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Rapport | Doc. 12624 | 01 juin 2011

La situation en Tunisie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Anne BRASSEUR, Luxembourg, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Renvoi n° 3750 du 11 mars 2011. 2011 - Troisième partie de session

Résumé

En janvier 2011, deux semaines après la «révolution du jasmin» en Tunisie, qui a lancé la vague de transformations démocratiques dans le monde arabe, l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 1791 (2011) sur la situation en Tunisie. Elle a décidé, entre autres, de suivre de près les développements politiques dans le pays et de trouver les moyens appropriés de l’aider dans sa transition vers la démocratie.

Le présent rapport dresse un bilan des développements en Tunisie depuis janvier 2011 et salue les changements positifs et les réformes initiées par les autorités transitoires afin de répondre aux aspirations démocratiques des Tunisiens. En même temps, le rapport souligne les défis auxquels la Tunisie est confrontée.

Enfin, la commission des questions politiques appelle le Conseil de l’Europe (l’Assemblée parlementaire, le Comité des Ministres et le Secrétaire Général) à continuer à soutenir et à assister la Tunisie sur la voie de la démocratie, et propose une série de mesures concrètes à cet effet.

A. Projet de résolution 
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			.
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30
mai 2011.

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1. L’Assemblée parlementaire se réfère à la Résolution 1791 (2011) relative à la situation en Tunisie adoptée en janvier 2011 à l’issue d’un débat selon la procédure d’urgence, deux semaines seulement après la Révolution de jasmin qui a mis fin au régime de Ben Ali. Elle réitère son hommage au courage et à la détermination du peuple tunisien qui, malgré la violence et la répression, a clairement montré sa volonté de mettre fin au régime autoritaire et de faire de la Tunisie un pays libre, ouvert et démocratique.
2. Cinq mois après la révolution, l’Assemblée constate avec satisfaction que le processus de transition démocratique en Tunisie est bien engagé et a déjà apporté les premiers résultats en matière de démantèlement des structures de l’ancien régime, et de la mise en place d’éléments d’un système politique tourné vers la démocratie.
3. L’Assemblée salue le courage, la compétence et la détermination des membres du gouvernement provisoire, des instances nouvellement créées ainsi que des représentants de la société civile.
4. L’Assemblée réaffirme sa disponibilité pour faire bénéficier les institutions transitoires et les futures institutions permanentes, ainsi que la société civile tunisiennes, de son expérience en matière d’accompagnement de transitions démocratiques et de création de nouvelles institutions dans les jeunes démocraties en Europe. Ce faisant, elle n’a nullement l’intention de donner de leçons ou d’imposer de modèles, et respecte les choix souverains des Tunisiens. Tout soutien et toute aide doivent être régis par le respect des Tunisiens et de leur dignité.
5. L’Assemblée soutient l’intention des autorités transitoires d’organiser aussi rapidement que possible des élections d’une Assemblée nationale constituante, pour assurer une légitimité démocratique des transformations en cours. Elle félicite les autorités d’avoir élaboré un cadre juridique pour les élections, et d’avoir confié leur organisation à une instance indépendante. Cependant, elle est consciente que l’organisation matérielle des élections initialement prévues le 24 juillet 2011 présente beaucoup de difficultés sur le plan pratique. Elle note que l’Instance supérieure indépendante pour les élections a adopté, lors de sa réunion de 22 mai 2011, la proposition de reporter les élections au 16 octobre 2011.
6. En même temps, l’Assemblée est préoccupée par une dégradation considérable de la situation économique et sociale dans le pays, notamment par une forte progression du taux de chômage. Elle prend note des efforts du gouvernement provisoire visant à relancer l’économie et à créer des emplois, mais estime qu’un effort international de solidarité est nécessaire pour soutenir la Tunisie en pleine transition.
7. La révolution a suscité beaucoup d’enthousiasme et d’attentes parmi la population tunisienne. Faute d’améliorations concrètes en matière économique, le soutien envers la révolution peut vite s’essouffler, et laisser la place aux sentiments de désillusion et de déception.
8. Le sursaut de la tension politique début mai 2011 a montré que la stabilité apparente de la situation politique en Tunisie reste très fragile, et que le mécontentement d’une partie considérable de la population peut facilement être instrumentalisé pour déstabiliser le pays à la veille des élections. L’Assemblée invite instamment toutes les forces politiques et civiles tunisiennes à faire preuve de responsabilité et à ne pas mettre en péril le processus de transformation en cours.
9. Les autorités devront veiller de façon prioritaire à renforcer la sécurité intérieure qui est très fragile.
10. L’Assemblée se félicite du fait que la définition des priorités et l’élaboration du programme de réformes se déroulent essentiellement dans un climat politique inclusif, avec une large participation des acteurs de la société civile.
11. Elle note avec satisfaction que des contacts ont pu être établis entre la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, et elle encourage la Haute instance à pleinement utiliser l’expérience et l’expertise de la Commission de Venise dans la préparation de la future constitution.
12. L’Assemblée est prête à contribuer à l’organisation et à l’observation des élections de l’Assemblée nationale constituante, et se félicite de l’intention des autorités de l’inviter à observer ces élections.
13. L’Assemblée insiste sur l’importance de prendre des mesures pour endiguer la corruption et le népotisme et pour enquêter sur les abus de pouvoir commis par les anciennes élites dirigeantes de Tunisie. Elle encourage la Commission d’enquête sur les malversations et la corruption à faire toute la lumière sur les abus commis par les anciens dirigeants tunisiens et leurs proches. Elle appelle les autorités transitoires et les futures autorités tunisiennes à mettre en place un dispositif efficace pour combattre la corruption.
14. L’Assemblée appelle les autorités transitoires tunisiennes:
14.1. à garantir, dans le cadre de campagne électorale pour l’Assemblée nationale constituante, le respect des libertés politiques fondamentales telles que la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté d’expression et la liberté des médias, ainsi que les droits individuels;
14.2. à veiller au respect du principe démocratique essentiel de séparation des pouvoirs temporel et spirituel;
14.3. à assurer la stricte neutralité de toutes les forces de l’ordre de l’Etat et leur non-ingérence dans le processus électoral;
14.4. à créer des conditions équitables et transparentes pour la campagne électorale, et notamment à assurer l’accès égal des différentes forces politiques aux médias et le droit des citoyens à accéder à l’information pour pouvoir effectuer des choix politiques éclairés;
14.5. à assurer la transparence du financement des partis politiques et de la campagne électorale;
14.6. à créer des conditions pour le suivi du processus électoral par des observateurs nationaux et étrangers en toute transparence;
14.7. à assurer un examen rapide et objectif de toute contestation possible.
15. L’Assemblée appelle les forces politiques et civiles tunisiennes:
15.1. à mener la campagne électorale dans un climat de sérénité et de respect mutuel;
15.2. à s’abstenir de toute tentative de provocation ou d’aggravation de tensions politiques, économiques et sociales, ou d’atteinte à l’ordre public;
15.3. à respecter la législation électorale et les décisions des institutions chargées de l’organisation des élections;
15.4. à accepter et à respecter les résultats du vote.
16. L’Assemblée encourage les acteurs de la société civile à rester activement engagés dans l’organisation et le suivi du processus électoral et, au-delà des élections, dans la promotion des principes et des valeurs démocratiques dans le cadre des réformes.
17. Au-delà de l’élection de l’Assemblée nationale constituante, l’Assemblée invite les futures autorités tunisiennes:
17.1. à veiller à sauvegarder les acquis positifs de la société tunisienne, en particulier le haut niveau d’éducation et le statut de la femme;
17.2. à mettre en place des conditions pour que la jeunesse tunisienne puisse s’engager activement dans la vie publique et l’action politique, et ainsi mettre en œuvre son désir d’être une force active du changement;
17.3. à poursuivre le processus de réformes politiques en s’inspirant des principes et valeurs universels et de l’expérience de la transition démocratique accumulée au sein du Conseil de l’Europe;
17.4. à approfondir à cet effet le dialogue avec les organes, les mécanismes et les structures appropriés du Conseil de l’Europe. A cette fin, l’Assemblée réitère les éléments contenus au paragraphe 13 de la Résolution 1791 (2011), et invite à nouveau les futures autorités tunisiennes:
17.4.1. à adhérer aux instruments juridiques du Conseil de l’Europe qui sont ouverts aux Etats non membres, en particulier dans les domaines de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit;
17.4.2. à exploiter pleinement l’adhésion de la Tunisie à la Commission de Venise dans le processus de réforme constitutionnelle à venir;
17.4.3. à adhérer aux accords partiels élargis du Conseil de l’Europe tels que le Centre Nord-Sud et l’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs;
17.4.4. à établir des contacts entre le Conseil de l’Europe et les autorités tunisiennes chargées des questions de justice, de développement durable, de culture, d’éducation et d’enseignement supérieur, de jeunesse et de sport, d’égalité entre les sexes et de droits des enfants;
17.4.5. à étudier et à utiliser, dans leurs activités respectives, l’expérience des institutions des droits de l’homme et des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme et du Commissaire aux droits de l’homme;
17.4.6. à favoriser les contacts entre les représentants parlementaires et ceux de la société civile tunisiens et européens;
17.4.7. à examiner les perspectives de dialogue parlementaire offertes par le statut de partenaire pour la démocratie récemment créé par l’Assemblée.
18. L’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe:
18.1. à renforcer les contacts et à envisager des mesures de soutien en faveur de la société civile tunisienne;
18.2. à examiner dans quelle mesure la Tunisie pourrait bénéficier de l’expérience des écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe;
18.3. à examiner les moyens d’associer des représentants de la jeunesse tunisienne aux activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la jeunesse;
18.4. à examiner la possibilité d’inviter des représentants tunisiens à l’Université d’été de la démocratie;
18.5. à soulever, dans ses contacts avec les partenaires internationaux du Conseil de l’Europe, en premier lieu l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la nécessité d’une coordination efficace des efforts d’assistance à la transition démocratique en Tunisie.
19. L’Assemblée invite la Commission européenne à revoir sa décision de retirer son soutien financier au réseau existant des écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe.
20. L’Assemblée appelle les principaux partenaires internationaux de la Tunisie, en particulier l’Union européenne, à faire preuve d’une véritable solidarité envers ce pays en pleine transition, et à apporter rapidement un soutien réel à la relance économique et touristique et au redressement de la situation sociale.
21. Elle estime tout à fait inapproprié de ternir l’image de la Tunisie, pays qui vient de se libérer d’un régime autoritaire et a fait le choix de la démocratie, comme pays source de migrants en situation irrégulière.
22. L’Assemblée confirme sa détermination, déjà exprimée dans la Résolution 1791 (2011), à continuer à suivre attentivement l’évolution politique en Tunisie et à renforcer son dialogue avec les forces politiques et les acteurs de la société civile tunisienne. Elle est prête à établir des contacts avec la future Assemblée nationale constituante, et à inviter ses représentants à être présents à Strasbourg lors de ses sessions plénières, sur la base de sa Résolution 1598 (2008) «Renforcer la coopération avec les pays du Maghreb».
23. L’Assemblée décide d’inviter des représentants de la future Assemblée nationale constituante, et du futur Parlement tunisien, à participer au Forum pour l’avenir de la démocratie.
24. L’Assemblée demande aux parlements nationaux des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe et aux fondations bénéficiant d’un soutien parlementaire de promouvoir des contacts avec les instances parlementaires tunisiennes.

