1. Introduction:
besoins de protection des victimes de violence
1. La violence domestique est un problème persistant
qui touche les vies de millions de personnes, surtout des femmes,
et dont les conséquences sont parfois fatales.
2. Même s’il est un fléau grave et répandu, l’inadaptation de
la législation et une compréhension insuffisante de ce phénomène
affectent la capacité des Etats membres du Conseil de l’Europe de
répondre aux besoins multiples des victimes en matière de protection.
3. Avant le passage à l’acte ou avant que la violence n’atteigne
un certain degré de gravité, les victimes doivent pouvoir compter
sur des autorités ayant la volonté et la capacité juridique de recueillir
leurs plaintes, de diligenter une enquête et de prendre des mesures
de protection pour garantir leur sécurité physique et la sécurité
de leurs enfants.
4. Immédiatement après le passage à l’acte, la sûreté et la sécurité
physiques des victimes doivent être assurées, au moyen par exemple
de l’éloignement de l’auteur de la résidence commune ou de la mise
à disposition de lieux sûrs. Les victimes ont également besoin d'un
accès immédiat aux soins de santé, notamment d’un examen et d’un
traitement médicaux respectueux du genre et appropriés, de la part
d’un personnel dûment qualifié, formé qui plus est aux questions
relatives à la violence à l’égard des femmes. Enfin, les victimes
doivent avoir accès à des services de conseil juridique à un prix
abordable, fournis par un personnel dûment formé aux possibilités
juridiques offertes, notamment à l’enregistrement de déclarations,
à la conservation des éléments de preuve et à la procédure de demande
de protection.
5. Les besoins de protection sur le long terme dépendent de la
situation particulière de la victime et du contexte de la violence.
Ils peuvent comprendre l’assurance pour les victimes, et les personnes
à leur charge, d’un accès permanent à un abri sûr, un traitement
médical continu et confidentiel pour dommage physique et psychologique
axé sur la guérison et la réadaptation sur le long terme, la fourniture
d’un justificatif d’absence au travail ou l’aide à la recherche
d’un nouvel emploi lorsque la réintégration dans l’emploi précédent
est risquée.
2. Questions
couvertes par le rapport
6. Le présent rapport se penchera sur la question particulière
des mesures juridiques qui devraient être disponibles à la fois
en amont, c'est-à-dire lorsque l’acte violent n’a pas encore été
commis ou lorsqu’il n’excède pas un certain degré de gravité, et
immédiatement après le passage à l’acte. L’auteur du rapport voudrait
analyser en particulier les différentes ordonnances de protection
introduites dans plusieurs Etats membres, comprendre pourquoi celles-ci
se révèlent parfois inefficaces et s’efforcer de concevoir de nouvelles mesures
de protection, plus adaptées.
7. Il faut toutefois clairement indiquer d’emblée que les ordonnances
spéciales de protection ne sont qu'une forme de protection peu efficace
si elles ne s’accompagnent pas de la mise à disposition d’abris,
de programmes de non-violence, d’une procédure pénale équitable
et efficace, de sanctions adaptées et d’une mise à exécution effective.
3. Qui sont les victimes?
8. Il n’existe pas de taux de prévalence pour l’Europe
mais l’analyse des enquêtes entreprises à l’échelon national révèle
qu’un cinquième à un quart de toutes les femmes ont été victimes
de violences physiques au moins une fois dans leur vie d’adulte
et que plus d’une sur dix ont été victimes d’actes de violence sexuelle impliquant
l’usage de la force. Les taux atteignent pas moins de 45 % pour
toutes les formes de violence, y compris pour le harcèlement. Ces
actes violents sont commis en majorité par des hommes, le plus souvent
le partenaire ou un ancien partenaire de la victime, dans leur environnement
social immédiat
.
9. La violence domestique à l’égard des enfants est généralisée;
les études menées sur la question ont mis en évidence le lien entre
violence domestique à l’égard des femmes et sévices à enfants. Elles
ont aussi mis en évidence le traumatisme subi par les enfants qui
assistent à des actes de violence au foyer.
