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Rapport | Doc. 12431 | 18 novembre 2010

Pour une longévité positive: valoriser l’emploi et le travail des seniors

(Ancienne) Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Denis JACQUAT, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11670, Renvoi 3479 du 29 septembre 2008. 2011 - Première partie de session

Résumé

Dans le contexte du vieillissement de la population en Europe, l’Assemblée parlementaire examine, sous l’angle des droits de l’homme, le rôle joué par les seniors dans la société, la culture professionnelle, les comportements des travailleurs seniors et des employeurs ainsi que la notion de vieillissement actif.

Les politiques en faveur d’un vieillissement actif appellent des mesures dans divers domaines. Outre celui du marché du travail, des mesures sont nécessaires dans les domaines de la discrimination fondée sur l’âge, la protection sociale, l'assouplissement des conditions de travail, l'apprentissage tout au long de la vie, la promotion de la santé et le volontariat, tout particulièrement. Le fait d'encourager chacun à s’engager plus activement et à adopter des modes de vie plus sains ne remplacera pas les systèmes de sécurité sociale fondés sur la solidarité; un filet de protection suffisant doit être mise en place pour ceux pour qui la perspective d’un emploi est irréaliste.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 6 septembre
2010.

(open)
1. La discrimination fondée sur l’âge est souvent inconsciente, mais elle sape la dignité, les droits humains et l'amour-propre des seniors et constitue un gigantesque gaspillage de talents. L’Assemblée parlementaire estime que même si “l’âgisme” est moins reconnu que le racisme ou le sexisme, c’est un préjugé qui porte atteinte à la personne et qui se traduit par un non-respect généralisé, que ce soit dans les médias, qui véhiculent des images stéréotypes et dégradantes, au sein de la société, où les seniors sont victimes de violences physiques d'abus financiers, sur le lieu de travail, où ils sont traités de manière différente, ou dans le milieu médical, où ils ne reçoivent pas toujours les soins et les services appropriés.
2. L'Assemblée a rappelé à diverses reprises qu'il faut d'urgence modifier l'approche à l'égard du vieillissement de la population et adapter les politiques en conséquence. C'est pourquoi elle salue la position adoptée par le Comité des Ministres, et notamment sa réponse à la Recommandation 1796 (2007) sur la situation des personnes âgées en Europe.
3. L'Assemblée note que nombre de personnes en âge de travailler et d'apporter une contribution active à la société sont soit au chômage soit «inactives», en particulier les plus de 50 ans, et que la mondialisation et l'intensification de la concurrence affectent l’environnement professionnel et la qualité du travail confié aux travailleurs seniors. Ceux-ci font face également à un certain nombre d’obstacles pour demeurer en poste ou réintégrer le marché du travail, notamment pour concilier leur vie professionnelle et leurs responsabilités à l’égard de membres de leur famille ou de proches dépendants, ce qui pose particulièrement problème pour les femmes seniors.
4. L’Assemblée estime qu’en augmentant le nombre de seniors actifs et en bonne santé, les gouvernements pourront aider plus généreusement les personnes nécessitant des soins de santé et une prise en charge à long terme, tout en dégageant des fonds pour l’éducation, la formation et les services sociaux. Elle souligne, toutefois, que le fait d'encourager chacun à s’engager plus activement et à adopter des modes de vie plus sains ne remplacera pas les systèmes de sécurité sociale fondés sur la solidarité, tout en déployant un filet de protection suffisant pour ceux pour qui la perspective d’un emploi est irréaliste.
5. L’Assemblée reconnaît également que, après la retraite, les seniors continuent à contribuer à la société sans rétribution, en tant que citoyens, aidants ou consommateurs. L’absence d’informations précises sur leur contribution à la société au niveau économique renforce les stéréotypes sur l’improductivité et la dépendance des seniors.
6. L'Assemblée considère que les politiques en faveur d’un vieillissement actif appellent des mesures dans divers domaines, outre celui du marché du travail. A cette fin, l'Assemblée encourage les Etats membres du Conseil de l'Europe à examiner les orientations suivantes qui leur sembleraient appropriées:
6.1. s'agissant de la discrimination fondée sur l’âge:
6.1.1. adopter des lois interdisant la discrimination fondée sur l’âge et supprimer les obstacles du marché de l'emploi, pour doter les seniors des capacités d'entrer, de rester ou de retourner dans le monde du travail, en fonction de leurs capacités et de leur volonté de travailler;
6.1.2. mettre en œuvre des programmes qui incitent les employés comme les employeurs à envisager le vieillissement actif sous un angle positif et faciliter la mise en place d’un processus efficace d’information et de coordination entre les organisations patronales et les syndicats, dans le cadre d’initiatives en faveur de l’emploi d’une main d’œuvre vieillissante;
6.2. s'agissant des mesures de protection sociale:
6.2.1. analyser l’impact de la mondialisation et des récessions économiques et proposer des mesures ad hoc pour empêcher que les travailleurs seniors qui perdent leur travail ne deviennent des chômeurs de longue durée;
6.2.2. encourager la mise en place d'un régime de protection sociale pour les seniors qui ne reçoivent aucune pension ou une maigre retraite, étant restées au foyer ou ayant travaillé dans un secteur informel la majeure partie de leur vie ou leur vie durant;
6.3. s'agissant de l'assouplissement des conditions de travail:
6.3.1. promouvoir les mesures visant à améliorer la qualité du travail flexible pour les seniors, en leur permettant d'occuper des postes moins éprouvants et d'opter pour des temps partiels, le travail d’équipe, le partage des emplois ainsi que la rotation et la redéfinition des tâches entre les différents membres d'une équipe;
6.3.2. permettre un passage progressif vers la retraite et encourager l’engagement dans le bénévolat ou dans des activités associatives afin de faciliter cette transition;
6.3.3. élaborer de nouvelles approches des soins aux seniors pour soutenir les aidants informels, en aménageant par exemple les dispositions relatives au congé parental afin de permettre à tous les aidants informels responsables de proches dépendants de bénéficier d’une protection adéquate de leurs droits sociaux, notamment de droits à une pension de retraite;
6.4. s'agissant de la formation, de la reconversion et de l'apprentissage tout au long de la vie:
6.4.1. adopter une vision globale du parcours de vie et prendre des mesures préventives afin de renforcer l’employabilité de la main d’œuvre à mesure qu’elle vieillit, par exemple en faveur de la santé au travail, des programmes de reconversion professionnelle à mi-parcours ou des initiatives visant à réduire au maximum le risque que les gens soient mis en invalidité;
6.4.2. sensibiliser la jeunesse à l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie et encourager les jeunes adultes à se préparer pour le troisième âge sur les plans de leur santé, de leur formation et de leurs habitudes sociales et financières;
6.4.3. puiser dans le potentiel des technologies de l’information et de la communication pour élargir les possibilités d’emploi et de formation des seniors, notamment handicapés;
6.5. s'agissant de la promotion de la santé:
6.5.1. élaborer des politiques de santé proactives qui mettent l'accent sur la promotion de la santé, la prévention des maladies et le traitement des affections chroniques, et promouvoir les programmes de formation sanitaire organisés sur les lieux de travail à l'intention des travailleurs seniors;
6.5.2. étudier les transformations nécessaires pour encourager les travailleurs seniors à rester actifs, afin d'apporter des éclaircissements sur les meilleurs moyens de promouvoir l'apprentissage tout au long de la vie chez les travailleurs seniors et sur les aménagements du travail ou les incitations financières les plus adaptés;
6.6. s'agissant du volontariat:
6.6.1. à encourager le développement des activités bénévoles pour tous les groupes d’âge en renforçant la solidarité entre les générations et à lever les obstacles juridiques et administratifs qui empêchent la participation active et l’engagement des seniors;
6.7. s'agissant des engagements institutionnels:
6.7.1. encourager la ratification et la pleine mise en œuvre de la Charte sociale européenne et de la Charte sociale européenne révisée, dont les dispositions renforcent la protection des personnes plus âgées et des travailleurs seniors;
6.7.2. encourager la ratification du Code européen de sécurité sociale et de son Protocole, ainsi que du Code européen de sécurité sociale révisé, qui fixent des normes en matière de sécurité sociale en définissant un niveau minimum commun de prestations.

