1. Introduction
1. Depuis l’émergence, après la seconde guerre mondiale,
du mouvement moderne en faveur des droits de l’homme, la question
des devoirs et responsabilités n’a jamais été très loin de celle
des droits de l’homme. Lors de la préparation de la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948, d’intenses débats ont notamment
eu lieu au sujet du rôle et de la place des devoirs dans les instruments
internationaux des droits de l’homme. Alors qu’il était communément
admis qu’il ne peut y avoir de droits sans devoirs, les nations occidentales
en particulier percevaient fréquemment l’inclusion de devoirs dans
les documents relatifs aux droits de l’homme comme une menace à
la protection offerte aux individus.
2. Le thème des responsabilités fondamentales et leurs liens
avec les droits fondamentaux est un sujet qui fait controverse.
Dans le présent rapport, je tenterai d’esquisser dans les grandes
lignes les principaux arguments avancés dans le débat public et
de mettre en lumière un certain nombre d’instruments nationaux et internationaux
qui, de près ou de loin, ont traité du sujet. Fort de ces conclusions,
je dresserai une liste des responsabilités susceptibles d’être qualifiées
de «fondamentales» dans le contexte européen.
2. Le débat
3. Les questions liées aux devoirs et responsabilités
des individus remontent probablement à la création de la société
organisée. Elles ont en fait occupé tout au long de l’histoire une
place importante dans la pensée politique et philosophique. Depuis
d’éminents personnages historiques tels qu’Aristote, Thomas d’Aquin, Nicolas
Machiavel et John Milton, jusqu’aux théoriciens du contrat social
comme Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau, en passant
par les philosophes du XIXe siècle Jeremy Bentham et John Stuart Mill,
tous estimaient que les devoirs et responsabilités de l’individu,
sous une forme ou une autre et souvent de manière très différente,
étaient essentiels pour la vie de la société
.
4. Plus récemment, plusieurs initiatives privées et politiques
ont appelé à mettre un accent plus fort sur les devoirs et responsabilités.
Dans l’ensemble, les partisans d’une telle démarche sont d’avis
que les droits individuels ont bénéficié d’une attention excessive
dans la société contemporaine alors que les devoirs et responsabilités
des individus ont été négligés, favorisant un certain type d’individualisme
préjudiciable à la vie humaine sur un plan général et à la vie de
la communauté en particulier. Cet effondrement perçu de la moralité privée
et publique serait à l’origine, ou du moins le catalyseur, de bon
nombre des problèmes sociaux d’aujourd’hui. Il n’est par conséquent
pas surprenant que la question des devoirs et responsabilités ait
été soulevée par les communautaristes et autres auteurs de même
sensibilité
.
Ils ne sont toutefois pas les seuls à avoir lancé le débat. Comme
nous le verrons, les représentants des religions du monde partageant
les mêmes préoccupations se sont mis en quête d’une «éthique mondiale»
en guise de réponse à celles-ci. Le Conseil InterAction, une association
privée d'anciens chefs d’Etat et de gouvernement, a repris cette
idée et a rédigé un projet de déclaration universelle des obligations
de la personne. La Commission des droits de l’homme des Nations
Unies a demandé à la Sous-commission de la promotion et de la protection
des droits de l'homme, organe composé d’experts indépendants, d’étudier
la question des «droits de l’homme et responsabilités sociales de
l’homme». L’éventail très large de personnes et d’organisations
intéressées par le sujet nous permet de déduire que la notion de
devoirs et responsabilités ne peut être associée à un ou plusieurs
groupes politiques, philosophiques, religieux ou de pression particuliers.
Bien au contraire, de nombreux acteurs du monde politique semblent
partager le même sentiment selon lequel une approche des droits
de l’homme intégrant de manière plus explicite les devoirs et responsabilités
pourrait, peut-être, apporter une réponse à bon nombre des problèmes
sociaux contemporains. Comme l’avance un auteur commentant le manque
d’attention portée aux devoirs par la doctrine juridique traditionnelle
au lendemain de la Révolution française, «ils n’ont pas senti ou
voulu comprendre que dans une vision réaliste de la démocratie on
ne pouvait pas séparer les droits des citoyens de leurs devoirs
vis-à-vis de la collectivité. Car en ne retenant que les premiers
au détriment des seconds on accrédite dans l’opinion l’idée que
l’individu peut tout attendre de l’Etat sans rien avoir à lui apporter,
on fausse d’entrée de jeu les termes du contrat social avec toutes
les conséquences fâcheuses que cette présentation tronquée peut
avoir à la longue sur les mentalités»
.
5. Il est vrai que l’idée d’insister davantage sur les devoirs
et responsabilités ne fait pas l’unanimité. Cependant, les détracteurs
ne contestent généralement pas la nécessité d’identifier certaines
obligations morales, voire légales. La plupart des gens s’accorderont
probablement à dire que nous avons tous un minimum de responsabilités
envers notre famille, autrui, la communauté et l’Etat. Les opposants
réfutent parfois l’existence d’une crise morale ou sa gravité et
rétorquent que le mouvement en faveur des responsabilités repose
sur une certaine nostalgie injustifiée
.
Leur principale crainte toutefois est que ces responsabilités, surtout
lorsqu’elles sont juridiquement applicables, menacent la protection
des droits de l’homme individuels. Ils insistent sur l’histoire
des droits de l’homme en tant que mécanisme de protection à l’égard
des ingérences arbitraires de l’Etat. Historiquement, les régimes
(autoritaires) ont trop souvent fait un usage abusif des devoirs
pour réprimer les droits légitimes des citoyens. De ce fait, les
opposants jugent préférable de laisser le soin aux systèmes juridiques
nationaux d’imposer les devoirs, alors que la protection des droits
de l’homme pourrait être organisée au plan international ou supranational.
Ces craintes ne sont pas totalement infondées. Le risque d’une utilisation
abusive des devoirs et responsabilités doit de ce fait être neutralisé.
6. Comme relevé dans la littérature
, il semblerait que les devoirs et
responsabilités soient en réalité déjà largement reconnus, tant
dans les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme
que dans divers systèmes juridiques nationaux. Si cet état de fait
peut être considéré comme un argument contre une insistance accrue
sur les devoirs et responsabilités au niveau international, il devrait
également être perçu comme un argument en faveur d’un développement
normatif plus conséquent des devoirs et responsabilités – tant que
la protection des droits individuels est garantie.
7. Que l’on convienne ou non de l’existence d’une crise morale
et d’une baisse de la sensibilisation de la communauté, la question
des devoirs et responsabilités a manifestement, ces dernières années,
pris une place prépondérante dans le débat politique européen.
8. Il est notamment un domaine dans lequel ces devoirs et responsabilités
peuvent jouer un rôle important: «la responsabilité citoyenne».
Vivre en tant que membres d’une société donnée implique inévitablement
des devoirs et responsabilités. Dans certaines de nos sociétés,
nous avons le sentiment que bon nombre de citoyens ont perdu tout
lien avec la communauté, au sens plus large, dont ils sont membres
et qu’il est impératif d’identifier les valeurs fondamentales et
de les réancrer dans les esprits. Aux Pays-Bas par exemple, le ministère
de l’Intérieur a initié en 2009 une discussion sur les implications
de la citoyenneté, en vue d’élaborer une «Charte de la responsabilité
citoyenne». Il a sollicité la production d’un rapport qui a été
publié en janvier 2010, identifiant un certain nombre de valeurs
qui, selon l’étude menée, étaient jugées fondamentales dans la société
néerlandaise. S’agissant de la notion de responsabilité citoyenne,
les auteurs ont notamment cité les valeurs suivantes: «cohabiter
dans un climat positif», «prendre soin les uns des autres», «s’attacher
à l’avenir» et «l’engagement vis-à-vis de la société»
.
