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Résolution 1096 (1996)

Mesures de démantèlement de l'héritage des anciens régimes totalitaires communistes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 27 juin 1996 (22e séance) (voir Doc. 7568, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Severin). Texte adopté par l'Assemblée le 27 juin 1996 (23e séance).

1. L'héritage des anciens régimes totalitaires communistes n'est pas une question facile à traiter. Sur le plan institutionnel, cet héritage englobe la centra-lisation (excessive), la militarisation des institutions civiles, la bureaucratisation, la monopolisation, l'excès de réglementation; au niveau de la société, il va du collectivisme et du conformisme à l'obéissance aveugle et aux autres modes de pensée totalitaires. Il est difficile, dans ces conditions, de réinstaurer un Etat de droit civilisé et libéral - c'est pourquoi les structures et les modes de pensée du passé doivent être démantelés et surmontés.
2. Les objectifs de ce processus de transition sont clairs: créer des démocraties pluralistes, fondées sur la prééminence du droit et le respect des droits de l'homme et de la diversité. Les principes de la subsidiarité, de la liberté de choix, de l'égalité des chances, du pluralisme économique et de la transparence des mécanismes de décision ont tous leur importance dans ce processus. La séparation des pouvoirs, la liberté des médias, la protection de la propriété privée et le développement d'une société civile sont quelques-uns des moyens qui permettront de réaliser cet objectif, de même que la décentralisation, la démilitarisation, le démantèlement des monopoles et la «débureaucratisation».
3. Les risques qu'entraînerait un échec du processus de transition sont multiples. Au mieux, on verra s'installer l'oligarchie au lieu de la démocratie, la corruption au lieu de l'Etat de droit et la criminalité organisée au lieu des droits de l'homme. Dans le pire des cas, on assistera à la «restauration de velours» d'un régime totalitaire, voire au renversement par la force de la démocratie naissante. Dans de telles circonstances, le nouveau régime non démocratique d'un grand pays constitue aussi un danger international pour ses voisins plus faibles. La clé d'une coexistence pacifique et de la réussite du processus de transition réside dans un délicat équilibre consistant à rendre justice sans esprit de vengeance.
4. Pour démanteler l'héritage des anciens régimes totalitaires communistes, un Etat de droit démocratique se doit d'employer les moyens d'un tel Etat, et uniquement ces moyens-là, faute de quoi il ne vaudrait guère mieux que le régime totalitaire qu'il entend démanteler. Un Etat de droit démocratique dispose de moyens suffisants pour faire en sorte que la justice soit respectée et que les coupables soient punis - il ne peut et ne doit cependant pas les utiliser dans un esprit de vengeance, plutôt que de justice. Il doit au contraire respecter les droits de l'homme et les libertés fondamentales, tels que le droit à une procédure régulière et le droit d'être entendu, et appliquer ces principes à tous, même à ceux qui les ont bafoués lorsqu'ils étaient au pouvoir. Un Etat de droit démocratique est aussi en mesure de se défendre contre une résurgence de la menace totalitaire communiste, car il dispose d'amples moyens, qui ne portent pas atteinte aux droits de l'homme et à la prééminence du droit, et qui relèvent du droit pénal ou de mesures administratives.
5. L'Assemblée recommande que les Etats membres démantèlent l'héritage des anciens régimes totalitaires communistes en restructurant les anciens systèmes juridique et institutionnel, processus qui devrait être fondé sur:
5.1. le principe de la démilitarisation, afin de s'assurer que l'on mette fin à la militarisation des institutions civiles essentiellement, telle l'existence d'une administration pénitentiaire militaire ou de forces armées dépendant du ministère de l'Intérieur, ce qui est typique des systèmes totalitaires communistes;
5.2. le principe de la décentralisation, surtout aux niveaux local et régional ainsi qu'au sein des institutions étatiques;
5.3. le principe du démantèlement des monopoles et de la privatisation, condition centrale de la mise sur pied d'une économie de marché et d'une société pluraliste;
5.4. le principe de la «débureaucratisation», qui doit permettre de réduire l'excès de réglementation totalitaire communiste et de transférer le pouvoir des bureaucrates aux citoyens.
6. Ce processus doit s'accompagner d'une transformation des mentalités (une transformation des cœurs et des esprits), qui devrait avoir comme principal but d'éliminer la peur de prendre des responsabilités, le non-respect de la diversité, le nationalisme extrême, l'intolérance, le racisme et la xénophobie, qui sont également une partie de l'héritage des anciens régimes. Tout cela doit être remplacé par les valeurs démocratiques que sont la tolérance, le respect de la diversité, la subsidiarité et la responsabilité.
7. L'Assemblée recommande également que les personnes ayant commis des actes criminels sous le régime totalitaire communiste soient jugées et punies conformément au Code pénal en vigueur. Si le Code pénal prévoit des délais de prescription pour certains crimes, ceux-ci peuvent être prolongés, car il ne s'agit que d'une question de procédure et non de fond. En revanche, il est interdit d'adopter et d'appliquer des lois rétroactives dans le domaine pénal. Par ailleurs, le jugement et la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national sont autorisés dès lors que cette action était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. De plus, dans le cas où une personne a commis un acte contrevenant manifestement aux droits de l'homme, l'argument d'avoir agi sur ordre n'exclut ni l'illégalité ni la culpabilité individuelle.
