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Avis de commission | Doc. 12038 | 29 septembre 2009

Allégations d'utilisation abusive du système de justice pénale, motivée par des considérations politiques, dans les Etats membres du Conseil de l'Europe

(Ancienne) Commission des questions économiques et du développement

Rapporteur : M. Kimmo SASI, Finlande, PPE/DC

Origine - Voir Doc. 11993 présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. 2009 - Quatrième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)

La commission des questions économiques et du développement apprécie l’occasion qui lui est donnée de contribuer à un débat tout à fait important sur ces dérives de certains systèmes judiciaires. Elle partage pleinement les préoccupations de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme à propos d’ingérences motivées par des considérations politiques ou économiques.

La commission des questions économiques et du développement estime que l’Assemblée parlementaire doit demeurer extrêmement vigilante quant à la répétition de telles pratiques qui portent aussi bien atteinte au tissu économique de la société qu’à l’Etat de droit des Etats membres.

B. Exposé des motifs, par M. Sasi, rapporteur

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1. Introduction, quand la justice et le droit deviennent des moyens de conquête économique

1. L’utilisation abusive des systèmes judiciaires afin de conquérir un acteur privé de l’économie d’un Etat porte gravement atteinte à la liberté économique de tout citoyen et à l’Etat de droit qui garantit les libertés fondamentales de tous, y compris celle des acteurs économiques. Cette pratique est malheureusement utilisée pour annihiler une entreprise devenue un concurrent dangereux pour l’Etat ou pour un entrepreneur proche de l’Etat ou du pouvoir judiciaire.
2. Dans cette optique, la loi et la justice perdent leur impartialité pour n’être que les instruments d’une conquête économique. Non seulement, en termes économiques, cette utilisation abusive nuit à l’activité économique puisqu’elle renforce un nationalisme économique mais ce qui est plus grave encore, elle freine les investissements étrangers, craignant de subir le même sort. Enfin, elle entrave fortement les principes de libre concurrence sur les marchés des pays en question.