9. Au Royaume-Uni, l’ancien gouvernement a lancé un débat sur
l’élaboration d’une déclaration sur les droits et responsabilités
afin de souligner, comme son intitulé le laisse présager, l’importance
des responsabilités. Dans un livre vert présenté en 2009 au parlement,
les auteurs évoquaient les «mutations sociales et économiques» qui
«avaient modifié les attitudes publiques». Selon eux, cette évolution
«avait encouragé l’émergence d’un public moins respectueux et plus
consumériste»
. Le document prétend que dans notre
«société atomisée», les droits sont, dans une certaine mesure, devenus
«marchandisables», comme «en témoignent ceux qui font valoir leurs
droits de manière égoïste, en faisant preuve d’un total mépris de
ceux d’autrui»
. Un certain
nombre de responsabilités incombant aux citoyens du Royaume-Uni
sont proposées, par exemple «traiter avec respect les membres du
personnel du National Health Service et des autres services publics»;
«protéger et promouvoir le bien-être des enfants dont nous avons
la charge»; «vivre dans le respect des limites posées par notre
environnement»; «participer à la vie de la société en votant et
en assumant le service de jury»; «aider la police en signalant les
actes criminels et en coopérant avec les services de poursuite»;
ainsi qu’un ensemble de devoirs d’ordre général tels que «payer
ses impôts» et «respecter la loi»
. Toutefois, le gouvernement a souligné
que les droits inscrits dans la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5, «la Convention») «ne peuvent pas être juridiquement
subordonnés à l’exercice des devoirs»
. Ce livre vert a suscité un débat intense
sur le rôle des droits et responsabilités au Royaume-Uni
.
10. Manifestement, toute tentative d’identification des responsabilités
fondamentales est un sujet hautement sensible. Il existe toujours
un risque que les valeurs chères aux yeux de la majorité dominante
à un moment donné soient indûment imposées en tant que normes de
conduite, voire en tant que devoirs juridiquement applicables à
tous les membres de la société. Ce risque est particulièrement présent
lorsque la notion de responsabilité citoyenne et de responsabilités
fondamentales est appliquée dans le cadre de l’intégration de nouveaux
arrivants, notamment d’immigrants, dans une société donnée. Si la
société hôte est incontestablement en mesure d’attendre légitimement
des nouveaux arrivants qu’ils respectent certaines valeurs fondamentales,
la société est quant à elle tenue de respecter les droits fondamentaux
de tous les individus, y compris ceux des membres des minorités.
Le respect mutuel est nécessaire. Par conséquent, les devoirs et
responsabilités sont indissociables des droits fondamentaux
.
3. Droits, devoirs et responsabilités, et liens intrinsèques
11. Dans la suite du présent rapport, je traiterai principalement
des responsabilités plutôt que des devoirs. Différentes significations
ont été attribuées à ces notions. J'ai pris le parti de comprendre
par responsabilités les obligations morales ou éthiques, et par
devoirs les obligations imposées par la loi
.
A cet égard, j'adhère pleinement à la distinction établie par M.
Martelli, dans son rapport soumis à l’Assemblée parlementaire en 1998,
entre «les devoirs obligatoires vis-à-vis de l’Etat (…) et envers
autrui» (devoirs) et les obligations morales et éthiques (responsabilités)
.
12. Les «responsabilités», de nature morale et éthique, requièrent
une approche très différente de celle des «devoirs» et «droits de
l’homme», de nature clairement juridique. Comme l’indique M. Martelli
dans son rapport: «Si un Etat définissait les règles de tout comportement
humain, cela représenterait une négation de la liberté et des droits
de l’homme car chacun doit être responsable de son propre comportement
moral et éthique. Il s’agirait alors d’un Etat totalitaire ne correspondant
pas aux principes et aux valeurs du Conseil de l’Europe. Les attitudes
morales doivent rester dans la sphère d’un libre choix de l’individu».M.
13. M. Martelli met en garde contre tout amalgame entre la sphère
de la loi d’un côté et celle de la morale et de l’éthique de l’autre.
Pour cette raison, il souligne le principal danger auquel on s’expose
en cherchant à lister les responsabilités de l’homme au niveau international:
«Mettre les droits et les devoirs moraux sur la même base implique
le danger de réduire l’effectivité des droits, en négligeant leur
force légale qui est plus qu’une question morale. Pour la même raison
il ne paraît pas souhaitable que chaque fois que dans un texte de
l’Assemblée il est fait référence à un droit de l’homme, d’y ajouter
systématiquement un devoir correspondant».
14. M. Martelli reconnaît également à fort juste titre que «les
droits de l’homme ont aussi une dimension individuelle qui consiste
en la liberté de s’opposer et de contester les valeurs de la société
et de ses institutions». «C’est pourquoi, [indique-t-il] il serait
assez délicat de formuler les responsabilités de l’individu à l’égard
de la société.» Il évoque par ailleurs un autre danger: «les gouvernements
seraient obligés de traiter (juridiquement) les citoyens qui n’obéissent
pas à leurs devoirs», ce qui serait gênant parce qu’un «Etat ne peut
et ne doit pas prescrire les attitudes morales et éthiques de ses
citoyens». Enfin, M. Martelli exprime également ses préoccupations
devant le fait que l’observation des responsabilités morales
d’une personne puisse être regardée comme un préalable légal à l’exercice
de ses droits de l’homme.
Les responsabilités fondamentales pourraient ainsi devenir «un instrument
permettant à tous les régimes autoritaires de relativiser les droits
de la personne, d’élever la morale sociale au rang de norme et d’intervenir
dans tous les domaines de la vie privée des citoyens». Comme évoqué
précédemment, il est par conséquent important que l’Assemblée, en
proposant un certain nombre de «responsabilités fondamentales»,
veille à ce que la protection des droits fondamentaux ne soit en
aucune manière menacée.
15. Comme on peut le déduire de ce qui précède, la distinction
établie entre responsabilités morales et devoirs légaux signifie
que les Etats membres du Conseil de l’Europe ne sont aucunement
tenus de convertir les responsabilités fondamentales proposées dans
le projet de résolution en devoirs juridiquement applicables. Il
est en principe laissé à la libre appréciation des autorités nationales
de décider dans quelle mesure agir en ce sens, si tant est qu’elles
le souhaitent et à condition, bien sûr, que leurs actes respectent
les droits de l’homme individuels.
16. Les devoirs, imposés par la loi, sont soumis au principe de
proportionnalité. Lorsqu’un individu a à subir une charge, au nom
de l’intérêt général ou de la protection des droits et intérêts
d’autrui, il convient de préserver un juste équilibre entre les
divers intérêts en cause. Une charge démesurée n’est en aucun cas admissible
.
Ce dernier principe s’applique également aux responsabilités fondamentales.
Elles ne peuvent pas être lourdes au point de compromettre les droits,
notamment fondamentaux, de l’individu qui les endosse. Les responsabilités
doivent, en toutes circonstances, rester raisonnables.
17. Dans le présent rapport, je chercherai à identifier et décrire
un certain nombre de responsabilités jugées fondamentales par l’ensemble
des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les autorités nationales
pourront s’inspirer de cette liste, ni plus ni moins.
18. La distinction entre responsabilités et devoirs, et l’accent
que j'ai choisi de placer sur les responsabilités induisent une
autre conséquence. J'estime qu’il convient de laisser aux autorités
nationales compétentes le soin de traiter des relations entre l’individu
et l’Etat. Je m'attacherai plus particulièrement aux relations entre l’individu
d’un côté et ses concitoyens et la société dans son ensemble de
l’autre.
19. Différents moyens de procéder s’offrent à nous lorsqu’il s’agit
d’identifier les responsabilités jugées fondamentales. L’un d’entre
eux consiste à prendre en compte des considérations d’ordre moral,
religieux, politique ou autres. Toutefois, dans ce rapport, l’approche
proposée repose sur les droits de l’homme. J'estime en effet que
c’est précisément dans ce contexte que l’Assemblée, fermement engagée
dans le respect et la protection des droits de l’homme, est la mieux
à même d’apporter sa contribution.
