1. Introduction
1.1. Mon mandat et l’élaboration du rapport
1. Le 30 avril 2009, des collègues et moi-même avons
déposé une proposition de recommandation sur l’éducation contre
la violence à l’école (
Doc.
11889), renvoyée à la commission de la culture, de la
science et de l’éducation pour rapport. J’ai ensuite été nommé rapporteur
par la commission le 25 juin 2009.
2. Le 14 octobre 2009, j’ai contacté tous les ministres de l’Education
en Europe pour leur demander de me fournir des informations intéressantes
sur l’expérience de leurs pays respectifs et de répondre à quatre questions
élémentaires:
- Quelles sont
les formes de violence en milieu scolaire repérées comme posant
problème?
- Quelles mesures ont été prises pour remédier à la violence
en milieu scolaire?
- Comment le problème de la violence est-il traité dans
les programmes d’enseignement et dans les disciplines enseignées
à l’école?
- Quelles mesures préconiseriez-vous pour lutter contre
la violence en milieu scolaire?
3. Ont répondu au questionnaire 28 pays
;
je tiens à les remercier de leurs contributions. Ces réponses sont
disponibles sur le site web du Conseil de l’Europe
.
Leur nombre et leur contenu confirment l’importance de ce sujet
ainsi que la nécessité d’une coopération plus étroite en Europe.
4. Le 8 décembre 2009, à Paris, la commission a tenu un échange
de vues à ce sujet avec Mme Linda King, représentante de l’UNESCO,
et avec M. Wijayananda Jayaweera, directeur de la Division pour
le développement de la communication à l’UNESCO.
5. Le 25 janvier 2010, la commission a été informée par Mme Maud
de Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe,
du programme «Construire une Europe pour et avec les enfants» et,
dans ce cadre, de l’action spécifique actuellement menée pour combattre
toutes les formes de violence à l’encontre des enfants, y compris
la violence en milieu éducatif.
6. Le 25 février 2010, à Bruxelles, la Commission européenne
a organisé une réunion d’experts sur la violence à l’école – notamment
sur les brimades (directes et via l’internet) – dans le cadre de
ses travaux «Vers une stratégie européenne sur les droits de l’enfant».
J’ai participé comme intervenant à cette rencontre.
7. Enfin, la commission a organisé à Paris, le 10 mars 2010,
une audition en présence des personnes suivantes: M. Dan Olweus,
professeur de psychologie à l’université de Bergen (Norvège), M. Hugues
Feltesse, responsable du bureau du défenseur des enfants à Paris,
au nom du Réseau européen des médiateurs pour enfants (ENOC), et,
enfin, M. Georges Fotinos, membre du comité français pour l’UNICEF
à Paris.
8. Je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui ont
contribué si activement à l’élaboration de ce rapport.
1.2. Objectif du rapport
9. La violence à l’école est devenue l’une des principales
difficultés concernant la protection des droits de l’enfant et doit
être considérée comme telle.
10. Les médias en Europe rapportent, de temps à autre, des actes
de violence graves parmi les élèves, des actes d’hostilité et des
agressions perpétrés par des élèves à l’encontre d’enseignants,
ces derniers recourant aussi parfois à la violence à l’encontre
d’élèves. Ce sont surtout les cas extrêmes de violence physique
– tels que des agressions armées ou des violences sexuelles – qui
attirent l’attention de l’opinion sur le sujet. Cependant, les incidents
de ce type sont très rares et ne sont pas représentatifs du problème
de la violence scolaire, dont la portée est beaucoup plus vaste
et qui se rencontre principalement dans des situations «ordinaires».
Ce phénomène est présent dans tous les pays d’Europe et concerne
la majorité des enfants: l’on estime que plus de 60 % des élèves
sont victimes de brimades et de violence à l’école
.
11. Les comportements déviants des élèves deviennent de plus en
plus inquiétants à mesure qu’ils se banalisent, gagnent en violence
et sont le fait d’enfants de plus en plus jeunes. Les actes d’intimidation
et les brimades (bullying) entre
écoliers restent souvent méconnus ou sous-estimés par les adultes.
Enfin, des cas de «conduite inadéquate» parmi les enseignants, et
même de châtiments corporels, ont été signalés dans des pays européens.