B. Exposé des motifs par M. Jacquat, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le vieillissement de la population européenne n’est pas un phénomène nouveau et ses conséquences socioéconomiques font l’objet de vifs débats depuis dix ans. L’Assemblée parlementaire s’est déjà penchée sur la question dans sa Recommandation 1796 (2007) sur la situation des personnes âgées en Europe. Dans le droit fil de cette recommandation, le Comité des Ministres, dans sa réponse du 6 février 2008, s’est déclaré particulièrement conscient de l’importance d’aider les personnes âgées à rester actives afin de continuer à apporter à la société la richesse de leurs expériences privées et professionnelles.
2. Fort de cette vision commune, le rapporteur souhaiterait examiner le rôle des seniors dans la société et évoquer la culture professionnelle, les attitudes des travailleurs seniors et la notion de vieillissement actif sous l’angle des droits de l’homme. Il tient à remercier les représentants de International Longevity Center – France. Il a eu avec eux des discussions enrichissantes, le 7 mai 2009 à Paris, qui l’ont inspiré pour élaborer le présent rapport. La commission des questions sociales, de la santé et de la famille a aussi organisé une audition le 14 septembre 2009 à Paris, avec la participation de Madame la Professeur Françoise Forette de l’International Longevity Centre.
3. D’après les estimations et projections des Nations Unies et de l’Union européenne, les tendances sont sans équivoque. La proportion de seniors n’a cessé d’augmenter, de 8% de la population en 1950 à 11% en 2007, et elle devrait atteindre 22% d’ici 2050. Les gens vivent plus longtemps, en particulier en Europe (en moyenne huit ou neuf ans de plus qu’en 1960) et la longévité va continuer à s’accroître dans les prochaines décennies, tandis que la fécondité a baissé et demeurera probablement, dans un avenir prévisible, en-deçà du taux de reproduction nécessaire pour assurer le renouvellement des générations.
4. Le rapporteur est fermement convaincu que le vieillissement de la population est un progrès social qui découle de l’amélioration des conditions de vie, d’une meilleure éducation, de politiques de prévention sociale et médicale plus performantes et de meilleurs systèmes et soins de santé publique 
			(2) 
			Il convient
néanmoins de préciser que des inégalités considérables persistent
en matière de santé, comme le montrent clairement les différents
taux d’espérance de vie à la naissance. Ainsi, si le Japon a l’espérance
de vie la plus élevée dans le monde, avec 82,2 années, dans plusieurs
pays d’Afrique les gens vivent jusqu’à 40 ans de moins. Par ailleurs,
même s’il est rare qu’un pays régresse en matière de longévité,
plusieurs pays de l’ex-Union soviétique ont de fait une espérance
de vie moindre qu’auparavant, situation largement imputable à l’épidémie
du SIDA et à une augmentation de l’incidence de l’alcoolisme (source:
Organisation mondiale de la santé et Division de la population des
Nations Unies).. Les enjeux qu’il pose peuvent néanmoins apparaître comme une véritable gageure. A moins que les politiques ne changent, comme l’ont clairement indiqué nombre d’organisations internationales et européennes, on peut s’attendre à une croissance plus faible, voire à une réduction en chiffres absolus, de la population active. L’augmentation rapide du ratio de dépendance démographique signifie qu’il sera plus difficile de continuer à augmenter le niveau de vie, à moins de mieux mobiliser les ressources en main d’œuvre 
			(3) 
			Organisation
de coopération et de développement économiques – OCDE, Population
ageing: high time for action, 2005..
5. Les systèmes de protection sociale des Etats membres du Conseil de l’Europe sont sérieusement menacés et de nombreux pays européens accordent désormais de plus en plus d’importance, quoiqu’à des degrés divers, à des questions telles que l’allongement de la durée de la vie active ou la situation des seniors. Une réorientation politique est généralement préconisée pour faciliter l’accès à l’emploi et réduire les obstacles au travail, promouvoir un apprentissage tout au long de la vie qui soit rentable et, par conséquent, accroître les ressources dont dispose la société.
6. Le fait que l’on vive plus longtemps et en bonne santé devrait être source de satisfaction; or, les seniors, et même les travailleurs d’âge mûr, ont tendance à être considérés comme un «fardeau» pour la société. Rien que le terme «fardeau» d’ailleurs est déplacé, de l’avis du rapporteur, car il indique que l’on reste dans la même optique, avec les mêmes préjugés; il faut au contraire restructurer la société et ses institutions pour mieux refléter les nouvelles réalités d’une population vieillissante et d’une longévité accrue.
7. Il incombe aux responsables politiques, aux employeurs, aux employés, aux acteurs sociaux et aux organisations de la société civile de rendre le travail et la société plus attractifs pour les femmes et les hommes seniors et de créer un environnement propice à l’épanouissement des familles et des personnes de tout âge.
8. Tout projet de réforme devrait prendre en compte le fait que le travail seul n’est pas un indicateur suffisant pour mesurer la contribution économique des seniors à la société. Nombre d’entre eux, notamment les femmes, s’occupent déjà, sans rétribution, de leurs petits-enfants ou de leurs propres aînés – facteur difficile à prendre en compte dans le calcul du produit intérieur brut. La contribution essentielle des activités au sein du foyer, des soins informels et du bénévolat à la prospérité économique et à la cohésion sociale est également totalement laissée de côté.
9. Vieillir en restant actif devrait être interprété comme un processus dynamique reposant sur des principes forts et partagés de participation sociale et de citoyenneté. Les décideurs politiques doivent adapter les institutions et les politiques en fonction des nouveaux scénarios démographiques qui intègrent l’allongement de la durée de vie, prendre en compte les besoins des seniors lors de l’élaboration des politiques sociales et tout mettre en œuvre pour mobiliser le capital humain existant dans l’intérêt des hommes, des femmes et des enfants.

