, un dialogue sur la libéralisation des visas a été engagé avec plusieurs Etats de l’ex-Yougoslavie (la Bosnie-Herzégovine, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le Monténégro et la Serbie) et des feuilles de route pour la libéralisation des visas ont été établies. Les décisions relatives à la levée de l’obligation de visa pour accéder à l’Espace Schengen dépendent des progrès réalisés par les pays concernés dans la mise en œuvre de réformes majeures dans des domaines tels que le renforcement de l’Etat de droit, la lutte contre la criminalité organisée, la corruption et les migrations clandestines et le renforcement de leurs capacités administratives en matière de contrôle aux frontières et de sécurité des documents. Le Monténégro, la Serbie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine» bénéficient du régime d’exemption de visa depuis le 19 décembre 2009 et la Bosnie-Herzégovine depuis le 8 novembre 2010.
101. Tous les Etats de l’ex-Yougoslavie sont membres du Conseil de l’Europe. La Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie font l’objet d’une procédure de suivi par l’Assemblée et «l’ex-République yougoslave de Macédoine» d’un dialogue postsuivi. Le respect des engagements souscrits lors de l’adhésion au Conseil de l’Europe est considéré par l’Union européenne comme essentiel pour toute candidature.

6.2. Le dialogue interparlementaire

102. A mon avis, le dialogue interparlementaire devrait être encouragé au niveau régional et il importe d’impliquer pleinement les parlements nationaux des Etats de l’ex-Yougoslavie dans le processus d’intégration européenne.
103. En 2008, le Parlement européen et les députés de l’ex-Yougoslavie ont échangé des expériences sur l’intégration européenne et ont mené un débat sur l’économie, la sécurité et la justice. Bien que je salue cette initiative, j’estime cependant que les réunions interparlementaires du Parlement européen devraient être améliorées de manière à offrir un système fonctionnel, régulier et efficace permettant des débats plus ciblés et axés sur la pratique 
			(41) 
			Voir aussi la
Résolution du Parlement européen sur la consolidation de la stabilité
et de la prospérité dans les Balkans occidentaux, 24 avril 2009
(2010/C 184 E/21).. Cela pourrait être aisément réalisé en assurant une meilleure coordination avec l’Assemblée parlementaire et les délégations nationales des parlements nationaux de l’ex-Yougoslavie.
104. Lors de ma visite à Bruxelles, le 30 novembre 2010, j’ai participé à une audition organisée par la Sous-Commission droits de l’homme du Parlement européen sur les droits de l’homme dans les Balkans occidentaux. La présidente de la sous-commission, Mme Heidi Hautala, parmi d’autres parlementaires européens, a exprimé l’espoir de voir s’instaurer des échanges réguliers de points de vue avec les parlementaires nationaux de la région sur les questions de la réconciliation, du dialogue politique et des droits de l’homme dans les Balkans occidentaux afin de les accompagner dans le processus d’intégration à l’Union européenne, en coopération avec la commission des questions politiques. Je suis tout à fait en faveur de cette proposition et je ne saurais trop encourager l’Assemblée à suivre son évolution dans les mois qui viennent.

6.3. L’intégration régionale

6.3.1. Le processus de Brdo

105. La conférence «Tous ensemble pour l’Union européenne: la contribution des Balkans occidentaux à l’avenir européen», tenue le 20 mars 2010 à Brdo pri Kranju et organisée conjointement par la Croatie et la Slovénie, a représenté un nouveau départ pour la coopération dans les Balkans occidentaux. Il s’agissait d’envoyer à l’Europe le message suivant:
  • les dirigeants des pays des Balkans occidentaux issus de l’ex-Yougoslavie et de l’Albanie peuvent se réunir autour de la même table et partager les mêmes objectifs;
  • ces pays peuvent dépasser les désaccords et les rancunes historiques et œuvrer ensemble pour la paix et l’avenir de la région;
  • tous les pays sont disposés à coopérer sur le chemin de l’adhésion à l’Union européenne.
106. La conférence a également marqué le lancement du «processus de Brdo». Tous les pays participants (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Kosovo, Monténégro, Slovénie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine») sont convenus «de s’entraider et d’échanger les expériences acquises pendant le processus d’intégration» et d’«encourager les relations de bon de voisinage, en s’investissant sans relâche dans des projets d’intérêt commun et en mettant tout en œuvre pour régler les différends bilatéraux en cours dans un esprit européen» 
			(42) 
			Déclaration
commune «Together for the European Union: Contributions of the Western
Balkans to the European future», Brdo pri Kranju, 20 mars 2010.. J’espère que la Serbie rejoindra le processus prochainement. Le «Groupe Visegrad» a été pris comme modèle pour la coopération dans le cadre du processus de Brdo, dans la mesure où ce type de coopération suppose qu’aucun des pays participants ne joue un rôle prédominant dans la région.