12. Quelle que soit la forme de la violence, ses effets sont considérables
sur l’environnement scolaire. La réussite des enfants ainsi que
leur santé émotionnelle sont directement liées au climat de l’école
et à la qualité des relations avec les enseignants et les autres
élèves. Sans compter que la pratique de la violence provoque des
sentiments d’impuissance, de crainte et d’insécurité.
13. Reste que, depuis longtemps, des efforts sont déployés tant
au niveau international qu’européen pour combattre la violence perpétrée
à l’encontre des enfants et des adolescents, notamment la violence
à l’école.
14. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant,
adoptée en 1989, garantit le développement harmonieux et sans danger
de chaque enfant, et son article 19 porte explicitement sur la protection
de l’enfant contre la violence. Il exige des Etats parties qu’ils
prennent «toutes les mesures législatives, administratives, sociales
et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme
de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales,
d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation,
y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde
de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux
ou de toute autre personne à qui il est confié. Ces mesures de protection
doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces
pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui
nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres
formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport,
de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de
mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre
également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention
judiciaire». Le droit de l’enfant à l’éducation est également consacré par
la Convention de l’UNESCO sur la lutte contre la discrimination
dans le domaine de l’enseignement (1960), convention qui met l’accent
sur l’égalité des chances en matière d’accès à l’éducation et de
qualité de l’éducation, tout en soulignant l’importance d’un environnement
éducatif sans violence. Plus récemment, le Cadre d’action de Dakar
(2000) a associé le droit à une éducation de qualité au droit à
un environnement scolaire sain et sûr.
15. Le Conseil de l’Europe s’est toujours intéressé aux questions
liées à la protection des droits de l’enfant. Dans sa jurisprudence,
la Cour européenne des droits de l’homme a démontré son attachement
à la protection effective des droits de l’enfant, notamment en déclarant
les châtiments corporels – tant à l’école qu’au sein de la famille –
contraires à la Convention européenne des droits de l’homme. A l’article 17,
la Charte sociale européenne révisée (1996) exige des Etats qu’ils
protègent les enfants et les adolescents contre la violence en général.
Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et l’Assemblée parlementaire
ont adopté une série de recommandations sur la reconnaissance et
la promotion des droits de l’enfant.
16. En 2006, le Conseil de l’Europe a lancé un projet transversal,
«Construire une Europe pour et avec les enfants», afin d’assurer
une approche holistique de la protection des droits de l’enfant
dans toutes les politiques de l’Organisation. Ce programme, réalisé
par le biais de plans triennaux (le dernier a été adopté par le
Comité des Ministres en 2008) couvrant les domaines des affaires
sociales, juridiques, éducatives et sanitaires, vise à aider une
variété d’acteurs à mettre en place des stratégies de lutte contre
la violence à l’encontre des enfants. Le combat contre les châtiments
corporels et contre la violence à l’école/sur l’internet figure
parmi les priorités du projet
.
17. Le Réseau européen des médiateurs pour enfants (ENOC) joue
un rôle important dans la protection des droits des enfants. A travers
ses membres, il a élaboré des outils pour lutter contre la violence
à l’école.
18. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) a élaboré des lignes directrices au moyen de sa Recommandation
de politique générale no 10 sur la lutte contre le racisme et la
discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire.
19. Malgré les efforts déployés, le problème de la violence à
l’école et, plus généralement, dans la société reste en mal de solution.
Le présent rapport entend, par conséquent, mieux faire comprendre
la portée et la complexité de ce problème, et faire l’inventaire
des politiques et des programmes mis place au niveau national pour
l’affronter, et ce afin de déterminer des moyens de le traiter efficacement.
2. Violence à l’école: étendue et complexité
du problème
2.1. Formes de violence et «brimades scolaires»
20. La violence fait partie des relations humaines. Elle
peut être directe et physique, mais peut aussi revêtir une variété
de formes psychologiques. Etant donné la multiplicité des formes
et la diversité des acteurs intervenant dans la violence scolaire,
ainsi que les différences considérables qui existent entre les perceptions nationales
du phénomène, il convient de privilégier la définition la plus large
possible de la violence.