10. Pour d’autres formes de violence domestique, les sévices à
personnes âgées ou la violence domestique à l’égard des hommes,
les données fiables sont relativement rares.
11. C’est le plus souvent en cas de séparation ou de divorce que
les tensions au sein du couple peuvent aboutir à des actes violents,
ce qui appelle des mesures de protection. Cela étant, la protection
est aussi de mise dans de nombreux cas pendant le mariage ou la
cohabitation, d’une part, et après la séparation ou le divorce,
d’autre part.
12. Le harcèlement et les menaces ne se limitent pas aux relations
intimes. C’est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme dans l’affaire Osman
c. Royaume-Uni (1998), qui concernait des menaces proférées
par un enseignant à l’encontre d’un élève du secondaire ayant entraîné
le décès d’un parent.
13. Dans certains milieux professionnels, les employés sont victimes
de harcèlement. Parfois, le harcèlement n’est pas ouvertement menaçant,
voire hostile. Ainsi, les artistes de scène ou les hommes politiques
sont parfois harcelés par des fans insistants. Ce harcèlement peut
devenir extrêmement perturbant et porter atteinte à la vie privée
de la victime. Il peut soudainement se transformer en menaces lorsque
la victime ne répond pas aux attentes du harceleur. Les gays, lesbiennes
et transgenres offrent l’exemple d’autres personnes souvent victimes
de menaces.
4. Terminologie
14. Les législations nationales étant diverses, la terminologie
varie:
- l’Union européenne
utilise le terme «ordonnance de protection» pour désigner l’ensemble
des ordonnances civiles, pénales et administratives délivrées par
les autorités nationales, y compris les tribunaux, dans le but de
protéger les victimes d’actes violents;
- on appelle «injonctions civiles» les «ordonnances émises»
par des tribunaux civils pour interdire à l’auteur d’actes violents
ou de harcèlement d’approcher la victime;
- de manière générale, on appelle «ordonnances restrictives»
les ordonnances délivrées dans le cadre d’une procédure pénale ou
spécialement destinées à protéger les victimes d’actes violents;
- lorsque l’auteur est évincé du domicile commun, on parle
en général d’«ordonnance d’expulsion» ou d’«ordonnance d’interdiction».
5. Types de protection
15. La plupart des pays ont adopté des mesures juridiques
utilisables en cas de violence. D’importantes différences existent
cependant, en ce qui concerne:
- la
nature juridique de la mesure (civile, pénale ou mixte);
- leur objectif (protéger la victime ou assurer la présence
physique du défendeur au procès);
- leur durée (urgente, court ou moyen terme);
- les autorités compétentes pour les adopter;
- l'auteur de la demande (la victime, les autorités ou autre);
- les sanctions possibles en cas de non-respect.
16. Ce tableau se complique encore si l’on tient compte du fait
que dans la plupart des Etats membres coexistent des mesures de
nature différente.
5.1. Injonctions civiles
17. Les injonctions civiles sont des outils juridiques
existant dans la quasi-totalité des pays. Initialement conçues pour
empêcher la destruction de biens, elles continuent d’être appliquées
dans ce domaine: les droits de propriété intellectuelle sont actuellement
l’un des domaines où elles sont largement utilisées, de façon à empêcher
ou interdire leur exercice illégal.
18. Certains pays ont adapté les injonctions civiles aux cas de
violence et de harcèlement. Ces ordonnances ont ceci de particulier
qu’elles sont délivrées par des juridictions civiles dans le cadre
d’une procédure simple et rapide et qu’elles appellent l’auteur
à prendre certaines mesures (par exemple mettre fin aux intimidations).
19. Généralement, la victime présente une demande de protection
sans le concours de la police ou du parquet. Le requérant doit satisfaire
au niveau de preuve requis, à savoir des «motifs raisonnables».
20. L’injonction est généralement consignée sur les procès-verbaux
de la police. Sa violation peut aboutir à des sanctions civiles
– en principe, de nature pécuniaire – ou pénales.