B. Projet de recommandation

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1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution ... (2011) sur la situation en Tunisie. Elle se réfère également aux efforts de la Présidence turque du Comité des Ministres et du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe visant à contribuer aux transformations en Tunisie.
2. Le succès des réformes engagées en Tunisie, dont le peuple a été le pionnier du «printemps arabe», revêt une importance particulière pour l’avenir de la transition démocratique et l’avancement vers les valeurs universelles dans l’ensemble de la région de la Méditerranée et du Proche-Orient. L’Europe, bâtie sur ces mêmes valeurs, devrait tout faire pour contribuer à la réussite de la transition tunisienne.
3. Le Conseil de l’Europe, disposant d’une expérience et d’une expertise uniques en matière d’accompagnement de transitions démocratiques et de création de nouvelles institutions dans les jeunes démocraties en Europe, est en mesure de les mettre à la disposition de la Tunisie. Il devrait mobiliser ses ressources pour offrir une assistance concrète et efficace à la mise en œuvre des réformes démocratiques en Tunisie.
4. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
4.1. d’intensifier la coopération avec la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique tunisienne, et de lui fournir les informations pertinentes sur les expériences pratiques en matière de processus constitutionnel en Europe;
4.2. d’élaborer, en contact avec les autorités tunisiennes transitoires et en coopération avec d’autres partenaires institutionnels, notamment l’Union européenne, un programme d’assistance aux réformes institutionnelles et politiques en Tunisie, et de faire appel aux Etats membres et à d’autres partenaires afin d’assurer le financement d’un tel programme;
4.3. d’accorder la priorité à l’assistance en matière électorale, y compris la formation du personnel pour administrer les élections et d’observateurs locaux de la société civile tunisienne;
4.4. d’associer des représentants tunisiens, y compris ceux de la société civile, aux activités du Conseil de l’Europe en matière de démocratie, notamment au Forum pour l’avenir de la démocratie, à l’Université d’été de la démocratie et au futur Forum international de la démocratie de Strasbourg;
4.5. d’examiner les conditions d’une possible adhésion de la Tunisie à un certain nombre de conventions européennes notamment dans les domaines de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme.
5. Par ailleurs, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1805 (2011) et sa Recommandation 1967 (2011) sur l’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du Sud de l’Europe. Elle invite le Comité des Ministres à examiner les mesures à prendre pour assurer que le Conseil de l’Europe puisse jouer pleinement son rôle de principale organisation européenne de protection des droits de l’homme en la matière.
6. L’Assemblée se réfère aux conclusions du rapport du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe «Vivre ensemble – Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle» visant à rapprocher l’Organisation de ses voisins, et recommande au Comité des Ministres d’examiner la possibilité de créer, en consultation avec l’Assemblée, un statut spécial auprès du Conseil de l’Europe pour les pays du littoral du sud et de l’est de la Méditerranée qui entraînerait une relation plus étroite que celle prévue par le statut d’observateur.