21. Du point de vue de la gravité des actes, l’on pourrait parler
de «violence» non seulement à propos des comportements agressifs
impliquant l’usage de la force, mais également des simples menaces,
agressions verbales ou influences indirectes exercées sur la personne
au moyen de rumeurs, d’exclusion sociale, de moqueries sur l’internet,
etc. Certains pays, tels la France et la Belgique, prennent en compte
les dérogations aux règles de politesse («incivilités»)
, de même
que les situations d’abus de pouvoir ou de violence institutionnelle.
Quant à son objet, la violence peut être autodestructrice (consommation
d’alcool et de drogues), viser un individu (élève ou enseignant),
un groupe (violence raciste, sexiste ou en bandes), ou bien être
dirigée contre des biens ou une institution (vols, vandalisme)
.
22. L’analyse des données fournies par les pays européens montre
que la violence verbale et psychologique prime sur les agressions
physiques, les dommages matériels arrivant en troisième position.
Les agressions verbales sont particulièrement répandues – par exemple,
elles prédominent en France, en Allemagne, à Chypre et en Estonie –
et visent aussi bien les enfants que les adultes. Dans plusieurs
pays, la violence psychologique est directement associée aux brimades.
23. Harcèlement, brimades et persécutions parmi les enfants constituent
un phénomène propre aux établissements scolaires – les brimades
étant reconnues comme l’un des principaux facteurs négatifs affectant la
santé mentale des enfants.
24. Les brimades peuvent se définir comme une situation où l’enfant
se trouve exposé, de manière répétée et durable, au comportement
agressif d’un ou plusieurs élèves. Ce comportement se caractérise
toujours par un rapport de forces inégal entre victime et agresseur
(relation dominant/dominé) et par le caractère proactif de l’agression.
25. Les brimades sont un phénomène complexe qui recouvre toutes
les formes de comportement violent. Mais ce sont surtout ses aspects
psychologiques et d’agression indirecte qui le distinguent et le
rendent difficile à déceler: violence physique indirecte (grimaces,
gestes obscènes, dégradation des effets personnels), brimades verbales
directes (remarques, railleries, taquineries et surnoms blessants,
lettres/e-mails malveillants) et indirectes (rumeurs, mensonges,
publications de photos et de commentaires sur l’internet), exclusion
sociale, extorsion d’argent, etc.
26. De nombreuses recherches montrent l’ampleur et l’impact de
cette forme de violence scolaire. Selon une étude internationale
HBSC
(Health Behaviour in School-aged
Children) réalisée en 2008 dans 18 Etats membres du Conseil
de l’Europe, un adolescent sur cinq (garçons entre 11 et 15 ans)
a été victime de brimades, ce taux dépassant 40 % dans quatre Etats
européens
. L’on constate des disparités nationales
et même locales considérables (moins de 10 % en Suède contre plus
de 40 % en Lituanie); selon H. Feltesse, ce phénomène touche 50 %
des élèves dans certaines écoles
.
27. Les brimades à l’école sont à l’origine de troubles psychologiques
à long terme, tant chez les victimes que chez les agresseurs. Les
victimes de brimades éprouvent des difficultés à s’adapter socialement
et émotionnellement, ainsi qu’à se faire des amis. Souvent ces enfants
refusent d’aller à l’école, deviennent anxieux, dépressifs et inaptes
à l’apprentissage. Il a été montré qu’une partie considérable des
victimes de brimades souffrent de dépression, de manque de confiance
en soi et de pulsions suicidaires
. Les auteurs de brimades à l’école
primaire peuvent être à l’origine de formes de brimades plus fortes
en fin de scolarité et d’actes de violence graves à l’âge adulte
. Enfin, les
coûts économiques et sociaux des brimades ne sont pas négligeables.
Selon une étude récente, des 160 jeunes adultes (35 ans en moyenne)
ayant consulté un psychiatre pour la première fois, la moitié ont
été victimes de brimades à l’école
.
2.2. Facteurs pouvant générer un comportement violent
2.2.1. Famille
28. Malgré les changements du monde contemporain, les
parents jouent le rôle primordial dans l’éducation de l’enfant.
