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Recommandation 1177 (1992)

Droits des minorités

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 4 février 1992 (21e séance) (voirDoc. 6556, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteurs : MM. Brincat et Worms;Doc. 6562, avis de la commission de la culture et de l'éducation, rapporteur : M. de Puig; etDoc. 6558, avis de la commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, rapporteur : M. Cucó). Texte adopté par l'Assemblée le 5 février 1992 (23e séance).

1. L'Histoire a transformé le continent européen en une mosaïque de peuples différents par leur langue, leur culture, leurs traditions et coutumes, et leur pratique religieuse
2. Ces peuples se sont tellement brassés, imbriqués les uns dans les autres, qu'aucun découpage territorial ne peut les circonscrire totalement et exclusivement. Les frontières étatiques héritées des deux dernières guerres mondiales n'y sont pas parvenues. Celles de l'avenir, quelles qu'elles soient, n'y réussiraient pas non plus
3. Il ne peut y avoir dans un État démocratique de citoyens de deuxième zone : la citoyenneté est la même pour tous. La première et ultime garantie de cette égalité de droits et de devoirs découle du respect rigoureux des droits de l'homme par les États et de leur ratification de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
4. A l'intérieur de cette citoyenneté commune, des citoyens qui partagent avec d'autres des caractéristiques spécifiques -d'ordre culturel, linguistique ou religieux, notamment -peuvent cependant désirer se voir reconnaître et garantir la possibilité d'exprimer celles-ci.
5. Ce sont ces groupes partageant de telles spécificités à l'intérieur d'un État que la communauté internationale, depuis la première guerre mondiale, dénomme « minorités », sans que ce terme implique en rien une quelconque infériorité dans aucun domaine.
6. Les pétitions et les déclarations de principe d'autorités gouvernementales et internationales en faveur d'une reconnaissance, d'une protection, voire d'une promotion des droits des « minorités » sont aujourd'hui nombreuses, que celles-ci soient qualifiées de nationales, d'ethniques et culturelles, de linguistiques ou de religieuses.
7. Des colloques et des conférences de toute nature se sont multipliés. L'extrême diversité des situations est désormais convenablement recensée, décrite et analysée. Il en est de même de la très grande complexité des problèmes soulevés et des difficultés à la fois juridiques et politiques à résoudre ceux-ci.
8. Dire cela, aujourd'hui, ne suffit plus. On ne peut plus se satisfaire de ces analyses et de ces constats d'impuissance. Il est urgent de déboucher sur des décisions et des engagements internationaux susceptibles d'être mis en œuvre rapidement sur le terrain. Il en va de la paix, de la démocratie, des libertés et du respect des droits de l'homme sur notre continent.
9. C'est ce sentiment d'urgence et ce désir d'aboutir à des propositions concrètes qui ont motivé l'organisation du colloque qui s'est tenu à Paris, au Sénat, les 13 et 14 novembre 1991, à l'initiative de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée. Ce colloque se voulait différent de beaucoup de ceux qui l'avaient précédé, car il avait pour objectif de proposer au Conseil de l'Europe une démarche constructive et rapidement opérationnelle.
10. Le colloque a fait le point sur les travaux en cours des différentes instances européennes et internationales, notamment au Conseil de l'Europe, à la CEE, à la CSCE et aux Nations Unies. Il a examiné la proposition pour une convention européenne pour la protection des minorités, élaborée par la Commission européenne pour la démocratie par le droit, et le projet de charte européenne des langues régionales et minoritaires, étudié actuellement par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, ainsi que le projet d'un conseil européen des minorités nationales, ethniques, religieuses, culturelles et linguistiques, présenté par la Fédération internationale des droits de l'homme.
11. Les différents organismes intergouvernementaux du Conseil de l'Europe devront bientôt donner leurs avis au Comité des Ministres, lui permettant ainsi de conclure ses travaux sur le projet de charte européenne des langues régionales et minoritaires. L'Assemblée est consciente de certaines faiblesses déjà relevées dans ce projet. Toutefois, ne voulant pas retarder sa conclusion, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres de conclure ses travaux dans les meilleurs délais et de faire tout son possible pour une mise en oeuvre rapide de la charte.
12. L'Assemblée a pris note du mandat que le Comité des Ministres a donné au Comité directeur pour les droits de l'homme. Dans le cadre de ce mandat, la proposition pour une convention européenne pour la protection des minorités sera examinée. Toutefois, bien qu'elle contienne une définition remarquable des droits à garantir, la proposition de convention paraît faible sur le mécanisme de contrôle. Aussi l'Assemblée estime-t-elle préférable et urgent d'élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme et se félicite-t-elle du fait que le ministre autrichien ait soumis le projet d'un tel protocole à ses collègues lors de la réunion du Comité des Ministres du 26 novembre 1991.
13. En outre, sans que cela puisse en rien remplacer l'élaboration d'un instrument juridique, l'Assemblée recommande l'élaboration et l'adoption rapides par le Comité des Ministres d'une déclaration définissant les principes de base concernant les droits des minorités, qui font déjà l'objet d'un consensus international
14. L'Assemblée estime qu'une telle déclaration devrait servir de texte de référence pour juger des demandes d'adhésion au Conseil de l'Europe et pour fonder les prises de position du Conseil de l'Europe et les interventions de l'instance de médiation proposée ci-dessous.
15. L'Assemblée rappelle qu'elle a déjà adopté une déclaration de ce type dans sa Recommandation 1134 (1990). Celle-ci, éventuellement enrichie par les travaux ultérieurs d'autres instances internationales, notamment ceux de la CSCE, de la CEE et de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), devrait servir de base à la déclaration du Comité des Ministres recommandée par l'Assemblée.
16. Dans sa Directive n° 456 (1990), l'Assemblée a décidé de jouer un rôle de médiation et de conciliation dans les conflits mettant en cause des minorités, chaque fois que la demande lui en sera faite. Pour renforcer ce rôle du Conseil de l'Europe, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres de le doter d'un outil de médiation approprié, associant les plus hautes autorités internationales et nationales compétentes. Cette instance aurait une triple compétence :
16.1. Observer et recenser : il s'agirait d'une fonction d'observatoire permanent de l'évolution de la situation des minorités dans les différents États européens.
16.2. Conseiller et prévenir : cette instance aurait aussi pour mission d'intervenir « à froid », avant toute dégénérescence conflictuelle, pour aider les États et les minorités à définir les règles de leurs rapports.
16.3. Dialoguer et concilier : en cas de conflit ouvert, forte de sa caution internationale et de ses acquis, cette instance aurait vocation à rechercher sur le terrain les voies de la conciliation entre les parties en conflit et une solution pacifique et durable aux problèmes qui les opposent.
17. Eu égard à l'extrême urgence des mesures proposées, l'Assemblée demande au Comité des Ministres de mettre en œuvre cette recommandation avant le 1er octobre 1992.