1. Introduction
1. Tout d’abord je souhaite féliciter mon collègue rapporteur,
M. Berényi, pour l’excellence et l’exhaustivité de son rapport.
2. Dans mon avis, je souhaite me pencher sur la triple discrimination
dont sont victimes les femmes et les jeunes filles roms: en tant
que Roms par l’ensemble de la collectivité et en tant que femmes
et jeunes filles à la fois par l’ensemble de la collectivité et
par leur propre communauté.
3. Cette discrimination comporte non seulement les stérilisations
forcées pratiquées dans certains pays et mentionnées par M. Berényi,
mais aussi les mariages forcés et arrangés d’enfants, qui constituent
une violation des droits de la personne humaine et entraînent un
taux d’abandon scolaire très important au niveau du lycée, des grossesses
précoces, ainsi que d’autres conséquences négatives. En outre, les
jeunes filles et les jeunes femmes roms sont contraintes de jouer
des rôles très sexués à la fois au sein et à l’extérieur de leur communauté,
aux effets négatifs sur leur autonomie, leur santé, leurs possibilités
de travail hors du foyer et leur bien-être général.
4. Les femmes roms ont besoin de soutien social et juridique
pour améliorer leurs conditions socio-économiques et pour garantir
leur accès à l’éducation et à la santé, condition préalable à l’emploi,
ainsi que leur protection contre la triple discrimination précitée.
2. Violence à l’égard des femmes roms
5. La violence à l’égard des femmes roms est systématique
et répandue à la fois au sein de leur communauté et en dehors. Au
sein de leur communauté, cette violence prend souvent la forme de
violence domestique. Un grand nombre de femmes roms signalent qu’elles
ont été victimes de violences de la part de leur mari, parfois très
longtemps dans de nombreux cas.
6. On relève différentes formes de violence domestique contre
les femmes et les jeunes filles, notamment: les mariages précoces
et forcés, le viol et le viol conjugal, les sévices physiques, l’exploitation
économique et les violences verbales. Les raisons données pour rester
dans une relation maltraitante sont les suivantes: crainte de la
honte et de la stigmatisation par la famille et la communauté, dépendance
économique, absence de biens ou d’autres lieux où aller et hésitation
à «briser la famille». Dans de nombreux cas, les femmes roms n’ont
pas de certificat de mariage et sont donc considérées uniquement
comme des concubines.
7. Les traditions roms imposent que, lorsqu’une femme se marie,
elle abandonne son foyer et qu’elle aille vivre chez son mari et
dans sa belle-famille. En cas de séparation, la famille de la femme
peut ne pas l’autoriser à revenir au foyer, et la forcer à rester
dans cette relation maltraitante. Lorsque le couple s’installe dans
son propre foyer, c’est le mari qui en est, dans presque tous les
cas, propriétaire, ce qui force la femme à rester.
3. Education des jeunes filles roms
8. Les filles roms se heurtent à un certain nombre d’obstacles
en matière d’accès à l’éducation, comme l’illustre le taux élevé
d’analphabétisme des femmes roms par rapport aux hommes roms, beaucoup
plus élevé que celui de femmes et des hommes non roms (moins de
la moitié de toutes les jeunes filles roms en Europe ont dépassé
l’école primaire). Les obstacles auxquels se heurtent généralement
les femmes roms sont dus à une grande pauvreté et aux traditions
patriarcales qui entraînent de moindres attentes en ce qui concerne l’éducation
des filles roms, sur lesquelles pèsent, dès le plus jeune âge, les
obligations familiales (comme les tâches ménagères ou la prise en
charge de leurs jeunes frères et sœurs). De plus, la tradition de
la virginité jusqu’au mariage (renforcée par la pratique de la vérification
de la virginité) est encore très courante dans les familles roms
et étroitement liée au taux très élevé d’abandon scolaire des jeunes
filles roms à leur puberté. Les familles craignent le risque d’une
défloration à l’école, qui amènerait la «honte» à la jeune fille
et à sa famille.
9. Le conflit entre l’éducation et la tradition des mariages
précoces est à considérer comme une question fondamentale. Le problème
de la discrimination à l’égard des femmes roms doit être approfondi
pour l’impact négatif qu’elle a sur les jeunes filles qui doivent
négliger leur éducation personnelle pour assumer des responsabilités
familiales du fait des mariages précoces et des grossesses d’adolescentes.
4. Santé des femmes et des jeunes filles roms
10. L’inégalité produite par des structures marquées
par des rôles très sexués limite encore plus les possibilités des
femmes roms de bénéficier de la meilleure qualité possible en matière
de santé. Dans de nombreux cas, l’inégalité des chances dont souffrent
les femmes roms en matière d’accès à la santé est aggravée par la
place défavorisée qu’elles occupent par rapport aux hommes roms
dans les secteurs sociaux comme l’éducation et l’emploi. A cause
de leurs moindres possibilités d’accès au marché du travail et leur faible
degré d’éducation, les femmes roms courent plus de risques d’être
exclues de l’assurance santé. Cette exclusion du système de santé
a un effet disproportionné sur la santé des femmes roms.
