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Rapport | Doc. 12391 | 06 octobre 2010

Procédures nationales de sélection des candidats à la Cour européenne des droits de l'homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Renate WOHLWEND, Liechtenstein, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 3699 du 25 juin 2010. 2010 - Quatrième partie de session

Résumé

Il incombe à l’Assemblée parlementaire, en vertu de l’article 22 de la Convention européenne des droits de l’homme, d’élire à la Cour européenne des droits de l’homme des juges qui présentent les plus hautes qualités sur une liste de trois candidats désignés par les Etats parties. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme réitère la demande de l’Assemblée que les procédures nationales de sélection soient rigoureuses, cohérentes, équitables et transparentes, de manière à ce que les candidats soient dotés de la compétence et de l’autorité nécessaires. Envisagée sous cet angle, la récente initiative du Président de la Cour, qui vise à créer un comité d’experts chargé de conseiller les gouvernements avant qu’ils ne transmettent leur liste de candidats à l’Assemblée, est bienvenue, de l’avis de la commission.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			.
Projet de résolution adopté par la commission le 5 octobre 2010.

(open)
1. Il incombe à l’Assemblée parlementaire, en vertu de l’article 22 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) (ci-après «la Convention»), d’élire à la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») des juges qui présentent les plus hautes qualités sur une liste de trois candidats désignés par les Etats parties. Cette procédure confère aux juges élus par l’Assemblée une «légitimité démocratique».
2. Elle présuppose que les Etats parties à la Convention transmettent à l’Assemblée une liste de trois juristes qui possèdent les qualifications, l’expérience et la stature nécessaires, comme l’exige l’article 21, paragraphe 1, de la Convention («les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire»), de sorte que les Etats membres, et notamment leurs plus hautes instances judiciaires, reconnaissent pleinement l’autorité de la Cour.
3. En conséquence, afin d’être en mesure de choisir entre des candidats dotés de la compétence et de l’autorité nécessaires, l’Assemblée réaffirme que l’emploi de procédures nationales de sélection rigoureuses, cohérentes, équitables et transparentes s’impose, comme le précise sa Résolution 1646 (2009) relative à la nomination des candidats et à l’élection des juges à la Cour.
4. Il s’ensuit que, comme «[l]’autorité de la Cour dépend de la stature de ses juges ainsi que de la qualité et de la cohérence de sa jurisprudence» (paragraphe 7 de la Résolution 1726 (2010) de l’Assemblée sur la mise en œuvre effective de la Convention européenne des droits de l’homme: le processus d’Interlaken), l’Assemblée souscrit pleinement à toutes mesures prises par les Etats parties en vue d’accroître la qualité des candidatures qui lui sont soumises, notamment en améliorant, si besoin est, les procédures de sélection nationale. Envisagée sous cet angle, la récente initiative du Président de la Cour, qui vise à créer un comité d’experts chargé de conseiller les gouvernements avant qu’ils ne transmettent leur liste de candidats à l’Assemblée, est bienvenue.

B. Exposé des motifs, par Mme Wohlwend, rapporteur

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1. Introduction

1. Le 9 juin 2010, le Président de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), M. Jean-Paul Costa, a adressé un courrier aux représentants permanents (ambassadeurs) de l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe, qui évoquait la possibilité de créer un comité consultatif d’experts chargé de conseiller les gouvernements sur l’adéquation des candidats à l’élection de juges à la Cour, au regard des critères précisés à l’article 21, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme («la Convention»). Une copie de cette lettre figure en annexe au présent rapport.
2. Cette initiative a ensuite été portée à l’attention du Bureau de l’Assemblée qui, le 15 juin, a renvoyé la question à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport, en demandant que ce rapport soit examiné par l’Assemblée lors de sa partie de session d’octobre 2010. Lors de sa réunion des 16 et 17 septembre 2010, la commission m’a désignée rapporteur.