C. Exposé des motifs, par Mme Brasseur, rapporteure

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1. Introduction

1. Le 27 janvier 2011, deux semaines après la «révolution du jasmin» qui a mis fin au régime de Ben Ali en Tunisie et a, sans doute, ouvert un nouveau chapitre dans l’Histoire, connu désormais sous l’appellation «printemps arabe», l’Assemblée parlementaire a tenu un débat d’urgence sur la situation en Tunisie.
2. Dans la Résolution 1791 (2011) adoptée à cette occasion, elle a rendu hommage au courage et à la détermination du peuple tunisien qui a clairement montré sa volonté de mettre fin au régime autoritaire et de faire de la Tunisie un pays libre, ouvert et démocratique.
3. L’Assemblée a salué les premières mesures des autorités provisoires en vue de libéraliser la vie politique du pays, et les a appelées à engager des réformes politiques profondes afin de répondre aux attentes des Tunisiens.
4. Elle s’est engagée à suivre attentivement l’évolution politique en Tunisie, à renforcer son dialogue avec les nouvelles institutions qui suivront les élections à venir, et à trouver des moyens appropriés pour l’assister dans sa progression vers la démocratie.
5. Le présent rapport a donc pour but de dresser un bilan d’étape sur les évolutions politiques en Tunisie dans les mois qui ont suivi la révolution du jasmin et d’envisager les moyens pour faire profiter la démocratie qui émerge en Tunisie de l’expérience du Conseil de l’Europe en matière de transition démocratique.
6. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas de donner aux Tunisiens des «leçons de démocratie» ni d’imposer des solutions made in Council of Europe. Il est tout à fait compréhensible que les Tunisiens, trop longtemps privés de leur souveraineté politique, soient déterminés à construire une démocratie tunisienne, certes fondée sur les valeurs universelles, mais faite sur mesure pour répondre aux besoins et aux conditions spécifiques du pays.
7. En même temps, au cours de la transition démocratique, la Tunisie aura certainement à affronter des défis et à résoudre des problèmes que d’autres pays en transition vers la démocratie ont connus. L’expérience du Conseil de l’Europe en la matière, qui a contribué à la mise en place de la démocratie dans les pays de l’Europe, peut leur être d’une grande utilité pratique.
8. Si la révolution peut être faite en un jour, il faudra beaucoup plus de temps pour qu’elle apporte les résultats attendus. La transition démocratique est un processus qui peut s’étaler sur plusieurs années. L’Assemblée devrait donc continuer à suivre les développements politiques en Tunisie et à renforcer le dialogue avec les principales forces politiques et la société civile de cette démocratie émergente.
9. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, la commission des questions politiques a organisé une audition avec des représentants de la société civile tunisienne et le président de la Commission de Venise. Cette audition, qui a eu lieu le 9 mars 2011 à Paris, a été d’une grande utilité et a permis à la commission des questions politiques d’entendre les points de vue des acteurs directement impliqués dans la mise au point de l’agenda des réformes en Tunisie, et a donné l’occasion aux membres de la commission de mieux comprendre la nature des processus politiques qui sont en cours dans le pays. L’audition a aussi permis d’établir un degré de confiance mutuelle, ce qui a contribué à créer une atmosphère constructive et a facilité les contacts ultérieurs tant au niveau de l’Assemblée qu’au niveau de la Commission de Venise.
10. Du 20 au 22 avril 2011, j’ai participé, en tant que présidente de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, à une visite du Comité des présidents de l’Assemblée en Tunisie. En ma qualité de rapporteur, j’ai eu une série de contacts supplémentaires la veille. Toutefois, le programme de ma visite était concentré sur la ville de Tunis et ne m’a pas permis d’observer la situation à l’intérieur du pays. Selon certaines informations, cette situation diffère considérablement, tant sur le plan socio-économique que sur le plan politique, de celle dans la capitale. Je considère donc nécessaire que le rapporteur de l’Assemblée puisse prendre connaissance de la situation en province. Des contacts devraient également être établis avec les représentants des instances judiciaires et du monde économique, ainsi qu’avec les représentants des médias.
11. Enfin, je tiens à mentionner ma participation, les 5 et 6 mai 2011, à une conférence intitulée «Plateforme de Sofia – Expérience de l’Europe centrale et de l’Est et changement en Afrique du Nord et au Proche-Orient». Cette réunion, organisée conjointement par le ministère bulgare des Affaires étrangères et la fondation de recherche European Council on Foreign Relations, a réuni un nombre important de personnalités politiques, de chercheurs et de représentants de la société civile, aussi bien d’Europe que des pays de la région d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe y a présenté la vision de notre Organisation sur les transformations en cours dans cette partie du monde. La conférence a été une importante occasion de réfléchir ensemble sur ce que l’Europe peut offrir à nos partenaires dans les pays en transition pour contribuer au succès des réformes engagées.