20. L’approche fondée sur les droits de l’homme appliquée dans
le présent rapport suppose une identification des responsabilités
fondamentales à partir des dispositions des instruments internationaux
des droits de l’homme, et notamment ceux pertinents pour le Conseil
de l’Europe. La Convention européenne des droits de l’homme et la
Charte sociale européenne révisée (STE no 163) seront les principales
(mais pas les seules) sources d’inspiration.
21. Les instruments internationaux des droits de l’homme font
parfois explicitement référence à l’existence de telles responsabilités.
C’est par exemple le cas de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention,
qui stipule que l’exercice de la liberté d’expression «comporte
des devoirs et des responsabilités».
22. La plupart du temps, toutefois, l’existence de responsabilités
fondamentales est implicitement reconnue par les auteurs de ces
textes. C’est par exemple le cas lorsque l’instrument prévoit la
possibilité d’apporter des restrictions aux droits de l’homme aux
fins de la réalisation de certains objectifs légitimes. Ces derniers
peuvent avoir trait aux relations entre l’individu et ses concitoyens
ou la société dans son ensemble, et sont dans ce cas hautement révélateurs
de l’existence de responsabilités fondamentales qui incombent à
chaque membre de la société.
23. Le fait que les Etats aient des obligations positives inhérentes
à un respect effectif des droits de l’homme, est un autre indicateur
de l’existence de responsabilités fondamentales, dans la mesure
notamment où ces obligations impliquent l’adoption de mesures visant
à garantir le respect des droits de l’homme jusque dans les relations
des individus entre eux
. Les Etats peuvent
de ce fait être amenés à imposer des devoirs (juridiquement applicables)
aux individus.
24. Les obligations légales et les obligations morales et éthiques
préexistantes, que j'ai appelées respectivement «devoirs» et «responsabilités»,
peuvent se chevaucher (comme cela est souvent le cas). Il est utile
de noter que l’existence de devoirs individuels quels qu’ils soient
peut être révélatrice de l’existence de responsabilités fondamentales
synthétisées. S’agissant de ces reconnaissances implicites de responsabilités fondamentales,
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la
Cour») sera hautement pertinente.
25. L’approche des responsabilités fondamentales basée sur les
droits de l’homme est censée garantir que les responsabilités des
individus soient perçues en tant que compléments indispensables
des droits individuels. De cette manière, les responsabilités fondamentales
contribuent non seulement à décrire plus précisément le statut de
l’individu au sein de la société, mais permettront également de
mieux protéger les droits fondamentaux des autres individus, en
renforçant davantage le cadre démocratique dans lequel s’inscrivent
ces droits.
26. Le présent rapport ne traite pas des «responsabilités» mais
des «responsabilités fondamentales».
Je m'efforcerai de ce fait d’énumérer les responsabilités largement
reconnues. C’est également pourquoi je chercherai des références
dans les textes internationaux existants relatifs aux droits de
l’homme. D’une certaine manière, les responsabilités fondamentales
peuvent être considérées comme des principes généraux, dont l’existence
découle de l’application particulière diverse et variée de ces principes,
y compris de l’application sous la forme de devoirs juridiquement
applicables. Ces principes peuvent à leur tour conduire à une concrétisation
en devoirs juridiquement applicables de nature plus spécifique.
27. Enfin, il convient de souligner que les responsabilités fondamentales,
à l’instar des droits fondamentaux, ne sont pas absolues. En d’autres
termes, dans certaines circonstances, un individu peut prétendre
qu’une responsabilité fondamentale donnée s’applique à lui dans
une moindre mesure qu’elle ne le devrait normalement. A titre d’exemple,
on ne peut pas attendre d’une personne malade qu’elle endosse une responsabilité
inchangée à l’égard du travail. Il s’agit de veiller à ce que les
responsabilités ne restreignent pas indûment les droits dans une
situation donnée (voir ci-dessus, paragraphe 10). Dans une déclaration
de principes similaire à celle contenue dans le projet de résolution,
il n’est pas nécessaire et il s’avère en fait impossible de passer
en revue l’ensemble des éléments susceptibles de justifier une limitation
des principes. Il suffit d’insister clairement sur le fait qu’il
ne s’agit que de principes, et qu'il peut y avoir des exceptions. Souvent,
ce sera précisément la nécessité de respecter les droits de l’homme
qui conduira à la restriction du champ d’une responsabilité particulière.
4. Textes et initiatives existants
4.1. Les responsabilités dans les instruments des droits
de l’homme
28. Comme évoqué précédemment, il serait erroné de prétendre
que les instruments contemporains des droits de l’homme ne prêtent
pas attention aux devoirs et responsabilités. Ce qui suit est un
bref aperçu de certaines références contenues dans les instruments
internationaux et régionaux les plus importants relatifs aux droits
de l’homme
.
29. Toute analyse des devoirs et responsabilités reconnus dans
les documents internationaux des droits de l’homme doit avoir pour
point de départ la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948 dont l’article 29, paragraphe 1, énonce que «l’individu
a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein
développement de sa personnalité est possible». Cette disposition
peut être considérée comme l’une des plus essentielles de la déclaration
dont les auteurs ont d’ailleurs souhaité faire un élément clé
. Elle affirme que
les individus ont des devoirs généraux, ainsi que des devoirs spécifiques
susceptibles d’intervenir dans l’exercice de droits spécifiques.
Les travaux préparatoires témoignent du débat intense qui a précédé
la décision finale de la formulation de l’article 29, mais ils démontrent
surtout la nature quasi évidente de l’inclusion de son paragraphe
1 dans la déclaration. Dans une étude minutieuse menée par Erica-Irene
A. Daes, rapporteure spéciale de la Sous-commission de la lutte
contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités
des Nations Unies, la question des devoirs de l’individu vis-à-vis
de la communauté au titre de l’article 29 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme a été explorée en détail
.
30. La Convention européenne des droits de l’homme contient une
référence explicite aux responsabilités, en l’occurrence à l’article
10 consacré à la liberté d’expression. Comme indiqué précédemment,
l’article 10, paragraphe 2, évoque les «devoirs et responsabilités».
L’ancienne Commission européenne des droits de l’homme
et la Cour
européenne des droits de l’homme
ont à maintes reprises traité de tels «devoirs
et responsabilités» des individus. L’article 17, qui exclut la possibilité
pour les «ennemis» de la démocratie d’invoquer les droits de l’homme
,
peut également être interprété comme l’expression d’une responsabilité générale
imposée aux individus.
31. Le Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et
politiques et le Pacte international de 1966 relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels font dans leur préambule une référence
identique aux devoirs: «Prenant en considération le fait que l'individu
a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle
il appartient et est tenu de s'efforcer de promouvoir et de respecter
les droits reconnus dans le présent pacte».
32. Les responsabilités sont également évoquées dans le préambule
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a
été intégrée au Traité sur l’Union européenne. La charte énonce
que «la jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et
des devoirs tant à l'égard d'autrui qu'à l'égard de la communauté
humaine et des générations futures».
33. Dans beaucoup d’instruments des droits de l’homme applicables
hors de l’Europe, nous trouvons des références directes et indirectes
aux devoirs et responsabilités. C’est notamment le cas dans la Déclaration américaine
des droits et devoirs de l’homme, la Convention américaine des droits
de l'homme, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
la Déclaration des devoirs fondamentaux des peuples et des Etats
asiatiques (ANASE), le projet de charte des droits de l’homme du
Pacifique, la Charte arabe des droits de l’homme, la Convention
relative aux droits de l’enfant, ainsi que dans divers ensembles
de principes tels que les Principes d’éthique médicale des Nations
Unies applicables au rôle du personnel de santé, en particulier
des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, les Principes de base des Nations Unies relatifs
au rôle du barreau et les Principes directeurs des Nations Unies
applicables au rôle des magistrats du parquet.
4.2. Initiatives spécifiques au niveau mondial
34. Plusieurs initiatives importantes ont été entreprises
dans les dernières décennies dans le but d’identifier les devoirs
et responsabilités de l’individu. Dans cette section, on trouvera
un aperçu de certaines des actions les plus notables engagées au
plan mondial
.
