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Recommandation 1336 (1997)

Priorité dans la lutte contre l'exploitation du travail des enfants

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 juin 1997 (22e séance) (voir Doc. 7840, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: Mme Belohorská). Texte adopté par l’Assemblée le 26 juin 1997 (22e séance).

1. L’Assemblée note la préoccupation croissante que suscite au plan mondial l’exploitation économique des enfants. Cette exploitation, bien que plus fréquente et plus grave dans nombre de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, pose aussi un important problème social dans toute l’Europe.
2. L’Assemblée note, par ailleurs, la complexité de cette question et la nécessité pour les pouvoirs publics d’en tenir compte dans l’élaboration des mesures à prendre. Les diverses formes de travail des enfants couvrent tout le spectre allant d’activités tout à fait bénéfiques pour leur santé et leur développement jusqu’à l’exploitation caractérisée. Il faut s’attacher en priorité à mettre fin immédiatement aux formes les plus intolérables du travail des enfants – esclavage et pratiques assimilées à l’esclavage, travail forcé ou obligatoire, y compris l’asservissement et le servage, l’emploi des enfants dans la prostitution, la pornographie et le trafic de stupéfiants, et leur emploi dans tout type de travail susceptible de nuire à leur santé, à leur sécurité ou à leur moralité. Les filles doivent bénéficier d’une protection spéciale et le travail des très jeunes enfants doit être totalement interdit.
3. Dans les pays en développement et dans certains pays d’Europe, les principales causes du travail des enfants sont la pauvreté et l’exclusion sociale. Les formes que revêt la pauvreté et les stratégies adoptées par les pauvres pour y faire face varient considérablement d’un pays à l’autre. Seule une démarche adaptée à chaque pays permettra donc de s’attaquer efficacement à ces problèmes. Il convient d’approuver explicitement les objectifs de la Convention no 138 de 1973 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur l’âge minimal d’admission à l’emploi afin d’abolir effectivement le travail des enfants et d’élever progressivement l’âge minimal d’admission à l’emploi ou au travail à un niveau conforme au développement physique et mental complet des jeunes. L’âge minimal d’admission à l’emploi ne devrait pas être inférieur à l’âge d’achèvement de la scolarité obligatoire et, en tout cas, ne doit pas être inférieur à 15 ans.
4. L’instruction joue un rôle important dans la promotion comme dans la prévention du travail des enfants. L’inaccessibilité ou l’inadéquation de l’instruction peut pousser les enfants précocement sur le marché du travail. Inversement, un enseignement qui permet d’acquérir des compétences utilisables par la suite pour un emploi encouragera les enfants à rester à l’école, réduisant ainsi les formes les plus graves d’exploitation. Malgré les difficultés que cela implique, de nombreux enfants combinent l’école et le travail. Il faut assurer à ces enfants au travail une forme d’enseignement adéquate et souple. Tout enfant doit bénéficier d’une éducation gratuite et appropriée qui, entre autres, lui permette d’accéder plus tard à un emploi productif.
5. Les campagnes de sensibilisation ont, à long terme, un rôle crucial à jouer dans la prise de conscience du travail des enfants par la société. Le problème est souvent masqué et passe inaperçu au point que le public peut être persuadé qu’il n’existe plus. Les syndicats, les médias et les organisations non gouvernementales peuvent se rendre très utiles en détectant des problèmes de l’enfance exploitée et en attirant l’attention du public. Il est possible par ce biais de renforcer la volonté politique d’agir.
6. Le travail des enfants est une question d’ampleur paneuropéenne. Dans les pays d’Europe, les formes de travail des enfants jugées intolérables comprennent l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, les mauvais traitements physiques et d’ordre sexuel des enfants employés, l’exploitation des jeunes employés de maison, la traite des enfants, l’emploi des enfants à des travaux dangereux et le problème des enfants des rues.
7. Les minorités rom et tsiganes, les migrants légaux ou illégaux et les réfugiés sont particulièrement touchés par la pauvreté et le travail des enfants. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, en particulier, le passage à l’économie de marché, la paupérisation et la restructuration du système de protection sociale ont multiplié les risques d’exploitation économique des enfants, et des cas ont été signalés dans nombre de ces pays.
8. Le travail des enfants en Europe n’a pas été suffisamment étudié. Une première étape doit consister à définir correctement les questions prioritaires concernant le travail des enfants dans chacun des pays européens et à identifier par une évaluation adéquate les secteurs prioritaires pour l’action. L’OIT offre une grande expérience de la méthodologie permettant de mener rapidement ces évaluations qui pourraient constituer la première étape du volet «travail des enfants» de la stratégie européenne pour les enfants telle qu’elle a été proposée par l’Assemblée dans sa Recommandation 1286 (1996).
9. Là où des modes de travail intolérables pour les enfants auront été identifiés, il faudra mettre en œuvre des plans visant leur élimination par le biais d’une stratégie intégrée de prévention, de réglementation et de réhabilitation. L’Unicef dispose de l’expérience nécessaire du fait de son travail sur la survie et les droits des enfants, et dispose également de capacités en Europe grâce à son réseau de comités nationaux et à ses programmes d’assistance.
