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Recommandation 1236 (1994)

Droit d'asile

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 12 avril 1994 (11e séance) (voir Doc. 7052, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Franck; et Doc. 7064, avis de la commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, rapporteur: Mme Mascher). Texte adopté par l'Assemblée le 12 avril 1994 (11e séance).

1. D'importants faits nouveaux et de profonds changements se sont produits en matière de droit d'asile territorial, tant dans les États membres du Conseil de l'Europe qu'au niveau international, au cours des cinq années qui se sont écoulées depuis l'adoption de la Recommandation 1088 (1988) relative au droit d'asile territorial.
2. La situation politique et économique internationale est telle que le nombre de réfugiés sollicitant l'asile dans les États membres du Conseil de l'Europe a atteint des seuils sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Ce phénomène peut s'expliquer par la chute des régimes communistes en Europe orientale, la guerre civile dans les territoires de l'ancienne Yougoslavie, les disparités économiques entre les pays industrialisés et les pays les plus pauvres ainsi que les violations permanentes des droits de l'homme en Europe et dans le monde entier.
3. Par suite de l'arrivée massive de demandeurs d'asile, il a été plus difficile à de nombreux États européens de traiter les demandes d'asile dans un délai raisonnable, ce qui a parfois donné l'impression que les pays européens étaient envahis par des demandeurs d'asile. Une partie de la population de certains de ces pays est influencée par une propagande raciste et xénophobe et manifeste une hostilité croissante envers les demandeurs d'asile. Il y a en outre le problème des migrants économiques qui se font passer pour des réfugiés et demandent l'asile pour avoir accès aux pays membres du Conseil de l'Europe. Il est parfois difficile de les distinguer des vrais et sincères demandeurs d'asile.
4. C'est pour ces raisons et d'autres motifs politiques que de nombreux États dont les lois relatives au droit d'asile étaient libérales leur ont donné un caractère plus restrictif. Les traités multilatéraux tels que les Accords de Schengen, la Convention relative à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres de la Communauté européenne (Convention de Dublin) et le Traité sur l'Union européenne (Traité de Maastricht) renforcent ces tendances.
5. Les traités susmentionnés entraîneront vraisemblablement des contrôles plus rigoureux aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne et, par voie de conséquence, l'admission d'un nombre restreint de réfugiés sur le territoire de l'Union européenne. Certains États membres de l'Union européenne appliquent déjà la règle du «pays tiers sûr» ou «pays tiers d'accueil», ce qui signifie que seuls peuvent solliciter l'asile dans un pays membre de l'Union européenne les réfugiés qui ne sont pas d'abord passés par un pays réputé sûr, où ils auraient pu demander l'asile avant d'entrer dans le pays considéré. Il est donc inévitable que le fardeau de la protection et de l'aide aux réfugiés et aux demandeurs d'asile s'alourdisse de façon disproportionnée pour les États membres du Conseil de l'Europe n'appartenant pas à l'Union européenne et/ou pour les États qui appliquent des règles moins strictes en matière d'asile ou qui se situent à proximité des pays d'origine des demandeurs d'asile. Enfin, ces politiques restrictives pourraient aboutir au refoulement de réfugiés (en particulier de réfugiés de facto) auxquels l'asile aurait dû être accordé.
6. Au cours de son histoire, le Conseil de l'Europe, bien que n'ayant jamais inscrit le droit d'asile dans un instrument juridique contraignant, a toujours demandé aux États membres de traiter les réfugiés et les demandeurs d'asile dans un «esprit particulièrement libéral et humanitaire», en plein accord avec le principe du non-refoulement. Deux des objectifs du Conseil de l'Europe étant le rapprochement des États membres et la protection des droits de l'homme, le moment devrait être venu de prendre au sein de l'Organisation des mesures communes pour traiter équitablement tous ceux qui ont besoin de protection et pour aplanir, grâce à une coopération européenne véritable, les désaccords sur le partage des responsabilités en matière d'asile. Le droit d'asile est un problème paneuropéen qui appelle une solution paneuropéenne.
7. L'Assemblée regrette que tous les États membres du Conseil de l'Europe n'aient pas ratifié la Convention de Genève de 1951 (Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés) et son protocole additionnel.
8. L'Assemblée recommande donc au Comité des Ministres:
8.1. quant au fond des problèmes actuels:
a. d'exhorter les États membres, en particulier les nouveaux États membres, à inscrire dans leur législation interne et à mettre en œuvre les droits des minorités, des dispositions en vue de prévenir ou de réduire l'apatridie, et l'interdiction de la discrimination et des activités racistes ou xénophobes, de manière à prévenir toute situation pouvant forcer des personnes à quitter leur pays par crainte de persécution ou d'autres dangers pour leur vie et leur intégrité, ou pour cause d'apatridie;
b. de demander aux États membres d'intensifier leurs activités relatives aux droits de l'homme dans les pays non européens (d'où vient un nombre important de demandeurs d'asile), par exemple par le biais des Nations Unies ou des programmes d'aide au développement;
c. de demander aux États membres de mettre en œuvre rapidement et soigneusement le plan d'action sur la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance arrêté lors du Sommet de Vienne;
d. d'inviter les États membres à renforcer leur coopération pour tenter de démanteler les réseaux de passeurs de migrants clandestins;
8.2. quant aux procédures d'octroi de l'asile:
a. d'engager les États membres à compter davantage sur la coopération paneuropéenne (les accords et la coopération doivent s'étendre à tous les États membres du Conseil de l'Europe; il ne doit pas s'agir seulement d'accords bilatéraux ou multilatéraux ou de pratiques telles que celles des «pays tiers sûrs», qui ne visent qu'un nombre restreint de pays membres) pour harmoniser les procédures d'asile ou tenter de répartir plus équitablement les responsabilités;