35. Comme évoqué précédemment, les partisans d’une plus grande
emphase sur les devoirs et responsabilités sont également ceux qui
souhaitent établir une éthique mondiale. A cet égard, le Parlement des
religions du monde, une association regroupant les principales religions
, est à l’origine d’une initiative majeure.
En 1993, 6 500 personnes de toutes confessions se sont réunies à
Chicago à l’occasion du Conseil pour un Parlement des religions
du monde. Le conseil a donné son assentiment à la proclamation d’une «Déclaration
pour une éthique planétaire»
, un document principalement rédigé
par Hans Küng, un théologien catholique. L’éthique planétaire envisagée
dans cette déclaration n’est «ni une nouvelle théologie, ni une
religion mondiale unitaire au-delà de toutes les religions existantes,
pas plus qu’un mélange de toutes les religions»
. Elle a
en revanche pour objet de déterminer ce qui est d’ores et déjà commun
à l’ensemble des religions du monde aujourd’hui en dépit de toutes
leurs divergences quant aux attitudes de la personne, aux valeurs
et convictions morales essentielles
. La déclaration repose sur la prémisse
essentielle selon laquelle il ne peut y avoir de nouvel ordre mondial
sans une éthique planétaire, celle-ci devant être basée sur le principe
que toute personne humaine doit être traitée humainement, d’où la
«règle d’or»: «Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on
te fasse.» Ces principes ont conduit à quatre «directives irrévocables» dont
toutes les religions peuvent convenir, en l’occurrence «l’engagement
en faveur d’une culture de la non-violence et du respect de la vie»,
«l’engagement en faveur d’une culture de la solidarité et d’un ordre économique
juste», «l’engagement en faveur d’une culture de la tolérance et
d’une vie véridique» et «l’engagement en faveur d’une culture de
l’égalité des droits et du partenariat entre les sexes»
.
36. Dans la quête d’une éthique planétaire, une autre initiative
majeure a été engagée par le Conseil InterAction
, une organisation d’anciens chefs
d’Etat et de gouvernement. A l’occasion du 50e anniversaire de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, le Conseil InterAction
a présenté un projet de déclaration universelle des obligations
de la personne, fondé sur les travaux d’un groupe d’experts de haut
niveau présidé par Helmut Schmidt, dans lequel Hans Küng a une nouvelle
fois joué un rôle crucial
.
Le rapport
,
reprenant les conclusions et recommandations du groupe de travail,
contient des références explicites aux principes de base énoncés
dans la Déclaration pour une éthique planétaire (en l’occurrence
que toute personne humaine doit être traitée humainement, et la
«règle d’or»), ainsi que les quatre directives irrévocables du Parlement
des religions du monde. Le projet de déclaration universelle des
responsabilités de l’homme était censée être un appel en faveur
de l’éthique et en aucun cas avoir le caractère contraignant d’une
loi internationale
. Néanmoins,
ses partisans espéraient qu’à l’instar de la Déclaration universelle
des droits de l’homme, elle donne un jour lieu à l’adoption d’un
texte par l’Assemblée générale des Nations Unies
.
Cette déclaration avait pour objet de compléter et renforcer la
Déclaration universelle des droits de l’homme et de mener à un monde meilleur
.
Le projet visait ainsi à établir un équilibre entre liberté et responsabilité,
et à promouvoir le passage de la liberté de l’indifférence à la
liberté de l’engagement
. Le projet
de déclaration universelle des responsabilités de l’homme contient
19 articles, énonçant plusieurs responsabilités spécifiques sous
les intitulés suivants «Principes fondamentaux de l’humanité» (articles
1-4), «Non-violence et respect de la vie» (articles 5-7), «Justice
et solidarité» (articles 8-11), «Vérité et tolérance» (articles
12-15) et «Respect mutuel et partenariat» (articles 16-18). Chose
très importante, le dernier article (article 19) stipule que rien
dans la déclaration ne saurait être interprété comme justifiant
la destruction d’une des responsabilités, d’un des droits ou d’une
des libertés énoncés dans le texte ou dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme
. Le projet
de déclaration n’a jamais donné lieu à l’adoption d’un texte par
l’Assemblée générale des Nations Unies, mais n’en demeure pas moins
un important document de référence.
37. A la même époque, en 1998, la Déclaration de Valence des devoirs
et des responsabilités de l’homme
a
été rédigée à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de l’homme par un groupe de haut niveau créé par la Fondation
Valencia Troisième millénaire et présidé par Richard J. Goldstone (juge
d’Afrique du Sud et ancien procureur général des Tribunaux des Nations
Unies pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda). La déclaration reconnaît
dans son préambule «la signification universelle, la dimension mondiale et
le caractère indivisible des droits énoncés dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme, dans le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, et le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que dans d'autres
instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme», et poursuit
en énonçant que «la jouissance et la mise en œuvre effectives des
droits de l'homme et des libertés fondamentales sont indissociablement
liées à l'hypothèse des devoirs et des responsabilités dont s'accompagnent
implicitement ces droits» et que «les individus ont une même obligation
de respecter, de promouvoir et de mettre en œuvre les droits de
l'homme et les libertés fondamentales»
.
La déclaration énumère ensuite en détail dans douze chapitres un
large éventail de devoirs dans le domaine de la vie et de la sécurité
humaine: sécurité humaine et ordre international équitable; participation
significative aux affaires publiques; liberté de pensée, d’expression,
de rassemblement, d’association et de religion; intégrité personnelle
et physique; égalité; protection des minorités et des peuples autochtones;
droits des enfants et des personnes âgées; travail, qualité de vie
et niveau de vie; éducation, arts et culture.
38. En 1999, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté par
consensus la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus,
groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits
de l'homme et les libertés fondamentales universellement reconnus,
également appelée Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme.
En tant que telle et bien qu’elle ne soit pas juridiquement contraignante,
la déclaration fournit une base solide aux actions entreprises par
les défenseurs des droits de l’homme dans le monde entier. L’article
18 de cette déclaration trouve manifestement ses racines dans l’article
29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (voir ci-dessus,
paragraphe 29), mais va au-delà en énonçant un certain nombre de
devoirs spécifiques
.
39. A l’aube du millénaire, Miguel Alfonso Martínez, rapporteur
spécial de la Sous-commission de la promotion et de la protection
des droits de l'homme des Nations Unies, chargé d’effectuer une
étude sur la question des droits de l’homme et des responsabilités,
a présenté un rapport comprenant un avant-projet de déclaration
sur les responsabilités sociales de l’homme
. Ce rapport et l’avant-projet
ont fait l’objet de vives contestations de la part des Etats occidentaux.
Leur réaction était notamment motivée par l’inclusion par M. Martínez
de certains devoirs incombant aux Etats, en l’occurrence les devoirs
des pays développés du «Nord» à l’égard des pays du «Sud»
.
Les discussions relatives au projet sont finalement restées bloquées
devant le Conseil économique et social.
4.3. Initiatives spécifiques au sein du Conseil de
l’Europe
40. Le 30 mars 1999, l’Assemblée a adopté la
Recommandation 1401 (1999) relative à l’éducation aux responsabilités de la personne
.
