1. Introduction
1. Le terrorisme, quelle qu’en soit la définition, a
un effet direct sur les droits de l’homme, avec des conséquences
sur la réalisation du droit à la vie, à la liberté et à l’intégrité
physique des victimes. En plus de ces coûts individuels, le terrorisme
peut déstabiliser et affaiblir des sociétés entières, compromettre
la paix et la sécurité, et menacer le développement social et économique,
toutes choses qui ont aussi un réel impact sur l’exercice des droits
de l’homme.
2. Le terrorisme cherche à imposer à la majorité les vues d'une
minorité et ne recule devant rien dans la poursuite de ses objectifs
. Il
sape les piliers de la démocratie et de l’Etat de droit, sur lesquels
reposent les droits de l’homme.
3. L’Etat doit être en position de lutter contre le terrorisme
en prenant des mesures appropriées. La législation des droits de
l’homme, tout en obligeant les Etats à ne pas dépasser certaines
limites, peut s’adapter à ce besoin.
4. Le lien entre droits de l’homme et terrorisme est inhérent
au thème de terrorisme et n’est certes pas nouveau. Plusieurs organisations
et organes internationaux suivent étroitement cette question. Deux
études récentes me semblent d’une pertinence toute particulière.
5. Citons d’abord le rapport intitulé «Evaluer les dommages,
appeler à l’action»
(Assessing Damage, Urging
Action), élaboré par le panel d'éminents juristes sur
le terrorisme, la lutte contre le terrorisme et les droits de l'homme
à
l’initiative de la Commission internationale de juristes. Cet organe
indépendant a publié son rapport en 2009, après une enquête mondiale
de trois ans sur l’impact des législations et pratiques de lutte contre
le terrorisme sur les droits de l’homme, au cours de laquelle 16
auditions ont été tenues, couvrant 40 pays de toutes les régions
du monde. Il en a été conclu que dans la formulation et la mise
en œuvre des politiques de lutte contre le terrorisme, les principes
établis du droit international des droits de l’homme et du droit
humanitaire étaient remis en cause et parfois ignorés
.
6. Deuxièmement, un rapport sur les mesures de lutte contre le
terrorisme et les droits de l’homme a été préparé à la demande de
l’Assemblée parlementaire et a été adopté par la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) le 4 juin
2010
.
Ce rapport traite d’une manière plus générale des questions les
plus récurrentes soulevées au plan national et ne contient pas d’analyse
des législations individuelles au niveau des Etats membres.
7. Il convient de mentionner également un document d’information,
publié en 2010, du service politique de la Direction générale des
politiques extérieures du Parlement européen intitulé «Current challenges
regarding respect of human rights in the fight against terrorism»
.
8. Le présent rapport n’a pas pour objet de reprendre ou de résumer
des études récemment menées sur ce thème. Il part du principe que
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») permet
la restriction voire la suspension temporaire et proportionnée de
certains droits spécifiques, et qu’elle est de ce fait suffisamment
souple pour permettre de lutter contre toute menace actuelle ou
future.
9. Je commencerai par une vue d’ensemble des normes du Conseil
de l’Europe applicables aux droits de l’homme dans le contexte de
la lutte contre le terrorisme, puis je poursuivrai par un bref descriptif
de l’action de l’Union européenne et des Nations Unies dans ce domaine.
Enfin, j’en viendrai à un certain nombre de préoccupations choisies
ayant trait aux droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre
le terrorisme.
10. L’objectif du présent rapport est d’apporter une contribution
supplémentaire à la quête incessante de protection des droits de
l’homme dès lors qu’il s’agit de combattre le terrorisme. Sachant
qu’il est impossible de dresser un panorama complet de la situation
des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
en Europe, je prendrai des exemples choisis de préoccupations liées
aux droits de l’homme, sur la base des articles les plus pertinents
de la Convention.
2. Procédure
suivie
11. Le 6 octobre 2009, l’Assemblée parlementaire a décidé
de renvoyer à la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme, en vue de l’établissement d’un rapport, la proposition
de résolution sur «Droits de l’homme et lutte contre le terrorisme»
.
Lors de sa réunion du 16 novembre 2009, la commission m’a nommé
rapporteur.
12. Le 17 novembre 2010, aux fins de disposer d’une vue d’ensemble
sur la situation législative et administrative dans plusieurs Etats
membres où les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme
occupent une place importante à l’ordre du jour juridique et politique,
la commission a tenu un échange de vues
avec les
experts suivants:
- M. Alvaro
Gil-Robles, ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, ancien défenseur du peuple, Espagne;
- Mme Julia Hall, Amnesty International, spécialiste de
la lutte contre le terrorisme et des droits de l’homme, Londres;
- M. Vladimir Lukin, ombudsman de la Fédération de Russie,
Moscou;
- Mme Ekaterina Sokirianskaya, Hot Spots Programme, Memorial
Human Rights Centre, Saint-Pétersbourg;
- M. Timothy Otty QC, avocat, Londres.
13. Le 25 mars 2011, j’ai rencontré à Bruxelles M. Gilles de Kerchove,
coordinateur de la lutte contre le terrorisme de l'Union européenne,
afin de disposer d’un tableau plus complet de la politique de l’Union européenne
dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et de discuter
d’un certain nombre de questions liées au présent rapport.
3. Textes de référence
du Conseil de l’Europe
3.1. Conventions
14. Le Conseil de l’Europe a établi un certain nombre
de normes s’agissant des relations entre les droits de l’homme et
le terrorisme
.
Ces normes ont ensuite été appliquées et interprétées par les divers
organes de notre Organisation.
15. La Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles,
tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour»), sont la norme de référence principale, y compris pour
le présent rapport. Au cours des cinquante dernières années, la
Cour a été à diverses reprises amenée à statuer sur des affaires
de terrorisme. La jurisprudence de la Cour remonte à une époque
où le terrorisme n’était pas encore un phénomène global et n’avait
pas encore pris une dimension mondiale, dans la mesure où il était
plus ou moins cantonné à certains Etats ou certaines régions
.
Au début, la jurisprudence de la Cour a traité pour l’essentiel
de phénomènes intervenus en Allemagne, en Irlande, en Espagne, en
Turquie et au Royaume-Uni.
16. Plus récemment, le Conseil de l’Europe a adopté un certain
nombre de conventions traitant spécifiquement du problème du terrorisme.
Ces nouveaux textes complètent les textes plus anciens tels que la
Convention européenne d’extradition de 1957 (STE no 24) et la Convention
européenne relative au dédommagement des victimes d'infractions
violentes de 1983 (STE no 116).