21. Parce qu’elles trouvent leur origine dans le droit de la protection
des biens, les injonctions présentent des avantages et des inconvénients
du point de vue de leur application à la protection contre les violences. Les
avantages sont les suivants:
- elles
peuvent être associées à une ordonnance d’interdiction, une ordonnance
d’expulsion ou une ordonnance restrictive temporaire délivrée ex parte;
- elles peuvent être délivrées rapidement;
- le niveau de preuve à apporter est facile à satisfaire
(motifs raisonnables);
- la demande de protection devant émaner du plaignant lui-même,
l’ordonnance n’entraîne aucune charge de travail supplémentaire
pour les agents publics;
- les coûts sont raisonnables grâce à la procédure simplifiée;
- la procédure est extrêmement simple: la victime de violences
ou de harcèlement peut en faire la demande par elle-même; elle peut
comparaître devant le tribunal sans défenseur, présenter sa cause et
faire entendre un témoin.
22. Les inconvénients principaux sont les suivants:
- elles ne s’accompagnent pas
toujours d’une protection assurée par les forces de police;
- les sanctions peuvent être inefficaces, surtout si elles
sont d'ordre pécuniaire;
- la loi exige parfois l’ouverture en temps utile d’une
procédure judiciaire au principal (droits de propriété, divorce,
etc.), ce qui peut être difficile pour le plaignant.
23. Le principal inconvénient des injonctions civiles est qu’elles
exigent de la victime un rôle actif dans l’engagement de la procédure
et tout au long de celle-ci. Dans l’immense majorité des cas, cela
revient à demander l’impossible car toute victime d’actes de violence
physique est avant tout une victime de violence psychologique qui
a perdu toute confiance en elle et qui se considère comme la cause
du comportement de l’agresseur. Il n’est par conséquent pas rare
qu’immédiatement après avoir présenté une demande d’injonction civile,
les victimes la retirent.
24. Comme les autorités n’interviennent pas systématiquement pour
ordonner qu’une distance physique sépare la victime qui présente
la demande de protection et l’auteur, les victimes ne sont pas protégées
contre le risque de représailles.
5.2. Ordonnances de
protection dans les procédures pénales (ordonnances restrictives)
25. Il ressort des études entreprises ces vingt dernières
années que la violence domestique est souvent grave, répétée et
de plus en plus dangereuse en l’absence d’intervention. De même,
le harcèlement et la violence sexuelle sont souvent des phénomènes
qui s’inscrivent dans la durée et il faudrait donc réagir aux signes
annonciateurs d’un comportement menaçant avant que la victime n’encoure
un risque encore plus grand. Dans ces cas, les injonctions civiles
ne sont pas suffisantes et il est évident que les personnes exposées à
un risque de violence grave ont besoin de la protection du système
de justice pénale.
26. La législation en matière de procédure pénale prévoit habituellement
des instruments permettant de limiter la liberté du suspect. Dans
les cas de violences aggravées, le suspect peut être arrêté et placé
en détention. Une ordonnance de protection limite moins la liberté
individuelle qu’une arrestation.
27. Les ordonnances restrictives délivrées dans le cadre d’une
procédure pénale limitent la liberté de circulation du suspect avant
le procès. Toutefois, ces ordonnances ont été conçues pour garantir
la présence du suspect au procès et non pas pour protéger la victime.
Un problème se pose fréquemment: les suspects sont censés rester
à la disposition des forces de police à leur domicile. Naturellement,
cette exigence ne permet en rien de protéger les victimes potentielles
de violences domestiques, dans la mesure où le suspect est contraint
de vivre sous le même toit que la victime.
28. Par ailleurs, les mesures coercitives prises dans le cadre
d’une procédure pénale peuvent cependant garantir une protection
effective aux victimes. Par exemple, le non-respect d’une ordonnance
rendue au pénal donne généralement lieu à l’arrestation du suspect.
29. Le principal avantage des ordonnances restrictives lorsqu’elles
sont adoptées dans des affaires de violence domestique est que la
victime n’a pas d’initiative à prendre tout au long de la procédure
car la police peut solliciter cette ordonnance de son propre chef.
En outre,
- la police peut aussi
envisager des mesures de protection additionnelles;
- les sanctions sont efficaces (l’auteur de l’infraction
peut être arrêté en cas de non-respect de l’ordonnance);
- les garanties juridiques s’exercent au niveau de la procédure
pénale.