2. Participation des seniors au marché du travail: tendances récentes

10. Les seniors d’aujourd’hui ont connu davantage de changements que les générations précédentes. La première vague de «baby boomers» (nés entre 1946 et 1955) a assisté à l’essor des technologies (dont les possibilités paraissent infinies), ainsi qu’à de profondes transformations sociales et à une floraison de nouvelles libertés. Cette génération a rompu radicalement, plus que toute autre génération auparavant ou depuis, avec les valeurs, les attitudes et les habitudes de ses aînés.
11. Si l’on en croit les spécialistes du marché, les baby boomers devraient révolutionner la notion de «vieillesse» car ils adoptent des attitudes totalement différentes de celles de leurs parents. Le stéréotype du vieillard frêle et passif est déjà dépassé 
			(4) 
			Strategy
+ business, 50-plus: a market that marketers still miss, 2009. . Même la qualification de «travailleur senior» est embarrassante pour certains.
12. Les données officielles nous donnent pourtant d’autres informations sur cette génération. En 2007, dans les pays de l’OCDE, moins de 60% en moyenne de la population âgée de 50 à 64 ans avait un emploi, comparé à 76% pour le groupe des 24-49 ans. La situation s’est cependant améliorée ces dix dernières années. Les taux d’emploi des 50-64 ans varient considérablement d’un pays à l’autre, avec plus de 60% pour l’Islande, la Suisse, la Norvège et la Suède en 2007, mais moins de 40% dans nombre d'autres pays membres du Conseil de l’Europe, notamment la Turquie, la Pologne, la Hongrie, la Belgique, le Luxembourg, la République slovaque, l’Italie et la France 
			(5) 
			OCDE,
Vivre et travailler plus longtemps, 2006..
13. Les principales voies de sortie précoce du marché du travail varient selon les pays. Dans certains d’entre eux, cette éventualité est prévue par certaines dispositions du régime de pension ou par un système officiel de retraite anticipée. Dans d’autres, les salariés recourent aux pensions d’invalidité et à d’autres allocations sociales pour arrêter de travailler. D’après les données de l’OCDE, dans l’ensemble des pays, cette sortie précoce a tendance à être définitive, le nombre de salariés seniors reprenant un emploi étant minime; en général, moins de 5% des 50-64 ans inactifs ont un emploi un an plus tard. De plus, dans de nombreux pays européens, l’âge effectif de la retraite se situe en effet bien en-deçà de l’âge officiel auquel il est possible de prétendre à une retraite intégrale 
			(6) 
			OCDE,
Vieillissement et politiques de l’emploi – Statistiques sur l'âge
effectif moyen de la retraite, 2006. .
14. La baisse du taux d’activité des plus de 50 ans s’explique par divers facteurs économiques, politiques et sociaux. Les salariés seniors ont longtemps été surreprésentés dans les industries aujourd’hui en déclin et sous-représentés dans les secteurs en essor; ils ont de plus été touchés par la baisse de la demande en employés non qualifiés. Leur participation à l’activité économique a fluctué en fonction de la situation économique – croissance ou récession – et par conséquent, des variations de la demande en main d’œuvre.
15. En phase de récession, les salariés seniors ont été les premiers visés à travers des plans de retraite anticipée, l’objectif étant de faire face au chômage des jeunes en «libérant» des emplois, même si c’est là une fausse conviction. Le recours tout aussi massif aux pensions d’invalidité a également contribué à réduire le nombre d’actifs plus âgés. L’investissement dans la formation professionnelle et continue des plus de 55 ans est souvent considéré comme une dépense inutile.
16. Il semble néanmoins que la tendance au déclin du taux d’activité des seniors se soit récemment renversée – notamment dans certains pays européens, et en particulier chez les femmes. L’International Longevity Center – France a mis au point un indicateur de l’«espérance de vie en emploi et en santé» («Healthy Working Life Expectancy») à l'âge de 50 ans en Europe. Cet indicateur offre un modèle de vieillissement épanoui caractérisé d’une part par l’absence de maladie, d’autre part par l’emploi.
17. En moyenne, en Europe, entre 50 et 70 ans, les hommes jouissent d’une bonne santé pendant 14,1 années, dont la moitié sont passées à travailler, et les femmes pendant 13,5 années, dont un tiers passé à exercer une activité professionnelle. Par conséquent, il devrait être possible, en théorie, d’augmenter l’espérance de vie en emploi et en santé entre 50 et 70 ans, en particulier chez les femmes, en consacrant les années en bonne santé non pas à la retraite mais au travail 
			(7) 
			Lievre A., Jusot F., Barnay T., Sermet
C., Brouard N., Robine J.M. et al., Healthy working life expectancies
at age 50 in Europe: a new indicator, J Nutr Health Aging, 2007. .