11. La discrimination à l’égard des femmes roms dans le domaine
de la santé est particulièrement évidente en ce qui concerne la
santé génésique et maternelle et les soins d’urgence qui sont les
services de santé les plus souvent sollicités. On constate chez
elles une réticence particulière à consulter un(e) gynécologue à cause
de la honte engendrée par une éducation patriarcale.
12. Il convient d’accorder une attention toute particulière à
l’éducation à la santé des adolescents, notamment l’information
et le conseil sur toutes les méthodes de planification familiale;
en effet, les femmes roms qui utilisent une contraception sont très
peu nombreuses et le nombre d’avortements très élevé. La principale
raison en est l’absence d’information sur les méthodes différentes
de contraception et l’opposition des époux.
13. Des conseils de planification familiale doivent être inclus
dans le processus éducatif et les codes familiaux doivent être conçus
pour garantir les droits des femmes à décider librement et de manière responsable
du nombre et de l’espacement des naissances. Ils doivent véhiculer
une idée de la maternité comme fonction sociale et la reconnaissance
de la responsabilité commune des femmes dans l’éducation et l’épanouissement
de leurs enfants.
14. La stérilisation forcée est une pratique particulièrement
contestable imposée aux femmes roms, surtout dans certains pays
d’Europe centrale et orientale (bien qu’il y ait eu certains cas
en Suède). Parfois décrites comme une survivance du communisme,
des stérilisations ont été pratiquées sans le consentement préalable et
éclairé des patientes encore en 2007 et 2008. Il est difficile de
savoir exactement combien de femmes roms ont été victimes de cette
grave violation de leurs droits fondamentaux, puisque les victimes
éprouvent des difficultés, pour de nombreuses raisons, à signaler
ces crimes: de nombreuses femmes découvrent tard, ou parfois jamais,
qu’elles ont été stérilisées et les sentiments de honte et d’indignité
qu’elles ressentent peuvent les amener à le taire même à leur famille,
et encore davantage à leur communauté et/ou à leurs avocats. En outre,
ces actes répréhensibles n’ont été souvent reconnus et des excuses
présentées qu’après de longues procédures (tribunaux et médiateurs)
sans grand espoir d’indemnisation. On peut espérer qu’à la suite
des récentes observations émises au niveau international, par exemple
par le Comité de la Convention sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), cette situation
changera et que les victimes commenceront à trouver le courage de
se faire connaître et de réclamer – et de recevoir – une indemnisation,
comme cela s’est produit en Hongrie, en Slovaquie et en République
tchèque.
5. Mesures pour combattre la discrimination multiple
qui touche les femmes roms
15. Les politiques de santé à l’intention des femmes
roms doivent prendre en compte tout l’éventail des facteurs qui
les exposent davantage aux facteurs de risque en matière de santé
ainsi qu’à une exclusion disproportionnée de l’accès à la santé.
Les gouvernements doivent prendre les mesures suivantes:
- examiner comment l’appartenance
ethnique et le statut socio-économique des femmes roms affectent leur
santé;
- veiller à ce que les lois et politiques en vigueur en
faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes comprennent des
dispositions pour prévenir et combattre les obstacles multiples
auxquels se heurtent les femmes des groupes minoritaires dans l’exercice
de leurs droits fondamentaux;
- proposer régulièrement des services accessibles aux femmes
et aux jeunes filles roms qui n’ont autrement guère accès aux services
médicaux;
- mettre en œuvre des programmes éducatifs de santé orientés
vers le patient à l’intention des femmes roms;
- assurer une éducation médicale permanente prenant en compte
les facteurs sociaux et culturels en ce qui concerne la santé des
femmes roms;
- concevoir, soutenir et évaluer les interventions de prévention
contre la violence, y compris la violence domestique. Les gouvernements
doivent accorder une protection aux victimes de la violence domestique
en termes d’intervention, d’enquête et d’assistance, et prenant
en compte les problèmes et la situation spécifique des femmes roms.
16. S’agissant de la stérilisation forcée, les femmes roms sont
particulièrement vulnérables aux pratiques abusives des médecins
praticiens pendant leur grossesse et lors de leur accouchement.
Parmi ces actes extrêmes, citons le décès après l’accouchement,
les graves atteintes à la santé de la femme, ainsi que l’arrêt forcé
de la capacité génésique de la femme par la stérilisation forcée.