L’Assemblée y énonce le fait que l’exercice des droits fondamentaux comporte
des responsabilités et reconnaît «la nécessité de faire des démarches
promouvant également l’éducation aux responsabilités de la personne
et à la sensibilisation du citoyen vis-à-vis de ses responsabilités dans
le cadre de l’éducation aux droits de l’homme, afin de ne pas négliger
la dimension sociale de ces droits»
. Elle se dit par ailleurs convaincue
que «cette sensibilisation aux responsabilités de citoyen doit passer
par l’éducation et qu’il n’appartient pas à un Etat démocratique
de définir les règles de tout le comportement humain, car les attitudes
morales et éthiques doivent rester dans la sphère du libre choix
de l’individu, mais toujours en respectant les droits d’autrui»
. L’Assemblée énumère également
les «valeurs fondamentales» telles qu’elles ressortent notamment
de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, de la Charte sociale européenne
révisée et de la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales (STE no 157). Elle déclare plus particulièrement que
toute personne devrait, entre autres:
a. «respecter
intégralement la dignité, la valeur et la liberté de l’autre, sans aucune
distinction de race, de religion, de sexe, de nationalité, d’ethnie,
d’état social, d’opinion politique, de langue et d’âge; chacun doit
agir envers l’autre dans un esprit de fraternité et de tolérance»;
b. «agir de façon pacifique sans
avoir recours à la violence physique ou psychique»;
c. «respecter les opinions, la vie
privée, personnelle et familiale d’autrui»;
d. «faire
preuve de solidarité et de courage civil envers autrui»;
e. «respecter, dans l’exercice de
sa propre religion, les autres religions, sans fomenter la haine
ou légitimer le fanatisme, mais en promouvant la tolérance mutuelle»;
f. «respecter l’environnement et
utiliser les ressources énergétiques avec modération, en pensant
au bien-être des futures générations». Cette énumération des responsabilités qui
devraient faire l’objet d’une éducation constitue une importante
source d’inspiration pour notre liste de responsabilités fondamentales.
41. Le 7 mai 1999, le Comité des Ministres, à l’occasion du 50e
anniversaire du Conseil de l’Europe, a adopté les Déclaration et
programme sur l'éducation à la citoyenneté démocratique fondée sur
les droits et les responsabilités des citoyens soulignant la nécessité
de prêter attention aux relations entre les droits et les responsabilités,
et à la citoyenneté responsable dans une société démocratique.
42. En mai 2000, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du
Conseil de l’Europe a adopté une résolution approuvant les «Principes
directeurs pour une politique de participation responsable des citoyens
à la vie municipale et régionale»
. Ces principes directeurs appellent
au respect d’un certain nombre de devoirs et responsabilités des
citoyens, notamment le fait d’être responsable de sa propre vie,
d’être responsable face à ses concitoyens, ou dans ses relations
de couple ou familiales et envers la société.
5. Enumération des responsabilités fondamentales
43. Dans la prochaine section, je proposerai un certain
nombre de responsabilités. Je commencerai par développer trois responsabilités
générales, puis une liste (non exhaustive) de responsabilités spécifiques.
Je terminerai par une clause finale à caractère horizontal.
5.1. Responsabilités générales
5.1.1. Responsabilité de traiter toute personne avec
humanité
- Toute
personne, indépendamment de son sexe, de son origine ethnique, de
son statut social, de ses opinions politiques, de sa langue, de
son âge, de sa nationalité, ou de sa religion, est tenue de traiter tous
les hommes avec humanité .
44. La responsabilité de traiter toutes les personnes
avec humanité peut être considérée comme l’obligation la plus fondamentale
de tout être humain. L’obligation de faire preuve d’humanité compte
parmi les valeurs fondamentales sous-tendant la Convention européenne
des droits de l’homme, en l’occurrence le principe de dignité humaine.
Cette responsabilité est le principe fondamental et suprême de la
protection effective des droits de l’homme. La «règle d’or» peut
servir de principe directeur à cet égard: «ne fais pas à autrui
ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse»
.
5.1.2. Responsabilité de faire preuve de tolérance
- Toute
personne est tenue de faire preuve de tolérance à l’égard d’autrui.
45. La nécessité de tolérance individuelle est au cœur
de la société démocratique. Comme l’a déclaré l’Assemblée, «chacun
doit agir envers l’autre dans un esprit de fraternité et de tolérance»
.
Sans tolérance entre les individus qui forment ensemble la société
démocratique, aucune paix et aucune démocratie n’est possible. Comme
l’a énoncé la Cour européenne des droits de l’homme, «l'une des
principales caractéristiques de la démocratie est l'opportunité
qu'elle offre de résoudre les problèmes d'un pays par le dialogue,
sans recourir à la violence, même dans des situations tendues»
. La Cour
a insisté à plusieurs reprises sur la tolérance, l’ouverture d’esprit
et le pluralisme qui constituent les valeurs fondamentales d’une
société démocratique
. Cette tolérance
est avant tout requise à l’égard des opinions et expressions choquantes
ou inacceptables, à moins qu’elles n’incitent à la violence ou au
rejet des principes démocratiques
.
Un comportement fondamentalement tolérant est le ciment de la société
démocratique; c’est pourquoi il est au cœur de la plupart, si ce
n’est de tous les autres droits et responsabilités.
5.1.3. Responsabilité d’exercer les droits de l’homme
dans le respect d’autrui
- Toute
personne est tenue d’exercer ses droits de l’homme dans le respect
d’autrui.
46. La responsabilité d’exercer les droits de l’homme
dans le respect d’autrui est inscrite, directement ou indirectement,
dans la quasi-totalité des instruments internationaux des droits
de l’homme. Elle implique de faire parfois preuve de modération
dans l’exercice d’un droit, du fait des droits des autres ou de
certains intérêts légitimes de la société. Cette responsabilité
individuelle est une conséquence directe de la logique des droits
de l’homme, car les droits fondamentaux (dans leur majorité) ne
sont pas des droits absolus et doivent être mis en balance avec
l’intérêt général (voir ci-dessus, paragraphe 27). Son fondement
est clairement énoncé à l’article 29, paragraphe 1, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, évoqué précédemment (paragraphe
29). Lu en conjonction avec l’article 2
et
l’article 30
de
la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est évident
que si toute personne doit disposer de la liberté de développer librement
sa personnalité, il lui appartient également «de permettre à autrui
de faire de même»
.
Certains instruments des droits de l’homme, dont la Convention européenne
des droits de l’homme
, énoncent cette responsabilité
dans un article distinct
, mais
les clauses limitatives qui accompagnent souvent des droits spécifiques
peuvent également être prises en compte pour appuyer l’existence
de cette responsabilité, étant donné qu’elles permettent de restreindre
(ou de limiter) les droits de l’homme en fonction des besoins légitimes de
la société démocratique
.
5.2. Responsabilités spécifiques
5.2.1. Responsabilité de respecter et protéger la vie
- Toute
personne est tenue de respecter et de protéger la vie d’autrui.
Cela n’exclut pas le droit des individus ou des communautés de recourir
à des actes de légitime défense. Toute personne est tenue de prendre
des dispositions raisonnables pour aider ceux des autres dont la
vie est menacée ou qui sont dans une situation de détresse ou de
difficulté extrême .
47. Le droit à la vie «consacre l'une des valeurs fondamentales
des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe»
.
Il impose nécessairement à tout individu la responsabilité de respecter
et, au besoin, de protéger la vie des autres êtres humains. La formulation
de l’article 2 de la Convention fait obligation à l’ensemble des
Etats membres de protéger par la loi le droit à la vie; cette responsabilité
de respecter et protéger la vie d’autrui se retrouve également sous
la forme d’un devoir juridiquement applicable dans la législation
de tous les Etats membres. Elle peut être considérée comme renfermant
le comportement minimum requis de tout membre d’une société démocratique.
Elle est naturellement limitée par le droit à la légitime défense
et les exigences des conflits armés.
5.2.2. Responsabilité de ne pas laisser commettre ni
soutenir des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants,
et de n'y prendre part en aucune manière
- Toute
personne est tenue de ne pas laisser commettre ni soutenir des actes
de torture et des traitements ou châtiments cruels, inhumains et
dégradants, et de n'y prendre part en aucune manière .
48. Cette responsabilité garantit et évoque, au niveau
le plus basique, le principe fondamental de dignité humaine. Le
droit de ne pas être soumis à la torture ou aux peines et traitements
inhumains et dégradants est protégé de manière absolue par la Convention
européenne des droits de l'homme
. A l’instar du droit à la vie, la
Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le droit de ne
pas être soumis à
des actes
de torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants
«consacre l'une des valeurs fondamentales
des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe»
. Les Etats ont également une obligation
positive de veiller à ce que tous les individus relevant de leur
juridiction soient protégés contre les actes de torture et les traitements
ou châtiments inhumains et dégradants, même administrés par d’autres
individus
. En conséquence,
cette responsabilité bénéficie déjà aussi d’une forte protection
dans la législation interne en tant que devoir. Si la responsabilité
de respecter et de protéger la vie d’autrui peut être quelque peu
limitée dans des circonstances exceptionnelles – par exemple la
légitime défense ou les conflits armés – celle de ne pas laisser
commettre ni de soutenir des actes de torture et des traitements
ou châtiments cruels, inhumains et dégradants, et de n'y prendre
part en aucune manière est une responsabilité absolue, qui ne peut
subir aucune limitation.