3. Emergence de politiques en faveur des travailleurs seniors

18. Le rapporteur note que si les entreprises sont conscientes que leur main d’œuvre vieillit, les responsables politiques, eux, s’efforcent de préserver les systèmes financiers, de santé et de sécurité sociale en place. Les tendances concernant l’emploi des travailleurs seniors, liées au vieillissement de la population et aux régimes de retraite, préoccupent de plus en plus les politiques.
19. Ces dernières années, de nombreux pays ont nettement réorienté leur politique vers la mise en place de programmes proactifs en matière d’emploi, délaissant les systèmes de retraite anticipée. Les gouvernements semblent vouloir accroître l’offre de travailleurs seniors et stimuler la demande en baissant les charges des entreprises qui en recrutent.
20. La Commission européenne et l’OCDE ont l’une comme l’autre préconisé d’adopter une approche intégrée globale pour répondre aux problèmes découlant du vieillissement de la main d’œuvre. Le Conseil européen, réuni à Stockholm en 2001, s’est fixé pour nouvel objectif d’augmenter le taux moyen d’emploi des femmes et hommes d’âge mûr (55-64 ans) dans l’Union européenne de 50% d’ici 2010. En 2008, 12 Etats membres y étaient parvenus, mais 10 autres, notamment des membres importants tels que la France, l’Italie et la Pologne, présentaient un écart de 10 points au moins par rapport à cet objectif 
			(8) 
			Commission
européenne, Rapport 2008 sur l'emploi en Europe, 2008..
21. Divers instruments, politiques et mesures ont été conçus afin de reconstruire le système social, de sorte que les systèmes de retraite et de sécurité sociale incitent les gens à travailler jusqu’à 65 ans, et au-delà; une discrimination est néanmoins souvent pratiquée entre les femmes et les hommes.
22. Plusieurs pays européens ont mis en œuvre des politiques en faveur des salariés seniors, notamment:
  • en supprimant les mesures incitatives antérieures en faveur de la retraite anticipée;
  • en encourageant la retraite à un âgé plus avancé et selon des modalités plus souples, et en mettant en place des mesures incitant les travailleurs à rester actifs, ainsi que des mesures fiscales pour les entreprises qui emploient des seniors;
  • en adoptant une législation contre la discrimination fondée sur l’âge;
  • en égalisant l’âge de la retraite entre hommes et femmes;
  • en lançant des campagnes de sensibilisation auprès des employeurs;
  • en offrant aux salariés seniors des services de conseil et de formation;
  • en conseillant et en orientant les employeurs;
  • en apportant un soutien aux intermédiaires du marché du travail.
23. Le rapporteur est favorable à ces mesures, notamment celles qui donnent aux salariés seniors le choix de rester actifs. Comme la Deuxième Assemblée mondiale des Nations Unies sur le vieillissement l’a déclaré, «les personnes âgées devraient avoir la possibilité de travailler pendant aussi longtemps qu’elles le souhaitent et en sont capables, en exerçant des activités satisfaisantes et productives». La France, pays d’origine du rapporteur, a adopté une loi en 2008 qui permet aux salariés qui le souhaitent de continuer à travailler jusqu’à 70 ans, l’âge officiel de la retraite étant fixé à 65 ans.
24. Différents facteurs objectifs et subjectifs déterminent néanmoins l’âge effectif du départ à la retraite et le désir de travailler plus longtemps. Citons notamment l’état de santé, les préférences concernant la répartition travail/loisirs, les responsabilités familiales et de prise en charge de proches dépendants, les politiques des entreprises en matière d’emploi, les conditions et l’organisation du travail, la motivation, la satisfaction professionnelle et le but que l’on se donne dans la vie.
25. La Finlande est souvent citée en exemple pour avoir pris en considération la relation entre l’emploi, les pensions et l’apprentissage lors de l’élaboration de ses politiques et pour avoir réussi à augmenter fortement le taux d’emploi des seniors.
26. Les politiques finlandaises en faveur d’un vieillissement actif, qui s’appuient sur le concept d’«aptitude au travail», poursuivent trois objectifs: autoriser les seniors à rester actifs; faire accepter à la société que l’on peut travailler plus longtemps en mobilisant les partenaires sociaux et les entreprises et en améliorant le bien-être au travail; améliorer l’inclusion sociale des salariés seniors et des retraités 
			(9) 
			Pour une analyse du concept d’«aptitude
au travail», voir Ilmarinen J. et Lehtinen S., Past, Present and
Future of Work Ability. People and Work – Research Reports 65, Finnish
Institute of Occupational Health, 2004..
27. Il convient néanmoins de noter que le succès de l’expérience des pays nordiques est largement dû à l’existence d’un consensus au sein des partis politiques et de la population et à la pleine coopération des partenaires sociaux. Ce modèle n’est donc pas forcément adaptable à d’autres pays où la situation sociale et politique, le marché du travail et les traditions en matière de dialogue social différent 
			(10) 
			Le modèle finlandais: des stratégies de
vieillissement actif pour renforcer l'inclusion sociale, Rapport
de synthèse d’Henri Sterdyniak, OFCE-Paris, 2007..
28. Dans les faits, dans de nombreux pays européens, la retraite anticipée séduit encore de nombreux salariés d’âge mûr. Bien que le pourcentage de seniors qui travaillent plus longtemps augmente dans certains pays, la plupart préfèreraient quitter le monde du travail dès lors que leur situation financière le leur permet. Et même si tout semble indiquer qu’une grande partie des seniors est encore capable de travailler et de contribuer à la société, la majorité ne le fait pas.
29. De leur côté, de nombreux employeurs restent peu disposés à garder leurs salariés les plus âgés, et encore moins à en recruter. Le milieu du travail reste empreint d’idées dépassées sur les capacités de ces travailleurs, mais les employeurs sont néanmoins sensibles aux mesures incitatives ou dissuasives mises en place par le gouvernement à travers des programmes de réduction d’impôts ou d’octroi d’avantages.
30. Le rapporteur tient à souligner que les systèmes de protection sociale doivent être adaptés pour permettre aux salariés seniors de rester en poste plus longtemps, sans toutefois supprimer les droits à une pension ni limiter les allocations de chômage pour les chômeurs de longue durée.
31. Il convient d’évaluer le risque, important, d’accroissement des inégalités et de se demander comment prendre en compte les différences de pénibilité du travail. Le rapporteur est d’avis qu’il faudrait peut-être maintenir le système de retraite anticipée pour certaines catégories d’ouvriers qui occupent des emplois physiquement éprouvants.
32. Les réformes visant à repousser l’âge de la retraite devraient tenir compte du fait que l’âge d’entrée sur le marché du travail, le nombre total d’années travaillées et la nature de l’emploi occupé influent fortement sur la capacité et la volonté de poursuivre une activité professionnelle.
33. Si l’on veut accroître le taux d’activité des travailleurs seniors, il faut renforcer l’attractivité des lieux de travail, prévoir des modalités d’emploi plus souples, créer des conditions de travail supérieures permettant aux salariés de rester en bonne santé physique et mentale, permettre le développement des compétences par le biais de l’apprentissage tout au long de la vie et inciter les employeurs à adopter une approche positive à l’égard des employés d’âge mûr. Reste encore à supprimer les nombreuses dispositions législatives nationales qui font obstacle à une telle évolution, ainsi que les préjugés et les idées dépassées sur la capacité des seniors à travailler.