17. La Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du
terrorisme (STCE no 196), entrée en vigueur le 1er juin 2007, vise
à prévenir le terrorisme en prenant les mesures adéquates au niveau
national et par le biais de la coopération internationale. Elle
criminalise certains actes, tels que la provocation publique, le recrutement
et l'entraînement pour le terrorisme, qui peuvent conduire à la
commission d’infractions terroristes. Elle renforce la coopération
en matière de prévention tant au niveau national, dans le cadre
des politiques nationales de prévention, qu'au niveau international,
par un certain nombre de mesures, complétant et, le cas échéant,
modifiant les accords d'extradition et d'entraide judiciaire en
vigueur. La convention veille à la protection et l’indemnisation
des victimes du terrorisme. Par ailleurs, elle comprend plusieurs
dispositions relatives à la protection des droits de l’homme et
des libertés fondamentales tant dans le cadre du renforcement de
la coopération aux niveaux national et international (y compris
les motifs de refus d’extradition et d’entraide judiciaire) que
dans la mise en œuvre des nouvelles infractions sous la forme de
conditions et de garanties.
18. L’article 12, paragraphe 2, de la convention impose à chaque
partie d’appliquer le principe de proportionnalité conformément
aux principes pertinents de sa législation nationale. Pour les Etats
membres du Conseil de l’Europe, il s’agit des principes de la Convention
européenne des droits de l'homme, tels qu’interprétés par la Cour
européenne des droits de l'homme.
19. La Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (STCE no 198) est le premier traité international
à couvrir à la fois les mesures de prévention et la lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cette
convention, entrée en vigueur au 1er mai 2008, met à jour et élargit
la Convention de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la
saisie et à la confiscation des produits du crime (STE no 141) afin
de tenir compte du fait que priver les terroristes et les autres
groupes criminels de leurs ressources et de leurs fonds est essentiel
au succès des mesures préventives et répressives et, en dernier ressort,
pour désorganiser leurs activités. Afin de prévenir et de combattre
le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme de manière
plus efficace, la convention permet, notamment, d’identifier rapidement des
biens ou des comptes bancaires et de geler sans tarder les fonds,
d’accéder rapidement aux renseignements financiers ou aux renseignements
relatifs aux avoirs détenus par des organisations criminelles, de
mettre en place des cellules de renseignements financiers dans chaque
Etat partie à la convention afin d’échanger des informations sur
les opérations suspectes de blanchiment d’argent et de financement
du terrorisme dans le but ultime de confisquer les avoirs.
20. La Convention européenne pour la répression du terrorisme
de 1977 (STE no 90) est destinée à faciliter l’extradition des terroristes
en dressant une liste des infractions (à savoir les actes particulièrement
graves, le détournement d’avions et la prise d’otages, etc.) ne
devant pas être considérées comme des infractions politiques. Elle
prévoit expressément que rien dans la convention ne doit être interprété
comme impliquant une obligation pour un Etat partie d’extrader une
personne qui pourrait être poursuivie ou punie uniquement pour des
considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions
politiques. Le Protocole de 2003 portant amendement à la Convention
(STE no 190) introduit plusieurs modifications importantes: une
extension importante de la liste des infractions qui ne devraient
jamais être considérées comme politiques ou se fondant sur des motifs
politiques, afin d’inclure toutes les infractions couvertes par
l’ensemble des conventions antiterroristes des Nations Unies; l’introduction
d’une procédure d’amendement simplifiée permettant d’ajouter de
nouvelles infractions à la liste; l’ouverture de la convention aux
Etats observateurs et, sous réserve de la décision du Comité des
Ministres, à d’autres Etats non membres; la possibilité de refuser
l’extradition vers des pays où les personnes risquent la peine de
mort, la torture ou un emprisonnement à vie sans libération conditionnelle;
une importante réduction des possibilités de refuser l’extradition
en invoquant des réserves à la convention grâce à la mise en œuvre
d’une procédure de suivi spécifique de ces refus et de toutes les obligations
prévues par la convention amendée.
21. La Convention européenne pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants de 1987 (STE
no 126) est également à mentionner dans ce contexte. Telle qu’interprétée
par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), elle a contribué à
l’établissement du cadre juridique de la lutte contre le terrorisme.
3.2. Rapports de l’Assemblée
22. Le lien entre droits de l’homme et terrorisme a été
souligné et discuté à de multiples occasions au sein de l’Assemblée,
pour l’essentiel sur la base de rapports de la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme
.
Au cours des dernières années, l’Assemblée a pris position sur la
question, réaffirmant que le terrorisme peut et doit être combattu
efficacement par des moyens respectant pleinement les droits de l’homme
et la primauté du droit. L’Assemblée a ainsi dévoilé et dénoncé
l’existence de détentions secrètes et de transferts illégaux («restitutions»)
impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe, mis en doute l’équité
des listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de
l’Union européenne, souligné la nécessité d’éradiquer l’impunité,
y compris dans la région du Caucase du Nord, critiqué certains aspects
de la «guerre contre la terreur» menée par les Etats-Unis et examiné
la protection des droits de l’homme dans des situations d’urgence.
23. Par ailleurs, la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme a préparé un rapport sur «Les recours abusifs
au secret d’Etat et à la sécurité nationale: obstacles au contrôle
parlementaire et judiciaire des violations des droits de l’homme»
.
Ce document, qui traite de certains problèmes juridiques et politiques auxquels
le rapporteur, M. Dick Marty, a été confronté au cours de la préparation
de ses rapports sur les restitutions et les détentions secrètes
,
est principalement axé sur la question de la responsabilité dans
les violations des droits de l’homme commises par les membres des
services spéciaux.
24. Dès 2006, notre ancien collègue, M. Valery Grebennikov (Fédération
de Russie, GDE), avait présenté à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme une note introductive sur le thème du présent
rapport
.
L’Assemblée n’a cependant adopté ni résolution, ni recommandation,
le mandat de M. Grebennikov ayant échu avant qu’un projet de rapport
ait pu être soumis à la commission.
25. Les travaux de l’Assemblée sur ce sujet remontent cependant
plus loin dans le temps. Bien avant le 11 septembre 2001, l’Assemblée
avait exprimé ses préoccupations devant la menace posée par le terrorisme international
et au lendemain de l’attaque de New York, le 26 septembre 2001,
elle a souligné «qu’il serait totalement inapproprié de réagir au
développement du terrorisme en apportant des restrictions supplémentaires
à la liberté de circulation, notamment en entravant davantage les
migrations et l’accès à l’asile». L’Assemblée appelait les Etats
membres «à s’abstenir de prendre de telles mesures restrictives»
.
3.3. Autres règles de
droit non contraignantes du Conseil de l’Europe
26. En plus de ces conventions, d’autres initiatives
importantes, telles que les Lignes directrices sur les droits de
l’homme et la lutte contre le terrorisme adoptées par le Comité
des Ministres (2002)
et
les Lignes directrices sur la protection des victimes d'actes terroristes
(2005)
,
confirment la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits
de l'homme et définissent les normes clés des politiques antiterroristes
en Europe.
27. Pour sa part, la Commission contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) a adopté ses Recommandations de politique générale no 8,
Lutter contre le racisme tout en combattant le terrorisme (2004)
,
et no 11: La lutte contre le racisme et la discrimination raciale
dans les activités de la police
.