5.2.3. Responsabilité de ne pas laisser commettre ni
soutenir des pratiques d’exploitation d’autrui, et de n'y prendre
part en aucune manière
- Toute
personne est tenue de ne pas laisser commettre ni soutenir des pratiques
d’exploitation d’autrui, et de n'y prendre part en aucune manière.
49. Ce principe repose sur l’interdiction de l’esclavage,
de la servitude et du travail forcé ou obligatoire garantie par
l’article 4 de la Convention. Dans sa forme moderne, on pourrait
parler de liberté de ne pas être soumis à l’exploitation. Il englobe
une protection contre l’esclavage domestique
et
contre la traite des êtres humains
. Les Etats ont une obligation
positive de protéger les individus contre les actes d’exploitation
. De cette obligation faite aux Etats découle
la responsabilité individuelle de ne pas prendre part à des actes d’exploitation.
5.2.4. Responsabilité de respecter la liberté d’autrui
- Toute
personne est tenue de respecter le droit à la liberté personnelle
d’autrui .
50. La responsabilité de respecter la liberté personnelle
d’autrui a une importance fondamentale. Elle est la contrepartie
logique du droit à la liberté, inscrit à l’article 5 de la Convention.
La Cour européenne des droits de l’homme a énoncé que ce droit «figure
parmi les principales dispositions garantissant les droits fondamentaux
qui protègent la sécurité physique des personnes» et, en tant que
tel, «revêt une importance primordiale»
. La Cour a également souligné
à plusieurs reprises l’importance du droit à la liberté dans une société
démocratique
.
Toute privation de liberté doit de ce fait avoir une base légale
claire
et
faire l’objet d’un contrôle juridictionnel indépendant
.
Le respect effectif du droit à la liberté implique naturellement
pour l’Etat, mais également pour les particuliers, de ne pas priver
arbitrairement d’autres personnes de leur liberté. L’Etat est soumis
à l’obligation positive de veiller à ce que les particuliers respectent
mutuellement le droit à la liberté dans leurs relations
.
Un devoir juridiquement applicable de respecter la liberté d’autrui
existe déjà dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Ce n’est
que dans des circonstances exceptionnelles, répondant aux conditions
établies par la Convention – par exemple l’arrestation d’un citoyen
– que la responsabilité des individus de respecter la liberté d’autrui
peut être limitée.
5.2.5. Responsabilité de respecter la vie privée d’autrui
- Toute
personne est tenue de respecter la vie privée d’autrui.
51. Les données et les informations à caractère personnel
(numériques) étant au cœur de notre monde actuel et pouvant être
virtuellement diffusées à la vitesse de la lumière, la reconnaissance
d’une responsabilité individuelle de respecter la vie privée d’autrui
est indispensable. A l’instar du droit correspondant, en l’occurrence
le droit à la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention,
cette responsabilité peut avoir un champ d’application très vaste.
La notion de «vie privée», par exemple, englobe l’identité personnelle, l’intégrité
morale et physique, la sphère privée, la collecte et l’utilisation
des informations à caractère personnel, la vie sociale et les relations
personnelles
.
Les Etats ont une obligation positive de garantir les droits inscrits à
l’article 8 de la Convention, y compris contre les ingérences par
d’autres particuliers
. Il est
donc logique que tous les individus soient tenus de ne pas violer
le droit fondamental à la vie privée d’autrui.
5.2.6. Responsabilité de respecter la réputation et l’honneur
d’autrui
- Toute
personne est tenue de respecter la réputation et l’honneur d’autrui.
52. La responsabilité de respecter la réputation et l’honneur
des autres trouve un fondement solide dans la Convention européenne
des droits de l’homme. L’article 10 de la Convention, qui traite
de la liberté d’expression, fait explicitement mention dans son
paragraphe 2 de la «protection de la réputation ou des droits d'autrui»
comme étant l’un des motifs légitimes d’une éventuelle limitation
de la liberté d’expression. Par ailleurs, le droit de ne pas être
l’objet d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation est
explicitement mentionné à l’article 17 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. La Cour européenne des droits de
l’homme considère qu’il s’agit d’un élément du droit au respect
de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention
.
Elle a indirectement reconnu une responsabilité individuelle de
respecter la réputation et l’honneur d’autrui à diverses occasions.
Dans les affaires dont elle a eu à connaître, la Cour a souvent
été amenée à trouver un juste équilibre entre, d’un côté, la liberté
d’expression des journalistes et, de l’autre, la réputation et l’honneur
des individus. A l’heure où divers médias (par exemple l'internet)
permettent une diffusion quasi instantanée des informations, il
peut être porté gravement atteinte à la réputation et l’honneur avant
même que la victime ou les autorités n’aient le temps de réagir
. On ne saurait exagérer l’importance de
la responsabilité individuelle à l’égard de la réputation et de
l’honneur d’autrui. Si la jurisprudence s’est pour l’essentiel concentrée
sur les devoirs des journalistes
, il est clair qu’une telle
responsabilité s’impose à toute personne participant au débat public
.
5.2.7. Responsabilité de respecter et d'assurer l'égalité
de traitement et la non-discrimination
- Toute
personne est tenue de respecter et d'assurer le droit à l'égalité
de traitement et à la non-discrimination .
53. La responsabilité de respecter et d'assurer l'égalité
de traitement et la non-discrimination est indispensable pour préserver
l’égalité de tous les individus; il s’agit à ce titre d’une responsabilité
fondamentale dans une société démocratique. Le Conseil de l’Europe
joue un rôle essentiel dans la lutte contre la discrimination, par
l’intermédiaire de sa Commission européenne contre le racisme et
l’intolérance
et ses activités dans le domaine
de la promotion de l’égalité des femmes et des hommes
. Un fondement de la responsabilité
de respecter et d'assurer l'égalité de traitement et la non-discrimination
se trouve dans l’article 14 de la Convention, qui traite de la discrimination
à l’égard des droits établis dans la Convention, et dans le Protocole
no 12 à la Convention, qui traite de la discrimination à l’égard
de l’ensemble des droits prévus par la loi. Bien que ces dispositions
ne concernent pas les relations purement privées entre les individus
(car il s’agirait d’une violation d’autres droits de ces personnes,
par exemple le droit à la vie privée), on peut affirmer que la responsabilité
individuelle de respecter et d'assurer l'égalité de traitement et
la non-discrimination est essentielle pour donner pleinement effet
à la protection des droits de l’homme de tous. Cette responsabilité peut
également être fondée sur la Charte sociale européenne révisée,
dont l’article 20 garantit à tous les travailleurs «l'exercice effectif
du droit à l'égalité de chances et de traitement en matière d'emploi
et de profession sans discrimination fondée sur le sexe» et les
règles de l’Union européenne, par exemple les Directives du Conseil
2000/43/CE («Directive sur l'égalité raciale»), 2000/78/CE («Directive
sur l'égalité en matière d'emploi») et 2004/113/CE («Directive sur
l'égalité des genres»), ainsi que sur divers autres instruments
des droits de l’homme, dont par exemple le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques de 1966, la Convention internationale
sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
de 1965 et la Convention sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination à l'égard des femmes de 1979.
5.2.8. Responsabilité d’acquérir une éducation
- Toute
personne est tenue de faire tout son possible pour acquérir une
éducation et faire preuve de diligence en vue de développer ses
compétences .