4. Discrimination fondée sur l’âge et la culture professionnelle

34. Nous devons lever les barrières qui nous empêchent de tirer profit de la longévité. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont tous signé la Convention européenne des droits de l’homme; leurs législations devraient donc dûment tenir compte des dispositions de cet instrument. Parmi les droits de l’homme figurent notamment l’égalité, et donc l’égalité d’accès au marché du travail et aux services.
35. Bien que l’âgisme soit moins reconnu que le racisme ou le sexisme, c’est un préjugé qui porte atteinte à la personne et qui se traduit par un non-respect généralisé, que ce soit dans les médias, qui véhiculent des images stéréotypées et dégradantes, au sein de la société, où les personnes âgées sont victimes de violences physiques et d’abus financiers, dans les entreprises, où elles sont traitées de manière différente, ou dans le milieu médical, où elles ne reçoivent pas toujours les soins et les services appropriés.
36. Traiter différemment quelqu’un, ou tel ou tel groupe, en raison de l’âge repose souvent sur des idées préconçues et des stéréotypes basiques. La discrimination qui en résulte porte atteinte au droit fondamental des personnes de voir leur dignité humaine respectée puisqu’on leur refuse respect et égalité de traitement. Elle empêche en outre les groupes d’âge défavorisés de participer pleinement au marché du travail 
			(11) 
			Commission européenne, La discrimination
fondée sur l’âge et le droit européen, 2005. .
37. Même si dans de nombreux Etats membres la loi interdit la discrimination directe, les attitudes négatives à l’égard des travailleurs seniors restent profondément ancrées dans la culture professionnelle moderne. Dans la pratique, cela se traduit par des chances réduites, pour un chômeur de 50 ans et plus par exemple, de retrouver un emploi, par une faible mobilité professionnelle et par une participation limitée à l’éducation et la formation. En outre, nombre de politiques nationales dans le domaine de l’emploi continuent de s’appuyer sur le facteur «âge» pour évaluer l’état de santé ou le niveau de compétence.
38. Nous devons également mettre en question l’évolution du «droit légitime à la retraite», qui s’est transformé en «obligation de prendre sa retraite», forçant parfois certains salariés à se retirer contre leur gré du monde du travail.
39. Dans les entreprises même, la discrimination et le harcèlement fondés sur l’âge portent atteinte à la dignité des seniors et sapent l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Démotivés, ils sont moins productifs, ce qui véhicule une image contraire à celle de travailleurs seniors fiables, loyaux et pleins d’ardeur, et s’explique par la persistance des stéréotypes négatifs à leur égard (ils coûtent plus cher, s’adaptent moins facilement, sont moins ambitieux, créatifs, vifs ou capables que les plus jeunes, etc.).
40. Pour y remédier, il convient d’inciter les employeurs à adopter une approche plus positive et de mettre en avant, afin de les faire largement reconnaître, les nombreux avantages d’employer des travailleurs plus âgés – moins de rotation du personnel, attitudes plus souples sur le lieu de travail, fiabilité plus grande et expérience.
41. Les faits montrent que la productivité ne décroît pas avec l’âge, la baisse de la capacité physique étant compensée par les qualités et les compétences acquises grâce à l’expérience.
42. Outre les préjugés et la discrimination, d’autres facteurs ont œuvré contre la réinsertion des travailleurs seniors, notamment le taux relativement élevé de chômage, la forte intensité du travail et une tradition de retrait précoce du monde du travail qui pousse les salariés à partir avant l’heure.