Le cadre familial peut favoriser le développement personnel, mais
aussi conduire à des comportements déviants. Si un enfant est exposé
dans sa famille à un paternalisme prononcé, voire autoritaire, et
à des tensions interpersonnelles – ou, même, subit des punitions
corporelles –, il risque fort de devenir intolérant et violent à
l’école. La condamnation publique de la violence domestique est
un processus très lent, même en Europe. A ce jour, 22 Etats membres
du Conseil de l’Europe ont explicitement interdit toutes les formes
de châtiment corporel à l’encontre des enfants dans toutes les situations
.
29. Les mutations économiques et sociales rapides de la société,
en particulier la dégradation des conditions de vie des familles
pauvres et le changement de la structure familiale traditionnelle,
ont eu des répercussions néfastes sur le rôle formateur des parents.
Ainsi les familles violentes appartiennent-elles souvent aux couches
sociales les plus défavorisées sur le plan économique et socioculturel.
Outre la pauvreté et les privations, les experts notent d’autres
facteurs de violence scolaire, notamment les disputes et la séparation
entre parents, le manque de contrôle et l’absence d’un ou des deux
parents pour des raisons professionnelles
. Le
métier de parent est peut-être le seul à ne pas être enseigné. Aussi
est-il primordial de fournir une assistance aux familles en difficulté
ou dont les enfants manifestent des comportements violents. D’une
manière générale, renforcer le dialogue avec les parents et améliorer
la communication entre école et famille contribueraient à diminuer
la violence scolaire.
2.2.2. Ecole
30. L’éducation, autre pilier du développement de l’enfant,
est à la fois un objectif et un moyen de le réaliser. Non seulement
l’école doit assurer la transmission des connaissances, mais elle
a pour mission d’améliorer l’état de santé des élèves et de leur
garantir un développement équilibré, notamment par la promotion
de valeurs telles que le respect d’autrui et de la diversité culturelle
.
31. L’accomplissement de ces deux fonctions n’est possible que
dans une «atmosphère positive» qui encourage les attitudes non violentes
chez les élèves ainsi qu’entre enseignants et élèves. Ce climat
dépend, en particulier, de l’organisation interne de l’école, de
la participation des enfants aux activités scolaires et extrascolaires,
de la confiance mutuelle entre enseignants et élèves, et, enfin,
de l’exemple donné par le personnel de l’école. Cependant, la réalité
est souvent différente.
32. Tout d’abord, la persistance des châtiments corporels rend
impossible d’inculquer aux enfants le respect des droits de l’homme.
La «survie» de ce type de pratiques est due à l’inviolabilité de
la sphère privée de la classe et au silence des élèves sur les faits
.
D’autre part, avec la démocratisation de la société et des méthodes
d’enseignement, les enseignants ont moins de prise sur les enfants;
aussi les mesures disciplinaires traditionnelles se révèlent-elles
inefficaces face au comportement violent d’élèves aujourd’hui plus
agressifs, aussi bien avec leurs pairs qu’avec les adultes. De plus,
faute d’expérience en matière de prévention et de gestion des conflits,
le personnel scolaire se trouve souvent désemparé face aux conduites
agressives.
33. Le manque de moyens dans les écoles compte parmi les principaux
problèmes. Il se traduit avant tout par la réduction du nombre des
enseignants et, du fait de classes surchargées, par la difficulté
de contacts «humains» entre élèves et professeurs. Le manque de
moyens se reflète également dans la qualité de la formation du personnel
scolaire et, par conséquent, dans la qualité de l’enseignement.
Enfin, l’insuffisance du financement est un frein à l’amélioration
des équipements et de l’environnement scolaires, amélioration qui favoriserait
l’étude et le jeu
.
34. L’organisation médiocre du processus éducatif risque de créer
des contraintes physiques et affectives considérables, et, par là
même, de générer du stress et, finalement, des comportements violents.
Selon le rapport sur le développement équilibré à l’école produit
par l’Assemblée en 2005, les facteurs favorisant le stress sont,
entre autres, une organisation de l’enseignement inadaptée aux biorythmes
des élèves et une inadéquation entre méthodes d’enseignement et
âge/développement de l’enfant
.
35. Par ailleurs, les écoles fondées sur un modèle autoritaire
et non démocratique, visant à contrôler plutôt qu’à favoriser le
sens critique, deviennent un environnement hostile qui décourage
la participation des élèves
.