28. Enfin, le Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) a
élaboré et actualise régulièrement des profils nationaux relatifs
à la capacité de lutte contre le terrorisme
.
29. La législation décrite montre que le Conseil de l’Europe est
en première ligne de la définition de normes dans le domaine des
droits de l’homme et du terrorisme, tant pour les mesures contraignantes
que pour les règles de droit non contraignantes. Il est révélateur
à cet égard que Tom Bingham, dans son ouvrage précurseur
The Rule of Law, conclut le chapitre
«Terrorism and the rule of law» par une référence aux Lignes directrices
sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme adoptées
par le Comité des Ministres
.
4. Développement dans
d’autres forums internationaux
4.1. Union européenne
30. Du fait de l’élargissement graduel de ses compétences,
l’Union européenne a également déployé des activités en matière
de lutte contre le terrorisme.
31. Sur le plan politique, une stratégie de lutte contre le terrorisme
a
été adoptée en 2005, visant quatre objectifs principaux de prévention,
de protection, de poursuite et de réaction. A cet effet, un coordinateur
de la lutte contre le terrorisme a été nommé au sein du Conseil
de l’Union européenne, avec pour mission de coordonner les travaux
du Conseil de l’Union européenne dans le domaine de la lutte contre
le terrorisme, de fournir une vue d’ensemble de tous les instruments
à la disposition de l’Union européenne, de suivre la mise en œuvre
de la Stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre le
terrorisme, de favoriser une meilleure communication entre l’Union
européenne et les pays tiers et de veiller à ce que l’Union joue
un rôle actif dans la lutte contre le terrorisme.
32. Sur le plan législatif, l’Union européenne a adopté un vaste
éventail de mesures spécifiquement axées sur la lutte contre le
terrorisme
ou
touchant à la politique antiterroriste
.
Le format du présent rapport ne permet pas une évaluation complète
de ces mesures. Dans le contexte de ce rapport, le dispositif de
l’Union européenne en matière de protection et de non-divulgation
de données est d’un intérêt tout particulier.
33. Le dernier instrument proposé par la Commission européenne
est un système européen de surveillance du financement du terrorisme
,
permettant à l’Union européenne de mettre un terme à la communication d'importants
volumes de données à caractère personnel («transfert de données
en masse») aux autorités américaines en établissant un cadre juridique
et technique en vue de l’extraction de données sur le territoire de
l’Union européenne. Bien que cette proposition n’en soit encore
qu’à ses débuts et qu’elle n'esquisse que les différentes options
possibles, elle a fait l’objet de vives controverses de la part
de parlementaires en raison de son coût excessif
.
La Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires
intérieures du Parlement européen a adopté le 15 juin 2011 un rapport
appelant à un examen des mesures de lutte contre le terrorisme et
de leur efficacité s’agissant du renforcement de la sécurité.
4.2. Nations Unies
34. Beaucoup d’organes des Nations Unies se sont penchés
sur le lien entre droits de l’homme et terrorisme
.
Une évaluation exhaustive dépasserait le cadre du présent rapport,
aussi me contenterai-je de noter la création du Comité contre le
terrorisme (CCT), le 28 septembre 2001, par la
Résolution 1373 (2001). Formé de
15 membres du Conseil de sécurité, il a pour mission de mettre en
œuvre cette résolution, c’est-à-dire de suivre les progrès enregistrés
par les pays dans la lutte contre le terrorisme et de les aider
à remplir leurs obligations. La
Résolution 1373 (2001) n’a fait
que mentionner en passant les droits de l’homme et ce n’est qu’en
2005 que le Conseil de sécurité, dans sa
Résolution 1624 (2005), a explicitement
inclus les droits de l’homme dans le mandat confié au CCT pour mettre
en œuvre la résolution.
35. En mars 2005, le poste de rapporteur spécial sur la promotion
et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales
dans la lutte antiterroriste a été créé. Ce rapporteur a pour mission
d’aider les Etats dans ce domaine et de formuler des recommandations
concrètes à leur attention. Au cours des dernières années, le rapporteur
a rédigé six rapports. Entre autres, il a remis en cause la légalité
de l’action du CPT au titre du chapitre VII de la Charte des Nations
Unies, estimant que la mise en œuvre de la
Résolution 1373 (2001) dépasse les
pouvoirs conférés au Conseil de sécurité par ce chapitre et qu’elle
continue de présenter des risques pour la protection d’un certain
nombre de normes internationales en matière de droits de l’homme
.
5. Sélection de préoccupations
liées aux droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme
36. J’ai décidé d'opérer un choix dans les articles de
la Convention et les exemples, et n’ai pas tenté de traiter de l’ensemble
des droits inscrits dans la Convention et ses protocoles
.
5.1. Droits non dérogeables
inscrits dans la Convention européenne des droits de l'homme
37. Les droits non dérogeables sont ceux qu’un Etat doit
garantir, sans exception, en tous temps, y compris en temps de guerre
et autre situation d'urgence menaçant la vie de la nation. L’article
15 de la Convention est clair à cet égard. Les droits non dérogeables
sont inscrits à l’article 2 (droit à la vie), l'article 3 (interdiction
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants),
l’article 4, paragraphe 1 (interdiction de l’esclavage), et l’article
7 (pas de peine sans loi). Le Protocole no 13 (abolition de la peine
de mort) ne souffre aucune restriction non plus.
5.1.1. Article 7 et définition
du terrorisme sous l’angle des droits de l’homme
38. Il n’existe aucune définition complète, concise et
universellement acceptée du terrorisme
. Il existe en revanche un large accord sur
ce qui constitue le terrorisme. Aux fins du présent rapport et pour
faciliter les références, je rejoindrai le rapporteur spécial des
Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme
et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, M. Martin
Scheinin, et me fonderai sur la
Résolution 1566 (2004) du Conseil
de sécurité des Nations Unies, qui parle «d’actes criminels, notamment ceux
dirigés contre des civils, commis dans l’intention de causer la
mort ou des blessures graves, ou la prise d’otages, dans le but
de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes
ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre
un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un
acte ou à s’abstenir de le faire».
39. Si la communauté internationale est préoccupée par le terrorisme
international, les Etats individuels victimes de formes purement
nationales de terrorisme peuvent légitimement inclure dans leur
définition du terrorisme les conduites correspondant à des éléments
d’infractions graves définis dans leur législation nationale, lorsqu’ils
sont combinés à d’autres caractéristiques de la
Résolution 1566 (2004) .
Cependant, les règles générales régissant la définition juridique
d’un acte criminel doivent s’appliquer. Les lois pénalisant les actes
de terrorisme doivent être formulées avec précision afin de respecter
le principe de
nulla poena sine lege, inscrit
à l’article 7 de la Convention.