5. La retraite anticipée: motivations et attitudes des travailleurs

43. La plupart des personnes qui se retirent du marché du travail ne le font ni à l’âge légal de la retraite ni à l’orée de la «vieillesse». Nombre d’entre elles quittent leur emploi avant l’âge officiel de la retraite car elles ont pris (volontairement ou non) leur retraite anticipée, ont été licenciées ou souffrent d’une forme ou d’une autre d’incapacité.
44. L’OCDE a identifié plusieurs facteurs qui incitent ou forcent les salariés seniors à conserver leur emploi ou à prendre leur retraite.
45. Parmi les facteurs les plus courants qui incitent à prendre sa retraite figurent les avantages financiers prévus par les régimes de retraite et autres systèmes officiels ou autres de retraite anticipée. A l’opposé, l’absence de perspectives professionnelles en raison de la situation de l’entreprise ou de la situation personnelle est un facteur qui peut forcer à se retirer du monde du travail. A l’échelle de l’entreprise sont en cause les perceptions négatives relatives aux capacités des employés plus âgés et les difficultés à adapter la politique de recrutement en vertu des règles de protection de l’emploi. Au niveau individuel peuvent être pointés du doigt le décalage des compétences par rapport à l’évolution technologique et structurelle de la demande en main d’œuvre, l’impression que la formation continue n’apporte pas grand-chose, le stress lié au travail, l’état de santé ou l’absence de souplesse quant à ses horaires de travail 
			(12) 
			OCDE, Vivre et travailler plus longtemps,
2006..
46. L’usage joue également un rôle car il dicte l’âge «naturel» de la retraite, même si l’on vit aujourd’hui plus vieux et en meilleure santé qu’avant.
47. L’existence de mauvaises conditions de travail est un facteur important de retrait précoce du monde professionnel. Les accidents du travail, le stress et les problèmes de santé peuvent amener à porter un regard négatif sur son activité, et l’absence de satisfaction professionnelle peut conduire à l’absentéisme et à la retraite anticipée.
48. Les changements d’activité ou les ralentissements de l’économie peuvent provoquer le déclin d’un secteur et par conséquent un stress accru chez les salariés. Des enquêtes récentes montrent également – ce qui semble logique – que l’envie de se retirer avant l’heure est plus forte chez les travailleurs qui occupent des emplois physiquement éprouvants.
49. La motivation financière et personnelle compte également pour beaucoup. Les systèmes de sécurité sociale peuvent encourager ou dissuader une personne de rester active. Ainsi, une assurance sociale et des pensions (ou autre compensations financières) plus généreuses peuvent inciter à prendre sa retraite anticipée. Les salariés dont le conjoint est déjà à la retraite sont également plus enclins à faire de même, tout comme ceux qui s’occupent de petits-enfants ou d’aînés à la santé fragile.
50. A l’inverse, un travail suffisamment stimulant et gratifiant est une motivation pour continuer son activité, et un facteur de bonne santé. Si l’on veut encourager les salariés dans ce sens, il faut commencer par valoriser les aptitudes des seniors et respecter l’expérience, le savoir et les compétences qu’ils ont acquis au fil d’une longue carrière professionnelle. Le sentiment d’être mis à l’écart et l’impression que ses compétences sont dévalorisées ne peut en effet que décourager de continuer à travailler 
			(13) 
			Fondation
européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail
– Foundation focus, Age and employment, septembre
2006..
51. L’environnement professionnel, la qualité du travail confié aux travailleurs seniors et les difficultés qu’ils rencontrent pour demeurer en poste ou réintégrer le marché du travail, et notamment pour concilier vie professionnelle et vie familiale, sont des questions qui préoccupent de plus en plus la société.
52. Les femmes d’âge mûr sont particulièrement concernées; elles sont en effet victimes, pour diverses raisons, d’une discrimination à l’emploi accrue, notamment d’inégalités par rapport aux hommes en matière de salaire à tous les stades de la vie, et en particulier en fin de vie active. Cette situation influe non seulement sur leurs revenus immédiats mais aussi sur leur pension de retraite et est largement imputable au temps global qu’elles ont passé en dehors du marché du travail pour s’occuper de proches dépendants.
53. Le rapporteur est d’avis que la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouvent les femmes seniors – écarts de salaires par rapport aux hommes, possibilités réduites de faire carrière, sécurité de l’emploi moindre et difficultés particulières rencontrées par celles qui s’occupent d’aînés dépendants – doit être traitée de toute urgence 
			(14) 
			AGE – Plateforme européenne
des personnes âgées, Comment l’Union européenne peut-elle
atténuer l’impact de la récession sur les travailleurs seniors:
analyse et recommandations d’AGE, mars 2009..
54. Le fait que les employeurs ne comprennent pas encore comment intégrer efficacement les seniors dans leur entreprise est une autre raison majeure qui explique que le recrutement et la fidélisation des salariés plus âgés ne fassent pas partie des stratégies de management. Les employeurs ont certes de plus en plus conscience qu’il importe d’offrir aux parents qui travaillent la possibilité de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, mais ils n’ont pas encore pleinement réalisé l’importance d’une telle mesure pour les seniors 
			(15) 
			Manpower, The
new agenda for an older workforce, 2007..