Parmi les autres aspects de la vie scolaire qui favorisent le développement
de la violence et des brimades, citons un climat de compétition
et de concurrence, un manque d’accompagnement des élèves et une
surveillance insuffisante.
2.2.3. Médias
36. Les technologies de l’information posent un nouveau
défi à la lutte contre la violence scolaire. Depuis leur avènement,
les médias traditionnels reflètent la violence sous toutes ses formes
et, à cet égard, leur influence n’a cessé de faire débat. Aujourd’hui,
avec l’apparition des médias électroniques, cet impact s’est accru.
Internet a permis le développement sans précédent des moyens de
communication et d’information, et son influence psychologique est
à la mesure de son utilisation massive par les enfants. Par ailleurs,
les médias non violents peuvent produire des bons résultats dans
le cadre de l’éducation non formelle.
37. Les jeux vidéo véhiculent souvent des images de violence et,
surtout, suscitent une conscience de soi démesurée, ainsi qu’une
fausse perception des autres et des capacités physiques humaines.
Avec de telles mutations cognitives et émotionnelles, recourir à
la violence pour résoudre un problème devient presque un comportement
«normal».
38. Enfin, les nouveaux moyens de communication et de socialisation
offerts par internet et par la téléphonie mobile servent aux jeunes
d’instruments de brimade (cyberbullying).
39. Par conséquent, il est très important d’accorder une attention
particulière à l’influence des médias et aux contenus potentiellement
néfastes pour les enfants. Reste que les médias – en particulier
la télévision – peuvent considérablement contribuer à la prévention
de la violence scolaire en sensibilisant l’opinion à ce problème.
3. Lutte contre la violence à l’école
3.1. Politiques nationales et programmes nationaux
40. Les réponses des pays au questionnaire adressé par
la commission de la culture, de la science et de l’éducation aux
ministres de l’Education des Etats membres contiennent des informations
précieuses sur les formes de violence identifiées à l’école, sur
les mesures antiviolence mises en place, sur le traitement du problème
de la violence dans les programmes d’enseignement et, enfin, sur
les mesures à envisager.
41. S’agissant de la définition de la violence, la grande majorité
des pays a identifié ses principales formes (physiques, verbales,
psychologiques). Certains Etats (Chypre, par exemple) ont présenté
une analyse relativement détaillée de la structure du comportement
violent. Dans un certain nombre de pays, le phénomène des brimades
n’est pas encore identifié et, ailleurs, l’accent porte essentiellement
sur le harcèlement entre élèves. Seuls quelques Etats ont soulevé
la question du rôle joué par les nouvelles technologies dans le comportement
violent – avec, par exemple, l’identification de cas de «cyberbullying» (Allemagne, Autriche, Estonie
et Luxembourg) ou avec la gestion des contenus internet (par exemple,
vérification de la présence de filtres internet dans des établissements
scolaires lettons).
42. La plupart des pays ont mis en place des programmes consacrés
spécifiquement au thème de la violence scolaire («Une école sans
violence» en Bulgarie, 2009, «Une école sans danger 2009-2011» en Estonie,
etc.) ou ont intégré un programme dans un cadre plus large (par
exemple, à Chypre, des politiques de promotion à long terme de la
santé des enfants). Ces mesures privilégient une approche complexe mobilisant
les ressources de plusieurs ministères (Education, Justice, Affaires
sociales, Santé), associant approche sécuritaire et approche éducative,
et agissant à plusieurs niveaux (national et local).
43. Force est de constater qu’il reste encore des Etats où le
problème de la violence scolaire est géré du seul point de vue sécuritaire
et dissuasif. Les médiateurs de certains pays européens signalent
la multiplication des procédures judiciaires et, en général, un
recours croissant à une approche répressive du problème. La France,
par exemple, a tendance à qualifier de délits mineurs les actes
de violence scolaire. En Grèce, les défenseurs des droits de l’enfant
constatent que l’administration scolaire ne réagit qu’en cas d’incidents
graves et que son intervention se limite à punir les agresseurs
.
44. S’agissant des programmes scolaires, en dehors des cours d’éducation
civique dispensés dans plusieurs pays, le sujet de la violence est
traité selon une approche pluridisciplinaire – dans le cadre des
cours de langue, d’histoire, de philosophie, etc. Certains pays
reconnaissent l’inadéquation de l’enseignement des compétences civiques
dans le programme.