6.3.2. Autres initiatives régionales

107. La Commission européenne a indiqué que la coopération régionale entre les Etats des Balkans occidentaux était essentielle dans l’optique d’une future adhésion à l’Union européenne. Plusieurs initiatives régionales auxquelles participent les Etats de l’ex-Yougoslavie sont susceptibles de faciliter la réconciliation dans la région, notamment l’Accord de libre-échange centre-européen (ALECE), dont l’objectif est de développer le commerce dans la région, le Conseil de coopération régionale (CCR) qui vise à soutenir l’intégration européenne et euro-atlantique, le Processus de coopération en Europe du Sud-Est, chargé de promouvoir la coopération multilatérale et de renforcer la stabilité, la sécurité et les relations de bon voisinage dans la région et l’Ecole régionale d’administration publique (ReSPA), projet financé par l’Union européenne qui vise à aider les Etats des Balkans occidentaux à former des fonctionnaires en vue de l’adhésion à l’Union européenne.
108. Je soutiens ces initiatives régionales et je suis convaincu qu’elles peuvent jouer un rôle essentiel dans le renforcement de la prise en charge régionale et, en servant d’interlocuteurs clés, dans la communication avec l’Union européenne et les autres organisations internationales.

6.3.3. L’impact de la situation au Kosovo

109. En juin 2010, l’Assemblée a examiné un rapport détaillé sur la situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe» 
			(43) 
			Voir Résolution 1739 (2010), Recommandation 1923 (2010) et Doc. 12281., sur lequel j’attire l’attention des lecteurs. La déclaration unilatérale d’indépendance de la Serbie en février 2008 a, de toute évidence, eu un impact négatif sur le processus de réconciliation dans la région: des ambassadeurs ont été déclarés «persona non grata» à Belgrade et la Serbie a décidé de rappeler ses ambassadeurs en poste dans les Etats voisins qui avaient reconnu l’indépendance du Kosovo.Par la suite, les relations diplomatiques ont été entièrement rétablies.
110. Dans ce contexte, il est à noter que la Cour internationale de justice, dans son avis consultatif longuement attendu sur la déclaration d’indépendance rendu le 22 juillet 2010, a conclu que la déclaration ne violait aucune disposition applicable du droit international 
			(44) 
			Avis consultatif de la CIJ: «Conformité
au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance
relative au Kosovo», 22 juillet 2010.. Après la publication de l’avis consultatif, le Gouvernement serbe a collaboré avec l’Union européenne pour présenter une nouvelle résolution sur la question à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. La résolution, adoptée le 9 septembre 2010, encourage la négociation. Elle «se félicite que l’Union européenne soit disposée à faciliter le dialogue entre les parties» et elle affirme que «ce dialogue serait en soi un facteur de paix, de sécurité et de stabilité dans la région et aurait pour objet de favoriser la coopération, d’avancer sur le chemin menant à l’Union européenne et d’améliorer les conditions de vie des populations» 
			(45) 
			Résolution 64/298 de l’Assemblée
générale des Nations Unies (A/RES/64/298). .
111. J’ai eu le plaisir d’entendre, lors de mes conversations avec de hauts représentants du gouvernement, que la Serbie entendait sortir de l’impasse sur le statut du Kosovo en dialoguant avec les autorités de Pristina, dialogue qui sera facilité par l’Union européenne. Ce premier pas symbolique semble ouvrir des perspectives favorables à la résolution des questions en suspens entre Belgrade et Pristina. Les élections anticipées au Kosovo tenues le 12 décembre 2010 ont inévitablement retardé l’engagement d’un tel dialogue, mais, espérons-le, pas pour trop longtemps.