40. Des doutes à cet égard ont été formulés, s’agissant notamment
de la loi sur la lutte contre le terrorisme de la Fédération de
Russie de 2006, qui inclut dans sa définition des activités terroristes
punissables, entre autres la propagation d'idées terroristes, l’appel
à commettre une action terroriste ou la justification et la défense
de ces actions, ainsi que la complicité par communication d'informations
ou autres moyens en vue de préparer ou de commettre un acte criminel.
5.1.2. Article 2 – Droit
à la vie
41. L’article 2 de la Convention, selon lequel le droit
de toute personne à la vie est protégé par la loi, consacre l’une
des valeurs les plus fondamentales de nos sociétés démocratiques.
Cet article ne souffre aucune dérogation, même en cas de danger
public menaçant la vie de la nation au sens de l’article 15 de la Convention,
y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou le crime
organisé
.
Selon la jurisprudence de la Cour, l’Etat a le devoir de minimiser
les risques pour la vie dans toutes les activités antiterroristes
qu’il mène
.
Dans ce contexte, les enquêtes sur les homicides doivent être immédiates, effectives
et indépendantes, et mener à l’identification et la condamnation
des auteurs
.
42. Ces principes, aussi évidents qu’ils paraissent, doivent être
strictement observés lorsqu’il s’agit de l’application des lois
antiterroristes. En particulier, les forces de sécurité et le personnel
militaire, qui sont en première ligne des opérations antiterroristes,
doivent être formés de manière adéquate afin d’éviter tout usage excessif
de la force.
43. A cet égard, la loi sur la lutte contre le terrorisme de 2006
de la Fédération de Russie, qui autorise le recours à la défense
anti-aérienne pour abattre un avion après confirmation qu’il a bien
été détourné et qu’il représente une menace pour des villes, doit
être appliquée avec la plus grande vigilance
.
5.1.3. Article 3 – Interdiction
de la torture
44. Par ailleurs, l’interdiction de la torture et des
peines et traitements inhumains ou dégradants est absolue. L’article
3 ne prévoit aucune exception et aucune dérogation au titre de l’article
15, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation. Comme
l’a jugé la Cour, l’article 3 consacre une des valeurs les plus fondamentales
des sociétés démocratiques. La Cour a indiqué être parfaitement
consciente des énormes difficultés que rencontrent à notre époque
les Etats pour protéger leur population de la violence terroriste. Cependant,
même en tenant compte de ces facteurs, la Convention prohibe en
termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains
ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime
.
45. Cette interdiction est tout aussi absolue s’agissant des affaires
d’extradition ou d’expulsion, ce qui confère à l’article 3 un certain
effet extraterritorial. Selon la jurisprudence constante de la Cour,
l’extradition ou l’expulsion d’une personne par un Etat membre peut
être problématique aux termes de l’article 3, lorsqu’existent des
motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra
un risque réel d'être soumise à des traitements contraires à l'article
3 si elle est expulsée vers un autre Etat (principe de non-refoulement
)
. Le caractère absolu de l’obligation
de non-refoulement a été contesté devant la Cour dans l’affaire
Saadi c.
Italie , où il a été avancé que le risque pour
des personnes soupçonnées de terrorisme d’être soumis à des traitements
contraires à l’article 3 par un pays tiers doit être mis en balance
avec la menace que ces personnes font peser sur la communauté. La
Cour a estimé «qu’il n’est pas possible de mettre en balance le
risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’expulsion
afin de déterminer si la responsabilité d’un Etat est engagée sur
le terrain de l’article 3, ces mauvais traitements fussent-ils le
fait d’un Etat tiers»
et que la protection de la sécurité
nationale ne justifie pas un risque plus élevé de torture ou de
traitements inhumains ou dégradants
.
46. Cette approche ne peut qu’être saluée. La volonté de mettre
en balance le droit d’un individu risquant la torture en cas de
renvoi avec les besoins supposés de la société dans son ensemble
s’appuie sur une base erronée. Si, du point de vue des droits dérogeables,
un équilibre entre intérêts de la majorité et intérêts de la minorité
doit être recherché régulièrement, il ne s’agit pas d’une considération
pertinente en cas de risque de torture. La torture est interdite
de manière absolue. Le statut spécial de l’interdiction de la torture
dans la Convention serait ignoré si les gouvernements pouvaient
invoquer le besoin de mettre en balance le risque de torture et
les considérations de politique publique. Le franchissement de cette
frontière ouvre trop souvent la voie au retour vers le Moyen Age
et la barbarie, comme le faisait si justement observer John Hedigan,
ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme
.
47. Dans certains cas, les Etats extradent ou expulsent des personnes
soupçonnées de terrorisme en dépit des indications de la Cour au
titre de l'article 39 du Règlement de la Cour (mesures provisoires)
de son règlement imposant de s’abstenir de le faire jusqu’à nouvel
ordre. A titre d’exemple, dans Ben Khemaisc.Italie, le
requérant, condamné par contumace en Tunisie à dix ans d’emprisonnement
pour son appartenance à une organisation terroriste, a été expulsé
en Tunisie en raison de son rôle dans les activités d’extrémistes islamistes,
malgré le fait que la Cour ait demandé à titre de mesure provisoire
en vertu de l'article 39 de son Règlement qu'ils soient maintenus
en détention par les autorités italiennes.
48. Cette pratique est très regrettable et, en effet, illégale.
49. Compte tenu de l’interdiction absolue énoncée à l’article
3, la pratique des Etats membres d’expulser des personnes vers des
pays où la torture et les mauvais traitements sont pratiques courantes,
sur la base de ce que l’on appelle des «assurances diplomatiques»
accordées par les Etats de destination, soulève des préoccupations
particulières
.
Un argument est à avancer dès le départ contre les assurances diplomatiques: la
perception de la nécessité de telles assurances est en elle-même
une reconnaissance du fait que la torture et autres mauvais traitements
existent dans l’Etat de destination. Par ailleurs, les assurances
diplomatiques ont fait l’objet de vives critiques en raison de leur
inapplicabilité et de l’absence de tout recours en cas de violation
. La Commission de Venise
,
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
et le
rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture
comptent
parmi les principaux détracteurs de ces assurances diplomatiques.
50. La jurisprudence de la Cour a été pour sa part moins tranchée.
Tout en considérant dans des affaires individuelles que les assurances
diplomatiques contre la torture n’offraient pas des garanties suffisamment fiables
contre le risque de mauvais traitements pour satisfaire à l’obligation
de non-refoulement
, elle ne les a pas exclues totalement.
51. J’estime que les assurances diplomatiques posent un gros problème.
La responsabilité de l’interdiction absolue de la torture est effectivement
déléguée au pays de destination. Cette situation nuit à la nature internationale
du devoir de prévention et d’interdiction de la torture
. Si elles
sont appliquées, ces assurances doivent faire l’objet d’un suivi
extrêmement précis et une attention toute particulière doit être
portée aux pays dans lesquels l’usage répandu et systématique de
la torture et des mauvais traitements est de notoriété publique.