45. En l’absence d’une réponse adéquate, tout porte à croire que
les brimades risquent de s’amplifier. Ainsi, selon les autorités
bulgares, le nombre des victimes de brimades à l’école dans le pays
est passé de 17 à 23 % entre 2002 et 2007. Par ailleurs, le taux
exceptionnellement bas des cas de brimades et de victimisation dans les
écoles scandinaves serait dû à l’existence de politiques nationales
en la matière
.
46. En 2009, des chercheurs de Cambridge ont analysé plus de 500 rapports
concernant divers programmes antibrimade. Cette méta-analyse a montré
l’efficacité de ces programmes pour réduire (de 20 à 23 %) les brimades
et la victimisation
.
47. Des études ont également conclu que les programmes fondés
sur la méthode de Dan Olweus pour la prévention des brimades (Olweus
Bullying Prevention Program, OBPP) sont très performants
.
Ce constat est confirmé par le Colorado Centre for the Study and
Prevention of Violence, qui a classé le programme OBPP parmi les
douze plus efficaces au monde.
48. Le programme OBPP a été introduit par le Gouvernement norvégien
dans les écoles du pays au début des années 1980. Ce programme ne
vise pas seulement à réduire les problèmes de brimades latents et manifestes,
mais aussi à améliorer les relations interpersonnelles entre les
enfants en général. En restructurant l’environnement social des
élèves, il élimine les conditions propices aux brimades et entretient
un sentiment communautaire parmi tous les acteurs de la vie scolaire.
Le programme OBPP, fondé sur le rôle central de l’enseignant, aborde
le problème des brimades à trois niveaux: l’école, la classe et
l’individu.
49. Selon Olweus, le comportement des adultes à l’école doit suivre
quatre principes: 1. adopter une attitude chaleureuse et positive,
s’intéresser et participer à la vie des élèves; 2. fixer des limites
fermes aux comportements intolérables; 3. recourir à des mesures
disciplinaires non violentes et non hostiles en cas de transgression
des règles; 4. jouer un rôle d’autorité et d’exemple à suivre
.
50. Plusieurs évaluations du programme OBPP ont montré son efficacité
et la durabilité des résultats. Une étude réalisée en 1997-1998
a révélé que, sur une année, les brimades ont diminué de 23 % et
le nombre des victimes de 36 %, alors que dans les écoles non concernées
par le projet, ce taux a augmenté de 4 %. Sur deux ans (2001-2003),
le nombre des victimes a baissé d’environ 33 % et celui des agresseurs
de 44 %. Enfin, selon une étude pluriannuelle menée à Oslo entre
2001 et 2006, la mise en œuvre du programme sur une période de cinq
ans a permis de réduire le nombre des victimes de brimades de 40 %,
et le nombre des agresseurs de 50 %. Ces résultats montrent que
le programme OBPP produit des effets durables et contribue à changer
la «culture» scolaire en renforçant les capacités de l’école à faire
face, en permanence, aux brimades.
51. Une autre approche, diamétralement opposée à la philosophie
et à la méthode Olweus, recourt aux politiques de tolérance zéro
(Zero Tolerance Policies), largement
pratiquées aux Etats-Unis depuis les années 1990. Basée sur la dissuasion,
elle procède par sanctions sévères (exclusion temporaire, voire
définitive) des élèves pour des délits mineurs. Toutefois, l’efficacité
de ces politiques quant à la réduction de la violence à l’école
a été mise en doute
.
Les experts de l’UNESCO placent parmi les programmes de prévention
contre-productifs ceux qui privilégient les problèmes de discipline,
qui visent les élèves difficiles et qui recourent à des méthodes
fondées sur la crainte.
3.2. Bonnes pratiques et expérience acquise
52. En règle générale, le mieux serait d’aborder le problème
de la violence à l’école selon une approche holistique: en impliquant
tous les acteurs, à tous les niveaux, et en utilisant tous les moyens
à disposition. Les experts soulignent la nécessité de privilégier
des mesures proactives et à long terme.