b. de veiller avec une attention particulière au traitement des demandes qualifiées de «manifestement non fondées»;
c. de veiller à ce que la notion de «pays tiers d'accueil» soit interprétée restrictivement afin de garantir que les demandeurs d'asile soient effectivement réadmis dans ce pays et qu'ils y soient protégés contre toute mesure de refoulement en attente d'une décision quant à leur demande d'asile;
d. d'insister pour que les procédures d'octroi de l'asile prévoient les garanties juridiques minimales suivantes:
le demandeur d'asile devra être informé de son droit de pouvoir disposer d'un conseil juridique et, le cas échéant, d'une aide linguistique;
la décision relative à l'asile devra être communiquée par écrit et devra être dûment motivée;
en cas de refus, la décision énumérera les voies de recours;
pendant le recours, le demandeur d'asile ne pourra pas être expulsé;
e. de demander aux États membres d'accepter un rôle accru du Conseil de l'Europe dans le domaine du droit d'asile et de renforcer le rôle, les missions et les ressources du Comité ad hoc d'experts sur les aspects juridiques de l'asile territorial, des réfugiés et des apatrides (CAHAR);
f. de créer un organe additionnel dans le cadre du Conseil de l'Europe. Pour être efficace, cet organe devrait être une instance autonome de coordination investie de plus de pouvoirs «exécutifs» que les organes existants; à cet égard, la proposition lancée par le Gouvernement danois en avril 1993 tendant à la création d'une «commission européenne des réfugiés» mérite une attention particulière;
g. d'habiliter la «commission européenne des réfugiés» susmentionnée à formuler les principes directeurs à observer - en se fondant sur les solutions les plus généreuses -et à examiner également les solutions adoptées dans chaque État membre, et cela dans le but d'éviter entre les États membres des différences dans les procédures d'octroi de l'asile;
h. d'autoriser la Cour européenne des Droits de l'Homme à évaluer les décisions prises dans chacun des États membres sur la base des principes directeurs formulés par la «commission européenne des réfugiés», comme la juridiction suprême et la plus haute instance d'appel;
i. de proposer aux États membres de désigner un Haut Commissaire européen pour les réfugiés, chargé de travailler en coopération étroite avec le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés sans porter atteinte à son mandat, pour aider les gouvernements et les populations des États membres à concentrer leur attention sur la situation des demandeurs d'asile et des réfugiés en Europe;
j. d'insister pour que les procédures d'octroi de l'asile et les politiques d'attribution des visas, en particulier celles qui ont été récemment modifiées par des lois nationales ou en vertu des traités de l'Union européenne, continuent à s'inspirer de la Convention de Genève de 1951 et de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - en gardant à l'esprit que cette dernière contient implicitement des obligations à l'égard des personnes qui ne sont pas nécessairement des réfugiés au sens de la Convention de Genève de 1951 - et ne permettent aucune violation, notamment du principe généralement admis du non-refoulement et de l'interdiction du refoulement des demandeurs d'asile à la frontière;
k. de demander aux États membres de respecter dans l'interprétation des critères d'octroi du statut de réfugié les principes directeurs définis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et de donner suite aux critiques formulées par le HCR au sujet des nouvelles lois nationales et des traités multilatéraux en matière d'asile;
l. de proposer aux États membres la création d'un fonds chargé de fournir une assistance financière et logistique aux pays membres (notamment aux nouveaux pays membres) qui sont débordés par l'arrivée massive de demandeurs d'asile ou par leur nouveau rôle de pays d'accueil;
m. eu égard aux événements dans l'ancienne Yougoslavie, d'exhorter les États membres à étendre leur protection aux personnes déplacées en appliquant les normes minimales formulées en 1981 dans la Conclusion n° 22 (XXXII) «protection des personnes en quête d'asile en cas d'arrivées massives» du Comité exécutif du HCR;
n. de demander une plus grande transparence en matière de quotas de réfugiés en général, et une augmentation du nombre de réfugiés faisant partie du quota accepté par chaque État membre du Conseil de l'Europe en particulier;
o. compte tenu de la situation internationale actuelle, d'exhorter les gouvernements des États membres à assurer que l'asile est accordé à ceux qui en ont besoin, comme ils ont promis de le faire auparavant;
p. de suivre les propositions formulées dans sa Recommandation 1237 (1994) relative à la situation des demandeurs d'asile déboutés;
8.3. quant au statut des demandeurs d'asile et des réfugiés en droit international:
a. de modifier la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales pour y inscrire un droit d'asile en fondant le texte à adopter sur les suggestions formulées dans la Recommandation 293 (1961) de l'Assemblée ou dans l'annexe II au rapport de 1988 sur le droit d'asile (Doc. 5930);
b. si le droit d'asile n'est pas inséré dans la Convention, d'élaborer un accord distinct en la matière qui non seulement préciserait le statut juridique des demandeurs d'asile et des personnes déplacées mais aussi énoncerait des procédures modèles (harmonisées) et les critères de détermination du statut de réfugié en plein accord avec la Convention de Genève de 1951, le Protocole de New York de 1967 et d'autres principes pertinents du droit international des réfugiés;
c. d'élaborer un instrument juridique pour la protection des réfugiés de facto qui, en droit international, ne bénéficient pas de la protection de base que la Convention de Genève de 1951 et le Protocole de New York de 1967 accordent aux réfugiés;
d. de reprendre l'initiative sur la question de la responsabilité de l'examen des demandes d'asile en adoptant le projet d'accord en la matière soumis par le CAHAR au Comité des Ministres en 1989;
e. d'inviter ceux des États membres qui ne l'ont pas encore fait à ratifier la Convention de Genève de 1951 et son protocole additionnel.