Les femmes roms risquent d’être soumises à la stérilisation sans
leur consentement éclairé et entier, et sans recevoir d’explication
sur l’intervention, sa nature, les risques possibles ou les conséquences
de la stérilisation. Des cas de stérilisation forcée de femmes roms
se sont produits dans un certain nombre d’Etats membres du Conseil
de l’Europe.
17. Les gouvernements doivent veiller à ce que les femmes bénéficient
de services appropriés lors de leur grossesse, de leur accouchement
et dans la période postnatale. Des services de santé convenables
doivent être fournis de manière à garantir le consentement éclairé
et entier des femmes, le respect de leur dignité et la prise en
compte de leurs besoins et de leurs perspectives. Afin de réparer
les torts faits aux victimes de la stérilisation forcée et de prévenir
la répétition de semblables et très graves violations des droits
des patients, les gouvernements concernés doivent prendre les mesures
suivantes:
- mettre en place
une commission indépendante pour enquêter sur les allégations et
les plaintes de stérilisation forcée; procéder à des enquêtes approfondies
sur les cas signalés et permettre aux femmes d’avoir accès à des
procédures lorsqu’elles estiment avoir été stérilisées de manière
abusive. Ces procédures doivent garantir le respect des droits à
la vie privée. Il est nécessaire de rendre justice à toutes les
victimes des stérilisations forcées;
- réviser le système juridique interne pour le rendre conforme
aux normes internationales dans le domaine des droits génésiques;
- promouvoir l’habitude de demander le consentement éclairé
et entier des patientes pour toutes les procédures médicales concernées.
18. Il ne doit plus y avoir de mariages forcés ni de mariages
d’enfants dans nos sociétés qui défendent les droits de l’homme
et les droits de l’enfant. Nous devons savoir que dans de nombreux
pays européens, les femmes et les jeunes filles des communautés
roms sont victimes des mariages d’enfants. Les gouvernements ont
le devoir de protéger et de préserver les cultures minoritaires
comme celles des Roms, mais ils ont aussi encore plus le devoir
d’empêcher les traditions qui nuisent aux personnes, en l’occurrence
les jeunes filles roms.
19. Les droits fondamentaux de ces femmes et de ces jeunes filles
sont violés lorsque, sous couvert du respect de la culture et des
traditions de la communauté rom, les autorités tolèrent les mariages
forcés et les mariages d’enfants alors que ceux-ci violent les droits
fondamentaux de toutes les victimes. Il est nécessaire que les autorités
nationales modifient leur législation (si elles ne l’ont pas encore
fait) et appliquent rigoureusement la loi, mais il est aussi nécessaire
de s’employer à un changement culturel permettant à toute la communauté
rom d’évoluer et de lutter elle aussi contre cette violation des
droits de la personne humaine qu’est un mariage précoce ou forcé.
20. Les femmes roms devraient se voir garantir l’exercice de leurs
libertés et de leurs droits fondamentaux sur un pied d’égalité avec
les hommes. Leur statut juridique ne doit pas être lié au mariage,
qui les rend dépendantes de leur mari, du mariage et des relations
familiales. Il est nécessaire d’affirmer l’égalité des droits et
des obligations des femmes et des hommes roms en ce qui concerne
le choix du conjoint, la maternité et la paternité, les droits personnels
et la maîtrise des biens. Ils doivent pouvoir choisir un conjoint
librement et ne se marier qu’en n’y consentant librement et pleinement.
Ils doivent avoir les mêmes droits et responsabilités pendant le
mariage et lors de sa dissolution; en tant que parents aussi, ils
doivent avoir les mêmes droits concernant leurs enfants; et, en
tant que mari et femme, ils doivent avoir les mêmes droits personnels,
y compris celui de choisir un patronyme, une profession et un emploi.
21. Ainsi, les parlements nationaux des Etats membres du Conseil
de l’Europe doivent adapter leur législation interne, s’ils ne l’ont
pas encore fait, pour:
- fixer
ou élever à 18 ans l’âge statutaire minimal du mariage pour les
hommes et pour les femmes;
- faciliter la prévention, la détection et l’annulation
des mariages forcés et des mariages d’enfants, et poursuivre en
justice les auteurs de viols dans le cadre de ces mariages ainsi
que ceux qui ont encouragé ces mariages et aidé à ce qu’ils soient
contractés;
- prendre plusieurs mesures concrètes telles que: rendre
obligatoires la publication de chaque mariage et son inscription
par l’autorité compétente dans un registre officiel; instituer un
entretien entre l’officier de l’état civil et les fiancés avant
la célébration du mariage et permettre à un officier de l’état civil
qui a des doutes sur le consentement libre et entier de l’une ou
de l’autre partie de les convoquer ensemble ou séparément à une
autre réunion.