30. Cela étant, les inconvénients sont également manifestes:
- si nul ne signale l’infraction
– victime ou témoin – en premier lieu, l’ordonnance ne peut être
appliquée;
- les policiers n’enregistrent malheureusement pas toujours
les plaintes, par exemple lorsqu’ils considèrent que les faits signalés
par la victime ne présentent pas une gravité suffisante pour justifier l’ouverture
de l’action pénale;
- comme c’est le cas dans le cadre des injonctions civiles,
la victime peut également retirer sa plainte pendant l’action pénale
dans la plupart des Etats membres. La législation française doit
être considérée à cet égard comme un modèle de bonne pratique car
elle prévoit que la procédure suit son cours ex officio,
y compris si la victime retire sa plainte.
5.3. Ordonnances d’expulsion,
ordonnances d’interdiction, ordonnances restrictives temporaires
31. La majorité des Etats membres ont élaboré différents
types d’ordonnances de protection spécifiques pour les victimes
de violence, ordonnances qui permettent à la police et/ou au tribunal
d’enjoindre à l’auteur de quitter immédiatement le domicile. On
peut les appeler ordonnances d’expulsion, ordonnances d’interdiction
ou, en particulier au Royaume-Uni, ordonnances restrictives temporaires.
32. L’Autriche a été le premier pays européen à adopter des ordonnances
d’expulsion pour protéger les victimes de violence domestique. Sa
législation en la matière est très détaillée et fait figure de modèle. L’Allemagne,
l’Espagne et la France ont introduit une législation du même type.
En effet, l'Allemagne et l'Espagne prévoient également la possibilité
de délivrer des ordonnances de protection pour les victimes de viol
(en dehors du cadre domestique).
33. Les ordonnances d’expulsion ont été spécialement conçues pour
les cas de violence domestique et visent à mettre fin à la violence,
à offrir une protection à court terme à la victime et à lui donner
le temps de réfléchir et de présenter une demande de protection
complémentaire, une injonction par exemple. Elles ne rentrent pas
facilement dans la catégorie des injonctions civiles ou des ordonnances
restrictives délivrées dans le cadre d’une procédure pénale. Elles
sont plutôt à mi-chemin entre les deux. L’expulsion est exécutée
par la police.
34. Un trait commun à l’ensemble des Etats membres est que la
mesure d'expulsion est exécutée par la police. Il reste que des
différences considérables existent s’agissant:
- de la durée de validité de l’ordonnance
d’expulsion;
- de l’autorité compétente pour la délivrer;
- de l’aide accordée à la victime.
35. Pour ne citer que quelques exemples: la Slovaquie a adopté
en 2008 une législation autorisant la police à évincer l’auteur
d’actes de violence domestique du foyer et du voisinage de la victime
pendant quarante-huit heures. La nouvelle ordonnance restrictive
adoptée par la Hongrie en 2009 au moyen d’une loi autorise la police
à éloigner l’auteur pour une période maximale de soixante-douze
heures, mais le traitement de la demande par un tribunal prend plusieurs
semaines
.
36. A l'extrême opposé, en Autriche, la police peut ordonner l’expulsion
de l’auteur pendant vingt jours. Pendant cette période, la victime
se voit offrir une aide, un abri et des conseils juridiques sur
les démarches à accomplir.
37. La plupart des Etats membres qui ont adapté le modèle autrichien
(comme l’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg et la République tchèque)
visent à prévoir suffisamment de temps pour que des mesures sur
le moyen terme soient adoptées avant que la mesure d’urgence expire.
Les auteurs sont souvent éloignés pour une période de sept à dix
jours au cours de laquelle il est possible de demander une audience
en vue du renouvellement de la mesure
.