5.2. Droits dérogeables
au titre de la Convention européenne des droits de l'homme
5.2.1. Article 5 – Droit
à la liberté et à la sûreté
52. L’article 5 de la Convention, qui énonce le droit
à la liberté et à la sûreté des personnes sur un plan général, contient
un certain nombre de dispositions concernant la régularité de la
détention
, d’être informé des
raisons de l’arrestation
, d’être traduit
devant un juge
, le droit
à une procédure d’
habeas corpus et à une procédure contradictoire
.
Sous réserve des dispositions dérogatoires de l’article 15, les
exceptions stipulées à l’article 5, paragraphe 1, sont exhaustives
et doivent être interprétées de manière stricte. Cet article permet
une certaine marge de manœuvre s’agissant des limitations afin de
pouvoir répondre à des préoccupations particulières liées à la nature
même du terrorisme, en particulier les questions de détention. A cet
égard, la Cour a estimé que les autorités nationales en charge des
enquêtes ne peuvent arrêter des suspects aux fins d’interrogatoire
sans un contrôle effectif par les tribunaux nationaux ou un organe
de contrôle de la Convention
.
En particulier, l’article 5, paragraphe 3, de la Convention précise
que toute personne arrêtée doit être aussitôt traduite devant une
autorité judiciaire compétente. Bien que la Cour n’ait pas spécifié de
délai exact pour ce faire, sa jurisprudence fournit quelques orientations.
Dans l’affaire
Brogan et autres c.
Royaume-Uni , la Cour a estimé
que les périodes de détention allant de quatre jours et six heures
à six jours et seize heures avant présentation à l’autorité judiciaire
compétente violaient l'article 5, paragraphe 3. Bien que la Cour
ait reconnu que l’arrestation et la détention des requérants étaient
indubitablement inspirées par le but légitime de protéger la communauté
dans son ensemble contre les actes terroristes, cela ne suffisait
pas pour assurer le respect des exigences spécifiques de l’article
5, paragraphe 3. Selon la Cour, «on élargirait de manière inacceptable
le sens manifeste d’"aussitôt" si l’on attachait aux caractéristiques
de la cause un poids assez grand pour justifier une si longue détention
sans comparution devant un juge ou un "autre magistrat". On mutilerait
de la sorte, au détriment de l’individu, une garantie de procédure
offerte par l’article 5, paragraphe 3, et l’on aboutirait à des
conséquences contraires à la substance même du droit protégé par
lui».
53. A cet égard, une question particulièrement sensible est la
détention préventive (administrative), c’est-à-dire l’emprisonnement
de quelqu’un sans que cette personne fasse l’objet d’une accusation
ou ait pu bénéficier d’un procès. Une tendance a vu le jour au sein
de certains Etats membres, visant à établir, en parallèle des sanctions
pénales, des réponses juridiques préventives ou administratives
au terrorisme, sur la base d’informations fournies par les services
secrets et dont les personnes concernées ne pouvaient que difficilement
avoir connaissance et encore moins contester
. De telles mesures
peuvent prendre la forme d’une détention préventive, d’ordonnances
de contrôle ou encore d’arrêtés d'expulsion motivés par la «sécurité nationale».
Ces mesures ne doivent pas être considérées comme des alternatives
plus commodes aux poursuites judiciaires. Elles peuvent avoir un
impact plus fort sur la vie des individus que les sanctions pénales.
54. L’Assemblée a déjà abordé la question de la durée de ces détentions
administratives
.
55. J’aimerais illustrer les défis généraux auxquels sont confrontées
les autorités nationales s’agissant de la détention administrative
par un exemple concernant le Royaume-Uni, qui montre bien les défis
posés aux Etats membres lorsqu’ils s’efforcent de respecter le cadre
international des droits de l’homme.
56. Au Royaume-Uni, les ordonnances de contrôle, une forme d’assignation
à domicile, ont été rendues possible par la loi de 2005 sur la prévention
du terrorisme
.
Elles ont été introduites par le gouvernement aux fins de respecter
les articles 3 et 5 de la Convention. Le problème à régler au départ
était le suivant: comment traiter les ressortissants étrangers qui
n’ont pas le droit de vivre au Royaume-Uni, qui sont suspectés d’implication
dans des activités terroristes, mais qui ne peuvent être expulsés
vers leur pays d’origine en raison du principe de non-refoulement
évoqué précédemment
.
Pour régler de telles situations, le Gouvernement britannique, en
vertu de l’article 15, a décidé de déroger à l’article 5, afin de
permettre la détention des ressortissants étrangers suspectés d’implication
dans le terrorisme, même s’ils ne peuvent être expulsés. La Chambre
des Lords, saisie du problème, a statué dans l’affaire «Belmarsh
» qu’un tel régime, permettant au ministre
de l'Intérieur de placer en détention un terroriste international
présumé aux fins de son expulsion, était incompatible avec le droit
à la liberté consacré par la Convention.
57. Les ordonnances de contrôle ont été introduites en tant que
mesures moins restrictives. Cette intention législative est à prendre
en compte lors de l’évaluation du système des ordonnances de contrôle.
58. Deux conditions doivent être satisfaites pour qu’une ordonnance
de contrôle puisse être prise. D’après la section 2 de la loi sur
la prévention du terrorisme, le ministre britannique de l’Intérieur
doit avoir des motifs raisonnables de suspecter que la personne
concernée est ou a été impliquée dans des activités liées au terrorisme
et démontrer qu’il est nécessaire, pour des raisons liées à la protection
des membres de la population contre le risque d’actes terroristes,
de rendre une ordonnance de contrôle imposant des obligations à
cette personne. Le ministre britannique de l’Intérieur peut ainsi
restreindre la liberté de l’individu afin de protéger la population
contre le risque de terrorisme.
59. Dans ce contexte interviennent des «avocats spéciaux». Nommés
par le gouvernement et disposant d’une habilitation de sécurité,
ces avocats représentent les intérêts des personnes soupçonnées
de terrorisme lors d’auditions secrètes. Ils sont habilités à prendre
connaissance de documents secrets ou «fermés» des services secrets,
mais ne peuvent s’entretenir avec les suspects ou leurs défenseurs
après avoir pris connaissance de ces informations.
60. Il semble que le Royaume-Uni soit le seul pays à employer
ce système, dont l’application pratique est susceptible d’amélioration.
Comme l’a démontré l’audition du 17 novembre 2010 à Paris
,
les preuves fondées sur la foi d’un tiers sont couramment autorisées.