8. L'Assemblée recommande que le jugement des auteurs de crimes aille de pair avec la réhabilitation des personnes qui ont été déclarées coupables de «crimes» ne constituant pas des actes criminels dans une société civilisée, ainsi que des personnes qui ont été injustement condamnées. De l'avis de l'Assemblée, des réparations matérielles devraient également être accordées à ces victimes de la justice totalitaire, réparations qui ne devraient pas être (très) inférieures à celles accordées aux personnes injustement condamnées aujourd'hui pour des crimes de droit commun.
9. L'Assemblée se réjouit de l'ouverture des dossiers des services secrets à l'accès du public dans certains des anciens pays totalitaires communistes. Elle recommande à tous les pays intéressés de permettre aux personnes concernées d'examiner, si elles le désirent, les dossiers conservés sur elles par les anciens services secrets.
10. De plus, l'Assemblée conseille, en principe, de restituer in integrum à leurs propriétaires d'origine les biens, y compris ceux des Eglises, qui ont été illégalement ou injustement saisis, nationalisés, confisqués ou expropriés par l'Etat sous le règne des régimes communistes totalitaires, dans la mesure du possible, sans violer ni les droits des propriétaires actuels qui ont acquis ces biens de bonne foi, ni ceux des locataires actuels qui occupent les lieux de bonne foi, et sans nuire aux progrès des réformes démocratiques. Dans les cas où cela n'est pas possible, une indemnisation matérielle juste devrait être attribuée. Les contestations et litiges liés à des affaires individuelles de restitution de propriété seront tranchés par les tribunaux.
11. En ce qui concerne le traitement des personnes qui n'ont commis aucun des crimes susceptibles d'être poursuivis conformément au paragraphe 7, mais qui cependant détenaient de hautes fonctions sous les anciens régimes totalitaires communistes, et qui ont soutenu ces régimes, l'Assemblée relève que certains Etats ont jugé nécessaire d'adopter des mesures administratives, telles que les lois de «lustration» ou de «décommunisation». Celles-ci consistent à écarter de l'exercice du pouvoir les personnes dont on ne peut être certain qu'elles exerceront leurs fonctions conformément aux principes démocratiques, car elles n'ont montré aucun engagement ou attachement envers ces principes par le passé et n'ont aucun intérêt ou aucune raison de se rallier maintenant à ces principes.
12. L'Assemblée souligne que, dans l'ensemble, ces mesures ne sont compatibles avec un Etat de droit démocratique que si plusieurs critères sont respectés. Premièrement, la culpabilité - qui est individuelle et non collective - doit être prouvée pour chaque personne, ce qui montre bien la nécessité d'une application individuelle, et non collective, des lois de «lustration». Deuxièmement, il faut garantir le droit de défense, la présomption d'innocence jusqu'à preuve de la culpabilité et la possibilité d'un recours judiciaire régulier contre toute décision. La vengeance ne peut jamais constituer l'objectif de ces mesures, pas plus que l'on ne saurait permettre le détournement politique ou social du processus de lustration qui en résulte. Le but de la «lustration» n'est pas de punir les personnes présumées coupables - c'est le travail des procureurs, sur la base du droit pénal - mais de protéger la démocratie émergente.
13. L'Assemblée propose par conséquent de veiller à ce que les lois de «lustration» et les mesures administratives analogues soient compatibles avec les exigences d'un Etat de droit et qu'elles soient dirigées contre les dangers qui menacent les droits fondamentaux de l'homme et le processus de démocratisation. Elle suggère de se reporter aux «Principes directeurs à respecter pour que les lois de lustration et les mesures administratives analogues soient conformes aux exigences d'un Etat de droit» en tant que texte de référence 
			(1) 
			Voir Doc.7568..
14. En outre, l'Assemblée recommande que les salariés relevés de leurs fonctions en vertu des lois de «lustration» ne perdent pas, en principe, les droits financiers qu'ils ont acquis antérieurement. Exceptionnellement, lorsque l'élite au pouvoir sous l'ancien régime s'était attribué des droits à pension bien supérieurs à ceux du commun de la population, le montant des pensions devrait être ramené à un niveau normal.
15. L'Assemblée recommande aux autorités des pays concernés de vérifier si leurs lois, règlements et procédures sont conformes aux principes contenus dans la présente résolution, et, le cas échéant, de les modifier. Cela permettrait d'éviter que les mécanismes de contrôle du Conseil de l'Europe ne soient saisis de plaintes concernant ces procédures dans le cadre de la Convention européenne des Droits de l'Homme, de la procédure de contrôle du Comité des Ministres ou de la procédure de surveillance de l'Assemblée prévue par la Directive no 508 (1995) relative au respect des obligations et des engagements contractés par les Etats membres.
16. Enfin, la meilleure garantie du démantèlement des anciens régimes totalitaires communistes, ce sont les profondes réformes politiques, juridiques et économiques entreprises dans les différents pays et menant à la formation d'un esprit démocratique et d'une culture politique authentiques. L'Assemblée invite, par conséquent, toutes les démocraties consolidées à renforcer l'aide et l'assistance qu'elles apportent aux démocraties naissantes d'Europe, notamment en vue de l'instauration d'une société civile.