54. L’idée sous-jacente de la responsabilité d’acquérir
une éducation est qu’un individu doit développer ses propres capacités
de manière à être en mesure d’apporter une contribution significative
à la société. L’acquisition d’une éducation formelle de base a généralement
été considérée comme un droit, mais il y est fait référence dans
de nombreux instruments et systèmes juridiques en tant que devoir
juridiquement applicable, du fait de sa nature obligatoire. Une
responsabilité d’acquérir au moins une éducation de base trouve
un fondement solide par exemple dans la Charte sociale européenne
révisée, qui protège le droit des enfants à une instruction
obligatoire . Parmi les exemples d’autres dispositions
traitant de l’acquisition d’une éducation (élémentaire) à la fois
en tant que droit et devoir (légalement applicable), on peut citer
l’article 26, paragraphe 1, de la Déclaration universelle des droits
de l’homme et l’article 13, paragraphes 1 et 2, du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Une version
limitée et minimale de cette responsabilité engloberait l’acquisition
d’une éducation de base, alors qu’une interprétation plus large
porterait sur le développement de ses propres compétences au mieux
de ses capacités
.
5.2.9. Responsabilité de travailler
- Toute
personne est tenue de travailler.
55. Au même titre que la responsabilité d’acquérir une
éducation, la responsabilité de travailler peut être perçue comme
faisant partie intégrante de l’obligation plus générale d’apporter
une contribution significative à la société. Tout comme la responsabilité
d’acquérir une éducation, l’engagement dans le travail est à la
fois un droit et une responsabilité
.
La responsabilité de travailler est bien entendu définie dans les
limites des capacités physiques et intellectuelles de la personne
.
Certaines dispositions d’instruments internationaux des droits de
l’homme, par exemple l’article 23, paragraphe 1, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et l’article 6, paragraphe 1,
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, considèrent le travail comme un droit. Il est important
de noter que la responsabilité vis-à-vis du travail a été clairement
délimitée dans la jurisprudence relative aux droits de l’homme.
Hormis dans certaines situations, telles que dans le cadre notamment
du service militaire obligatoire et de certaines autres obligations
civiques (voir principe XI), une obligation légale visant à forcer
les individus à travailler (assortie ou non d’une sanction en cas
de non-respect) serait contraire à la législation internationale
en matière de droits de l’homme
.
5.2.10. Responsabilité d’accomplir des obligations civiques
- Toute
personne est tenue d’accomplir des obligations civiques.
56. La responsabilité d’accomplir des obligations civiques
doit être jugée essentielle au fonctionnement et à la cohésion de
toute société démocratique. Un individu peut être tenu de remplir
un certain nombre d’obligations dans l’intérêt de la société, et
l’accomplissement de ces obligations ne sera bien entendu en aucun
cas considéré comme un travail forcé. Il s’agit «d’obligations dites
civiques» qui englobent un large éventail d’activités diverses et
variées, indispensables toutefois à l’organisation et au fonctionnement
de la société. Un fondement de cette responsabilité figure à l’article
4, paragraphe 3.
d, de la Convention,
qui énonce que «tout travail ou service formant partie des obligations
civiques normales» «n'est pas considéré comme "travail forcé ou
obligatoire"» (interdit par la Convention). La Cour européenne des
droits de l’homme a estimé, par exemple, que le service de jury
obligatoire
et le service obligatoire de sapeur-pompier
relèvent
des obligations civiques normales. De même, l’ancienne Commission
européenne des droits de l’homme avait jugé que l’obligation pour
un employeur de retenir certains impôts sur les salaires d’un employé
ne
contrevient pas à la Convention européenne des droits de l’homme.
5.2.11. Responsabilité de participer au processus démocratique
- Toute
personne est tenue de participer au processus démocratique.
57. Pour qu’une société démocratique puisse exister,
et a fortiori prospérer, la participation active de ses membres
est primordiale. Cette participation peut prendre différentes formes,
dont par exemple le fait de voter. La question du vote peut être
perçue à la fois comme un droit et une responsabilité. L’article
3 du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme
énonce que les Etats membres sont tenus d’organiser des élections
dans des conditions «qui assurent la libre expression de l'opinion
du peuple sur le choix du corps législatif». La Cour a affirmé que
«la démocratie représente un élément fondamental de "l'ordre public européen"».
Elle a par ailleurs noté que, dans son préambule, la Convention
«établit un lien très clair entre la Convention et la démocratie
en déclarant que la sauvegarde et le développement des droits de
l’homme et des libertés fondamentales reposent sur un régime politique
véritablement démocratique»
. La
Cour a ajouté que «la démocratie est l’unique modèle politique envisagé
par la Convention et, partant, le seul qui soit compatible avec
elle»
. Dans une
telle démocratie, une procédure électorale a pour objet de «déterminer
la volonté du peuple par l’intermédiaire du suffrage universel»
. Alors que se rendre aux urnes
peut être un devoir (comme c’est le cas, par exemple, en Belgique
),
la mise en place d’un tel devoir n’est pas requis par le Protocole
no 1. Compte tenu de la nature fondamentale de la démocratie dans
la société envisagée par le Conseil de l’Europe, une responsabilité
– et non un devoir – de voter, ou du moins de participer d’une manière
ou d’une autre au processus démocratique, peut être discernée. L’accent
mis par la Cour sur la nature universelle du suffrage, et sur l’importance
du fait qu’aucun groupe de personnes ne devrait arbitrairement en
être écarté renforce ce point
.
La nécessité de recueillir le meilleur taux de participation aux
élections visant à soutenir la nature démocratique de la société
requiert par conséquent la responsabilité individuelle de participer
au processus démocratique.
5.2.12. Responsabilité de faire preuve de solidarité
- Toute
personne est tenue de faire preuve de solidarité à l’égard des autres
membres de la communauté.
58. Chaque individu a la responsabilité fondamentale
de faire preuve de solidarité à l’égard des autres membres de la
communauté. Cette responsabilité peut prendre différentes formes,
selon le système de solidarité spécifique mis en place dans la communauté
concernée. A titre d’exemple, la solidarité peut impliquer la responsabilité
de payer ses impôts et de cotiser à un système national de protection
sociale. La contribution au système de sécurité sociale va de pair
avec le droit à la sécurité sociale garanti par l’article 22 de
la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 9 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne
et la Convention no 102 de l’OIT. La Charte sociale européenne révisée
en particulier garantit le «droit à la sécurité sociale» (article
12) et le «droit au bénéfice des services sociaux» (article 14).
Il est clair que ces droits ne peuvent exister sans une responsabilité
corollaire pour les individus
. S’agissant de la responsabilité
de payer des impôts, l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention
européenne des droits de l’homme autorise explicitement les Etats
à prélever des impôts. D’une manière générale, la responsabilité
de solidarité peut également se fonder sur l’article 1 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme.
5.2.13. Responsabilité envers les enfants
- Toute
personne est tenue de prendre des mesures appropriées pour la protection,
le respect et la garantie des droits de l'enfant. Les parents portent
une responsabilité spéciale envers leurs enfants .
59. Les enfants sont l’avenir de notre planète. Ils sont
également, par essence, dans une situation de vulnérabilité et une
protection doit, de ce fait, leur être garantie. Tous les individus
sont tenus de promouvoir et de faire valoir les droits et le bien-être
des enfants. Cependant, les parents (ou les tuteurs légaux) peuvent être
considérés comme investis d’une responsabilité spéciale à l’égard
des enfants dont ils ont la charge. L’intérêt supérieur de l’enfant
doit toujours prévaloir
.
La Cour a par exemple accepté la possibilité d’ingérence dans les
droits des parents aux fins de protéger la santé et la morale des
enfants
, et, plus généralement,
leurs droits et libertés
. L’article 5 du Protocole no 7 à la Convention
européenne des droits de l’homme évoque l’égalité des droits et
des responsabilités entre les époux dans leurs relations avec les enfants,
mais il indique également que l’Etat peut intervenir lorsque l’intérêt
de l’enfant l’impose. L’article 18 du projet de déclaration universelle
des responsabilités de l’homme du Conseil InterAction fait référence
aux relations privilégiées entre les enfants et les parents. Plusieurs
instruments internationaux des droits de l’homme évoquent le devoir
des parents de veiller sur les enfants mineurs et de les éduquer.