2. Différents exemples

3. Depuis plusieurs années, des exemples d’utilisation abusive du système judiciaire à des fins économiques ont été constatés, notamment dans la Fédération de Russie. Les nationalisations d’entreprises privées motivées, selon la justice russe, par des allégations de fraudes ont conduit de nombreux dirigeants d’entreprises à fuir le territoire russe ou à être emprisonnés. Ces conditions ne sont évidemment pas propices à développer un entrepreunariat privé qui ne soit pas inféodé au régime.
4. L’affaire Ioukos résume à elle seule cette dérive autoritaire du régime. Je tiens à rappeler l’excellent travail du rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger dans ses deux rapports 
			(1) 
			«Les circonstances entourant
l’arrestation et l’inculpation de hauts dirigeants de loukos», 29
novembre 2004 (Doc. 10368)
et «Allégations d’utilisation abusive du système de justice pénale,
motivée par des considérations politiques, dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe», 7 août 2009 (Doc. 11993). sur ce sujet. Je ne reviendrai pas sur les tenants et les aboutissants de cette affaire qui a vu la société privée pétrolière Ioukos mise en faillite et démantelée au profit de la société publique Rosneft. C’est un groupe financier assez opaque baptisé Baïkalfinansgroup qui l’a acquis aux enchères pour près de 7 milliards d’euros. On ne sait toujours pas qui est derrière ce groupe financier. Plusieurs spécialistes y voient la main de l’entreprise d’Etat Gazprom. Les dirigeants de Ioukos, Mikhail Khodorkovski et Platon Lebedev ont été condamnés à huit ans de prison pour escroquerie et évasion fiscale. Vassili Aleksanian, vice-président de l’ex-compagnie et atteint du sida a été libéré sous caution en janvier 2009 après avoir été emprisonné dans des conditions inhumaines dénoncées par la Cour européenne des droits de l’homme 
			(2) 
			Aleksanyan c. Russie, CEDH, 22 décembre
2008.. Enfin, Svetlana Bakhmina, chef adjoint du département juridique de Ioukos, condamnée en 2005 à six ans et demi de prison pour fraude fiscale, a vu sa demande de libération anticipée refusée en octobre 2008 alors qu’elle avait purgé la moitié de sa peine, qu’elle s’était «repentie» et qu’elle était enceinte de sept mois. La mobilisation de milliers de personnes à travers le monde et l’intervention personnelle du Président américain George W. Bush permit sa libération en avril 2009 après avoir donné naissance à une fille, le 28 novembre 2008.
5. Dans le secteur économique des hydrocarbures, l’affaire Ioukos n’est malheureusement pas un cas unique. Dans le même temps le groupe pétrolier Roussneft, propriété de l’oligarque Mikhail Goutseriev, a également fait l’objet de poursuites pour fraudes fiscales. Ce dernier a quitté le territoire russe et la compagnie est toujours sous la menace d’une faillite permettant ainsi à un acheteur ou à une entreprise proche du pouvoir d’en prendre le contrôle.
6. Cette reprise économique dans le secteur des hydrocarbures par l’entreprise d’Etat Gazprom a également touché des entreprises étrangères dans l’exploitation des deux projets pétrogaziers Sakhaline où le système des contrats de partage de production a été annulé par les autorités russes. Les exploitants étrangers (Shell, Mitsui et Mitsubishi) ont ainsi dû céder leurs intérêts. En réponse à cette décision, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a renoncé en août 2007 à cofinancer le projet Sakhaline II.
7. D’autres secteurs de la vie économique ont à souffrir de ce type d’abus. C’est le cas notamment des secteurs boursiers et bancaires. Un fonds d’investissement spécialisé dans les prises de participation dans les entreprises russes, Hermitage Capital Management, une branche de la banque britannique HSBC a été victime de ces utilisations abusives du système judiciaire. En 2006, Hermitage Capital Management a figuré sur une liste noire émanant du Kremlin, sous prétexte qu’elle représentait une menace pour la sécurité nationale. Plusieurs dirigeants ont été molestés et de nombreux documents ont été saisis. Une enquête a été diligentée par les services secrets russes (FSB), qui a abouti au démantèlement de la société.
8. Enfin, ces utilisations abusives du système judiciaire ont également touché les médias et notamment le groupe de presse Media-Most. Considéré comme l’un des rares groupes médiatiques d’opposition, son propriétaire, Vladimir Gusinsky, a été arrêté en juin 2000 pour détournement de fonds dans une affaire datant de 1997. Un mois plus tard, il vendit Media-Most à Gazprom et les charges pesant contre lui furent levées. «Les conditions pour la signature de cet accord étaient non seulement que je ne retourne pas en prison, mais que je sois débarrassé de l’enquête criminelle» 
			(3) 
			Libération, 19 septembre 2000. affirma Vladimir Gusinsky qui a quitté la Fédération de Russie. Dans son arrêt Gusinsky c. Russie du 19 mai 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que Gusinsky avait été poussé par Gazprom à signer un accord commercial durant son incarcération en échange de l’arrêt des poursuites pénales. La Cour a rappelé à cette occasion que «des points de droit public, tels que les poursuites pénales et la détention préventive ne sont pas destinés à être utilisés dans le cadre des stratégies de négociations commerciales (de l’Etat)» 
			(4) 
			Gusinsky
c. Russie, CEDH, 19 mai 2004 (Requête no 70276/01)..
9. Ces pratiques prédatrices seraient, selon plusieurs médias et témoins, un système organisé de conquête d’entreprises de la part de malfaiteurs agissant au nom d’intérêts privés protégés par l’Etat, avec la complicité de ce dernier, voire commandités par ce dernier comme dans le cas des entreprises Ioukos ou Roussneft. «Tout cela est impossible à mener sans la coopération de personnes occupant de hauts postes» 
			(5) 
			Moscow Times, 13 août 2008. rappelle un ancien officier des services secrets. Car, ce système touche également les petites et moyennes entreprises, victimes de ces attaques et dont le nombre pourrait avoisiner les 70 000 dans la Fédération de Russie. La conquête économique de l’entreprise peut avoir pour motivations la rentabilité financière de cette dernière et la mise au pas de la concurrence mais également, dans le cas des petites et moyennes entreprises, la situation géographique de ces dernières. L’entreprise conquise est ensuite louée à un prix exorbitant ou détruite pour y construire à la place un immeuble plus important.

3. Conclusion

10. Afin d’assurer un climat économique stable dans ces temps de crise économique, il est donc indispensable que les autorités publiques assurent et fassent respecter l’impartialité de la loi y compris dans ses composantes commerciales et fiscales.
11. Il n’est pas tolérable que les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ont pris des engagements stricts lors de leur adhésion, ne s’astreignent pas à respecter scrupuleusement un Etat de droit dans lequel l’application de la loi via les divers systèmes judiciaires doit être équitable et rigoureuse. Provoquer les faillites d’entreprises privées via des dispositifs légaux puis racheter ces dernières via des compagnies publiques et mener des actions judiciaires disproportionnées contre des dirigeants d’entreprises sous couvert d’infractions fiscales comme l’a montré le cas Ioukos doivent faire l’objet des plus vives condamnations au sein de notre Assemblée parlementaire. De plus, il serait souhaitable qu’une vaste coopération internationale voie le jour sur ce sujet afin d’éviter ce genre de pratiques.

__________

Commission saisie pour rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Commission pour avis: commission des questions économiques et du développement

Renvoi en commission: Renvoi 3385 du 23 novembre 2007

Projet d’avis approuvé par la commission des questions économiques et du développement le 28 septembre 2009

Secrétariat de la commission: M. Newman, Mme Ramanauskaite, M. de Buyer et M. Pfaadt