10. La politique en matière de travail des enfants doit être conforme au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. La réglementation du travail des enfants par la législation et l’inspection est importante dans nombre de pays afin de fixer des normes pour l’employeur et de renforcer les moyens de superviser et de promouvoir le respect de ces normes.
11. En ce qui concerne les sanctions commerciales, l’Assemblée reconnaît l’importance suprême des droits de l’homme fondamentaux énoncés dans les conventions de l’OIT sur le travail des enfants; elle demande à l’OIT de fournir les indications nécessaires sur l’application pratique, notamment par la coopération technique et d’autres mesures appropriées. L’Assemblée approuve donc la proposition de l’OIT de faire adopter par tous les Etats une déclaration préconisant des principes et des droits fondamentaux universellement reconnus, qui devrait être contraignante pour tous les Etats membres, qu’ils aient ou non ratifié ces conventions.
12. Les sanctions commerciales sont efficaces en dernier recours seulement dans la lutte contre l’exploitation de la main-d’œuvre enfantine, si elles sont appliquées sur une base multilatérale (plutôt qu’unilatérale) et combinées avec d’autres mesures.
13. Bien conçus et suivis, les codes de conduite peuvent contribuer utilement à améliorer les pratiques en matière d’emploi sans nuire aux intérêts des enfants concernés. Pour les pays européens, un des meilleurs moyens de lutter contre le travail des enfants hors d’Europe passe par les programmes de coopération internationale destinés à aider les enfants exploités par le biais de programmes de réhabilitation et de réformes bien pensés.
14. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres de lancer un appel à chacun des Etats membres pour résolument lutter contre l’exploitation économique des enfants en Europe:
14.1. par l’adoption d’une politique nationale claire, à ces fins, et d’un programme d’action à échéances déterminées, détaillés, cohérents et coordonnés, interdisciplinaires et préventifs, ainsi que par l’allocation des ressources nécessaires;
14.2. par un développement systématique de la recherche visant à des plans d’action dans tous les domaines concernant le travail des enfants;
14.3. par la révision de la législation nationale afin d’améliorer la protection des enfants et en particulier de répondre aux normes sociales retenues par le Conseil de l’Europe, la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant et les conventions pertinentes de l’OIT, en particulier la Convention de l’OIT sur l’âge minimal d’admission à l’emploi;
14.4. par l’amélioration de l’efficacité des services de l’inspection du travail et de l’inspection scolaire;
14.5. par la sensibilisation de la société tout entière aux conséquences du travail précoce des enfants et par l’éducation des consommateurs à la prise en compte des droits fondamentaux du travail lors de l’achat des biens.
15. L’Assemblée invite également le Comité des Ministres à démontrer, au niveau européen, sa volonté politique de lutter contre l’exploitation des enfants:
15.1. en donnant, dans le cadre du suivi de la Stratégie européenne pour les enfants, la priorité:
a. à une évaluation dans chaque Etat membre de la situation de la main-d’œuvre enfantine, afin d’en identifier les formes les plus intolérables, d’en analyser les causes et de formuler des propositions quant aux meilleurs moyens de lutter contre ces formes d’exploitation;
b. à la définition d’une politique européenne globale sur le travail des enfants, compte tenu des normes sociales du Conseil de l’Europe et, pour y satisfaire, en coopération avec l’OIT, l’Unicef, les organisations non gouvernementales concernées et les partenaires sociaux, et en consultation avec les enfants qui travaillent, de manière que leur point de vue soit dûment pris en compte;
15.2. en développant des programmes de coopération et d’assistance techniques, notamment pour les Etats membres d’Europe centrale et orientale, afin de mettre en place et d’améliorer leur législation et leur politique nationales, et d’organiser ou de renforcer le système d’inspection du travail;
15.3. en demandant régulièrement aux Etats membres concernés de revoir leurs législations aux fins de ratification de la Charte sociale européenne et de la Charte sociale révisée du Conseil de l’Europe, et du Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives qui ainsi donnera le droit de porter plainte, en cas de manquements, aux organisations non gouvernementales et aux associations pour la protection des enfants.
16. En ce qui concerne le travail des enfants hors d’Europe, l’Assemblée invite instamment le Comité des Ministres à recommander aux Etats membres:
16.1. d’appliquer les sanctions commerciales multilatérales, en dernier recours seulement, contre des pays connaissant des pratiques intolérables en matière de travail des enfants;
16.2. de soutenir, unilatéralement ou par le biais de la coopération internationale, des programmes intégrés visant à lutter contre les formes les plus intolérables du travail des enfants dans les pays en développement, par exemple grâce à l’octroi par les Etats membres du Conseil de l’Europe de ressources accrues au Programme international de l’OIT pour l’élimination du travail des enfants (IPEC);
16.3. de définir et d’introduire dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce des mesures sociales incitatives positives afin d’encourager les pays en développement à respecter certaines conventions fondamentales de l’OIT sur les normes minimales, comme celle contre le travail forcé et l’âge minimal d’admission à l’emploi pour les enfants.
17. L’Assemblée invite également le Comité des Ministres à demander aux Etats membres de participer activement à l’élaboration et à la mise en œuvre de la nouvelle convention de l’OIT contre les formes les plus intolérables du travail des enfants.