6. Le travail en tant qu’option attractive et épanouissante pour les travailleurs de tout âge

55. De l’avis du rapporteur, le conflit entre, d’une part, les politiques économiques qui favorisent la flexibilité de la main d’œuvre, la libéralisation et la concurrence dans une économie mondialisée et, d’autre part, la nécessité d’adapter le marché du travail, notamment face à la réalité de l’évolution démographique et de l’allongement de la durée de vie, crée des tensions apparentes. La notion d’économie et de marchés du travail concurrentiels doit être conciliée avec le droit à la dignité au travail, les avantages de la solidarité intergénérationnelle et les besoins des familles.
56. Dans leur course à la rentabilisation du travail, les gouvernements peuvent être tentés de supprimer systématiquement les allocations de chômage longue durée et d’obliger les individus à accepter des emplois mal payés et peu valorisants, plutôt que de s’attaquer aux nombreux obstacles qui empêchent les travailleurs seniors de rester actifs. Réduire leurs droits à une protection sociale pour les forcer à conserver leur emploi ne fera qu’accroître l’exclusion sociale et la pauvreté 
			(16) 
			AGE – Plateforme européenne des personnes
âgées, Ageing in Europe: realising and promoting the contributions
of older people, 2004..
57. Il faut garder à l’esprit que si les réformes des régimes de retraite sont mal conçues, les salariés risquent de recourir massivement aux pensions d’invalidité. Les gouvernements devraient accorder une attention particulière aux groupes les plus vulnérables lorsqu’ils réforment le système. La grande majorité des seniors dont les revenus sont insuffisants n’a simplement pas eu l’occasion de se constituer une retraite suffisante en raison de la maladie, d’interruptions de carrière pour exercer des responsabilités familiales, de longues périodes de chômage, de la discrimination et de l’exclusion sociale.
58. Les réformes des régimes de retraite qui visent à allonger la durée de la vie active risquent de défavoriser ceux qui sont les moins bien lotis, les obligeant à continuer à exercer une activité économique, tandis que les mieux lotis continueront à prendre leur retraite avant l’âge officiel. Une politique réussie est une politique qui est à même de répondre aux besoins de différents groupes tout en déployant un filet de protection suffisant pour ceux pour qui la perspective d’un emploi est irréaliste.
59. Augmenter le nombre de seniors actifs et en bonne santé permettra aux gouvernements d’aider plus généreusement les personnes nécessitant des soins de santé et une prise en charge à long terme, tout en dégageant des fonds pour l’éducation, la formation et les services sociaux. Encourager chacun d’entre nous à adopter une attitude plus responsable ne remplacera pas les systèmes de sécurité sociale fondés sur la solidarité mais permettra justement de garantir la survie de ces systèmes, qui pourront ainsi prospérer, dans l’intérêt de ceux qui en ont le plus besoin.
60. Les ressources devraient être allouées de manière appropriée en se gardant de classer automatiquement les personnes âgées dans la catégorie des groupes vulnérables et en leur permettant de conserver leur indépendance et le contrôle de leur vie. Il est possible de motiver les salariés à travailler plus longtemps si tant est qu’ils bénéficient de mesures incitatives satisfaisantes, d’une organisation du travail attractive et souple, et d’une bonne santé.
61. Le rapporteur estime que si l’on veut que l’idée de flexibilité du travail en général et de vie active jusqu’à l’âge «normal» de la retraite et au-delà devienne réalité, il faut repenser les politiques pour qu’elles intègrent les notions et les principes suivants:

6.1. Assurer une meilleure transition entre le travail et la retraite, en prêtant attention aux personnes les plus vulnérables

62. Les avantages financiers de la vie active constituent clairement une motivation pour travailler plus longtemps. L’introduction, dans les régimes de retraite nationaux, d’un dispositif souple conciliant travail et retraite est un des principaux moyens qui permettra de maintenir les seniors en activité.
63. Donner la possibilité de naviguer entre travail rémunéré et travail bénévole et de recourir à des systèmes de retraite partielle peut également contribuer à offrir aux seniors une vie plus gratifiante, utile et saine, tout en renforçant leur participation à la vie locale et en s’attaquant à certains problèmes majeurs auxquels la société est confrontée. C’est un moyen de faciliter un changement d'activité progressif et d'éviter un passage brutal à la retraite.

6.2. Promotion de la santé et du bien-être physique et mental

64. Une meilleure santé et un cadre de travail plus sûr et ergonomique sont des éléments essentiels pour améliorer les conditions de travail et la productivité des travailleurs, quel que soit leur âge. Les mesures destinées à promouvoir la santé, la qualité de vie et les capacités fonctionnelles des personnes à mesure qu’elles vieillissent peuvent également constituer des facteurs convaincants pour continuer à travailler.
65. Du point de vue des employeurs, prendre de telles mesures et investir dans ce domaine apporte des avantages évidents – absentéisme moindre, meilleure productivité, fidélisation des employés riches en expérience et en connaissances.
66. Ces dernières années, l’intensité du travail a augmenté en Europe en raison de la concurrence accrue et des changements intervenus dans l’organisation du travail. Il est possible de limiter l’exposition à des conditions de travail plus difficiles en s’appuyant sur le travail d’équipe, le partage des emplois ainsi que la rotation et la redéfinition des tâches entre les différents membres de l’équipe.

6.3. Adapter les emplois aux travailleurs seniors: assouplir l’organisation du travail

67. Un travail bien conçu et des horaires souples (travail à temps partiel, plus de congés payés, télétravail et partage des emplois notamment) permettront aux salariés plus jeunes comme plus âgés de mieux concilier leurs priorités (s’occuper d’enfants, de parents âgés ou de petits-enfants, éducation, bénévolat, ou tout simplement plus de temps de loisirs), en particulier après plusieurs décennies de travail à temps plein.
68. Tous les travailleurs, quel que soit leur âge, sont concernés, et les politiques doivent leur offrir la possibilité de choisir. L’assouplissement du temps de travail est un moyen important d’«humaniser» la vie professionnelle, notamment les activités pénibles telles que le travail de nuit 
			(17) 
			Naegele Gerhard et Walker
Alan, A guide to good practices in age management,
Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et
de travail, 2006..