Les preuves collectives de ce qui est décrit comme une «mosaïque»
d’allégations sont souvent utilisées par des membres subalternes
des services de sécurité qui ne connaissent pas forcément très bien
l’affaire en cause. Le niveau de la preuve d’après la loi reste
assez faible. Tout ce que le ministre de l'Intérieur doit démontrer,
c’est une suspicion raisonnable d’activité liée au terrorisme. Il
n’a pas à réellement apporter la preuve de tel ou tel comportement
de la personne en cause. Contrairement à un prisonnier condamné,
la personne contrôlée peut ne pas savoir quand les restrictions
qui lui sont imposées arriveront à leur terme. Les ordonnances de
contrôle peuvent être renouvelées pour des périodes successives
d’un an, et ce sans limites. La personne contrôlée reste, dans certains
cas, dans une situation où, même après les interventions de la Chambre
des Lords, les preuves maîtresses contre elle sont indiquées dans
le dossier et les jugements «fermés». Cette personne est en l'occurrence
privée de son droit le plus fondamental en tant que partie perdante:
savoir pourquoi elle a perdu.
61. Une proposition est actuellement à l’étude pour remplacer
les ordonnances de contrôle par un système de mesures de prévention
et d’investigation en matière de terrorisme (
Terrorism
Prevention and Investigation Measures (TPIMs))
,
qui imposeront des restrictions moins sévères aux personnes soupçonnées
de terrorisme.
62. Le projet de loi actuel introduit des garanties accrues pour
les libertés civiles des personnes soumises aux mesures, notamment
un test des mesures à imposer plus strict que celui applicable aux
ordonnances de contrôle, ainsi qu’une durée maximale de deux ans
(de nouvelles mesures ne peuvent être appliquées qu’à condition
que la personne se soit à nouveau livrée au terrorisme). Les restrictions
qui entravent la possibilité pour un individu de vivre normalement
au quotidien seront réduites au strict minimum nécessaire à la protection
du public et devront être proportionnées et dûment justifiées. Le
type de restrictions susceptibles ou non d’être imposées sera davantage
précisé. A titre d’exemple, les longs couvre-feux seront remplacés
par une mesure plus souple, en l’occurrence une assignation à résidence
durant la nuit, la possibilité de réinstallation dans une autre
région du pays sans le consentement de l’intéressé sera abandonnée,
les frontières géographiques seront remplacées par le pouvoir plus
restreint d’imposer des interdictions de séjour strictement définies
dans des régions particulières, les personnes soumises aux mesures
doivent être autorisées à disposer d’une ligne téléphonique fixe,
d’un téléphone mobile et d’un ordinateur avec connexion internet.
De surcroît, un vaste contrôle judiciaire du système sera mis en
place, l’imposition des mesures (ou leur confirmation immédiate
lorsqu’elles ont été imposées en urgence) étant soumise à l’autorisation
préalable de la Haute Cour, chaque affaire dans laquelle les mesures
seront appliquées fera l’objet d’un processus de réexamen pleinement
automatisé et les personnes concernées bénéficieront d’un droit
de recours en cas de rejet d’une demande de révocation ou d’assouplissement
des mesures. Par ailleurs, le projet de loi propose d’imposer au
ministre de l'Intérieur de procéder à des consultations sur les
perspectives de poursuites judiciaires d’un individu avant d’envisager
l’application des mesures, et d’examiner régulièrement, tant qu’elles sont
en vigueur, si leur maintien s’avère toujours nécessaire. La personnalité
indépendante chargée d’examiner la législation antiterroriste publiera
un rapport d’examen annuel du fonctionnement du système.
63. Si le projet de loi devrait en principe être salué et qualifié
d’amélioration, seule la pratique montrera si ces TPIMs sont conformes
à la Convention. Cela dépendra en fait de la mesure dans laquelle
les tribunaux insisteront sur la production des meilleures preuves
disponibles à l’audience et de l’utilisation accrue de procédures
à huis clos (le public étant exclu de la salle d’audience) de préférence
aux procédures «fermées» (procédures durant lesquelles certaines
informations peuvent être cachées au suspect lorsque leur divulgation est
contraire à l’intérêt public), comme c’est actuellement le cas.
Il faudrait également assouplir les règles régissant les possibilités
de communication entre les avocats spéciaux et les autres avocats.
Enfin, le ministre de l'Intérieur devrait d’emblée s’engager expressément
à ce que le gouvernement indemnise toute personne soumise à une
ordonnance de contrôle, s’il était subséquemment établi par un tribunal
que l’ordonnance de contrôle n’était pas justifiée.
5.2.2. Article 6 – Droit
à un procès équitable
64. L’article 6 consacre le droit à un procès équitable
qui dispose que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial, établi par la loi».
65. Selon la loi espagnole sur la procédure pénale, un juge peut
ordonner le placement d’une personne détenue au secret (régime incommunicado). Durant cette période,
le détenu a uniquement droit à l’assistance d’un avocat commis d’office
et non à celle de l’avocat de son choix; les communications orales
sont interdites et toute communication écrite est soumise au contrôle
d’un juge. L’exigence d’un avocat officiellement désigné est motivée
par la nécessité de prévenir tout recours à des avocats travaillant
eux-mêmes pour des organisations terroristes ou entretenant les
liens entre les détenus et de telles organisations.
66. Ces restrictions d’accès à un conseil juridique sont conformes
à l’article 6 à la condition explicite d’être strictement nécessaires
et proportionnées au but légitime poursuivi. Le droit d’une personne
accusée de s’entretenir en privé avec son conseil juridique fait
partie des critères fondamentaux d’un procès équitable et découle
de l'article 6, paragraphe 3
. Il s’applique à tous les stades de la détention.
Dans la récente affaire pilote
Salduz
c.Turquie, un mineur
a été accusé et par la suite condamné pour participation à une manifestation illégale
de soutien au PKK. Durant sa garde à vue et en l’absence d’un avocat,
le requérant a fait une déclaration dans laquelle il reconnaissait
sa culpabilité. La Cour a conclu que même si le requérant a eu l'occasion
de contester les preuves à charge à son procès, l'impossibilité
pour lui de se faire assister par un avocat alors qu'il se trouvait
en garde à vue a irrémédiablement nui à ses droits de la défense,
d’autant plus qu’il était mineur. L'accès à un avocat doit être
consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf
à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce,
qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit
.
5.2.3. Article 8 – Droit
au respect de la vie privée et familiale
67. Il existe un risque important d’atteinte au droit
au respect de la vie privée, énoncé dans l’article 8 de la Convention,
de la part de l’Etat dans la lutte contre le terrorisme. Le deuxième
paragraphe de l’article 8 énonce les circonstances dans lesquelles
une ingérence dans l’exercice des droits garantis par ledit article
peut être justifiée. Néanmoins, afin de prévenir toute décision
arbitraire, toute restriction de ces droits doit avoir un fondement
juridique, c’est-à-dire qu’elle doit être «prévue par la loi»
. A cet
égard, la Cour déclare «qu’il faut d’abord que la loi soit suffisamment
accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans
les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables
à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une
«loi» qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre
au citoyen de régler sa conduite: en s’entourant au besoin de conseils
éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable
dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à
dériver d’un acte déterminé»
. Une loi qui ménage
une certaine liberté d’appréciation n’est pas en elle-même en contradiction
avec cette exigence, à condition toutefois que l’étendue de cette
liberté d’appréciation et la manière dont elle doit être exercée
soient énoncées avec suffisamment de précision, eu égard au but
légitime considéré, pour garantir à l’individu une protection adéquate
contre toute ingérence arbitraire
.