38. La législation en vigueur aux Pays-Bas depuis 2009 autorise
les maires à imposer une ordonnance restrictive de dix jours. Dans
la pratique, elle permet à un cadre de la police d'utiliser cette
compétence, de sorte que la protection soit immédiatement mise en
œuvre. Le tribunal peut valider l’ordonnance dans les trois jours
à compter de la date à laquelle elle est entrée en vigueur. Une
fois les dix jours écoulés, le maire peut décider de la renouveler
pour une autre période de quatre semaines. Il est prévu que victime
et auteur bénéficient d’une assistance professionnelle pendant la
période de dix jours.
39. Il y a lieu de se féliciter de l’adoption de mesures particulières
pour protéger les victimes d’infractions violentes, en particulier
en cas de relations intimes avec l’auteur. Toutefois, on peut améliorer
encore leur efficacité:
- si
l’éloignement de l’auteur ne peut être que de courte durée, la victime
risque de se retrouver dans une situation encore plus dangereuse
quand il regagne le domicile;
- peu de victimes sont prêtes à engager une action en justice
ou à demander une protection complémentaire une fois que la menace
immédiate est passée. Selon une étude finnoise, dans les affaires
où les victimes ne présentent pas de demande de protection complémentaire,
les violences commises sont relativement graves. Ce qui semble indiquer
que les victimes ont été menacées ou qu’elles ont subi des pressions.
6. Menaces transnationales,
protection transnationale
40. Les menaces de violence franchissent aisément les
frontières. Les auteurs peuvent non seulement circuler librement
ou facilement en Europe, mais les menaces elles-mêmes franchissent
les frontières via l’internet et les réseaux sociaux, de sorte que
les victimes peuvent être atteintes quel que soit l’endroit où elles se
rendent. Avec l’internet, il est possible de menacer et de harceler
beaucoup de gens. Face à ce phénomène, un certain nombre de pays
comme l’Espagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni considèrent le
«harcèlement électronique» comme une infraction pénale.
41. Plusieurs questions de droit international et européen peuvent
être soulevées à cet égard. Les plus importantes sont celles de
l’exécution transfrontière des mesures de protection et de l’amélioration
du niveau de protection offert dans l’ensemble des pays européens
par l’élaboration de règles communes et par le recensement et l’échange
des meilleures pratiques.
42. A cet égard, le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle
important avec sa Convention sur la prévention et la lutte contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. De plus,
l’Assemblée parlementaire pourrait encourager les Etats membres
à coopérer plus étroitement dans ce domaine et à reconnaître les
ordonnances de protection de victimes de violence délivrées par
d’autres Etats membres.
7. Reconnaissance
mutuelle des ordonnances de protection au sein de l’Union européenne
43. La Directive sur la mise en œuvre de l’ordonnance
de protection européenne adoptée par le Conseil de l’Union européenne
le 23 septembre 2011 marque un progrès important dans la protection
des victimes de violence. Cette directive énonce l’obligation pour
les autorités nationales de l’ensemble de l’Union européenne de
reconnaître les ordonnances de protection délivrées en application
du droit pénal interne d’un autre Etat membre. Plus précisément,
l’objectif de la directive est «d’établir des règles permettant
à une autorité judiciaire ou équivalente d'un Etat membre dans lequel
une mesure de protection a été prise, d'émettre une décision de protection
européenne permettant à une autorité compétente d'un autre Etat
membre d'assurer une protection ininterrompue à la personne concernée
sur le territoire de cet Etat»
.
44. La directive est de large portée puisqu’elle s’applique aux
mesures de protection visant à protéger une personne contre les
agissements fautifs d’un tiers susceptibles de mettre en danger
sa vie, son intégrité physique ou psychologique, et sa dignité
.
45. Outre la Directive européenne sur la mise en œuvre de l’ordonnance
de protection, la Commission européenne a adopté, le 18 mai 2011,
un ensemble de propositions visant à garantir aux victimes de violences à
travers toute l’Union européenne une aide, une protection et un
ensemble de droits minimaux, quel que soit l’endroit d’où elles
viennent et où elles vivent, et visant à ce que les ordonnances
délivrées dans les Etats membres de l’Union européenne sur la base
du droit civil ou administratif soient mutuellement reconnues
.