2. Principaux développements politiques

12. Pendant plusieurs semaines après la révolution du 14 janvier 2011, la situation politique en Tunisie est restée très instable. Le premier gouvernement provisoire, formé par l’ancien Premier ministre Ghannouchi, le 17 janvier, avec la participation des représentants des partis politiques de l’opposition «légale» (les quelques formations politiques qui existaient sous l’ancien régime) et des personnalités indépendantes, a réussi à faire passer un certain nombre de décisions allant dans le sens de la démocratisation. Mais ce gouvernement s’est vite retrouvé sous la pression des manifestants qui réclamaient la démission des ministres ayant servi sous le régime de Ben Ali.
13. En même temps, les forces politiques proches de l’ancien régime, du parti RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) de Ben Ali et des services de sécurité, ont essayé de semer le désordre dans le pays pour détourner le processus de transition vers un nouvel autoritarisme dissimulé sous une libéralisation politique «contrôlée».
14. Face à ces tentatives, les éléments favorables au changement démocratique, en particulier les syndicats et les membres actifs de la société civile, ont continué à faire pression sur le gouvernement provisoire par des manifestations. Ils ont aussi entrepris de se constituer en un Conseil national de défense de la révolution, qui a exigé la convocation d’une assemblée constituante et la dissolution de toutes les institutions héritées de l’ère Ben Ali, à savoir le parlement, le RCD et la police politique.
15. Début février, les deux chambres du parlement ont voté une loi permettant au Président par intérim, Fouad Mebazaa, de gouverner par décrets-lois. Le parlement a ensuite été suspendu, puis dissout. Par ailleurs, un décret-loi du Président par intérim proclamant l’amnistie des prisonniers politiques a été publié le 19 février.
16. Parmi les principales décisions du gouvernement de Ghannouchi, il convient de noter l’interdiction de l’ancien parti dirigeant RCD, ainsi que la mise en place d’une commission de réforme des textes et des institutions, censée préparer la transformation démocratique du pays.
17. Il faut également mentionner la dissolution du ministère de la Communication (qu’il serait plus correct de nommer «ministère de propagande et de censure»), et une certaine libéralisation des médias. Cependant, une réforme dans le domaine de la presse reste encore à faire. Ainsi, nous avons été informés des difficultés que des organisations non gouvernementales (ONG) rencontrent si elles souhaitent obtenir des fréquences radio.
18. Le 27 février, le deuxième gouvernement présidé par l’ancien Premier ministre Ghannouchi a été amené à démissionner sous la pression des protestations. Le nouveau gouvernement transitoire, dirigé par M. Beji Caïd Essebsi, ne comporte plus aucun membre qui ait été proche du régime de Ben Ali, et se positionne comme un cabinet de technocrates dont l’objectif est de garantir le calme et la stabilité pendant la période transitoire.
19. Le 3 mars, le Président par intérim a fixé la date de l’élection d’une assemblée constituante au 24 juillet 2011 
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L’Instance supérieure indépendante pour les élections a adopté,
lors de sa réunion de 22 mai 2011, la proposition de reporter les
élections de l’assemblée constituante au 16 octobre 2011, mais le
gouvernement de transition a décidé, au Conseil des ministres du
24 mai, de maintenir la date initialement annoncée du 24 juillet
2011 pour tenir les engagements pris au mois de mars., au suffrage universel direct et suivant un nouveau code électoral. Un organe spécifique, intitulé «Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique», a été mis en place pour préparer les élections de l’assemblée constituante. Sa présidence a été confiée à M. Yadh Ben Achour, ancien doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, démissionnaire du Conseil constitutionnel en 1992 et opposant au régime de Ben Ali.
20. La Haute instance, composée de 161 membres, dont de nombreux représentants du monde politique et de la société civile, ainsi que de juristes professionnels, a préparé et présenté au gouvernement, à la mi-avril, les projets de loi sur l’organisation des élections et sur la commission électorale.
21. Par ailleurs, deux autres commissions d’enquête indépendantes ont été mises en place pour faire la lumière sur la corruption, les malversations de l’ancien régime et les abus commis par les forces de sécurité lors des événements de décembre 2010-janvier 2011.
22. Le 7 mars 2011, le ministre de l’Intérieur a annoncé la dissolution de la sûreté de l’Etat et de la police politique.
23. Un équilibre politique et institutionnel relatif, bien que fragile, semblerait désormais en place en Tunisie, ce qui permet aux autorités provisoires d’être relativement optimistes quant à la possibilité de préparer les élections. Toutefois, les autorités laissent entendre que cette date pourrait être reportée si les conditions pour un scrutin répondant aux normes démocratiques ne sont pas réunies.
24. La fragilité de cet équilibre a pourtant été mise en évidence par les événements du 5 mai dernier, provoqués par les déclarations de l’ancien ministre tunisien de l’Intérieur Farhat Rajhi, qui a annoncé la préparation d’un «coup d’Etat militaire» en cas de victoire électorale des islamistes. Le gouvernement a condamné ces propos en les qualifiant d’«atteinte à l’ordre public». Les manifestations qui ont suivi cet incident ont tourné en émeute, les jeunes Tunisiens exigeant la démission du gouvernement transitoire et «une nouvelle révolution». La police a dû utiliser le gaz lacrymogène, puis les armes pour mettre fin aux débordements. Plusieurs magasins et maisons ont été pillés. Le 7 mai, les autorités ont instauré un couvre-feu à Tunis. Quelque 600 personnes ont été interpellées. Le couvre-feu a été levé le 18 mai 2011.