Une fois qu’il est établi qu’une restriction est «prévue par la
loi», la Cour examine la question de savoir si elle constitue «une
mesure nécessaire dans une société démocratique». A cet effet, elle
cherche à déterminer si la restriction répond à un but légitime,
tel que spécifié dans l’article 8, paragraphe 2, si elle est proportionnée
à ce but légitime et si les motifs fournis par les autorités nationales
pour la justifier sont pertinents et suffisants au regard de l’article
8, paragraphe 2
.
68. Les mesures les plus évidentes qu’il convient d’apprécier
à la lumière de l’article 8 sont la surveillance, l’interception
et l’installation d’un système de télévision en circuit fermé.
69. La Cour a reconnu la nécessité pour les Etats de recourir
à des mesures antiterroristes telles que la surveillance secrète
.
Le deuxième paragraphe de l’article 8 autorise expressément des
restrictions lorsqu’elles visent un des objectifs spécifiés dans
ledit paragraphe, y compris la protection de la sécurité publique
et de la sûreté nationale. Les Etats contractants ne disposent pas
pour autant d’une latitude illimitée pour adopter, au nom de la
lutte contre l’espionnage et le terrorisme, toute mesure qu’ils
jugent appropriée
. La Cour doit se convaincre de
l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus,
quelles que soient les mesures adoptées
.
Cette appréciation dépend de toutes les circonstances de la cause,
par exemple la nature, l’étendue et la durée des mesures éventuelles,
les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes
pour les autoriser, les exécuter et les contrôler, le type de recours
fourni par le droit interne
.
En d’autres termes, le pouvoir de surveiller en secret les citoyens
n’est tolérable d’après la Convention que dans la mesure strictement
nécessaire à la sauvegarde des institutions démocratiques
.
70. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les Etats peuvent
avoir de très bonnes raisons de mener des activités de surveillance
et d’interception, d’installer des systèmes de télévision en circuit
fermé et de contrôler les mouvements de fonds dans le contexte de
la lutte contre le terrorisme. Ces actions sont légitimes et peuvent
s’avérer nécessaires. Elles doivent cependant s’accompagner de garanties
judiciaires appropriées. S’agissant des méthodes cachées de surveillance,
la Cour impose la mise en place de garanties effectives, telles
qu’un organe de suivi indépendant
.
71. Dans ce contexte, une attention particulière doit être portée
à l’application de la loi russe sur la lutte contre le terrorisme
de 2006. Cette loi ne définit pas la «zone des opérations antiterroristes»,
ce qui signifie qu’une opération antiterroriste peut être menée
sur «un territoire comptant un nombre important d'habitants», sans
aucune limite. La «zone des opérations antiterroristes» est définie
par le responsable de l’opération. Le régime antiterroriste permet
des contrôles d'identité, des écoutes téléphoniques, le contrôle
des lettres et d'autres moyens de communication, des restrictions
à la circulation des véhicules et des piétons, l'accès sans restriction
aux domiciles et aux terrains privés et des restrictions et des
interdictions de la vente de certains produits, dont l'alcool, et
tout cela sans prévoir de contrôle judiciaire. Selon la loi, le
quartier général opérationnel peut décider de déplacer la population
de la zone des opérations antiterroristes. Ainsi, des opérations
antiterroristes ont très souvent été menées indépendamment de la
situation des femmes et des enfants qui se trouvaient dans le foyer,
ou des civils dans l’immeuble, où l'opération avait lieu. Les journalistes n'ont
pas accès à la zone de l’opération.
72. L’absence de contrôle judiciaire est particulièrement inquiétante
à cet égard. Il a été rapporté lors de l’audition à Paris que, dans
un cas, l'opération antiterroriste menée dans un village de la République
du Daghestan a duré presque neuf mois pendant lesquels les journalistes
n'ont pas pu pénétrer dans le village
.
A plusieurs occasions, des journalistes ont été expulsés d'Ingouchie
lors d'opérations antiterroristes. Sous l’ancien Président Zyazikov,
une opération antiterroriste a été parfois invoquée comme prétexte
à l’interdiction de manifestations antigouvernementales.
73. De telles actions semblent disproportionnées et difficiles
à concilier avec la jurisprudence de la Cour évoquée précédemment.
74. Dans le cadre législatif de l’Union européenne, les Etats
membres de l’Union ont intensifié les échanges d’informations entre
les services de renseignement et les organes nationaux d’application
de la loi.
75. Ainsi, la Directive sur la conservation des données
,
adoptée sur la base de la responsabilité de l’Union européenne dans
l’harmonisation des lois nationales concernant le fonctionnement
du marché intérieur
, oblige les Etats
membres de l’Union européenne à conserver les données de communication
des citoyens pour une durée minimale de six mois et maximale de
deux ans à compter de la date de la communication. Aux termes de
cette directive, la police et les agences de sécurité sont habilitées
à requérir l’accès à des informations détaillées telles que les
adresses IP et les horaires d’envoi et de réception des courriers électroniques,
des appels téléphoniques et des SMS.
76. Cette directive doit être interprétée à la lumière des droits
de l’homme et des libertés fondamentales. S’il est utile de partager
ces informations en cas de véritable menace pour la sécurité publique,
cette menace doit être bien documentée et des garanties sont à mettre
en place. Avec ces garanties et compte tenu du fait qu’en vertu
de cette directive toute demande d’accès aux informations nécessitera
une ordonnance délivrée par un tribunal, la directive sur la conservation
des données me semble représenter un juste équilibre. Je suis également
heureux de constater que la Commission européenne, dans son récent
rapport d’évaluation sur cette directive, a jugé utile de l’interpréter
à la lumière des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
et de faire référence spécifiquement et de manière détaillée à la
Convention
.
5.2.4. Article 10 – Liberté
d’expression
77. La Convention définit des normes contraignantes en
matière de liberté d’expression. Elle reconnaît également que des
limitations peuvent valablement être mises en place pour ce droit.
Les discours et d’autres formes d’expression peuvent inciter au
terrorisme et il est légitime d’ériger en infractions pénales de
telles activités. L’article 10 de la Convention garantit la liberté
d’expression et précise les circonstances dans lesquelles ce droit
peut être soumis à certaines formalités ou restrictions pour des
raisons limitativement énumérées. Dans ce contexte, la Cour, tenant
dûment compte des circonstances et de la marge d’appréciation laissée
aux Etats, a reconnu qu’un équilibre est à trouver entre le droit
des individus à la liberté d’expression et le droit légitime d’une
société démocratique de se protéger contre les activités des organisations
terroristes
.
Toute limitation doit cependant respecter la jurisprudence de la
Cour et ne pas restreindre des formes d’expression simplement controversées
qui n’incitent pas à la violence.