46. Le projet de règlement relatif à la reconnaissance mutuelle
des mesures de protection de caractère civil vise à protéger les
victimes contre toutes autres atteintes dont elles pourraient faire
l’objet de la part de leur agresseur. Il a pour but de faire en
sorte que les victimes de violence – y compris de violence domestique
– puissent toujours se prévaloir des ordonnances d’interdiction
ou de protection délivrées contre l’auteur des violences lorsqu’elles
voyagent ou se déplacent dans un autre pays de l’Union européenne.
47. Le Parlement européen entamera l’examen du projet de règlement
en commission à l’automne 2011, dans le cadre de la procédure législative
normale. Le règlement prendra effet dès adoption par le Conseil
de l’Union européenne.
8. Les ordonnances
de protection dans la Recommandation Rec(2002)5 du Comité des Ministres
sur la protection des femmes contre la violence
48. La Recommandation Rec(2002)5 du Comité des Ministres
constitue à de nombreux égards le fondement juridique et politique
de la plupart des activités menées par le Conseil de l’Europe en
matière de violence à l’égard des femmes.
49. Bien que ce texte ne parle pas expressément d’ordonnances
restrictives, il appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe
à adopter, développer et améliorer, le cas échéant, leurs politiques
nationales de lutte contre la violence, en garantissant notamment
aux victimes une sécurité et une protection maximales et en adaptant
le droit pénal et civil, y compris la procédure judiciaire. De plus,
il demande aux Etats membres de «prévoir des mesures pour assurer
la protection efficace des victimes contre les menaces et les risques
de vengeance»,et de «permettre
aux autorités judiciaires d’adopter des mesures intérimaires en
vue de protéger les victimes, visant à empêcher l’auteur de violences
d’entrer en contact avec la victime, de communiquer avec elle ou
de s’approcher d’elle, de résider dans certains endroits déterminés
ou de fréquenter de tels endroits».
9. Protection des
victimes de violence dans le cadre de la Convention européenne des
droits de l’homme
51. Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme
a précisé l’étendue des obligations conventionnelles qui pèsent
sur les Etats membres du Conseil de l’Europe
. Les Etats ont non seulement l’obligation
de s’abstenir de violer les droits mentionnés ci-dessus mais ils
ont également l’obligation positive de prendre des mesures efficaces
pour protéger les particuliers de la violation de ces droits par
des personnes privées.
52. Cela signifie que les Etats doivent adopter des mesures pénales
efficaces pour empêcher que des infractions ne soient commises,
des mesures soutenues par un dispositif policier visant à prévenir,
supprimer et réprimer la violation de ces dispositions
.
53. S'agissant de violations des articles 2 et 3, cette obligation
positive permet, le cas échéant, d’exiger des autorités qu’elles
prennent des mesures d’exécution préventives visant à protéger une
personne dont la vie est menacée par le comportement délictueux
d’un tiers
.
54. La portée de cette obligation ne doit toutefois pas être interprétée
de telle façon qu’un fardeau insurmontable ou excessif pèse sur
les autorités, et ne couvre pas toutes les menaces à la vie portées
à leur connaissance: «Pour qu'il y ait obligation positive, il doit
être établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur
le moment qu'un individu donné était menacé de manière réelle et
immédiate dans sa vie du fait des actes criminels d'un tiers et
qu'elles n'ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures
qui, d'un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce
risque»
.
10. Les ordonnances
de protection dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (Convention d’Istanbul)
55. La Convention d’Istanbul, ouverte à la signature
le 11 mai 2011 et signée à ce jour par 16 Etats membres du Conseil
de l’Europe, est un instrument de premier plan dans la protection
des victimes de violence, en particulier les femmes.
56. Elle comporte des dispositions visant à éloigner physiquement
la victime de l’auteur. L’article 52 sur les ordonnances d’urgence
d’interdiction énonce que:
«Les
Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires
pour que les autorités compétentes se voient reconnaître le pouvoir
d’ordonner, dans des situations de danger immédiat, à l’auteur de
violence domestique de quitter la résidence de la victime ou de
la personne en danger pour une période de temps suffisante et d’interdire
à l’auteur d’entrer dans le domicile de la victime ou de la personne
en danger ou de la contacter. Les mesures prises conformément au
présent article doivent donner la priorité à la sécurité des victimes
ou des personnes en danger.»