3. Défis de la transition politique

25. Dans l’espace des quatre mois qui ont suivi la révolution, la société tunisienne a connu une transformation remarquable. Les Tunisiens sont fiers des avancées démocratiques et des libertés politiques qu’ils ont obtenues.
26. Cependant, la victoire de la révolution ne signifie pas, loin de là, l’avènement de la démocratie. Les défis à relever sont de taille si l’on prend en considération l’absence d’institutions, de structures et de traditions démocratiques dans un pays dirigé pendant des décennies par un régime autoritaire.
27. Actuellement, les autorités transitoires n’ont aucune représentativité, et ne s’appuient sur aucune légitimité autre que celle issue de la révolution. Leur premier objectif est donc d’organiser des élections démocratiques, ouvertes, équitables et transparentes qui consacreraient les choix démocratiques des Tunisiens et donneraient la légitimité au pouvoir issu de ces élections. Le gouvernement de M. Beji Caïd Essebsi a déclaré qu’il resterait en dehors de l’organisation des élections, et qu’aucun de ses membres ne se présenterait comme candidat à la future assemblée.
28. La Haute instance présidée par M. Ben Achour a effectué un travail remarquable de préparation du cadre juridique des futures élections de l’assemblée constituante. Elle a élaboré, adopté par vote le 11 avril 2011 et transmis au gouvernement deux projets de décrets-lois, l’un relatif à l’élection de l’assemblée nationale constituante et l’autre, à l’élection de l’instance supérieure indépendante pour les élections.
29. Le projet de décret-loi électoral a pour ambition de garantir des élections pluralistes, transparentes, crédibles et démocratiques. Le mode de scrutin proposé est le scrutin à un tour à la proportionnelle, aux listes fermées, par circonscriptions, avec la répartition au plus fort reste pour les sièges non pourvus.
30. Le projet garantit le droit de chaque Tunisien, y compris ceux résidant à l’étranger, de participer aux élections avec leur carte nationale d’identité. L’établissement des listes des électeurs devrait s’effectuer sous le contrôle de l’instance supérieure indépendante pour les élections; le ministère de l’Intérieur, qui était en charge de l’administration des élections sous l’ancien régime, est écarté des opérations électorales.
31. Pour ce qui est de la campagne électorale, le projet comprend des principes fondamentaux garantissant l’impartialité de l’administration, la non-exploitation des lieux de culte et la transparence de la campagne électorale au niveau du financement.
32. Deux dispositions du projet de décret-loi sont particulièrement sensibles et ont provoqué de nombreuses discussions en Tunisie: la parité homme-femme dans les listes électorales et la non-éligibilité des anciens cadres de l’ex-parti dirigeant RCD.
33. En ce qui concerne la parité, le projet prévoit que les listes électorales doivent comporter un nombre égal de candidats et de candidates, placés sur les positions alternées («liste-zèbre»). Une liste ne répondant pas à cette exigence serait annulée.
34. Cette disposition a suscité beaucoup de polémiques. Certains craignent, en effet, qu’elle ne pénalise les nouveaux partis qui ne sont pas encore bien structurés et n’ont pas assez de candidates, et ne favorise les partis bien implantés à travers le pays qui chercheraient à augmenter leurs résultats en faisant élire des femmes sans expérience.
35. La question de l’interdiction, pour les anciens cadres du RCD, de se présenter en tant que candidats a provoqué encore davantage de débats, aussi bien sur le principe même de priver une catégorie de personnes de leurs droits d’être élus, sans autre forme de procédure juridique, que sur l’étendue d’une telle mesure.
36. Toutefois, l’argument politique, selon lequel les responsables de l’ancien régime qui portent la responsabilité de ses méfaits ne sauraient être admis à la rédaction de la future Constitution, semble l’avoir emporté. En même temps, cette interdiction devrait être nominative, ne concerner que l’élection de l’assemblée constituante (et non pas les élections suivantes), et pourrait être contestée devant les tribunaux.
37. Selon les estimations de nos interlocuteurs tunisiens, cette interdiction devrait toucher quelque 2 000 à 2 500 personnes ayant occupé des postes de responsabilité dans les organes centraux du parti RCD (bureau politique et comité central), ainsi que dans les organisations territoriales au niveau des gouvernorats.
38. Le mode de scrutin proposé dans le projet de décret-loi fait aussi l’objet de critiques: selon certains, il pénaliserait les petits partis et ne pourrait donc pas assurer la plus large représentativité possible à l’assemblée constituante – chambre d’où doit émaner un consensus général.
39. Le deuxième projet de décret-loi concerne l’instance supérieure indépendante pour les élections qui est élue par la Haute instance et est composée de 15 membres: trois magistrats, trois avocats, un expert-comptable, un journaliste, deux représentants d’organisations non gouvernementales (tous présélectionnés par les associations), ainsi que trois universitaires, un informaticien et un représentant des Tunisiens de l’étranger. Le 9 mai, 13 membres ont été désignés, les magistrats n’ayant pas présenté de candidats. Sur les 161 membres de la Haute instance, 126 ont participé au vote.
40. La mission de l’Instance supérieure indépendante pour les élections consiste à préparer, gérer et contrôler l’opération électorale dans son ensemble et à proclamer les résultats préliminaires des élections, avant l’examen des demandes de recours par une autre instance, «l’instance supérieure des contentieux électoraux», qui sera instituée à cet effet par un décret-loi.
41. Les élections étaient initialement fixées au 24 juillet 2011. Les autorités tunisiennes insistaient sur l’importance de respecter cette date, tout d’abord pour des raisons de crédibilité du processus démocratique, mais aussi pour éviter qu’elles ne soient reportées à la période d’après le mois du ramadan.
42. Cependant, en ce qui concerne l’organisation matérielle des élections, tout reste à faire: établir les listes d’électeurs, définir les circonscriptions, former le personnel des commissions électorales locales, etc. Il est envisagé de renoncer à des cartes électorales mais d’avoir recours aux cartes d’identité pour pouvoir voter. Or, à ce stade, nombre d’électeurs ne sont pas en possession de ce document. Après avoir constaté qu’il n’était pas possible d’assurer la bonne préparation des élections, l’Instance supérieure indépendante pour les élections a adopté, lors de sa réunion de 22 mai 2011, la proposition de reporter les élections de l’assemblée constituante au 16 octobre 2011, mais le gouvernement de transition a décidé, au Conseil des ministres du 24 mai, de maintenir la date initialement annoncée du 24 juillet 2011 pour tenir les engagements pris au mois de mars.
43. Le paysage politique tunisien est actuellement en pleine ébullition. Après la libéralisation des procédures de création de partis, leur nombre dépasse désormais 60 et de nouveaux sont institués toutes les semaines. Certains ont existé sous le régime Ben Ali (opposition dite «légale» 
			(3) 
			. Selon mes informations, neuf partis
étaient reconnus sous l’ancien régime, dont six soutenaient Ben
Ali.) et ont des structures plus ou moins fonctionnelles et des orientations politiques plus ou moins définies.
44. La plupart des nouveaux partis sont peu connus du public. Dans certains cas, on pourrait les qualifier de «partis à thème unique», en fonction des sujets qu’ils se proposent de développer et de défendre. Des partis de ce type auront sans doute beaucoup de mal à s’implanter à travers le pays et devront chercher des alliances, au risque de disparaître.
45. On note également des tentatives de certains éléments de l’ancien régime de se constituer en partis politiques. Il existe un risque que ces éléments, qu’on qualifie de «forces de l’ombre», ne cherchent à instrumentaliser l’aggravation des conditions sociales et économiques pour revenir au pouvoir.
46. Parmi les partis les mieux structurés, il convient de mentionner le parti de tendance islamique Ennahda, légalisé au début de février après de longues années d’interdiction et de persécutions. Même si son émergence inquiète certains, qui y voient une menace pour les principes de la société laïque, Ennahda cherche à rassurer en s’ouvrant au dialogue avec d’autres forces politiques et en participant au processus politique et institutionnel en cours. Le parti participe, aux côtés d’une dizaine d’autres formations politiques, aux travaux de la Haute instance. Ennahda occupera, sans aucun doute, une place considérable dans le paysage politique tunisien en formation.
47. En l’absence d’acteurs politiques établis et facilement reconnaissables de tous, un rôle non négligeable revient actuellement aux organisations de la société civile et du monde associatif, ainsi qu’aux syndicats et aux organisations professionnelles, qui bénéficient d’une notoriété certaine et jouissent d’une bonne réputation. A titre d’exemple, plus d’une quinzaine d’organisations de ce type siègent au sein de la Haute instance présidée par M. Ben Achour.
48. Compte tenu de l’état actuel de la vie politique en Tunisie, caractérisée par une diversité et une fluidité importantes, le risque existe que les électeurs, confrontés à une multitude de partis ou d’alliances aux objectifs politiques flous et représentés par des candidats peu connus, aient du mal à s’y retrouver et à faire des choix éclairés.
49. A cela s’ajoute l’absence, pour les acteurs politiques tunisiens, de l’expérience pratique de campagnes électorales. Le succès de l’opération électorale ne peut donc être considéré comme acquis, malgré l’optimisme et la bonne volonté des autorités transitoires.
50. Si l’élection de l’assemblée constituante est la priorité absolue des Tunisiens, les questions se posent sur ce qui se passera au-delà de cette élection.
51. D’une part, le Président par intérim et le gouvernement transitoire en place ont fait savoir qu’ils déposeront le pouvoir aux mains de l’assemblée constituante qui incarnera le choix souverain du peuple et sera dépositaire de la légitimité. Il est cependant clair qu’il ne sera pas facile, pour un organe électif nouvellement constitué, d’assumer toutes les responsabilités de l’Etat dès le lendemain de l’élection. Il faudrait donc probablement assurer une continuité du pouvoir exécutif sous l’autorité de l’assemblée élue.
52. D’autre part, si la tâche principale de la future assemblée constituante va consister, par définition, à préparer et adopter la nouvelle Constitution, ses prérogatives ne se limiteront sans doute pas à la loi fondamentale, et comprendront des éléments de travail législatif.
53. La transition démocratique en Tunisie mettra à l’ordre du jour la nécessité des réformes dans de nombreux domaines, tels que l’organisation de la justice et de la police, la fiscalité, etc. Des questions relatives à la sauvegarde constitutionnelle ou législative des acquis positifs tunisiens, dont la situation de la femme et la laïcité, devraient aussi être tranchées.
54. La Tunisie, qui aura plus de temps pour mettre en place ces différentes réformes, pourrait éviter bien des erreurs si elle s’inspirait, sans nécessairement les copier, des expériences des jeunes (mais aussi des moins jeunes) démocraties européennes. Le Conseil de l’Europe est un cadre privilégié pour ce partage et la mise en commun des expériences de transition démocratique.