2. Procédures nationales de sélection des candidats

3. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a entrepris de façon relativement récente la réalisation d’une étude complète sur le sujet, qui a abouti à l’adoption par l’Assemblée, le 27 janvier 2009, de la Résolution 1646 (2009) relative à la nomination des candidats et à l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme 
			(2) 
			. Voir aussi le Doc. 11767 de l’Assemblée
(rapporteur: M. Christopher Chope).. L’analyse en profondeur du rapporteur, à laquelle a été joint en annexe un aperçu des procédures nationales de sélection, permet une excellente évaluation de la question.
4. Plutôt que de chercher à formuler dans le présent rapport ce qui me paraît être le point de vue de l’Assemblée sur ce sujet, je me contenterai de citer mot pour mot le texte de la Résolution 1646 (2009) de l’Assemblée:
«1. L’Assemblée parlementaire, à laquelle incombe, en vertu de l’article 22 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) (la Convention), d’élire des juges du plus haut niveau à la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) à partir de listes de trois candidats désignés par les Etats parties, souligne l’importance de procédures nationales de sélection propres à garantir et à renforcer la qualité, l’efficacité et l’autorité de la Cour.
2. En dépit d’une amélioration sensible des procédures nationales de sélection dans plusieurs pays, des disparités importantes demeurent sur le plan de l’équité, de la transparence et de la cohérence. Rappelant sa Recommandation 1649 (2004) relative aux candidats à la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée réaffirme que le processus de désignation des candidats à la Cour doit être guidé par les principes de procédure démocratique, de transparence et de non-discrimination. En l’absence de véritable possibilité de choix entre les candidats présentés par un Etat partie à la Convention, l’Assemblée rejettera les listes qui lui seront soumises. De plus, l’Assemblée peut rejeter des listes n’ayant pas fait l’objet d’une procédure nationale de sélection équitable, transparente et cohérente.
3. Outre les critères énoncés à l’article 21, paragraphe 1, de la Convention (“Les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire”), l’Assemblée a instauré des conditions linguistiques fondées sur l’article 21, paragraphe 1, de la Convention, l’exigence de représentation équilibrée des sexes ainsi que d’autres règles comme la fourniture d’un curriculum vitae type par les candidats. De plus, avant de procéder à l’élection des juges, l’Assemblée invite les candidats à des entretiens individuels avec une sous-commission créée à cette fin.
4. Eu égard à la Recommandation 1649 (2004) susmentionnée, l’Assemblée rappelle que, outre les critères énoncés à l’article 21, paragraphe 1, de la Convention et l’exigence de représentation équilibrée des sexes, les Etats devraient, lorsqu’ils sélectionnent puis désignent des candidats à la Cour, respecter les règles suivantes:
4.1. procéder à des appels à candidature ouverts et publics;
4.2. lorsqu’ils présentent à l’Assemblée les noms des candidats, décrire selon quelles modalités ceux-ci ont été sélectionnés;
4.3. transmettre à l’Assemblée les noms des candidats dans l’ordre alphabétique;
4.4. veiller à ce que les candidats aient une connaissance active de l’une des langues officielles du Conseil de l’Europe et une connaissance passive de l’autre (voir modèle de curriculum vitae ci-annexé);
4.5. si possible, ne présenter aucun candidat dont l’élection pourrait entraîner la nécessité de nommer un juge ad hoc.
5. L’Assemblée exhorte également les gouvernements des Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à mettre en place – sans plus tarder – des procédures nationales de sélection appropriées afin que l’autorité et la crédibilité de la Cour ne soient pas mises en péril par des processus ad hoc et politisés de nomination des candidats. En outre, elle invite les gouvernements des Etats membres à veiller à ce que la parité entre les femmes et les hommes soit respectée autant que possible dans les organes ou les groupes eux-mêmes chargés de la sélection (et dans ceux qui ont un rôle consultatif dans le processus).»
5. Par ailleurs, plus récemment, le 29 avril 2010, dans sa Résolution 1726 (2010), «Mise en œuvre effective de la Convention européenne des droits de l’homme: le processus d’Interlaken» 
			(3) 
			. Voir le Doc. 12221 de l’Assemblée,
présenté par la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme (rapporteur: Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc)., l’Assemblée a eu l’occasion de réaffirmer sa position sur le sujet, en exprimant clairement le point de vue suivant:
«7. L’autorité de la Cour dépend de la stature de ses juges ainsi que de la qualité et de la cohérence de sa jurisprudence. A cet égard, il incombe à l’Assemblée d’élire à la Cour des juges du plus haut niveau à partir de listes de trois candidats désignés par les Etats parties. Rappelant sa Résolution 1646 (2009) sur la nomination des candidats et l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée relance son appel pour des procédures nationales de sélection rigoureuses, équitables et transparentes afin de garantir la qualité, l’efficacité et l’autorité de la Cour.»
6. De plus amples informations sur cette question et sur la manière dont l’Assemblée s’acquitte de cette mission cruciale qu’est l’élection des juges sont disponibles sur le site web de l’Assemblée, ainsi que dans le rapport de M. Chope, évoqué plus haut 
			(4) 
			.
Voir «Procédure d’élection des juges à la Cour européenne des droits
de l’homme», document AS/Jur (2010) 12 rév2, du 15 juin 2010, <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2010/20100504_fjdoc12rev.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2010/20100504_fjdoc12rev.pdf</a>,
ainsi qu’une vue d’ensemble de la procédure d’élection des juges
à la Cour de Strasbourg présentée par le chef du Service des questions juridiques
et des droits de l’homme de l’Assemblée, in European Human Rights
Law Review (sous la direction de J. Cooper, Sweet & Maxwell),
2010, no 4, p. 377-383..