57. Plutôt que d’imposer à la victime, souvent accompagnée d’enfants
à charge, le fardeau de la recherche urgente d’un lieu sûr, que
ce soit dans un abri ou ailleurs, la convention privilégie l’expulsion
de l’auteur de sorte que la victime puisse rester au foyer familial.
58. L’article 53 crée par conséquent l’obligation pour les Etats
de donner aux autorités le pouvoir d’enjoindre à l’auteur de quitter
le domicile commun et de lui interdire d’y retourner et de contacter
la victime. C’est donc aux autorités qu’il appartient d’évaluer
le risque immédiat.
59. La convention laisse aux Parties le soin de décider de la
durée de validité de cette ordonnance, qui doit toutefois être suffisamment
longue pour garantir une protection efficace de la victime. La convention
laisse également le soin aux Parties de désigner et d’investir,
dans le cadre de leurs systèmes juridiques et constitutionnels,
l’autorité compétente pour délivrer ces ordonnances, et de fixer
la procédure applicable.
60. Outre les mesures d’urgence et en complément de celles-ci,
la convention impose aux Etats parties l’obligation de faire en
sorte que les victimes de toutes les formes de violence qu’elle
couvre bénéficient également d’ordonnances restrictives ou de protection
appropriées (article 53).
61. Conformément à la convention, les Parties choisissent le régime
juridique approprié sur la base duquel ces ordonnances peuvent être
délivrées, que ce soit en droit civil, dans le cadre d’une procédure
pénale ou en droit administratif. Dans tous les cas, ces mesures
devraient répondre aux critères ci-après:
- permettre une protection immédiate sans charge financière
ou administrative excessive pour la victime. Autrement dit, les
ordonnances devraient prendre effet immédiatement après leur adoption
et être obtenues sans qu’il soit nécessaire d’engager une longue
procédure. Les frais imputés au requérant, plus probablement à la
victime, ne devraient pas être une charge financière excessive empêchant
la victime de présenter une demande. En même temps, les procédures
mises en place pour demander une ordonnance restrictive ou de protection
ne devraient être sources d’aucune difficulté insurmontable pour les
victimes;
- être délivrées pour une période donnée ou jusqu’à ce qu’elles
soient modifiées ou annulées;
- si nécessaire, être délivrées ex
parte avec effet immédiat. Cela signifie qu’un juge ou
tout autre fonctionnaire compétent doit pouvoir délivrer une ordonnance
restrictive ou de protection temporaire sur la base de la demande
d’une seule partie;
- être disponibles indépendamment ou en complément d’autres
mesures juridiques. Les études ont montré que lorsque ces ordonnances
existent, nombre de victimes qui prévoient de demander une ordonnance
restrictive ou de protection risquent de ne pas être prêtes à porter
des accusations pénales à l’encontre de l’auteur. La demande d’ordonnance
restrictive ou de protection ne devrait donc pas être liée à l’engagement
d’une action pénale contre l’auteur concerné. De la même manière,
ces mesures ne devraient pas dépendre de l’engagement d’une action
en divorce ou autre procédure;
- pouvoir être délivrées dans le cadre d’une procédure ultérieure,
de sorte qu’une ordonnance restrictive ou de protection puisse être
adoptée dans le cadre de toute autre procédure engagée contre le
même auteur.
62. Concernant les sanctions en cas de non-respect de ces ordonnances,
la convention exige qu’elles soient «effectives, proportionnées
et dissuasives», et laisse aux Parties le soin de déterminer leur
nature juridique (pénale, civile ou administrative).