53. Selon l’étude menée par M. Ttofi et D. Farrington
,
voici quels sont les éléments essentiels à la réduction des brimades:
- la formation des enseignants
et des parents;
- le travail avec les agresseurs et leurs victimes (travail
individualisé effectué, la plupart du temps, par des psychologues
en collaboration avec les enseignants);
- le travail entre élèves (médiation, mentorat);
- une meilleure surveillance des cours de récréation (avec,
notamment, identification des «points chauds» et des «heures de
pointe» propices aux brimades);
- la gestion de la classe (techniques de détection et de
lutte antibrimades);
- les méthodes disciplinaires;
- les conférences à l’école (pour sensibiliser les élèves
au phénomène et à l’ampleur des brimades dans leur établissement);
- les codes de conduite en classe (élaborés ensemble par
élèves et enseignants, et souvent affichés à la vue de tous);
- la politique antibrimade officielle dans chaque école;
- des supports pédagogiques (dans le cadre du programme
scolaire ou de nouveaux cours).
54. L’échange de vues entre la commission de la culture, de la
science et de l’éducation et des experts en brimades scolaires a
permis de dégager un certain nombre d’éléments spécifiques pouvant
contribuer à améliorer les mesures antibrimade.
55. Une définition claire des actes de violence est une condition
préalable nécessaire, en particulier pour établir la distinction
entre brimades et autres formes de comportement violent, et pour
les mettre à l’ordre du jour dans les pays où les brimades scolaires
ne sont pas reconnues en tant que telles. Il est également crucial que
les effets néfastes des brimades soient admis. Le personnel scolaire
hésite souvent à admettre l’existence des brimades et à intervenir,
le harcèlement et la violence entre élèves étant, en général – et
à tort – considérés comme partie intégrante de la vie des enfants.
56. Une meilleure communication sur les problèmes liés aux brimades
est nécessaire entre élèves et enseignants. En Estonie, une étude
réalisée en 2009 montre que les enfants et les adultes perçoivent
la violence différemment: alors que pour les élèves c’est la dimension
psychologique qui prime, les enseignants voient avant tout les agressions
physiques.
57. L’idée que la résolution du problème de la violence scolaire
passe par une coopération étroite entre tous les acteurs de l’éducation
de l’enfant (l’école, les parents, les autorités locales, les ONG
et l’Eglise) a fait l’objet d’un fort consensus.
58. Les mécanismes de réception des plaintes doivent être simplifiés
et renforcés. Selon le médiateur français, les élèves ne savent
pas vraiment à qui s’adresser pour parler des brimades. Au Danemark,
le Conseil national pour les enfants souligne que les élèves ne
sont même pas autorisés à se plaindre sur certaines questions. Il
est donc nécessaire de créer des procédures permettant de centraliser
les plaintes et de les communiquer officiellement à la direction
des écoles concernées.
59. Il est nécessaire de renforcer la coopération internationale
en matière de recherche sur les brimades et l’examen systématique
des initiatives nationales de prévention afin de répertorier les
bonnes pratiques. En outre, une analyse coût-bénéfice des divers
programmes contribuera à persuader les décideurs d’en approuver
la mise en œuvre.
4. Conclusions et recommandations
60. La vitalité et l’avenir d’une société dépendent de
sa jeune génération et, en particulier, des conditions dans lesquelles
les enfants grandissent. L’environnement scolaire compte parmi les
éléments clés de la vie de l’enfant; la possibilité d’étudier dans
un environnement sain et sûr est essentielle à son développement équilibré,
à son épanouissement personnel et à son avenir de citoyen. La qualité
de la vie d’adulte dépend, pour une large part, de la qualité de
l’éducation. Les brimades ne peuvent être considérées comme une pratique
naturelle des enfants; aussi l’élaboration de programmes antibrimades
est-elle une condition nécessaire à un environnement éducatif normal.
61. Les facteurs influant sur la violence scolaire sont multiples,
les principaux étant la famille et l’environnement socio-économique
dans lequel grandit l’enfant. L’environnement scolaire en soi peut
aussi être générateur de violence, non seulement en raison du stress
qu’il crée et des inégalités qu’il reproduit, mais aussi de l’absence
de dialogue entre élèves et parents. Enfin, l’environnement social
au sens large –notamment les médias et les technologies de l’information –
exerce une influence indéniable sur les attitudes violentes des
enfants.