Une référence quelque peu vague – au sens où elle ne mentionne que
«la famille» et non les individus – se trouve dans le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (article 24, paragraphe
1) et dans le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (article 10, paragraphe 1). L’article 7 de
la Charte sociale européenne révisée accorde aux droits des «enfants
et des adolescents» une «protection spéciale contre les dangers
physiques et moraux auxquels ils sont exposés», alors que l’article
17 de la Charte énonce que «les enfants et les adolescents ont droit
à une protection sociale, juridique et économique appropriée». Naturellement,
la Convention relative aux droits de l’enfant contient des dispositions
beaucoup plus détaillées concernant la responsabilité à l’égard
des enfants
. Dans
sa
Recommandation 1501
(2001) sur la responsabilité des parents et des enseignants
dans l’éducation des enfants, l’Assemblée a également souligné que
les parents sont les «premiers éducateurs» de l’enfant, et qu’en
tant que tels «ils ont le droit et le devoir de mettre en place
ses bases intellectuelles et émotionnelles, et de développer son
système de valeurs et d’attitudes» (paragraphe 3).
5.2.14. Responsabilité envers les personnes âgées et handicapées
- Toute
personne est tenue de prendre des mesures appropriées pour respecter
et garantir les droits et le bien-être des personnes âgées ou handicapées .
60. Dans notre monde moderne en constante évolution,
les personnes âgées et handicapées sont trop souvent délaissées
et oubliées. Les moyens de communication n’ont jamais été aussi
nombreux et pourtant, beaucoup de personnes âgées ou handicapées
se retrouvent dans une situation d’isolement. Qui plus est, en raison
de la diminution des capacités physiques liée à l’âge ou à la survenance
d’événements malheureux, tels que des accidents, les personnes âgées
ou handicapées peuvent devenir de plus en plus dépendantes des autres,
notamment (dans le cas des personnes âgées) des jeunes générations.
Si la responsabilité à l’égard des personnes âgées n’est généralement
pas explicitement reconnue, l’Assemblée a déjà dans le passé porté une
attention spécifique à la situation des personnes âgées en Europe
.
Il découle du fondement même des droits de l’homme, en l’occurrence
du principe de dignité humaine, qu’un soin particulier soit accordé
à ceux qui ne sont pas ou plus en mesure d’assurer par eux-mêmes
les conditions leur permettant de vivre dans la dignité. L’article
23 de la Charte sociale européenne révisée déclare explicitement
que «toute personne âgée a droit à une protection sociale». Il semble
que les enfants devenus adultes portent une responsabilité spéciale vis-à-vis
de leurs parents. S’agissant des personnes atteintes de handicap,
le fondement d’une responsabilité individuelle est à chercher dans
l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée, qui énonce
que «les personnes handicapées ont droit à l'autonomie, à l'intégration
sociale et à la participation à la vie de la communauté». La Convention
des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées
(2006), qui appelle les Etats à garantir la pleine et égale jouissance
de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales
par les personnes handicapées, est également une source d’inspiration.
A titre d’exemple, les Etats sont invités à prendre toutes les mesures
appropriées pour faire en sorte que des «aménagements raisonnables»
soient apportés afin de garantir l’égalité des personnes handicapées.
Il est également logique que des individus, dans l’exercice de leurs
droits individuels envers les personnes handicapées, soient tenus de
faire des efforts raisonnables pour répondre aux besoins des personnes
handicapées. Une responsabilité individuelle envers les personnes
âgées et handicapées est également un élément décisif dans la réalisation des
objectifs du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion
des droits et de la pleine participation des personnes handicapées
à la société 2006-2015
.
5.2.15. Responsabilité à l’égard de l’environnement
- Toute
personne est tenue de respecter et de préserver l’air, l’eau et
le sol au nom des habitants actuels et des générations à venir .
61. Durant les dernières décennies, il est devenu de
plus en plus évident que l’équilibre environnemental est une tâche
hautement délicate et que l’impact de l’activité humaine sur l’environnement
peut avoir des conséquences destructrices à long terme. Il est par
conséquent de la plus haute importance, pour les générations actuelles
et futures, que chaque personne assume la responsabilité de protéger
et préserver les richesses de l’environnement. Si cette responsabilité
est souvent formulée à titre collectif, il semblerait illogique de
ne pas la conférer à chaque personne à titre individuel. De nombreux
exemples cités dans la jurisprudence des droits de l’homme, y compris
dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme
,
ont déjà démontré l’impact destructeur que les problèmes environnementaux
générés par l’homme peut avoir pour la protection des droits de
l’homme. Le Conseil de l’Europe a également manifesté un intérêt
actif pour cette question: en novembre 1998, la Convention sur la
protection de l'environnement par le droit pénal (STE no 172) a
été ouverte à la signature. Aux termes de la Convention, les Etats
sont tenus d’adopter des mesures pour traiter un large éventail
d’infractions portant atteinte à l’environnement. A ce jour, la
Convention n’est toujours pas entrée en vigueur. Toutefois, les
travaux du Conseil de l’Europe témoignent du large consensus sur l’existence
d’une responsabilité individuelle à l’égard de l’environnement.
5.2.16. Responsabilité de respecter la propriété de la
communauté et la propriété privée
- Toute
personne est tenue de respecter la propriété appartenant à autrui
ou à la communauté.
62. Cette responsabilité est en partie une contrepartie
logique du droit à la protection de la propriété individuelle qui
est énoncé à l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cependant,
il est clair qu’elle devrait aller au-delà du simple respect de
la propriété d’autrui. Tout dommage causé à la propriété de la communauté ou
à une infrastructure a un impact direct sur les intérêts légitimes
de la société. La responsabilité individuelle de respecter la propriété
doit donc aussi inclure une responsabilité de respecter la «propriété
de la société», au sens le plus large.
5.3. Clause finale
- Les
responsabilités énoncées précédemment ne peuvent jamais être interprétées
comme portant atteinte, restreignant ou dérogeant aux droits et
libertés énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme
et ses protocoles, la Charte sociale européenne révisée et d’autres
instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme.
63. Les responsabilités doivent toujours être raisonnables,
et ne peuvent en aucun cas mettre en péril les droits fondamentaux
de la personne. Elles doivent, avant tout, guider les individus
dans l’exercice de leurs droits fondamentaux. Lorsque les responsabilités
sont transposées en devoirs juridiquement applicables, la charge
qu’a à subir une personne doit préserver un juste équilibre entre
les divers intérêts en cause. Une charge démesurée est toujours
inadmissible. Il appartient aux Etats membres de déterminer la portée
exacte de ces devoirs, à condition qu’ils respectent les contraintes
imposées par la Convention européenne des droits de l’homme, la
Charte sociale européenne révisée et d’autres instruments internationaux
et nationaux pertinents des droits de l’homme
.
6. Conclusions
64. Aucune société démocratique ne peut survivre, et
a fortiori prospérer, sans reconnaître l’existence de responsabilités
individuelles. Cependant, la protection et la promotion des droits
de l’homme doivent être au cœur de toute approche relative aux responsabilités
fondamentales. C’est une telle approche basée sur les droits de
l’homme qui peut pleinement contribuer à une description plus précise
du statut de l’individu au sein de la société, et renforcer véritablement
le cadre démocratique dans lequel ces droits fondamentaux sont invoqués.
Une approche des responsabilités fondamentales fondée sur les droits
de l’homme est de ce fait indispensable pour une protection et une
promotion effectives des droits de l’homme et de la démocratie dans les
Etats membres.
65. Le projet de résolution proposée, qui identifie un certain
nombre de responsabilités fondamentales faisant déjà l’objet d’un
large consensus, marque ainsi une contribution importante sur la
voie d’une meilleure protection et promotion des valeurs démocratiques
et des droits fondamentaux au sein des Etats membres du Conseil
de l’Europe.