3. Proposition de création d’un comité consultatif d’experts chargé de conseiller les gouvernements

7. Pour l’historique de cette proposition, on se reportera au courrier adressé le 9 juin 2010 par le Président de la Cour, joint en annexe au présent rapport.
8. Le Président de l’Assemblée et moi-même, en ma qualité de présidente de la sous-commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme de l’Assemblée, avons rencontré séparément le Président Costa, qui nous a expliqué sa proposition en détail. Par ailleurs, je crois savoir qu’un projet de résolution (du Comité des Ministres) sur cette question a déjà été remis au Comité des Ministres (plus précisément à son Groupe de travail sur le processus de suivi de la Déclaration d’Interlaken).
9. Pour résumer, l’idée avancée par le Président Costa consiste en la création d’un comité consultatif composé de sept personnes, parmi lesquelles d’anciens juges de la Cour de Strasbourg et d’autres juridictions internationales, ainsi que des membres des juridictions nationales suprêmes et des juristes aux compétences reconnues. La composition de ce comité devrait respecter à la fois un équilibre géographique et la parité entre les femmes et les hommes. Les membres du comité seraient désignés par le Comité des Ministres pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois (sur proposition du Président de la Cour). Le comité (et je cite à présent la lettre du Président Costa jointe en annexe), «interviendrait avant [qu’une] liste ne soit soumise par la Partie contractante à l’Assemblée parlementaire de manière à ne pas empiéter sur les responsabilités de celle-ci dans ce domaine En outre, il n’aurait qu’un rôle consultatif: en d’autres termes, il se bornerait à faire des recommandations à l’Etat qui l’aurait soumise y compris, si nécessaire, la proposition de modifier la liste. Ce comité pourrait être mis en place par une décision du Comité des Ministres sans qu’il soit nécessaire de modifier la Convention».
10. Voici comment je comprends le mode de fonctionnement du comité d’experts proposé: il dispenserait des conseils aux gouvernements, en examinant les curriculum vitae des candidats choisis avant que la liste de trois candidats ne soit transmise à l’Assemblée. Cette procédure serait obligatoire 
			(5) 
			. Veuillez noter, à
ce propos, la désormais défunte «procédure informelle [volontaire]
d’examen des candidats à l’élection de juges» mise en place par
le Comité des Ministres en 1997: <a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1328347&SecMode=1&DocId=569540&Usage=2'>Décision
adoptée le 28 mai 1997</a>.. Si le comité estimait, après examen du curriculum vitae des candidats, que la liste à transmettre à l’Assemblée comporte des candidats adéquats, il en informerait l’Etat concerné sans observation supplémentaire. Si, en revanche, le comité était d’avis qu’une ou plusieurs personnes inscrites sur la liste transmise à l’Assemblée n’étaient pas qualifiées, il ferait connaître son point de vue à l’Etat concerné de manière confidentielle, en lui indiquant les raisons pour lesquelles le ou les intéressé(s) ne devrai(en)t pas figurer sur cette liste. Au cas où l’Etat concerné ne suivrait pas le «conseil» dispensé par le comité et transmettrait à l’Assemblée une liste comportant une ou plusieurs personnes considérées par le comité comme ne satisfaisant pas aux critères définis pour cette fonction – tels que les prévoit l’article 21, paragraphe 1, de la Convention –, le comité informerait l’Assemblée des raisons qui motivent son point de vue.