78. Le droit à la liberté d’expression n’est pas synonyme de droit
à l’incitation à la violence
.
L’article 5 de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention
du terrorisme prévoit ainsi d’ériger en infraction pénale la provocation
publique à commettre une infraction terroriste
.
79. Au cours des dernières années, plusieurs Etats ont créé de
nouvelles infractions à cette fin. Le Code pénal espagnol érige
en infraction pénale l’éloge ou la justification, par tout moyen
d’expression publique ou de radiodiffusion, des actes de terrorisme
. La loi britannique sur la prévention
du terrorisme de 2006 évoque des infractions s’agissant de déclarations
qui peuvent être comprises par un membre du public, auquel elles sont
destinées, comme un encouragement direct ou indirect, ou comme une
autre incitation au terrorisme, y compris quand une «personne raisonnable»
peut conclure que les déclarations semblent l’inciter au terrorisme,
et cela indépendamment de l’intention de l’orateur. Cette disposition
couvre par ailleurs toute déclaration qui glorifie la commission
ou la préparation (que ce soit dans le passé, dans le futur ou sur
un plan général) de tels actes et infractions
ou
l’encouragement indirect ou la justification publique d’actes terroristes.
La loi russe sur la lutte contre le terrorisme de 2006 a amendé
le Code pénal afin d’y introduire une nouvelle infraction de justification
publique du terrorisme, passibles d'une peine allant jusqu'à quatre
ans d'emprisonnement (cinq ans si l’on utilise les médias). Dans
ce cas, est considérée comme justification du terrorisme toute déclaration
publique reconnaissant les idéologies et pratiques terroristes comme
légitimes et méritant d’être soutenues et imitées
.
80. Dans la mesure où ces dispositions sont formulées de manière
très générale et abstraite et qu’elles affaiblissent le lien de
causalité entre le discours original et le danger de commission
de ces actes criminels, elles doivent être considérées avec la plus
grande prudence
.
81. Dans ce contexte, la loi fédérale russe sur la lutte contre
les activités extrémistes
est
problématique. Elle englobe les activités «extrémistes» dans la
notion d’activités terroristes, en se fondant sur des définitions très
vagues et larges. Cette loi soulève des préoccupations quant à la
prévisibilité et la certitude juridique, et peut mener par elle-même
à une application arbitraire
.
82. Par ailleurs, les organisations, y compris les organisations
non gouvernementales et les organisations des médias, qui distribuent
du matériel contenant des appels publics justifiant le terrorisme
ou présentant un caractère «extrémiste», peuvent être contraintes
de cesser leur activité
. L’un
des experts participant à l'audition à Paris a déclaré que l’interdiction
de toute justification du terrorisme encourageait des restrictions arbitraires
de la liberté d’expression ainsi que l’autocensure éditoriale, la
justification du terrorisme couvrant un éventail de définitions
très large. En outre, la loi sur les médias dispose que les méthodes
utilisées par les journalistes pour recueillir des informations
sur le territoire ou sur un site d'opérations antiterroristes sont arrêtées
par le chef de l'opération antiterroriste. Cette disposition pourrait
être utilisée pour restreindre indûment la liberté d’information.
83. Toujours en Russie, en juillet 2010, de nouvelles dispositions
sont venues compléter la loi sur le Service fédéral de sécurité
(FSB), permettant au FSB d’adresser des «avertissements» à des personnes,
des organisations et des médias. Ces avertissements imposent aux
personnes ou aux organisations de mettre un terme à toutes les activités
considérées par le FSB comme réellement, voire «potentiellement»,
extrémistes
.
Une telle loi est alarmante car elle risque de placer le FSB au-dessus
des lois. Elle semble non seulement violer la liberté d’expression,
mais aussi la primauté du droit sur un plan général. Le fait qu’en
réponse aux protestations des défenseurs des droits de l’homme le
législateur ait précédemment retiré un amendement autorisant le
FSB à convoquer les personnes dans ses bureaux pour leur adresser
un avertissement et de publier cet avertissement dans les médias,
ne change rien à l’affaire: l’effet d’intimidation sur des personnes telles
que les journalistes, qui ne font que leur travail, reste considérable.
6. Conclusion
84. Il a été montré que dans le cadre normatif de la
Convention européenne des droits de l'homme, les Etats disposent
de la flexibilité nécessaire pour lutter contre le terrorisme et
protéger les individus relevant de leur juridiction. Le cadre moderne
des droits de l’homme, mis en place après la Seconde Guerre mondiale,
a été conçu pour préserver la sécurité dans les périodes de crise
tout en combattant les abus potentiels.
85. Il n’est pas nécessaire d’instaurer un compromis entre les
droits de l’homme et les pratiques effectives de lutte contre le
terrorisme, cette protection existant déjà dans la législation relative
aux droits de l’homme. Comme nous l’avons vu, la Convention, tout
comme d’autres instruments internationaux en matière de droits de
l’homme, peut être appliquée de manière à permettre aux Etats d’engager
des actions raisonnables et proportionnées pour défendre la démocratie
et l’Etat de droit contre la menace terroriste.
86. Il ne faut pas renoncer à la primauté du système de justice
pénale. Les Etats doivent résister à la tentation de recourir à
des mesures coercitives en dehors des procédures pénales établies
et de leurs garde-fous visant à protéger les innocents. Je souscris
pleinement à l’avis du panel d'éminents juristes de la Commission
internationale de juristes qui a déclaré que tous les actes de terrorisme
étaient des crimes. En leur retirant l’étiquette «terroriste», ces
actes – homicides, prises d’otages, détournements et violences contre des
civils – sont tous des infractions pénales extrêmement graves dans
n’importe quel système juridique. Si le système de justice pénale
n’est pas en mesure de répondre à ces nouveaux défis, il convient
de l’adapter
.
87. Dans ce contexte, le concept de «guerre contre la terreur»
est trompeur et inutile dans la mesure où le terrorisme menace les
droits des victimes civiles et où les crimes terroristes ne sont
pas des actes de guerre.
88. J’aimerais conclure mon rapport par une remarque de caractère
général. Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, plusieurs
Etats ont promulgué des lois provisoires afin de faire face à la
perception d’un danger imminent de terrorisme. Dix ans après ces
événements tragiques, il serait judicieux pour ces Etats de réexaminer
ces lois et d’évaluer la nécessité de les maintenir
.
A l’évidence, cette décision est à prendre individuellement par
chaque Etat. Je ne peux cependant que les enjoindre à réviser leur
législation sous un angle critique, à la lumière des travaux de
fond menés par des organisations telles que la nôtre en matière
de droits de l’homme et de lutte contre le terrorisme. Les mesures
provisoires, jugées nécessaires à un moment donné, risquent de devenir
permanentes alors même que les circonstances ont changé. Il est
extrêmement difficile de réinstaurer des standards de protection
des droits de l’homme appropriés une fois qu’ils ont été abolis
ou que leur portée a été restreinte.