62. Eradiquer la violence à l’école est une tâche difficile, mais
il existe des mesures permettant de prévenir ou de minimiser les
comportements violents. Reste que l’école est incapable de traiter
ce problème efficacement à elle seule. Une coopération étroite entre
les différents acteurs est essentielle.
63. A cet égard, plusieurs projets exigeant le soutien de l’école,
des parents et des enfants pour lutter contre la violence ont déjà
fait leurs preuves. Ces initiatives pourraient servir d’exemples
et être reproduits à l’échelle européenne. Rappelons aussi qu’il
faut donner la priorité aux mesures préventives, notamment à l’amélioration des
compétences sociales des enseignants.
64. Dans ces conditions et en s’appuyant sur l’expérience de différents
pays, il est possible d’envisager un certain nombre d’actions ciblées
pour traiter la violence à l’école:
Mise en place, à l’intention des enseignants et du personnel
scolaire, de programmes de formation continue sur les techniques
de prévention/gestion des comportements violents et sur la création
d’organes d’assistance spécialisés:
- intégrer cette formation aux programmes destinés aux enseignants;
- créer des programmes de soutien aux écoles – tels que
les ateliers de deux jours (brimades, santé émotionnelle) et de
cinq jours (communication avec les adolescents) organisés par le
ministère de l’Education de Chypre;
- établir des partenariats avec des ONG spécialisées en
formation (par exemple, un contrat entre le Gouvernement français
et l’association Génération médiateurs);
- introduire des «équipes d’intervention de crise» pour
aider à résoudre les cas urgents et particulièrement graves (à l’instar
du Comité d’intervention direct, à Chypre).
Intégration d’une composante «éducation pour la paix» au programme
scolaire, en particulier:
- introduire
un enseignement interdisciplinaire non seulement des droits mais
aussi des devoirs des enfants;
- mettre davantage l’accent sur la promotion de la diversité
et sur la richesse qu’elle apporte;
- utiliser les cours de sciences humaines et sociales pour
combattre la violence et ses conséquences.
Amélioration du climat scolaire et du bien-être des élèves:
- mettre en place des programmes
spécialisés (Réseau européen Ecoles-santé, zones d’éducation prioritaire;
- financer des projets de réaménagement des locaux (revitalisation
des cours de récréation, transformation des salles de classe en
espaces récréatifs);
- développer des activités extrascolaires.
Participation des enfants, en tant qu’agents de prévention
et de signalisation de la violence:
- à l’élaboration des politiques: organiser des consultations
régulières des enfants (à l’instar, par exemple, des initiatives
«Children’s and Young People’s Panel» au Danemark et «Parole aux
jeunes» en France), favoriser la participation des enfants à des
forums consacrés au problème de la violence scolaire;
- au fonctionnement des établissements scolaires: conseils
de l’école, groupes d’entraide, rédaction de codes de conduite;
- sensibiliser les enfants aux problèmes liés aux comportements
abusifs ou dangereux dès le plus jeune âge – comme, par exemple,
dans le cadre du programme irlandais «Stay Safe» (Soyez en sécurité)
mis en œuvre dans les écoles primaires.
Amélioration du suivi quantitatif et qualitatif des écoles:
- remédier au manque ou à l’absence
de statistiques officielles dans les écoles (projet chypriote d’observatoire
de la violence scolaire);
- établir des critères pour évaluer les écoles et les programmes
de formation des enseignants en termes d’efficacité de la prévention
de la violence;
- réaliser des enquêtes nationales pour identifier les bonnes
pratiques, puis en promouvoir la diffusion (ainsi le manuel hongrois Un livre de poche sur la violence à l’école);
- renforcer les pouvoirs des médiateurs pour l’enfance (ou
encourager leur mise en place), notamment en ce qui concerne leur
indépendance et leurs capacités de suivi.
Renforcement des liens entre l’école, la famille et la communauté:
- au moyen d’actions de soutien
à la parentalité (initiatives françaises «Ouvrir l’école aux parents
pour faciliter l’intégration» et «Réseaux d’écoute, d’aide et d’accompagnement
des parents»), en créant des comités consultatifs parents-enseignants;
- en établissant des partenariats écoles-entreprises et
des programmes extrascolaires et sportifs communs;
Organisation de campagnes périodiques de sensibilisation aux
dangers de la violence scolaire.