11. Cette initiative du Président Costa est bienvenue, dans la mesure où son intention est claire: veiller à ce que les listes transmises à l’Assemblée comportent trois candidats qui présentent les plus hautes qualités (voir les paragraphes 4-6 plus haut et la lettre du Président Costa jointe en annexe). Cela dit, même si j’estime que cette proposition et toute autre initiative utile aux Etats concernés et à l’Assemblée garantissent la présence de trois juristes d’un niveau exceptionnel sur les listes de candidats transmis à l’Assemblée, certains commentaires critiques peuvent néanmoins être formulés à son encontre. Cette idée est en effet modelée sur le comité d’experts indépendants créé au moment de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (article 255 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne); or cette instance est d’un autre genre. Dans la Convention européenne des droits de l’homme, l’Assemblée élit les juges à partir d’une liste de trois personnes (en d’autres termes, elle a le choix: voir l’article 22), tandis que le comité de l’Union européenne examine l’aptitude de candidats uniques, présentés par les gouvernements pour être nommés à la Cour de justice de l’Union européenne 
			(6) 
			. Pour de plus amples informations au
sujet du comité de l’Union européenne, prévu expressément par le
droit primaire de l’Union européenne, voir la <a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:050:0018:0019:FR:PDF'>Décision
du Conseil 2010/124/UE</a> (en annexe de laquelle figurent
les règles de fonctionnement du comité) et la <a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:050:0020:0020:FR:PDF'>Décision
du Conseil 2010/125/UE</a>.. L’élection des juges par l’Assemblée, prévue par le système de Strasbourg, leur confère une «légitimité démocratique» que ne possède aucune autre juridiction internationale. De même, les Etats parties à notre Convention pourraient considérer une création aussi hybride comme une ingérence déplacée dans leur propre procédure de sélection nationale, rigoureuse, transparente et équitable, espérons-le (comme pourrait le faire l’Assemblée, si l’on venait à proposer qu’un comité de ce genre lui dispense ses conseils au lieu de les adresser aux Etats parties) 
			(7) 
			. Comme la sous-commission sur l’élection
des juges à la Cour européenne des droits de l’homme de l’Assemblée entend
chaque candidat au cours d’un entretien avant l’élection (voir plus
haut la note de bas de page 3 pour plus de précisions; des entretiens
ont également souvent lieu au cours de la procédure nationale de
sélection), il importerait de veiller à ce que ce nouveau comité
consultatif, s’il était créé, fonctionne uniquement au moyen d’une
procédure écrite. Voir l’article 7 (Audition) des règles de fonctionnement
du comité de l’Union européenne.. Pour autant, comme l’initiative du Président Costa est mue par l’ambition d’améliorer la qualité des candidats présentés à l’Assemblée, cette proposition me paraît digne d’être examinée attentivement.
12. Que la proposition du Président Costa soit acceptée ou non par le Comité des Ministres (c’est-à-dire par les Etats membres), la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et l’Assemblée dans son ensemble doivent demeurer vigilantes et continuer à veiller, dans la mesure du possible, à ce que les procédures de sélection nationales soient équitables, transparentes et cohérentes, afin d’être en mesure de choisir et d’élire des juges qui présentent les plus hautes qualités.
13. Cela conduit à soulever une autre question qui lui est associée. Nos parlements ne devraient-ils pas prendre davantage part, en amont, aux procédures nationales de sélection des candidats? Cette question mérite d’être examinée, mais dans un rapport distinct 
			(8) 
			.
Dans certains Etats parties, les parlementaires prennent directement
part à la procédure nationale de nomination: voir à ce propos le
rapport Chope, mentionné aux paragraphes 3 et 6 ci-dessus, passim,
ainsi que l’exposé introductif du vice-président de la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, Serhiy Holovaty,
lors d’une audition organisée par la commission des affaires constitutionnelles
du Parlement européen à Bruxelles, le 18 mars 2010, sur le thème
de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des
droits de l’homme: 
			(8) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2010/intervention_Holovaty_ F.pdf'>www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2010/intervention_Holovaty_%20F.pdf</a>,
p. 4 et 5. .