4. Défis économiques et sociaux

55. La situation économique et sociale précaire, avec un chômage massif parmi les jeunes diplômés, a été l’une des causes principales du mouvement populaire qui a finalement abouti à la chute du régime de Ben Ali. Au sein de la population, en particulier chez les jeunes qui ont massivement participé aux manifestations contre l’ancien régime, les attentes sont donc grandes de voir une amélioration rapide et substantielle de leur situation.
56. Hélas, les conséquences de la révolution sur l’économie du pays ont jusqu’à présent été désastreuses. Les images télévisées d’un soulèvement populaire massif confronté à une répression violente ont fait le tour du monde et ont porté un coup grave à l’image de la Tunisie en tant que destination sûre.
57. Le premier secteur à en souffrir a été le tourisme, l’un des piliers de l’économie tunisienne qui occupe plus de 11 % de la population active. Au moment culminant de la révolution, plusieurs pays européens ont procédé à l’évacuation de leurs ressortissants qui se trouvaient en Tunisie, et ont déconseillé les voyages vers le pays. Plusieurs mois après les événements de janvier 2011, la confiance des vacanciers européens n’est toujours pas revenue. Cela est illustré par les chiffres des entrées des non-résidents qui, pour le premier trimestre 2010, s’élevaient à 1 098 200 contre 614 000 pour les trois premiers mois de 2011, soit une baisse de 44 %.
58. De même, l’instabilité politique et l’incertitude institutionnelle qui ont suivi la révolution ont poussé des investisseurs étrangers à la prudence, ce qui a provoqué le ralentissement de plusieurs projets d’investissement.
59. La liberté politique qui est devenue une réalité nouvelle en Tunisie a permis, et même stimulé, une forte mobilisation des mouvements sociaux et de l’activisme revendicatif. Les arrêts de travail, les occupations de locaux industriels et les blocages des entreprises et des routes se sont multipliés, provoquant d’importantes pertes économiques.
60. La guerre civile et l’intervention militaire internationale en Libye, pays voisin de la Tunisie, ont également des conséquences néfastes sur l’économie et la situation sociale tunisiennes. Les autorités doivent faire face à un afflux massif de dizaines, voire de centaines de milliers de réfugiés libyens, ainsi qu’au retour au pays des milliers de Tunisiens qui ont travaillé en Libye et ont dû tout abandonner pour échapper aux hostilités. Le conflit en Libye a également gravement affecté les régions du centre et du sud de la Tunisie dont l’économie locale dépend fortement des échanges avec ce pays voisin.
61. Selon les estimations de la Banque centrale tunisienne, au premier trimestre 2011, la production industrielle a baissé de 13 %, et les intentions d’investissements industriels de 36 %. Quant au chômage, qui a été l’un des déclencheurs du mouvement social en décembre 2010, il était estimé à 500 000 personnes en janvier, mais pourrait dépasser 700 000 personnes en juillet.
62. L’aggravation de la situation économique et la forte progression du taux de chômage font craindre une nouvelle explosion sociale qui pourrait perturber l’équilibre politique fragile difficilement atteint par les autorités, déformer les résultats des élections à l’assemblée constituante et peser sur ses travaux. A moyen terme, la mauvaise situation économique et sociale risque de provoquer des sentiments de frustration et de désillusion, affaiblir le soutien populaire aux réformes, renforcer les positions des partis populistes ou radicaux, voire les partisans de l’ancien régime.
63. Certes, les autorités transitoires sont conscientes de ces dangers et font des efforts pour atténuer la crise et rassurer la population. Elles comprennent aussi que la stabilité politique et sociale est indispensable pour le retour de la confiance des investisseurs et la relance de l’économie. Ainsi, le gouvernement a mis en place des programmes de relance économique et de création d’emplois dans la fonction publique, d’aide aux jeunes chômeurs diplômés, ainsi que de rééquilibrage régional. Il est prévu d’injecter des revenus dans l’économie pour stimuler la consommation et pour privilégier les investissements dans les infrastructures. Cependant, les moyens dont disposent les autorités sont très limités.
64. La révolution tunisienne a donc besoin, de toute urgence, d’une solidarité et d’un soutien réels de la part de la communauté internationale. Les principaux acteurs internationaux (tels que l’Union européenne, les Etats-Unis, et plus récemment la France) ont annoncé leurs intentions d’apporter leur soutien à la Tunisie, mais, selon nos interlocuteurs au sein du gouvernement transitoire, cette aide prend du temps à se matérialiser.
65. En même temps, les autorités tunisiennes déclarent haut et fort qu’elles ne souhaitent pas que la Tunisie devienne une économie assistée. Leur priorité est de remettre en marche les secteurs de l’économie tunisienne générateurs de revenus et créateurs d’emplois, faire redémarrer le tourisme, redonner la confiance aux investisseurs étrangers pour activer l’important potentiel d’investissement dont dispose le pays, et traquer et faire revenir au pays l’argent détourné par l’ancien régime.

5. Problème de la migration irrégulière et image internationale de la Tunisie

66. On doit constater que la révolution du jasmin et l’image d’une Tunisie nouvelle et résolument tournée vers l’avenir, qui a suscité l’admiration de l’opinion publique internationale, ont été très vite éclipsées par les événements en Egypte et dans d’autres pays arabes, y compris, plus récemment, en Libye.
67. En même temps, l’image de la Tunisie est désormais associée, dans les médias européens mais aussi dans la perception des responsables politiques, à l’arrivée des migrants irréguliers tunisiens en Europe via l’île italienne de Lampedusa.
68. Depuis janvier 2011, on estime qu’environ 25 000 jeunes Tunisiens ont quitté leur pays dans l’espoir de rejoindre leurs proches et amis installés en France et dans d’autres pays européens. Quels que soient les motifs qui poussent ces jeunes Tunisiens à chercher leur bonheur en Europe, alors même que leur propre pays a besoin d’eux pour avancer, il s’agit d’une immigration illégale.
69. Ce phénomène est sans doute causé par le relâchement du contrôle par les autorités tunisiennes et la forte progression des activités de passeurs illégaux, mais également par la sensation d’une liberté soudainement trouvée après la chute de l’ancien régime et l’absence de perspectives immédiates dans le pays.
70. En Europe, où les questions liées à l’immigration sont au cœur du débat politique dans plusieurs pays, l’arrivée des milliers de Tunisiens a provoqué des tensions entre l’Italie et un certain nombre de ses partenaires, en premier lieu la France, qui a même provisoirement bloqué la circulation des trains à la frontière franco-italienne. L’Union européenne est en train de réfléchir à la nécessité de revoir les modalités de fonctionnement du système Schengen. Les immigrés tunisiens sont systématiquement interpellés en France et reconduits soit en Italie, soit en Tunisie.
71. En conséquence, le problème de l’immigration irrégulière en provenance de la Tunisie a complètement occulté les transformations démocratiques en cours dans le pays, et domine le discours politique des Européens vis-à-vis des Tunisiens. Cela provoque un sentiment de malaise chez les représentants des autorités transitoires tunisiennes qui n’apprécient pas que le soutien européen aux réformes soit conditionné par un contrôle efficace de l’émigration.
72. Sur ce plan, l’opinion publique européenne semble ignorer que la Tunisie doit elle aussi faire face à un afflux beaucoup plus important de réfugiés en provenance de la Libye. Depuis le début de la crise libyenne, les autorités estiment à plus de 250 000 le nombre de Libyens et de ressortissants d’autres pays qui ont fui les combats et sont arrivés en Tunisie. A cela s’ajoutent quelque 40 000 Tunisiens qui vivaient et travaillaient en Libye et ont dû retourner en Tunisie.
73. Ces dizaines de milliers de réfugiés qu’il faut héberger et ravitailler, rapatrier s’il s’agit de ressortissants de pays tiers, ou aider à la réinstallation s’il s’agit de Tunisiens qui reviennent, exercent une pression extrêmement lourde sur l’économie et les structures sociales fragilisées de la Tunisie.
74. Dans ce contexte, il faut aussi rappeler que les combats entre les forces loyales à Kadhafi et les insurgés libyens ne s’arrêtent parfois pas aux frontières de la Tunisie. Les incursions de forces belligérantes des deux côtés sur le territoire tunisien se sont produites à plusieurs reprises. L’armée tunisienne a été obligée de riposter. Il y a eu également des incidents avec des munitions tombées sur le sol tunisien.
75. De surcroît, des rivalités entre les pro- et les anti-Kadhafi se sont manifestées au sein même de la population tunisienne, dans les régions du Sud, ce qui préoccupe beaucoup les autorités.
76. La situation est donc très tendue dans le sud de la Tunisie, du point de vue tant humanitaire que sécuritaire, et demande une attention permanente des autorités, malgré les moyens limités dont elles disposent.
77. Dans ces circonstances, les partenaires européens de la Tunisie devraient faire preuve de plus de compréhension et de cohérence vis-à-vis ce pays, et offrir plus de soutien et de solidarité réels aux transformations dans lequel il s’est engagé, plutôt que d’exploiter à des fins de politique interne la migration des Tunisiens vers l’Europe.
78. Une approche globale, intégrée et à long terme doit prendre le dessus sur des démarches dictées par la logique sécuritaire. A défaut, l’image de l’Europe, déjà affectée par les années de «coopération fructueuse» avec le régime de Ben Ali, risque d’être ternie pour longtemps.