6.4. La réalité sur le terrain

112. Les discussions menées au niveau politique sur la réconciliation peuvent conduire à ignorer l’impact que peuvent avoir les personnes ordinaires sur le processus. En effet, alors que les autorités et la classe politique commencent lentement à trouver un terrain d’entente avec leurs homologues de la région, la population a déjà une longueur d’avance. C’est un aspect qui m’a particulièrement frappé lors de mes visites dans la région. Vu de l’extérieur, on a souvent l’impression que les populations sont fortement attachées aux pays dans lesquels elles vivent, mais on oublie aisément combien ces pays étaient étroitement liés les uns aux autres avant le déclenchement du conflit. Ainsi, j’ai été heureux d’apprendre que des entreprises croates s’installaient en Serbie, que des artistes croates se produisaient à Belgrade, que des Serbes allaient en vacances en Croatie et qu’il était désormais fréquent de voir des plaques d’immatriculation croates sur des véhicules circulant en Serbie, chose qui n’existait tout simplement pas il y a quelque temps de cela.
113. Cependant, je suis également convaincu que beaucoup reste à faire. La violence de certains supporters extrémistes serbes qui, animés par des sentiments ultranationalistes, ont incité à la haine raciale, nationale et religieuse lors d’un match de football récemment organisé en Italie le 12 octobre 2010, a provoqué la colère et la consternation en Serbie et a contraint Vuk Yeremic, ministre des Affaires étrangères serbe, à présenter des excuses officielles.
114. Des efforts renouvelés de la part de tous les gouvernements de la région, en coopération avec la communauté internationale, sont absolument indispensables si nous voulons poursuivre le processus de désarmement politique et culturel en cours.