6.4. Adapter les travailleurs seniors aux emplois: apprentissage tout au long de la vie et «aptitude au travail»

69. A mesure que la longévité augmente, la société va devenir une société du savoir. Les compétences devenant plus vite obsolètes dès lors que la durée de la vie s’allonge, il y a urgence à prévoir des systèmes de formation continue, de recyclage et de reconversion, y compris d’apprentissage en fin de carrière.
70. Il conviendrait d’investir davantage en milieu de carrière dans l’apprentissage tout au long de la vie. L’attrait de la formation et les bénéfices potentiels que peuvent en retirer les travailleurs seniors peuvent être renforcés en adaptant les méthodes et les contenus pédagogiques aux besoins de ce public, en offrant des formations modulaires de courte durée et en reconnaissant les apprentissages et expériences antérieurs 
			(18) 
			OCDE, Vivre et travailler
plus longtemps, 2006..

7. Le vieillissement actif: plus que «le travail»

71. L’importance d’une activité dans la longévité est désormais un fait accepté dont atteste la médecine factuelle. Le déclin des travaux de force, à l’origine d’une mortalité précoce, a contribué à rallonger l’espérance de vie. Le mode de vie sédentaire et passif est l’un des principaux facteurs de morbidité et de mortalité, quel que soit l’âge, et tout particulièrement à partir du troisième âge. Les études montrent clairement que les personnes qui continuent à exercer une activité sont plus susceptibles de rester alertes mentalement et physiquement, et donc de jouir d’une meilleure qualité de vie 
			(19) 
			Les cahiers de la FIAPA (Fédération internationale
des associations des personnes âgées), Revue de recherche-action
sur le vieillissement, La longévité: un défi à la science et la
société, 2007..
72. En outre, d’autres raisons existentielles peuvent inciter les seniors à continuer à travailler et/ou à rester actifs dans la société: le désir de se sentir utile, de voir des gens, d’effectuer des tâches gratifiantes et de continuer à apprendre.
73. Il convient également de reconnaître que le vieillissement actif couvre un éventail d’activités plus large que les seuls aspects liés à la vie professionnelle. Après la retraite, les seniors continuent à contribuer à la société sans rétribution, en tant que consommateurs, aidants, citoyens, etc. L’absence d’informations précises sur le rôle qu’ils jouent au niveau économique renforce les stéréotypes sur l’improductivité et la dépendance des personnes âgées.
74. L’Organisation mondiale de la santé a adopté le terme de «vieillissement actif» pour définir le processus consistant à optimiser les possibilités en matière de santé, de participation et de sécurité afin d’accroître la qualité de la vie pendant le vieillissement 
			(20) 
			Organisation
mondiale de la santé, Vieillir en restant actif: cadre d’orientation,
2002..
75. Le rapporteur considère que «l’ouverture» des villes et des collectivités aux personnes de tout âge ainsi que la promotion du bénévolat constitue l’une des innovations sociales qui devrait être développée au XXIe siècle. Des seniors qualifiés et expérimentés interviennent en tant que bénévoles dans les établissements scolaires, auprès de différentes communautés, dans les institutions religieuses, les entreprises et les organisations politiques et de santé. En retour, ils renforcent leurs contacts sociaux et jouissent d’un bien-être psychologique, tout en contribuant notablement aux activités de la collectivité.
76. En outre, en raison du manque de main d’œuvre, les secteurs du bénévolat et des soins informels vont être davantage sollicités. Les talents des travailleurs plus âgés peuvent être exploités de maintes façons. Les gouvernements devraient repérer les obstacles existants et mettre en place des mesures incitatives pour aider les chômeurs seniors à s’engager dans le bénévolat, en les formant à effectuer de nouvelles tâches et à évoluer dans de nouveaux réseaux.
77. A cet égard, le rapporteur se félicite de l’initiative de l'Union européenne de proclamer l’année 2011 «Année européenne du volontariat» et espère qu’une attention particulière sera accordée à la contribution qu’apportent par ce biais les seniors à la société.

8. Conclusions

78. Au siècle dernier, le cycle de vie se divisait en trois grandes périodes: la jeunesse, période d’apprentissage; la maturité, consacrée à la vie active et à la famille; la vieillesse, l’âge de la retraite et des maladies. Aujourd’hui, la frontière entre les trois est devenue floue, de nombreux Européens ayant la possibilité de mener «plusieurs vies», ce qui remet en cause les structures familiales traditionnelles et implique souvent une réorientation de carrière qui prolonge de quelques années l’exercice d’une activité en bonne santé après la retraite.
79. Le rapporteur considère que l’allongement de la durée de la vie nous oblige à voir autrement les structures d’âge dans nos sociétés. Le cycle de vie devrait être structuré de façon à élargir l’éventail d’options et de choix offerts aux jeunes mais aussi aux aînés, tout en garantissant leurs revenus et les systèmes de sécurité sociale, dans le cadre de parcours intégrés.
80. Les politiques de vieillissement actif doivent déterminer la mesure dans laquelle nous pouvons remodeler les parcours de vie de manière à combiner autrement le travail, la vie privée et familiale, la formation et l’apprentissage tout au long de la vie, le développement personnel, le sport, les loisirs et le bénévolat, et ce à tout âge.
81. Le vieillissement est un processus que l’on vit avec autrui – ses amis, ses collègues, ses voisins, sa famille. C’est pourquoi l’interdépendance et la solidarité entre les générations sont des principes importants du vieillissement actif, à la fois dans le milieu professionnel et dans la société en général.
82. S’il est certes important que le taux de fécondité reste élevé pour assurer l’avenir d’un pays, la véritable richesse d’une société peut également se mesurer par sa capacité à inclure tous les groupes d’âge en vue d’un «vivre ensemble» harmonieux.
83. Enfin, le rapporteur se félicite de la récente proposition de la Commission européenne de désigner l'année 2012 «Année européenne du vieillissement actif», dans le but de créer de meilleures possibilités d'emploi et conditions de travail pour un nombre croissant de seniors en Europe, de les aider à jouer un rôle actif dans la société et d’encourager un vieillissement en bonne santé. Il espère vivement que le Parlement et le Conseil européens seront favorables à cette initiative et invite le Conseil de l'Europe à jouer également un rôle actif en 2012, en étroite coopération avec l'Union européenne.