6. Coopération avec le Conseil de l’Europe

79. La Tunisie était engagée dans certaines formes de coopération avec le Conseil de l’Europe bien avant les événements de janvier 2011. Au niveau de l’Assemblée parlementaire, les délégations tunisiennes ont régulièrement été invitées à Strasbourg dès 2008 à la suite de l’adoption de la Résolution 1598 (2008) «Renforcer la coopération avec les pays du Maghreb». Le Président de l’Assemblée a été en visite à Tunis quelques jours seulement avant la révolution. La Tunisie est devenue membre de la Commission de Venise en 2010.
80. Cependant, c’est après la révolution du jasmin, quand les Tunisiens se sont exprimés en faveur de la démocratie et de la liberté politique, que cette coopération a pris toute son importance.
81. L’Assemblée a été parmi les premières instances internationales à saluer, par le biais de sa Résolution 1791 – adoptée le 27 janvier 2011 –, la victoire de la révolution et le choix démocratique de la société tunisienne, et à offrir à la Tunisie en pleine transition le soutien politique et l’assistance du Conseil de l’Europe. Nous avons pu constater que les Tunisiens l’ont beaucoup apprécié.
82. Le 21 février 2011, M. Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères de la Turquie et Président du Comité des Ministres, et M. Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, se sont rendus à Tunis et ont offert l’assistance du Conseil de l’Europe dans le cadre du processus de la préparation de la nouvelle Constitution.
83. La commission des questions politiques a organisé le 9 mars 2011 une audition avec la participation des représentants de la société civile tunisienne, ainsi que du président de la Commission de Venise, M. Gianni Buquicchio. Cette audition a été particulièrement utile pour la prise de conscience, par des représentants des ONG tunisiennes, des capacités et de l’expérience du Conseil de l’Europe en matière d’accompagnement de la transition. Ils ont également été rassurés sur le fait que la démarche du Conseil de l’Europe vise à proposer et non à imposer des solutions ou des modèles, en respectant la volonté des Tunisiens de rester les maîtres d’œuvre de leur révolution.
84. Une délégation de la Commission de Venise s’est rendue à Tunis du 16 au 18 mars 2011 pour discuter des modalités de coopération possible. Il a été convenu de désigner des personnes de liaison pour assurer un contact privilégié entre la Commission de Venise et la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Il y a eu également un accord entre la Haute instance et la Commission de Venise pour organiser la formation de quelque 300 formateurs du personnel électoral.
85. M. Radhouane Noucier, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères de la Tunisie, a participé à la réunion de la Commission de Venise le 25 mars 2011 et a reçu un accueil particulièrement chaleureux. C’était pour lui l’occasion de constater l’utilité de participer aux travaux de cette instance consultative. Par ailleurs, la Tunisie a nommé le professeur Rafaâ Ben Achour, qui est actuellement le ministre délégué auprès du Premier ministre, en tant que membre suppléant à la Commission de Venise.
86. Nous avons également été informés, par une lettre du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe du 10 mai 2011, que des représentants tunisiens ont déjà été invités à prendre part à certains programmes dans les domaines de la formation à la démocratie, de l’éducation et de la jeunesse. Par ailleurs, des contacts ont eu lieu avec la Commission européenne afin de conclure une nouvelle «facilité» financière qui permettrait d’élargir la coopération avec la Tunisie et les autres pays de la rive Sud de la Méditerranée qui se sont engagés dans la transition vers la démocratie.
87. Les 20 et 21 avril 2011, le Comité des présidents de l’Assemblée, dont votre rapporteur, s’est à son tour rendu à Tunis. Nous avons rencontré les personnalités clés des autorités transitoires (Président, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères), ainsi que le président de la Haute instance, M. Yadh Ben Achour, et M. Taoufik Bouderbala, qui préside la Commission d’enquête sur les abus commis par les forces de sécurité lors des événements de décembre 2010-janvier 2011.
88. Lors de notre visite, le Président de l’Assemblée a invité le Premier ministre, M. Beji Caïd Essebsi, à la session de juin 2011 de l’Assemblée. Nous avons été informés que M. Mouldi El Kefi, ministre des Affaires étrangères, prendra part à la session de juin de notre Assemblée, au cours de laquelle le présent rapport sera présenté.
89. Nous pouvons donc constater qu’un tissu de contacts entre les instances du Conseil de l’Europe et les partenaires tunisiens a été mis en place ces derniers mois. Il est maintenant nécessaire que ces contacts soient transformés en coopération et assistance pratiques, et que celles-ci soient concentrées sur l’essentiel, répondant aux priorités des Tunisiens.
90. Lors de la visite du Comité des présidents, nous avons pu entendre, aussi bien de la part de nos interlocuteurs tunisiens que de la part des diplomates en poste à Tunis, qu’il y a eu, ces derniers mois, une prolifération sans précédent de visites en Tunisie de représentants de différents Etats et organisations internationales. Même si chaque visite est motivée par les meilleures intentions et une volonté sincère d’aider la Tunisie en transition, il n’y a aucune coordination entre les différentes offres de coopération, et souvent, comme le reconnaissent les Tunisiens, il n’y a aucun suivi de ces offres.
91. Nous devons donc éviter à tout prix que le Conseil de l’Europe ne fasse partie de ces «prometteurs sans suite». Pour cela, il faut vraiment se concentrer sur ce que nous pouvons réellement proposer et ce dont les Tunisiens ont besoin en ce moment.
92. Parmi ces priorités, j’insisterais sur le processus électoral, le processus constitutionnel et le fonctionnement des institutions politiques.
93. La priorité absolue pour les Tunisiens est les élections. Il y va de la crédibilité et de la consécration des changements démocratiques. Même si le cadre législatif pour les élections est décidé, nous pouvons constater que la contribution de l’Assemblée et, surtout, celle de la Commission de Venise ont déjà exercé une influence positive. Il faudra continuer à offrir à nos partenaires tunisiens le soft advice du Conseil de l’Europe concernant la législation et la pratique électorales.
94. Il y a une forte demande, de la part des Tunisiens, d’assistance dans l’organisation matérielle des élections. Le projet de la Commission de Venise de former les formateurs pour l’administration des élections a une grande importance. Il faudrait trouver des moyens pour élargir ce type d’assistance, y compris à travers des ONG tunisiennes, qui demandent avec insistance de les aider à former des observateurs locaux d’élections.
95. L’Assemblée, avec son expérience d’observation des élections, devrait déployer une mission d’envergure pour les élections du 24 juillet, précédée si possible d’une mission préélectorale. Les Tunisiens tiennent beaucoup à ce que leurs premières élections démocratiques soient observées par la communauté internationale. Selon nos informations, une invitation officielle devrait parvenir sous peu.
96. Le processus constitutionnel n’a pas encore formellement commencé, mais la Haute instance mène déjà des travaux en ce sens, dont les résultats devraient ensuite être transmis à l’assemblée constituante lorsqu’elle sera élue. Là aussi, il s’agit d’offrir aux partenaires tunisiens, aussi bien au sein de la Haute instance que dans l’assemblée constituante, l’expérience et, s’ils le demandent, l’expertise constitutionnelle de la Commission de Venise.
97. Lorsque l’assemblée constituante sera élue, l’Assemblée parlementaire, pour sa part, devrait établir des contacts avec elle, car elle aura sans doute, au moins partiellement, les prérogatives d’un parlement. A cet effet, on devrait interpréter la Résolution 1598 (2008) «Renforcer la coopération avec les pays du Maghreb» de manière à pouvoir inviter des représentants de l’assemblée constituante aux sessions de l’Assemblée. Pour commencer, le président (la présidente) de la future assemblée constituante pourrait être invité(e) à intervenir devant l’Assemblée dans le cadre d’un débat spécifique.
98. La présence des élus tunisiens à Strasbourg pourrait être utile pour la prise de contacts au niveau des commissions et des groupes politiques de l’Assemblée, et pour leur familiarisation avec les pratiques parlementaires et politiques européennes.
99. En même temps, les contacts au niveau des élus pourraient aider à mieux cerner les besoins des Tunisiens en matière d’assistance pour les réformes législatives dans différents domaines, et à élaborer des programmes ciblés impliquant des experts du Conseil de l’Europe.
100. En ce qui concerne le statut de partenaire pour la démocratie, même s’il est destiné à un parlement qui le demande et le mérite, des contacts préliminaires pourraient être pris avec l’assemblée constituante, pour fournir toutes les explications sur les conditions d’octroi de ce statut et les modalités de son obtention.
101. Nous devrions également, au niveau de l’Assemblée et du Secrétariat Général, développer les contacts et soutenir les activités des organisations de la société civile tunisienne.
102. Le Centre Nord-Sud semble être la plateforme la mieux adaptée pour permettre aux différentes composantes de la société tunisienne de se familiariser avec les activités, les acquis et les potentialités du Conseil de l’Europe. Dans l’avenir, la Tunisie pourrait être invitée à adhérer à cet Accord partiel.
103. Il faudrait aussi envisager dans quelle mesure la Tunisie pourrait bénéficier de l’expérience des écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe et être associée aux activités de l’Université d’été de la démocratie. La société tunisienne est jeune et la jeunesse du pays a pris une part active aux événements de l’hiver 2010-2011. Elle est appelée à jouer un rôle essentiel dans la transition démocratique. Il serait important que les futurs responsables tunisiens soient sensibilisés au respect des principes et valeurs universels défendus par le Conseil de l’Europe.
104. En revanche, l’adhésion de la Tunisie aux conventions et autres instruments du Conseil de l’Europe ne me semble pas être une priorité du moment. Les institutions démocratiquement formées et pleinement mises en œuvre devraient d’abord être installées dans le pays.