7. Conclusions

115. Au cours de mes visites dans la région et de ma visite finale à Bruxelles, les 29 et 30 novembre 2010, j’ai pu m’assurer que l’intégration européenne est une question cruciale pour nombre de mes interlocuteurs. Je suis convaincu que la perspective de l’adhésion à l’Union européenne est une force d’impulsion qui incite la majorité des pays de l’ex-Yougoslavie à entreprendre des réformes politiques. La récente expérience de la levée des visas montre qu’avec des mesures incitatives concrètes, l’Union européenne conserve son pouvoir d’amener les Etats à engager des réformes en profondeur.
116. Des premiers signes d’engagement en faveur de la coopération régionale ont été observés ces derniers mois, ainsi que de premières tentatives pour analyser différemment l’histoire récente de la région. Belgrade et Zagreb ont engagé des discussions sur les questions relatives aux réfugiés et aux personnes disparues, et les deux parties envisagent d’abandonner les actions qu’elles ont réciproquement intentées en justice pour génocide. Les Présidents des deux pays sont en train de prendre la tête de ce qui pourrait devenir un processus de rapprochement et commencent à coopérer sur certaines questions d’ordre pratique, liées par exemple au commerce ou à la lutte contre la criminalité organisée. La coopération régionale progresse. Belgrade et Pristina devraient entrer en pourparlers très prochainement.
117. Suivent quelques-unes des principales questions que j’ai analysées dans le présent rapport et qui, d’après moi, exigent un redoublement d’efforts de la part de tous les gouvernements de la région en vue d’une véritable réconciliation et de l’intégration européenne:
  • la question des personnes disparues est prioritaire et je recommande d’ouvrir les archives de tous les pays concernés afin de clore ce dossier et de financer de manière appropriée les initiatives de la société civile qui tentent de combler les vides en créant des annales des victimes des conflits, afin de valider la légitimité du passé et de lutter contre le révisionnisme historique;
  • il reste essentiel que tous les gouvernements de la région, en coopération avec la communauté internationale, apportent leur assistance pour favoriser le retour et la réintégration des personnes rapatriées dans leur lieu d’origine, ainsi que l’intégration des personnes déplacées dans leur lieu d’accueil. Si la sécurité ne semble plus être la préoccupation première des personnes qui rentrent chez elles, la situation sociale et économique dans les zones touchées par la guerre reste problématique; il faut promouvoir en priorité l’accès aux droits fondamentaux, dont ceux au logement, à la santé, à l’emploi et aux services sociaux;
  • les poursuites pour crimes de guerre et la pleine et entière coopération avec le TPIY demeurent des éléments importants à la fois pour la réconciliation et pour l’intégration européenne, et la priorité devrait être accordée à trouver et à arrêter les fugitifs qui courent toujours;
  • l’absence de définition des frontières, question qui est également inextricablement liée à celle des droits des minorités, peut avoir des répercussions négatives sur la politique régionale ainsi que sur les perspectives d’intégration européenne. Je crois que la clôture de ce dossier est une condition préalable concrète à la création d’un climat d’intégration où les frontières aient moins de résonance politique; si les pays ne sont pas en mesure de résoudre leurs différends de manière bilatérale, ce qui serait de loin préférable, ils devraient se soumettre à un processus d’arbitrage contraignant;
  • je suis convaincu que l’Union européenne peut donner l’impulsion politique et exercer son influence pour créer un contexte particulièrement propice au dialogue, notamment par le biais du tout nouveau Service européen pour l’action extérieure, en coopération avec les organisations pertinentes présentes dans les Balkans, en particulier le Conseil de l’Europe, l’OSCE et le CCR. Cependant, la responsabilité en la matière devrait incomber aux pays car la coopération régionale exige des engagements de la part des gouvernements qui sont supposés y prendre part;
  • les initiatives populaires, locales et de la société civile ont besoin d’être beaucoup plus largement soutenues et visibles. La coopération transfrontalière, les initiatives visant à réconcilier les citoyens de différents pays, les projets de restitution des biens, le développement de réseaux sociaux sont autant de modes d’action partant de la base qui sont plus que nécessaires pour aider la population à sortir du trou noir de l’ethnonationalisme;
  • comme l’ont souligné plusieurs de mes interlocuteurs dans la région, la Bosnie-Herzégovine doit sortir de l’impasse constitutionnelle dans laquelle elle se trouve depuis les dernières élections, durant lesquelles des restrictions fondées sur des critères d’origine ethnique et de résidence ont été imposées aux droits de suffrage actif et passif. Le pays doit prendre des mesures importantes pour honorer les engagements qu’il a contractés lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, et des réformes constitutionnelles d’envergure doivent immédiatement être engagées; il doit également renforcer les institutions démocratiques fonctionnelles actives sur tout son territoire;
  • au cours de mes visites, j’ai observé que le discours public sur la guerre reste souvent cloisonné, chaque pays ayant sa propre vérité, son propre discours et sa propre interprétation. Cette situation, me semble-t-il, peut être source potentielle de haine et de conflit. L’Assemblée pourrait soutenir l’action des acteurs locaux visant à promouvoir une vision plus pluraliste des événements passés et présents, notamment en renforçant le dialogue interparlementaire, en coopération avec le Parlement européen;
  • tout comme les conflits ethniques et la guerre civile ne sont pas naturels, mais provoqués par l’homme, la prévention et la résolution des conflits ne se font pas non plus automatiquement. Les dirigeants doivent faire preuve de compétence, de détermination et de vision dans leur mobilisation pour la paix. Ils doivent se rapprocher les uns des autres, mais aussi se rapprocher de leurs partisans, qu’ils doivent associer à la poursuite d’un avenir pacifique. Je suis persuadé que l’Assemblée doit appuyer le travail mené par les Ecoles d’études politiques du Conseil de l’Europe, notamment à Belgrade, Pristina et Sarajevo, pour impliquer les élites politiques et autres et les encourager à intensifier leurs efforts afin de favoriser le dialogue sur toutes les questions non résolues dans la région et de renforcer le caractère multiethinique de ces cercles politiques;
  • dans le même ordre d’idées, le Conseil de l’Europe pourrait apporter son soutien aux acteurs locaux œuvrant en faveur d’une vision plus pluraliste et partagée des événements passés et récents, notamment en développant une stratégie à long terme avec des historiens reconnus et des éducateurs de la région autour de quelques dates clés de l’histoire; un recueil d’articles pourrait également être constitué afin de compléter la démarche la documentation existante;
  • il sera extrêmement difficile, pendant de nombreuses années encore, de parvenir à faire s’accorder les différentes parties au conflit sur ce qui s’est passé. La réconciliation suppose aussi une transformation pour le mieux des structures et des groupes sociaux qui ont provoqué, encouragé et soutenu la violence et la criminalité. Pour moi, la réconciliation est un processus dans lequel la réalité du conflit est traitée dans la perspective de l’avenir. Cependant, la réconciliation n’est pas isolée du passé et toute tentative visant à enterrer celui-ci est inacceptable pour les personnes qui ont été exposées à de graves violences et violations des droits de l’homme, personnes que j’ai rencontrées au cours de mes visites dans la région. Je suis d’avis que l’Assemblée devrait encourager la constitution d’une commission régionale «vérité et réconciliation» qui enquêterait et informerait sur tous les faits de l’histoire récente afin de reconnaître et rendre hommage à l’ensemble des victimes. Pour qu’une telle commission remplisse pleinement sa mission, il me semble indispensable que l’ensemble des pays et des régions puissent y participer, quel que soit leur statut.