63. Quelques dispositions complémentaires prévues par la convention
sont particulièrement progressistes, même si elles n’imposent aucune
obligation aux Etats parties. Par exemple:
- étant donné que, dans certains cas, il peut être difficile
d’établir les faits dans les affaires de violence domestique, les
Parties pourraient envisager de limiter la possibilité pour l'auteur
de faire barrage aux efforts déployés par la victime pour rechercher
une protection en prenant les mesures nécessaires pour faire en
sorte que les ordonnances restrictives et de protection ne puissent
être délivrées à l’encontre de la victime et de l’auteur mutuellement;
- les Parties devraient envisager de supprimer, dans leurs
législations nationales, toute notion de comportement provocant
en relation avec le droit de demander des ordonnances restrictives
ou de protection. Ces notions ouvrent la voie à des interprétations
abusives dont l’objet est de discréditer la victime et devraient
donc être supprimées de la législation relative à la violence domestique;
- enfin, les Parties pourraient également envisager de prendre
des mesures pour faire en sorte que le droit de demander des ordonnances
restrictives ou de protection n’appartienne pas uniquement aux victimes. Ces
mesures sont particulièrement utiles pour les victimes juridiquement
incapables et les victimes vulnérables qui risquent de ne pas vouloir
demander une ordonnance restrictive ou de protection par peur, parce
qu’elles sont déstabilisées ou pour des raisons affectives.
64. Il convient de se féliciter de l’inclusion des articles 52
et 53 dans la convention parce qu’ils forment une très bonne base
pour une norme commune élevée. De la même manière, il importe de
souligner que les Parties ne sont pas autorisées à émettre des réserves
à ces articles. Il convient toutefois de rappeler que dans son avis
sur la convention, l’Assemblée a proposé de modifier l’article 53
de sorte que des ordonnances restrictives ou de protection puissent
aussi être émises
ex officio et
«indépendamment et cumulativement à d’autres procédures»
. Ces modifications n’ont malheureusement
pas été acceptées par le Comité des Ministres.
11. Conclusions
et recommandations
65. Il est essentiel que toutes les mesures visant à
s’attaquer à la violence domestique s’inscrivent dans un cadre capable
de garantir effectivement et rapidement la sécurité des victimes.
Eriger les actes de violence domestique en infractions pénales est
certes important en termes de volonté politique et du point de vue
de la justice mais permet seulement de s’attaquer à une partie du
problème: la plupart des affaires n’arrivent pas devant les tribunaux
parce que les victimes sont psychologiquement dépassées, mais aussi
parce que lorsqu’elles comparent les avantages et inconvénients
qu’il y a à signaler un acte violent, elles concluent souvent que
le risque de représailles excède les chances d’obtenir une protection.
De la même manière, un nombre important d’affaires de violence domestique
sont abandonnées en cours de traitement par le système de justice
pour les mêmes raisons.
66. Renforcer les mesures disponibles pour assurer la sécurité
physique des victimes à court et à moyen terme tout en assurant
leur mise en œuvre et exécution efficace devient par conséquent
une priorité, non seulement pour éviter que les intéressés ne subissent
une nouvelle atteinte mais pour assurer également la crédibilité
et l’efficacité de l’ensemble du dispositif pénal relatif à la violence
à l’égard des femmes.
67. L’analyse comparée des différents types de mesures de protection
mises en place dans les Etats membres du Conseil de l’Europe révèle
d’importantes différences. La Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique pourrait jouer un rôle de premier plan
pour parvenir à l’harmonisation de ces mesures sur la base d’une
norme élevée.
68. Il est cependant possible et souhaitable que les Etats membres
du Conseil de l’Europe aillent plus loin que les dispositions de
la convention et adoptent des mesures plus protectrices, tel que
recommandé dans le projet de résolution.
69. L’auteur voudrait conclure le présent rapport sur la notion
de violence domestique. Elle l’a utilisée tout au long du rapport
pour être facilement comprise. Cela étant, comme l’a récemment déclaré
la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Opuz c. Turquie, il ne devrait y
avoir aucun doute sur le fait qu’il n’y a rien de «privé» dans la
violence domestique, une question d’intérêt public qui exige action
et engagement politique de la part de l’Etat.
70. Il convient d’adresser enfin un mot de remerciement spécial
à l’ancienne rapporteure, Mme Krista Kiuru, qui a quitté ses fonctions
pour devenir ministre en Finlande, et qui s’est beaucoup investie
personnellement dans la préparation du présent rapport, et à Mme
Johanna Niemi, professeur de droit international à l’université d’Helsinki,
pour ses conseils d’expert.