7. Conclusions

105. Le processus de transition démocratique en Tunisie est bien engagé. Les Tunisiens sont fiers des avancées en matière de libertés politiques qu’ils ont obtenues au cours de la révolution du jasmin, et sont attachés à la poursuite des réformes démocratiques.
106. Après quelques semaines d’incertitude, la situation politique semblait assez calme et un équilibre institutionnel provisoire permet d’avancer vers les premières élections démocratiques de l’assemblée constituante. Cependant, ce calme est relatif et fragile, ce qui a été mis à l’évidence par des émeutes du 5 au 10 mai à Tunis.
107. En l’espace de quelques semaines, les instances transitoires ont réussi à préparer le cadre législatif pour les élections de l’assemblée constituante, et à décider de la création d’une structure qui sera chargée de l’ensemble du processus électoral. Si le projet de décret-loi électoral ne fait pas l’unanimité des acteurs politiques tunisiens, il constitue un important pas en avant par rapport au vide juridique de l’après-révolution. En même temps, l’organisation matérielle des élections est extrêmement compliquée et les autorités pourraient avoir du mal à respecter la date annoncée du scrutin. La qualité de la préparation des élections devrait, à mon avis, primer sur le calendrier.
108. Cependant, la situation économique et sociale s’est dégradée et le risque existe qu’elle pourrait être instrumentalisée à la veille des élections, compte tenu de l’impatience de ceux qui se sont battus pour la liberté. Le conflit dans la Libye voisine et la question des migrants tunisiens en situation irrégulière vers l’Europe compliquent davantage la situation dans le pays et ses relations avec l’Europe.
109. Au-delà de l’élection de l’assemblée constituante, la Tunisie devra élaborer et mettre en œuvre un vaste programme de réformes dans de nombreux domaines de la vie politique, juridique et sociale. L’expérience de la transition démocratique en Europe pourrait servir de source d’inspiration et se révéler utile dans la définition des priorités de ces réformes.
110. L’Assemblée parlementaire et d’autres instances du Conseil de l’Europe devraient continuer à suivre l’évolution politique en Tunisie et rester à la disposition des partenaires tunisiens pour leur offrir l’expérience et l’expertise de la transition démocratique européenne, sans prétendre imposer des solutions. La volonté des Tunisiens de rester les maîtres d’œuvre dans la construction d’une démocratie tunisienne doit absolument être respectée.
111. Une concertation et une coordination entre les organismes internationaux sont indispensables pour assurer l’efficacité de l’assistance.