Annexe - Lettre de M. Jean-Paul Costa, Président de la Cour européenne des droits de l’homme, adressée aux représentants permanents (ambassadeurs) des Etats membres le 9 juin 2010

(open)

Monsieur l’ambassadeur, Madame l’ambassadeur,

Comme vous le savez, la Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme a appelé les Etats parties et le Conseil de l’Europe, au point 8 du Plan d’action d’Interlaken, à «assurer, au besoin en améliorant la transparence et la qualité des procédures de sélection aux niveaux national et européen, que les critères de la Convention relatifs aux conditions d’exercice de la fonction de juge à la Cour, notamment des compétences en droit public international et concernant les systèmes légaux nationaux ainsi que de bonnes connaissances au moins d’une langue officielle, soient pleinement respectés».

L’un des facteurs décisifs permettant d’assurer l’avenir de la Cour – et donc celui du système de la Convention – sera la qualité de ses juges. Quelles que soient les réformes entreprises, elles échoueront si les juges n’ont pas l’expérience et l’autorité nécessaires.

L’importance que revêt le niveau de compétence professionnelle des juges ne tient pas seulement au fait qu’il faut veiller à ce que les décisions qu’ils rendent et la jurisprudence qu’ils développent soient de grande qualité. Ce critère est également essentiel en raison du fait que, dans un système subsidiaire où la protection des droits de l’homme revient avant tout aux juridictions nationales, la Cour européenne, en sa qualité d’ultime arbitre des questions relatives aux droits de l’homme, doit être composée de personnes dont la compétence et l’autorité sont de nature à susciter le respect des juges nationaux, y compris de ceux des juridictions suprêmes. Si tel n’est pas le cas, la Cour elle-même pâtira d’un déficit d’autorité, et le système perdra en crédibilité et en efficacité.

Cet aspect est aussi particulièrement important dans la perspective de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention. L’un des éléments cruciaux dans ce contexte sera la relation qui s’installera entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme. Pour fonctionner, elle doit reposer sur le respect mutuel. Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, les nominations des magistrats des juridictions de l’Union européenne sont soumises à l’avis d’un comité indépendant (article 255 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Il est vrai que la procédure prévue par la Convention n’est pas strictement comparable à celle de l’UE, compte tenu de la participation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et de la garantie supplémentaire ainsi apportée.

Il est utile de rappeler que le Groupe de sages a envisagé dans son rapport de 2006 un premier tri des candidatures «par un comité de personnalités qui pourraient être choisies parmi d’anciens membres de la Cour, des membres et anciens membres de juridictions nationales suprêmes ou constitutionnelles et des juristes possédant des compétences notoires» (paragraphe 118 du rapport). De plus, dans sa contribution à la Conférence d’Interlaken, le Secrétaire Général a fait une proposition similaire (paragraphe 18).

En ce qui concerne les critères prévus par la Convention, l’article 21, paragraphe 1, de celle-ci dispose que «les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire». Ces critères sont restés inchangés depuis l’adoption de la Convention en 1950.

Les termes employés dans cette disposition peuvent dans une certaine mesure faire l’objet d’une définition objective. De hautes fonctions judiciaires impliquent que les intéressés doivent être aptes à siéger dans l’une des juridictions supérieures du pays. Ainsi par exemple, les membres des Cours suprêmes, des Cours constitutionnelles et des Conseils d’Etat répondent clairement à ce critère, ce qui n’est pas le cas, en principe, des juges qui ne peuvent siéger que dans les juridictions de premier degré.

Un «jurisconsulte possédant une compétence notoire» doit pour sa part avoir une grande expérience de la pratique et/ou de l’enseignement du droit, ce qui implique généralement dans le second cas d’avoir publié des travaux importants. On peut aussi trouver un signe objectif de cette qualité dans le temps passé dans une chaire d’enseignement.

Il est clair que les Etats joueront un rôle fondamental en veillant à ce que les trois personnes dont ils présentent la candidature soient suffisamment qualifiées pour offrir à l’Assemblée parlementaire un véritable choix entre plusieurs candidats de compétences équivalentes et pour garantir que, quel que soit celui qui sera élu, il sera suffisamment expert dans un domaine pertinent du droit (droit international, droit pénal, droit administratif, droit humanitaire, etc.). Pour y parvenir, il faut mettre en place au niveau national une procédure équitable et transparente. Cela a déjà été recommandé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et il est important que cela soit suivi d’effet de façon générale.

Cependant, cela ne suffit pas, me semble-t-il.

C’est la raison pour laquelle je voudrais prier le Comité des Ministres de mettre en place rapidement un comité correspondant aux propositions des Sages et du Secrétaire Général. Ce comité, qui devrait être composé de personnalités ayant un profil correspondant à ce qui est souhaité, interviendrait avant que la liste ne soit soumise par la Partie contractante à l’Assemblée parlementaire, de manière à ne pas empiéter sur les responsabilités de celle-ci dans ce domaine. En outre, il n’aurait qu’un rôle consultatif: en d’autres termes, il se bornerait à faire des recommandations à l’Etat qui l’aurait soumise y compris, si nécessaire, la proposition de modifier la liste. Ce comité pourrait être mis en place par une décision du Comité des Ministres sans qu’il soit nécessaire de modifier la Convention.

Je souhaite aborder cette question dès que possible avec le Président de l’Assemblée parlementaire. J’espère que vos collègues les Délégués des Ministres et vous-même serez en mesure de discuter de ce sujet important à brève échéance.

Pour ma part, je suis disposé à présenter des propositions plus détaillées quant au fonctionnement du comité et à la nomination de ses membres.

Je vous prie de bien vouloir accepter l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Signé:

Jean-Paul Costa